Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé est un agent correctionnel qui occupait un poste de maître-chien dans un pénitencier – l’employeur l’a licencié pour consommation de cannabis, achat de cannabis, utilisation d’un véhicule de l’employeur pour transporter du cannabis à des fins personnelles et exposition du chien détecteur à l’odeur du cannabis, ce qui aurait pu nuire aux habiletés du chien – le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que son licenciement constituait une mesure discriminatoire au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne – l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé souffrait d’une dépendance au cannabis et que son licenciement constituait en partie une mesure discriminatoire à cet égard – l’arbitre de grief a toutefois conclu que l’utilisation d’un véhicule de l’employeur pour transporter du cannabis à des fins personnelles et l’exposition du chien détecteur à l’odeur du cannabis, ce qui pourrait nuire à ses habiletés, n’étaient pas liées à la déficience du fonctionnaire s’estimant lésé et justifiaient une mesure disciplinaire – l’arbitre de grief a conclu que le licenciement était excessif et qu’une suspension sans solde de six mois était juste et équitable dans les circonstances – l’arbitre de grief a ordonné la réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé au groupe et au niveau CX-02 – il a aussi ordonné à l’administrateur général de lui offrir un poste pour lequel il est qualifié, au même groupe et niveau, tout en prenant des mesures d’adaptation appropriées, le cas échéant, sur la base d’information médicale que le fonctionnaire s’estimant lésé devra lui fournir.

Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision

Date: 20180413

Dossier: 566-02-9445

 

Référence: 2018 CRTESPF 28

Loi sur les relations de travail

dans la fonction publique

Armoiries

Devant un arbitre de grief

ENTRE

 

MARTIN NADEAU

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Nadeau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Steven B. Katkin, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Mathilde Baril-Jannard, avocate

Pour le défendeur : Léa Bou Karam, avocate

Pour la Commission canadienne des droits de la personne : Jonathan Bujeau, avocat

Affaire entendue à Québec (Québec),

les 15 au 17 octobre 2014 et les 2, 3 et 5 juin 2015

et à Ottawa (Ontario) le 24 juillet 2015.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

[1] Le fonctionnaire s’estimant lésé, Martin Nadeau (le « fonctionnaire »), occupait le poste de maître-chien à l’Établissement de sécurité maximale Donnacona (l’« Établissement »), classifié au groupe et au niveau CX-02, auprès du Service correctionnel du Canada (l’ « employeur » ou SCC). Dans une lettre du 22 novembre 2013, l’employeur a licencié le fonctionnaire pour motifs disciplinaires en vertu de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. 1985, ch. F-11; LGFP).

[2] La lettre de licenciement (pièce E-14) se lit en partie comme suit :

[…]

La présente lettre fait suite au rapport d’enquête déposé [sic] 27 septembre 2013 concernant votre aveu de consommation de drogues fait le 5 juin 2013.

[…]

La situation est susceptible de jeter le discrédit sur l’Employeur. Cette situation et vos comportements entrent directement en contradiction avec la nature même des opérations du Service correctionnel du Canada, de sa mission, de vos fonctions de maître-chien et de votre statut d’agent de la paix. Après analyse, je constate que vous avez enfreint le Code de valeurs et d’éthique du secteur public du Canada et le Code de discipline du Service correctionnel du Canada.

À la lumière des manquements retenus, de la revue de la jurisprudence pertinente et des facteurs aggravants et atténuants, je suis d’avis qu’étant donné la gravité des manquements reprochés et de l’incompatibilité de ceux-ci avec les fonctions d’un agent correctionnel, le lien de confiance entre l’employé et l’employeur est irrémédiablement rompu. […]

[…]

 

[3] Puisque la lettre de licenciement réfère au rapport d’enquête (pièce E-7), il convient de citer ses conclusions, qui sont contenues à la page 18 du rapport sous le titre « Partie VIII – Observations – conclusions relativement aux manquements » et qui se lisent comme suit :

À la lumière des informations recueillies durant la présente enquête, le comité est d’avis que M. Martin Nadeau a commis des manquements relativement aux règles suivantes :

Code de discipline (8c) : « se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service, qu’il soit de service ou non »

Aussi en fonction des mêmes éléments, le comité estime que M. Nadeau a dérogé au Code de valeurs et d’éthique du secteur public en ce qui a trait aux valeurs liées à l’intégrité : « Les fonctionnaires se conduisent toujours avec intégrité et d’une manière qui puisse résister à l’examen public le plus minutieux; cette obligation ne se limite pas à la simple observation de la loi » (3.1). En 3.4 : « Ils agissent de manière de préserver la confiance de leur employeur ».

Tel qu’établi dans la section « Analyse » précédente, le comité estime que la consommation de stupéfiants, l’approvisionnement (quantité achetée), le transport de cette substance dans un véhicule du SCC et l’exposition du chien détecteur constituent des comportements qui sont des manquements sérieux aux règles énoncées plus haut. Ces comportements sont admis par M. Nadeau. Compte tenu de son statut d’agent de la paix, de son rôle d’agent correctionnel et particulièrement son poste de maitre chien [sic], il est susceptible de ternir l’image du SCC. La conduite de l’employé compromet aussi son rôle d’autorité face à la clientèle du SCC.

[Les caractères gras le sont dans l’original]

 

[4] Le 22 novembre 2013, le fonctionnaire a déposé un grief contestant son licenciement, dont le libellé se lit comme suit : « Je conteste la décision de l’employeur de m’avoir congédié et ce, notamment de manière discriminatoire, en date du 22 novembre 2013. » En guise de mesures correctives, il a demandé d’être réintégré dans ses fonctions de maître-chien ou, subsidiairement, dans d’autres fonctions, de recevoir tout salaire et tout autre avantage perdu, d’être indemnisé pour tout dommage réel et moral ou de recevoir des dommages exemplaires. Son grief a été renvoyé à l’arbitrage le 9 janvier 2014 en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTFP). La convention collective applicable est celle conclue entre le Conseil du Trésor et l’agent négociateur du fonctionnaire, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, qui venait à échéance le 31 mai 2014 (la « convention collective »).

[5] Le 14 janvier 2014, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) a reçu copie de l’avis que le fonctionnaire avait donné à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) conformément à l’article 210 de la LRTFP, alléguant que le grief soulevait une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. 1985, ch. H-6; LCDP), à savoir que l’employeur n’avait pas accommodé la dépendance à la drogue du fonctionnaire. Dans une lettre du 24 janvier 2014, la CCDP a informé la CRTFP qu’elle avait l’intention de présenter des observations à cet égard. La CCDP a déposé ses observations le 10 octobre 2014.

[6] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace la CRTFP et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 396 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d’un grief avant le 1er novembre 2014 continue d’exercer les pouvoirs prévus à la LRTFP dans sa version antérieure à cette date.

[7] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le grief du fonctionnaire doit être accueilli en partie et sous certaines conditions.

II. Résumé de la preuve

[8] L’employeur a appelé les témoins suivants : Jocelyn Bisson, maître-chien à l’Établissement; Stéphane Deschênes, agent de renseignements de sécurité (ARS) à l’Établissement; Jérôme Poulin, directeur adjoint opérations (DAO), à l’Établissement; Josée Brunelle, sous-directrice, Établissement Montée St‑François, et enquêtrice; Marc Lanoie, directeur de l’Établissement.

[9] Le fonctionnaire a témoigné pour son compte et a appelé les témoins suivants : la Dre Stéphanie Marsan; Josée Tremblay, directrice intérimaire de l’Établissement; Yan Garneau, agent correctionnel CX-02 et président de la section locale de l’agent négociateur du fonctionnaire; Guillaume Fiset, agent correctionnel; Louis Fréchette, retraité et ancien gestionnaire régional du Programme d’aide aux employés (PAE).

[10] En contre-preuve, l’employeur a appelé le Dr Juan Carlos Negrete, psychiatre.

[11] Avant de résumer les divers témoignages, il convient de faire un bref survol des principaux événements qui ont mené au licenciement du fonctionnaire.

[12] Le fonctionnaire a débuté sa carrière au sein de l’employeur en février 2007 à l’Établissement Cowansville, à titre d’agent correctionnel classifié au groupe et au niveau CX-01. Après quelques années, il a postulé pour un poste de maître-chien et a été accepté dans ce programme. Après une formation de 10 semaines au centre d’apprentissage de l’Agence des services frontaliers du Canada à Rigaud (Québec), il a été nommé comme spécialiste des fouilles/maître-chien à l’Établissement en mai 2011 (pièce E-16).

[13] M. Bisson a offert d’héberger le fonctionnaire pendant sa recherche d’une résidence, et le fonctionnaire est demeuré chez M. Bisson pendant 4 ou 5 semaines. Au cours de l’année 2012, le fonctionnaire a fait certaines confidences à M. Bisson, à savoir qu’il avait consommé du « pot et du hasch » et qu’il en consommait toujours à l’occasion en dehors du travail.

[14] Le fonctionnaire et M. Bisson ont eu quelques conflits liés au travail et, à deux reprises, M. Bisson a menacé le fonctionnaire de lui « donner une volée ». La deuxième dispute a eu lieu en juin 2013; le fonctionnaire avait une attitude arrogante envers M. Bisson et ce dernier lui a dit de changer d’attitude s’il ne voulait pas perdre son emploi.

[15] Le 5 juin 2013, craignant d’être dénoncé par M. Bisson concernant sa consommation de drogues, le fonctionnaire s’est présenté au bureau des ARS, où il a rencontré M. Deschênes et Lucie Blais, ARS. Il leur a fait part des confidences qu’il avait faites à M. Bisson et que ce dernier lui avait dit qu’il pouvait lui faire perdre son emploi. Il leur a dit qu’il fumait des joints pendant qu’il jouait de la guitare et qu’un ami dans la région de Cowansville lui vendait la drogue.

[16] M. Deschênes lui a expliqué que sa consommation de drogues allait à l’encontre de son poste de maître-chien et lui a conseillé d’aller voir immédiatement le DAO, M. Poulin, afin de lui faire part de ces faits, à défaut de quoi il le dénoncerait. Mme Blais a ajouté qu’il y avait assurément des impacts sur le chien détecteur à cause de l’exposition à l’odeur du cannabis.

[17] Au cours de la même journée, le fonctionnaire a rencontré M. Poulin. Lors de cette rencontre, M. Poulin a expliqué au fonctionnaire que son comportement était illégal, le mettait en contact avec le crime organisé, l’exposait au chantage et allait à l’encontre de ses fonctions d’agent de la paix et de maître-chien. Le fonctionnaire a mentionné qu’un ami lui fournissait la drogue.

[18] En l’absence de M. Lanoie, Mme Tremblay et M. Poulin ont décidé que le fonctionnaire ne posait pas de risque imminent et qu’ils n’avaient pas d’information voulant qu’il compromette la sécurité de l’Établissement, le fonctionnaire a continué à exercer ses fonctions à l’Établissement.

[19] Le fonctionnaire a été convoqué à une réunion le 18 juillet 2013. Le directeur de l’Établissement, M. Lanoie, ainsi que le représentant syndical du fonctionnaire y étaient présents. Le fonctionnaire a été informé qu’il était suspendu avec solde pour le moment, que son véhicule de maître-chien lui était retiré et que son chien détecteur retournerait au centre d’apprentissage à Rigaud. On a aussi confisqué la trousse de stupéfiants servant à l’entraînement du chien et la note de service autorisant le fonctionnaire à transporter ces stupéfiants. M. Lanoie a informé le fonctionnaire qu’une enquête disciplinaire commencerait la semaine suivante.

[20] Toujours lors de cette rencontre, le fonctionnaire a informé M. Lanoie que sa consommation n’était que récréative et qu’elle ne lui posait pas de problèmes. M. Lanoie lui a suggéré le PAE s’il avait besoin d’aide, ce à quoi le fonctionnaire a répondu qu’il n’avait pas besoin de thérapie et qu’il pouvait s’en sortir par lui-même.

[21] Le 19 juillet 2013, M. Lanoie a constitué un comité d’enquête disciplinaire et un avis a été envoyé au fonctionnaire l’informant de l’enquête (pièce E-6). Le comité d’enquête était composé de Mme Brunelle, à titre de présidente, et de Julie Dion, gestionnaire à l’Établissement.

[22] Le comité d’enquête a rencontré le fonctionnaire le 24 juillet 2013. À cette rencontre, le fonctionnaire a fait part au comité comment il se procurait de la drogue. Quand il était en congé, il utilisait son véhicule personnel pour se rendre chez ses parents, qui habitent sur la Rive-Sud de Montréal. Lorsqu’à quelques occasions il a utilisé le véhicule du SCC, ses parents gardaient son chien détecteur. Il faisait sa commande de drogues par téléphone et utilisait le véhicule de ses parents pour se rendre à Cowansville, où il achetait 14 ou 28 grammes de cannabis. Le fonctionnaire a mentionné que son fournisseur, qui était un ami, savait qu’il travaillait pour le SCC. Il a admis que lors de son retour de congé à son domicile, il transportait la drogue dans le véhicule du SCC lorsqu’il utilisait ce véhicule.

[23] Le rapport d’enquête disciplinaire (pièce E-7) a été déposé le 9 septembre 2013. Le comité d’enquête a conclu que la consommation de drogues par le fonctionnaire était incompatible avec son rôle d’agent de la paix et son poste de maître-chien et que le fonctionnaire avait enfreint l’alinéa 8c) du Code de discipline (Directive du Commissaire (DC) 060) du SCC (pièce E-8) et les paragraphes 3.1 et 3.4 du Code de valeurs et d’éthique du secteur public (pièce E-9). L’alinéa 8c), sous le titre de « Règles de conduite professionnelle » du Code de discipline se lit comme suit :

Infractions

8. Commet une infraction l’employé qui :

[…]

c. se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service, qu’il soit de service ou non;

[…]

[Je souligne]

 

[24] Les infractions énumérées à l’article 8 sont liées à la règle de conduite professionnelle énoncée à l’article 7 relativement à la conduite et l’apparence des employés, qui prévoit ce qui suit :

Conduite et apparence

 

Le comportement des employés, qu’ils soient de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter d’une façon qui projette une bonne image professionnelle, tant par leurs paroles que par leurs actes. De même, lorsqu’ils sont de service, leur apparence et leurs vêtements doivent refléter leur professionnalisme et être conformes aux normes de santé et sécurité au travail.

[Je souligne]

 

[25] Les paragraphes 3.1 et 3.4 du Code de valeurs et d’éthique du secteur public se lisent comme suit :

3. Intégrité

Les fonctionnaires servent l’intérêt public.

3.1 Ils se conduisent toujours avec intégrité et d’une manière qui puisse résister à l’examen public le plus approfondi; cette obligation ne se limite pas à la simple observation de la loi.

[…]

3.4 Ils agissent de manière à préserver la confiance de leur employeur.

 

[26] Le fonctionnaire a reçu une copie caviardée du rapport d’enquête le 1er octobre 2013. Il y a répondu par écrit le 8 octobre 2013 (pièce E-12), date de son audience disciplinaire. Le fonctionnaire a été licencié pour motifs disciplinaires le 22 novembre 2013.

A. Pour l’employeur

1. M. Bisson

[27] M. Bisson travaille pour le SCC depuis mai 1995. Il est devenu maître-chien spécialiste des fouilles en mai 2005. Selon lui, le coût pour la formation d’une équipe de maître-chien et chien détecteur se situe entre 35 000 et 40 000 $, ce qui inclut le salaire de l’agent correctionnel, l’hébergement au centre d’apprentissage à Rigaud et le coût du chien.

[28] M. Bisson a indiqué que ses responsabilités incluent celles prévues à la Directive du commissaire (DC) 566-13 intitulée Programme de chiens détecteurs (pièce E-1), qui se lit en partie comme suit :

[…]

9. Le maître-chien/spécialiste des fouilles :

a. fouillera tous les secteurs de l’établissement conformément au Plan de fouille de l’établissement et aux instructions du directeur de l’établissement;

b. fournira des soins complets au chien détecteur, assurera son entretien et le motivera, notamment s’occupera de son alimentation, de son hygiène et de sa santé, lui fera faire de l’exercice et veillera à son entraînement et à sa socialisation;

c. assurera la garde et l’entretien de tout l’équipement, y compris le véhicule fourni par le gouvernement et les fournitures destinées à l’équipe canine;

d. assurera, conformément au Manuel des opérations et des procédures du Programme de chiens détecteurs :

i. le contrôle des outils d’entraînement;

ii. la conformité avec toutes les exigences d’entraînement des chiens détecteurs;

iii. la tenue d’une documentation complète;

iv. la vérification des stocks;

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

 

[29] Selon M. Bisson, la tenue d’une documentation incluait la rédaction de deux types de rapports, soit les statistiques du chien détecteur et les rapports de fouilles exigés par la direction, même si le chien n’était pas impliqué.

[30] Le SCC fournit aux maîtres-chiens un véhicule adapté pour accommoder le chien détecteur dans une cage, ainsi que les outils des maîtres-chiens. De plus, le SCC fournit deux enclos, l’un pour le bureau du maître-chien à l’Établissement et l’autre pour sa résidence. M. Bisson a dit que bien qu’on privilégie que le chien soit gardé en enclos, selon lui, la plupart des maîtres-chiens font entrer les chiens dans leur maison.

[31] M. Bisson a expliqué que, parmi leurs outils, les maîtres-chiens ont une trousse de stupéfiants fournie par Santé Canada pour entraîner le chien détecteur, qui comprend quatre groupes de substances que le chien détecte : l’héroïne, la cocaïne, le cannabis et des drogues chimiques. Les substances sont pesées, et aux fins d’entraînement, sont divisées en petite (1 gramme), moyenne (5 grammes) et grande (le reste de la substance) quantités. Après la pesée, les poids sont notés sur une feuille qui demeure en tout temps dans la trousse de stupéfiants, dont une copie est transmise à Santé Canada.

[32] Les stupéfiants sont rangés dans deux coffres distincts, dont seul le maître-chien connaît la combinaison. Le premier coffre contient l’héroïne, la cocaïne et les drogues chimiques, et l’autre coffre contient tous les dérivés de cannabis, soit la marijuana, le haschisch et deux fioles de haschisch liquide. Afin d’éviter la diffusion des odeurs, les substances sont d’abord placées dans un sac de plastique, qui est lui-même placé dans un deuxième sac de plastique et ensuite dans un pot Mason. Le SCC fournit aux maîtres-chiens une lettre explicative les autorisant à transporter les substances s’ils sont interceptés par la police.

