Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que la défenderesse avait manqué à son obligation de mettre en application la convention collective pertinente – la défenderesse a soutenu que la Commission n’avait pas compétence pour instruire la plainte – toutefois, la Commission a conclu qu’en l’absence d’un libellé limitatif à l’alinéa 190(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, en vertu de laquelle la plainte a été présentée, les plaintes ne sont pas limitées aux parties à une convention collective, à savoir l’agent négociateur et l’employeur – par conséquent, la Commission peut instruire la plainte d’un fonctionnaire visée à cet alinéa – quant au défaut allégué de mise en application de la convention collective, la Commission a conclu que la défenderesse l’avait mise en application et que le plaignant n’a présenté aucune preuve du contraire – toutefois, la Commission a observé que les préoccupations du plaignant ne portaient pas sur la mise en application, mais sur la façon dont la convention collective était interprétée et appliquée – étant donné que la plainte concernait la question de la mise en application, la Commission ne pouvait rendre aucune détermination quant à l’interprétation et à l’application de la convention collective – néanmoins, elle a indiqué qu’en général un employé ne peut déposer un grief contestant l’interprétation ou l’application d’une convention collective, à moins d’avoir le soutien de l’agent négociateur – cependant, si cette personne croit que la représentation de l’agent négociateur devient injuste, il ou elle peut s’y opposer, s’il y a des preuves d’une représentation arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180518
  • Dossier:  561-02-777
  • Référence:  2018 CRTESPF 46

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

PEDRO SOUSA-DIAS

plaignant

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Sousa-Dias c. Alliance de la Fonction publique du Canada


Affaire concernant une plainte visée à l’alinéa 190(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral


Devant:
Catherine Ebbs, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant:
Lui-même
Pour la défenderesse:
Nina Ziolkowski
Affaire entendue à Kingston (Ontario),
Du 31 octobre au 2 novembre 2017 et le 4 janvier 2018.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1        Pedro Sousa-Dias (le « plaignant ») est un employé de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC ») au point d’entrée de Lansdowne, en Ontario. Il est membre du Syndicat des Douanes et de l’Immigration (le « SDI »), un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (la « défenderesse »).

2        Le 11 décembre 2015, le plaignant a déposé cette plainte en vertu de l’alinéa 190(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C.  2003, ch. 22, art. 2; la « LRTFP »). Dans sa plainte, il allègue que la défenderesse a omis de mettre en application la convention collective, en l’occurrence la Convention entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada; Groupe Services frontaliers (tous les employé-e-s), qui venait à échéance le 20 juin 2014 (la « convention collective »).

3        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la LRTFP pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéralet la Loi sur les relations de travail et l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

4        Une audience a eu lieu du 31 octobre au 2 novembre 2017. Les parties ont présenté à la Commission un exposé conjoint des faits et un recueil conjoint de documents. Les témoins du plaignant étaient lui-même et Wanda Hogan, déléguée en chef, succursale de l’Est de l’Ontario, SDI. Les témoins de la défenderesse étaient Jean-Pierre Fortin, président national du SDI, et Kim Poirier, présidente de la succursale de l’Est de l’Ontario, SDI.

5        Les parties ont présenté leurs plaidoyers finaux à la Commission lors de la continuation de l’audience le 4 janvier 2018.

6        La Commission doit trancher les deux questions suivantes :

  • La Commission a-t-elle compétence pour instruire la plainte?
  • Si oui, la plainte est-elle fondée?

7        Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Commission a compétence pour instruire cette plainte. Toutefois, comme le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que la plainte était fondée, la plainte est rejetée.

II. Compétence de la Commission

A. Positions des parties

8        La plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)e) de la Loi, qui est libellée comme suit :

190(1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

e) l’employeur ou l’organisation syndicale a contrevenu aux articles 117 (obligation de mettre en application une convention) ou 157 (obligation de mettre en œuvre la décision arbitrale) […]

9        L’article 117 est libellé comme suit :

117 Sous réserve de l’affectation par le Parlement, ou sous son autorité, des crédits dont l’employeur peut avoir besoin à cette fin, les parties à une convention collective commencent à appliquer celle-ci :

  1. au cours du délai éventuellement prévu à cette fin dans la convention;
  2. en l’absence de délai de mise en application, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de la signature de la convention ou dans le délai plus long dont peuvent convenir les parties ou que fixe la Commission sur demande de l’une ou l’autre des parties.

