Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé deux plaintes contestant la nomination intérimaire et la nomination pour une période indéterminée de la personne nommée – il soutenait que la personne nommée ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles ou ne détenait pas la certification professionnelle requise pour le poste – il a aussi soutenu qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité de la part des personnes qui ont pris part au processus de nomination, étant donné qu’ils étaient également impliqués dans les questions de relations de travail entre le plaignant et l’intimé, ou qu’ils en ont été informés – le plaignant a également soutenu que l’intimé ne l’a pas évalué adéquatement – la Commission a conclu que les décisions de l’intimé en ce qui concerne la nomination de la personne nommée étaient raisonnables – une personne informée ne percevrait pas que le processus de nomination était entaché par la partialité – il n’y avait rien de déraisonnable dans l’évaluation du plaignant – la Commission était convaincue que l’intimé avait conclu de façon appropriée que la personne nommée respectait les qualifications essentielles et la certification professionnelle requise pour le poste – la Commission a conclu en notant que la personne nommée était entièrement qualifiée pour le poste, qu’elle avait obtenu les meilleurs résultats à l’évaluation et que la nomination de la personne nommée pour ce motif relevait de la prérogative de l’intimé.

Plaintes rejetées.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180315
  • Dossier:  EMP-2015-10051 and 2016-10452
  • Référence:  2018 CRTESPF 19

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

JOSIAH SMITH

plaignant

et

LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
Smith c. Sous-ministre de la Défense nationale


Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le plaignant :
Louis Bisson, Union des employés de la Défense nationale
Pour l’intimé :
Richard Fader, avocat
Pour la Commission de la fonction publique :
Louise Bard, analyste (observations écrites)
Affaire entendue à Fredericton (Nouveau-Brunswick)
les 30 et 31 janvier 2018.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

1        Josiah Smith, le plaignant, a déposé deux plaintes auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (renommée, le 19 juin 2017, Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral; la « Commission ») contestant la nomination intérimaire et la nomination pour une période indéterminée subséquente de Timothy Lonsdale (la « personne nommée ») au poste de surintendant à la production, classifié au groupe et au niveau GL-COI-12, à la base des Forces canadiennes (BFC) Gagetown, au Nouveau-Brunswick.

2                  Le plaignant et la personne nommée sont des employés civils du ministère de la Défense nationale. L’administrateur général de ce ministère est l’intimé en l’espèce. Le plaignant soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a fait les nominations dans le cadre du processus non annoncé 15-DND-ACIN-GGTWN-397545 visant un poste intérimaire, et dans le cadre du processus annoncé 15-DND-IA-GGTWN-397937 visant un poste pour une période indéterminée.

II. Contexte

3                  Le plaignant travaille à la BFC Gagetown en tant que gestionnaire principal de projet. Il est classifié au groupe et au niveau GL-COI-11. En 2011, il a remplacé son superviseur immédiat.

4                  En 2012, un subalterne a déposé une plainte de harcèlement à l’encontre du plaignant et de trois autres personnes. Une enquête a été menée. En mai 2013, le plaignant a reçu une lettre indiquant que six des sept allégations de harcèlement avaient été corroborées et que des mesures disciplinaires seraient imposées. La lettre précisait toutefois qu’une réunion serait d’abord tenue pour qu’il puisse défendre sa position.

5        Cette réunion a eu lieu en novembre 2013. Le plaignant, le représentant de son agent négociateur, et le lieutenant-colonel Madic, le commandant de la base, y ont participé. Selon le témoignage du plaignant, il a présenté des preuves convaincantes qu’il n’avait harcelé personne. Il a également témoigné que le lieutenant-colonel Madic avait convenu d’attendre qu’il ait reçu toute l’information demandée au moyen de la loi  sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels (AIPRP) avant d’imposer une mesure disciplinaire fondée sur les résultats de l’enquête de harcèlement.

6        En décembre 2013, le capitaine Cory Gaudet, le superviseur immédiat du plaignant, a envoyé un courriel aux superviseurs des ateliers au sujet des rumeurs à propos de la supervision du personnel par le plaignant. Le courriel était rédigé en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

J’ai entendu des rumeurs et des plaintes concernant le retour de M. Smith dans la chaîne du commandement des ateliers alors qu’il fait toujours l’objet d’une enquête en cours sur le harcèlement […]

Si vous regardez les organigrammes, il est bien évident que M. Smith et [X] ne relèvent directement que de moi et qu’ils n’ont aucun subalterne. Toute action qu’ils entreprennent, que ce soit pour recueillir des renseignements ou effectuer du travail, est en mon nom. Les deux fonctionnent dans des rôles typiques d’opérations d’escadron. (Pour ceux qui ne connaissent pas l’organisation militaire, les Opérations relèvent de la direction générale (DG) et n’ont pas de subalternes, ils n’existent que pour coordonner les différents groupes de travail afin que le travail collectif puisse être accompli.)

Je répondrai avec plaisir à toute autre question à ce sujet, mais la propagation de rumeurs fausses et sans fondement n’est pas admissible et continue de contribuer à une attitude négative dans le milieu du travail. Je ne blâme aucun des destinataires de ce courriel, je ne fais que veiller à ce que tous les superviseurs soient conscients des faits s’ils entendent ces rumeurs.

7        Bien qu’il ait dit au plaignant qu’il attendrait les renseignements en vertu de l’AIPRP avant d’imposer une mesure disciplinaire, le 28 mars 2014, le lieutenant-colonel Madic a signé la lettre au plaignant lui imposant une suspension de huit jours relativement à la plainte de harcèlement. Le plaignant a contesté la suspension au moyen d’un grief.