[33] Le chien détecteur fouille les visiteurs, leurs effets personnels, et toute boîte qui entre à l’Établissement aux différents départements. À l’Établissement, on procède à une fouille des cellules des détenus et de tous les autres lieux de l’immeuble.

[34] M. Bisson a commencé à travailler avec le fonctionnaire en mai 2011. Le fonctionnaire a habité chez M. Bisson pendant 4 ou 5 semaines, le temps de se trouver une résidence. Pendant ce temps, le chien détecteur du fonctionnaire restait dans son véhicule pour ne pas croiser le chien détecteur de M. Bisson.

[35] Selon M. Bisson, sa relation de travail avec le fonctionnaire allait très bien au début. Après 4 ou 5 semaines, ils ont eu une dispute concernant les tâches quotidiennes des maîtres-chiens. Les tâches comportaient trois grands volets : la fouille avec le chien détecteur, la fouille approfondie et la rédaction de rapports de fouilles. Le fonctionnaire a informé M. Bisson qu’il ne voulait pas faire les fouilles approfondies, ni rédiger les rapports. M. Bisson lui a dit qu’il s’attendait à ce que le fonctionnaire fasse 50 % du travail. Ils se sont expliqués, et le fonctionnaire a accepté de faire sa part du travail. Selon M. Bisson, tout s’est bien déroulé entre eux par la suite pendant un an.

[36] Un an plus tard, la relation entre les deux maîtres-chiens a commencé à se détériorer. En mars 2013, M. Bisson ne comprenait pas, qu’après deux ans de service, le fonctionnaire devait toujours être supervisé pour rédiger les rapports. En mars ou en avril 2013, M. Bisson rédigeait beaucoup de rapports; la direction de la région avait demandé un nouveau rapport sur les fouilles canines individuelles et non pour les fouilles communes. Avant mars 2013, il n’y avait qu’un rapport pour toutes les fouilles et les statistiques des deux maîtres-chiens.

[37] M. Bisson s’est rendu compte qu’il faisait la majorité du travail et a eu une dispute avec le fonctionnaire, qui a dégénéré à un point où il lui a dit : « Je vais te la crisser dans les dents. » Lors de la même dispute, il a dit au fonctionnaire qu’il lui fera perdre son emploi. M. Bisson s’est fait réprimander par M. Poulin, qui lui a dit de s’excuser auprès du fonctionnaire.

[38] En mai ou en juin 2013, M. Bisson a rencontré Lionel Chicoine, gestionnaire correctionnel. Ce dernier lui a dit que le fonctionnaire avait fait une déclaration à M. Poulin concernant sa consommation de drogues, car il avait peur que M. Bisson le dénonce. M. Bisson s’est dit très surpris de la déclaration du fonctionnaire, et il ne comprenait pas sur quoi il pouvait le dénoncer.

[39] À la question de savoir si le fonctionnaire lui avait parlé de drogues, M. Bisson a répondu, qu’environ un an avant la dispute, le fonctionnaire manifestait de l’intérêt pour un poste au sein du groupe d’intervention de l’Établissement. Le fonctionnaire a dit à M. Bisson que, lorsqu’il était à l’Établissement Cowansville, il avait postulé pour le même type de poste, mais qu’il s’était retiré du processus parce qu’il voulait régler son problème de consommation avant de pouvoir intégrer l’équipe (rapport d’observation, pièce E-2). Le fonctionnaire a dit à M. Bisson que le chef de l’équipe lui avait dit que c’était tout à son honneur d’agir ainsi. Le fonctionnaire a dit à M. Bisson que ce n’était pas grave, car maintenant il avait « une bonne job ». M. Bisson en a déduit que le fonctionnaire avait réglé son problème de consommation de drogues, et qu’il avait un bon emploi.

[40] À la question de savoir ce qu’il aurait fait pour faire perdre au fonctionnaire son emploi, M. Bisson a répondu que son intention était de rapporter à la direction qu’il faisait presque tout le travail afin qu’elle prenne les mesures appropriées.

[41] Quant à sa réaction au fait d’apprendre que le fonctionnaire consommait de la drogue, M. Bisson a dit qu’il en était très surpris et qu’il n’en avait aucune idée, mais surtout, qu’il trouvait cela étonnant de la part d’un maître-chien.

[42] À la question de savoir s’il travaillerait à nouveau avec le fonctionnaire, M. Bisson a répondu : « Jamais. » Il a mentionné qu’il avait tout fait pour l’aider et qu’il pensait qu’il ne pourrait plus faire confiance au fonctionnaire. Il a ajouté que si on réintégrait le fonctionnaire dans ses fonctions, il démissionnerait en tant que maître‑chien, car il ne lui restait que cinq ans de carrière à accomplir.

[43] En contre-interrogatoire, M. Bisson a reconnu l’importance d’isoler le chien détecteur en le gardant dans un enclos pour qu’il ne prenne pas de mauvaises habitudes. Il a cependant reconnu que son chien n’était pas toujours dans l’enclos et qu’il le laissait entrer dans sa maison.

[44] À la question de savoir s’il n’aurait pas été mieux qu’il rapporte ses conflits avec le fonctionnaire à leur superviseur, M. Chicoine, M. Bisson a répondu qu’il l’avait fait. Il a aussi affirmé qu’il s’était excusé auprès du fonctionnaire lorsqu’il l’avait croisé peu de temps après la dispute.

[45] M. Bisson a réaffirmé le fait qu’il avait été très surpris lorsque M. Chicoine l’avait informé de la déclaration du fonctionnaire concernant sa consommation de drogues.

2. M. Deschênes

[46] M. Deschênes a dit que les tâches des ARS comportaient deux volets : premièrement, les renseignements sur les réseaux criminels à l’intérieur et à l’extérieur des murs de l’Établissement et le contact avec la police; deuxièmement, les enquêtes sur des incidents ou activités illicites à l’intérieur des murs, par exemple la drogue, la corruption, l’agression ou l’intimidation.

[47] M. Deschênes a déclaré lors de son témoignage que, puisque l’Établissement est à sécurité maximale, la population de détenus comprend les détenus qui purgent une sentence à vie et les détenus qui ont été évalués comme représentant un risque d’évasion ou un risque pour la sécurité du public. Selon lui, un détenu sur trois à l’Établissement est lié au crime organisé.

[48] À la question de savoir qui représente une personne qui s’expose au crime organisé, M. Deschênes a répondu qu’il s’agit d’une personne qui se rend vulnérable à la pression ou au chantage pour l’introduction d’armes à feu, de drogues ou de courrier qui ne passent pas le contrôle interne en temps normal.

[49] M. Deschênes a fait référence à la publication du SCC intitulée « Pour un milieu carcéral sans drogue - Guide du visiteur » (pièce E-3), dans laquelle on décrit, entre autres, les fouilles auxquelles les visiteurs doivent se soumettre. M. Deschênes a commenté le paragraphe suivant du guide :

[…]

Des pénitenciers sûrs et exempts de drogues sont indispensables au succès de la réinsertion sociale des délinquant(e)s. La présence de drogues contribue à accroître la violence dans les pénitenciers et empêche les délinquant(e)s de suivre leur plan correctionnel.

[…]

 

[50] M. Deschênes a déclaré qu’il y avait des risques directement liés à la consommation de drogues, tels que des doses trop fortes. Quatre cas de surdose sont survenus au cours des deux années précédant l’audience, causant entre autres trois décès. De plus, ceux qui consomment des drogues ont un comportement imprévisible, ce qui rend l’intervention difficile.

[51] Un autre point à prendre en considération est que le détenu qui consomme peut s’endetter, et s’il n’est pas capable de rembourser ses dettes, il peut être obligé de rendre des services, comme par exemple demander à ses visiteurs de faire entrer des stupéfiants dans l’Établissement. Il pourrait également aller jusqu’à agresser d’autres détenus ou membres du personnel.

[52] Selon M. Deschênes, les ARS partagent de l’information avec les maîtres‑chiens qu’ils ne partagent pas nécessairement avec d’autres agents correctionnels. Puisque l’information vient souvent d’un autre détenu, il faut agir prudemment.

[53] Le 5 juin 2013, alors que M. Deschênes mangeait en compagnie de sa collègue, Mme Blais, le fonctionnaire s’est présenté à son bureau et leur a dit que M. Bisson savait quelque chose sur lui, et qu’il avait peur qu’il s’en serve contre lui. Le fonctionnaire leur a dit qu’il fumait des joints en jouant de la guitare parce que cela le rendait plus créatif. Le fonctionnaire a tenté de les rassurer en disant que la situation n’était pas grave et que cela ne lui causait pas de problèmes. Il a ajouté qu’il achetait la drogue par l’entremise d’un ami. M. Deschênes lui a dit qu’il travaillait dans un domaine où on lutte contre la drogue, et que de consommer de la drogue était une activité criminelle. Le fonctionnaire leur a dit que c’était « une question de générations » et qu’ils ne pouvaient pas comprendre. M. Deschênes lui a dit d’aller voir M. Poulin, ce qu’il a fait.

[54] M. Deschênes a déclaré lors de son témoignage qu’il avait toujours fait confiance au fonctionnaire et qu’il avait l’impression que ce dernier l’avait poignardé dans le dos. À la question de savoir s’il pouvait travailler de nouveau avec le fonctionnaire, même si celui-ci avait arrêté de consommer de la drogue, M. Deschênes a répondu « Non », car il ne pouvait plus lui faire confiance et que le fonctionnaire était un agent de la paix qui avait transigé avec un criminel et qu’il avait dit que cela n’était pas grave. Cela représentait un risque, et le fonctionnaire devait être lui aussi protégé contre le monde criminel. Selon M. Deschênes, la situation représentait un danger imminent au travail en vertu du Code canadien du travail (L.R.C. 1985, ch. L-2).

[55] En contre-interrogatoire, on a demandé à M. Deschênes la raison pour laquelle il n’avait rédigé son rapport d’observation que le 29 juillet 2013 (pièce E-4), soit, après son entrevue avec le comité d’enquête le 24 juillet 2013, si l’incident datait du début juin. Il a répondu que ce n’était pas dans leur pratique d’écrire des rapports sur d’autres employés, et que normalement, telle information était transmise verbalement aux superviseurs. Il a dit qu’il était allé voir M. Poulin le 5 juin 2013 pour s’assurer que le fonctionnaire l’avait bel et bien rencontré, et il lui a décrit l’entretien qu’il a eu avec le fonctionnaire.

[56] En référence au fait que le fonctionnaire avait continué à travailler pendant un mois après le 5 juin, M. Deschênes a déclaré que cela avait été un mois infernal, et que, pendant ce temps, il n’avait donné aucune information au fonctionnaire et il ne lui avait pas demandé de faire du travail.

[57] À la question de savoir si le fonctionnaire avait compromis la sécurité de l’Établissement, M. Deschênes a répondu qu’il n’avait pas d’information à ce sujet. Il a répondu la même chose lorsqu’on lui a suggéré qu’il n’y avait aucune allégation que le fonctionnaire avait laissé entrer de la drogue dans l’Établissement. M. Deschênes a reconnu qu’il n’y avait pas eu de plaintes d’autres employés à savoir que le fonctionnaire avait compromis la sécurité de l’Établissement.

3. M. Poulin

[58] M. Poulin travaille au SCC depuis 1998. Il a occupé les postes de CX-01 et CX-02, agent de libération conditionnelle et gestionnaire correctionnel. Il a déclaré, lors de son témoignage, que ses responsabilités à titre de DAO incluent ce qui suit : la supervision directe de 18 gestionnaires correctionnels et indirecte de 300 agents correctionnels, incluant le groupe tactique, les maîtres-chiens et les agents des effets personnels; la gestion de la population des détenus; l’application de normes nationales de formation; la gestion du budget.

[59] M. Poulin a déclaré lors de son témoignage que le fonctionnaire était venu le rencontrer à son bureau le 5 juin 2013 après une dispute avec M. Bisson. Sans entrer dans les détails de la dispute, le fonctionnaire a dit qu’ils n’étaient pas de la même génération, et qu’ils ne pensaient pas et ne travaillaient pas de la même façon. Il était allé rencontrer M. Poulin parce qu’il s’était confié à M. Bisson par le passé, et que ce dernier pouvait utiliser l’information contre lui pour lui nuire, et il voulait prendre les devants.

[60] Le fonctionnaire a fait part de deux événements de son passé à M. Poulin. Premièrement, lorsqu’il était au Cégep, le fonctionnaire s’est fait approcher pour acheter une carte de crédit volée, mais la transaction n’a jamais eu lieu. Alors qu’il était un agent correctionnel à Cowansville, le fonctionnaire a croisé un détenu qu’il croyait être la personne avec qui il avait fait les démarches pour la carte de crédit, mais il n’était pas certain si le détenu l’avait reconnu.

[61] Deuxièmement, vers l’âge de 16 ans jusqu’à 18 ou 19 ans, le fonctionnaire vendait de la drogue avec un ami. Il a cessé ses activités lorsqu’il a reçu un appel lui disant de se retirer du territoire.

[62] Le fonctionnaire a dit à M. Poulin qu’il était un « gratteux de guitare » et qu’il fumait un joint à l’occasion en jouant de la guitare. Quand il a dit qu’il achetait la drogue par l’entremise d’un ami, M. Poulin lui a dit qu’en tant qu’agent de la paix, il avait des responsabilités importantes. Il a ajouté que le vendeur était probablement lié au crime organisé d’une façon ou d’une autre et que sa consommation le mettait dans une situation où il était exposé au chantage et pouvait nuire à l’image du SCC. Il lui a dit que les risques ne concordaient pas avec ses responsabilités. Le fonctionnaire a répondu qu’il en était conscient, qu’il avait « mis ses couilles sur la table » et a dit: « Fais ce que tu dois faire. » M. Poulin n’a jamais détecté chez le fonctionnaire une détresse ou une peur de perdre son travail.

[63] Le même jour, M. Poulin a rencontré Mme Tremblay, directrice intérimaire en l’absence de M. Lanoie, pour lui faire part de son entretien avec le fonctionnaire. Ils ont fait venir M. Chicoine pour l’informer de la situation, et ils ont convenu de faire vérifier la trousse de stupéfiants du véhicule du fonctionnaire. M. Poulin a déclaré lors de son témoignage que le fonctionnaire lui avait fait part qu’il ne consommait pas de drogue dure et qu’il n’avait jamais pris de drogue de sa trousse. Effectivement, rien ne manquait dans sa trousse. À ce moment, ils n’avaient pas d’information voulant que le fonctionnaire compromette la sécurité de l’Établissement.

[64] Il a été décidé d’attendre le retour de M. Lanoie et, pendant ce temps, de maintenir en poste le fonctionnaire avec certaines restrictions. L’ordre a été donné que, si un corps policier demandait l’aide des maîtres-chiens, on ne permettrait pas au fonctionnaire d’accomplir ce genre de travail afin de ne pas nuire à l’image du SCC auprès de leurs partenaires policiers. Un gestionnaire suivait déjà le travail du fonctionnaire pour d’autres raisons.

[65] Le retour de M. Lanoie a coïncidé avec le dernier jour de travail de M. Poulin avant ses vacances. Il a fait part des événements à M. Lanoie et n’a pas été impliqué dans la suite des choses.

[66] M. Poulin a déclaré lors de son témoignage qu’il avait été surpris et choqué par la déclaration du fonctionnaire, en raison de son statut d’agent de la paix, et que le chien détecteur du fonctionnaire pouvait avoir été affecté par la consommation de drogues du fonctionnaire. Selon lui, le lien de confiance avait été brisé; il se demandait ce que le fonctionnaire pouvait faire à l’avenir. Le fonctionnaire s’exposait au chantage, ce qui pouvait nuire à la sécurité du personnel et à la sienne.

[67] En contre-interrogatoire, M. Poulin a déclaré n’avoir jamais eu affaire avec le centre de thérapie CASA et n’a jamais eu de documents de cet organisme. Il a mentionné que le PAE ne traitait pas seulement de problèmes de consommation de drogues ou d’alcool, mais aussi de problèmes avec des détenus ou à la suite d’incidents majeurs. Selon M. Poulin, il ne pouvait pas demander au PAE de rencontrer un employé.

[68] M. Poulin a réitéré que la consommation de drogues par un agent correctionnel allait à l’encontre de ses tâches. À la question de savoir si, par le passé, à l’Établissement, des agents correctionnels avaient été traités pour une consommation de drogues, M. Poulin a répondu qu’il l’ignorait, et qu’il n’avait pas eu à traiter de tels dossiers.

[69] Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer le délai entre son entretien du 5 juin 2013 avec le fonctionnaire et la rédaction de son rapport d’observation le 12 août 2013 (pièce E-5), M. Poulin a répondu qu’il n’y avait pas de délai fixe pour rédiger un tel rapport. Le fonctionnaire était un employé, et non un détenu, et sa conversation avec le fonctionnaire ne représentait pas un incident. Son premier réflexe est de ne pas faire un rapport écrit concernant un employé. Lorsque le fonctionnaire lui a fait mention de sa dispute avec M. Bisson, M. Poulin lui a proposé d’intervenir auprès de son gestionnaire, ce que le fonctionnaire a refusé de faire.

[70] À la question de savoir pourquoi il n’avait pas recommandé au fonctionnaire le PAE, M. Poulin a répondu que le fonctionnaire ne lui avait jamais dit qu’il souffrait d’une dépendance ou qu’il était stressé, ou même qu’il avait besoin d’aide. Il ne lui avait jamais dit qu’il était dépendant ou toxicomane, ou qu’il avait essayé d’arrêter de consommer de la drogue. Selon le fonctionnaire, sa consommation était à usage récréatif.

[71] Concernant son témoignage voulant que le lien de confiance était brisé, M. Poulin a dit que lors de sa conversation avec le fonctionnaire, il ne connaissait pas l’ampleur de la situation et que puisque l’enquête disciplinaire n’avait pas encore eu lieu, il n’avait pas assez d’information pour suspendre le fonctionnaire avec solde. Toutefois, il l’a pris au sérieux et en a discuté avec Mme Tremblay.

4. Mme Brunelle

[72] Mme Brunelle a présidé le comité d’enquête. En plus des éléments décrits plus tôt dans cette décision, elle a dit que lors de la rencontre du comité avec le fonctionnaire le 24 juillet 2013, le fonctionnaire a maintenu que sa consommation était à usage récréatif, à raison d’environ un joint par semaine, et cela, même si sa consommation avait augmenté à la suite de son conflit avec M. Bisson. Mme Brunelle a témoigné que lors de cette même rencontre, le fonctionnaire a reconnu qu’il avait un problème de toxicomanie. Il a dit que pendant la fin de semaine précédant la rencontre, il a fait une réflexion et a contacté le PAE pour demander de l’aide.

