Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’intimé a nommé la plaignante et deux collègues à des postes semblables, à titre intérimaire, dans le cadre d’un processus annoncé – l’intimé a mis fin à la nomination de la plaignante avant la fin de sa nomination intérimaire en raison d’une restructuration du bureau – toutefois, il n’a pas mis fin à la nomination de ses collègues et ces dernières ont à nouveau fait l’objet d’une nomination intérimaire pour une période supplémentaire lorsque leur nomination intérimaire initiale a pris fin – la plaignante a déposé une plainte au sujet de ces nouvelles nominations, faisant valoir que l’intimé a abusé de son pouvoir en se livrant à du favoritisme personnel, en agissant de mauvaise foi et en démontrant de la partialité à son égard – elle a également soutenu que l’évaluation des personnes nommées était entachée d’erreurs – elle a déposé des éléments de preuve concernant plusieurs événements préoccupants qui se sont produits dans le lieu de travail – la Commission a conclu qu’aucun élément de preuve présenté n’appuyait l’allégation de favoritisme personnel ou que les nouvelles nominations étaient entachées d’une quelconque manière de partialité à l’égard de la plaignante – de plus, la plaignante n’a pas établi que l’évaluation des personnes nommées était viciée – la Commission a noté que des relations tendues avec les collègues ou une superviseure ne signifient pas qu’il y a abus de pouvoir dans le cadre d’un processus de dotation auquel ces personnes ont pris part.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la le secteur public fédéral et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180419
  • Dossier:  EMP-2015-9888
  • Référence:  2018 CRTESPF 32

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

MELODY RAABE

plaignante

et

LE SOUS-MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET DU NORD

intimé

Répertorié
Raabe c. Sous-ministre des Affaires autochtones et du Nord


Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante :
Elle-même
Pour l’intimé :
Cristina St-Amant-Roy, avocate
Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
Les 19 et 20 janvier, du 9 au 12 mai et le 18 mai 2017.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1        La plaignante, Melody Raabe, allègue qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application du critère du mérite dans le cadre de la nomination intérimaire de deux de ses anciennes collègues. Dans le cadre d’un même processus de nomination, elle et les collègues en question ont été nommées à titre intérimaire. Malheureusement pour la plaignante, le ministère des Affaires autochtones et du Nord (l’ « intimé ») a mis un terme à sa nomination intérimaire quelques semaines après l’entrée en vigueur de celle-ci. Cependant, les deux autres personnes nommées ont été nommées de nouveau et leur période de nomination a été prolongée au-delà de la période initiale de trois mois. Ces nouvelles nominations sont à l’origine de la présente plainte.

2        La plaignante a présenté huit pages d’allégations, lesquelles ont été modifiées à deux reprises avant l’instruction de cette affaire. Elle était bien préparée pour l’audience et elle a présenté un résumé utile de ses nombreuses allégations lors de sa déclaration préliminaire. Elle a soutenu que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du critère du mérite parce qu’il a fait preuve de favoritisme personnel et qu’il a agi de mauvaise foi et de manière partiale à son égard. Elle a également soutenu que l’évaluation des candidatures visant les deux personnes nommées était entachée d’erreurs.

3        L’audience a duré sept jours. La plaignante a cité à témoigner dix personnes de son ancien bureau, ainsi que sa superviseure immédiate et le directeur de la direction où elle travaillait. Plusieurs volumes de recueils de pièces ont été présentés en preuve, dont 250 documents distincts de la plaignante. Dans son argumentation, elle s’est appuyée sur 2 volumes comprenant 41 documents distincts.

4        Malgré les objections de l’intimé, j’ai permis de nombreuses heures de témoignage afin d’offrir à la plaignante toute la latitude possible, dans les limites d’une interprétation de la pertinence la plus généreuse possible, afin de favoriser la production d’éléments de preuve clairs, précis et convaincants à l’appui de ses nombreuses allégations.

