Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

The complainant filed three complaints alleging that the president of the Canada Border Services Agency (“the respondent”) abused its authority with respect to the application of merit in a selection process – the respondent missed several procedural deadlines, for which the Board granted extensions – the Board denied a final extension request and precluded the respondent from leading any evidence in response to the allegations without first obtaining the leave of the Board – the respondent filed a request for leave – the Board concluded that to provide a fair and efficient recourse system, all parties must respect the timelines – while the Board recognized that it needs to provide a reasonable opportunity for parties to participate fully in a proceeding, it found that the respondent’s pattern of behaviour, including missing deadlines, failing to seek extensions in a timely manner, and providing little or no explanations for its actions, amounted to an abuse of process – the Board found that the appropriate remedy was to limit the respondent’s right to fully participate in the process – the Board further granted the complainant’s request to consolidate the proceedings and proceed on the basis of the written record.

Complaints consolidated.
Application for leave dismissed.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180516
  • Dossier:  EMP-2017-10984 à 10986 et 11151
  • Référence:  2018 CRTESPF 44

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

PETER TATICEK

plaignant

et

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
Taticek c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada


Affaire concernant l’autorisation de participer à une audience


Devant:
Catherine Ebbs, Chantal Homier-Nehmé et Nathalie Daigle, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant:
Jean Ouellette
Pour l'intimé:
Martin Desmeules, avocat
Pour la Commission de la fonction publique:
Claude Zaor
Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 10, 13, 14 et 17 juillet 2017.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1        Le 22 février 2017, le plaignant, Peter Taticek, a déposé trois plaintes auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, appelée ainsi à l’époque. Il prétendait que le président de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC ou l’« intimé ») a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite dans un processus de sélection (numéros de dossiers EMP-2017-10984 à 10986). Les trois plaintes ont été réunies dans un dossier, le dossier principal étant le dossier EMP-2017-10984 (la « première affaire »).

2        Le 24 avril 2017, le plaignant a déposé une quatrième plainte (numéro de dossier EMP-2017-11151), découlant de ce même processus de sélection et faisant également valoir un abus de pouvoir dans l’application du mérite (la « deuxième affaire »).

3        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9), a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique pour qu’ils deviennent la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») et la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (LCRTESPF).

4        L’historique des deux affaires est semblable et sera décrit avec plus de précisions plus loin dans la présente décision. Le 4 juillet 2017, après que l’intimé a omis de respecter des délais dans les deux affaires et que la Commission a accordé des prorogations, il a déposé une autre demande de prorogation dans chacune des affaires. La Commission a rejeté la demande dans les deux affaires et a également avisé l’intimé qu’il ne pourrait invoquer toute question ou déposer des éléments de preuve en réponse aux allégations soulevées dans l’une ou l’autre des affaires, à moins d’avoir obtenu l’autorisation préalable de la Commission et sous réserve de toute condition que celle-ci aurait établie.

5        L’ASFC a déposé une demande d’autorisation. La question qui est devant la Commission est de savoir si la demande devrait être acceptée.

6        Après avoir examiné les arguments des parties, la Commission conclut qu’aucun élément de preuve ne justifie d’accorder l’autorisation en l’espèce. À la lumière de cette décision, puisque les deux affaires intentées par le plaignant contre le même intimé à l’égard du même processus de nomination se retrouvent à la même étape procédurale, la Commission estime qu’il convient de réunir la première et la deuxième affaire. Conformément à la demande du plaignant, la Commission rendra une décision sur le bien-fondé des affaires sur la foi du dossier.

II. Contexte et arguments

A. La première affaire

7        Le Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique(le « Règlement ») établit le processus à suivre pour déposer des plaintes relatives à la dotation auprès de la Commission. Le Règlement prévoit les échéances pour le dépôt d’une plainte, pour la communication subséquente de renseignements, pour la présentation d’allégations par le plaignant et pour la réponse de l’intimé à celles-ci. L’historique complet de la première affaire a été repris dans une décision-lettre du 6 juillet 2017 envoyée aux parties. Un résumé des renseignements contenus dans cette lettre est fourni plus loin dans la présente décision.

