Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante avait un droit de priorité – l’intimé a effectué un processus de nomination interne annoncé – avant de nommer la personne sélectionnée à partir du répertoire de candidats qualifiés, le gestionnaire responsable de l’embauche a demandé une autorisation en matière de priorité à la Commission de la fonction publique (CFP) – la CFP a offert la possibilité de renvoi à la plaignante – elle a fourni une lettre de présentation et un curriculum vitae à l’intimé conformément aux instructions de la CFP – l’intimé l’a informée qu’elle avait été éliminée du processus parce qu’elle ne satisfaisait pas à la qualification essentielle de l’expérience de l’utilisation de Microsoft Word et Excel au niveau intermédiaire – l’intimé a nommé la personne sélectionnée auparavant, après quoi la plaignante a déposé sa plainte – comme question préliminaire, la CFP a fait valoir que la Commission n’avait pas compétence pour entendre la plainte parce que la plaignante n’était pas visée par la zone de recours – elle a fait valoir qu’elle n’était pas une « candidate non reçue » pour l’application de l’alinéa 77(2)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique – la Commission a conclu qu’elle avait compétence, en fonction de la décision Finley c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1668 – la Commission a fait remarquer que ce terme n’est pas défini dans la loi et que la plaignante satisfaisait à la définition ordinaire du dictionnaire pour le terme « candidat » – elle a été évaluée par rapport aux mêmes qualifications essentielles que celles indiquées dans le processus, même si ce n’était pas dans le même délai – pour ce qui est du bien-fondé de la plainte, la Commission a conclu que l’intimé avait mené son évaluation de façon superficielle – les instructions quant aux qualifications en litige ne portaient pas clairement sur des exemples de compétences – le gestionnaire responsable de l’embauche avait également l’obligation de faire d’autres vérifications lorsque la plaignante a établi que les renseignements figuraient dans son curriculum vitæ pendant sa discussion informelle, qui s’est tenue avant que la nomination soit effectuée – il ne voulait pas corriger l’évaluation – la Commission a conclu que l’intimé avait abusé de son pouvoir en n’évaluant pas correctement la plaignante et, lorsqu’il a été prévenu des erreurs dans son évaluation, en refusant d’envisager de corriger l’erreur avant de procéder à la nomination. Plainte jugée fondée.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180105
  • Dossier:  EMP-2015-9939
  • Référence:  2018 CRTESPF 2

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

PATRICIA AGNEW

plaignante

et

SOUS-MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié
Agnew c. Sous-ministre des Pêches et des Océans


Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique


Devant:
Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour la plaignante:
Elle-même
Pour l'intimé:
Nour Rashid, avocat
Pour la Commission de la fonction publique:
Kimberly Lewis, avocate
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 14 et 15 novembre 2017.
(Arguments écrits supplémentaires déposés le 30 novembre 2017.)
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

1        Patricia Agnew (la « plaignante »), a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, maintenant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), le 16 septembre 2015, par rapport au processus interne annoncé 15-DFO-NCR-IA-CFO-118926 visant à doter le poste de conseiller, planification et rapports, de niveau AS-04. Elle a déposé sa plainte en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13; LEFP), alléguant que l’intimé, le sous-ministre des Pêches et des Océans, avait abusé de son pouvoir en omettant d’évaluer ses qualifications de façon appropriée. L’intimé nie ces allégations.

2        L’intimé et la Commission de la fonction publique (CFP) ont contesté la compétence de la Commission pour instruire la plainte. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Commission a la compétence d’instruire cette plainte et qu’elle est fondée.

II. Contestation de la compétence

3        La plaignante n’a pas présenté sa demande pour l’emploi annoncé dans le délai annoncé (du 20 au 30 mars 2015). Elle y a plutôt été référée à titre de personne avec statut prioritaire le 24 juillet 2015. Elle a déposé sa plainte après la publication sur le site Web Publiservice, le 2 septembre 2015, d’un « Avis de nomination ou de proposition de nomination » (ANPN) annonçant le nom de la personne nommée au poste.

4        Le 22 septembre 2015, l’intimé a présenté une requête demandant à la Commission de rejeter la plainte, car la plaignante [traduction] « […] n’était pas une candidate dans le cadre du processus de sélection 15-DFO-NCR-IA-CFO-118926 […] » et qu’elle n’avait pas, par conséquent, droit de recours devant la Commission.

5        Selon l’intimé, l’art. 77 de la LEFP n’accorde de droit de recours qu’aux personnes dans la zone de recours, telle que définie au paragraphe 77(2). L’article 77 se lit en partie comme suit :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle na pas été nommée ou fait lobjet dune proposition de nomination pour lune ou lautre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

[…]

(2) Pour l’application du paragraphe (1), une personne est dans la zone de recours si :

a) dans le cas d’un processus de nomination interne annoncé, elle est un candidat non reçu et est dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34;

[…]

6        L’article 34 se lit comme suit :

34(1) En vue de l’admissibilité à tout processus de nomination sauf un processus de nomination fondé sur les qualités du titulaire, la Commission peut définir une zone de sélection en fixant des critères géographiques, organisationnels ou professionnels, ou en fixant comme critère l’appartenance à un groupe désigné au sens de l’article 3 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

(2) La Commission peut établir, pour les groupes désignés au sens de l’article 3 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, des critères géographiques, organisationnels ou professionnels différents de ceux qui sont applicables aux autres.

7        L’intimé a invoqué la Politique sur l’administration des priorités de la CFP selon laquelle un bénéficiaire de priorité n’est pas un candidat dans le cadre d’un processus de nomination à moins qu’il ait présenté sa candidature. Selon l’intimé, la plaignante n’a pas présenté de demande en tant que candidate, mais a plutôt été référée en tant que bénéficiaire de priorité longtemps après la fin de la période de présentation de demande.

8        La plaignante n’était pas d’accord avec la position de l’intimé. Selon elle, elle était une candidate non reçue, car elle avait fait l’objet d’une évaluation et sa candidature avait été rejetée pour ne pas avoir satisfait à une des qualifications essentielles. De plus, le courriel dans lequel l’intimé rejetait sa demande, le 7 août 2015, mentionnait spécifiquement le droit de déposer une plainte auprès de la Commission.

9        La CFP a appuyé la position de l’intimé et réitéré que, selon son Guide sur l’administration des priorités, un bénéficiaire de priorité n’est pas candidat dans le cadre d’un processus de nomination à moins qu’il ou elle ait présenté sa demande dans le délai prescrit et se trouve dans la zone de sélection établie en vertu de l’art. 34. Puisque la plaignante n’était pas une candidate, elle ne pouvait être considérée comme une « candidate non reçue » avec droit de recours en vertu du paragraphe 77(1) de la LEFP.

10        La Commission a rendu une décision rejetant la requête le 12 novembre 2015. Ses motifs se trouvent dans les paragraphes suivants :

[Traduction]

[…]

Le terme « candidat non reçu » n’est pas défini dans la LEFP. La question de savoir si « candidat non reçu » comprend les bénéficiaires de priorité a été abordée par la Cour fédérale dans Finley c. Canada (Procureur général du Canada), 2004 CF 1668. Même si ce cas est survenu dans le contexte de l’ancien régime législatif en matière de dotation, la question devant la Cour était semblable à celle dans le présent cas. Une personne déclarée excédentaire et bénéficiant d’un statut prioritaire a été évaluée dans le cadre d’un concours interne auquel elle n’aurait pas été en mesure de participer si ce n’était de son statut prioritaire. On a jugé qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions du poste et elle a tenté de porter cette décision en appel. Tout comme dans le cas de la LEFP actuelle, l’ancienne version de la LEFP en vigueur à l’époque accordait un droit de recours aux « candidats non reçus », mais elle ne contenait aucune disposition empêchant les bénéficiaires de priorité de faire appel devant le comité d’appel de la CFP. La Cour a noté, au paragraphe 32 :

[32] […] Le texte [de la disposition législative] ne limite nullement l’application de cette disposition à un certain type de « candidat non reçu », et je ne vois aucune raison impérieuse d’en restreindre l’application. Peut-être le législateur n’avait-il aucune intention de conférer aux employés excédentaires un quelconque droit d’appel, mais, comme il n’y a aucune disposition expresse en ce sens, il m’est impossible de faire dire au texte législatif ce qu’il ne dit pas.

De même, l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) a conclu qu’il n’y avait pas de raison de croire qu’un bénéficiaire de priorité qui avait été considéré dans le cadre d’un processus de nomination et évalué en fonction des mêmes critères de mérite que les personnes qui avaient présenté leur demande pendant la période d’affichage de la possibilité d’emploi ne devrait pas être considéré comme candidat non reçu avec droit de recours, s’il n’est pas nommé au poste. Le Tribunal avait conclu que la LEFP ne contenait pas de disposition législative leur niant ce droit. Voir par exemple Magee c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 12, aux paragraphes 20 et 21, et Maxwell c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 21, au paragraphe 21.