5        Cette décision traduira ce que j’estime être au cœur de l’affaire présentée par la plaignante. Cependant, je ne tenterai pas d’aborder toutes les questions soulevées lors des témoignages ni tous les éléments de preuve documentaire présentés puisque, pour la plupart, ils ne sont pas pertinents aux questions dont j’étais saisi.

6        Malgré la préparation élaborée de la plaignante, l’examen très bien organisé des témoins et la recherche exhaustive à l’appui de ses arguments, je conclus que je n’ai pas compétence pour entendre la majorité des allégations en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la « Loi »). En ce qui concerne les questions relevant de ma compétence, j’estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que des erreurs ont été commises ou que des gestes ont été posés qui équivaudraient à un abus de pouvoir.

7        La plaignante a déposé sa plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, le 6 août 2015. Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la LRTFP pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

II. Contexte

8        La plaignante a commencé à travailler au sein de la fonction publique en1986. Elle a posé sa candidature au processus de nomination annoncé portant le numéro 14-IAN-IA-AO-HQ-RIA-139877, en vue d’une nomination à un poste de chef d’équipe, classifié PM-03. Le 27 janvier 2015, elle a reçu un avis l’informant qu’elle ferait partie d’unbassin de candidats et de candidates qualifiés, lequel serait en vigueur jusqu’au 27 janvier 2016.

9        Le 19 février 2015, la plaignantea accepté une offre de nomination intérimaire à un poste de chef d’équipe (dans la section de travail de bureau) au sein de la section du traitement de Winnipeg de l’intimé, pour une période de moins de quatre mois, soit du 1er avril 2015 au 30 juin 2015.

10        Deux autres employées, Amber Bryski et Amanda Wilson, ont également été nommées par intérim dans des postes classifiés PM-03 pour la même période; elles ont travaillé comme co-chefs d’équipe au sein du même bureau. Elles relevaient toutes de Shannon Barry (dont le poste était classifié PM-05), qui elle-même relevait de Keith Desjardins. Mme Barry était l’une des trois membres du comité de sélection pour les nominations en question.

11        Le 20 mai 2015, la plaignante a été informée par sa superviseure que sa nomination intérimaire prendrait fin en raison d’une restructuration du bureau et qu’elle devrait retourner à son poste d’attache le 25 mai 2015.

12        Cependant, les nominations intérimaires de Mme Bryski et de Mme Wilson n’ont pas été terminées et, à la fin de la période des nominations intérimaires, elles ont été nommées de nouveau dans leurs postes intérimaires respectifs pour une période supplémentaire commençant le 1er juillet et prenant fin le 30 novembre 2015. La présente plainte déposée par la plaignante vise ces nouvelles nominations.

III. Analyse

13        La plainte a été déposée en vertu de l’article 77 de la Loi. Les nouvelles nominations de Mme Bryski et Mme Wilson étaient pour une période de quatre mois moins un jour. Les nominations pour une période inférieure à quatre mois sont exclues de l’application de l’article 77 de la Loi, à moins qu’elles servent à prolonger la période cumulative de la période de nomination intérimaire de l’employée à quatre mois ou plus (paragraphe 14(1) du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005-334)). Puisque les nouvelles nominations des deux employées ont eu pour effet de prolonger la période cumulative de leurs nominations intérimaires au-delà de quatre mois, la plaignante avait le droit de déposer la présente plainte en vertu de l’article 77 de la Loi.

14        L’article 77 de la Loi prévoit que la personne dont la candidature n’a pas été retenue dans le cadre d’un processus de nomination interne peut déposer une plainte devant la Commission au motif qu’elle n’a pas été nommée, ou fait l’objet d’une proposition de nomination, pour des raisons d’abus de pouvoir. Le plaignant ou la plaignante a le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a fait preuve d’abus de pouvoir (voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale et al., 2006 TDFP 8, aux paragraphes 49 et 55).