8        Après le dépôt des trois premières plaintes, la Commission a établi que la communication des renseignements devait être terminée au plus tard le 20 mars 2017. Le 22 mars 2017, ayant obtenu le consentement du plaignant, l’intimé a demandé une prorogation de ce délai. La Commission a accédé à cette demande.

1. La première demande de prorogation contestée

9        Le plaignant a présenté ses allégations dans le délai établi par la Commission. La réponse de l’intimé devait être produite au plus tard le 25 avril 2017. Le 21 avril 2017, l’intimé a demandé une prorogation jusqu’au 5 mai 2017 pour déposer sa réponse, invoquant une [traduction] « surcharge de travail ». Son représentant a indiqué que le plaignant [traduction] « n’était pas favorable » à la demande. Selon la Commission, la demande n’était pas déraisonnable et elle a donc accédé à celle-ci.

2. La seconde demande de prorogation contestée

10         Le 10 mai 2017 en soirée, soit cinq jours après le dépôt prévu de sa réponse, l’intimé a demandé une prorogation supplémentaire jusqu’au 19 mai 2017. L’intimé savait fort bien que sa réponse était en retard et il a ajouté qu’il avait eu [traduction] « l’intention » de la déposer dans le délai imparti, mais qu’il n’avait pas été en mesure de déposer une réponse complète. L’intimé a déclaré avoir besoin de [traduction] « temps supplémentaire afin de peaufiner sa réponse ». Le plaignant s’est opposé à la demande.

11        Le 18 mai 2017, la Commission a accordé la prorogation jusqu’au 19 mai 2017, mais a ajouté qu’il n’était pas raisonnable, de la part de l’intimé, de présenter sa demande cinq jours après l’expiration du premier délai, notamment à la lumière des motifs sommaires qu’il avait fournis à l’appui de sa demande tardive et de la prorogation.

12        L’intimé a omis de déposer une réponse avant le 19 mai 2017.

13        Le 23 mai 2017, le représentant du plaignant a envoyé un courriel à la Commission, avec copie aux autres parties, incluant l’intimé. Il a indiqué que la réponse n’avait pas encore été déposée. Il voulait savoir comment la Commission ferait respecter ses décisions et quelles seraient les conséquences d’une violation de ses décisions.

14        Le 29 mai 2017, un agent du greffe du secrétariat de la Commission a envoyé un courriel à l’intimé en indiquant que [traduction] « [l]a réponse de l’administrateur général aux allégations du plaignant […] devait être déposée au plus tard le 19 mai 2017 ». Bien que l’intimé ait eu l’occasion d’expliquer les raisons du retard, aucune réponse n’a été reçue de sa part.

15        Le 20 juin 2017, le représentant du plaignant a envoyé un autre courriel à la Commission. Il a demandé qu’une décision soit rendue sur la base des renseignements écrits contenus dans le dossier conformément à l’article 22 de la LCRTESPF qui permet à la Commission de rendre une décision sans la tenue d’une audience. Une copie de ce courriel a été envoyée à l’intimé.

16        Le 4 juillet 2017, l’intimé a écrit à la Commission pour la première fois depuis qu’il avait demandé une prorogation du délai le l0 mai 2017. Dans un courriel de trois lignes, il a écrit qu’il [traduction] « […] reconnaît que la réponse de l’administrateur général de l’intimé est en retard et déplore les délais administratifs ». Comme c’était le cas pour sa demande antérieure, il a seulement indiqué [traduction] « avoir l’intention » de déposer sa réponse [traduction] « dès que possible » et a demandé une autre prorogation, cette fois jusqu’au 10 juillet 2017. L’intimé n’a pratiquement pas justifié ni expliqué pourquoi une autre prorogation était nécessaire.