L’intimé n’a cité aucune disposition de la LEFP précisant qu’un bénéficiaire de priorité évalué par un comité d’évaluation dans le cadre d’un processus de nomination auquel ilelle a été référé n’a pas le droit de porter la décision en appel, si elle n’est pas nommée au poste. Même si la plaignante n’a pas présenté sa demande pendant que le processus de nomination 15-DFO-NCR-IA-CFO-118926 était affiché, elle se trouve dans la zone de sélection précisée dans l’annonce de possibilité d’emploi et elle avait au moins partiellement été évaluée en fonction de l’énoncé des critères de mérite de ce processus, ayant présenté une lettre d’accompagnement et une copie de son curriculum vitæ.

La Commission conclut que l’intimé a traité la plaignante comme une candidate. Par conséquent, la Commission conclut que la plaignante est une candidate non reçue, conformément au paragraphe 77(2) de la LEFP. Elle a donc le droit de déposer une plainte en vertu du paragraphe 77(1). La demande de rejet est rejetée.

[…]

11        Le 11 janvier 2016, la CFP a présenté une requête visant à faire rejeter la plainte, prétendant de nouveau un défaut de compétence de la Commission. Les arguments de la CFP peuvent être résumés comme suit.

12        La CFP a soutenu que puisque la plaignante n’avait pas présenté de demande dans le cadre du processus de nomination pendant sa période d’affichage, elle ne peut être une candidate non reçue et, par conséquent, elle ne se trouve pas dans la zone de sélection du processus.

13        Selon la CFP, le processus d’évaluation doit être distinct du processus de nomination de la façon suivante :

[Traduction]

[…]

[…] Une évaluation dans le cadre d’un processus de nomination est une détermination de la capacité d’une personne à satisfaire aux qualifications pour que la nomination soit faite en fonction du mérite. Une évaluation peut avoir d’autres motifs, comme par exemple, dans le cas de la considération d’un bénéficiaire de priorité.

[…]

14        Le processus est clairement différent, car il n’y a pas de date limite pour présenter un bénéficiaire de priorité, alors qu’il y en a un pour les personnes présentant une demande dans le cadre du processus.

15        Le fait qu’il n’y a pas de droit de plainte contre la nomination d’un bénéficiaire de priorité indique que la procédure est distincte et séparée du processus de nomination normal.

16        La plaignante a répliqué qu’elle avait continué de croire qu’elle avait le droit de déposer une plainte, car elle avait été évaluée en fonction des critères de mérite.

17        Le 25 janvier 2016, l’intimé a ajouté ses arguments pour appuyer la requête. Il arguait essentiellement que, puisqu’elle n’avait pas présenté de demande dans le cadre du processus de sélection initial, la plaignante ne pouvait pas être considérée comme une candidate.

18        Dans une deuxième lettre de décision, la Commission a réitéré sa première conclusion, appliquant Finley c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1668, pour conclure que la plaignante était une « candidate non reçue ». Le 10 mai 2017, l’intimé a encore une fois déposé une demande de rejet fondée, celle-ci, sur Casper c. Sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2016 CRTEFP 49, décision rendue quelque deux mois après la deuxième lettre de décision. La Commission a rejeté la demande. Je reviendrai à Casper dans mon analyse.

19        Lors de l’audience, on a encore une fois soulevé une objection à la compétence. Il s’agit d’une des deux questions qu’abordera la présente décision.

III. Résumé de la preuve

20        La CFP a cité à témoigner Edward Stack, directeur intérimaire de sa Division des activités liées aux droits de priorités. La plaignante a témoigné en son propre nom. L’intimé a fait témoigner Kevin Muldoon, gestionnaire délégué du processus de nomination et président du comité de sélection. Les éléments de preuve sont résumés ci-dessous.

A. M. Stack pour la CFP sur le droit de priorité

21        M. Stack a témoigné qu’il travaille avec divers ministères dans le but d’administrer le programme des droits de priorité. « Droit de priorité » signifie que dans le cadre d’un processus de nomination, une personne avec droit de priorité sera nommée avant tout autre postulant, pourvu que la personne satisfasse aux qualifications essentielles du poste. Le statut de bénéficiaire de priorité est accordé pour diverses raisons : un employé déclaré excédentaire, mis à pied ou qui revient d’un congé prolongé pour se rendre compte que son poste a été doté. Au cours des dernières années, le législateur a ajouté à cette liste les personnes libérées des Forces armées canadiennes pour motifs médicaux, lorsque ces motifs sont attribuables au service dans les Forces.

22        Un ministère est tenu d’obtenir l’autorisation en matière de priorité de la part de la CFP dans le cadre de tout processus de nomination. Si aucun bénéficiaire de priorité ne satisfait aux qualifications essentielles du poste, la CFP autorisera le ministère à nommer la personne de son choix. Cette autorisation en matière de priorité est nécessaire seulement dans le cas de nominations; elle ne s’applique pas aux détachements, aux nominations intérimaires ou aux mutations.

23        Lorsqu’il est déterminé qu’un bénéficiaire de priorité qui a été évalué ne satisfait pas à l’une ou l’autre des qualifications essentielles, cette personne peut demander une rétroaction supplémentaire du ministère et demander que l’autorisation en matière de priorité ne soit pas accordée. Dans de tels cas, la CFP travaillera avec cette personne et le ministère dans le but de résoudre la question. Il se peut qu’en effet, la personne ne satisfasse pas aux qualifications essentielles. Il peut aussi arriver que l’évaluation n’ait pas été effectuée de façon appropriée. La CFP peut alors suspendre l’autorisation en matière de priorité en attente d’une réévaluation.

24        Si un bénéficiaire de priorité est nommé, il n’y a aucun recours contre une telle nomination (voir l’art. 87 de la LEFP). On peut diriger un bénéficiaire de priorité vers un ministère si ce dernier demande une autorisation en matière de priorité ou il peut se référer lui-même, c’est-à-dire qu’il peut faire une demande dans le cadre de processus annoncés et indiquer qu’il a un droit de priorité. M. Stack a mentionné que la Directive sur l’administration des priorités de la CFP constitue le principal outil d’orientation permettant aux administrateurs généraux d’appliquer le système de priorité à leurs nominations.

25        Enfin, M. Stack a expliqué que les bénéficiaires de priorité sont inscrits dans un système de la CFP intitulé « Système de gestion de l’information sur les priorités » (SGIP). Il assure la gestion des dossiers des bénéficiaires de priorité et comprend les renseignements sur la présentation de ces personnes à des processus de nomination.

26        Le SGIP génère un courriel automatique lorsque l’organisation a évalué un bénéficiaire de priorité dans le cadre d’un processus de nomination. Le début et la fin du courriel sont générés par le SGIP. La partie du milieu est complétée par l’organisation qui a évalué le bénéficiaire de priorité. Dans la présente décision, on désignera ce courriel le « courriel du SGIP ».

B. La plaignante

27        La plaignante avait un droit de priorité à la fonction publique fédérale, car elle revenait d’un congé et son poste d’attache avait été doté (voir l’art. 41 de la LEFP). Le 24 juillet 2015, elle a reçu un courriel de la CFP l’avisant d’une possibilité d’emploi de niveau AS-04 chez l’intimé. Le courriel comprenait l’énoncé des critères de mérite (ECM) du poste et indiquait ce qui suit : [traduction] « Comme vous bénéficiez d’un droit de priorité, il vous faut uniquement satisfaire aux qualifications essentielles et aux conditions d’emploi qui figurent dans l’ECM […] » [le passage en évidence l’est dans l’original]. Elle a demandé à l’intimé de lui indiquer dans quelle section se trouvait le poste et on lui a répondu que ce serait en Planification, performance, gestion des risques et évaluation, au Bureau du dirigeant principal des finances.

28        Le courriel indiquait que pour faire une demande pour le poste, elle aurait à fournir une lettre d’accompagnement et un curriculum vitæ. Le courriel mentionnait ce qui suit concernant ces deux documents :

[Traduction]

[…]

2. Veuillez fournir une lettre d’accompagnement démontrant la façon dont vous satisfaisez aux facteurs d’études et d’expérience désignés comme qualifications essentielles. En utilisant chacun des facteurs d’expérience comme en-têtes, fournissez des exemples et détails clairs et concrets de quand, où et comment vous avez acquis l’expérience visée. Par exemple, pour chaque qualité essentielle, vous devriez indiquer où vous avez acquis l’expérience, votre titre à l’époque, une description des tâches que vous accomplissiez liées au facteur d’expérience et vos réalisations.