15        Bien que la plaignante ait, à l’origine, réussi à obtenir une nomination dans le cadre du processus visé par la présente plainte, elle est devenue une candidate non retenue lorsque ses deux anciennes collègues ont été nommées pour une période supplémentaire à partir de juillet 2015.

16        Le paragraphe 30(1) de la Loi prévoit que les nominations— internes ou externes — à la fonction publique doivent être fondées sur le mérite. L’alinéa 30(2)a) prévoit qu’une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne à nommer possède les qualifications essentielles établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir.

17        La Loi ne définit pas l’« abus de pouvoir ». Cependant, le paragraphe 2(4) prévoit ce qui suit, à titre d’orientation :« Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

18        Comme l’a souligné la présidente de la Commission, Mme Ebbs, dans sa récente décision, Ross c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2017 CRTEFP 48, au paragraphe 14, la Commission et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) ont établi que le paragraphe 2(4) de la Loi doit être interprété de façon générale.

19        Il en découle donc que l’expression « abus de pouvoir » ne se limite pas à la mauvaise foi et au favoritisme personnel. Dans Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, aux paragraphes 21 et 38, la Cour fédérale a confirmé que la définition d’« abus de pouvoir », au paragraphe 2(4) de la Loi, n’est pas exhaustive et peut comprendre d’autres formes de conduite inappropriée.

20        La nature et la gravité de la conduite inappropriée ou de l’omission détermineront si elle constitue un abus de pouvoir ou non. Voir Tibbs, au paragraphe 66.

A. Questions en litige

1. La décision d’éliminer le poste occupé de façon intérimaire par la plaignante constitue-t-elle une preuve de mauvaise foi et de partialité à son égard?

21        La plaignante a produit de nombreux éléments de preuve à l’audience afin de démontrer que, à son avis, pendant son mandat et par la suite, il y avait suffisamment de travail pour justifier son maintien dans ce poste intérimaire. Plusieurs heures ont été consacrées à l’examen de documents, d’attestations et de numéros de postes, lesquelles, selon la plaignante, établissent qu’il était initialement prévu que sa nomination intérimaire demeurerait en vigueur au moins pour la totalité de la durée prévue.

22        L’arrêt prématuré de la nomination intérimaire de la plaignante ne s’inscrit pas dans la portée de la compétence qui m’est conférée en vertu de l’article 77 de la Loi. Cette absence de compétence a été confirmée à la plaignante avant l’audience au moyen d’une lettre de décision émise par la Commission le 28 octobre 2015, en réponse à une demande d’ordonnance de divulgation de renseignements.

23        Malgré les objections de l’intimé, j’ai autorisé les témoignages au sujet de plusieurs préoccupations de la plaignante. La plaignante a fait valoir que, dans leur ensemble, ces préoccupations démontraient que l’intimé avait fait preuve de mauvaise foi et de partialité à son égard, et qu’il avait joué un rôle dans la décision relative aux nominations visées par la présente plainte.

24        La plaignante a présenté son témoignage et a soulevé les éléments de preuve documentaire qui, selon elle, démontraient que le seul changement réel apporté dans le cadre de cette prétendue réorganisation du bureau était l’élimination de sa nomination intérimaire et que, ultimement, la charge de travail avait augmenté depuis son départ. Peu de temps après son départ, une personne a été affectée au bureau pour effectuer le travail qu’elle aurait pu y faire.

25        À l’audience, des témoignages et des éléments de preuve documentaire ont établi que Mme Bryski et de Mme Wilson, qui ont été nommées à nouveau dans leurs postes intérimaires, communiquaient parfois des renseignements relatifs aux activités du bureau directement aux employés qui relevaient de la plaignante. Elle a également fourni des éléments de preuve démontrant que l’une d’elles avait décidé d’approuver elle-même les congés annuels d’employés relevant de la plaignante.