[73] En ce qui a trait au risque de sa consommation sur les habilités de son chien détecteur, le fonctionnaire l’a d’abord nié, disant qu’il ne fumait pas en présence du chien. Lorsque confronté avec certains faits, dont l’odeur de la drogue pouvant rester sur ses vêtements, le fonctionnaire a admis que cela aurait pu avoir des conséquences pour le chien.

[74] Le fonctionnaire a déclaré lors de son témoignage n’avoir réalisé qu’il avait enfreint le Code de valeurs et d’éthique du secteur public que lors de la rencontre du comité et qu’il réalisait l’impact du transport de stupéfiants pour son usage personnel dans un véhicule du SCC.

[75] Le fonctionnaire a fait part au comité que lors de la fin de semaine précédant sa rencontre, il avait décidé de demander de l’aide et avait communiqué avec le PAE.

[76] Tel que mentionné plus tôt dans cette décision, le comité d’enquête a conclu que la consommation de drogues par le fonctionnaire allait à l’encontre de son rôle d’agent de la paix et de son poste de maître-chien, et qu’il avait enfreint l’alinéa 8c) du Code de discipline du SCC et les paragraphes 3.1 et 3.4 du Code de valeurs et d’éthique du secteur public.

5. M. Lanoie

[77] M. Lanoie travaille pour le SCC depuis 1987. Avant son poste actuel, il a occupé les postes de CX-01, CX-02, agent de libération conditionnelle, gestionnaire d’unité et sous-directeur et directeur intérimaire à l’Établissement Drummond.

[78] À son retour de vacances en juillet 2013, M. Lanoie a été mis au courant de la situation concernant le fonctionnaire. Il a voulu le rencontrer afin de valider ces renseignements et prendre une décision par la suite. La rencontre a eu lieu le 18 juillet 2013 (pièce E-10, résumé des événements du 17 au 23 juillet 2013).

[79] Lors de la rencontre, le fonctionnaire a admis qu’il consommait de la drogue, mais que cela ne lui causait pas de problèmes, car sa consommation n’était que pour un usage récréatif, qu’il consommait à l’occasion et en privé seulement. M. Lanoie lui a suggéré de communiquer avec le PAE s’il avait besoin d’aide; le fonctionnaire lui a dit qu’il n’avait pas besoin de thérapie, et qu’il pouvait s’en sortir par lui-même.

[80] M. Lanoie a mentionné au fonctionnaire qu’il était un agent de la paix et un maître-chien dont le travail était de détecter la drogue dans l’Établissement. Il a ajouté que le fait d’acheter des stupéfiants d’un fournisseur était un acte criminel et qu’il était possible que son fournisseur soit lié au crime organisé. De plus, il achetait des quantités importantes de stupéfiants et les transportait dans un véhicule du SCC muni d’un permis de transporter des stupéfiants. M. Lanoie a informé le fonctionnaire qu’il y aurait une enquête disciplinaire, qu’il serait placé en congé avec solde, qu’il n’avait plus droit au véhicule du SCC et que le chien détecteur serait retourné au centre d’apprentissage à Rigaud.

[81] M. Lanoie a déposé l’Ordre permanent numéro 335 du SCC intitulé Utilisation des véhicules de l’établissement – gestion du parc automobile (pièce E-15).

[82] M. Lanoie a déclaré lors de son témoignage qu’il avait des inquiétudes quant à la vulnérabilité du fonctionnaire, étant donné que la plupart des détenus à l’Établissement étaient de grands consommateurs de drogues ou qu’ils étaient impliqués dans le trafic de stupéfiants. Le fonctionnaire s’exposait au chantage en achetant de la drogue.

[83] M. Lanoie a déclaré avoir été déçu de la conduite du fonctionnaire et que le fonctionnaire avait possiblement exposé le chien détecteur aux odeurs du cannabis. De plus, les rapports du SCC avec les policiers auraient pu être affectés, car le fonctionnaire transportait la drogue qu’il avait achetée dans son véhicule de travail.

[84] Selon M. Lanoie, le mandat du SCC exige de bonnes valeurs bien ancrées. Un agent de la paix se doit de respecter les règles, c’est‑à-dire de ne pas consommer de stupéfiants, de ne pas en acheter et de ne pas les transporter dans un véhicule du SCC. Autrement, il s’expose et expose ses collègues de travail à des problèmes à l’Établissement.

[85] En ce qui a trait au bilan de thérapie du fonctionnaire émis par le centre de thérapie CASA le 4 octobre 2013 (pièce E-13) qu’il a reçu le 8 octobre 2013, M. Lanoie a dit qu’il avait compris que le fonctionnaire y avait participé. Lors de l’audience disciplinaire du 8 octobre 2013, le fonctionnaire lui a dit que la thérapie lui avait fait du bien et il l’a encouragé à continuer sa thérapie.

[86] M. Lanoie a fourni des explications concernant la lettre de licenciement. Elle fait référence à tout ce que la direction a appris concernant le fonctionnaire avant et après l’enquête disciplinaire à l’égard de la consommation de stupéfiants, de l’approvisionnement, du transport de la drogue dans un véhicule du SCC et de l’exposition du chien détecteur à la drogue.

[87] La lettre de licenciement fait référence aux facteurs aggravants et atténuants. Selon M. Lanoie, les facteurs aggravants sont les suivants : l’achat de quantités importantes de stupéfiants; le transport de drogues dans le véhicule du SCC; l’exposition du chien détecteur à la drogue; la période s’étalant sur des mois. Toujours selon lui, les facteurs atténuants sont les suivants : le niveau de transparence du fonctionnaire, sa collaboration pendant l’enquête disciplinaire, ses réponses aux questions; sa volonté de se faire aider.

[88] M. Lanoie a déclaré lors de son témoignage qu’il considérait que les facteurs atténuants étaient insuffisants pour l’emporter sur les infractions graves du fonctionnaire. Le fonctionnaire avait un permis de transport de drogues, et son rôle de maître‑chien était dédié à l’élimination des drogues dans l’Établissement. Le fournisseur du fonctionnaire devait avoir des liens avec le milieu criminel et le fonctionnaire s’exposait au chantage. En tant que maître‑chien, le fonctionnaire avait accès à de l’information privilégiée concernant l’entrée de drogues dans l’Établissement, et il travaillait avec les ARS à cet égard.

[89] En expliquant pourquoi il avait conclu que le lien de confiance entre le SCC et le fonctionnaire était rompu, M. Lanoie a dit que la plupart des employés à l’Établissement étaient des agents de la paix et que dès le recrutement, l’accent est mis sur les valeurs d’intégrité et de transparence. Le fonctionnaire a démontré, de par ses gestes, qu’il n’avait pas ces valeurs. La gestion doit pouvoir faire confiance à tous ses employés.

[90] À la question de savoir s’il savait que le fonctionnaire avait une dépendance, M. Lanoie a répondu qu’au départ, le fonctionnaire lui avait dit qu’il consommait de façon récréative et qu’il n’avait pas besoin de thérapie. Ce n’est que plus tard que la direction avait su que le fonctionnaire était allé au centre de thérapie CASA. M. Lanoie était un peu surpris de la situation du fonctionnaire parce que ce dernier accomplissait son travail, ne s’absentait pas de façon répétée, n’avait pas les yeux rouges et ne se présentait pas au travail intoxiqué. Il avait donc cru le fonctionnaire quand il lui avait dit que sa consommation n’était que récréative.

[91] Lorsqu’on lui a demandé quelle serait la conséquence sur l’Établissement si le fonctionnaire était réintégré au travail, M. Lanoie a répondu qu’étant donné qu’une forte proportion de la population de l’Établissement venait du milieu criminel, il ne fallait pas que les employés soient sujets à des pressions de ce milieu. Les employés doivent se faire confiance, et la réintégration du fonctionnaire aurait un impact sur d’autres employés.

[92] En contre-interrogatoire, M. Lanoie a dit que la confiance était très importante en raison de la vulnérabilité des employés et la proximité des détenus. Bien que ce ne soit pas tous les employés qui sont vulnérables, un détenu peut chercher des vulnérabilités, par exemple si un employé est mêlé dans une telle situation ou s’il achète des stupéfiants. M. Lanoie a ajouté qu’avant son départ pour ses vacances, il avait été avisé par M. Poulin des faits connus à cette date à l’égard du fonctionnaire.

[93] En réinterrogatoire, M. Lanoie a dit avoir donné de la formation à Ottawa le 5 juin 2013 dans le cadre du comité régional de gestion. La formation peut durer de trois à quatre jours. Il est revenu à l’Établissement pour un jour avant son départ en vacances, dont la date de retour était le 17 juillet 2013.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

1. Le fonctionnaire

[94] Le fonctionnaire a commencé sa formation d’agent correctionnel à l’automne 2006 et a commencé à travailler pour le SCC en tant que CX-01 à l’Établissement Cowansville, où il est demeuré en poste pendant cinq ans. Sa demande pour un poste de maître‑chien a été acceptée et, à la suite de sa formation, il a été assigné au poste de spécialiste des fouilles/maître-chien, à l’Établissement, à compter du 25 mai 2011.

[95] Les tâches du fonctionnaire consistaient à empêcher l’entrée de drogues dans l’Établissement et éliminer la contrebande à l’Établissement en effectuant entre autres la fouille des visiteurs, des détenus et de la nourriture. Il devait faire deux fouilles approfondies mensuellement et d’autres fouilles qui pouvaient être demandées. Avant une fouille, il devait préparer un schéma et un plan de la fouille. Il devait rédiger des rapports mensuels, dont certains que des maîtres-chiens d’autres établissements n’avaient pas à rédiger, tel une compilation des objets saisis. Le rendement d’un maître-chien et de son chien détecteur est évalué annuellement, et le fonctionnaire et son chien ont satisfait aux normes de rendement en octobre 2011 et en novembre 2012 (pièces S-3 et S‑4).

[96] Quant à sa relation avec M. Bisson, le fonctionnaire a dit qu’au début elle était bonne. Il a apprécié le fait que M. Bisson l’invite à rester chez lui, et il appréciait qu’il le conseille concernant le travail à accomplir.

[97] Après un an, M. Bisson et le fonctionnaire se sont disputés concernant la compilation de dossiers et les rapports qui devaient être envoyés en région. M. Bisson se plaignait qu’il devait toujours rédiger les rapports. Ils se sont disputés et M. Bisson a menacé le fonctionnaire de lui « donner une volée » dans le stationnement de l’Établissement.

[98] En juin 2013, environ un an après cette première dispute, M. Bisson a encore menacé le fonctionnaire de lui « donner une volée. » Pour ne pas jeter d’huile sur le feu, le fonctionnaire a ri, mais cela a enragé M. Bisson. Le fonctionnaire a dit qu’il voulait seulement que M. Bisson lui explique comment traiter des dossiers afin qu’il puisse le faire en son absence.

[99] Le fonctionnaire a déclaré lors de son témoignage qu’il en avait assez de se faire dire qu’il n’était pas bon. C’était la deuxième fois que M. Bisson le menaçait de se battre. Le jour même, soit le 5 juin 2013, il est allé voir les ARS. Selon lui, ils ne l’ont pas reçu comme il l’avait espéré. Lorsqu’il a commencé à parler de sa consommation de drogue, ils lui ont dit qu’un maître-chien ne pouvait pas faire cela.

[100] Le fonctionnaire a mentionné à M. Poulin que sa consommation n’était pas considérée comme un problème, qu’il consommait une fois par semaine et qu’il pouvait contrôler sa consommation. Après cette rencontre, le fonctionnaire a continué de travailler pendant un mois.

[101] Le fonctionnaire a été convoqué au bureau du directeur de l’Établissement le 18 juillet 2013. M. Lanoie lui a dit que son comportement était inacceptable et qu’il allait ordonner une enquête disciplinaire. On a retiré le chien détecteur du fonctionnaire et on a suspendu le fonctionnaire. Le fonctionnaire était surpris de cette rencontre, car il avait travaillé pendant un mois avant d’y être convoqué.

[102] Le fonctionnaire a déclaré lors de son témoignage qu’après cette rencontre, en raison de son conflit avec M. Bisson, il a rencontré un médecin une fois par mois et a pris des médicaments antidépresseurs.

[103] Le fonctionnaire a donné un aperçu de sa consommation. Depuis l’âge de 17 ans jusqu’à la fin de ses études au Cégep en 2005, il consommait quatre joints par jour. Quand il est devenu un employé du SCC, il consommait entre une à quatre fois par semaine. Pendant sa formation, il a cessé sa consommation. Il a recommencé après la première dispute avec M. Bisson, et sa consommation est devenue plus importante lors de sa deuxième année, alors qu’il était maître-chien.

[104] Suite à la deuxième menace de M. Bisson d’en venir aux coups, il pouvait fumer jusqu’à 10 joints par jour. Certains jours, il en fumait moins, et certains autres, il en fumait plus. Selon le fonctionnaire, il en fumait en moyenne 15 par semaine. Sa consommation a augmenté à la suite de la rencontre avec M. Lanoie et le retrait de son chien détecteur.

[105] Le fonctionnaire a alors décidé de suivre une thérapie fermée de 28 jours au centre de thérapie CASA. Il a payé 600 $, et M. Lanoie a payé le reste, soit 3000 $. Le fonctionnaire a accepté de prolonger la durée de la thérapie, dont les frais ont été absorbés par le PAE. Selon le bilan de thérapie du centre de thérapie CASA (pièce E-13), le fonctionnaire a séjourné au centre du 25 juillet au 22 août 2013 pour la thérapie de 28 jours, et les 27 et 28 août, les 3 et 4 septembre, les 10, 17 et 24 septembre, et les 1er et 4 octobre 2013, pour des séjours supplémentaires.

[106] Le fonctionnaire a ensuite abordé le sujet des traitements qu’il a entrepris à la suite de son congédiement. L’employeur a alors soulevé une objection à cette preuve puisqu’elle n’est pas pertinente pour décider si l’employeur avait un motif valable et suffisant pour congédier le fonctionnaire. J’ai permis la preuve sous réserve de l’objection.

[107] Le fonctionnaire a déclaré lors de son témoignage avoir fait une rechute pendant la période des Fêtes de 2013. Il est retourné au centre de thérapie CASA en 2014 pour une semaine. Le fonctionnaire a aussi assisté à des rencontres individuelles et de groupe au Centre de réadaptation en dépendance Le Virage entre mai et octobre 2014 (pièce S-5). Selon le fonctionnaire, sa dernière consommation remonte à avril 2014.

[108] Le fonctionnaire a admis que le transport de la drogue achetée dans un véhicule du SCC n’avait pas été une bonne idée et qu’il avait pu nuire au chien détecteur en l’exposant aux stupéfiants. Dans sa réponse au rapport d’enquête, le fonctionnaire a écrit que lors de l’enquête, il aura pu mentir concernant l’utilisation du véhicule du SCC, mais a préféré être honnête.

[109] En contre-interrogatoire, on a renvoyé le fonctionnaire à sa lettre d’offre d’emploi à titre de maître-chien. Le fonctionnaire a reconnu avoir accès au Code de valeurs et d’éthique du secteur public et au Code de discipline du SCC.

[110] Le fonctionnaire a également reconnu que la possession de drogues était incompatible avec son statut d’agent de la paix.

[111] À la question de savoir s’il pensait que sa conduite n’avait aucune incidence sur le SCC, le fonctionnaire n’a pas donné une réponse directe. Il a plutôt répondu qu’il n’était pas fier de la situation et que sa consommation lui permettait de se détendre. Lorsqu’il travaillait à Cowansville, il ne réalisait pas que le fait de consommer de la drogue entrait en conflit avec son statut d’agent de la paix. Il ne pensait vraiment pas à son statut, car il voulait arrêter sa souffrance.

[112] Selon les certificats médicaux d’incapacité de travailler du fonctionnaire (pièce E-17), ce dernier était en arrêt de travail du 19 juillet au 18 novembre 2013, ce qui inclut son séjour au centre de thérapie CASA. Sauf pour le certificat médical du séjour au centre de thérapie CASA, les trois autres certificats médicaux indiquent un « trouble d’adaptation » comme raison pour l’arrêt de travail.

[113] À la question s’il avait dit à son médecin traitant qu’il consommait de la drogue, le fonctionnaire a répondu que non. Il a cependant ajouté qu’il lui avait dit qu’il allait suivre une thérapie à l’égard de sa consommation de drogue.

[114] Le fonctionnaire a été renvoyé à sa réponse au rapport d’enquête (pièce E-12) où il a écrit ce qui suit au bas de la première page : « […] je comprenais que mes agissements étaient incompatibles avec ma profession […] ». Il a reconnu que cela était avant sa thérapie. Il a poursuivi sa phrase en écrivant qu’il avait peur des conséquences possibles, à savoir la perte de son chien détecteur et de son emploi. Le fonctionnaire a cependant mentionné qu’avant le 5 juin 2013, il n’avait pas peur des conséquences de sa consommation.

[115] Le fonctionnaire a déclaré avoir voulu banaliser sa situation à la suite de la réaction des ARS. Il savait toutefois que le fait de consommer de la drogue, alors qu’il est maître‑chien, était grave. Il n’a pas fait appel à son syndicat à l’époque car, selon lui, le SCC enseigne à ses employés à régler les problèmes au plus bas niveau possible.

[116] Le fonctionnaire a reconnu qu’il allait souvent chez ses parents les fins de semaine, mais qu’il n’a utilisé le véhicule du SCC véhicule qu’à quelques occasions.

[117] Dans sa réponse au rapport d’enquête, le fonctionnaire a écrit qu’il était réhabilité. Il a expliqué qu’il possède maintenant les outils pour ne plus utiliser le cannabis comme solution à ses problèmes.

2. Dre Marsan

[118] La spécialité principale de la Dre Marsan est la médecine familiale. La Dre Marsan possède plusieurs années d’expérience dans la médecine des toxicomanies et, depuis 2006, elle travaille au Service de médecine des toxicomanies à l’hôpital Saint‑Luc du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (pièce S-6, curriculum vitae de la Dre Marsan). J’ai reconnu la Dre Marsan à titre d’experte en toxicomanie.