3. À titre de source secondaire destinée à valider l’expérience décrite dans la lettre d’accompagnement, fournissez un curriculum vitæ à jour décrivant clairement vos études et votre expérience, ainsi que tout renseignement supplémentaire démontrant la façon dont vous satisfaisez aux exigences du poste […]

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

29        La plaignante a fait parvenir sa lettre d’accompagnement et son curriculum vitæ le 28 juillet 2015. Le 7 août 2015, elle a reçu deux courriels, un premier de l’intimé et un deuxième, une heure plus tard, généré automatiquement par le SGIP. Les deux portaient sur le processus 15-DFO-NCR-IA-CFO-118926, et le courriel du SGIP comprenait un numéro de référence supplémentaire.

30        Le courriel reçu de l’intimé indiquait que la plaignante ne satisfaisait pas aux critères de mérite suivant : [traduction] « Expérience de l’utilisation de Microsoft Word et Microsoft Excel à un niveau intermédiaire. » Le courriel contenait aussi les deux paragraphes suivants :

[Traduction]

Si vous souhaitez discuter de façon informelle de votre élimination de ce processus de nomination, veuillez communiquer avec [nom de la superviseure immédiate du poste, anonymisé à « ND » dans la présente décision], en composant le [numéro de téléphone], ou par courriel au [adresse courriel]. Veuillez présenter cette demande dès que possible pour optimiser la possibilité de mesures correctives.

Une fois le processus de sélection terminé, vous serez avisée des résultats et de votre droit de porter plainte devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique. Veuillez noter que l’avis concernant ce processus de nomination sera affiché à l’adresse https://psjobs-emploisfp.psc-cfp.gc.ca.

31        Le courriel fournissait ensuite le nom du conseiller en ressources humaines (RH) de la plaignante, anonymisé à « AL » dans la présente décision, ainsi que ses coordonnées.

32        Le courriel du SGIP contenait exactement le même texte que celui de l’intimé, mais il commençait avec le numéro de référence E1517R75749 de la CFP, suivi du texte suivant : [traduction] « L’organisation d’embauche a fourni les commentaires suivants pour communiquer les résultats de votre évaluation[.] Rétroaction sur la présentation, exactement tel que saisi au SGIP par l’organisation d’embauche. »

33        Le courriel du SGIP se terminait par ce qui suit :

[Traduction]

Si vous souhaitez en savoir plus sur les résultats de cette évaluation, vous devez communiquer avec une des personnes ci-dessous. (Veuillez aussi aviser la Commission de la fonction publique (CFP) si vous le faites.)

Veuillez noter que, selon la rétroaction de l’organisation d’embauche, la CFP pourrait accorder l’autorisation de procéder à la dotation de ce poste trois (3) jours ouvrables après la date du présent courriel.

Personnes-ressources de l’organisation d’embauche :

Nom de l’organisation d’embauche : MPO – ministère des Pêches et des Océans

Nom de la personne-ressource : [AL], conseillère junior en ressources humaines

Numéro de téléphone : []

Adresse courriel : []

Personnes-ressources de la Commission de la fonction publique – Personnes-ressources de l’Administration des priorités

CFP.AP-Info-PA.PSC@cfp-psc.gc.ca

Sans frais : 1-855-235-3113

Région de la capitale nationale : 819-420-6931

Remarque : Veuillez ne pas répondre au présent compte de courriel (expéditeur), car il s’agit d’un compte automatisé.

Nous vous remercions de votre collaboration.

34        La plaignante a témoigné qu’elle était un peu confuse de recevoir deux courriels contenant les mêmes renseignements. Elle avait hâte de répondre à l’intimé, car elle croyait qu’on avait fait une erreur dans l’évaluation de son niveau de compétence avec Microsoft Excel et Word. Elle a immédiatement communiqué avec ND le 7 août et elle a reçu une réponse le 20 août. On lui offrait alors une discussion informelle le 3 septembre, date qui a ensuite été changée pour le 1er septembre.

35        La plaignante contestait son évaluation, car elle estimait posséder des compétences intermédiaires de Word et Excel, ce qu’elle croyait avoir clairement expliqué dans sa lettre d’accompagnement et son curriculum vitæ. Dans sa lettre, elle avait écrit ce qui suit sous l’en-tête [traduction] « Expérience de l’utilisation de Microsoft Word et Microsoft Excel à un niveau intermédiaire » :

[Traduction]

Voilà plus de 15 ans que j’utilise Microsoft Word et Excel dans mes emplois précédents. Je considère que j’ai atteint le niveau intermédiaire en ce que j’ai utilisé le logiciel pour des compétences plus perfectionnées comme la création de formules et d’analyses par simulation/anticipation. J’ai dû me servir de Microsoft Word pour créer des lettres, des notes de service, des notes d’information, des travaux universitaires, etc.

36        Dans son curriculum vitæ, sous l’en-tête [traduction] « RÉDACTION ET RECHERCHE », elle a inclus les déclarations suivantes :

[Traduction]

  • J’ai utilisé les produits MS, comme Word, Excel, PowerPoint et Access, ainsi que diverses applications d’exécution de la loi pour recueillir des données, préparer des rapports et aider à mener des enquêtes
  • Expérience de la création/rédaction de publications techniques – listes de contrôle de sécurité et instructions techniques
  • […]

  • J’ai produit des rapports de situation pour tenir la direction à jour par rapport à certains enjeux
  • […]

  • J’ai travaillé sur le projet du jeu excessif du programme Énergiser les Forces – j’ai effectué des recherches auprès de nombreux intervenants et écrit des articles pour leur site Web et mis à jour leur guide de formation
  • […]

  • J’ai rédigé un plan et une proposition pour justifier à la haute direction la construction d’une nouvelle installation d’entreposage de munitions à Winnipeg de plusieurs millions de dollars, puis j’ai mené des audits pour m’assurer que l’installation était construite selon les spécifications et le contrat.
  • J’ai travaillé en tant que membre d’un comité exécutif pour l’Association des femmes de l’Attaché de l’aviation – en tant que rédactrice, j’ai coordonné avec les membres pour recueillir l’information et ainsi respecter les délais de publication d’un bulletin mensuel
  • […]

37        La discussion informelle a en fait pris la forme d’un bref appel téléphonique avec M. Muldoon et ND. M. Muldoon a expliqué que même si elle semblait posséder des compétences intermédiaires dans Excel, tel qu’il est illustré par l’exemple fourni de créer des formules et des analyses par simulation/anticipation, elle n’avait pas démontré un niveau de compétence semblable pour Word dans sa lettre d’accompagnement. Il a expliqué qu’il cherchait une personne qui serait en mesure de créer des en-têtes et des bas de page, des tables des matières, et ainsi de suite, afin de produire des rapports. La plaignante lui a répondu que bien évidemment elle savait faire ces choses, car son curriculum vitæ indiquait qu’elle avait produit de nombreux rapports, ce qui aurait été impossible sans acquérir de telles compétences. M. Muldoon a indiqué que puisque cela ne figurait pas dans la lettre d’accompagnement, il ne pouvait en tenir compte. Selon la plaignante, il semblait irrité et impatient. L’appel a vite pris fin.

38        Ce n’est qu’avec la divulgation de la preuve en vue de l’audience que la plaignante a pu se rendre compte qu’il y avait eu, en fait, quatre discussions informelles avec des bénéficiaires de priorité insatisfaits ce jour-là, l’une après l’autre. Dans les 10 minutes suivant la dernière discussion informelle, ND a fait parvenir un rapport sur les appels aux RH. Les RH ont émis, le jour suivant, l’ANPN annonçant la personne nommée.

39        La plaignante a vu l’ANPN et est immédiatement signifié son mécontentement à l’intimé. Elle lui a indiqué qu’elle avait l’intention de déposer une plainte à la Commission, ce qu’elle a fait le 16 septembre. AL l’a avisée, le 10 septembre, que l’ANPN avait été annulée. Selon une preuve subséquente,  le processus de nomination a été annulé en décembre 2015.