26        La plaignante était très bouleversée par le fait que ses collègues s’emparaient de son pouvoir au sein de l’organisation. Des éléments de preuve ont également démontré que le gestionnaire de bureau partageait parfois des courriels et tenait des réunions sans inclure la plaignante.

27        La plaignante a également déclaré avoir été exclue d’un voyage d’employés à l’extérieur dans le cadre d’une cérémonie liée à un paiement prévu par les traités avec une Première Nation cliente du ministère.

28        La plaignante a déclaré que sa superviseure, Mme Barry, était souvent non disponible pour s’entretenir avec elle et qu’elle répondait souvent à ses communications écrites en retard. La plaignante a déclaré que Mme Barryse livrait à de la microgestion à son égard et qu’elle l’avait accusée d’être indûment influencée dans son travail par ses intérêts et sa participation à titre d’agente négociatrice. La plaignante a également indiqué que Mme Wilson avait commencé à assigner ses tâches.

29        La plaignante a interrogé Nancy Buchanan, qui travaillait dans la section. Durant son témoignage, Mme Buchanan a déclaré que dans le cadre d’une conversation au cours d’un déjeuner, Mme Wilson avait mentionné que la plaignante n’était pas aimée au bureau parce qu’elle tentait de transformer leur système de gestion et de modifier le bureau.

30        La plaignante a déclaré que le 10 avril 2015, elle a demandé à rencontrer le gestionnaire de Mme Barry, M. Desjardins; Mme Barry a refusé de participer à la rencontre. La réunion avait pour but de discuter des préoccupations de la plaignante, selon lesquelles les opérations du bureau n’étaient pas menées conformément aux politiques du ministère et du Conseil du Trésor. Dans l’ensemble, la plaignante a indiqué que l’équipe de gestion dans son bureau ne s’était rencontrée qu’une seule fois avant la réunion au cours de laquelle elle a été informée de la cessation de sa nomination.

31        La plaignantea également présenté un témoignage et produit des éléments de preuve documentaire faisant état d’une réunion qui a eu lieu le 14 avril 2015, au cours de laquelle elle aurait été victime d’un traitement injuste. Elle a ajouté que le procès-verbal de cette réunion, qui n’a été rédigé que plusieurs semaines plus tard, relatait de façon erronée sa participation à cette réunion de manière à donner une mauvaise impression de son bon travail et de sa contribution.

32        La plaignante a renvoyé à la pièce 3, soit un courriel envoyé à 12 h 2, le 15 mai 2015, dans lequel Mme Barry mentionnait une personne localisant un document qui, selon cette personne, aurait été placé au mauvais endroit et qui aurait été agrafé plutôt que d’être inséré dans un cahier à anneaux. Apparemment, la plaignante était responsable de ce cahier à anneaux. Selon la plaignante, ce courriel constitue une preuve des critiques implicites dont elle faisait l’objet, démontrant le traitement injuste dont elle faisait l’objet et l’attitude partiale de sa gestionnaire à son égard.

33        La plaignante a présenté une preuve documentaire constituée de courriels provenant de ses co-chefs d’équipe, Mme Wilson et Mme Bryski, qui ont été obtenus au moyen d’une demande d’accès à l’information et protection des renseignements personnels (AIPRP). Les courriels sont censés documenter les conflits interpersonnels découlant d’interactions quotidiennes ordinaires des employés au bureau. Les auteurs de ces courriels affirment que d’autres membres du personnel leur ont demandé s’ils avaient subi un [traduction] « préjudice moral » à la suite de conversations avec la plaignante qu’ils avaient entendues.

34        La plaignante a déclaré que ces incidents avaient été exagérés et transformés en question disciplinaire dans le cadre d’un plan visant à la discréditer et à nuire à sa carrière au sein du ministère, et qu’ils avaient servi à l’empêcher d’obtenir une nouvelle nomination à la suite de la cessation prématurée de sa nomination initiale.