17        Le plaignant s’est opposé à la demande.

18        Dans sa décision-lettre du 6 juillet 2017, la Commission a rejeté la demande en concluant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Aux termes de l’article 22 du Règlement, les plaignants doivent donner une explication détaillée des allégations qu’ils désirent invoquer et fournir une description complète des faits pertinents. Il est important que les intimés puissent prendre connaissance de la plainte et des éléments de preuve qu’ils auront à réfuter (voir Laroche c. le sous-ministre des Affaires étrangères, 2009 TDFP 17, au paragraphe 13). La Commission peut rejeter une plainte au motif que les allégations n’ont pas été présentées en temps utile. En l’espèce, le plaignant s’est acquitté de cette obligation et a déposé ses allégations dans les délais impartis.

Comme il a été indiqué dans Laroche au paragraphe 14, l’équité procédurale exige que les intimés répondent pleinement aux allégations afin que les plaignants soient au fait de leur réponse et de la nature de la preuve que les intimés désirent présenter afin de contrer les allégations. Le devoir d’un intimé de fournir sa réponse est donc important. La présentation tardive d’une réponse ou le défaut d’en présenter une n’est pas une simple question « administrative », comme le sous-entend l’intimé dans sa requête, mais bien un possible déni d’équité procédurale envers les autres parties.

L’intimé n’a pas déposé sa réponse malgré le fait qu’il a demandé et obtenu deux prorogations de délai. Il a fait fi des ordonnances claires de la Commission portant sur la date à laquelle sa réponse devait être déposée, non pas à une, mais bien à deux reprises. La deuxième demande de prorogation de délai a été présentée cinq jours après l’échéance prévue de sa réponse.

Aux termes du paragraphe 5(3) du Règlement, la Commission peut proroger les délais par souci d’équité. L’intimé n’a pas démontré qu’il serait équitable de faire droit à cette dernière demande de prorogation de délai. Les échéances fixées par le Règlement et toute prorogation de délai accordée par la Commission doivent être respectées.

L’intimé a ignoré les ordonnances antérieures de la Commission. De plus, il n’a pas jugé bon de fournir une explication ou justification à sa demande de prorogation supplémentaire. Par conséquent, la Commission rejette la demande tardive de l’intimé de prorogation supplémentaire du délai en vue de déposer sa réponse aux allégations.

En l’absence de sa réponse qui aurait détaillé sa position sur les allégations du plaignant et conformément aux principes fondamentaux d’équité procédurale, l’intimé ne pourra pas soulever de questions ni présenter des éléments de preuve à l’audience en réponse aux allégations sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de la Commission. Dans les faits, à moins que cette autorisation ne soit accordée, l’intimé ne pourra participer à l’audience de la même manière que l’autre partie ne peut le faire si elle ne dépose pas de réponses (voir le paragraphe 25(1) du Règlement).

[…]

B. La deuxième affaire

19        La chronologie de la deuxième affaire a été exposée dans la décision-lettre de cette affaire et est résumée plus loin dans la présente décision.

20        Le plaignant a déposé ses allégations après le dépôt de la plainte et après que la communication de renseignements a été effectuée. La Commission a accepté ce dépôt, bien qu’il ait été fait avec trois jours de retard.

21        En raison de ce délai, l’intimé a été avisé qu’il avait jusqu’au 16 juin 2017 pour déposer sa réponse. Il a omis de le faire. Le 30 juin 2017, le secrétariat de la Commission a envoyé un courriel à l’intimé l’informant de l’expiration du délai et l’informant que la réponse devait être déposée dans les plus brefs délais.

22        Le 4 juillet 2017, l’intimé a communiqué pour la première fois avec la Commission sur cette question. Dans un courriel de trois lignes, il a simplement indiqué qu’il [traduction] « […] reconnaît que la réponse de l’administrateur général de l’intimé est en retard et déplore les délais administratifs ». Il a ajouté [traduction] « avoir l’intention » de déposer sa réponse [traduction] « dès que possible » et a demandé une prorogation jusqu’au 10 juillet 2017. L’intimé n’a ni justifié ni expliqué pourquoi il n’avait pu déposer sa réponse dans les délais prévus ni pourquoi une prorogation du délai était nécessaire.

23        Le plaignant s’est opposé à la demande et a demandé que la Commission rende une décision sur les plaintes, sur la foi des renseignements écrits contenus dans le dossier.