8        Le 31 mars 2014, le lieutenant-colonel Madic a été remplacé par le lieutenant-colonel MacEachern en tant que commandant de la base. Après avoir entendu le grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs, le lieutenant-colonel MacEachern a écarté les conclusions de l’enquête sur le harcèlement.

9        Le surintendant de la production à la BFC Gagetown relève de l’agent de production et supervise six ateliers (structure, mécanique, combiné, électrique, routes et terrains, et salle des outils), qui comprennent environ 100 employés. Pendant le mandat du lieutenant-colonel Madic, le poste est devenu vacant et le plaignant a fait part de son intérêt à l’occuper. Selon les témoignages entendus à l’audience, le lieutenant-colonel Madic souhaitait éliminer le poste. Selon lui, ce poste n’était plus nécessaire (à un moment où le ministère devait réduire des postes civils en raison de réductions des effectifs mandatés par le gouvernement fédéral). En novembre 2013, lorsqu’il a été informé de la demande du plaignant, il a répondu comme suit :

[Traduction]

Bien qu’il y ait des raisons plus importantes de ne jamais nommer M. Smith à ce poste, je souscris aux commentaires de Greg ci-dessous. [Des commentaires suivent indiquant que le poste devait être éliminé en raison d’une réorganisation des effectifs de la base.]

Assurez-vous que M. Smith sache que ce poste sera dorénavant éliminé et que sa demande est refusée.

10        Le capitaine Gaudet, l’agent de la production militaire responsable des ateliers, n’était pas d’accord avec l’élimination du poste. Avec le changement de direction à la base, le poste a été maintenu et la direction a cherché à le pourvoir.

11        En mai 2015, Manon Elliott, une agente d’administration à la section des Ressources humaines (RH), a fait circuler un courriel afin d’informer tous les employés à la BFC Gagetown d’une occasion de nomination intérimaire au poste de « surintendant à la production (GL-COI-12/D7) ». Le courriel indiquait que la nomination intérimaire concernait une affectation d’une année ou jusqu’à ce que le poste soit pourvu pour une période indéterminée.

12        Les candidats ont été invités à présenter leur curriculum vitae. Un énoncé des critères de mérite (ECM) était joint au courriel.

13        La personne nommée a d’abord été nommée pour une période de quatre mois moins un jour; une telle affectation à court terme n’entraîne aucune obligation de notification. La nomination a été prolongée du 24 décembre 2015 au 24 août 2016 (la première nomination avait commencé le 24 août 2015). Une notification de nomination a été publiée et le plaignant a déposé sa première plainte à cet égard, alléguant que les trois actions suivantes démontrent qu’il y a eu abus de pouvoir.

14        Premièrement, la personne nommée ne satisfaisait pas à la qualification essentielle suivante qui se trouve dans l’ECM : [traduction] « Expérience de la supervision d’équipes de travail composées de différents corps de métier, responsables de la prestation de services municipaux/publics et de l’entretien de bâtiments et d’infrastructures, à la fois programmée et d’urgence ».

15        Deuxièmement, il y avait une crainte raisonnable de partialité de la part des personnes qui ont pris part au processus de sélection, étant donné qu’ils étaient également impliqués dans les questions de relations de travail entre le plaignant et l’intimé, ou qu’ils en ont été informés.

16        Troisièmement, l’intimé n’a pas évalué le plaignant adéquatement relativement à deux qualifications constituant un atout et la question 1 de l’examen écrit.

17        En novembre 2015, l’intimé a publié une annonce relative à un processus de dotation pour pourvoir le poste pour une période indéterminée. Le plaignant a posé sa candidature. La personne choisie a été nommée pour une période indéterminée le 17 mai 2016. Le plaignant a déposé sa deuxième plainte.

18        Les allégations de la deuxième plainte étaient semblables à celles de la première plainte. En ce qui concerne les qualifications de la personne nommée, le plaignant a allégué que non seulement elle n’avait pas l’expérience requise, comme il était énoncé dans la première plainte, mais elle n’avait pas non plus la certification professionnelle exigée dans l’annonce de possibilité d’emploi. Il a ajouté que son évaluation avait de nouveau été lacunaire, cette fois selon les résultats d’un autre examen écrit. L’allégation de partialité en lien avec les questions de relations de travail était la même.

19        Dans les allégations initiales déposées avant l’audience, des motifs supplémentaires d’abus de pouvoir ont été mentionnés pour les deux processus de sélection. Ces motifs ont été retirés à l’audience et ne seront donc pas abordés dans la présente décision.

20        Le plaignant a témoigné à l’audience et a cité deux témoins, Mme Elliott et Paula McGinn. À l’époque pertinente, Mme McGinn était la coordonnatrice des RH pour le groupe de la construction et du génie civil à la BFC Gagetown.

21        L’intimé a cité trois témoins, y compris le capitaine Gaudet, qui était l’agent de la production, le superviseur du plaignant, un membre du comité de sélection du premier processus et le responsable de la présélection pour le deuxième processus. Il est parti avant la fin du deuxième processus; il a été remplacé en tant que membre du comité de sélection par Jonathan Parker, un gestionnaire principal de projet et ingénieur professionnel. M. Parker a témoigné à l’audience. Le major Nathan Price, qui était le commandant adjoint de la BFC Gagetown en 2014, a également témoigné; il est devenu le commandant de la base en juillet 2015, et il était responsable de l’unité de production de la base, ainsi que gestionnaire délégué pour pourvoir le poste en question.

III. Les questions en litige

22        Les questions en litige en l’espèce peuvent être formulées comme suit :

  • L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de partialité contre le plaignant en lien avec l’enquête sur le harcèlement ou le grief subséquent?
  • L’intimé a-t-il abusé son pouvoir en évaluant le plaignant de manière inappropriée?
  • L’intimé a-t-il abusé son pouvoir en évaluant la personne nommée de manière inappropriée?