40        Après la publication de l’ANPN, la plaignante a tenté tout au long du mois de septembre de communiquer avec la CFP à l’aide des coordonnées des personnes avec qui elle avait déjà fait affaire. Elle a présenté divers courriels auxquels on n’avait pas répondu. Lorsque la CFP avait appuyé la requête en rejet de l’intimé au moyen d’arguments écrits, le 28 septembre 2015, la plaignante avait écrit à l’analyste de la CFP qui avait rédigé les arguments de la CFP pour lui demander conseil et expliquer sa plainte. Voici la lettre qu’elle a écrite :

[Traduction]

Cher [nom de l’analyste de la CFP],

Je vous remercie beaucoup pour votre courriel [observations de la CFP dans le cadre de la requête en rejet de l’intimé], je crois que je comprends maintenant ce qui s’est produit. Permettez-moi de résumer. Plus tôt cette année, en mars si je ne m’abuse, le MPO a entamé le processus d’embauche 15-DFO-NCR-IA-CFO-118926. Environ 40 personnes ont fait une demande, 20 ont été rejetées pour diverses raisons (4 l’ont été parce qu’elles ne satisfaisaient pas à l’exigence de compétences intermédiaires de MS Word et Excel), 20 ont subi un examen, 10 sont passées à l’étape de l’entrevue et une a éventuellement été choisie. Le MPO a, j’imagine, présenté le candidat reçu aux RH, qui ont indiqué qu’il n’avait pas pris en considération les présentations prioritaires dans le cadre du processus et qu’il devrait offrir le poste à ce groupe avant de pouvoir l’accorder au candidat reçu. C’est à ce point-ci que je présume avoir reçu le renvoi prioritaire E1517R75749 et lorsqu’on m’aurait éliminée, le MPO pourrait émettre la NCR (notification de candidature retenue) et l’ANPN à son candidat préféré. Le directeur en question a fait cela et a envoyé ces avis en faisant fi de ma lettre d’accompagnement et de mon curriculum vitæ.

Voici ce que je sais qui s’est produit. Lorsque j’ai reçu le renvoi, je le considérais comme bon nombre de ces renvois dans le cadre desquels je présente une demande, soit que je présumais avoir une possibilité équitable de me faire évaluer. Donc, de mon point de vue, je croyais faire partie d’un processus concurrentiel. Toutefois le MPO a examiné ma lettre d’accompagnement et déterminé que je ne satisfaisais pas aux exigences de mérite essentielles de compétences intermédiaires indéfinies de MS Word et Excel. J’ai immédiatement avisé le MPO que je n’étais pas d’accord et j’ai demandé une discussion informelle. Pour sa part, le MPO a entamé le processus visant à accorder le poste au candidat reçu sans m’aviser et a prévu ma séance d’information le jour après la fin de la période d’attente de la notification de candidature retenue. Lorsque j’ai offert des précisions, soit que j’avais utilisé les en-têtes, bas de page et tables des matières (que le MPO considère, je m’en suis maintenant rendu compte, comme une compétence intermédiaire), le gestionnaire en a fait fi et ne m’a pas permis d’être évaluée de façon appropriée pour le poste. Il s’agissait d’un abus de pouvoir. Il est clair que le MPO n’avait pas l’intention de me considérer.

Donc, un abus de pouvoir a eu lieu (pas seulement pour moi, mais pour les autres candidats), il n’y a pas de doute. Comment les autres candidats et moi-même pouvons-nous obtenir un recours approprié pour cette situation? Le MPO n’a pas échangé de documents avec moi, ce qui est une exigence de ce processus. J’apprécierais beaucoup un peu d’aide.

Peut-être pourriez-vous m’expliquer ce que signifie un renvoi prioritaire; mon poste a été doté de façon indéterminée et personne ne veut me donner une chance compétitive pour un poste. Le MPO abuse clairement de son pouvoir et vous me dites que je ne faisais pas partie d’un processus. Eh bien ça c’est clair, je ne faisais pas partie d’un processus juste. Je vous serais reconnaissante si vous pouviez me dire comment rectifier cette situation pour moi et les autres candidats.

J’ai bien hâte d’obtenir de sages conseils [nom de l’analyste de la CFP].

Cordialement,

Pat Agnew

41        Le 5 octobre 2015, la plaignante a écrit un courriel de suivi à l’analyste de la CFP lui demandant quand elle pouvait s’attendre à une réponse à son courriel du 28 septembre. Voici la réponse qu’elle a reçue :

[Traduction]

Bonjour,

La Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) désigne la Commission de la fonction publique (CFP) comme partie à chaque plainte auprès de la CRTEFP et accorde à la CFP le droit d’être entendue et de participer à chaque processus de plainte en matière de dotation. La correspondance du 28 septembre représentait la réponse de la CFP à la requête en rejet de l’intimé (le ministère des Pêches et des Océans). La CFP ne communiquera plus avec vous avant que la CRTEFP ne rende une décision relativement à cette requête […]

42        Aucune autre communication n’a eu lieu, selon les éléments de preuve présentés par la plaignante.

C. M. Muldoon

43        M. Muldoon est le directeur de la planification ministérielle à la Direction de la performance et de la gestion des risques du Bureau du dirigeant principal des finances de l’intimé. Il a déclaré qu’une des principales responsabilités de sa direction est de produire les rapports annuels sur les plans et les priorités (RPP) et sur le rendement (RMR).

44        Comme il prévoyait avoir besoin de quelqu’un pour aider ND, qui était chargée de produire les rapports, il a demandé, en mars 2015, aux RH d’entamer un processus de nomination affiché à l’interne (15-DFO-NCR-IA-CFO-118926). Puisque le poste ne devait pas être doté immédiatement, il s’agissait d’un processus de dotation anticipée conçu pour créer un bassin de personnes qualifiées pouvant être nommées lorsque le besoin se ferait sentir. Compte tenu du caractère anticipatoire du processus, il n’était pas nécessaire d’obtenir d’abord une liste de bénéficiaires de priorité de la CFP.

45        Le processus de dotation anticipée a eu lieu. Selon M. Muldoon, 33 personnes ont présenté des demandes et 19 ont été présélectionnées. Quinze personnes ont ensuite réussi l’examen, 9 ont passé une entrevue et enfin, 7 se sont qualifiées pour le bassin. En juillet 2015, M. Muldoon était prêt à nommer la candidate vedette, mais il devait premièrement obtenir l’autorisation en matière de priorité de la CFP. Celle-ci a offert le renvoi à 26 bénéficiaires de priorité, mais seulement 6 d’entre eux, y compris la plaignante, se sont prévalus de la possibilité. Les 6 furent éliminés à la présélection.

46        M. Muldoon a expliqué sa décision d’éliminer la plaignante. Il a dit qu’il cherchait dans la lettre d’accompagnement des exemples indiquant que la personne possédait des compétences intermédiaires de l’utilisation d’Excel et de Word. La plaignante satisfaisait aux exigences relatives à Excel : elle avait donné des exemples d’analyses par simulation/anticipation et de création de formules, qui sont des compétences intermédiaires, selon M. Muldoon. Toutefois elle n’avait pas donné d’exemples équivalents pour Word et n’avait pas indiqué ce qu’elle pouvait faire qui indiquerait l’acquisition de compétences intermédiaires, comme les en-têtes, les bas de page, les tables des matières, et ainsi de suite.

47        En août, les bénéficiaires de priorité avaient été éliminés et M. Muldoon était prêt à nommer quelqu’un. ND, de qui relèverait la personne nommée, était en vacances, ce qui explique pourquoi ND n’a pas immédiatement répondu au courriel de la plaignante et a changé la date de la discussion informelle. M. Muldoon était plutôt vague pour ce qui est des dates des vacances, même au contre-interrogatoire, et je ne disposais d’aucune preuve documentaire à leur sujet.

48        Une fois terminées les discussions informelles avec les quatre bénéficiaires de priorité éliminés qui en avaient fait la demande, la lettre d’offre à la personne nommée pouvait être émise. Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire comment il était possible que le rapport sur les discussions informelles ait été prêt dix minutes après la dernière discussion informelle, M. Muldoon a répondu que ND était une personne bien organisée qui avait probablement préparé le gabarit à l’avance.

49        Cependant, au cours de la première semaine, la personne nommée a démissionné, ayant reçu une meilleure offre ailleurs. Le 10 septembre 2015, M. Muldoon a rencontré les RH pour discuter de ses options. Il était alors devenu urgent de doter le poste, car ND n’était pas en mesure de s’occuper des rapports par elle-même.

50        Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait tout simplement pas doté le poste à partir du bassin, M. Muldoon a répondu que le processus s’était [traduction] « embourbé ». Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer, il a répondu que la plaignante avait déjà signifié qu’elle porterait plainte. Les RH lui avaient offert une autre solution pour doter rapidement le poste avec une personne qualifiée, soit d’offrir un détachement, mécanisme qui permet à un gestionnaire de doter un poste sans avoir à s’occuper des bénéficiaires de priorité ou même d’un bassin de candidats qualifiés.

51        C’est la solution que M. Muldoon a choisie. Simultanément, les RH lui ont indiqué que la présélection des personnes ayant présenté une demande, dans le cadre du processus normal et par droit de priorité, n’avait peut-être pas été entièrement cohérente. Les RH lui ont recommandé de la refaire.