10        La défenderesse affirme que la Commission n’a pas compétence pour instruire cette plainte et que l’alinéa 190(1)e) a pour objectif d’examiner les enjeux entre les parties à la convention collective, soit le Conseil du Trésor et la défenderesse. Elle renvoie au paragraphe 4:1100 de Brown and Beatty, Canadian Labour Arbitration, quatrième édition, qui précise que [traduction] « […] l’élément essentiel d’une convention collective réside dans le fait qu’elle est conclue entre un employeur et un syndicat. » La défenderesse soulève que la Loi renvoie à ce principe lorsqu’elle définit la convention collective comme étant une convention écrite conclue entre l’employeur et un agent négociateur (voir le paragraphe 2(1)). De plus, la Loi définit les parties comme suit : « […] [l]’employeur et l’agent négociateur, dans le cas de négociations collectives, d’un arbitrage, de la conciliation ou d’un différend » (voir le paragraphe 4(1)).

11        La défenderesse précise que dans Richmond c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 22, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) était saisie d’une plainte selon laquelle l’employeur avait omis de mettre en application la convention collective. Le commissaire avait décidé que la CRTFP ne pouvait pas instruire la plainte, car le plaignant n’était pas couvert par la convention collective en question. En outre, même s’il n’était pas tenu de rendre une décision à ce sujet, le commissaire a souligné que « […] [l]a question de savoir si un employé couvert par la convention collective peut se prévaloir de la disposition n’est pas claire […] » (voir le paragraphe 62).

12        La défenderesse fait valoir que le fait de trancher en faveur du plaignant établirait un précédent d’une grande portée avec des conséquences qui ne sont pas prévues par la Loi.

13        La défenderesse indique de plus que les préoccupations du plaignant ne portent pas sur la mise en application de la convention collective. Elles portent plutôt sur un différend quant à l’interprétation et à l’application des dispositions. L’interprétation et l’application d’une convention collective sont du ressort des agents négociateurs, et non des membres individuels.

14        Enfin, la défenderesse affirme que l’article 117 porte sur les délais de mise en application d’une convention collective et que le plaignant n’a présenté aucune preuve quant au respect de ces délais. Dans Paradis c. Fraser, 2009 CRTFP 130, la Commission a mentionné ce qui suit au paragraphe 9 : « [l]es articles 117 et 157 de la Loi traitent des délais de mise en œuvre d’une convention collective négociée ou d’une décision d’un tribunal d’arbitrage. Aucun fait ou aucune allégation dans la plainte ne fait état du non-respect de ces délais. »

15        Le plaignant rétorque que l’alinéa 190(1)e) ne limite pas son utilisation aux parties à une convention collective et que, au contraire, il prévoit clairement que la Commission doit examiner toute plainte déposée en vertu de cette disposition et mener une enquête à ce sujet.

B. Analyse

16        Il n’y a nul doute que les parties à la convention collective sont le Conseil du Trésor et la défenderesse, et qu’elles sont tenues d’en assurer la mise en œuvre.

17        Cependant, à mon avis, cela ne mène pas à la conclusion que seules les parties à la convention collective peuvent porter plainte en vertu de l’alinéa 190(1)e) de la Loi.

18        Comme l’indique le plaignant, l’alinéa 190(1)e) ne contient aucun libellé limitatif. Il indique que « [l]a Commission instruit toute plainte dont elle est saisie […] » [je souligne].

19        Par conséquent, je conclus que la Commission a compétence pour instruire cette plainte.

20        La défenderesse soulève la préoccupation qu’une conclusion voulant que la Commission puisse instruire une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)e) de la part d’un plaignant qui n’est pas partie à une convention collective créerait un précédent dangereux. J’ai considéré ce point de vue. Toutefois, à mon avis, l’ajout de la limitation demandée par la défenderesse impliquerait une restriction que le législateur n’a pas incluse.