IV. Analyse

23        Le plaignant allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir. Il a présenté ses plaintes en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12, 13; la « LEFP »), qui est libellé comme suit :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2) […]

24        L’article 30 de la LEFP indique que les nominations doivent être fondées sur le mérite; c’est-à-dire, comme il est énoncé à l’alinéa 30(2)a) de la LEFP, la personne nommée doit posséder toutes les qualifications essentielles pour le poste. L’administrateur général peut également prendre en considération d’autres qualifications constituant un atout.

25        Même si la LEFP ne prévoit aucune définition de l’expression « abus de pouvoir », elle indique ce qui suit au paragraphe 2(4) : « [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel » [en caractère gras dans l’original].

26        Dans ses arguments, l’intimé a souscrit à l’observation de la Commission de la fonction publique que l’abus du pouvoir doit être interprété à la lumière des deux exemples donnés dans la législation. En vertu de la règle ejusdem generis (du même type, de la même catégorie ou de même nature), étant donné que le législateur a fourni deux exemples d’abus de pouvoir, qui peuvent être caractérisés par leur caractère flagrant et délibéré, toute conclusion d’abus de pouvoir doit comprendre les mêmes caractéristiques.

27        Depuis la création du Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP), le prédécesseur de cette Commission, la jurisprudence a évolué de façon à mieux être en mesure de définir ce qui constitue un abus de pouvoir. Dans Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, le TDFP a tenté de définir l’« abus de pouvoir » d’une manière qui permettrait à la fois la flexibilité inhérente à la LEFP et le respect des valeurs de dotation dans la fonction publique, conformément au préambule de la législation.

28        Comme le TDFP et la Commission l’ont mentionné bien avant moi, le législateur a choisi de ne pas définir « abus de pouvoir » afin de donner au TDFP, maintenant la Commission, une marge de manœuvre pour trouver des exemples d’abus de pouvoir autres que la mauvaise foi ou le favoritisme personnel. En somme, l’abus du pouvoir n’est pas une simple erreur ou une omission. Il s’agit d’un exercice du pouvoir discrétionnaire de la part de l’administrateur général qui dépasse de loin les objectifs pour lesquels ce pouvoir discrétionnaire a été accordé. La flexibilité ne peut justifier une conduite arbitraire inéquitable lors de l’exercice du pouvoir. Pour renvoyer à la toute première décision rendue à ce sujet, Tibbs, l’abus du pouvoir peut être regroupé dans les cinq catégories suivantes (voir le paragraphe 70) :

[…] Jones et de Villars [David Philip Jones and Anne S. de Villars, Principles of Administrative Law], ont dégagé cinq catégories d’abus énoncés dans la jurisprudence.Comme le font remarquer ces savants auteurs à la page 171, ces mêmes principes généraux de droit administratif s’appliquent à toutes les formes de décisions discrétionnaires administratives. Les cinq catégories d’abus sont les suivantes :

1.       Lorsqu’un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime (notamment dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes).

2.       Lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (notamment lorsqu’il ne dispose d’aucun élément de preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents).

3.       Lorsque le résultat est inéquitable (notamment lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises).

4.       Lorsque le délégué commet une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

5.       Lorsqu’un délégué refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

29        Le TDFP a déclaré ce qui suit au paragraphe 71 :

Ce que ces cinq catégories d’abus ont toutes en commun est que le législateur n’aurait pu avoir l’intention de déléguer le pouvoir d’agir d’une façon si outrageuse, déraisonnable ou inacceptable : Jones et de Villars, supra, à la p. 169; Macauley et Sprague[Robert W. Macauley et James L.H. Sprague, Practice and Procedure before Administrative Tribunals, vol. 1][…]à la page no 5B.3(a).Comme l’a expliqué la Cour suprême dans l’arrêt Roncarelli, [Roncarelli c.Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la page 140][…] à moins d’un libellé explicite dans la loi à l’effet contraire, on peut présumer que ce n’était pas l’intention du législateur que le délégué exerce un pouvoir discrétionnaire de cette façon.

30        Ayant cette norme à l’esprit, j’examinerai maintenant les trois allégations du plaignant.

Question I – L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de partialité contre le plaignant relativement à l’enquête sur le harcèlement ou le grief subséquent?

31        L’allégation du plaignant était formulée comme suit :

[Traduction]

[…]

L’intimé a créé une crainte de partialité (pendant l’évaluation de l’application du mérite, dans le choix du processus et au moment de l’application du critère du mérite au stade du choix de la bonne personne) parce que certaine(s) personne(s) avec des connaissances, qui ont reçu des directives ou qui ont pris part à une enquête concernant le plaignant pour une affaire de relations de travail ont eu le droit de jouer un rôle dans cette évaluation ou dans le processus décisionnel de la nomination intérimaire qui fait l’objet de la présente plainte […]

[…]

32        Le critère pour la crainte de la partialité a souvent été mentionné (voir Committee for Justice and Liberty c. Canada (L’Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369) et reformulé dans le contexte des plaintes en matière de dotation. Dans Denny c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 29, au paragraphe 126, le TDFP a énoncé le critère de la partialité applicable aux membres du comité d’évaluation, comme suit :

[…] les membres du comité d’évaluation ont le devoir d’agir de manière juste, ce qui implique de pratiquer une évaluation impartiale. Si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’un ou de plusieurs membres du comité d’évaluation, le devoir d’agir de manière juste n’a pas été observé.Il est également important de souligner qu’une des valeurs clés énoncées dans le préambule de la LEFP est l’équité.

