Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés étaient des agents correctionnels – lorsqu’ils escortaient des détenus hors de leur établissement pendant leur quart de travail habituel, les fonctionnaires s’estimant lésés recevaient une indemnité de repas pour leur dîner (au milieu de leur quart) – ils ont réclamé une deuxième indemnité de repas – la convention collective prévoit explicitement qu’ils n’avaient droit qu’à une seule indemnité de repas – la convention collective stipulait également que les frais raisonnables encourus par les agents correctionnels dans l’exercice de leur fonction d’escorte étaient remboursés – pour ce motif, les fonctionnaires s’estimant lésés ont allégué qu’ils avaient le droit à une deuxième indemnité de repas – la Commission a conclu que la convention collective était formulée de manière à donner le pouvoir à l’employeur de déterminer quels frais raisonnables seraient remboursés – tel qu’il est mentionné dans un communiqué publié par l’employeur, les agents correctionnels n'avaient pas droit à une indemnité de repas, sauf si la durée de leur quart excède 16 heures, ce qui n'était pas le cas des fonctionnaires s'estimant lésés – la position de l’employeur ne contrevenait à aucune disposition de la convention collective.Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180103
  • Dossier:  566-02-7837, 7838 et 7938
  • Référence:  2018 CRTESPF 1

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

CRYSTAL DORAN, STEVEN RUMBOLDT ET HEATHER WELSH

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Doran c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage


Devant:
Stephan J. Bertrand, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Sheryl Ferguson
Pour l'employeur:
Pierre-Marc Champagne, avocat
Affaire entendue à Moncton (Nouveau-Brunswick),
le 11 octobre 2017.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1        En juillet et août 2012, Crystal Doran, Steven Rumboldt et Heather Welsh, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») ont déposé un grief contre la décision du Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur ») de refuser de leur rembourser l’indemnité de repas qu’ils demandaient en vertu de la « Directive sur les voyages » du Conseil national mixte (CNM) (la « Directive du CNM ») et de la convention collective entre le Conseil du Trésor du Canada et le Syndicat des agents correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers – CSN, qui expirait le 31 mai 2010 (la « convention collective »).

2        Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

3        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

II. Résumé de la preuve

4        Lors de l’audience, les parties ont présenté un exposé conjoint des faits et cité des témoins. Paul Devine et Crystal Doran ont témoigné pour les fonctionnaires. L’employeur a demandé à Kristel Henderson de témoigner. La preuve a été résumée à l’aide de l’exposé conjoint des faits et des témoignages des témoins.

5        Les fonctionnaires travaillent pour le SCC à titre d’agents correctionnels à l’Établissement Nova pour femmes à Truro, en Nouvelle-Écosse (l’« établissement »). Ils sont visés par la convention collective.

6        Aux moments pertinents, les fonctionnaires escortaient des détenus à l’extérieur de la région de leur lieu d’affectation (à plus de 16 km de l’établissement), ils travaillaient selon leurs horaires réguliers, ils ne faisaient pas d’heures supplémentaires, ils travaillaient selon un horaire variable de 12,75 heures, ils avaient droit à une indemnité de déjeuner (repas pris à la demie du quart) au taux de la Directive du CNM et se voyaient verser l’indemnité de repas applicable. Cependant, on leur a refusé une seconde indemnité de repas au taux de la Directive du CNM, décision qui fait l’objet de leurs griefs.

7        Trois exemples de périodes d’escorte ont été présentés. La première, confiée à M. Rumboldt, a commencé à 7 h 30 le 17 août 2012, puis a pris fin à 19 h 15 ce même jour. La deuxième, assignée à Mme Doran, a aussi commencé à 7 h 30 le 17 août 2012 et a pris fin à 19 h 15 ce même jour. La troisième, assignée à Mme Welsh, a commencé à 7 h le 16 juin 2012 et a pris fin à 19 h 30 ce même jour.

8        Les témoins ont indiqué que les périodes d’escorte ont lieu pour diverses raisons et mettent en jeu plusieurs facteurs, dont les suivants :

  • visites auprès des membres de la famille;
  • admission à l’hôpital;
  • elles durent souvent environ 12 heures;
  • les agents correctionnels ne savent pas toujours à l’avance qu’on prévoit leur assigner une période d’escorte. On les en avise parfois à leur arrivée au travail;
  • on ne peut acheter de nourriture à l’établissement, ce qui signifie que les agents correctionnels doivent apporter leurs propres repas;
  • il n’est pas toujours possible d’apporter un repas lors d’une période d’escorte, en particulier s’il doit être réchauffé ou cuit avant d’être mangé;
  • il n’est pas possible de prendre une pause-repas pendant une période d’escorte. C’est pourquoi les agents correctionnels en période d’escorte ont droit à une indemnité de pause-repas, qui a été fournie dans ces cas;
  • on peut se procurer un repas au service au volant si le temps le permet;
  • selon l’employeur, si une période d’escorte dure moins de 15,75 heures, un seul repas peut être réclamé, en tant que déjeuner, au taux de la Directive du CNM, et si la période d’escorte dure plus de 16 heures, un second repas sera payé, en tant que dîner, aussi selon le taux de la Directive du CNM.