21        La défenderesse affirme de plus que l’article 117 de la Loi porte véritablement sur les délais de mise en application et que le plaignant n’a présenté aucune preuve selon laquelle un délai aurait été enfreint. Je suis d’accord qu’il établit la période pendant laquelle les parties peuvent faire ce qui est nécessaire pour mettre en application une convention collective. Pendant cette période, personne ne peut se plaindre de la non-application de la convention collective. À la fin de la période, la mise en application doit avoir eu lieu.

22        J’estime que lorsqu’il a affirmé que la mise en application n’avait pas eu lieu, le plaignant a implicitement adopté la position que les délais de mise en application étaient venus à échéance, ce qui a été démontré en preuve. L’article 117 de la Loi précise que le délai de mise en application est soit la date indiquée dans la convention collective à cette fin, ou dans les 90 jours suivant sa signature, ou tout délai plus long établi par la Commission s’il y a entente entre les parties. La convention collective n’indique pas de date de mise en application et aucune preuve n’a été présentée quant à un délai plus long établi par la Commission. Par conséquent, la mise en application devait avoir lieu dans les 90 jours de la date de signature de la convention collective qui, en l’occurrence, était le 17 mars 2014.

23        La défenderesse maintient aussi que la Commission n’a pas compétence parce que la plainte ne porte pas sur la mise en application, mais plutôt sur l’application de dispositions déjà mises en œuvre. En d’autres mots, la Commission n’a pas compétence parce que la plainte est sans fondement. Je conclus que la question de savoir si le plaignant réussit ultimement à démontrer le bien-fondé de la plainte n’en est pas une de compétence, mais bien de mérite.

24        La Commission a demandé aux parties de fournir leurs observations en ce qui concerne deux cas précédents en matière de compétence et de plaintes en vertu de l’alinéa 190(1)e). Dans Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28, la CRTFP a instruit une plainte d’un membre selon laquelle son agent négociateur avait omis de mettre en application la convention collective lorsqu’il a refusé de le représenter dans le cadre d’un grief contre l’employeur. La CRTFP a conclu que les articles 157 et 117 ne s’appliquaient pas et a déclaré que « [c]’est l’employeur du plaignant qui est responsable de la mise en application de conventions collectives ou de décisions arbitrales, et non l’agent négociateur » (voir le paragraphe 19).

25        Dans Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 64, la CRTFP a conclu de même dans des circonstances similaires et a ajouté que « [l]e plaignant ne semble pas comprendre qu’il ne peut pas imputer à son agent négociateur les problèmes qu’il a eus avec son employeur » (voir le paragraphe 15).

26        Le plaignant affirme que ces décisions ne s’appliquent pas en l’espèce, car elles ont commencé par un différend avec l’employeur, et non avec l’agent négociateur. Il indique aussi que, contrairement à la déclaration dans la première décision Halfacree selon laquelle seul l’employeur est responsable de la mise en application d’une convention collective, l’alinéa 190(1)e) désigne l’employeur et l’organisation syndicale comme éventuels sujets d’une plainte au sujet d’une omission de mettre en application.

27        La défenderesse soutient que les décisions Halfacree sont pertinentes et qu’elles démontrent que l’alinéa 190(1)e) ne peut être invoqué pour se plaindre au sujet de l’administration d’un contrat par opposition à sa mise en application.

28        Je conclus que les décisions Halfacree ne sont pas utiles, car l’objet de la présente affaire est l’appendice B de la convention collective, qui fait partie de la convention collective que l’agent négociateur devait mettre en application. De plus, contrairement à ces affaires, la présente plainte n’est aucunement liée à un différend avec l’employeur.

III. Bien-fondé de la plainte

A. Contexte

29        Le plaignant est d’avis que la défenderesse n’a pas mis la convention collective en application dans les deux cas suivants :

  • le processus choisi en 2015 pour établir un aménagement d’horaire de poste variable (AHPV) au point d’entrée de Lansdowne ne respectait pas la convention collective, en particulier l’appendice B;
  • le « Protocole d’entente » établissant le nouvel AHPV pour ce point d’entrée contient des dispositions de modification qui vont à l’encontre de la convention collective, en particulier l’appendice B.