33        Dans cette décision, le plaignant a allégué qu’il avait été évalué de façon inéquitable parce que l’un des membres du comité d’évaluation avait une attitude partiale à son égard. Le TDFP a conclu qu’il y avait bien une crainte raisonnable de partialité, étant donné les antécédents d’animosité entre le membre du comité et le plaignant. L’évaluation elle-même comportait de graves lacunes et le fait que l’examen pratique ait été administré par le membre du comité qui était prétendument partial n’a fait que renforcer l’impression que l’évaluation avait été menée de façon inéquitable, partiale et très déficiente, ce qui équivalait à de l’abus de pouvoir.

34        Dans Amirault c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2012 TDFP 6, le TDFP a conclu une fois de plus qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité et que le processus de nomination était entaché. Dans cette affaire, le plaignant avait des préoccupations concernant l’un des deux membres du comité d’évaluation et une plainte à cet égard a été déposée auprès de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique. Par le passé, le plaignant avait également eu de graves conflits avec l’autre membre du comité. L’évaluation comprenait un certain nombre de questions ouvertes pour lesquelles le comité d’évaluation devait exercer son pouvoir discrétionnaire pour évaluer les réponses. Selon le TDFP, une personne informée aurait raisonnablement eu une perception de partialité de la part du comité dans le cadre de l’évaluation du plaignant.

35        En l’espèce, le plaignant allègue que les décideurs de la base ne voulaient pas le nommer au poste en raison de l’enquête sur le harcèlement. Comme preuve de cette partialité, il a présenté le courriel du lieutenant-colonel Madic (précité) qui indiquait qu’il y avait « d’autres raisons […] importantes » de ne pas nommer le plaignant au poste, ainsi que le courriel du capitaine Gaudet (précité également) qui mentionnait l’enquête sur le harcèlement.

36        Mme Elliott et Mme McGinn ont confirmé que le lieutenant-colonel Madic s’opposait à la nomination du plaignant au poste de superviseur. Toutefois, il faut garder à l’esprit les dates des événements.

37        Lorsque le lieutenant-colonel Madic a envoyé son courriel, en décembre 2013, il avait en main les conclusions de l’enquête sur le harcèlement. Il avait entendu le plaignant contester ces conclusions, mais le processus était encore en cours. Il semble qu’en fin de compte, le lieutenant-colonel Madic croyait toujours ces conclusions, puisqu’il a signé une lettre de suspension juste avant de quitter la base. Si, à son avis, les accusations de harcèlement étaient véridiques, il est compréhensible qu’il n’ait pas souhaité voir le plaignant dans un rôle important de supervision.

38        Toutefois, le lieutenant-colonel Madic est parti en 2014, soit un an avant le début du premier processus de sélection pour la nomination intérimaire. En 2015, le lieutenant-colonel MacEachern avait écarté les conclusions de l’enquête sur le harcèlement, et la direction a décidé de ne pas donner suite aux plaintes sur le harcèlement. Il n’y a aucune allégation que le lieutenant-colonel MacEachern ait contribué un tant soit peu à l’attitude partiale à l’égard du plaignant.

39        Dans son témoignage, le capitaine Gaudet a souligné qu’il savait qu’il y avait eu une enquête sur le harcèlement, comme il est indiqué dans son courriel de décembre 2013, mais qu’il n’en connaissait pas les détails. Il a également mentionné qu’en 2015, il ne voyait aucune raison d’exclure la candidature du plaignant au poste. En effet, dans les deux processus de sélection, le plaignant était considéré comme un candidat qualifié. Les qualifications constituant un atout pour le poste intérimaire et les aptitudes générales pour le poste pour une période indéterminée distinguaient le plaignant et la personne nommée, comme nous en discuterons ultérieurement dans la présente décision.

40        Le capitaine Gaudet a expliqué que son courriel n’avait fourni aucun renseignement nouveau sur l’enquête sur le harcèlement, étant donné que l’affaire était de notoriété publique à la base. Le courriel a plutôt été envoyé pour contrer les rumeurs que le plaignant supervisait des membres du personnel. Il n’y avait aucune animosité.

41        Comme je l’expliquerai plus loin, je conclus que les décisions de l’intimé en ce qui concerne la nomination de la personne nommée étaient raisonnables. Elles ne semblent pas entachées par la partialité. En 2015, lorsque le commandant de la base, soit le lieutenant-colonel MacEachern, a décidé d’écarter les conclusions du rapport de l’enquête sur le harcèlement, et une année après le départ du lieutenant-colonel Madic de la base, rien n’indiquait que le comité de sélection avait fait preuve de partialité à l’égard du plaignant, à mon avis. M. Parker, qui a pris la relève après le départ du capitaine Gaudet, ne connaissait pas le plaignant et n’avait pas entendu parler de l’enquête sur le harcèlement. Je n’ai pas entendu les autres membres du comité de sélection, mais une fois de plus, l’évaluation semble avoir été équitable, comme il en sera question plus loin dans cette décision.

42        M. Parker a présenté un autre fait qui, à mon avis, démontre l’absence de partialité. Lors du deuxième processus de sélection, le plaignant a tout d’abord été éliminé du processus de sélection pour avoir échoué à une question à l’examen écrit. Il a demandé une discussion informelle et a rencontré M. Parker afin de lui démontrer qu’il avait répondu correctement. M. Parker a convenu que la réponse était acceptable et il a accordé la note de passage au plaignant; le plaignant a donc été réintégré dans le processus de sélection.

43        Enfin, le Major Price, qui a pris la relève du processus de nomination entamé par le Major Burbridge, ne connaissait pas le plaignant et n’avait pas connaissance du contenu de l’enquête ni du grief, lesquels avaient été traités par le lieutenant-colonel MacEachern.