9        Même si les périodes d’escorte des fonctionnaires ont duré moins de 16 heures dans les trois circonstances portées à mon attention (11,75 heures pour M. Rumboldt et Mme Doran et 12,5 heures pour Mme Welsh), les trois fonctionnaires ont présenté une seconde demande d’indemnité de repas, au taux de « déjeuner » du CNM, qu’ils estimaient être une dépense raisonnable engagée pendant une période d’escorte.

10        L’employeur a rejeté les demandes des fonctionnaires jusqu’au dernier palier du processus interne de règlement des griefs. Mme Henderson a témoigné que comme la convention collective prévoit une seule pause pour repas ou déjeuner pendant un quart de 12,75 heures, une seule indemnité de repas peut être accordée à un agent correctionnel pendant un tel quart de travail. Elle a ajouté que même si les dépenses raisonnables engagées pendant une période d’escorte peuvent être remboursées en vertu de l’appendice « D » (paragraphe 3) de la convention collective, seules les dépenses raisonnables définies par l’employeur sont remboursées. Mme Henderson a cité le Bulletin 2012-01 du SCC en date du 17 février 2012 (le « bulletin ») qui, selon elle, établit ou définit les dépenses qui seront remboursées pendant une période d’escorte. Le bulletin ne prévoit pas de deuxième indemnité ou remboursement ou d’indemnité de dîner pendant une période d’escorte, à moins que celle-ci dure plus de 16 heures. D’ailleurs, on ne m’a pas présenté de preuve selon laquelle l’un ou l’autre des fonctionnaires aurait acheté un repas pendant la période d’escorte.

11        Enfin, les parties ont accepté le fait que, même si les agents correctionnels en période d’escorte ne sont pas en déplacement, selon la Directive du CNM, les indemnités de repas sont payables au taux de la Directive du CNM.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

12        Les fonctionnaires ont affirmé que leurs demandes de remboursement d’une seconde indemnité de repas pendant une période d’escorte visaient une dépense raisonnable, car ce terme est mentionné à l’appendice D (paragraphe 3) de la convention collective.

13        Les fonctionnaires ont soutenu que leur agent négociateur avait accepté les termes mentionnés à l’appendice D, contrairement au bulletin, qui avait été imposé de façon unilatérale par l’employeur et qui ne faisait pas partie de la convention collective.

14        Les fonctionnaires m’ont renvoyé aux cas suivants : Joly c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 112; Clerveaux c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 7; Lannigan c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 31. Selon mon analyse, ces cas ne sont pas pertinents, car ils semblent aborder des enjeux non liés aux présents griefs.

B. Pour l’employeur

15        L’employeur a soutenu qu’aucune infraction à la convention collective n’avait eu lieu dans ces cas, car les fonctionnaires n’avaient droit qu’à une seule pause-repas ou pause-dîner pour laquelle ils ont reçu une indemnité.

16        Il a ajouté que l’appendice D de la convention collective stipule clairement qu’il conserve le pouvoir discrétionnaire sur ce qui constitue une dépense raisonnable d’un agent correctionnel en période d’escorte. Il a fait appel à ce pouvoir lorsqu’il a émis le bulletin, qui ne prévoit pas de remboursement pour une seconde indemnité de repas ou de dîner pour les périodes d’escorte de moins de 16 heures.

17        L’employeur a aussi maintenu que le bulletin se conformait à toutes les autres dispositions pertinentes de la convention collective.

18        L’employeur m’a renvoyé aux cas suivants : Harrison c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 3; Chafe c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112; Delios c. Procureur général du Canada, 2015 CAF 117.

IV. Motifs

19        Dans l’ensemble, la preuve présentée par les parties est incontestée. Là où elles divergent, c’est dans leur interprétation de l’application de la convention collective aux indemnités de repas pour agents correctionnels en période d’escorte. La Directive de la CNM ne s’applique pas à ces griefs, autre que pour déterminer le montant exigible pour chaque indemnité de repas, ce qui n’est pas en litige. Le seul élément qui le soit, c’est de savoir si les fonctionnaires ont droit à une seconde indemnité de dîner ou de repas en période d’escorte de plus de 8 heures, mais de moins de 16 heures.

20        Les dispositions suivantes de la convention collective doivent être examinées pour rendre une décision :

[]

21.07 Sous réserve des cas d’urgence qui peuvent survenir dans un pénitencier, l’Employeur :

a) accorde à l’agent correctionnel une période de trente (30) minutes payée à l’extérieur de son poste de travail pour prendre son repas à l’intérieur de l’établissement au cours de chaque période complète de huit (8) heures,

et

b) nonobstant le paragraphe a) ci-dessus, un agent correctionnel peut exceptionnellement être obligé de prendre son repas à son poste de travail lorsque la nature de ses fonctions le rend nécessaire.

c) Lorsque l’Employeur ne peut pas accorder à l’employé-e une pause-repas ce dernier touche, en remplacement, une demi-heure (1/2) de rémunération à temps et demi (1 1/2).