30        Pour comprendre les positions des parties en ce qui concerne le premier cas de cette plainte, il est utile de connaître ce que dit la convention collective au sujet des AHPV, comment est organisé le SDI et la façon dont les AHPV ont été négociés au point d’entrée de Lansdowne. En ce qui concerne le second cas, il est important de revoir les dispositions du Protocole d’entente du point d’entrée de Lansdowne concernant le processus de modification.

Aménagements d’horaires de postes variables

31        La convention collective prévoit des règles pour l’établissement des horaires de postes (voir les clauses 25.13 à 25.23). Cependant, des consultations peuvent être menées au niveau local en vue d’établir des AHPV mutuellement acceptables qui se distinguent des horaires de postes décrits dans la convention collective (à la clause 25.24).

32        L’appendice B de la convention collective établit le processus d’établissement ou de modification d’une AHPV.

33        L’article 1 indique que « [l]e présent appendice vise à fournir aux parties un processus destiné à faciliter la conclusion d’une entente au niveau local, dans les délais prescrits. »

34        L’article 2 établit le processus des pourparlers relatifs aux AHPV. Les préoccupations du plaignant portent sur la première partie du processus d’AHPV, décrit dans la convention collective de la façon suivante :

2.1   La consultation au niveau local prévue à l’alinéa 25.24a) de la convention collective doit avoir lieu dans les cinq (5) jours suivant l’avis déposé par l’une des deux parties de revoir un [AHPV] ou d’en négocier un nouveau. […]

[…]

2.3   Les pourparlers au niveau local doivent se conclure dans les cinq (5) semaines suivant la première rencontre prévue au paragraphe 2.1 ci-dessus.

2.4   Si les parties conviennent d’un AHPV au niveau local, le Syndicat doit présenter l’horaire aux employé-e-s pour ratification.

2.5   Si les pourparlers au niveau local ne débouchent pas sur un accord concernant l’AHPV proposé, les parties doivent immédiatement renvoyer les points en litige aux représentants du Syndicat et aux représentants régionaux de l’Employeur pour la suite du processus de consultation.

[…]

2.7   Les recommandations conjointes des représentants désignés au paragraphe 2.5 ci-dessus relativement aux questions en suspens ou à un horaire proposé en vertu d’un AHPV doivent être soumises à l’examen du comité local pendant au plus une (1) semaine.

2.8   Si les parties conviennent d’un AHPV au niveau local, le Syndicat doit présenter l’horaire aux employé-e-s pour ratification. Dans le cas contraire, le Syndicat doit mettre aux voix le dernier AHPV proposé par l’Employeur.

[…]

L’organisation du SDI

35        Les membres du SDI sont organisés en 23 succursales comptant chacune un certain nombre d’unités de travail. Les membres de chaque succursale élisent un exécutif de succursale (un président, des vice-présidents, un secrétaire et un trésorier). Le président d’une succursale est son directeur général. Les délégués, qui sont élus ou nommés, aident les membres des diverses unités de travail de la succursale. Il y a aussi un niveau national, comprenant un exécutif national, le congrès national et un conseil d’administration national.

Pourparlers relatifs aux AHPV du point d’entrée de Lansdowne en 2015

36        Le 14 septembre 2015, l’ASFC a fait parvenir un courriel à la succursale de l’Est de l’Ontario du SDI, en particulier à la présidente de la succursale (Mme Poirier) et au délégué en chef. L’ASFC y indiquait qu’elle souhaitait commencer des consultations afin de négocier une nouvelle AHPV pour le point d’entrée de Lansdowne.

37        Dans son courriel, l’ASFC indiquait que [traduction] « [p]ar conséquent, la direction et les représentants des employés se conformeront à l’appendice B de la convention collective ». Elle indiquait aussi les noms des deux personnes qui agiraient en son nom dans le cadre des pourparlers relatifs aux AHPV.

