Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé occupait un poste d’agent correctionnel (CX) – dans le cadre de ses fonctions, il était membre de l’équipe d’urgence, et occasionnellement, il agissait à titre de formateur de l’équipe d’urgence – il a déposé un grief contre l’employeur en alléguant que ce dernier avait refusé de lui verser l’indemnité pour formateur à laquelle il avait droit en vertu de la convention collective – la Commission était saisie de la question de déterminer si la convention collective interdisait le cumul des avantages, comme le faisait valoir l’employeur, ou si le libellé de la convention collective créait deux avantages distincts auxquels la présomption contre le cumul des avantages ne s’appliquait pas, comme le faisait valoir le fonctionnaire s’estimant lésé – la Commission a conclu qu’en reconnaissant la formation aux fins de renouvellement de la certification et en exigeant que les formateurs soient membres de l’équipe d’urgence, l’employeur avait créé une situation où le cumul des indemnités devait être autorisé – par conséquent, les indemnités avaient clairement pour but de rémunérer les employés pour des fonctions et des rôles différents, réfutant ainsi la présomption contre le cumul – la Commission a conclu que ce n’était pas tous les formateurs qui étaient membres de l’équipe d’urgence ni tous les membres de l’équipe d’urgence qui étaient des formateurs; le fonctionnaire s’estimant lésé, pour sa part, fait partie des deux catégories.

Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20180129
  • Dossier:  566-02-11346
  • Référence:  2018 CRTESPF 6

Devant une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral


ENTRE

ERIC ENGER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Enger c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)


Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage


Devant:
Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada, CSN
Pour l'employeur:
Rebecca Sewell, avocate
Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique),
les 5 et 6 décembre 2017.
(Traduction de la CRTESPF)

MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1        Le fonctionnaire s’estimant lésé, Eric Enger, (le « fonctionnaire »), a déposé un grief (pièce 2, onglet 1) contre son employeur, le Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’« employeur »). Dans son grief, il affirme que l’employeur a refusé de lui verser l’indemnité pour formateur, conformément à la clause 43.05 de la convention collective entre le Conseil du Trésor et le Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, pour le groupe Services correctionnels, venant à échéance le 31 mai 2010 (pièce 1), pour les heures qu’il a consacrées à donner une formation à l’équipe d’urgence, pour laquelle il a reçu une indemnité versée aux employés qui acceptent d’être membres de l’équipe d’urgence, conformément à la clause 43.06 de la convention collective.

2        Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

II. Résumé de l’argumentation

3        Le fonctionnaire occupe un poste d’agent correctionnel (CX) à l’Établissement du Pacifique, situé à Abbotsford, en Colombie-Britannique. Dans le cadre de ses fonctions à l’Établissement du Pacifique, le fonctionnaire est membre de l’équipe d’urgence. Occasionnellement, il agit à titre de formateur de l’équipe d’urgence puisqu’il a achevé les trois étapes de la formation de qualification des formateurs de l’équipe d’urgence exigées par l’employeur. Je souligne que seuls les membres de l’équipe d’urgence sont admissibles à cette formation et peuvent devenir formateurs de l’équipe d’urgence. Comme l’exige l’employeur, les formateurs de l’équipe d’urgence sont responsables de la certification continue et du renouvellement de la certification des membres de l’équipe d’urgence.

4        Lorsqu’ils s’occupent de la formation des membres de l’équipe d’urgence à titre de formateurs, M. Enger et les autres formateurs préparent la formation en visionnant des vidéos pertinentes, en mettant en place des scénarios et en assurant la sécurité des munitions et de l’équipement de sécurité. Pendant la formation, les formateurs doivent veiller au respect des protocoles de sécurité et au respect des normes de formation nationales établies par l’employeur. Ils sont également responsables de consigner les présences des étudiants et de leur faire passer des examens. Lorsqu’il n’est pas occupé à donner une formation, le fonctionnaire assiste d’autres formateurs pendant leurs séances. M. Enger enseigne tous les aspects des cours de certification et de renouvellement de la certification de l’équipe d’urgence. Les heures qu’il consacre à la formation lui sont créditées en vue de ses propres exigences de renouvellement de la certification de l’équipe d’urgence (voir la transcription de la formation, pièce 5, page 5).