[119] La Dre Marsan a déposé un rapport d’expertise médicale concernant le fonctionnaire daté du 20 septembre 2014 (pièce S-7), ainsi qu’une note complémentaire en date du 2 octobre 2014 (pièce S-8). L’employeur ne s’est pas opposé au dépôt en preuve du rapport d’expertise, ni de la note complémentaire. La Dre Marsan a examiné le fonctionnaire le 31 mars et le 29 août 2014. Le rapport d’expertise précise que tous les renseignements concernant la situation du fonctionnaire et l’état de santé de celui-ci à l’époque ont été obtenus à l’aide d’une entrevue directe, que la Dre Marsan n’avait pas eu accès à d’autre documentation et qu’aucun autre document n’a été révisé.

[120] Pour définir la dépendance, le rapport d’expertise fait référence au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, qui est la version française du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) publié par la American Psychiatric Association. Dans son rapport, la Dre Marsan a fait référence au DSM-5 de mai 2013, et mentionne les 11 critères diagnostiques d’un trouble lié à l’usage d’une substance. Elle a affirmé que la sévérité du trouble est basée sur le nombre de critères remplis, les critères étant tous égaux.

[121] À la question de savoir si elle avait diagnostiqué une dépendance du fonctionnaire, la Dre Marsan a répondu qu’elle avait appliqué les 11 critères du DSM-5 à la situation du fonctionnaire. Sa conclusion se lit comme suit :

[…]

D’après les critères du DSM-V, Monsieur Nadeau a un trouble lié à l’usage du cannabis sévère, est en rémission récente ainsi qu’en thérapie de maintenance. Évidemment, le trouble est présent depuis 2012. Par contre, je soupçonne qu’il avait déjà un trouble lié à l’usage du cannabis léger lorsqu’il était au CEGEP.

[…]

 

[122] La Dre Marsan a déclaré que le but de la deuxième rencontre du 29 août 2014 avec le fonctionnaire avait pour but de confirmer les faits qu’il lui avait donnés. Elle lui a posé les mêmes questions que lors de la première rencontre, et elle a reçu les mêmes réponses. Elle ne mettait donc pas en doute la crédibilité du fonctionnaire.

[123] Dans son rapport, la Dre Marsan indique que la période pour une rémission récente (ou précoce) d’un trouble est définie comme consistant en au moins 3 mois, mais ne dépassant pas 12 mois, sans qu’on remplisse de critère du trouble, sauf celui de l’envie de consommer. La période pour une rémission durable (ou prolongée) consiste en au moins 12 mois sans qu’on remplisse de critère du trouble, sauf celui de l’envie de consommer. La Dre Marsan a témoigné que, lors de sa deuxième rencontre avec le fonctionnaire, ce dernier comptait quatre mois de rémission.

[124] Dans sa note complémentaire du 2 octobre 2014 (pièce S-8), la Dre Marsan traitait de la question à savoir, dans quelle mesure la capacité d’une personne de reconnaître sa situation est affectée par la dépendance de cette personne à l’usage d’une substance. Dans ce document, la Dre Marsan fait référence à un modèle transthéorique du changement de Di Clemente et Prochaska, selon lequel une personne aux prises avec un problème de dépendance passerait par la série de stades de changement suivants : la précontemplation, la contemplation, la préparation, l’action, le maintien et la rechute.

[125] Après avoir fait état des caractéristiques de chaque stade de changement, la Dre Marsan a ajouté ce qui suit :

[…]

[…] ces stades doivent être franchis dans cet ordre pour que le changement soit bien intégré, l’omission de l’un ou de plusieurs d’entre eux rendant l’individu vulnérable aux rechutes. Par contre, le mouvement vers les stades supérieurs est réversible et le retour en arrière est fréquent. C’est-à-dire que le patient peut atteindre son objectif et le maintenir pendant un certain temps, puis rechuter, se décourager et renoncer au changement pour un moment. Ce que l’on veut observer c’est que le patient fasse des apprentissages significatifs à chaque fois qu’il s’engage dans un cycle de changement et que cela lui permette d’aller plus loin lors de sa prochaine tentative.

 

[126] La Dre Marsan a témoigné qu’une rechute peut durer des mois, voire des années. Elle a dit que le fonctionnaire avait fait ce qu’il devait faire, car, lorsqu’il s’est senti fragile, il est allé au centre de thérapie CASA. Elle ne pouvait se prononcer sur le stade du fonctionnaire en juin 2015, mais, selon elle, en août 2014, il était au stade du maintien.

[127] À la question de savoir s’il y avait un lien entre la toxicomanie et un trouble de personnalité, la Dre Marsan a répondu que, souvent, les personnes ayant un trouble de personnalité sont plus enclines à développer un problème de consommation. Elle a ajouté qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un trouble de personnalité pour développer un problème de consommation. Toutefois, une personne ayant un problème de consommation peut développer un trouble de personnalité.

[128] À la question de savoir dans quelle mesure il aurait été pertinent de connaître les antécédents de trouble de comportement ou de conduite antisociale du fonctionnaire, la Dre Marsan a répondu que, bien qu’elle ne soit pas psychiatre, elle se base sur les critères du DSM-5 et qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une évaluation psychiatrique pour arriver à un diagnostic. De tels renseignements vont aider à mieux comprendre la personne aux fins d’évaluation et de diagnostic.

[129] À la question de savoir quel est l’impact d’une dépression combinée à un problème de consommation, la Dre Marsan a répondu que le fonctionnaire avait reçu des médicaments d’ordonnance dans le cadre du traitement d’une dépression majeure. Il faut regarder l’ensemble de la situation, car si la dépression n’est pas traitée, cela n’aide pas le traitement de la consommation, et vice-versa.

[130] La Dre Marsan a déclaré lors de son témoignage que les critères du DSM-5 n’exigent pas de tests de laboratoire. Dans sa clinique, il est rare de faire des tests de dépistage (par urine) puisque le dépistage n’est valable que pour une période de 2 à 4 jours, et il ne donne pas une représentation de la consommation. De plus, plusieurs drogues ne sont pas détectées par dépistage, et le dépistage à l’aide de l’urine peut donner un faux positif. La Dre Marsan ne fait pas de dépistage de façon régulière.

[131] Concernant la pertinence de tests immunologiques afin de détecter la présence de complications telles que des hépatites virales ou une infection au VIH, la Dre Marsan a dit qu’il s’agissait de tests facultatifs pour lesquels il faut donner beaucoup de psycho‑éducation avant d’effectuer les tests. Toutefois, la Dre Marsan a dit qu’elle aurait été obligée de développer une relation thérapeutique avec le fonctionnaire. Elle a ajouté que les tests n’auraient pas aidé au diagnostic.

[132] Lorsqu’on lui a demandé de commenter le rapport d’expertise du Dr Negrete, la Dre Marsan a dit que certaines observations étaient très générales et ne tenaient pas compte du contexte du fonctionnaire. Elle a ajouté que le rapport ne donnait pas de conclusions.

[133] En contre-interrogatoire, la Dre Marsan était en accord avec la phrase suivante du rapport du Dr Negrete : « Il est bien connu que le patient toxicomane risque souvent de faire des fausses représentations ou omettre des informations dans la version qu’il donne de son problème. »

[134] À la question de savoir, au stade pré-contemplation, si un toxicomane consomme, qu’il ait des problèmes ou pas, la Dre Marsan a répondu que s’il consomme, c’est qu’il a un problème.

[135] La Dre Marsan ne pouvait pas affirmer que le fonctionnaire n’aurait pas de rechute. Elle a dit qu’une personne en rémission, qui est en présence de cannabis de façon régulière, peut être influencée et rechuter. Afin de diminuer ce risque de rechute, la personne doit se protéger en ayant un encadrement.

[136] En ré-interrogatoire, la Dre Marsan a déclaré que la rechute faisait partie du cycle de changement, et qu’elle était une étape à franchir qui pouvait survenir plusieurs fois.

3. Mme Tremblay

[137] Mme Tremblay, directrice intérimaire de l’Établissement, travaille pour le SCC depuis 23 ans. Elle était directrice intérimaire du 4 au 16 juin 2013, en remplacement de M. Lanoie.

[138] Mme Tremblay a déclaré lors de son témoignage avoir été très peu impliquée dans la gestion du dossier du fonctionnaire. Le 5 ou le 6 juin 2013, M. Poulin l’a informée que le fonctionnaire lui avait dit qu’il fumait un joint lorsqu’il jouait de la guitare, et qu’il n’avait pas de problème de consommation, car, selon ce dernier, il ne fumait qu’à l’occasion.

[139] Mme Tremblay et M. Poulin ont discuté de la situation afin de déterminer si, à l’aide de l’information qu’ils avaient alors, le fonctionnaire posait un risque imminent à l’Établissement. Ils ont fait vérifier la trousse de stupéfiants du véhicule du fonctionnaire, et la trousse était complète. Compte tenu de l’information qu’ils avaient, ils ont déterminé que le fonctionnaire ne posait pas de risque imminent et ils ont décidé de maintenir le fonctionnaire en poste en attendant le retour de vacances de M. Lanoie. Mme Tremblay a déclaré qu’elle en aurait décidé autrement si elle avait eu l’information qui a été dévoilée par la suite.

[140] Mme Tremblay a rencontré M. Lanoie à son retour au travail le 17 juillet 2013. Elle n’a toutefois pas participé à la rencontre du lendemain entre M. Lanoie et le fonctionnaire. Le but de cette dernière rencontre était de savoir s’il avait d’autres renseignements, car, jusqu’au 18 juillet 2013, personne n’avait eu de nouveaux renseignements au sujet du fonctionnaire.

4. M. Garneau

[141] M. Garneau est le président de la section locale du Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, l’agent négociateur du fonctionnaire, et son coordonnateur régional des griefs.

[142] M. Garneau a été mis au courant de la situation du fonctionnaire le matin même où le fonctionnaire a reçu avis qu’une enquête disciplinaire serait menée à son égard. Il se souvient que MM. Lanoie et Chicoine étaient à la réunion du 18 juillet 2013.

[143] Pendant la réunion, M. Lanoie a dit au fonctionnaire, qu’en raison de ses aveux aux ARS et à M. Poulin concernant sa consommation de stupéfiants, il devait déclencher une enquête disciplinaire. M. Garneau en était surpris, car le fonctionnaire avait fait ses aveux un mois plus tôt environ. M. Garneau a déclaré lors de son témoignage que, le 18 juillet 2013, l’employeur n’avait pas de nouveaux faits suivant les aveux du fonctionnaire.

[144] Selon M. Garneau, le fonctionnaire a mentionné pendant la rencontre avoir un problème de consommation et avoir demandé de l’aide.

[145] Selon M. Lanoie, l’enquête disciplinaire allait se dérouler rapidement. Il a dit à M. Garneau qu’il avait choisi deux personnes pour mener l’enquête. L’enquête a eu lieu dans les semaines suivantes.

[146] M. Garneau a dit qu’il travaillerait à nouveau avec le fonctionnaire, car il voyait que celui-ci avait fait un cheminement personnel, et qu’il avait été en thérapie.

[147] En contre-interrogatoire, M. Garneau a dit que, dans le passé, il n’avait rien à reprocher au travail du fonctionnaire; ce dernier était toujours disponible.

5. M. Fiset

[148] M. Fiset est un agent correctionnel de l’Établissement depuis juin 2011. Auparavant, il a travaillé à l’Établissement Cowansville pendant 7 ans. Il a rencontré le fonctionnaire au travail et le connaît depuis 9 ans. Selon M. Fiset, le fonctionnaire était très autonome au travail, son travail était apprécié et il était facile de travailler avec le fonctionnaire.

[149] M. Fiset a su, par des collègues le jour de la suspension du fonctionnaire, que ce dernier avait des problèmes de consommation. M. Fiset a affirmé être prêt à travailler à nouveau avec le fonctionnaire et qu’il avait confiance en lui.

[150] En contre-interrogatoire, M. Fiset a dit qu’il était délégué syndical depuis février 2011. Il a travaillé au moins pendant 5 ans avec le fonctionnaire à Cowansville, et il a gardé le contact avec lui après son transfert à l’Établissement. Il considère le fonctionnaire comme un ami proche.

6. M. Fréchette

[151] L’employeur a soulevé une objection quant à la pertinence du témoignage de M. Fréchette. J’ai entendu le témoignage de M. Fréchette sous réserve de l’objection et de sa force probante.

[152] M. Fréchette, maintenant à la retraite, a expliqué ses fonctions principales à titre de gestionnaire régional du PAE pour le SCC au Québec de 1992 à 2014. Entre autres, il appuyait les comités locaux du PAE, il conseillait la gestion locale, le syndicat et les relations de travail concernant les problèmes liés au mieux-être des employés, il promouvait la santé et le mieux-être des employés et il compilait certaines statistiques, dont le bilan régional du PAE pour 2011-2012 (pièce S-11), qu’il a préparé pour le comité régional consultatif du PAE.

[153] Une grande partie du témoignage de M. Fréchette traitait des processus du PAE et celui donnant accès au centre de thérapie CASA. Il a aussi décrit sa participation dans les plans de retour au travail des employés admis au centre de thérapie CASA. Je considère que résumer son témoignage de façon plus détaillée n’est pas nécessaire pour m’aider à rendre une décision en l’espèce.

C. Contre-preuve de l’employeur

[154] Le Dr Negrete est médecin depuis 1961; il a été diplômé en psychiatrie en 1967. Sa carrière a été consacrée aux troubles liés à la consommation de substances (toxicomanie). Il a été, entre autres, professeur titulaire et chef du programme de psychiatrie des addictions à l’Université de Toronto, professeur titulaire dans le département de psychiatrie de l’Université McGill, et fondateur et directeur pendant 15 ans du Service de toxicomanies du centre universitaire de santé McGill (Centre Griffith Edwards). Depuis 2009, il est professeur émérite de médecine (psychiatrie) à McGill. Le Dr Negrete est auteur ou coauteur de plusieurs publications dans son domaine d’expertise (curriculum vitae du Dr Negrete, pièce E-18, pages 15 à 27) et possède une vaste expérience clinique, sur une période de 52 ans. Pendant cette période, il a traité 12 000 personnes ayant une dépendance chimique. J’ai reconnu le Dr Negrete à titre d’expert dans les domaines de psychiatrie et de toxicomanie.

[155] Tel que le Dr Negrete l’a expliqué dans son rapport d’expertise (pièce E-19), les points qu’il devait aborder dans son analyse étaient les suivants : est-ce que l’expertise de la Dre Marsan comporte des lacunes et, si oui, lesquelles?; son opinion est-elle basée sur des faits incomplets, soit la version du fonctionnaire sans test objectif, physique ou autre?; y a-t-il des erreurs dans le rapport de la Dre Marsan et, si oui, quelles sont-elles?; la conclusion de la Dre Marsan est-elle erronée ou spéculative?

[156] Dans son rapport, le Dr Negrete a signalé qu’on lui avait demandé de formuler une opinion uniquement sur une étude de dossier. Il n’a pas rencontré le fonctionnaire, ni consulté des constations faites à un examen clinique. On lui a remis un dossier contenant les documents suivants : le rapport d’expertise de la Dre Marsan, sa note complémentaire et son curriculum vitae; le dossier médical du fonctionnaire à la Clinique d’urgence Brossard, avec des notes cliniques du Dr Kimlay Pou-Youthoan et un bilan de laboratoire; la demande de prestations d’assurances-invalidité présentée par le fonctionnaire avec les déclarations à l’appui signées par le Dr Pou-Youthoan, son médecin traitant; des certificats médicaux d’incapacité de travailler émis par le Dr Pou-Youthoan et le Dr G. St-Onge.

[157] Le dossier remis au Dr Negrete ne contenait aucune information provenant du centre de thérapie CASA et du Centre de réadaptation en dépendance Le Virage, ni aucun rapport du psychologue traitant qui aurait suivi le fonctionnaire en psychothérapie en 2013, intervention mentionnée dans les déclarations du Dr Pou-Youthoan.

[158] Dans son rapport, le Dr Negrete était d’avis que la Dre Marsan avait assez d’expérience et de connaissances pour être en mesure d’évaluer adéquatement un cas de trouble lié à la consommation de substances psychoactives. Il a cependant signalé qu’elle n’avait pas de formation spécialisée en psychiatrie. De plus, bien que le médecin traitant du fonctionnaire ne soit pas psychiatre, il l’avait diagnostiqué comme étant dépressif, ayant un trouble d’adaptation et ensuite une dépression majeure.

[159] Le Dr Negrete a expliqué que lorsque la dépression est associée à la toxicomanie, il faut faire la différence entre un trouble provoqué par la drogue et une dépression indépendante qui peut exister avec la toxicomanie. Est-ce que la maladie affective existe depuis longtemps ou est-ce qu’il s’agit d’une dépression temporaire causée par un problème ponctuel? Trois possibilités existent et elles seront déterminées par psychoanalyse.

[160] À la question de savoir s’il faut être psychiatre pour diagnostiquer un trouble lié à la consommation, le Dr Negrete a répondu que non. Le médecin traitant du fonctionnaire n’est pas psychiatre, mais il a posé le diagnostic. Un omnipraticien peut faire le lien entre la dépression et la toxicomanie.

[161] Le Dr Negrete a dit qu’en général, le comportement d’un toxicomane est impulsif (par exemple, il peut être insouciant des risques). Cela est très commun chez les toxicomanes et ce comportement se développe souvent avant le début de la toxicomanie. Il faut interroger la personne pour avoir une idée de la personnalité préexistante.

[162] Questionné quant à la différence entre la volonté et le jugement, le Dr Negrete a répondu que le jugement est la capacité de prendre une décision, tandis que la volonté est la capacité d’agir selon ses propres désirs. Quand un toxicomane est en dépression sévère, il consomme plus qu’il ne le veut.

[163] Selon le Dr Negrete, fumer un joint procure un effet pendant 1 heure et demie allant jusqu’à 2 heures. Il est rare qu’une personne puisse fumer 10 joints par jour. Par exemple, en commençant à fumer après le travail, il est presque impossible de fumer 10 joints entre 16 h 30 et 23 h.