38        Après avoir reçu le courriel, Mme Poirier s’est employée à choisir les personnes qui représenteraient le SDI au sein du comité de négociation des AHPV, qui comprendrait aussi les deux représentants de l’ASFC. Elle a sollicité les conseils de plusieurs représentants du SDI à ce sujet, y compris le président national (M. Fortin) et d’autres présidents de succursale.

39        Le même jour, Mme Poirier a écrit à plusieurs représentants de la succursale de l’Est de l’Ontario, y compris le plaignant. Elle leur a dit que l’ASFC souhaitait négocier de nouvelles AHPV pour le point d’entrée de Lansdowne. Elle a aussi indiqué qu’elle souhaitait obtenir des conseils quant à la composition du comité de négociation de l’AHPV et aux négociations elles-mêmes.

40        Le 15 septembre 2015, Mme Poirier a demandé à rencontrer les représentants syndicaux, y compris le plaignant qui, à l’époque, était deuxième vice-président exécutif du SDI pour la succursale de l’Est de l’Ontario. Il n’était pas disponible.

41        Toujours le 15 septembre 2015, elle a envoyé un courriel aux membres du SDI au point d’entrée de Lansdowne pour les aviser des pourparlers relatifs aux AHPV. Elle a indiqué que [traduction] « [c]omme vous le savez sans doute, la direction nous a signifié son intention de négocier une nouvelle [AHPV], conformément à l’appendice B de la convention collective. »

42        Dans son courriel, elle a indiqué que le comité de négociation d’AHPV était en voie d’être formé et qu’il serait composé de deux représentants de l’employeur et de deux membres volontaires du SDI n’occupant pas de charges syndicales. Mme Poirier a indiqué qu’un représentant syndical volontaire serait là pour [traduction] « offrir des conseils et de l’aide au comité, » mais qu’aucun représentant syndical ne ferait officiellement partie du comité de négociation de l’AHPV.

43        Mme Poirier a expliqué son raisonnement comme suit :

[Traduction]

« Conformément aux autres pratiques de la succursale et aux pratiques antérieures a décidé [sic] que, afin de veiller à ce que tous les membres touchés par cet avis aient l’occasion de faire partie du comité qui les représentera, je cherche deux membres volontaires qui n’occupent pas de charges syndicales pour siéger à ce comité. Je cherche aussi un volontaire qui occupe une charge syndicale pour offrir des conseils et de l’aide au comité, le cas échéant. »

[Je souligne]

44        Les membres du comité ont été choisis par vote électronique des membres. Le plaignant ne s’est pas porté volontaire.

45        Le comité de négociation de l’AHPV a tenu des réunions. Il a ensuite fait circuler d’éventuels AHPV et les membres en ont choisi un par vote.

46        Le comité de négociation de l’AHPV a aussi préparé un cadre de référence pour le nouvel AHPV. Il se trouve dans un « Protocole d’entente » (PE) entre la section locale 027 du SDI et l’AFPC.

47        Le 31 octobre 2015, les membres ont ratifié le nouvel AHPV, ainsi que le mandat.

Processus de modification du PE du point d’entrée de Lansdowne

48        La clause 1.2 précise la portée du PE comme suit :

[Traduction]

1.2     Les dispositions de la présente entente ne doivent pas être considérées exhaustives, mais elles doivent être appliquées conjointement avec la convention collective des Services frontaliers entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada et être considérées comme faisant partie de cette convention collective.

49        L’article 5 décrit le processus de modification comme suit :

[Traduction]

5.1     Le comité d’établissement des horaires surveillera en permanence l’application de l’horaire en fonction des exigences actuelles relatives à la circulation.

5.2     Cette entente peut être modifiée par consentement mutuel, par avis de 30 jours civils, suivant des consultations sur les motifs d’une telle modification. Aucun changement ne sera apporté à l’horaire sans l’accord mutuel du comité d’établissement des horaires.

5.3     Au besoin, en raison des niveaux de dotation, des lignes peuvent être ajoutées ou éliminées de l’AHPV de façon à maintenir le ratio actuel de 2/2/3, 4/4, 5/4/4/3, 4/3/3/2.