[…]

Article 34 – Horaire de travail modifié

L’Employeur et le Syndicat conviennent que les conditions suivantes s’appliquent aux employé-e-s à l’intention desquels des horaires de travail modifiés ont été convenus conformément aux dispositions pertinentes de la présente convention collective. La convention est modifiée par les présentes dispositions dans la mesure indiquée.

[…]

Pauses

Les employé-e-s qui travaillent par quart de douze (12) heures se voient accorder, en plus de la pause prévue au paragraphe 21.07, une pause additionnelle d’une période de 15 minutes.

[…]

Appendice « D »

Escorter des détenus

L’Employeur convient des dispositions suivantes pendant la durée de la convention collective des agents correctionnels :

[…]

3. Lorsque l’agent est tenu d’escorter un détenu à l’extérieur de la région de son lieu d’affectation, il est assujetti aux conditions de voyage suivantes :

a) les dépenses raisonnables engagées, selon la définition habituelle de l’Employeur, lui sont remboursées;

[…]

21        Comme les bulletins, tel celui dans le cas présent, servent couramment à normaliser et clarifier une approche nationale relativement à certaines dispositions d’une convention collective, je suis d’avis que ce bulletin doit aussi être examiné. La partie pertinente prévoit ce qui suit :

[Traduction]

Ce bulletin fait référence à la convention collective des CX et l’entente globale entre le SCC et UCCO-SACC-CSN.

Directive nationale – Pauses-repas – Convention collective des CX 21.07, 21.15, Appendice C et appendice D.

[…]

4. Pauses-repas en période d’escorte

Une période d’escorte (à l’intérieur ou à l’extérieur de la région du lieu d’affectation) est régie par l’appendice D de la convention collective, pas la Directive sur les voyages du CNM, qui stipule que la Directive « ne s’applique pas aux personnes dont les voyages d’affaires sont régis par d’autres autorisations ». Par conséquent, les agents en période d’escorte ne sont pas en déplacement, selon les termes de la Directive sur les voyages du CNM.

Le nombre de repas permis pendant une période d’escorte devrait être établi en fonction des dispositions de la convention collective et établi par le gestionnaire au cas par cas. Normalement, le nombre de repas accordés pour une période d’escorte devrait correspondre au même nombre de repas accordés pour un quart de même durée en établissement.

Le repas pris à la demie du quart, peu importe que l’agent soit en période d’escorte ou non, est considéré comme le déjeuner. Tout repas subséquent (s’il y a lieu) a lieu dans la séquence déjeuner, souper et petit déjeuner.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

22        Les dispositions qui s’appliquent à ces griefs sont sans équivoque. Les agents correctionnels ont droit à une pause-repas ou déjeuner de 30 minutes payée à l’extérieur de leur poste de travail pour prendre leur repas pour chaque période complète de 8 heures et à une période supplémentaire de 15 minutes par période de 4 heures additionnelles de travail au-delà de ces 8 heures. Cela n’est pas en litige.

23        La convention collective stipule aussi que les agents correctionnels se verront rembourser les dépenses raisonnables engagées pendant une période d’escorte à l’extérieur de la région de leur lieu d’affectation. Toutefois, ce droit est assujetti à une importante mise en garde relativement aux dépenses raisonnables, « déterminées habituellement par l’Employeur ».

24        Si ce n’était de cette mise en garde, je pourrais être tenté d’analyser ce que constituent des dépenses raisonnables dans ces circonstances et je tirerais vraisemblablement une conclusion différence de celle à laquelle je suis arrivé. Toutefois, la réalité veut que la convention collective ait été formulée d’une façon qui accorde à l’employeur le pouvoir de déterminer les dépenses raisonnables qu’il rembourse dans de telles circonstances, et il l’a fait.

25        Dans le bulletin, l’employeur a déterminé que le nombre de repas permis pendant une période d’escorte se fonde sur les dispositions de la convention collective et que le nombre d’indemnités de repas pour une période d’escorte correspond au même nombre de repas permis pendant un quart de la même durée dans l’établissement.

26        Pour les trois griefs, l’employeur a maintenu que, puisque les fonctionnaires avaient eu droit à une indemnité de repas ou de déjeuner à la demie du quart, et que puisque la période d’escorte en question était de moins de 16 heures, les fonctionnaires n’avaient pas droit à une seconde indemnité de repas ou de déjeuner. Selon moi, cela ne viole aucune disposition de la convention collective. Mon interprétation des dispositions pertinentes de la convention collective me porte à la même conclusion. Je note que la période de repas mentionnée à la clause 21.07 de la convention collective est décrite comme étant une pause-déjeuner à l’article 34 dans la version anglaise.

27        Comme je l’ai mentionné précédemment, ma conclusion aurait pu être différente si l’appendice D n’avait pas été formulé comme il l’est. Toutefois, il ne me revient pas de modifier le texte de la convention collective pour rectifier un résultat injuste ou inéquitable. Ces questions devront être abordées lors de la prochaine ronde de négociations.

28        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

29        Les griefs sont rejetés.

Le 3 janvier 2018.

Traduction de la CRTESPF

Stephan J. Bertrand

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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