24        Invoquant les mêmes motifs que dans la première affaire, la Commission a rejeté la demande. L’intimé a été avisé qu’il devait obtenir l’autorisation de la Commission s’il voulait prendre part à la deuxième affaire.

III. La demande d’autorisation auprès de la Commission

25        À la suite des deux décisions-lettres de la Commission, l’intimé a envoyé ses arguments écrits par courriel le 10 juillet 2017 en indiquant qu’ils étaient pertinents aux deux affaires. En guise d’explication du retard, l’intimé a seulement indiqué [traduction] « qu’il avait dû surmonter des difficultés liées à la charge de travail et à l’expertise au cours des derniers mois ». Il a également déclaré [traduction] « […] qu’il saisit bien le message clair de la Commission et qu’il respecte sa décision de ne pas accéder à sa dernière demande de prorogation du délai ». Il a ajouté ce qui suit :

                   [Traduction]

[…]

[…] vous trouverez ci-joint la réponse de l’intimé aux allégations du plaignant […].

[…]

Que la réponse aux allégations soit officiellement acceptée ou non au dossier en raison d’un défaut procédural ou d’un délai indu, l’intimé demeure d’avis qu’il est toujours dans l’intérêt supérieur de la justice que toutes les parties soient entendues, et ce, malgré le défaut de l’intimé de déposer sa réponse dans les délais impartis.

Tout en respectant le pouvoir discrétionnaire de la Commission de refuser le dépôt de la réponse aux allégations, l’intimé fait valoir que les autres parties sont désormais au fait de la réponse de l’intimé aux allégations du plaignant, que cette réponse fasse partie ou non du dossier officiel présenté à la Commission.

[…]

26        En terminant, l’intimé a demandé l’autorisation de participer pleinement aux prochaines étapes des affaires.

27        Par décision-lettre du 11 juillet 2017, et conformément à sa décision antérieure selon laquelle une réponse ne peut être déposée sans son autorisation, la Commission a radié la réponse proposée du dossier dans chacune des affaires. Elle a demandé aux autres parties dans chacune des affaires de fournir des arguments sur la demande d’autorisation de l’intimé. Plus particulièrement, la Commission a demandé aux parties de fournir des arguments sur les trois questions suivantes :

          [Traduction]

                   […]

La Commission devrait-elle accepter la demande d’autorisation présentée par l’intimé afin de :

  1. déposer sa réponse aux allégations du plaignant?
  2. soulever des questions à l’audience en réponse aux allégations?
  3. fournir des éléments de preuve à l’audience en réponse aux allégations?

Si une des questions ci-dessus a une réponse affirmative, quelles conditions devraient être rattachées à cette autorisation?

                   […]

28        En réponse, toutes les personnes nommées qui ont fourni des arguments ont répondu [traduction] « oui » aux questions. À leur avis, la Commission devrait permettre à l’intimé de déposer sa réponse et de participer aux affaires, et ce, sans conditions.

29        La Commission de la fonction publique (CFP) était d’avis que l’intimé devrait pouvoir déposer sa réponse, soulever des questions et déposer des éléments de preuve à l’audience, sous réserve de toute condition que la Commission pourrait imposer.

30        Le plaignant a prétendu que la Commission devait refuser la demande d’autorisation de l’intimé par souci d’équité. Le fait que ce dernier a omis de répondre dans les délais impartis par la Commission constituait un abus. Il a précisé que l’intimé n’avait pas présenté d’éléments de preuve attestant qu’il ne pouvait répondre en temps utile ni expliquant pourquoi il avait omis de demander une prorogation du délai en temps utile. Il a fait preuve de mépris à l’égard du pouvoir de la Commission et a entaché le déroulement de l’affaire en communiquant sa réponse à la Commission et aux autres parties, et ce, au détriment du plaignant.

31        En terminant, le plaignant a fait valoir que l’intimé devrait assumer les conséquences de ses actes; à son avis, en agissant de façon désinvolte à l’égard de la Commission et du plaignant, l’intimé a renoncé à son droit de participer au processus de plainte. Le plaignant a de nouveau demandé que la Commission [traduction] « rende une décision sur la plainte sans audience et sur la foi du dossier officiel tel qu’il est en date d’aujourd’hui pour des motifs d’équité ».