44        Par conséquent, je conclus qu’une personne informée ne percevrait pas que le processus de sélection était entaché par la partialité.

B. Question II – L’intimé a-t-il abusé son pouvoir en évaluant le plaignant de manière inappropriée?

45        Le premier processus de nomination pour pourvoir le poste intérimaire n’était pas annoncé; c’est-à-dire qu’il n’a pas été publié sur le site Web du gouvernement fédéral où sont affichées les annonces d’offres d’emploi. Toutefois, la possibilité d’emploi a été offerte aux employés de la BFC Gagetown et 16 personnes ont posé leur candidature. L’évaluation était effectuée au moyen d’une présélection et d’un examen écrit. Selon le capitaine Gaudet, quatre personnes se sont qualifiées, y compris le plaignant. La personne nommée a été choisie sur la base des qualifications constituant un atout.

46        Sur la feuille d’évaluation pour les 16 candidats au poste intérimaire, tous les noms et les renseignements ont été caviardés (aux fins de l’audience) sauf ceux du plaignant et de la personne nommée. En ce qui concerne la personne nommée, les commentaires étaient comme suit : [traduction] « A satisfait à toutes les qualifications essentielles et constituant un atout 7/7. Capacité Q1 = 3/4 ». En ce qui concerne le plaignant, les commentaires étaient comme suit : [traduction] « A satisfait à toutes les qualifications essentielles et constituant un atout 5/7. Capacité Q1 = 2/4 ». Dans le cadre de leur témoignage, le capitaine Gaudet et le Major Price ont tous deux fait valoir que la note supérieure de la personne nommée justifiait sa nomination.

47        Le plaignant a allégué qu’il avait en fait démontré dans son curriculum vitae qu’il possédait les deux qualifications constituant un atout, alors que, selon l’évaluation, il ne les possédait pas. La première qualification était : A6 – Expérience de la gestion de programme de maintenance préventive (« A6 »). La deuxième était [traduction] « A7 – Expérience du respect des normes et des règles de conformité » (« A7 »).

48        Dans son curriculum vitae, le plaignant a indiqué les points suivants pour démontrer l’expérience relative à l’A6 :

[Traduction]

[En tant que coordonnateur des opérations de la production :]

Gestion/surveillance de l’allocation des ressources financières pour les projets de maintenance préventive réalisés par les employés des métiers de production […]

[En tant que gestionnaire principal de projet et gestionnaire de projet :]

Gérer les projets de construction et de maintenance, y compris la portée, le temps, le coût, les communications, l’approvisionnement, les ressources humaines, la gestion des finances et de la qualité sur tous les projets.

49        Selon le capitaine Gaudet, ce n’était pas suffisant. Ces renseignements n’étaient pas assez précis et ne démontraient pas la gestion d’un programme de maintenance préventive dans le contexte des ateliers de la base.

50        Pour démontrer son expérience relative à l’A7, le plaignant a renvoyé au point suivant dans son curriculum vitae :

[Traduction]

J’étais coprésident/membre du Comité de santé et de sécurité au travail de l’UAG 5 pendant plus de 20 ans. Les tâches comprenaient, entre autres, la création de procédures opérationnelles normalisées (PON) de santé et de sécurité (espaces clos, casques de protection, chaussures de protection) des analyses/évaluations des risques (casques de protection, espaces clos); enquêter sur les accidents/les refus de travailler, etc.; traiter les formulaires relatifs aux accidents à la fois internes et externes (Travail sécuritaire NB). J’ai également exécuté les tâches d’agent de la sécurité pendant plusieurs mois en 2010 (de mai à août) étant donné que le poste était vacant. J’étais le réviseur/gestionnaire de l’application de référence des matières dangereuses (ARMD) pour le groupe des projets.

51        Selon le capitaine Gaudet, l’expérience recherchée visait la gestion des règles de conformité, avec une connaissance de l’ensemble du processus relatif à la conformité, y compris l’évaluation et les plans d’action, ce qui allait bien au-delà d’une expérience acquise dans le cadre d’un Comité de santé et de sécurité au travail.

52        À l’opposé, l’intimé a conclu que ces deux qualifications constituant un atout étaient satisfaites dans le curriculum vitae de la personne nommée. En ce qui concerne la qualification A6, il y figurait ce qui suit :

[Traduction]

  • En tant qu’agent d’entretien préventif (AEP) de l’UAG 5, BS 5 Div. C Gagetown
    • Responsable de sept inspecteurs de maintenance préventive, y compris la gestion, l’établissement du calendrier et l’allocation des inspections de maintenance préventive relative à l’ingénierie, les prestations de formations et d’orientation, la révision du travail et la rédaction des rapports d’évaluation du rendement;
    • Offrir la possibilité aux membres du personnel de suivre la formation nécessaire pour demeurer en avant-garde des nouvelles pratiques de la construction et de la maintenance;
    • Expliquer ou démontrer des pratiques et procédures de travail établies et fournir une orientation technique aux membres de l’équipe de travail et aux nouveaux employés;
    • Élaborer des descriptions de postes et des documents de dotation.

      […]

    • Utiliser Excel pour établir un calendrier et gérer le programme de l’Unité d’entretien préventif.
  • En tant qu’Adjudant-chef des systèmes de groupes électrogènes (SGÉ), 1 Unité de soutien des ingénieurs, Moncton (Nouveau-Brunswick)
    • Utiliser Excel aussi bien que MS Project pour la planification/la gestion/les prévisions concernant les projets d’infrastructure multidisciplinaires.
  • En tant que commandant de section des SGÉ, EGMFC, BS 5 Div. C Gagetown
  • Utiliser à la fois Excel et MS Project pour la planification et la gestion de l’élaboration du plan de leçon, la coordination de l’instruction entre plusieurs sections ou escadrons et installations de génératrices.