[164] Dans son rapport, le Dr Negrete a relevé certaines lacunes de l’expertise de la Dre Marsan. Selon lui, le fait que le fonctionnaire soit un « mouton noir » aux yeux de sa famille aurait dû être examiné par une évaluation psychiatrique afin de faire un pronostic sur son adaptation psychosociale future et sur le risque de récurrence de sa toxicomanie. Même s’il n’y avait aucune évidence d’une pathologie de traits antisociaux, un examen plus complet aurait permis d’écarter un tel diagnostic. De plus, l’omnipraticien traitant du fonctionnaire a diagnostiqué un trouble psychiatrique d’abord en tant que « trouble d’adaptation », puis ensuite en tant que « dépression majeure ». Le Dr Negrete s’est demandé s’il s’agissait d’une maladie affective indépendante, d’un trouble de l’humeur induit par la drogue ou simplement d’un état de détresse temporaire provoqué par les circonstances du fonctionnaire en 2013. De plus, il s’est demandé quel était l’état de cette condition en mars et en août 2014, lorsque le fonctionnaire a été évalué par la Dre Marsan.

[165] Selon le Dr Negrete, les conclusions de la Dre Marsan ne sont pas basées sur des données objectives, puisque tous les renseignements ont été tirés des déclarations du fonctionnaire en entrevue sans tests objectifs. Le Dr Negrete a affirmé que, normalement, une évaluation clinique en toxicomanie doit inclure un dépistage toxicologique à l’aide d’un échantillon d’urine afin de constater objectivement toute consommation de drogues dans les 48 à 72 heures précédentes. Selon lui, le cannabis demeure évident dans l’urine pendant 10 à 14 jours.

[166] Le Dr Negrete a souligné que la Dre Marsan n’avait pas offert de pronostic quant au risque de rechute du fonctionnaire.

[167] En ce qui a trait à la crédibilité des réponses que le fonctionnaire a données à la Dre Marsan lors des deux entrevues, le Dr Negrete a déclaré que si la personne veut biaiser les réponses, elle peut le faire deux fois. Selon lui, ce test peut être fiable, mais il n’est pas valide.

[168] En contre-interrogatoire, on a demandé au Dr Negrete si son expertise était liée au traitement d’une personne ayant un trouble de substance et un trouble de personnalité. Il a répondu que, selon les études, 50 % des personnes ayant une dépendance ont un trouble psychiatrique. En clinique, il fait toujours un examen psychiatrique. Il examine aussi des personnes ayant seulement un problème de substance, qui n’ont aucun problème psychiatrique.

[169] En ce qui a trait au modèle de changement dans la note complémentaire de la Dre Marsan, le Dr Negrete a souligné qu’elle n’avait pas situé le fonctionnaire dans le cercle de changement.

[170] Concernant le test d’urine, le Dr Negrete a dit que le cannabis s’élimine lentement et qu’il demeure dans l’urine entre 7 et 10 jours, si la consommation ne se reproduit pas.

[171] À la question de savoir si l’impulsivité n’est pas exclusive à la dépendance, le Dr Negrete a répondu que cela fait partie des facteurs affectant la dépendance.

[172] À la question de savoir si un trouble de personnalité peut être engendré par la consommation de la drogue, le Dr Negrete a répondu être en désaccord avec le mot « engendré ». Il a expliqué que, si une personne ne consomme pas, certains traits de personnalité qu’elle a ne se manifestent pas avec une telle gravité. La consommation de drogues rend toute perturbation psychologique plus grave, qui ne commence pas nécessairement avec la drogue. Le Dr Negrete a ajouté que le trouble dépressif ne change pas le diagnostic de trouble lié à la substance.

[173] Le Dr Negrete a ensuite été interrogé au sujet du critère du DSM-5 concernant un fort désir ou une forte envie de consommer une substance spécifique (état de besoin). Selon lui, il s’agit plus d’une impulsion que d’un désir. L’individu a le contrôle sur l’impulsion, et l’intensité de l’état de besoin change avec le temps. Si les stimuli ne sont pas là, l’état de besoin est moindre.

[174] À la question de savoir si un toxicomane peut dire la vérité, le Dr Negrete a répondu que, dans certaines circonstances, les toxicomanes sont portés à donner de fausses représentations s’il y a des conséquences immédiates.

[175] En ce qui a trait à son témoignage voulant qu’il soit presque impossible de fumer 10 joints entre 16 h 30 et 23 h, le Dr Negrete a dit que cela est basé sur son expérience clinique avec les patients. Cela n’est pas impossible, mais très rare.

[176] Dans son rapport, le Dr Negrete a dit qu’on ne pouvait pas affirmer que le fonctionnaire n’avait pas de risque de rechute ou que ce risque est bas, car il a consommé de nouveau après la première entrevue avec la Dre Marsan en mars 2014. Selon le Dr Negrete, le fait que le fonctionnaire a recommencé à consommer démontre qu’il y a un risque de rechute.

[177] Concernant les deux entrevues menées par la Dre Marsan afin de déterminer si le fonctionnaire répondrait de la même façon aux mêmes questions, le Dr Negrete a mentionné qu’il s’agissait d’un test de la question, plutôt que du répondant, et que cela ne voulait pas dire que la réponse était valide. On peut répéter un mensonge. Selon le Dr Negrete, il est important de savoir si la réponse est vraie. L’aspect de validité manque à la méthode employée par la Dre Marsan. Le Dr Negrete a donné comme exemple le fait de demander à un toxicomane quelle est sa consommation, et de poser la même question à son épouse pour vérifier si celle-ci confirme la réponse, il aurait alors plus confiance en la réponse du toxicomane.

[178] À la question de savoir s’il est possible que le fonctionnaire ait dit la vérité, le Dr Negrete a répondu dans l’affirmatif, mais a ajouté qu’on aurait dû tester la vérité. Dans les notes du Dr Pou-Youthoan, le fonctionnaire a parfois nié, pendant ses visites de juillet 2013 à janvier 2014, avoir des problèmes de consommation, alors qu’en réalité il consommait.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[179] L’employeur a souligné le fait que, de par ses fonctions de maître-chien et son statut d’agent de la paix, le fonctionnaire devait avoir une conduite irréprochable, et que ses gestes étaient en contradiction avec sa mission et la nature de son travail.

[180] L’employeur a plaidé qu’il avait étayé les faits sur lesquels il s’était fondé pour congédier le fonctionnaire. Il a fait valoir que, lors de l’enquête disciplinaire, le fonctionnaire a reconnu avoir acheté de la drogue et en avoir consommé. Lors de cette entrevue, il a aussi fini par admettre qu’il avait utilisé le véhicule du SCC pour transporter la drogue qu’il avait achetée pour son usage personnel, et qu’il avait mis à risque les habilités du chien détecteur. Ces admissions ont été confirmées par le fonctionnaire lors de son témoignage.

[181] Selon l’employeur, chacun de ces gestes pris indépendamment est fondamentalement incompatible avec les fonctions d’un agent correctionnel, et justifie en soi le congédiement (voir Nicolas c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2014 CRTFP 40). La fonction même du poste occupé par le fonctionnaire et l’un des buts de la DC 566-13 (Programme de chiens détecteurs) est de prévenir l’introduction de la drogue dans l’Établissement, tel que confirmé par les témoignages de M. Bisson et du fonctionnaire.

[182] L’employeur a plaidé que le fonctionnaire avait enfreint l’alinéa 8c) du Code de discipline du SCC, et les paragraphes 3.1 et 3.4 du Code de valeurs et d’éthique du secteur public.

[183] En ce qui a trait à l’alinéa 8c) du Code de discipline du SCC, l’employeur a fait valoir que MM. Lanoie et Poulin ont témoigné à savoir que la conduite du fonctionnaire avait terni l’image du SCC. À l’appui de cet argument, l’employeur a cité Dionne c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel Canada), 2003 CRTFP 69, et Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 10. Dans Dionne, l’arbitre de grief a maintenu le congédiement d’un agent correctionnel pour possession de 0,2 gramme de cocaïne à l’extérieur du lieu de travail. Les médias avaient diffusé les informations relativement à cette infraction. Dans Richer, le congédiement d’un agent correctionnel pour possession de stupéfiants à l’extérieur de son lieu de travail a été maintenu. Bien que l’incident n’ait pas fait l’objet de couverture médiatique, l’arbitre de grief a conclu qu’il était raisonnable que l’employeur n’ait pas à attendre qu’un tel incident soit dévoilé au grand public avant de conclure que l’image du SCC avait été entachée. À cet égard, Richer a fait référence au jugement de la Cour d’appel fédérale dans Tobin c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 254.

[184] L’employeur a plaidé que les agents correctionnels doivent se comporter de façon intègre et exemplaire dans l’exécution de leurs fonctions, ainsi que dans leurs vies personnelles. Ils doivent pouvoir contribuer à la réinsertion sociale des délinquants. Le rapport d’enquête indique que le fonctionnaire fumait du cannabis chez des amis, et son fournisseur de drogues, un ami, savait qu’il travaillait pour le SCC. Peu importe que le fournisseur soit un ami ou pas, la vente de drogues est illégale.

[185] Dans son témoignage, M. Lanoie a affirmé que la plupart des détenus à l’Établissement étaient de grands consommateurs de drogues ou qu’ils étaient impliqués dans le trafic de stupéfiants. La conduite du fonctionnaire le rendait donc vulnérable et l’exposait à des pressions ou au chantage, mettant ainsi à risque la sécurité de l’Établissement et celle des autres employés.

[186] L’employeur a soumis que le public s’attend à ce que les employés du SCC se conforment à la loi afin de maintenir sa confiance dans le système carcéral. L’employeur a posé la question à savoir comment le public réagirait s’il apprenait la conduite du fonctionnaire, et que celui-ci était réintégré dans ses fonctions.

[187] L’employeur a répondu qu’en utilisant un véhicule du SCC pour transporter la drogue qu’il avait achetée pour son usage personnel alors qu’il était muni d’une lettre d’autorisation de l’employeur pour le transport de la drogue, le fonctionnaire mettait en péril l’image du SCC auprès des corps policiers partenaires du SCC.

[188] Pour ce qui est des témoignages des deux personnes qui ont dit être prêtes à travailler à nouveau avec le fonctionnaire, l’employeur a souligné que M. Garneau était le président de la section locale du syndicat, et que M. Fiset était un ami proche.

[189] L’employeur a ensuite fait valoir que, de par ses gestes, le fonctionnaire a rompu le lien de confiance entre lui et l’employeur. Il a relevé ce qu’il a désigné comme étant certaines contradictions dans le témoignage du fonctionnaire, et il a plaidé que celles-ci démontrent un manque de transparence et que le fonctionnaire n’était pas digne de confiance.

[190] La première contradiction soulevée par l’employeur concerne la quantité de cannabis consommé par le fonctionnaire. Lors de son témoignage, le fonctionnaire a dit qu’il était allé voir les ARS parce qu’il était « tanné de se fermer la gueule » et de se faire dire qu’il n’était pas bon. Dans sa réponse au rapport d’enquête (pièce E-12), le fonctionnaire a dit qu’il était « au bout de son rouleau ». L’employeur a souligné que cela n’était donc pas à cause d’une dépendance.

[191] À la suite de sa déclaration aux ARS, en raison de leur réaction, le fonctionnaire a dit qu’il a réduit sa consommation à un seul joint. Le fonctionnaire a dit à M. Poulin qu’il fumait un joint de façon occasionnelle (pièce E-5). Aux enquêteurs, le fonctionnaire a dit qu’il fumait environ un joint par semaine. Dans son rapport, la Dre Marsan a indiqué que le fonctionnaire lui avait dit qu’il fumait 3 à 4 joints par semaine et avait cessé en 2010, alors qu’il avait reçu l’offre d’emploi de maître-chien. Il avait dit à la Dre Marsan qu’en avril 2012, il a recommencé à fumer jusqu’à 10 joints par jour à cause de son conflit avec M. Bisson. Le fonctionnaire a aussi déclaré lors de son témoignage qu’il fumait en moyenne 15 joints par semaine.

[192] L’employeur a fait état du témoignage de M. Lanoie selon lequel le fonctionnaire n’avait pas de problème de rendement ou de comportement au travail, et qu’il ne s’était pas présenté au travail sous l’influence de drogues. De plus, le fonctionnaire avait dit qu’il ne consommait pas lorsque tout allait bien. Selon l’employeur, cela ne cadre pas avec une personne qui est dépendante.

[193] Une autre contradiction relevée par l’employeur est le témoignage du fonctionnaire en contre-interrogatoire voulant qu’il n’ait pas dit à son médecin traitant qu’il consommait de la drogue. Toutefois, après une pause, il a déclaré avoir dit à son médecin qu’il allait suivre une cure de désintoxication. L’employeur a plaidé que le fonctionnaire n’avait pas répondu directement aux questions en contre-interrogatoire et que, par conséquent, je devrais en tirer une conclusion défavorable (voir Gjergo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 303).

[194] L’employeur a ensuite plaidé que la décision de l’employeur de congédier le fonctionnaire était la seule mesure raisonnable dans les circonstances.

[195] L’employeur a fait état des facteurs atténuants dont M. Lanoie a tenu compte, soit : le niveau de transparence du fonctionnaire; sa collaboration pendant l’enquête disciplinaire; ses réponses aux questions posées; sa volonté de se faire aider.

[196] En ce qui a trait aux facteurs aggravants, l’employeur a souligné les facteurs suivants : le fonctionnaire avait le statut d’agent de la paix, un poste qui exige un degré élevé d’intégrité; la nature du travail d’un maître-chien est d’interdire la drogue à l’Établissement; le fonctionnaire avait une relation amicale avec son fournisseur de drogues, ce qui était incompatible avec son statut d’agent de la paix (le fournisseur était un ami et savait que le fonctionnaire était un agent correctionnel (voir Lapostolle c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 138, confirmée par 2013 CF 895)); le manque de jugement du fonctionnaire relativement à son utilisation du véhicule du SCC pour transporter de la drogue pour son usage personnel alors qu’il était muni d’une lettre d’autorisation du SCC pour le transport de drogues aux fins d’entraînement du chien détecteur, exposant ainsi le chien à l’odeur du cannabis, ce qui aurait pu avoir affecter les habilités du chien à exécuter ses tâches. Le fonctionnaire a reconnu que ces faits étaient graves et qu’il avait transporté de la drogue à usage personnel dans le véhicule du SCC à au moins trois reprises. Il ne s’agit donc pas d’un acte d’inconduite isolé. L’inconduite du fonctionnaire est fondamentalement contraire aux lois que le fonctionnaire doit appliquer, et elle est incompatible avec les fonctions d’un agent de la paix (voir Flewwelling c. Canada, [1985] A.C.F. no 1129 (QL) (C.A.)). La confiance et l’intégrité sont des pierres angulaires de la fonction d’agent de la paix. De plus, l’intégrité du programme antidrogue de l’employeur est affectée lorsqu’un maître-chien manipule et consomme de la drogue. Enfin, le fonctionnaire avait peu d’années de service au sein de l’employeur.

[197] L’employeur a fait valoir que le fardeau de la preuve incombait au fonctionnaire en ce qui a trait à la défense médicale. Selon l’employeur, le fonctionnaire n’a pas présenté une preuve de maladie. Les quatre billets de médecin de l’époque (pièce E-17), dont un du centre de thérapie CASA, indiquent que le fonctionnaire avait un problème d’adaptation, mais n’indiquent pas une dépendance à la drogue. L’employeur a souligné que, dans ses conversations avec les ARS et le DAO, le fonctionnaire maintenait que sa consommation n’était que récréative. L’employeur a plaidé que pour que le témoignage d’un expert puisse avoir une valeur probante, il fallait d’abord conclure à l’existence des faits sur lesquels se fonde l’opinion : voir Sanders c. Canada (Procureur général), 2015 CF 556, et Randhawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 7830 (C.F.).

[198] L’employeur a soutenu que la faille du rapport de la Dre Marsan était que son opinion était fondée sur de l’information incomplète et sur une absence de preuve objective. Selon l’employeur, cette opinion était fondée sur ce que le fonctionnaire a bien voulu dire à la Dre Marsan. La Dre Marsan a dit que les renseignements donnés par le fonctionnaire étaient crédibles parce qu’ils ont été donnés à deux reprises sur une période de cinq mois. Le Dr Negrete a dit que le fait de répéter les mêmes réponses deux fois ne veut pas dire que c’est la vérité, mais que les questions ont été comprises de la même manière. L’employeur a de plus fait référence à certains critères du DSM-5 dans le rapport de la Dre Marsan et a soutenu que les dires de la Dre Marsan n’étaient pas appuyés par la preuve. À titre d’exemple où une opinion médicale peut ne pas être déterminante, l’employeur a cité Mallette c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et accise), dossier de la CRTFP 166-02-10203 (19820505).

[199] Concernant le lien entre un trouble de personnalité et la toxicomanie, la Dre Marsan a déclaré que beaucoup de toxicomanes ont des troubles de personnalité et qu’ils sont plus sujets à développer des troubles de consommation. L’employeur a fait valoir que la Dre Marsan avait dit qu’il pouvait y avoir un lien entre un trouble de personnalité et la toxicomanie. Selon elle, le fait que le fonctionnaire soit traité par un autre médecin suffisait pour ne pas traiter de la question de trouble de personnalité du fonctionnaire dans le cadre de son expertise. Cependant, le Dr Negrete a expliqué l’importance de faire le lien pour toute la situation du fonctionnaire, surtout lorsqu’un diagnostic a été posé. Selon le Dr Negrete, on ne peut faire de diagnostic « en silo », ce que, selon lui, a fait la Dre Marsan.

[200] L’employeur avait soulevé une objection à l’admissibilité de la preuve des traitements que le fonctionnaire avait entrepris à la suite de son congédiement, puisqu’elle n’est pas pertinente pour décider si l’employeur avait une cause juste et suffisante pour congédier le fonctionnaire. À l’appui de cette objection, l’employeur a cité Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095 (Cie minière). L’employeur a plaidé qu’il n’y avait pas de preuve convaincante de l’existence d’une maladie du fonctionnaire lorsqu’il l’a congédié, car le rapport de la Dre Marsan avait peu de poids, et qu’à l’époque, les billets médicaux faisaient état d’une autre situation concernant le fonctionnaire.

[201] L’employeur a fait valoir que, si je suis convaincu que le fonctionnaire avait une maladie, il faut alors déterminer si la maladie justifie ses inconduites selon les critères établis dans Canada Safeway Ltd. v. Retail, Wholesale and Department Store Union (1999), 82 L.A.C. (4e) 1 (« Canada Safeway »).