32        Aucune des parties, soit le plaignant, l’intimé, les personnes nommées ou la CFP, n’a fait référence à la jurisprudence que la Commission devrait examiner dans le cadre de son processus décisionnel.

IV. La question

33        La Commission, ayant déjà refusé une prorogation du délai à l’intimé afin de déposer sa réponse, devrait-elle maintenant lui accorder l’autorisation de déposer sa réponse et de participer aux prochaines étapes des affaires?

V. Analyse

34        Pour commencer, la Commission a consulté Practice and Procedure before Administrative Tribunals de Macaulay et Sprague qui indique à la page 12-19 que [traduction] « […] la nature même du droit administratif est de soupeser les droits procéduraux qui peuvent être accordés aux personnes afin d’assurer le respect de leurs droits avec le besoin de la société que les décisions en matière administrative soient rendues de manière efficiente ».

35        Conformément à la règle audi alteram partem, les tribunaux doivent permettre aux parties de présenter leur cas. Toutefois, tel que l’ont indiqué Macaulay et Sprague au paragraphe 176.13 de la page 12, [traduction] « […] le principe d’équité exige seulement qu’une partie ait une occasion raisonnable de présenter son cas. Il n’exige pas que l’organisme veille à ce que la personne profite ou ait profité de cette occasion ».

36        L’intimé a déjà bénéficié de plusieurs prorogations de délai afin de lui permettre de déposer sa réponse. Toutefois, il a omis de déposer sa réponse dans les délais impartis par la Commission. Il a même omis de demander des prorogations de délai en temps utile. Sur la foi de l’historique procédural des affaires, il va sans dire que l’intimé a amplement eu l’occasion de déposer sa réponse.

37        En examinant chaque demande pour une prorogation de délai, la Commission devait déterminer, conformément au paragraphe 5(3) du Règlement, s’il y avait lieu ou non, « par souci d’équité », de prolonger le délai. Lors de sa dernière demande de prorogation de délai, l’intimé a seulement indiqué déplorer [traduction] « les délais administratifs » et n’a fourni aucun justificatif pour sa demande.

38        Lorsqu’elle a refusé la dernière demande de l’intimé de prorogation de délai en vue de déposer sa réponse, la Commission a offert à l’intimé la possibilité de déposer une demande d’autorisation afin de continuer à participer au processus. Toutefois, dans le cadre de sa demande d’autorisation, l’intimé n’a pas fourni des renseignements supplémentaires à la Commission qui lui aurait permis de modifier sa décision antérieure. Il a omis de présenter des circonstances atténuantes que la Commission aurait pu examiner. La seule raison que l’intimé a invoquée pour expliquer les délais répétés portait sur [traduction] « […] des difficultés liées à la charge de travail et à l’expertise au cours des derniers mois ».

39        Dans Hudon c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1092, la Cour fédérale a examiné la question de savoir si la surcharge de travail pouvait représenter une raison permettant de justifier un retard. Dans cette affaire, la Cour a examiné la décision du chef d’état-major de la défense qui a refusé d’examiner le grief déposé par le plaignant au motif que le grief avait été soumis hors délai. La Cour a conclu ce qui suit :

[…]

[21] Lors de l’audience, il est clairement apparu que l’interprétation du paragraphe 7.10(4) des Ordonnances et règlements royaux se situe au cœur de cette question en litige […].

[22] Il ressort de cette disposition que l’Autorité des griefs peut accepter un grief déposé en retard si elle estime qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire. Tel que noté précédemment, la raison invoquée par le demandeur est la surcharge de travail du cabinet de ses procureurs.

[…]

[27] La preuve au dossier révèle que le retard ne découle pas d’un événement imprévu, inattendu ou incontrôlable et que ce retard est de près de deux mois. Accorder une prorogation de délai au seul et unique motif que le retard en cause résulte de la surcharge de travail d’un cabinet sans autre explication n’est pas, de l’avis de la Cour, dans l’intérêt de la justice. Si les prorogations de délai devaient être accordées pour ce seul motif, le mécanisme prévu au paragraphe 7.10 des Ordonnances et règlements royaux se trouverait rapidement court-circuité et vidé de son sens.