53        Pour le critère A7, il y figurait ce qui suit :

[Traduction]

Comme indiqué ci-dessus, j’ai une vaste expérience liée au domaine de la planification et de la gestion de projet lors de mon emploi avec les Forces canadiennes et en tant qu’employé du MDN. Tout le travail, que ce soit au pays ou à l’étranger, était mené conformément aux normes et codes canadiens (c’est-à-dire le Code canadien de l’électricité, le Code national du bâtiment, le Code national de prévention des incendies, le Code national de la plomberie, l’Association canadienne de normalisation, la Loi sur la gestion des finances publiques, la Loi sur l’environnement, les directives  et ordonnances administratives de la Défense, etc.)

54        Comme il a été indiqué dans de nombreuses décisions du TDFP et de la Commission, il n’incombe pas à la Commission de réévaluer les candidats (voir, par exemple, Soccar c. le Commissaire de la Gendarmerie Royale du Canada, 2013 TDFP 14). Afin de conclure qu’il y a eu abus de pouvoir dans la façon dont les candidats ont été notés, il faut dévier considérablement de ce qui est peut être considéré comme une évaluation raisonnable. Le capitaine Gaudet a fourni une explication raisonnable à l’appui de sa conclusion que le plaignant ne satisfaisait pas aux qualifications constituant un atout A6 et A7. Je ne vois pas de motif de remettre en question cette évaluation.

55        En ce qui concerne la note que le plaignant a obtenue pour la question 1 de l’évaluation écrite, bien que la question ait été discutée longuement à l’audience, je ne vois toujours pas de motif de la remettre en question. La question comportait 4 éléments et le plaignant n’a répondu qu’à 2 de ces éléments; par conséquent, il a obtenu une note de 2 sur 4.

56        Dans le deuxième processus d’évaluation, le plaignant a obtenu 17 sur 20 à l’examen écrit. Étant donné que la note de passage était 14, il a réussi. Toutefois, l’une des questions a été notée incorrectement, comme M. Parker l’a reconnu à l’audience. Le candidat devait identifier une date sur un dessin technique. Selon le capitaine Gaudet, le plaignant n’a pas répondu correctement, mais, en réalité, sa réponse correspond à ce qui figure sur la grille des réponses de l’intimé. Le plaignant aurait dû obtenir une note de 18 sur 20.

57        Toutefois, même si le plaignant avait obtenu un point de plus, la personne nommée a tout de même eu une note plus élevée, soit 20 sur 20. En outre, et plus important encore, la personne nommée a constamment obtenu de meilleures notes pour les questions d’entrevue, ce que le plaignant n’a pas contesté. Le Major Price a expliqué qu’il a décidé de choisir la personne nommée en fonction de la feuille des résultats totaux. Même avec le point supplémentaire pour le plaignant, la feuille des résultats de la personne nommée était quand même meilleure.

58        Le critère pour tirer une conclusion d’abus de pouvoir est établi à un niveau assez élevé. Une erreur minime qui n’a pas d’incidence sur le résultat d’un processus ne peut être considérée comme un abus de pouvoir. Un point de plus sur l’examen écrit n’aurait pas eu une grande incidence sur l’évaluation globale du plaignant. Aucune allégation ou preuve selon lesquelles les questions d’entrevue n’ont pas été notées de façon équitable n’a été présentée. La personne nommée a constamment obtenu un résultat plus élevé, et le Major Price a clairement indiqué que le résultat global était le facteur déterminant dans la sélection de la personne nommée. Comme dans le cas du premier processus de sélection, je conclus qu’il n’y a rien de déraisonnable dans l’évaluation du plaignant en ce qui concerne le deuxième processus de sélection.

C. Question III – L’intimé a-t-il abusé son pouvoir en évaluant le plaignant de manière inappropriée?

59        Dans la première plainte, le plaignant a contesté l’allégation de la personne nommée qu’elle possédait l’une des qualifications essentielles, à savoir [traduction] « Expérience de la supervision d’équipes de travail composées de différents corps de métier, responsables de la prestation de services municipaux/publics et de l’entretien de bâtiments et d’infrastructures, à la fois programmé et d’urgence. » Cette allégation a été répétée dans la deuxième plainte.

60        Le capitaine Gaudet, qui a mené l’évaluation lors des deux processus, a affirmé que, selon lui, la personne nommée avait l’expérience nécessaire. À l’appui de sa position, il a mentionné les extraits suivants du curriculum vitae de la personne nommée :

[Traduction]

  • Surveiller des inspecteurs multidisciplinaires dans la maintenance préventive en ce qui concerne leur rôle de fournir un entretien ou des inspections programmés, la mise en service et les inspections ou réparations d’urgence.

    […]
  • Surveiller des équipes multidisciplinaires sur des projets de développement de la sécurité ou des réparations d’urgence pour différents organismes du gouvernement de l’Afghanistan (les services correctionnels, la direction nationale de la sécurité, le conseil provincial de Kandahar et le gouverneur de Kandahar).

    […]
  • Désigné en tant que chef de l’équipe de gestion de projet aussi bien que le concepteur du génie électrique et mécanique. Responsable de surveiller les gestionnaires de projet militaires/les ingénieurs de construction multidisciplinaires afin de faciliter l’accomplissement de nombreux nouveaux projets ou de projets de maintenance de l’infrastructure à l’appui de la Force de défense de la Jamaïque.

61        Une fois de plus, il n’incombe pas à la Commission de réévaluer les candidats. L’explication du capitaine Gaudet à savoir pourquoi l’expérience de la personne nommée satisfaisait au critère de l’expérience était raisonnable et satisfaisante.