52        M. Muldoon a alors embauché un consultant, un retraité de la fonction publique avec quelque 35 ans d’expérience, pour reprendre l’évaluation. Il a remis au consultant sa propre grille, mais a ajouté [traduction] « [e]n cas de doute, le candidat devrait être présélectionné ». Le consultant a remis son rapport le 23 septembre 2015. Trois candidats de plus avaient été retenus : la plaignante, un autre bénéficiaire de priorité et une personne qui avait présenté une demande dans le cadre du processus original.

53        Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas à ce moment-là accordé le poste à un des bénéficiaires de priorité, M. Muldoon a répété que le processus s’était embourbé, qu’il faudrait du temps pour complètement évaluer un bénéficiaire de priorité et qu’il était urgent de doter le poste. Le détachement avait été entamé. L’entente de détachement a été signée le 23 septembre, et le détachement acommencé le 12 octobre.

54        En décembre 2015, le processus de nomination a été annulé. La personne en détachement a éventuellement été mutée dans le poste.

55        Questionné par rapport au fait que le courriel adressé à la plaignante indiquant qu’elle avait été éliminée lui disait qu’elle avait un recours devant la Commission, M. Muldoon a indiqué qu’il s’agissait d’une erreur administrative et que le courriel aurait dû indiquer un recours à la CFP.

D. Éléments de preuve supplémentaires relatifs à la CFP

56        Les éléments de preuve et arguments de la plaignante indiquaient que la CFP ne l’avait pas aidée dans ses interactions avec l’intimé après la première évaluation. Au début des arguments pendant l’audience, l’avocate de la CFP a protesté contre ce qu’elle appelait des allégations et m’a demandé de ne pas en tenir compte.

57        J’ai répondu que c’étaient là les éléments de preuve reçus et qu’ils n’avaient pas été réfutés. La CFP a répondu qu’elle n’avait pas été avisée de telles allégations pour se préparer à l’affaire.

58        En toute justice à la CFP, cette plainte concerne l’intimé, pas la CFP. Les allégations écrites de la plaignante portent sur les actions de l’intimé.

59        J’ai accordé à la CFP 15 jours supplémentaires pour fournir des éléments probants, soit par affidavit ou par écrit (correspondance ou courriels), sur les mesures entreprises pour répondre aux demandes d’aide de la plaignante, qu’elle a amplement documentées.

60        La CFP a fourni des arguments le 30 novembre 2017, y compris les notes personnelles d’un employé de la CFP, certains échanges entre l’intimé et la CFP au sujet du processus, et un tableau qui prétend montrer que la plaignante avait utilisé l’adresse générique de la CFP dans le cadre d’autres processus.

61        Les arguments de la CFP me portent à croire qu’elle avait certaines préoccupations concernant le processus, préoccupations qu’a atténuées l’intimé. Tout au long des arguments, il semble y avoir une attente que la plaignante devrait communiquer à l’aide de l’adresse courriel générique. C’est pourquoi on a répondu à la lettre adressée à l’analyste de la CFP de la façon dont on l’a fait. La CFP déclare dans ses arguments qu’il y a peut-être eu un problème de communication et qu’un nouveau protocole a été adopté en juin 2017 pour tenter d’éviter que cela se reproduise.

62        Je considère qu’il incombait à la plaignante d’aviser la CFP qu’elle entendait contester le résultat de son évaluation, ce qu’elle n’a pas fait. Elle a répondu à l’intimé le 7 août, mais n’a pas inclus la CFP dans son courriel. N’ayant pas été avisée que l’évaluation était contestée, la CFP a émis l’autorisation en matière de priorité quelques jours plus tard, ce qu’elle avait le droit de faire.

63        Toutefois, lorsque la nomination a été faite et que la plaignante a tenté de joindre la CFP, elle n’a pas obtenu de réponse (ou très peu, même si j’inclus un prétendu appel à la plaignante par un employé de la CFP). J’en suis venue à la conclusion qu’ultimement, les communications ou le manque de communication entre la CFP et la plaignante n’ont que très peu d’importance pour la présente décision. Je le répète, ma décision porte sur la compétence de la Commission et les actions de l’intimé. La plaignante a perçu un manque de participation de la CFP dans son cas. Je ne souhaite pas rouvrir l’audience pour examiner les allégations. La CFP semble admettre que les communications auraient pu être meilleures.

64        Tout compte fait, j’accepte les arguments de la CFP à l’audience selon lesquels je ne devrais pas tenir compte des allégations d’inaction, en partie parce que les éléments de preuve n’ont pas été examinés de façon appropriée dans la salle d’audience, mais principalement parce qu’elles ne constituent pas l’élément central de la plainte. Ma décision portera seulement sur la preuve concernant l’intimé et les arguments juridiques soulevés par la CFP et l’intimé.

IV. Questions en litige

65        La présente affaire compte deux questions à trancher. La deuxième question devra être réglée seulement si la réponse à la première est affirmative.

  • Question I : La Commission a-t-elle compétence pour instruire cette plainte?
  • Question II : Y a-t-il eu abus de pouvoir dans l’application des critères de mérite?

V. Analyse

A. Question I : La Commission a-t-elle compétence pour instruire cette plainte?

66        La CFP a présenté des plaidoiries à l’audience, contrairement à sa pratique normale de présenter des arguments écrits à la Commission. La CFP a vigoureusement contesté la compétence de la Commission pour instruire cette plainte, car selon son raisonnement, le terme « candidat non reçu » ne s’applique pas à la plaignante.

67        Pour appuyer ses arguments, la CFP a cité la jurisprudence, la législation et les principes d’interprétation législative. J’examinerai ses arguments dans le cadre de mon analyse.

68        La CFP a mentionné deux décisions de l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (TDFP) pour faire valoir que la Commission n’a pas compétence, soit Magee c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 12, et Maxwell c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 21.

69        Dans Magee, le plaignant était un employé handicapé. La LEFP ne prévoit pas de statut prioritaire pour motif de handicap, mais le Règlement sur l’emploi dans la fonction publique (DORS/2005-334), lui, le fait à l’art. 7. Sous le REFP, tout comme sous la LEFP, un bénéficiaire de priorité qui ne satisfait pas aux qualifications essentielles d’un poste ne peut être nommé à ce poste. L’affaire McGee avait été décidée principalement en fonction du fait que M. McGee ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles et, par conséquent, il n’y avait pas eu d’abus de pouvoir. Le membre du TDFP a refusé d’aborder la question de priorité.

70        Dans Maxwell, l’employée avait présenté une demande dans le cadre du processus et le fait qu’elle avait le droit de déposer une plainte n’était pas en litige. Elle était aussi bénéficiaire de priorité. Dès le début, la CFP a demandé qu’on ne tienne pas compte de son droit de priorité aux fins de décision, car cela ne relevait pas de la compétence du TDFP. Le membre a rejeté cette demande au paragraphe 29, indiquant que « [l]e Tribunal conclut qu’il peut examiner les préoccupations soulevées par la plaignante en ce qui concerne son droit de priorité dans ce processus de nomination interne. Par conséquent, la requête préliminaire de la CFP est rejetée. » En fin de compte, la plainte a été rejetée parce qu’il n’y avait pas eu abus de pouvoir pour déterminer que la plaignante ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles.

71        La CFP a aussi cité Renaud c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2013 TDFP 26, où le TDFP avait conclu que l’administrateur général avait abusé son pouvoir, car la personne nommée dans cette affaire n’avait pas présenté de demande pour le poste. Le ministère de la Défense nationale avait amorcé un processus de nomination interne annoncé pour doter deux postes, le premier de niveau EG-06 et le deuxième, de niveau EG-07. M. Williams, la personne nommée, avait présenté une demande au niveau EG-06, mais au moment d’examiner sa demande, l’employeur pensait qu’il conviendrait bien au poste EG-07. Bien après la fin du processus de sélection, l’employeur a demandé à M. Williams de poser sa candidature au poste EG-07, poste qu’il a éventuellement obtenu.

72        Le TDFP a conclu que le fait de rouvrir l’évaluation pour un seul candidat constituait un abus de pouvoir. La CFP tente de tirer des parallèles à cette affaire et maintient que, même si la plaignante a fait l’objet d’une évaluation, elle ne peut être considérée comme candidate, car elle n’avait pas présenté de demande pendant la période d’affichage, en mars 2015.