[202] Concernant les critères 2 et 3 du DSM-5 ayant trait au lien entre la maladie et l’inconduite, l’employeur a avancé que la preuve et le rapport du Dr Negrete doivent être préférés au rapport de la Dre Marsan. L’employeur a fait référence à l’extrait suivant du rapport du Dr Negrete : « […] la perte de contrôle qui caractérise le comportement du toxicomane résulte autant du genre de personne qu’il est que des effets neurotoxiques de la substance qu’il consomme. »

[203] L’employeur a plaidé que la toxicomanie n’explique pas le manque de jugement d’une personne et que ce ne sont pas tous les gestes du fonctionnaire qui sont causés par la toxicomanie. Selon l’employeur, le fonctionnaire n’était pas sous l’influence de drogues lorsqu’il a transporté la drogue pour utilisation personnelle dans un véhicule du SCC. Il s’agit plutôt d’une erreur de jugement grave indépendamment de la consommation de drogues. De plus, l’insouciance du fonctionnaire à l’égard de l’impact sur le chien détecteur n’est pas due à une dépendance à la drogue.

[204] L’employeur a cité la décision de l’Alberta Human Rights Tribunal dans Bish v. Elk Valley Coal Corporation, 2012 AHRC 7, qui concernait un employé travaillant dans une mine qui consommait de la cocaïne à l’extérieur du travail. À la suite d’un accident, un dépistage a révélé la présence de cocaïne. L’employé a été congédié pour avoir contrevenu à la politique de la mine qui exigeait la divulgation d’une dépendance pour des raisons de sécurité. En appliquant le critère pour une preuve prima facie de discrimination en vertu de la législation applicable, le tribunal des droits de la personne de l’Alberta a conclu que l’employé avait une dépendance à la drogue, qui était une déficience protégée par la loi, mais que son congédiement ne constituait pas un traitement préjudiciable, puisque la déficience de l’employé n’était pas un des facteurs expliquant son congédiement. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême du Canada (voir Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30).

[205] L’employeur a fait valoir qu’il n’avait pas l’obligation de prendre des mesures d’adaptation envers le fonctionnaire en raison d’une dépendance, puisqu’il n’a pas formulé une telle demande et qu’il n’y a pas de preuve à cet égard. Lors de la rencontre entre le fonctionnaire et M. Lanoie, ce dernier n’a pas observé des signes d’intoxication chez le fonctionnaire et il a cru le fonctionnaire lorsqu’il lui a dit que sa consommation était récréative et qu’il n’avait pas besoin d’aide. De plus, aucun billet médical n’indiquait un problème de dépendance. L’employeur n’avait pas d’information voulant qu’il doive faire quelque chose concernant le fonctionnaire. La preuve n’appuie pas la prétention du fonctionnaire voulant que le fait que M. Lanoie ait accepté qu’il aille au centre de thérapie CASA constitue une reconnaissance que le fonctionnaire avait un problème.

[206] L’employeur a fait valoir que lorsqu’il prend une décision pour le bien-être d’un employé, cela ne veut pas dire qu’il reconnait un problème chez l’employé (voir Ahmad c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 60, confirmée par la Cour fédérale dans le dossier T-1122-13 (20140429)).

[207] L’employeur a soutenu que le témoignage de M. Fréchette n’était pas pertinent, car il s’agissait surtout des étapes du PAE.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[208] Le fonctionnaire a fait valoir que les gestes qu’il a posés n’auraient pas eu lieu sans sa déficience, soit son trouble lié à l’usage de cannabis. Il a ajouté que son congédiement était discriminatoire, car les motifs du congédiement découlaient de sa déficience. Selon le fonctionnaire, l’employeur aurait dû prendre des mesures d’adaptation, puisqu’il était ou aurait dû être au courant de sa déficience. Selon lui, l’employeur aurait dû lui donner une période d’essai afin de voir s’il s’était réhabilité avant de le congédier.

[209] Concernant les aspects du droit applicable, le fonctionnaire a reconnu que le fardeau de la preuve d’un handicap lui appartenait. Si cette preuve est faite, l’employeur doit présenter une défense. En ce qui a trait à la notion de « handicap », le fonctionnaire a cité Mellon c. Canada (Développement des ressources humaines), 2006 TCDP 3.

[210] Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur était au courant, ou aurait dû être au courant, de son handicap lors de l’enquête disciplinaire du 24 juillet 2013, alors qu’il a dit qu’il avait une problématique (voir Toronto Police Service v. Kelly, 2006 CanLII 14403 (ONSCDC)).

[211] L’employeur n’a pas prouvé de contrainte excessive, telle que définie dans Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489. Il s’agissait seulement d’un simple énoncé de faits ou d’opinion par MM. Lanoie et Poulin voulant que la drogue ne soit pas permise à l’Établissement.

[212] Le fonctionnaire a aussi cité les décisions suivantes : Ontario Nurses’ Association v. London Health Sciences Centre, 2013 CanLII 143 (ON LA); Domtar Inc. v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 74, [2011] O.L.A.A. No. 394 (QL); Fearman’s Pork Inc. v. United Food & Commercial Workers International Union, Local 175, [2011] O.L.A.A. No. 388 (QL); Gunderson c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise), dossiers de la CRTFP 166-02-26327 et 26328 (19950912); Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »). Selon le fonctionnaire, l’employeur n’a pas prouvé une exigence professionnelle justifiée; il n’a donc pas satisfait au troisième critère de Meiorin. En ce qui a trait à Cie minière, le fonctionnaire a fait valoir que l’expertise médicale faite subséquemment au congédiement met en lumière des faits qui existaient lorsque l’employeur a pris la décision de le congédier.

[213] Le fonctionnaire a fait référence à Hydro-Québec c. Tremblay, 2007 QCCS 4477, qui a rejeté une requête en révision judiciaire d’une décision dans laquelle un arbitre avait admis en preuve une expertise médicale déposée 13 mois après le congédiement de l’employé. Selon le fonctionnaire, pour certains arbitres, cette preuve est admissible comme preuve de possibilité de réhabilitation et de modification d’une mesure disciplinaire. Le fonctionnaire a aussi cité Dupuis c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, douanes et accise), dossiers de la CRTFP 166-02-18883 et 18893 (19891201); Cape Breton (Regional Municipality) v. Canadian Union of Public Employees, Local 933, 2014 NSSC 97; Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 (« O’Malley »); McKinley c. BC Tel, 2001 CSC 38. En ce qui a trait à la doctrine, le fonctionnaire a cité plusieurs extraits de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition.

[214] Pour ce qui a trait aux faits, le fonctionnaire a fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve qu’il n’avait pas empêché l’introduction de stupéfiants à l’Établissement alors qu’il était maître-chien. Il a bien fait son travail, tel que rapporté dans ses évaluations (pièces S‑3 et S-4), et il n’y a aucune preuve que sa consommation avait un impact sur le chien détecteur. De plus, il n’y a aucune preuve concrète que l’image du SCC a été affectée.

[215] Selon le fonctionnaire, ses difficultés interpersonnelles avec M. Bisson ont exacerbé son problème et il gérait ses problèmes liés au travail en prenant de la drogue. Le fonctionnaire a mis en doute la crédibilité de M. Bisson, car il y avait une tension entre eux, et M. Bisson ne voulait pas qu’il revienne au travail.

[216] Le fonctionnaire a fait valoir qu’on ne peut donner une grande valeur probante aux rapports d’observation (pièces E-2, E-4 et E-5) concernant ce qui s’est passé le 5 juin 2013, car le rapport de M. Bisson a été rédigé le 24 juillet 2013, celui de M. Deschênes a été rédigé le 29 juillet 2013, et celui de M. Poulin a été rédigé le 12 août 2013.

[217] Selon le fonctionnaire, le témoignage de M. Deschênes voulant que le fonctionnaire se rende vulnérable à la pression et au chantage du crime organisé n’était qu’un simple énoncé. Le fonctionnaire a fait valoir que, si on accepte qu’il ait une déficience, on ne peut lui reprocher ses gestes, car les événements en question n’auraient pas eu lieu n’eut été de sa déficience. Selon lui, on ne peut dissocier les événements de sa déficience. Ainsi, l’exposition du chien détecteur au cannabis et l’utilisation du camion du SCC sont dues à la consommation du fonctionnaire. Le fonctionnaire a ajouté qu’il n’aurait pas violé le Code de discipline du SCC et le Code de valeurs et d’éthique du secteur public s’il n’avait pas consommé.

[218] Le fonctionnaire a fait valoir qu’il a été autorisé à travailler entre le 5 juin et le 10 juillet 2013 et que, selon le témoignage de Mme Tremblay fondé sur l’information que la gestion avait alors, il ne représentait pas un risque à la sécurité de l’Établissement. De plus, Mme Tremblay n’avait reçu aucune autre information à son sujet entre le 5 juin et le déclenchement de l’enquête disciplinaire, le 18 juillet 2013.

[219] Le fonctionnaire a soumis que l’employeur prétendait ne pas être au courant de son problème. Selon lui, l’employeur a nié qu’il avait un problème en raison de la réaction des ARS, et il aurait dû prendre des mesures d’adaptation. Le fonctionnaire a plaidé qu’il avait réalisé la gravité de la situation lorsqu’on lui avait enlevé son chien détecteur.

[220] L’employeur disposait des renseignements nécessaires concernant le fonctionnaire pendant l’enquête disciplinaire.

[221] Selon le fonctionnaire, l’employeur a fait preuve de discrimination envers lui, car il n’a jamais pris en considération sa réhabilitation. Les rechutes font partie du processus de réhabilitation. Selon la Dre Marsan, il faut examiner les périodes de rechute et d’absence de consommation et, selon le Dr Negrete, s’il y a eu une rechute, il a eu un changement.

[222] En ce qui a trait au lien entre le fournisseur de drogues du fonctionnaire et le crime organisé, le fonctionnaire a soutenu que cela était dû à sa déficience.

[223] Pour ce qui est du rapport de la Dre Marsan, le fonctionnaire a fait valoir que son mandat concernait uniquement les troubles liés à l’usage de substances, et non pas le développement d’une relation thérapeutique. Pour ce qui est de la collecte de données, ce qu’elle a fait avec le fonctionnaire, elle le faisait pour chaque personne qu’elle rencontrait, soit pour faire l’analyse des faits à la lumière du DSM-5. Selon la Dre Marsan, ce sont les seuls critères pour établir un trouble lié aux substances.

[224] Le fonctionnaire a soumis que le Dr Negrete avait dit qu’un trouble de personnalité ne changeait pas un diagnostic, mais qu’il changeait la comorbidité et le traitement. Selon la Dre Marsan, certains tests pouvaient être altérés à cause de la condition du fonctionnaire. Elle ne faisait pas de tests de façon régulière.

[225] Selon le fonctionnaire, le Dr Negrete a dit que les toxicomanes font de fausses représentations lorsqu’il y a des conséquences et qu’un test d’urine n’aurait pas changé le diagnostic du fonctionnaire.

[226] Le fonctionnaire a poursuivi en répondant à certains arguments de l’employeur. Concernant Richer, le fonctionnaire a fait valoir que l’employé avait dit qu’il n’avait pas de problème de consommation de drogues, tandis qu’en l’espèce, le fonctionnaire a une déficience.

[227] En ce qui a trait à l’argument de l’employeur voulant que le rapport de la Dre Marsan ne repose sur aucune preuve objective, le fonctionnaire a soumis qu’il est difficile d’établir une preuve objective, car il s’agit en l’espèce d’une histoire personnelle vécue et racontée par une personne. Il ne s’agit pas d’une expérience scientifique.

[228] Concernant les propos du fonctionnaire à ses médecins traitants, le fonctionnaire a dit qu’il n’est pas allé dans les détails de sa consommation avec eux, mais qu’il a mentionné qu’il entamait une thérapie.

[229] Le fonctionnaire a demandé que son grief soit accueilli, et qu’il soit réintégré dans ses fonctions avec remboursement pour son salaire perdu. Subsidiairement, il demande qu’une mesure d’adaptation soit prise et que je réserve ma compétence sur les montants qui seraient octroyés.

C. Observations de la CCDP

[230] Les observations de la CCDP sont fondées sur les allégations contenues dans le grief, et non sur de la preuve. Les observations portent sur certaines notions, soit la preuve prima facie de discrimination, les défenses statutaires, les dispositions législatives et la jurisprudence applicable.

[231] Selon la CCDP, les questions relatives aux droits de la personne soulevées dans cette affaire sont les suivantes :

a. M. Nadeau peut-il prouver une preuve prima facie de discrimination en vertu des articles 7 et 10 de la LCDP? Pour cela, il faudra que M. Nadeau démontre :

i. qu’il a une déficience, réelle ou perçue, qui est protégée en vertu de la LCDP,

ii. qu’il a été soumis à un traitement défavorable préjudiciable (incluant le congédiement) dans le cadre de son emploi selon une ligne de conduite,

iii. le traitement défavorable et le congédiement ont été basés entièrement ou en partie sur sa déficience réelle ou perçue (selon l’article 7 de la LCDP) et que ces actions ont aussi été basées sur une ligne de conduite discriminatoire (selon l’article 10 de la LCDP).

b. S’il y a eu de la discrimination prima facie, est ce [sic] que l’employeur peut s’acquitter de son obligation de prouver une défense pour sa conduite? Entre autres, peut-il répondre au fardeau de prouver que sa conduite [sic] basée sur des exigences professionnelles justifiées selon les articles 15(1)a) et 15(2) de la LCDP?

c. Si l’employeur ne parvient pas à réfuter une preuve prima facie de discrimination, quels sont les remèdes appropriés?

 

[232] La CCDP a résumé ses commentaires comme suit dans sa conclusion :

[…]

37. La dépendance à la drogue est un motif de discrimination protégé en vertu de la LCDP. Donc, un employeur a une obligation d’accommoder un employé avec une telle déficience, mais cela s’arrête au point d’une contrainte excessive. La jurisprudence est claire que ceci est le cas même dans des milieux de travail avec des postes critiques pour la sécurité. Si M. Nadeau peut démontrer qu’il a ou avait une déficience et que les actions de l’employeur étaient au moins partiellement basées sur sa déficience, il établit sa preuve prima facie de discrimination. Ensuite, l’employeur doit démontrer qu’il a tenté d’accommoder M. Nadeau jusqu’au point d’une contrainte excessive suite à sa thérapie de désintoxication et avant de le congédier de son emploi. Sinon, le [sic] CRTFP peut déterminer le cas en faveur de M. Nadeau.

[…]

 

D. Réplique de l’employeur

[233] L’employeur a souligné que le rapport de la Dre Marsan indique, qu’en ce qui concerne le DSM-5, il faut une présence d’au moins deux des critères au cours d’une période de 12 mois.

[234] L’employeur a fait valoir que pendant l’enquête disciplinaire, le fonctionnaire a dit qu’il avait un problème, alors que ses billets médicaux indiquaient un trouble d’adaptation. Cela ne veut pas dire qu’il avait un problème de consommation de drogues. À cet égard, l’employeur a fait référence à l’extrait suivant de Mellon, au paragraphe 82 :

[82] Une déficience n’exige pas obligatoirement la preuve d’une limitation physique ou la présence d’une affection quelconque. Bien que la Cour suprême nous rappelle qu’il ne faut pas trop se fonder sur des renseignements médicaux pour établir s’il existe ou non une déficience, il ne suffit pas qu’une personne dise tout simplement qu’elle souffre d’une déficience pour qu’il soit satisfait au critère. Il faut prouver que la déficience existe. Cette preuve peut être tirée des renseignements médicaux et du contexte dans lequel l’acte reproché s’est produit.

 

[235] En ce qui a trait aux rapports d’observation, l’employeur a soutenu qu’ils ont été confirmés par le témoignage de leurs auteurs. Ce ne sont donc pas les dates de rédaction des rapports qui doivent être retenues.

[236] L’employeur a avancé que le fonctionnaire avait soumis qu’il était sujet à la consommation à cause de ses conflits, et non pas parce qu’il pouvait avoir accès à de la drogue. Selon l’employeur, cela est contraire à la position du fonctionnaire voulant qu’il ait une dépendance à la drogue.

[237] L’employeur a fait valoir qu’il y a une différence entre une incompatibilité avec les fonctions d’un employé et l’incompétence. En l’espèce, il ne s’agit pas d’un dossier de rendement insatisfaisant.

IV. Motifs

[238] Le rôle d’un arbitre de grief saisi d’un grief renvoyé à l’arbitrage concernant une mesure disciplinaire consiste à répondre aux trois questions suivantes : le comportement de l’employé est-il établi et justifie-t-il que l’employeur prenne une mesure disciplinaire? Le cas échéant, la mesure disciplinaire imposée était‑elle excessive compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire? Le cas échéant, quelle mesure disciplinaire serait juste et équitable? Voir Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 C.L.R.B.R. 1 (Wm. Scott).

A. Les comportements reprochés au fonctionnaire sont-ils établis?

[239] La partie pertinente de la lettre de licenciement citée précédemment est reproduite de nouveau pour en faciliter la consultation :

[…]

La présente lettre fait suite au rapport d’enquête déposé [sic] 27 septembre 2013 concernant votre aveu de consommation de drogues fait le 5 juin 2013.

[…]

La situation est susceptible de jeter le discrédit sur l’Employeur. Cette situation et vos comportements entrent directement en contradiction avec la nature même des opérations du Service correctionnel du Canada, de sa mission, de vos fonctions de maître-chien et de votre statut d’agent de la paix. Après analyse, je constate que vous avez enfreint le Code de valeurs et d’éthique du secteur public du Canada et le Code de discipline du Service correctionnel du Canada.

À la lumière des manquements retenus, de la revue de la jurisprudence pertinente et des facteurs aggravants et atténuants, je suis d’avis qu’étant donné la gravité des manquements reprochés et de l’incompatibilité de ceux-ci avec les fonctions d’un agent correctionnel, le lien de confiance entre l’employé et l’employeur est irrémédiablement rompu.

[…]

 

[240] Comme la lettre de licenciement réfère au rapport d’enquête, les conclusions du rapport cité précédemment sont reproduites de nouveau ici:

À la lumière des informations recueillies durant la présente enquête, le comité est d’avis que M. Martin Nadeau a commis des manquements relativement aux règles suivantes :

Code de discipline (8c) : « se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service, qu’il soit de service ou non »

Aussi en fonction des mêmes éléments, le comité estime que M. Nadeau a dérogé au Code de valeurs et d’éthique du secteur public en ce qui a trait aux valeurs liées à l’intégrité : « Les fonctionnaires se conduisent toujours avec intégrité et d’une manière qui puisse résister à l’examen public le plus minutieux; cette obligation ne se limite pas à la simple observation de la loi » (3.1). En 3.4 : « Ils agissent de manière de préserver la confiance de leur employeur ».