62        Dans la deuxième plainte, le plaignant a soulevé une question concernant la certification professionnelle de la personne nommée, qui était l’une des qualifications essentielles pour le poste.

63        La qualification était indiquée dans l’annonce de possibilité d’emploi comme suit :

ÉDUCATION / ATTESTATIONS PROFESSIONNELLES :

  • Certificat de compagnon valide dans un métier de la construction émis en vertu de la Loi sur l’apprentissage et la certification professionnelle du Nouveau-Brunswick.

OU

  • Diplôme de technologue ou de technicien du génie ou membre du SttagN-B (Société des techniciens et des technologues agréés du génie du Nouveau-Brunswick) au niveau de technicien du génie dans un domaine lié à la construction de bâtiment.

64        Dans son curriculum vitae, la personne nommée a écrit « CET », que le capitaine Gaudet a interprété comme signifiant « technicien certifié en électricité ». En fait, et j’en reparlerai plus loin, « CET » est un titre réservé pour signifier « technicien agréé du génie », qui est accordé par la Société des techniciens et des technologues agréés du génie du Nouveau-Brunswick (SttagN-B).

65        Sur le site Web de la SttagN-B, le nom de la personne nommée apparaît, accompagné de la mention « CTech ». L’intimé a également présenté comme élément de preuve un certificat du site Web de la SttagN-B au nom de la personne nommée, qui indique, après son nom, « Technicien agréé, CTech », suivi du paragraphe suivant : [traduction] « Est un membre de la Société des techniciens et des technologues agréés du génie du Nouveau-Brunswick, ayant satisfait aux exigences de l’agrément en tant que technicien agréé (électrique) ».

66        Les parties ont convenu que pour satisfaire à la qualification essentielle, la personne nommée devait être « membre du SttagN-B […] au niveau de technicien du génie », étant donné que les autres moyens d’établir son statut professionnel ne s’appliquaient pas. Par conséquent, la question est de savoir s’il est réellement « un membre du SttagN-B […] au niveau de technicien du génie ».

67        Le plaignant s’obstinait à affirmer que la personne nommée n’avait pas atteint le niveau de technicien du génie, étant donné que son certificat n’indiquait que les termes « technicien agréé » contrairement à « technicien agréé du génie ».

68        Le capitaine Gaudet a expliqué que l’indication CTech suffisait, étant donné que la personne nommée était membre de la SttagN-B et que la certification était [traduction] « au niveau de technicien du génie » puisqu’elle précisait un secteur (électrique) qui fait partie du domaine du génie.

69        Dans ses arguments, l’intimé a adopté le point de vue du capitaine Gaudet, décortiquant les termes « technicien du génie » pour inclure la désignation de technicien agréé, CTech (électrique), étant donné qu’il était admis que la personne nommée était membre de la SttagN-B et qu’elle était agréée dans l’un des domaines du génie, notamment, l’électricité.

70        Je conclus que le raisonnement du capitaine Gaudet et celui de l’intimé sont convaincants. Sans plus, l’affirmation du plaignant, qui s’appuie uniquement sur la différence du libellé des deux désignations, ne suffit pas pour me convaincre du contraire ni du fait qu’il y a eu abus de pouvoir à cet égard.

71        Tandis que cela suffit à répondre à l’allégation du plaignant, je souligne qu’aucune des parties ne m’a renvoyé à la SttagN-B, l’organisme d’agrément, à titre de source de renseignements pour comprendre la différence entre un « technicien agréé » et un « technicien agréé du génie », et déterminer si un « technicien agréé » pouvait être considéré comme « un membre du SttagN-B […] au niveau de technicien du génie […] ».

72        Un tribunal administratif quasi judiciaire tel que la Commission est réticent à rechercher la preuve par lui-même. Toutefois, dans son analyse juridique, il peut examiner la jurisprudence pertinente et les sources largement disponibles de renseignements incontestés. J’ai examiné les lois qui ont promulgué la SttagN-B en tant qu’organisme d’agrément aussi bien que les renseignements qui se trouvent sur son site Web officiel.

73        La SttagN-B a été créée en 1968, par constitution en corporation. En 1986, l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick a promulgué une Loi relative à la Société des techniciens et des technologues agréés du génie du Nouveau-Brunswick Inc. (« la Loi sur les techniques du génie »), qui indique ce qui suit dans son préambule :

[…] que soit prorogée, à titre de corporation, sous la raison sociale «Société des techniciens et des technologues agrées du génie du Nouveau-Brunswick», afin de hausser et de maintenir la qualité des techniques du génie dans la province, de régir et de réglementer les services de techniques du génie fournis par les membres et de pourvoir au bien-être de la New Brunswick Society of Certified Engineering Technicians and Technologists Inc.,

74        En ce qui concerne les membres de la SttagN-B, la Loi indique ce qui suit :

[…]

2(2) Les mots «technicien du génie», «technologue du génie», «technicien agréé du génie», «technologue agréé du génie» «technicien du génie dûment qualifié», «technologue de [sic] agréé génie [sic] dûment qualifié», et les abréviations «CET», «C.E.T.», «A.Sc.T.» «C. Tech» ou les mots, abréviations ou expressions semblables, utilisés seuls ou en rapport avec d’autres mots ou expressions indiquant qu’une personne est légalement reconnue comme technicien du génie, technologues du génie ou comme une personne autorisée à pratiquer les techniques du génie, ou comme membre de la Société dans la province, lorsqu’ils sont utilisés dans une loi de la Législature ou un règlement, une règle, un décret ou un règlement administratif établis ou pris en application d’une loi de la Législature adoptée, ou établis ou pris avant, après ou au moment de l’entrée en vigueur de la présente loi, ou lorsqu’ils sont utilisés dans tout document public, sont réputés comprendre une personne dont le nom est inscrit au registre ou au registre provisoire.