73        Le raisonnement veut que la plaignante ne soit pas une candidate, parce qu’elle n’a pas présenté de demande pendant la période prescrite. Cependant, elle a présenté une demande dès qu’on lui en a offert la possibilité et elle avait entièrement le droit d’être évaluée, en tant que bénéficiaire de priorité (contrairement à M. Williams, que l’on favorisait clairement par une nouvelle évaluation, sans justification législative). Puisqu’on l’avait évaluée, il y avait une possibilité qu’elle soit nommée. En l’absence d’une définition de « candidat » dans la LEFP, on doit se reporter à sa définition ordinaire du dictionnaire, soit [traduction] « une personne qui cherche à obtenir une fonction, un prix, entre autres ou qui est nommée; une personne […] qui obtiendra vraisemblablement une certaine distinction ou charge […] » (du Canadian Oxford Dictionary).

74        La décision Casper a été mentionnée pour illustrer l’opinion de la Commission selon laquelle sans demande dans le cadre d’un processus, une personne ne peut être considérée comme candidate. Je vais résumer Casper (les faits et les motifs), puis j’expliquerai pourquoi je crois que cette affaire est distincte.

75        M. Casper n’avait pas de droit de priorité. Il était en congé et cherchait à revenir au travail. Pour des raisons qui n’ont pas été divulguées, il ne pouvait reprendre son poste original ou travailler dans son lieu de travail précédent. Les parties ont toutes accepté qu’il avait besoin d’une mesure d’adaptation. L’employeur a tenté de prendre des mesures d’adaptation appropriées dans un poste équivalent à celui qu’il avait jadis occupé. Dans le but de prendre des mesures d’adaptation en vue de son retour au travail, son ministère avait initié une procédure de renvoi pour qu’il soit considéré pour des postes de son niveau. Dans plusieurs cas, on l’avait avisé qu’il ne satisfaisait pas aux qualifications essentielles.

76        Dans Casper, la Commission a maintenu que, dans le déroulement normal d’un processus de sélection, une personne doit présenter une demande pour un processus particulier, selon les délais prescrits, pour être considérée comme candidat. M. Casper ne l’avait pas fait. Il a plutôt été présenté pour considération en vue de plusieurs postes, dont le poste pour lequel une nomination avait été faite, ce qui a donné lieu à sa plainte. La preuve indique qu’il n’avait pas fait l’objet d’une évaluation en fonction des qualifications essentielles de ce poste, mais plutôt en fonction de critères différents. La Commission contraste de la façon suivante la situation de M. Casper et celle dans Finley.

23Le plaignant soutient que la Commission devrait suivre la décision de la Cour fédérale dans Finley c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1668; cependant, les faits en l’espèce sont différents. Mme Finley a posé sa candidature à un concours faisant l’objet du litige dans cette affaire durant la période de présentation des candidatures et elle pouvait être nommée en raison du statut prioritaire dont elle bénéficiait en vertu de la Loi à ce moment précis, puisqu’elle était une « employée excédentaire ». En l’espèce, l’intimé n’avait pas présenté sa candidature lors de l’ouverture du processus 13-20 et, bien que l’intimé ait évalué la possibilité qu’il accède à des postes PM-03, il ne bénéficiait pas d’un statut prioritaire à ce moment-là. Contrairement à la soumission du plaignant, il n’était pas une [Traduction] « priorité interne ». Il était en congé et des mesures d’adaptation devaient être prises à son égard pour permettre son retour au travail; cependant, dans son cas, il ne bénéficiait d’aucune priorité législative ni réglementaire. Il n’avait droit à aucune exclusion à l’égard des exigences, des principes ou des pratiques liés à une nomination à un poste.

77        Le plaignant dans Casper n’avait pas été évalué en fonction des mêmes qualifications essentielles que celles du processus au sujet duquel il se plaignait. Le ministère avait décidé de l’évaluer de façon plus générale, pour divers postes, et non pour un poste particulier. Par conséquent, la Commission a conclu que les critères de mérite utilisés pour évaluer M. Casper ne pouvaient pas être utilisés pour le nommer au poste en question, sauf pour des motifs d’accommodement.

78        La Commission a terminé de la façon suivante son examen de la question à savoir si M. Casper était un « candidat non reçu » dans le processus en cause :

33 L’intimé s’est servi d’une ressource existante, l’UGP, pour mettre en œuvre un processus de renvoi lui permettant de trouver un poste PM-03 au plaignant. L’UGP [« Unité de gestion des priorités », unité ministérielle non liée au système de priorité législative dont se sert la CFP] a lié au moins un renvoi au processus de nomination 13-20 parce que le renvoi était survenu lorsqu’une demande visant une nomination à partir du processus 13-20 avait été faite. Cependant, le plaignant avait été référé pour un poste; le renvoi ne portait pas sur le processus 13-20. Si le plaignant avait été qualifié, l’intimé aurait pu le placer dans un poste PM-03 plutôt que de procéder à une nomination à partir du processus 13-20. La Commission conclut que le plaignant n’était pas un candidat dans le processus 13-20. Par conséquent, il n’était pas un candidat non reçu du processus de nomination 13-20.

79        En revanche, dans le présent cas, la plaignante a été évaluée en fonction des mêmes qualifications essentielles que celles énumérées pour le processus en question. Elle a été renvoyée au processus. Elle a clairement été évaluée dans le contexte du processus, même si ce n’était pas pendant la même période.

80        Dans Casper, la Commission cite Finley et indique que Mme Finley était non seulement une personne avec droit de priorité, mais elle avait aussi présenté sa candidature dans le processus en question. En fait, Mme Finley a présenté sa candidature dans le cadre de ce qu’on appelait à l’époque un  « concours restreint », ce qu’on désigne aujourd’hui un « processus de nomination interne », mais sa candidature a été éliminée à la présélection, car elle ne se trouvait pas dans la zone de sélection. Mme Finley était une employée d’Industrie Canada et le concours était ouvert aux employés de Développement des ressources humaines Canada. Cependant, Mme Finley était aussi bénéficiaire de priorité, car elle avait été déclarée excédentaire dans son ministère d’attache. Par conséquent, la CFP a demandé qu’elle soit évaluée en fonction de son statut prioritaire. Elle a échoué l’évaluation et a demandé recours devant un comité d’appel de la Commission de la fonction publique (le « comité d’appel »), qui a depuis été remplacée, aux fins de recours pour les processus de nomination internes, par la présente Commission.

81        Le comité d’appel s’est déclaré incompétent, car il estimait que Mme Finley n’était pas une « candidate non reçue » puisqu’elle ne se trouvait pas dans la zone de sélection et n’avait pas fait demande dans le cadre du concours restreint, mais avait été présentée à titre de bénéficiaire de priorité. La Cour fédérale a conclu qu’il s’agissait d’une erreur et a déclaré Mme Finley candidate non reçue ayant droit de recours devant le comité d’appel, car elle avait été évaluée en fonction des critères du concours.

82        Dans ses arguments dans le présent cas, la CFP prétend que le changement législatif constitue un élément important de l’analyse que je dois réaliser pour déterminer si la plaignante en l’espèce est une « candidate non reçue ».

83        Au moment de Finley, le droit de recours (pour une personne participant à un concours restreint) était défini de la façon suivante au paragraphe 21(1) de l’ancienne Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-33) :

21(1) Dans le cas d’une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l’appelant et l’administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre.

84        Dans la nouvelle LEFP, le droit de recours (pour une personne participant à un processus de nomination interne, l’équivalent d’un concours restreint) est décrit de la façon suivante à l’art. 77 :

77 (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement de la Commission des relations de travail et de l’emploi, présenter à celle-ci une plainte selon laquelle elle na pas été nommée ou fait lobjet dune proposition de nomination pour lune ou l’autre des raisons suivantes :

[…]

(2) Pour l’application du paragraphe (1), une personne est dans la zone de recours si :

a) dans le cas d’un processus de nomination interne annoncé, elle est un candidat non reçu et est dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34;

[…]

85        L’expression « candidat non reçu » n’a toujours pas été définie. Si la seule qualification est de se trouver dans la zone de sélection, cela comprendrait la plaignante dans ce cas, car le processus était ouvert à toute personne travaillant pour la fonction publique et occupant un poste dans la région de la capitale nationale.

86        La CFP a soutenu que de permettre à un tel candidat de porter plainte donnerait des résultats absurdes, contrairement aux principes d’interprétation législative, car certains bénéficiaires de priorité se trouveraient peut-être dans la zone de priorité et d’autres, non. Par conséquent, la Comission aurait compétence pour certains bénéficiaires de priorité, mais pas tous. Tout comme dans Finley, il se peut que la zone de sélection soit déplacée par les dispositions législatives du système de priorité. Je ne suis pas tenue de rendre une décision sur cette question. On devra en décider une autre fois, en fonction de faits différents.