35        La plaignante a tenté d’obtenir l’autorisation de présenter un document en preuve qui, selon ses dires, concernait une mesure disciplinaire dont elle avait fait l’objet. L’intimé s’est opposé à ce que je reçoive ce document au motif qu’il était visé par le privilège relatif aux relations de travail. Après examen du document, j’estime qu’il n’est pas suffisamment pertinent pour lui donner la moindre valeur probante et, pour ce seul motif, je refuse de l’accepter.

36        Plusieurs des courriels échangés à l’interne présentés en preuve soulèvent des questions comme le « préjudice moral » subi par une co-chef d’équipe qui aurait pu être bouleversée par la façon dont la plaignante lui a parlé et qui a ensuite soulevé des allégations concernant la plaignante auprès des cadres supérieurs. J’estime que ces courriels par les collègues de la plaignante étaient mesquins. Néanmoins, ces courriels et le témoignage connexe de plusieurs personnes au sujet derelations tendues et difficiles au bureau de la plaignante n’appuient pas une conclusion de mauvaise foi et de partialité à l’égard de la plaignante.

37        Durant sa première semaine dans son poste intérimaire, la plaignante a été préoccupée par ce qu’elle a interprété comme des manquements aux politiques du Conseil du Trésor, notamment en ce qui a trait aux pauses. Après avoir soulevé la question auprès de sa superviseure immédiate, la plaignante était insatisfaite et a envoyé une lettre au directeur général régional. Toujours insatisfaite, elle a envoyé une lettre à un membre exécutif à l’administration centrale du ministère, à Ottawa, pour les informer de ses inquiétudes quant au respect de la conventioncollective. À la question de savoir comment le tout s’était passé, elle a répondu [traduction] « Pas bien ».

38        La plaignante a déclaré qu’à la suite de toutes ces démarches, elle se sentait encore plus isolée des discussionsentre ses collègues gestionnaires et leurs superviseurs immédiats. Peu de temps après avoir rédigé ces lettres, la plaignante a reçu un avis lui indiquant que son poste intérimaire était éliminé et qu’elle serait immédiatement réintégrée dans son poste d’attache.

39        J’aborderai l’impactcumulatif de cette question ainsi que d’autres éléments de preuve puisqu’ils sont liés à l’allégation de mauvaise foi et de partialité à l’égard de la plaignante dont il est question plus loin dans la présente décision.

2. Y a-t-il lieu d’accorder de l’importance à la nomination, en juillet 2015, d’un autre employé ne faisant pas partie du bassin de candidats qualifiés eu égard à l’allégation de mauvaise foi et de partialité soulevée par la plaignante?

40        Selon les éléments de preuve présentés par la plaignante, peu après la cessation de sa nomination intérimaire, un autre employé de l’intimé, qui ne faisait pas partie du bassin de candidats, a été nommé au poste intérimaire classifié PM-03 au sein de la direction générale en cause.

41        La plaignante a soutenu que l’intimé aurait dû la nommer puisqu’elle faisait toujours partie de ce bassin valide et qu’il s’agissait d’une preuve supplémentaire de la mauvaise foi et de la partialité manifestées à son égard.

42        Néanmoins, la plaignante n’a déposé aucune plainte relative à cette mesure de dotation. Par conséquent, la Commission n’est pas adéquatement saisie de la question et je n’ai donc pas compétence pour l’entendre. Qui plus est, j’estime que cette autre mesure de dotation n’est pas pertinente aux allégations de mauvaise foi et de partialité soulevées par la plaignante.

43        Quoi qu’il en soit, et à des fins strictement informatives, je dois souligner qu’aucune disposition de la Loi ne contraint les gestionnaires chargés de l’embauche à ne choisir que les candidats faisant partie d’un bassin de candidats qualifiés établi au moyen d’un processus de sélection antérieur.