5        Le libellé des clauses 43.05 et 43.06 a été ajouté à la convention collective en 2006 et n’a pas été modifié dans la plus récente convention collective.

6        Dans son témoignage, le fonctionnaire a dit que, avant le dépôt de son grief, les indemnités prévues aux clauses 43.06, pour avoir donné de la formation, et 43.05, à titre de membre de l’équipe d’urgence, lui avaient été versées de manière sporadique. Il ne pouvait toutefois pas affirmer de manière catégorique quand elles avaient été versées. Avant de déposer son grief, le fonctionnaire a parlé à des formateurs de l’équipe d’urgence dans d’autres établissements et il a appris que la façon d’être rémunéré variait selon le pénitencier. Le fonctionnaire a parlé à son directeur adjoint, Opérations (DAO), à l’Établissement du Pacifique, Claude Demers, qui lui a dit que c’était étrange parce qu’à l’Établissement Mountain où il avait travaillé auparavant à titre de DAO, il versait aux formateurs de l’équipe d’urgence les deux indemnités.

7        M. Demers a accepté de faire un suivi à ce sujet et, plus tard, il a informé M. Enger qu’il avait communiqué avec l’Administration centrale qui, à son tour, l’avait informé que M. Enger n’avait droit qu’à une indemnité pour la même période et que le cumul d’indemnités n’était pas autorisé. M. Enger n’est pas d’accord avec cette interprétation. Il a fait valoir que sans le formateur de l’équipe d’urgence il n’y a pas de formation, et que seul un membre de l’équipe d’urgence qui a obtenu la certification de formateur peut donner cette formation, sauf si le formateur est un spécialiste certifié dans un domaine reconnu par l’employeur, ce qui exclut les formateurs qui ne sont pas membres de l’équipe d’urgence et qui enseignent le renouvellement de la certification aux agents correctionnels hiérarchiques qui ne sont pas membres de l’équipe d’urgence. Par conséquent, le fonctionnaire a déposé son grief.

8        Richard Colledge est le gestionnaire correctionnel des horaires et du déploiement à l’Établissement du Pacifique. Il occupe ce rôle à titre permanent depuis 2015, et il a exercé ce rôle à titre intérimaire de temps à autre entre 2010 et 2015. Dans le cadre de ses fonctions, il est responsable de la consignation des demandes de formation et d’indemnité dans le système des horaires de travail et du déploiement (SHD) de l’employeur. Le SHD ne lui permet pas de consigner à la fois l’indemnité pour l’équipe d’urgence en vertu de la clause 43.06 de la convention collective et l’indemnité du formateur en vertu de la clause 43.05 de la convention collective, parce qu’il s’agirait alors d’une violation de ladite convention collective. Le SHD assure la conformité avec la convention collective.

9        Au moment du dépôt du grief, Samantha Moore était gestionnaire par intérim de la rémunération pour la région du Pacifique de l’employeur. Son secteur était chargé du traitement des documents liés aux demandes d’indemnité, y compris les indemnités de l’équipe d’urgence et de formateur, dans le système de paie. Ses employés recevaient des demandes approuvées par le gestionnaire titulaire du pouvoir prévu à l’article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11 (la « LGFP »), aux fins de consignation dans le système de paie. Les demandes pour les deux indemnités étaient retournées au gestionnaire avec l’instruction qu’une seule serait payée; le gestionnaire devait préciser laquelle serait payée. Au mieux de sa connaissance, il a affirmé que ce processus était en place depuis 2013.

10        Dans son témoignage, Claude Demers a dit qu’entre 1992 et 2007, il était membre de l’équipe tactique de l’équipe d’urgence, mais qu’il n’avait jamais été formateur de l’équipe d’urgence. Il a été formateur de la direction et, à ce titre, il n’a pas droit aux indemnités prévues par la convention collective. Il a corroboré la description de M. Enger sur la façon dont la formation était offerte aux membres de l’équipe d’urgence et qui l’offrait. Il a également souligné qu’il ne se rappelait pas quand les indemnités de formateur et pour l’équipe d’urgence avaient été ajoutées à la convention collective. Selon M. Demers, les CX qui ne font pas partie de l’équipe d’urgence reçoivent la prime de formateur en vertu de la clause 43.05 de la convention collective en guise d’indemnité pour les responsabilités supplémentaires lorsqu’ils offrent une formation. Autrement dit, la rémunération des formateurs est plus élevée que celle des étudiants.