5.4     Avant la période de repopulation de l’AHPV de 48 semaines, le comité se réserve le droit d’apporter des ajustements au ratio de 2/2/3, 4/4, 5/4/4/3, 4/3/3/2 lignes si les employés manifestent un intérêt et que cela est faisable d’un point de vue opérationnel. Il ne s’agit aucunement d’une réouverture de l’AHPV.

B. Position du plaignant

50        Le plaignant affirme que, lorsque l’appendice B renvoie à la question de faciliter la conclusion d’une entente au « niveau local » par des « consultations locales », cela signifie que les représentants syndicaux au niveau de l’unité de travail contrôlent les consultations pour les cinq premières semaines. Ce n’est que lorsque les représentants locaux sont incapables de conclure une entente que les représentants du niveau de la succursale sont appelés à agir. Par conséquent, le plaignant croit que la présidente de la succursale a eu tort de décider qu’il y aurait un comité de négociation de l’AHPV et que ce comité ne comprendrait aucun représentant syndical.

51        Le plaignant croit aussi que le processus de modification du PE représente un défaut de mise en application de la convention collective car, dans deux cas, il va à l’encontre de cette convention. Premièrement, il permet de modifier une AHPV sans suivre la procédure requise. Deuxièmement, il exige la constitution d’un comité permanent, ce que la convention collective n’exige pas.

C. Position de la défenderesse

52        La défenderesse affirme que la convention collective ne contient aucun libellé qui prévoit que les cinq premières semaines de consultation doivent être menées exclusivement par les représentants syndicaux locaux. La convention collective ne comprend aucun détail quant à l’organisation d’une consultation locale.

53        La défenderesse suggère aussi que, compte tenu de l’organisation du SDI, la succursale est en fait l’équivalent de ce que l’appendice B désigne comme étant le niveau local.

D. Discussion

54        Cette plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)e) et de l’article 117 de la Loi. Le plaignant allègue que la défenderesse n’a pas mis en application les dispositions de la convention collective concernant l’AHPV.

55        Il est important de bien comprendre le sens de « mise en application ». Selon le dictionnaire Cambridge, « mise en application » signifie [traduction] « l’action de mettre un plan en action ou de commencer à utiliser quelque chose ». Cette notion est confirmée dans la version française de l’article 117 de la Loi qui se lit comme suit :

117 Sous réserve de l’affectation par le Parlement, ou sous son autorité, des crédits dont l’employeur peut avoir besoin à cette fin, les parties à une convention collective commencent à appliquer celle-ci :

  1. au cours du délai éventuellement prévu à cette fin dans la convention;
  2. en l’absence de délai de mise en application, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de la signature de la convention ou dans le délai plus long dont peuvent convenir les parties ou que fixe la Commission sur demande de l’une ou l’autre des parties.

[Je souligne]

56        Dans le contexte en question, dès que l’employeur et l’agent négociateur concluent une convention collective et après sa ratification par les membres, il y a un moment où les dispositions de la convention collective doivent être entrées en vigueur. Dès lors, ses dispositions deviennent exécutoires pour les deux parties et la convention collective est considérée comme ayant été mise en application.

57        La preuve démontre que l’ASFC, le SDI, la défenderesse et le plaignant agissaient comme si les dispositions étaient en vigueur et devaient être respectées  dans le cadre de toute négociation AHPV.

58        Par exemple, dans son premier courriel au SDI exprimant son désir de négocier une nouvelle AHPV pour le point d’entrée de Lansdowne, la représentante de l’ASFC a indiqué que [traduction] « […] la direction souhaite amorcer une consultation en vue de négocier une nouvelle [AHPV] pour le point d’entrée de Lansdowne, comme le prévoit la clause 25.24a) de la convention collective ». Elle a ajouté que [traduction] « [p]ar conséquent, la direction et les représentants des employés se conformeront à l’appendice B de la convention collective ».

59        Le SDI croyait qu’il était lié par la convention collective. Dans son courriel avisant les membres de la demande de l’ASFC, Mme Poirier a indiqué que, [traduction] « [c]omme vous le savez sans doute, la direction nous a signifié son intention de négocier une nouvelle [AHPV], conformément à l’appendice B de la convention collective […] ».