[…]

12(1) Sous réserve des conditions, limitations ou restriction énoncées dans son certificat, dans les règlements administratifs ou les règles, toute personne dont le nom est inscrit au registre a le droit de se présenter, selon le cas, comme technicien agréé du génie ou technologue agréé du génie, d’utiliser les désignations «CET» ou «C.E.T», indiquant selon le cas, qu’elle est technician [sic] agréé du génie ou technologue agréé du génie, et de pratiquer les techniques du génie.

[…]

75        L’extrait suivant provient du site Web de la SttagN-B :

[…]

Les titres de technologue professionnel (PTech), de technicien agréé (CTech), de technicien agréé du génie (CET), de technologue agréé du génie (CET) et de technologue des sciences appliquées (AScT) sont des désignations professionnelles officielles protégées par le droit d’auteur par le Conseil canadien des techniciens et technologues (CCTT). Ils sont attribués et ne peuvent être utilisés que par les membres des sociétés membres du CCTT, comme la SttagN-B.

76        Un examen plus détaillé du site Web de la SttagN-B, dans la partie intitulée « Au sujet de la SttagN-B », indique ce qui suit :

Établie en 1968, la SttagN-B est l’organisme d’agrément indépendant du Nouveau-Brunswick pour les technologues et les technologues du génie et des sciences appliquées. L’agrément est accordé par un comité d’agrément composé d’un groupe d’experts techniques de diverses disciplines. Le comité étudie les demandes et recommande au conseil de la Société, l’agrément des techniciens et des technologues agréés du génie et des sciences appliquées du Nouveau-Brunswick qui répondent aux critères nationaux relatifs à la formation et à l’expérience.

La SttagN-B attribue les désignations « CTech » et « PTech » qui sont des symboles de l’accomplissement en techniques du génie et des sciences appliquées et qui sont protégés par loi. L’emplis de ces désignations est réservé exclusivement aux membres dûment agréés. Les autres désignations qui ont été attribuées par la Société sont « CET », technicien du génie agréé et technologue du génie agréé. Ces désignations sont reconnues dans l’ensemble du Canada par les employeurs et autres professionnels du génie grâce aux efforts des associations provinciales qui font partie du Conseil canadien des techniciens et technologues (CCTT).

[…]

77        Le Conseil canadien des techniciens et technologues (CCTT) indique sur son site Web qu’il est responsable de l’agrément de programmes d’enseignement en technologie pour les techniciens et les technologues au Canada (voir « Au sujet du CCTT »). Son site Web inclut également ce qui suit sous « Services pour les immigrants/Techniciens et technologues certifiés » :

[Traduction]

[…]

Bien que vous n’ayez pas besoin de permis au Canada pour pratiquer en tant que technicien ou technologue du génie, pour être pleinement reconnu par le secteur, vous devez être agréé.

Tout comme les ingénieurs certifiés qui ont la désignation professionnelle ing. (ingénieur), les techniciens et technologues certifiés au Canada ont les désignations suivantes :

  • CET (Technologue du génie agréé)
  • AScT (Technicien spécialiste en sciences appliquées)
  • RET (Technologue du génie agréé)
  • TP (Technologueprofessionnel)
  • PTech (Technologue professionnel)
  • CTech (Technicien agréé)

La désignation professionnelle dépend de la province qui la délivre.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

78        Les sites Web du SttagN-B et du CCTT indiquent tous les deux que « technicien agréé » est un agrément pour exercer son métier en tant que technicien du génie.

79        Je suis convaincue qu’il était approprié que l’intimé conclue que la personne nommée était « membre du SttagN-B […] au niveau de technicien du génie […] » en tant que membre à part entière de la SttagN-B dont le nom figure sur le registre, avec le titre « Technicien agréé ».

V. Conclusion et décision

80        Le plaignant a commencé à travailler à la BFC Gagetown en 1985, en tant que peintre. Il a progressé dans sa carrière et il est devenu gestionnaire principal de projet. Il est compréhensible qu’étant donné son expérience étendue et variée, il pensait avoir une chance d’obtenir le poste de surintendant des ateliers de production. Il est également compréhensible qu’il soupçonne la partialité étant donné l’indication claire qu’en 2013, le commandant de la base a refusé d’envisager sa candidature pour le poste en question.

81        Toutefois, l’apparence de partialité a disparu avec le départ du commandant de la base. Je crois le témoignage des témoins de l’intimé selon lequel le plaignant a eu une possibilité juste d’être évalué comme candidat pour le poste. L’intimé n’a pas contesté que le plaignant était qualifié pour le poste, mais il a choisi un autre candidat plus approprié. J’ai examiné attentivement tous les éléments de preuve et je ne peux conclure que l’intimé a abusé de son pouvoir en choisissant un autre candidat. Bien que le plaignant et la personne nommée possèdent tous les deux les qualifications essentielles pour le poste, la nomination de la personne qui a obtenu les meilleurs résultats à l’évaluation relevait de la prérogative de l’intimé. Je n’ai relevé aucune partialité, et la personne nommée était entièrement qualifiée pour le poste. Même si le plaignant avait obtenu un point de plus à l’examen écrit, et même si l’évaluation de la qualification A6 avait été plus généreuse, les décisions de l’intimé pour les nominations intérimaires et pour une période indéterminée seraient tout de même raisonnables et ne constitueraient pas un abus de pouvoir.

82        Pour tous les motifs susmentionnés, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

VI. Ordonnance

83        Les plaintes sont rejetées.

Le 15 mars 2018

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,
une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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