[…]

[29] À cet égard, la Cour souscrit entièrement aux propos du juge Reed dans l’arrêt Chin c. Canada (M.E.I.), (1993), 69 F.T.R. 77, 43 A.C.W.S. (3d) 1141 au paragraphe 10 sur cette question :

Il est trop facile pour l’avocat de justifier son inobservation des règles en alléguant que son client n’est nullement responsable du retard et que si une prolongation de délai n’est pas accordée, il subira un préjudice. Revenons à la question de l’équité. Il est inéquitable que certains avocats agissent en tenant pour acquis que, sauf imprévu, les délais doivent être respectés et que d’autres présument qu’ils n’ont qu’à plaider la surcharge de travail, ou n’importe quel autre événement contrôlable, et qu’ils obtiendront au moins une prolongation de délai. En l’absence d’une règle expresse s’appliquant dans ces derniers cas, je considère que la première attitude est celle qu’il faut adopter.

[…]

40        Sur la foi de cet extrait, il est manifeste que la Cour fédérale n’a pas à accepter un dépôt tardif si le retard est uniquement attribuable à une surcharge de travail. Ce prétexte n’a pas réussi à convaincre la Commission qu’elle devait accorder une prorogation du délai à l’intimé afin de déposer sa réponse; il ne s’agit donc pas d’un motif suffisant dans cette demande d’autorisation pour convaincre la Commission de lui permettre de déposer une réponse.

41        L’intimé prétend que le refus d’être entendu n’était pas dans [traduction] « l’intérêt supérieur de la justice ». Toutefois, il n’a pas présenté des sources faisant autorité qui auraient contribué à l’interprétation de cette expression.

42        La Commission précise que la Cour d’appel de Terre-Neuve a examiné la signification de l’expression [traduction] « intérêts de la justice » dans la décision R. c. Smith, 2002 NFCA 8. La Cour a entrepris une analyse détaillée de cette expression et a conclu comme suit au paragraphe 39 :

[Traduction]

[39] […] en appliquant la norme « lorsque l’intérêt de la justice l’exige », il est souvent nécessaire de considérer d’autres intérêts en plus de ceux des personnes ou des entités qui sont parties à une instance. Ces intérêts incluent généralement les intérêts de ceux qui pourraient être touchés par le déroulement du système de justice, y compris les éléments du système de justice lui-même et l’état de la société dans son ensemble. Ce faisant, il est nécessaire de prendre en considération des intérêts discordants, tout en préservant l’intégrité et la réputation du système de justice […].

43        Comme l’illustre cet extrait, [traduction] « l’intérêt de la justice » exige que l’intégrité et la réputation du système de justice soient prises en compte. La Commission doit offrir un système de recours juste et efficace. Pour ce faire, les échéances qu’elle établit et les ordonnances qu’elle rend doivent être respectées par toutes les parties.

44        En l’espèce, l’intimé devait déposer sa réponse au plus tard le 25 avril 2017 dans la première affaire. Il a eu maintes occasions de le faire puisque 1) sa première demande de prorogation du délai jusqu’au 5 mai 2017 a été acceptée, 2) sa deuxième demande de prorogation du délai jusqu’au 19 mai 2017 a été acceptée et 3) le greffe de la Commission a envoyé un rappel à l’intimé qu’il devait déposer sa réponse et expliquer les raisons du retard.

45        Dans la deuxième affaire, l’intimé devait déposer sa réponse au plus tard le 16 juin 2017. Il a omis de le faire. Le 30 juin 2017, le greffe de la Commission a encore une fois rappelé à l’intimé que sa réponse devait être déposée et qu’il devait expliquer les raisons du retard. Dans les deux affaires, l’intimé a continuellement omis de déposer sa réponse et de fournir des explications suffisantes concernant les raisons des retards.