3. Mme Barry et Mme Bryski entretenaient-elles une relation personnelle occasionnant du favoritisme personnel qui aurait influencé indûment la décision de renommer Mme Bryski au poste pour une période déterminée à partir de juillet? L’intimé savait-il que cette dernière s’apprêtait à aller en congé; si oui, est-ce pertinent et s’agit-il d’une preuve de mauvaise foi et de partialité à l’égard de la plaignante?

44        La plaignante a allégué que ses gestionnaires savaient que Mme Bryski se préparait à prendre un congé avant de décider de prolonger la durée de sa nomination intérimaire au moyen d’une nouvelle nomination. Ils ont agi ainsi en dépit de son absence prochaine, qui devait se poursuivre pendant la presque totalité de la durée de la nouvelle nomination. La plaignantea présenté des éléments de preuve, obtenus par le biais de la demande d’AIPRP, démontrant que Mme Bryski avait entamé un congé d’environ un an, le 31 juillet 2015, peu de temps après le renouvellement de sa nomination intérimaire le 1er juillet 2015.

45        Les éléments de preuve présentés ont également démontré que M. Desjardinsa agi à titre de référence pour les personnes nommées. Il a également été établi, dans le cadre d’un témoignage, que Mme Barry caractérisait l’équipe formée de Mme Bryski et de Mme Wilson, d’ [traduction] « équipe ultime », ce qui, de l’avis de la plaignante, constitue une preuve qu’elle bénéficiait d’un traitement de faveur et que Mme Barry, qui siégeait au comité de sélection dans le cadre de ce processus de nomination, avait fait preuve de favoritisme.

46        Peu importe la preuve voulant que l’intimé ait eu connaissance du congé futur de Mme Bryski, sa nomination à compter de juillet n’avait rien de déplorable ou de répréhensible au terme de la Loi.

47        La plaignante s’est fondée sur Cameron et Maheux c. l’Administrateur général de Service Canada et al., 2008 TDFP 16, à titre de décision faisant autorité. (Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, dans 2009 FC 618, la Cour fédérale a maintenu le bien-fondé de la décision, mais a annulé les mesures correctives ordonnées par le TDFP.) Cependant, j’estime que cette décision ne m’est d’aucune aide dans l’analyse de la plainte, et ce, pour les motifs qui suivent.

48        L’intimé dans Cameron avait procédé à une nomination au moyen d’un processus non annoncé. Il avait notamment affirmé qu’il devait agir de manière urgente en raison du départ précipité du titulaire précédent. Cependant, la preuve a démontré que l’intimé savait depuis un certain temps que le poste allait devenir vacant et, par conséquent, le TDFP a conclu que l’intimé avait omis d’expliquer adéquatement les circonstances entourant sa décision. Le TDFP aconclu que, pour cette raison et d’autres motifs, l’intimé avait fait preuve de mauvaise foi.

49        Je ne vois pas comment cette décision est pertinente aux faits en l’espèce. Dans la présente affaire, aucune question relative à un poste rendu vacant de manière précipitée n’a été soulevée pour motiver le recours au processus non annoncé.Au contraire, Mme Bryski a été nommée dans le cadre d’un processus annoncé. Le seul « poste vacant » dont il est question en l’espèce est survenu au moment de son départ après sa nomination, il ne s’agit pas d’un poste devenu vacant avant la nomination.

50        La plaignante m’a également renvoyé à Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et al., 2008 TDFP 7, à titre de décision faisant autorité à l’appui de la proposition voulant qu’un traitement de faveur lié à des affectations et à des occasions de formation puisse étayer une conclusion de favoritisme personnel. En réalité, dans Glasgow, on mentionne que de telles possibilités inéquitables dans le milieu de travail peuvent être justifiées et, dans cette affaire, n’équivalaient pas à du favoritisme personnel. Le TDFP a également pris la peine d’établir une distinction entre du favoritisme et du favoritisme personnel qui, selon la précision incluse précisément dans la Loi par le législateur, est visée par la définition d’« abus de pouvoir »,comme il a antérieurement été précisé dans la présente décision.