60        Le plaignant a aussi démontré qu’il croyait que la convention collective était en vigueur et qu’elle devait être respectée. Selon la position du plaignant, les parties étaient liées par l’appendice B. De plus, dans une de ses communications au président national, il a mentionné que [traduction] « […] pour ce qui est de la négociation d’une AHPV, seule [la convention collective] doit être prise en considération ».

61        Il est donc clair que les parties se croyaient liées par les dispositions de la convention collective et qu’ils avaient commencé à les appliquer.

62        Selon la preuve dont je suis saisie, je conclus que la défenderesse avait mis en application la convention collective, en particulier l’appendice B. Le plaignant n’a présenté aucune preuve du contraire. Par conséquent, la plainte est rejetée.

IV. Observations

63        La preuve démontre que les préoccupations du plaignant ne portaient pas sur la mise en application, mais plutôt sur la façon dont la convention collective doit être interprétée et appliquée.

64        Le plaignant demande à la Commission de clarifier le rôle des représentants syndicaux dans les consultations locales sur l’AHPV et d’ordonner que le processus de modification du PE soit déclaré caduc.

65        Je ne peux rendre aucune détermination quant à l’interprétation et à l’application de la convention collective car, en l’espèce, je ne peux qu’examiner la question de la mise en application. Toutefois, je formule les observations qui suivent.

66        L’appendice B décrit une négociation de l’AHPV qui débute au niveau local. Cette description peut porter à confusion dans le contexte du SDI, qui est uniquement organisé par niveaux nationaux et par succursales. Ses documents ne définissent pas « niveau local ».

67        Dans le présent contexte, la communication initiale de l’ASFC concernant la négociation de l’AHPV en vertu de l’appendice B offre une certaine orientation. La représentante de l’ASFC y identifiait le point d’entrée de Lansdowne, une unité de travail comprise dans la succursale de l’Est de l’Ontario, comme étant le lieu de l’AHPV. Il est raisonnable de croire qu’en l’espèce, cette unité de travail représentait le niveau local et que les consultations ont commencé à ce niveau.

68        Je note cependant que l’appendice B ne mentionne rien en ce qui concerne qui organise les consultations locales, comment elles devraient être menées et qui devrait y participer.

69        Le processus de modification du PE semble prévoir la possibilité de modifier l’AHPV sans avoir à suivre le processus de l’appendice B. Cependant, le PE indique aussi que les dispositions du PE « doivent être appliquées conjointement avec la convention collective des Services frontaliers […] » (voir le paragraphe 1.2).

70        Le plaignant se demande à quel recours il a accès s’il n’est pas d’accord avec son agent négociateur quant à l’interprétation et à l’application de la convention collective.

71        La Loi reconnaît que l’agent négociateur est chargé d’appliquer et d’interpréter la convention collective. Un employé ne peut déposer de grief s’il n’est pas d’accord avec une interprétation, à moins d’avoir le soutien de l’agent négociateur, ce qui est peu probable s’il s’agit d’un différend avec ce même agent négociateur. Dans Cavanagh c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 24, la CRTFP a expliqué comme suit la raison d’être de cette règle :

[24] Étant donné qu’un agent négociateur représente tous les employés membres d’une unité de négociation lorsqu’il négocie une convention collective, par nécessité, il doit participer à la présentation de tout grief ayant trait à l’interprétation ou à l’application de la convention collective, puisqu’il doit s’assurer de représenter les intérêts de l’unité de négociation dans son entièreté […]

72        Par conséquent, en général, un employé ne peut déposer un grief contestant l’interprétation ou l’application d’une convention collective par son agent négociateur. Cependant, si cette personne croit que la représentation de l’agent négociateur devient injuste au point d’être arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi, il ou elle peut déposer une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi (mentionnant l’article 187, représentation inéquitable par l’agent négociateur).

73        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

74        La Commission a compétence pour instruire cette plainte.

75        La plainte est rejetée.

Le 18 mai 2018.

Traduction de la CRTESPF

Catherine Ebbs,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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