46        Le 4 juillet 2017, l’intimé a fait une autre demande de prorogation du délai en indiquant qu’il [traduction] « avait l’intention » de déposer ses réponses dans les deux affaires au plus tard le 10 juillet 2017. La Commission a refusé la demande notamment parce qu’elle avait été déposée plusieurs jours après l’expiration du délai et qu’aucune nouvelle explication ou justification n’avait été présentée pour expliquer les retards. Malgré tout, la Commission a fourni une occasion à l’intimé de présenter une demande d’autorisation et d’expliquer convenablement les raisons des retards.

47        Pourtant, le 10 juillet 2017, l’intimé a répété que ses retards étaient dus à une surcharge de travail et a déposé sa réponse en dépit du refus de sa troisième demande de prorogation de délai. L’intimé a indiqué que les parties étaient maintenant au fait de sa réponse aux allégations du plaignant, que sa réponse soit incluse ou non dans le dossier officiel de l’instance.

48        Toutefois, dans sa dernière ordonnance, la Commission a refusé d’accorder la prorogation du délai en indiquant qu’une surcharge de travail ne constituait pas un motif suffisant pour expliquer les retards. Si des prorogations de délai étaient accordées pour ce seul motif, les mécanismes prévus aux articles 10 (présentation de la plainte), 16 (communication de renseignements), 22 (allégations) et 24 (réponse aux allégations) du Règlement n’auraient rapidement aucun sens.

49        En agissant comme il l’a fait et en affirmant qu’il importe peu que sa réponse soit incluse dans le dossier officiel de l’instance, l’intimé a agi comme s’il pouvait faire fi des ordonnances et des règlements de la Commission, en toute impunité. Cela constitue un manque de respect à l’égard des ordonnances et des règlements de la Commission.

50        La Commission précise également que le plaignant n’a pas déposé ses allégations dans les délais impartis dans la seconde affaire. Il l’a fait avec trois jours de retard. Bien que la Commission soit d’avis qu’une demande de prorogation du délai aurait dû être présentée pour corriger ce retard, elle précise qu’il ne s’agissait pas de retards répétés ni indicatifs d’une irrégularité systémique. À l’opposé, l’intimé dans cette affaire a fait preuve d’un comportement persistant et récurrent.

51        Ainsi, la Commission est d’avis que l’attitude et les agissements de l’intimé minent la confiance du public à l’égard de ce système et le respect à l’égard de la Commission et de son administration de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

52        En fait, la Commission est d’avis que les comportements répétés de l’intimé, y compris le fait de ne pas respecter les échéances, de ne pas demander des prorogations de délai en temps utile et de ne pas expliquer adéquatement les motifs de ses retards constituaient un abus de procédure. Dans la décision Tipple c. Procureur général du Canada, 2012 CAF 158, au paragraphe 29, la Cour d’appel fédérale a affirmé que « […] les tribunaux et les instances juridictionnelles ont le pouvoir inhérent de contrôler leur propre procédure et de remédier à un abus de celle-ci ».

53        La Commission a conclu que la réponse adéquate à cet abus de la part de l’intimé est de l’empêcher de participer pleinement au processus. À la lumière du fait que l’intimé n’a pas déposé sa réponse conformément aux ordonnances de la Commission et n’a pas expliqué adéquatement les raisons du retard dans le cadre de cette demande d’autorisation, la Commission n’acceptera pas un dépôt tardif. Tout comme les parties qui ne déposent pas de réponse (voir le paragraphe 25(1) du Règlement), l’intimé n’aura pas le droit de prendre part à l’audience.

54        La demande du plaignant que la Commission rende une décision sur la foi des renseignements écrits au dossier est acceptée aux termes de l’article 22 de la LCRTESPF. Une décision sur les plaintes suivra.

55        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

56        Le dossier de la Commission EMP-2017-10984 sera réuni avec le dossier EMP-2017-11151. Le dossier principal sera le dossier EMP-2017-10984.

57         La demande d’autorisation est rejetée.

Le 16 mai 2018.

Traduction de la CRTESPF

Catherine Ebbs, Nathalie Daigle et Chantal Homier-Nehmé, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.