Tel qu’établi dans la section « Analyse » précédente, le comité estime que la consommation de stupéfiants, l’approvisionnement (quantité achetée), le transport de cette substance dans un véhicule du SCC et l’exposition du chien détecteur constituent des comportements qui sont des manquements sérieux aux règles énoncées plus haut. Ces comportements sont admis par M. Nadeau. Compte tenu de son statut d’agent de la paix, de son rôle d’agent correctionnel et particulièrement son poste de maitre chien [sic], il est susceptible de ternir l’image du SCC. La conduite de l’employé compromet aussi son rôle d’autorité face à la clientèle du SCC.

[Les caractères gras le sont dans l’original]

 

[241] La preuve a démontré que le fonctionnaire a admis qu’il consommait de la drogue, et qu’il achetait de la drogue en quantités de 14 ou 28 grammes; qu’à au moins trois reprises, il a transporté la drogue pour son usage personnel dans un véhicule du SCC alors qu’il était muni d’une lettre d’autorisation pour le transport de drogues aux fins d’entraînement du chien détecteur; et que le chien a été exposé à l’odeur du cannabis, mettant à risque ses habilités. Dans sa réponse au rapport d’enquête (pièce E-12) et en contre‑interrogatoire, le fonctionnaire a reconnu que la consommation de la drogue était incompatible avec son statut d’agent de la paix et de maître-chien. Vu la preuve et ces admissions, j’accepte que l’employeur a prouvé les comportements reprochés au fonctionnaire.

B. Les comportements reprochés au fonctionnaire justifient-ils que l’employeur prenne une mesure disciplinaire et, le cas échéant, la mesure disciplinaire était-elle excessive?

[242] Pour décider si la prise d’une mesure disciplinaire était justifiée, je dois traiter des allégations du fonctionnaire voulant que son congédiement est discriminatoire puisque dû à une déficience, soit un trouble lié à l’usage de drogues.

[243] En l’espèce, l’employeur a imposé une mesure disciplinaire pour quatre comportements reprochés au fonctionnaire. Selon mon appréciation de la preuve, ces comportements consistent d’une part de comportements liés à une déficience du fonctionnaire et d’autre part, de comportements où il n’y a pas de lien avec sa déficience. Je traiterai donc de ces comportements tour à tour.

1. Comportements du fonctionnaire liés à sa déficience

[244] Je considère que les comportements du fonctionnaire liés à sa déficience sont les suivants : la consommation de stupéfiants et l’approvisionnement. Je procéderai donc en premier à l’analyse de ces comportements du fonctionnaire.

[245] Lorsqu’il s’agit des questions touchant la LCDP, un arbitre de grief possède les pouvoirs prévus aux alinéas 226(1)g) et h) de la LRTFP, qui se lisent comme suit :

226. (1) Pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut :

[…]

g) interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de celle-ci sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes, ainsi que toute autre loi fédérale relative à l’emploi, même si la loi en cause entre en conflit avec une convention collective;

h) rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

[…]

 

[246] L’article 7 de la LCDP stipule que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu.

[247] L’article 3 de la LCDP prévoit que la déficience fait partie des motifs de distinction illicite, et l’article 25 précise que le terme « déficience » comprend la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue.

[248] Afin de démontrer que l’employeur a posé un acte discriminatoire, le fonctionnaire doit présenter une preuve prima facie de discrimination, soit une preuve « qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (O’Malley).

[249] Pour établir une preuve prima facie de discrimination, le fonctionnaire doit démontrer qu’il possède une caractéristique protégée par la LCDP contre la discrimination, qu’il a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61).

[250] Il n’est pas nécessaire que des considérations discriminatoires soient les seules raisons pour lesquelles la mesure disciplinaire a été prise pour qu’une allégation de discrimination soit fondée. Il suffit que la discrimination soit un facteur dans la décision de l’employeur (Holden v. Canadian National Railway Co. (1990), 112 N.R. 395 (F.C.A.)). La norme de preuve dans les causes de discrimination est la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités (Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (ministère de la Défense nationale), [1996] 3 C.F. 789 (C.A.) au para 33; Canada (Procureur général) c. Montreuil, 2009 CF 60, au para 22).

[251] L’employeur doit répondre à une preuve prima facie de discrimination pour éviter une conclusion défavorable, en présentant des éléments de preuve démontrant soit que la discrimination alléguée n’a pas eu lieu, soit que ses agissements n’étaient pas discriminatoires. L’employeur peut par ailleurs invoquer un moyen de défense prévu par la loi qui justifie son acte discriminatoire (A.B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35). En l’espèce, la disposition pertinente est l’article 15 de la LCDP, qui se lit en partie comme suit :

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

[…]

 

[252] Dans Meiorin, la Cour suprême du Canada a précisé au paragraphe 54 comment déterminer si une norme imposée par l’employeur est effectivement une exigence professionnelle justifiée. L’employeur doit établir, selon la prépondérance des probabilités :

[…]

(1) qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

(2) qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

(3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

 

[253] Dans Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (Grismer), la Cour suprême du Canada a précisé que l’employeur doit démontrer qu’il a pris des mesures d’adaptation, à moins qu’elles ne constituent une contrainte excessive.

[254] Pour les raisons qui suivent, je conclus que le fonctionnaire a réussi à établir une preuve prima facie de discrimination concernant ses comportements liés à sa dépendance au cannabis.

[255] En ce qui a trait au premier volet d’une preuve prima facie de discrimination, j’estime que la preuve a démontré qu’à l’époque pertinente, le fonctionnaire avait une déficience, soit une dépendance à la drogue. Tel qu’indiqué au bilan de thérapie du centre de thérapie CASA, le fonctionnaire y a fait un séjour en cure fermée du 25 juillet au 22 août 2013, avec prolongation les 27 et 28 août, les 3, 4, 10, 17 et 24 septembre, et les 1er et 4 octobre 2013. J’estime que ce bilan de thérapie satisfait le premier volet d’une preuve prima facie de discrimination.

[256] Qui plus est, dans son rapport d’expertise médicale du 20 septembre 2014, la Dre Marsan a conclu que, selon les critères du DSM-5, le fonctionnaire avait un trouble sévère lié à l’usage du cannabis depuis 2012. La Dre Marsan a rencontré deux fois le fonctionnaire, soit en mars et en août 2014.

[257] Dans son rapport, le Dr Negrete était d’accord avec la conclusion de la Dre Marsan. Dans son rapport d’expertise, le Dr Negrete a écrit ce qui suit : « Si l’on se fie à l’histoire de consommation dont la Dre. [sic] Marsan fait état dans son rapport, il ne peut rester aucun doute sur la dite conclusion diagnostique. » En l’absence de preuve à l’effet contraire, je n’ai pas de motif de douter de la véracité des informations que le fonctionnaire a communiqué à la Dre Marsan, surtout compte tenu de la candeur dont il a fait preuve dans le cadre de l’enquête disciplinaire. Je note que ni l’une ni l’autre des parties n’a soulevé d’objection au dépôt en preuve des rapports d’expertise préparés subséquemment au licenciement.

[258] Le deuxième volet d’une preuve prima facie de discrimination a été satisfait, c’est-à-dire que le fonctionnaire a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi, car l’employeur a refusé qu’il continue de travailler (en le licenciant).

[259] Il s’agit maintenant de déterminer si le troisième volet d’une preuve prima facie de discrimination a été rencontré, soit que la déficience du fonctionnaire a constitué un facteur dans son licenciement.

[260] La lettre de licenciement fait référence au rapport d’enquête. Dans son rapport, le comité d’enquête était d’avis qu’à la lumière des informations recueillies, le fonctionnaire avait commis des manquements à l’alinéa 8c) du Code de discipline du SCC et aux paragraphes 3.1 et 3.4 du Code de valeurs et d’éthique du secteur public. Le rapport d’enquête identifie ces manquements comme suit : la consommation de stupéfiants, l’approvisionnement (quantité achetée), le transport de cette substance dans un véhicule du SCC et l’exposition du chien détecteur à l’odeur de ces stupéfiants. J’estime que d’après la preuve, les deux premiers de ces comportements sont liés à la dépendance du fonctionnaire à la drogue.

[261] Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur était au courant de sa déficience, ou aurait dû en être au courant, à la date du licenciement. Lors de son entrevue avec les enquêtrices le 24 juillet 2013, il leur avait dit qu’il avait un problème. Le rapport d’enquête mentionne qu’« À ce moment de l’entrevue, M. Nadeau dit reconnaître avoir un problème de toxicomanie. » Le rapport d’enquête indique aussi ce qui suit : « Il dit être un homme orgueilleux et trouver cela difficile d’admettre sa problématique mais il précise vouloir s’en sortir ». Le rapport d’enquête confirme que : « M. Nadeau a demandé l’aide du PAE suite à la suspension et a accepté d’aller en cure fermée dans une ressource spécialisée. » De plus, selon le témoignage non contredit du fonctionnaire, l’employeur avait assumé la plupart des frais de sa thérapie fermée au centre de thérapie CASA. Donc en date du 24 juillet 2013, l’employeur savait que le fonctionnaire avait un problème lié à la consommation de la drogue pour lequel il est allé en cure fermée le lendemain, 25 juillet 2013.

[262] Par ailleurs, M. Lanoie a reconnu que lors de l’audience disciplinaire du fonctionnaire le 8 octobre 2013, celui-ci lui a remis son bilan de thérapie émis par le centre CASA. M. Lanoie a témoigné qu’il avait alors compris que le fonctionnaire y avait participé.

[263] La preuve démontre clairement que l’employeur savait dès le 24 juillet 2013, et sans équivoque le 8 octobre 2013, que le fonctionnaire avait une dépendance à la drogue avant de le licencier le 22 novembre 2013. Je conclus donc que la déficience du fonctionnaire, liée à sa consommation de stupéfiants et à son approvisionnement en stupéfiants, a constitué un facteur dans son licenciement et que le fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination.

[264] Le fonctionnaire ayant réussi à établir une preuve prima facie de discrimination, il incombe à l’employeur d’y répondre en présentant des éléments de preuve démontrant sur une prépondérance des probabilités soit que la discrimination alléguée n’ait pas eu lieu, soit que ses agissements n’étaient pas discriminatoires, ou que le licenciement découle d’exigences professionnelles justifiées selon l’article 15 de la LCDP.

[265] L’employeur n’a présenté aucune preuve voulant que la discrimination n’a pas eu lieu ni que ses agissements en l’espèce n’étaient pas discriminatoires. Comme il n’a pas réfuté la preuve prima facie de discrimination concernant les comportements du fonctionnaire liés à sa déficience, il s’agit maintenant de déterminer si l’employeur a établi une défense fondée sur l’article 15 de la LCDP, soit une exigence professionnelle justifiée.

[266] Tel qu’expliqué précédemment dans cette décision, l’employeur doit établir, selon la prépondérance des probabilités, les trois éléments suivants (Meiorin) : 1) il a adopté la norme interdisant la consommation de cannabis dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail ; 2) il a adopté cette norme en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail; 3) cette norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail, c’est-à-dire qu’il est impossible de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la dépendance au cannabis sans que l’employeur en subisse une contrainte excessive. L’employeur n’a pas traité de ces questions dans la présente affaire.

[267] L’employeur n’a présenté aucune preuve d’exigence professionnelle justifiée concernant la consommation du cannabis ni qu’il a envisagé des mesures raisonnables d’adaptation à l’égard de la déficience du fonctionnaire. La contrainte excessive n’a jamais été alléguée. Dans le cadre de son argumentation, l’employeur a fait valoir qu’il n’avait pas d’obligation de prendre de mesure d’adaptation à l’égard du fonctionnaire en raison d’une déficience, puisque ce dernier n’a pas formulé une telle demande. Je ne suis pas convaincu qu’une telle obligation incombe au fonctionnaire lorsque l’employeur savait que le fonctionnaire avait des problèmes de dépendance au cannabis avant de le licencier.

[268] Selon l’employeur, la preuve n’appuie pas la prétention du fonctionnaire voulant que le fait que M. Lanoie ait accepté qu’il aille au centre de thérapie CASA constitue une reconnaissance que le fonctionnaire avait un problème de dépendance. À l’appui de cet argument, l’employeur a cité Ahmad pour soutenir sa prétention que lorsqu’il prend une décision pour le bien-être d’un employé, cela ne veut pas dire qu’il reconnaît un problème chez l’employé.

[269] Dans Ahmad, l’arbitre de grief a conclu que l’employé n’avait pas réussi à démontrer qu’il avait une déficience (invalidité physique) qui l’empêchait d’accomplir les fonctions de son poste. Toutefois, contrairement à l’employeur en l’espèce, l’employeur dans Ahmad a proposé à l’employé plusieurs mesures d’adaptation afin qu’il puisse exercer ses fonctions. L’arbitre de grief a conclu que l’employé avait manqué à son obligation de collaborer dans le processus d’élaboration de mesures d’adaptation initiés par l’employeur.

[270] J’estime que l’employeur n’a ni réfuté la preuve prima facie de discrimination concernant les comportements du fonctionnaire liés à sa déficience ni établi une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée à cet égard, De plus, en ne tenant pas compte de la déficience du fonctionnaire et en refusant d’envisager des mesures d’adaptation à cet égard, l’employeur a fait montre de discrimination. Les comportements du fonctionnaire liés à sa déficience ne justifiaient donc pas que l’employeur prenne une mesure disciplinaire à leur égard.

2. Comportements du fonctionnaire non liés à sa déficience

[271] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’utilisation par le fonctionnaire du véhicule du SCC pour transporter des stupéfiants pour son usage personnel et l’exposition du chien détecteur à l’odeur de ces stupéfiants ne sont pas liées à sa dépendance au cannabis.

[272] Dans sa réponse écrite au rapport d’enquête, le fonctionnaire a déclaré qu’il n’a utilisé le véhicule du SCC à ces fins qu’à trois reprises. En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a reconnu qu’il allait souvent chez ses parents lorsqu’il était en congé, mais qu’il n’a utilisé le véhicule du SCC qu’à quelques occasions.

[273] La preuve devant moi indique qu’à l’époque, le fonctionnaire ne s’est pas soucié de la possibilité qu’en transportant de la drogue à son usage personnel dans le véhicule du SCC dans lequel était le chien détecteur, il aurait pu nuire aux habilités du chien. La preuve démontre cependant clairement que le chien est un outil important afin d’interdire la drogue dans l’Établissement. Le chien a subi un entraînement rigoureux dont les coûts sont substantiels. Les gestes du fonctionnaire auraient pu mettre à risque les habilités du chien, qui est une ressource précieuse de l’employeur.

[274] Le fonctionnaire a soumis que, si on accepte qu’il avait une déficience, on ne peut lui reprocher ses gestes. Autrement dit, on ne peut dissocier les événements de sa déficience. Cependant, le fonctionnaire n’a présenté aucune preuve à l’effet que l’utilisation du véhicule du SCC pour transporter des stupéfiants pour son usage personnel ou que l’exposition du chien détecteur à l’odeur de ces stupéfiants était liée à sa déficience.

[275] Dans sa note complémentaire du 2 octobre 2014 (pièce S-8), la Dre Marsan a eu à traiter de la question suivante :

[…]

Dans quelle mesure, lorsqu’une personne est atteinte d’une dépendance, comme le cas de Monsieur Nadeau, cela affecte sa capacité à reconnaître la situation dans laquelle elle est : de reconnaître sa dépendance, ou la personne est plutôt dans une situation de dénie?

[…]

 

[276] C’est en réponse à cette question que la Dre Marsan a fait référence au modèle transthéorique du changement de Prochaska et Di Clemente. Toutefois, elle n’a pas appliqué ce modèle à la situation du fonctionnaire. Dans son rapport d’expertise, le Dr Negrete a identifié ce qui suit comme une lacune dans le rapport de la Dre Marsan dans les termes suivants :

[…]

La Dre. Marsan a répondu à la question supplémentaire au sujet de la tendance du toxicomane à nier ou à ne pas percevoir son problème, avec une description détaillée sur les étapes du processus de changement, selon le modèle transthéorique proposé par Prochaska et DiClemente. Ce modèle est généralement accepté comme un approche utile pour bien comprendre l’attitude et la motivation du toxicomane envers sa réadaptation et, par la qualité de son exposé, la Dre. Marsan démontre en posséder une bonne connaissance. Cependant, elle ne l’a fait qu’en termes théoriques et généraux, sans rapport spécifique à la situation de M. Nadeau au moment de son évaluation. De manière qu’à la fin de la lecture on reste sans savoir à quel point du processus de changement placerait-elle monsieur au moment de l’examen […]

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[277] Le rapport d’expertise de la Dre Marsan n’indique pas que la déficience du fonctionnaire aurait eu pour effet de supprimer tout contrôle qu’il aurait eu en ce qui concerne les gestes qu’il a posés. Ni le témoignage du fonctionnaire ni aucune autre preuve n’a démontré que le fonctionnaire n’était pas en contrôle de ses gestes lorsqu’il a utilisé le véhicule du SCC pour transporter des stupéfiants pour son usage personnel. De plus, aucun élément de preuve n’a été offert pour expliquer pourquoi le fonctionnaire avait utilisé le véhicule du SCC à ces occasions, au lieu d’utiliser le véhicule personnel qu’il utilisait d’habitude. Je suis donc d’avis que le fonctionnaire n’a pas réussi à prouver, selon une prépondérance des probabilités, que cette utilisation n’aurait pas eu lieu s’il n’avait pas de déficience. Je conclus que le fonctionnaire n’a donc pas rencontré le fardeau qui lui incombait d’établir une preuve prima facie de discrimination quant à son utilisation du véhicule du SCC pour transporter des stupéfiants pour son usage personnel et l’exposition du chien détecteur à l’odeur de ces stupéfiants. Il s’agit maintenant de déterminer si la prise d’une mesure disciplinaire par l’employeur à cet égard était justifiée.

[278] Le fonctionnaire connaissait les règles de l’employeur. Dans la lettre d’offre d’emploi du fonctionnaire en tant que maître‑chien, qu’il a accepté en la signant, il est stipulé que le fonctionnaire devait respecter le Code de valeurs et d’éthique du secteur public et le Code de discipline. Dans son témoignage, le fonctionnaire a reconnu qu’il avait accès à ces documents.