51        À l’instar de la conclusion dans Glasgow, j’estime qu’aucun élément de preuve dont j’ai été saisi ne me porte à conclure que la direction a fait preuve de favoritisme personnel à l’égard de l’une ou l’autre des personnes nommées dans le cadre du processus non annoncé de juillet. Aucune preuve de l’existence d’une relation personnelle entre Mme Barry et Mme Bryski n’a été établie.

52        J’ai écouté minutieusement de nombreuses heures de témoignages. Dans son argumentation, la plaignante a renvoyé au fait qu’il s’agissait d’une preuve, à son avis,  que Mme Barry faisait preuve de favoritisme à l’égard de Mme Bryski. Comme il a été indiqué, la preuve a démontré que des réunions avaient lieu prétendument afin de discuter du travail au bureau et de questions de gestion avec Mme Bryski et, à l’occasion, avec Mme Wilson; la plaignante n’était pas invitée à ces réunions.

53        Mesdames Bryski et Wilson ont été invitées à effectuer un voyage pour participer à une cérémonie liée à un paiement prévu par les traités avec une Première Nation, mais la plaignante n’y a pas été invitée. Dans son témoignage, elle a expliqué comment elle s’était vue refuser la capacité de gérer ses employés d’une certaine façon alors que, quelques semaines après son départ, elle a eu connaissance que Mme Bryski avait été autorisée à le faire de cette même façon, apparemment sans que la direction ne corrige la situation. D’autres propos anecdotiques similaires ont été produits en preuve.

54        J’estime qu’aucun élément de preuve présenté n’appuie l’allégation que le favoritisme était de nature personnelle, conformément à ce qui est exigé par la Loi. Par conséquent, je ne peux conclure qu’un acte répréhensible a été commis.

55         Je conclus que la décision relative à la nomination de l’une ou l’autre des personnes nommées n’était pas empreinte de favoritisme personnel.

4. Le processus relatif à la nouvelle nomination pour une période déterminée de Mme Bryski, à partir de juillet, était-il vicié?

56        Le processus relatif à la nouvelle nomination Mme Bryski en juillet était-il vicié? Y avait-il une question de conflit d’intérêts en ce qui concerne l’une de ses références? Ses compétences ont-elles été évaluées de manière inappropriée sur le plan du mérite en fonction des critères établis? En somme, non. Aucun élément de preuve n’a démontré que les nominations initiales de Mme Bryski ou Mme Wilson ou leurs nominations ultérieures, en juillet, aient été le moindrement entachées de partialité à l’égard de la plaignante.

57        La preuve a clairement démontré qu’il y avait un petit nombre d’employés qui exerçaient des fonctions au sein du milieu de travail depuis un certain temps.  Des conflits interpersonnels sont survenus presque immédiatement après la nomination intérimaire de la plaignante au poste de PM-03.

58        La plaignante a soutenu que sasuperviseure, Mme Barry, avait fait preuve de partialité à son égard et qu’elle avait participé à la notation des questions d’entrevue. Cependant, cet argument n’est pas étayé puisque, selon la preuve fournie, elle n’entretenait aucune relation avec Mme Barry, bonne ou mauvaise, lors du processus de sélection menant à l’intégration de la plaignante et de deux autres personnes dans le bassin de candidats et, ultérieurement, à leur nomination intérimaire.

59        La plaignante a fait valoir qu’il était inapproprié que le directeur, M. Desjardins, agisse à titre de référence pourMme Bryski. La plaignante a soutenu que la durée de leur relation d’emploi n’était pas assez importante pour être ainsi justifiée et que cette situation constituait un conflit d’intérêts.