87        Selon moi, le changement de libellé ne modifie pas la conclusion que je peux tirer de Finley et appliquer au présent cas. Tout comme dans Finley, la plaignante a été évaluée pour un processus particulier et son droit de participer était directement lié à son statut prioritaire. Sans statut prioritaire, Mme Finley n’aurait pas été admissible à un processus restreint, car elle ne se trouvait pas dans la zone de sélection; sans statut prioritaire, la plaignante n’aurait pas été admissible au processus de nomination, car la date limite avait passé. Dans les deux cas, Mme Finley et la plaignante ont été évaluées en fonction des qualifications essentielles. Je ne vois pas pourquoi la plaignante, comme Mme Finley, ne serait pas considérée « candidate non reçue ».

88        La plaignante indique qu’il n’y a tout simplement pas de jurisprudence qui s’applique directement à son cas. Sa position est simple et directe : elle a été évaluée de façon injuste et elle devrait pouvoir avoir recours contre une action qui, selon elle, constitue un abus de pouvoir. Par conséquent, la question est de savoir si la Commission peut offrir un tel recours au moyen d’une plainte en vertu de l’art. 77 de la LEFP.

89        M. Stack a témoigné de l’intervention possible de la CFP lorsqu’un ministère ne respecte pas le processus de priorité. Cela suppose que la CFP soit avisée du problème. Dans le cas de la plaignante, elle a premièrement attendu pour sa discussion informelle avec l’intimé. Lorsque cela n’a pas produit le résultat voulu, elle a tenté de communiquer avec la CFP, mais en vain. Le courriel standard qu’elle avait reçu en premier comprenait un avis de ne pas répondre et une adresse courriel générique d’information de la CFP, sans indiquer de personne-ressource ou qu’un recours auprès de la CFP était possible. Le courriel indiquait plutôt un éventuel recours auprès de la présente Commission.

90        La CFP et l’intimé maintiennent que la plaignante n’était pas une candidate. Je ne suis toujours pas convaincue. Elle a reçu une invitation de présenter une demande à titre de bénéficiaire de priorité à un processus pour un poste auquel, en théorie du moins, elle aurait eu la possibilité d’être nommée si elle satisfaisait à toutes les qualifications essentielles. En langage ordinaire, elle était candidate pour le poste. Rien dans la loi n’indique autrement.

91        Comme dans Finley, la plaignante est une candidate non reçue. Le langage a changé – maintenant, selon l’article 77 de la LEFP, « […] la personne qui est dans la zone de recours […] » peut porter plainte. Cette personne est définie comme étant « […] candidat non reçu […] dans la zone de sélection […] » dans le cas d’un processus interne annoncé.

92        La présente décision ne porte pas sur la façon dont devraient être traités les bénéficiaires de priorité qui ne se trouvent pas dans la zone de sélection. Il se peut que cela n’ait aucune importance, car ils sont incorporés au processus d’évaluation de toute façon. Ce qui importe, c’est qu’il ne devrait pas y avoir d’abus de pouvoir au moment d’évaluer les candidats qui ont le droit d’être évalués et la possibilité d’être nommés s’ils sont considérés comme étant qualifiés.

93        Si l’objectif de la LEFP est d’assurer l’équité et la transparence en matière de dotation, comme l’indique le Préambule, pourquoi soustrairait-elle les gestionnaires délégués à leur obligation de respecter le système légiféré de droit de priorité en niant le recours aux bénéficiaires de priorité?

94        Par conséquent, je conclus que cette Commission a compétence pour instruire cette plainte.

B. Question II : Y a-t-il eu abus de pouvoir dans l’application des critères de mérite?

95        L’article 77 de la LEFP stipule qu’un candidat non reçu dans la zone de sélection d’un processus de nomination interne peut déposer une plainte auprès de la Commission s’il n’a pas été nommé ou si sa nomination n’a pas été proposée en raison d’un abus de pouvoir. Même si « abus de pouvoir » n’est pas défini dans la LEFP, on peut lire, au paragraphe 2(4), qu’il comprend la mauvaise foi et le favoritisme personnel. Comme l’indique Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale), 2006 TDFP 8, aux paragraphes 66 et 71, un abus de pouvoir peut comprendre un acte, une omission ou une erreur que le législateur n’aurait pas pu envisager dans le cadre de la discrétion accordée aux personnes avec pouvoirs délégués de dotation. L’abus de pouvoir est une question de degrés. Pour qu’une telle conclusion soit faite, l’erreur ou l’omission doit être si énorme qu’elle ne peut faire partie de la discrétion accordée au gestionnaire délégué. Le fardeau de la preuve revient à la plaignante (voir Tibbs, au par. 50).

96        L’extrait suivant de Tibbs est pertinent à la présente affaire :

[…]

[73] L’abus de pouvoir constitue plus que simplement des erreurs ou omissions. Cependant, le fait que le délégué se fonde sur des éléments insuffisants, ou qu’il ait pris des mesures déraisonnables ou discriminatoires par exemple peut constituer des erreurs graves ou des omissions importantes qui équivalent à un abus de pouvoir, même si involontaire.

[74]Exiger que l’abus de pouvoir soit lié à l’intention entraînerait des situations qui seraient clairement contraires à l’objet de la LEFP. Le législateur n’aurait pas pu envisager qu’il n’y aurait aucun recours en vertu de la LEFP lorsque, par exemple, un gestionnaire, de façon involontaire, procèderait à une nomination qui donnerait lieu à un résultat déraisonnable ou discriminatoire. Lorsqu’un gestionnaire involontairement procède à une nomination qui va clairement à l’encontre de la logique et des renseignements disponibles, cela peut ne pas constituer un acte de mauvaise foi, un acte répréhensible intentionnel ou une conduite irrégulière, mais le gestionnaire peut avoir abusé de son pouvoir discrétionnaire.

[…]

97        L’affaire Portree c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 14, propose aussi une définition utile de ce que constitue l’abus de pouvoir :

[47] L’allégation d’abus de pouvoir est une question très grave et ne doit pas être prise à la légère. En résumé, pour obtenir gain de cause devant le Tribunal, une plainte d’abus de pouvoir doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a un acte répréhensible grave ou une faute majeure dans le processus, qui constitue plus qu’une simple erreur, omission ou conduite irrégulière justifiant l’intervention du Tribunal.

98        L’affaire la plus pertinente pour le présent cas est celle de Poirier c. le sous-ministre des Anciens combattants, 2011 TDFP 3, dans le cadre de laquelle un candidat fut éliminé en raison d’une ambiguïté dans les instructions fournies pour la lettre d’accompagnement. Celles-ci indiquaient que chaque expérience devait être mentionnée et accompagnée d’un ou deux paragraphes expliquant comment l’expérience avait été acquise. Les instructions avaient été conçues pour obtenir un paragraphe ou deux sur chaque expérience, selon l’intimé dans l’affaire. M. Poirier avait compris qu’il devait présenter son expérience (il y en avait six types) dans un ou deux paragraphes. Il fut éliminé parce que sa lettre d’accompagnement ne fournissait pas suffisamment de détails.

99        L’intimé a présenté divers cas où le TDFP avait conclu qu’il incombait au demandeur de démontrer qu’il possédait les qualifications essentielles. Il ne revenait pas à l’organisation d’embauche de s’enquérir. (Voir, par exemple, Edwards c. le sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2011 TDFP 10, aux paragraphes 31 à 38.)

100        Malgré la jurisprudence, Poirier appuie la proposition selon laquelle un demandeur doit avoir la possibilité de corriger une impression erronée si elle découle d’une ambiguïté dans les exigences. Dans Poirier, le gestionnaire délégué a tout simplement refusé d’entendre les explications de M. Poirier lors de la discussion informelle. L’extrait suivant de cette affaire s’applique directement au cas présent :

65   Dans la décision Tibbs, au paragraphe 70, le Tribunal a établi cinq catégories d’abus de pouvoir applicables aux décisions administratives discrétionnaires. Les deux catégories suivantes sont pertinentes au regard de la plainte en l’espèce :

1. Lorsqu’un délégué refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner des cas individuels avec un esprit ouvert;

2. Lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (incluant lorsqu’il ne dispose d’aucun élément de preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents).

66   En l’espèce, le comité d’évaluation a entravé son propre pouvoir discrétionnaire en refusant de reconnaître que ses instructions présentaient des failles, puis en omettant de prendre des mesures pour atténuer l’incidence de son erreur sur la candidature du plaignant. Le comité a ensuite éliminé la candidature du plaignant sur la base de renseignements inadéquats quant à ses qualifications en matière d’expérience.

67   En l’espèce, le fait que l’intimé a omis de corriger une erreur grave a mené directement à l’élimination de la candidature du plaignant et a empêché celui-ci de bénéficier d’un accès raisonnable et équitable à une possibilité d’emploi. Par conséquent, le Tribunal conclut qu’en agissant avec une telle incurie ou négligence, l’intimé a abusé de son pouvoir.