[279] Les paragraphes 3.1 et 3.4 du Code de valeurs et d’éthique du secteur public stipulent que les fonctionnaires doivent se conduire avec intégrité et d’une manière à résister à l’examen public le plus approfondi, ainsi que d’agir de manière à préserver la confiance de leur employeur.

[280] Le Code de valeurs et d’éthique du secteur public indique que la reconnaissance des valeurs et comportements attendus est une condition d’emploi de tous les fonctionnaires du secteur public fédéral et que tout manquement peut entraîner des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.

[281] Le fonctionnaire a été licencié pour avait enfreint l’alinéa 8c) du Code de discipline (DC 060) du SCC, et les paragraphes 3.1 et 3.4 du Code de valeurs et d’éthique du secteur public. L’alinéa 8c) prévoit que commet une infraction l’employé qui « se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service, qu’il soit de service ou non ». Tel qu’il est indiqué précédemment, les infractions énumérées à l’article 8 du Code de discipline sont liées à la norme de conduite énoncée à l’article 7 relativement à la conduite et l’apparence des employés, qui prévoit ce qui suit :

Conduite et apparence

7. Le comportement des employés, qu’ils soient de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter d’une façon qui projette une bonne image professionnelle, tant par leurs paroles que par leurs actes. De même, lorsqu’ils sont de service, leur apparence et leurs vêtements doivent refléter leur professionnalisme et être conformes aux normes de santé et de sécurité au travail.

[Je souligne]

 

[282] L’utilisation du véhicule du SCC par le fonctionnaire pour transporter des stupéfiants pour son usage personnel a eu lieu à l’extérieur de ses heures de travail. Sa conduite doit être appréciée en fonction des règles établies dans le Code de discipline (voir Tobin aux paragraphes 47 et suivants).

[283] De plus, le fonctionnaire a transporté des stupéfiants, qu’il avait achetés pour son usage personnel, dans un véhicule du SCC alors qu’il avait une lettre d’autorisation fournie par l’employeur pour le transport de stupéfiants pour fins d’entraînement du chien détecteur. M. Bisson a expliqué que les maîtres-chiens sont munis d’une telle lettre au cas où ils seraient interceptés par la police.

[284] Parmi les motifs allégués par l’employeur dans la lettre de licenciement figurait celui voulant que la conduite du fonctionnaire fût susceptible de jeter le discrédit sur l’employeur, contrairement à l’alinéa 8c) du Code de discipline. Dans Tobin, aux paragraphes 60 à 62, la Cour d’appel fédérale a déterminé le type de preuve nécessaire pour appuyer ce motif. Le paragraphe 62 se lit comme suit :

[62] Il en va de même pour la question de savoir si une conduite donnée porte atteinte à la réputation du SCC. Il s’agit d’une question dont le traitement commande une dose de bon sens et de discernement. L’arbitre a commis une erreur en la réduisant à une question de preuve empirique.

 

[285] Ces gestes posés par le fonctionnaire n’étaient pas un acte isolé, puisqu’il a admis avoir utilisé le véhicule du SCC au moins à trois reprises pour transporter des stupéfiants qu’il avait achetés pour son usage personnel. J’estime qu’il s’agit d’un grave manque de jugement. Le bon sens veut que l’employeur ne soit pas tenu d’attendre qu’une interception du fonctionnaire par la police ait lieu avant de conclure que pareille conduite est susceptible de jeter le discrédit sur le SCC. Le bon sens veut aussi que le public s’attende à ce qu’un agent correctionnel, ayant le statut d’agent de la paix, se comporte selon la loi. De plus, j’estime que la conduite du fonctionnaire ne « […] puisse résister à l’examen public le plus approfondi […] » mentionné à l’article 3.1 du Code de valeurs et d’éthique du secteur public.

[286] Il convient de rappeler la nature des fonctions qu’occupait le fonctionnaire. Le fonctionnaire était un agent correctionnel qui avait le statut d’agent de la paix. De plus, il était un maître-chien, dont la responsabilité est d’interdire la drogue dans un établissement correctionnel. Le fonctionnaire occupait donc un poste qui exige un degré élevé d’intégrité. La jurisprudence développée sous le régime de la LRTFP veut que les agents correctionnels doivent se conformer à des normes de conduite plus élevées que les autres fonctionnaires. Dans McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, on mentionne ce qui suit au paragraphe 80 :

80. Il est bien connu en droit que la confiance et l’honnêteté sont les pierres angulaires d’une relation employeur-employé solide, surtout lorsque l’employé occupe un poste de confiance. Les agents correctionnels sont soumis à des règles de conduite plus rigoureuses que les autres fonctionnaires. Ils sont les garants de l’intégrité et de la protection des lois du Canada, de l’établissement correctionnel, des détenus et du personnel. Toute érosion de la confiance qu’on leur porte ne pourra que saper les bases de l’organisation et avoir un effet négatif sur ceux qui s’en remettent à cette organisation […]

 

[287] Cette décision a été suivie dans Bridgen c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 92 (demande de contrôle judiciaire rejetée : 2014 CAF 237) dans les termes suivants au paragraphe 106 :

106. En général, pour ce qui est d’établir ce qui représente une inconduite dans le cas d’un agent correctionnel, il ressort clairement de la jurisprudence que les agents correctionnels sont soumis à des règles de conduite plus rigoureuses que les employés qui assument d’autres fonctions (McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, paragraphe 80). Il en est ainsi parce que [traduction] « les personnes engagées au sein des services correctionnels savent que leur employeur attend davantage de leur part que d’autres types de travailleurs » (Govt. of the Province of British Columbia v. B.C. Government Employees’ Union (Larry Williams Grievance), [1985] B.C.C.A.A.A. No. 26 (Chertkow) (QL); affaire citée dans Government of British Columbia v. British Columbia Government and Service Employees’ Union (Jaye Grievance), [1997] B.C.C.A.A.A. No. 813 (Hope), paragraphe 28 (QL)).

 

[288] Dans Lapostolle, l’arbitre de grief s’est exprimée comme suit au paragraphe 71 :

71. L’exercice d’une charge publique, dont les fonctions comprennent l’exercice de l’autorité du gouvernement dans le milieu carcéral, exige des caractéristiques personnelles d’équité et d’intégrité. Qui accepte le métier d’agent correctionnel, accepte aussi les contraintes personnelles qui vont avec ce métier, soit de privilégier les intérêts de l’employeur et d’agir en tout temps avec probité, même à l’extérieur des heures de travail. Ce type de contrainte n’est pas unique à l’agent correctionnel, mais fait partie de tout autre emploi qui comprend des fonctions d’agent de la paix. Ce sont les principes énoncés dans Flewwelling et Dionne avec lesquels je suis d’accord. Par conséquent, je rejette l’objection du fonctionnaire à l’effet que l’employeur n’a pas le droit de regard sur les activités qui relèvent de sa vie privée.

 

[289] Je conclus que dans les circonstances, l’employeur était justifié d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire à l’égard de l’utilisation du véhicule du SCC pour transporter des stupéfiants pour son usage personnel et l’exposition du chien détecteur à l’odeur de ces stupéfiants. Les comportements du fonctionnaire non liés à sa déficience justifiaient que l’employeur prenne une mesure disciplinaire à leur égard.

C. La mesure disciplinaire imposée est-elle excessive et si oui, quelle mesure disciplinaire serait juste et équitable?

[290] Il s’agit maintenant de déterminer si la mesure disciplinaire prise par l’employeur est proportionnelle à la gravité de l’inconduite.

[291] L’employeur a licencié le fonctionnaire en s’appuyant sur les quatre comportements qu’il lui reprochait. Comme je l’ai déjà indiqué, j’ai conclu que cette décision était discriminatoire en partie.

[292] Je traiterai d’abord de l’argument de l’employeur voulant que si j’accepte que le fonctionnaire a une déficience et que la réintégration à son emploi est envisagée, je dois alors déterminer si sa déficience justifie ses inconduites selon les critères établis dans Canada Safeway, qui peuvent être résumés comme suit :

a) Y a-t-il une maladie, une condition ou une situation vécue par le fonctionnaire?

b) Y a-t-il un lien entre la maladie, la condition ou la situation et l’inconduite?

c) S’il y a un lien entre la maladie, la condition ou la situation et l’inconduite, y a-t-il eu déplacement suffisant de la responsabilité du fonctionnaire pour rendre sa conduite moins coupable?

d) Si les trois premiers éléments sont établis, le tribunal doit également être convaincu que le fonctionnaire peut se réadapter.

 

[293] Cette décision concerne une employée occupant le poste de caissière qui a été congédiée pour vol. Elle a plaidé entre autres que sa conduite était due à des problèmes personnels et psychologiques. Même en l’absence de preuve médicale ou psychologique, le tribunal d’arbitrage a accepté sur la seule base du témoignage de l’employée qu’il existait un lien entre ses problèmes et sa conduite. Toutefois, le tribunal d’arbitrage a conclu que l’employée était responsable de sa conduite.

[294] Tout d’abord, la question de droits de la personne n’a pas été soulevée dans Canada Safeway. D’ailleurs, cette décision, émise en janvier 1999, précédait les jugements de la Cour suprême du Canada dans Meiroin (septembre 1999) et Grismer (décembre 1999).

[295] Qui plus est, la décision Canada Safeway a précédé l’entrée en vigueur, le 1er avril 2005, de l’article 210 de la LRTFP, qui permet à une partie à un grief individuel de soulever, dans le cadre du renvoi à l’arbitrage du grief, une question liée à l’interprétation ou à l’application de la LCDP. C’est ce que le fonctionnaire a fait en l’espèce.

[296] Tel que je l’ai déjà indiqué, lorsqu’il s’agit des questions touchant la LCDP, un arbitre de grief possède les pouvoirs prévus aux alinéas 226(1)g) et h) de la LRTFP, soit entre autres ceux d’interpréter et d’appliquer la LCDP sauf certaines exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce.

[297] Comme j’ai déjà fait une analyse de la déficience du fonctionnaire dans le cadre de la LCDP, j’ai déjà répondu à la plupart des questions en jeu dans Canada Safeway et je ne crois pas que l’approche développée dans Canada Safeway soit extrêmement utile en l’espèce.

[298] Pour déterminer une mesure disciplinaire proportionnelle dans les circonstances de cette affaire, il faut considérer que le fonctionnaire a fait preuve de manque de jugement grave en utilisant un véhicule du SCC pour transporter des stupéfiants pour son usage personnel alors qu’il était muni d’une lettre d’autorisation du SCC pour le transport de drogues aux fins d’entraînement du chien détecteur, et ce, en toute connaissance de cause. De plus, le fonctionnaire a admis avoir utilisé le véhicule du SCC à ces fins à aux moins trois reprises.

[299] Le fonctionnaire a témoigné que la plupart du temps, il utilisait son véhicule personnel pour transporter des stupéfiants pour son usage personnel. Toutefois, il n’a fourni aucune explication pour avoir utilisé le véhicule du SCC au lieu de son véhicule personnel.

[300] J’ai déjà conclu que la conduite du fonctionnaire à cet égard était susceptible de jeter le discrédit sur le SCC et que sa conduite ne « […] puisse résister à l’examen public le plus approfondi […] » mentionné à l’article 3.1 du Code de valeurs et d’éthique du secteur public.

[301] La lettre de licenciement indique qu’avant de prendre sa décision, l’employeur a considéré les facteurs aggravants et atténuants entourant l’ensemble des comportements reprochés au fonctionnaire. M. Lanoie a déclaré qu’il a considéré les facteurs aggravants suivants : l’achat de quantités importantes de stupéfiants; le transport de drogues dans le véhicule du SCC; l’exposition du chien détecteur à l’odeur de ces stupéfiants et la période s’étalant sur des mois. En ce qui concerne l’achat de stupéfiants et ce sur une période de plusieurs mois, ces facteurs concernent un des comportements liés à la déficience du fonctionnaire pour lesquels une mesure disciplinaire n’est pas justifiée. Les facteurs atténuants dont il dit avoir tenu compte étaient le niveau de transparence du fonctionnaire, sa collaboration pendant l’enquête, ses réponses aux questions posées et sa volonté de se faire aider.

[302] M. Lanoie a déclaré qu’il considérait les facteurs atténuants insuffisants pour prévaloir sur les infractions graves du fonctionnaire. Toutefois, cela était en fonction de l’ensemble des comportements sur lesquels l’employeur s’est appuyé comme motifs du licenciement et j’ai déjà conclu que les comportements du fonctionnaire liés à sa déficience ne justifient pas que l’employeur prenne une mesure disciplinaire à leur égard.

[303] Cela étant dit, pour les raisons que j’ai déjà exprimées, la conduite du fonctionnaire concernant l’utilisation du véhicule du SCC et son insouciance face au risque de nuire aux habilités du chien détecteur justifient une mesure disciplinaire sévère. Je suis particulièrement sensible au fait que l’utilisation du véhicule du SCC par le fonctionnaire pour transporter des stupéfiants pour son usage personnel était susceptible de jeter le discrédit sur le SCC et à celui que l’exposition du chien détecteur à l’odeur de ces stupéfiants aurait pu nuire aux habilités du chien, qui avait subi un entraînement rigoureux, dont les coûts sont substantiels. Je tiens compte aussi de la jurisprudence constante de la Commission voulant que les agents correctionnels soient soumis à des règles de conduite plus rigoureuses que les autres fonctionnaires.

[304] En ne retenant que l’utilisation du véhicule du SCC par le fonctionnaire pour transporter des stupéfiants pour son usage personnel et l’exposition du chien détecteur à l’odeur de ces stupéfiants, je conclus que le licenciement est une mesure disciplinaire trop sévère. Je n’accepte pas la prétention de l’employeur voulant que chacun de ces comportements pris indépendamment est fondamentalement incompatible avec les fonctions d’un agent correctionnel et justifie en soi le congédiement. Il faut plutôt tenir compte de tous les facteurs aggravants et atténuants en l’espèce.

[305] En plus des faits atténuants mentionnés par l’employeur, je dois aussi considérer ceux qui suivent :

a) la preuve présentée par l’employeur à l’appui du licenciement était composée exclusivement des déclarations que le fonctionnaire lui avait faites dans le cadre de l’enquête disciplinaire;

b) le fonctionnaire a admis, dans le cadre de l’enquête disciplinaire et à l’audience devant moi, tous les comportements que l’employeur lui reprochait;

c) le fonctionnaire a reconnu, dans le cadre de l’enquête disciplinaire et à l’audience devant moi, l’incompatibilité de ces comportements et de ses fonctions d’agent de la paix;

f) le fonctionnaire a reconnu la gravité de ces comportements à l’audience devant moi.

 

[306] Je crois aussi qu’il faut ajouter aux facteurs atténuants le fait que l’employeur a autorisé le fonctionnaire à continuer à travailler à l’Établissement du 5 juin au 10 juillet 2013 parce que la gestion avait déterminé qu’il ne représentait pas un risque à la sécurité de l’Établissement fondé sur l’information qu’elle avait alors. Mme Tremblay a témoigné qu’elle n’avait reçu aucune autre information au sujet du fonctionnaire entre le 5 juin 2013 et le déclenchement de l’enquête disciplinaire le 18 juillet 2013.

[307] Tous les facteurs atténuants démontrent que, contrairement à ce que prétend l’employeur, le lien d’emploi n’est pas irrémédiablement rompu dans les circonstances. Je considère plutôt qu’il faut donner un poids substantiel à ces facteurs atténuants, qui reflètent clairement le potentiel de réhabilitation du fonctionnaire dans un emploi au sein du SCC.

[308] Dans les circonstances, j’estime qu’une suspension de six mois sans rémunération est juste et équitable.

[309] Parmi les mesures correctives réclamées dans son grief, le fonctionnaire a demandé d’être réintégré à son poste de maître-chien ou subsidiairement dans d’autres fonctions. Il a aussi plaidé subsidiairement qu’une mesure d’adaptation soit prise.

[310] Comme la déficience du fonctionnaire existait à la date de son licenciement, et que son état actuel est inconnu, il y a lieu qu’un professionnel de la santé évalue si le fonctionnaire a des limitations personnelles à l’égard desquelles l’employeur devra prendre des mesures d’adaptation pour le réintégrer au travail. Il est donc inapproprié que je le réintègre dans son poste de maître-chien dans ces circonstances.

[311] Le grief ne mentionne pas les indemnités prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP. Le fonctionnaire n’a pas demandé de telles indemnités à l’audience.

[312] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[313] Le grief est accueilli en partie.

[314] Je déclare que le défaut de l’administrateur général de tenir compte de la déficience du fonctionnaire et d’envisager des mesures d’adaptation à son égard est discriminatoire.

[315] Je déclare que les comportements du fonctionnaire liés à sa déficience ne justifient pas de mesure disciplinaire.

[316] Je déclare que les comportements du fonctionnaire non liés à sa déficience justifient une mesure disciplinaire.

[317] Je déclare que le licenciement est une mesure disciplinaire excessive.

[318] J’ordonne ce qui suit :

a) le licenciement du fonctionnaire est remplacé par une suspension de six (6) mois sans solde;

b) le fonctionnaire est réintégré comme agent correctionnel de groupe et niveau CX-02, avec solde et sans perte d’avantages sociaux, à compter du 22 mai 2014;

c) dans les soixante (60) jours de cette décision, l’administrateur général remboursera au fonctionnaire, sa solde au groupe et niveau CX-02 à compter du 22 mai 2014, compte tenu des déductions d’usage;

d) dans les soixante (60) jours de cette décision, l’administrateur général rétablira la solde du fonctionnaire au groupe et niveau CX-02 et ses avantages sociaux à compter de la date du remboursement prévu au paragraphe 318c) de cette décision;

e) dans les quatre-vingt-dix (90) jours de cette décision, le fonctionnaire déposera auprès de l’administrateur général une évaluation des limitations personnelles du fonctionnaire faite par un professionnel de la santé;

f) dans les quatre-vingt-dix (90) jours du dépôt d’une évaluation des limitations personnelles du fonctionnaire faite par un professionnel de la santé mentionné au paragraphe 318e) de cette décision, l’administrateur général réintégrera le fonctionnaire au travail dans un poste au groupe et niveau CX-02 pour lequel il est qualifié, tout en prenant des mesures d’adaptation à son égard, le cas échant.

 

[319] Je demeure saisi pendant quatre-vingt-dix (90) jours de la date de cette décision à l’égard de toute question liée au calcul des sommes dues au titre des paragraphes 318b) et c) de cette décision.

Le 13 avril 2018.

Steven B. Katkin,

arbitre de grief

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