60        La plaignante a également allégué que les références de Mme Wilson et de Mme Bryski étaient également erronées puisque l’une des personnes agissant à titre de référenceétait une collègue et non une superviseureet que certaines des périodes d’expérience de supervision n’avaient duré que quelques semaines, ce qui, comme l’a soutenu la plaignante, constituait une période insuffisante pour permettre à une personne d’acquérir une connaissance suffisante de la candidate pour être en mesure de fournir une référence valable. Après avoir examiné le témoignage relatif à cette question, je suis convaincu que les personnes qui ont agi à titre de référence possédaient une connaissance suffisante des candidates.

61        Après avoir examiné la preuve, je ne suis pas convaincu que le processus ait été mené de manière inappropriée. Par conséquent, je conclus que la plaignante n’a pas établi que l’évaluation des personnes nommées était viciée.

5. L’ensemble de la preuve permet-elle d’établir que l’intimé a fait preuve de mauvaise foi ou de partialité à l’égard de la plaignante?

62        La majorité des éléments de preuve présentés par la plaignante ont été admis en dépit des objections raisonnables de l’avocate de l’intimé, lesquelles s’appuyaient sur l’allégation [traduction] « polyvalente » de mauvaise foi.

63        Il est bien établi que la crainte de partialité de la part d’un comité d’évaluation peut constituer de la mauvaise foi en vertu de la Loi. Voir Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 10.

64        Notre Commission a récemment examiné l’évolution historique du concept de la partialité, qu’elle a défini comme suit :« si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir la partialité chez une ou plusieurs des personnes responsables de l’évaluation, la Commission peut conclure à l’existence d’un abus de pouvoir ». Drozdowski c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2016 CRTEFP 33.

65        La plaignante a cité la décision de la Cour fédérale dans Brown c. Canada (Procureur général), 2009 CF 758, au paragraphe 54, où il a été conclu que le TDFP n’avait pas examiné la preuve dont il disposait au regard de l’ensemble de la situation, mais qu’il avait plutôt mis l’accent sur des faits isolés.

66        Après avoir minutieusement examiné l’ensemble de la preuve, tant orale que documentaire, je ne suis pas convaincu qu’il y ait eu quoi que ce soit d’inapproprié en ce qui concerne les nouvelles nominations de Mme Bryskiet de Mme Wilson. Je ne suis également pas porté à conclure que la preuve soulève une crainte raisonnable de partialité ou de mauvaise foi au détriment de la plaignante qui est suffisante pour que je tire une telle conclusion.

67        J’ai consacré d’innombrables heures à écouter des témoignages et à lire des courriels démontrant clairement l’existence de préjudices moraux et deconflits interpersonnels entre la plaignante, ses co-chefs d’équipe et leur superviseure immédiate, Mme Barry. Plusieurs témoins, ainsi que la plaignante, ont été bouleversées pendant l’audience et plusieurs pauses ont été nécessaires afin de leur permettre de retrouver leur calme. Les préjudices moraux au sein du personnel du bureau en question existent toujours. Il m’est cependant impossible de conclure qu’il s’agit d’abus de pouvoir au sens de la Loi. Le simple constat de relations tendues avec les collègues ou une superviseure n’équivaut pas à un abus de pouvoir dans le cadre d’un processus de dotation auquel ces personnes ont pris part.

68        En bref, je réponds par la [traduction] « négative » à l’allégation polyvalente de mauvaise foi et de partialité. J’ai minutieusement examiné tous les éléments de preuve, tant orale que documentaire, et, dans l’ensemble, j’estime que l’allégation n’a pas été démontrée.

IV. Conclusion

69        Puisque j’ai conclu que la preuve ne permettait pas de conclure que des erreurs avaient été commises ou qu’il y avait eu favoritisme personnel, mauvaise foi, ou partialité à l’encontre de la plaignante, je conclus que la plaignante n’a pas démontré qu’il y avait eu abus de pouvoir.

70        La plainte est par conséquent rejetée.

71        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

72        La plainte est rejetée

Le 19 avril 2018.

Bryan R. Gray,
une formation de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral

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