68  Le Tribunal a souvent jugé qu’il fallait plus que de simples erreurs ou omissions pour constituer un abus de pouvoir (voir la décision Tibbs, para. 65, et la décision Neil c. le sous-ministre d’Environnement Canada, 2008 TDFP 0004, para. 50 et 51). Toutefois, en l’espèce, le manque de clarté des instructions constituait davantage qu’une simple erreur administrative. Les instructions étaient sujettes à diverses interprétations, ce qui a eu pour conséquence directe que le plaignant n’a pas été en mesure de démontrer qu’il possédait les qualifications essentielles relatives à l’expérience. De plus, quand l’intimé a été mis au courant de cette erreur grave et de ses conséquences, il a omis de prendre des mesures pour corriger la situation. Ainsi, l’intimé a agi de manière inéquitable et a éliminé de façon inappropriée la candidature du plaignant sur la base de renseignements inadéquats, ce qui constitue de l’incurie ou de la négligence grave, car le plaignant n’a pas eu une juste possibilité d’être pris en considération pour un poste.

101        En l’espèce, la plaignante croyait que le fait d’inclure son expérience de Word suffirait pour établir qu’elle possédait le niveau intermédiaire. Même si ce niveau n’était pas défini, M. Muldoon estimait qu’il était très clair que les demandeurs devaient offrir des exemples comme l’utilisation d’en-têtes et de bas de page ou la création de tables des matières. Les instructions ne demandaient pas clairement des exemples de compétences. L’exigence était plutôt ainsi formulée : [traduction] « [] fournir des exemples et détails clairs et concrets de quand, où et comment vous avez acquis l’expérience visée ». Lors de la discussion informelle, lorsque la plaignante a tenté d’indiquer qu’elle possédait le niveau intermédiaire, car il lui aurait été impossible d’accomplir ses fonctions pendant les quinze dernières années sans elles, M. Muldoon a simplement refusé d’écouter ses arguments.

102        Je conclus que l’évaluation de la plaignante était superficielle. M. Muldoon a témoigné que selon les RH, la présélection avait été erratique et qu’il avait donc retenu les services d’un consultant pour la reprendre. En raison de cette décision, l’évaluation a été reprise et il en est ressorti que la candidature de la plaignante a été retenue suivant la deuxième évaluation. Cependant, au moment de la discussion informelle, il est clair que selon son témoignage et celui de M. Muldoon, il n’était pas disposé à corriger l’évaluation, malgré l’information contenue dans le curriculum vitæ. L’exigence de démontrer des compétences intermédiaires de Word n’était pas clairement énoncée en ce sens qu’il n’était pas évident quelles  compétences intermédiaires étaient recherchées. Lorsque la plaignante a indiqué qu’elle les possédait, comme l’indiquait son curriculum vitæ, il incombait au gestionnaire d’embauche de vérifier.

103        M. Muldoon a témoigné qu’une fois le processus terminé (présélection, test écrit, entrevues et vérification des références), l’intimé avait une [traduction] « candidate vedette » qui était clairement supérieure aux autres : c’était la personne nommée. Comme la plaignante l’a démontré dans sa chronologie des événements, telle que présentée ci-dessous, il était clair qu’aucun bénéficiaire de priorité, peu importe ses qualifications, n’avait de chance contre la personne nommée.

104        On a avisé la plaignante le 7 août qu’elle n’avait pas satisfait à une qualification essentielle. Elle a immédiatement réagi, mais a omis d’aviser la CFP. Aucune personne-ressource n’était indiquée pour la CFP, on ne fournissait qu’une adresse courriel générique. De plus, même si le courriel indiquait que l’autorisation pouvait être accordée dans les trois jours, il n’était pas clair que le fait d’aviser la CFP empêcherait l’émission de cet avis. Le courriel lui suggérait plutôt de communiquer avec la personne-ressource de l’intimé et ajoutait qu’en cas de nomination, elle aurait recours devant la Commission. (Je note que cette même « erreur », selon le terme employé par M. Muldoon, avait été commise dans Finley, plus de 12 ans auparavant. Je ne considère pas qu’une erreur administrative donne compétence à la Commission, mais l’erreur devrait peut-être être corrigée, si mon analyse de la première question s’avère erronée.)

105        La plaignante a communiqué avec l’intimé, mais n’a reçu de réponse que le 20 août; une discussion informelle était fixée pour le 3 septembre. Entre-temps, la CFP avait émis l’autorisation. Une notification de candidature retenue a été affichée à la fin août et la discussion informelle a été devancée au 1er septembre. Le 2 septembre, la nomination a été annoncée. La personne nommée occupait déjà le poste, en affectation intérimaire. Le rapport sur les discussions informelles a été envoyé dans les 10 minutes suivant la dernière discussion dans le but de montrer qu’elles avaient eu lieu avant la nomination. En d’autres mots, le document était prêt avant que n’aient lieu les discussions informelles et rien n’aurait pu changer le cours de la nomination.

106        Il y avait clairement des doutes relativement à la façon dont avait eu lieu l’évaluation. La deuxième évaluation avait conclu que la plaignante et un autre bénéficiaire de priorité étaient qualifiés. À ce moment, la personne nommée avait démissionné pour accepter un autre poste. L’explication de M. Muldoon à savoir pourquoi il n’avait pas accordé le poste à un des bénéficiaires de priorité ne fait aucun sens. Il a mentionné un [traduction] « processus embourbé »; il parlait [traduction] « d’urgence ». Le détachement ayant servi à doter le poste était effectif le 12 octobre. La réévaluation était terminée le 23 septembre. On n’avait clairement pas l’intention de se servir de ses résultats. M. Muldoon a indiqué qu’il aurait fallu du temps pour évaluer les bénéficiaires de priorité, alors qu’en réalité l’un ou l’autre aurait pu immédiatement être nommé, car ils satisfaisaient tous deux aux qualifications essentielles.

107        Si on considère ensemble toutes les mesures prises dans le cadre de cette nomination je conclus, selon la prépondérance des probabilités, « […] qu’il y a un acte répréhensible grave ou une faute majeure dans le processus, qui constitue plus qu’une simple erreur, omission ou conduite irrégulière justifiant l’intervention [de la Commission] ». Tout comme dans Poirier, l’intimé a abusé de son pouvoir en omettant d’évaluer de façon appropriée la plaignante et, une fois informé des erreurs dans son évaluation, en refusant d’envisager de les corriger avant de passer à la nomination.

108        L’intimé a soutenu que la Commission n’avait pas la compétence pour les détachements ou les mutations, soit le mécanisme finalement utilisé pour doter le poste de façon indéterminée. Je suis d’accord. Ce que je peux examiner, c’est la nomination initiale, qui a donné lieu à la plainte, et la substance de celle-ci, soit l’omission de l’intimé d’évaluer la plaignante de façon appropriée.

109        J’ajouterais, cependant, que les mesures prises ensuite par l’intimé confirment le peu de cas qu’il a fait de la demande d’emploi de la plaignante. L’exercice de priorité semble avoir été une simple formalité. Le seul objectif était d’obtenir l’autorisation pour la nomination de la candidate choisie. Après sa démission et après la réévaluation des candidats éliminés, les bénéficiaires de priorité n’ont jamais été considérés pour doter le poste, une contradiction directe de l’affirmation de M. Muldoon selon laquelle il était urgent de le faire.

110        Par conséquent, je conclus que la plainte est fondée.

C. Mesures correctives

111        La plaignante a demandé deux déclarations, soit que la Commission a compétence pour instruire la plainte d’une personne qui participe à un processus de nomination à titre de bénéficiaire de priorité et que l’intimé a abusé de son pouvoir en refusant de considérer véritablement la nomination de l’un ou l’autre des bénéficiaires de priorité qualifiés. J’ai conclu que la Commission a compétence pour instruire la plainte d’un bénéficiaire de priorité. J’ai aussi conclu qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite.

112        Lorsqu’une plainte en vertu de l’article 77 est accueillie, le pouvoir réparateur de la Commission est défini aux articles 81 et 82 de la LEFP. Tel qu’il est indiqué dans Canada (Procureur général) c. Cameron, 2009 CF 618, la mesure corrective, le cas échéant, doit être liée à l’abus de pouvoir lui-même. La Commission fera donc une déclaration relativement à l’abus de pouvoir dans l’application du principe du mérite.

113        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

114        Je déclare que l’intimé, l’administrateur général du ministère des Pêches et des Océans, a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite dans le cadre du processus 15-DFO-NCR-IA-CFO-118926.

Le 5 janvier 2018.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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