11        Selon sa compréhension, les membres de l’équipe reçoivent l’indemnité de l’équipe d’urgence en vertu de la clause 43.06 de la convention collective lorsqu’ils sont appelés à un incident ou lorsqu’ils sont en formation afin de les rémunérer pour les tâches supplémentaires liées à leur rôle dans l’équipe d’urgence. Les membres de l’équipe d’urgence qui sont des formateurs de l’équipe d’urgence reçoivent une indemnité distincte. M. Demers a reçu ces renseignements de son conseiller en relations de travail après avoir reçu le grief de M. Enger. À son avis, les membres de l’équipe d’urgence en formation sont des membres de l’équipe ou des formateurs, pas les deux.

12        En tant que gestionnaire titulaire des pouvoirs accordés en vertu de l’article 34 de la LGFP, M. Demers vérifie et autorise les demandes d’indemnités dans le cadre de ses fonctions régulières. Il ne se rappelle pas avoir souvent reçu des demandes de double indemnité et, le cas échéant, il est convaincu qu’il les retournait alors à l’employé concerné. Il n’a jamais dit aux membres et aux formateurs de l’équipe d’urgence de l’Établissement du Pacifique que les clauses 43.05 et 43.06 de la convention collective étaient mutuellement exclusives. Il l’a expliqué au fonctionnaire pendant la procédure de règlement de griefs. Il ne se rappelle pas avoir dit au fonctionnaire qu’il était étonné que ce dernier n’ait pas reçu les deux, surtout puisque le SHD, un système conçu par l’employeur dans le but de refléter la convention collective, ne permettrait pas le versement des deux indemnités. Les agents correctionnels qui ne sont pas membres de l’équipe d’urgence et qui donnent de la formation à d’autres agents recevront les indemnités en vertu de la clause 43.05 en reconnaissance des tâches et responsabilités supplémentaires.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

13        Pour déterminer ce que les parties entendaient par les clauses 43.05 et 43.06 de la convention collective, il faut examiner le libellé simple et ordinaire de la convention collective dans son ensemble. Le refus de payer au fonctionnaire l’indemnité de formateur ainsi que l’indemnité de membre de l’équipe d’urgence pour les heures consacrées à la formation de l’équipe d’urgence est fondé sur l’opinion de l’employeur que le cumul est interdit. Lorsque l’employeur a l’intention d’empêcher le cumul des indemnités dans la convention collective, il l’affirme expressément, comme c’est le cas dans la partie 3, plus particulièrement aux clauses 22.03, 24.03 et 33.02 de la convention collective. Dans chacun de ces cas, il y a une interdiction expresse de cumul des avantages.

14        Cependant, les indemnités en question se trouvent dans la partie IV de la convention collective, où une telle interdiction n’est pas expressément affirmée. Les clauses 43.05 et 43.06 de la convention collective ont des objectifs complètement différents et visent à rémunérer l’agent pour des fonctions distinctes. Le point de vue de l’employeur est ridicule et ferait en sorte que le formateur soit payé au même taux que l’étudiant. Les formateurs de l’équipe d’urgence ne seraient pas rémunérés pour le travail ou les responsabilités supplémentaires inhérents à leur rôle de formateur, et ce, au motif qu’ils sont rémunérés comme membres de l’équipe d’urgence en vertu de la clause 43.06. S’ils reçoivent l’indemnité de formateur en vertu de la clause 43.05, ils n’agissent pas à titre de membre de l’équipe d’urgence, ce qui contredit le raisonnement consistant à reconnaître que les formateurs ont achevé leur formation de recyclage en donnant la formation.

15        La formation de l’équipe d’urgence doit être offerte par les membres de l’équipe d’urgence (ou un autre spécialiste reconnu par l’employeur); il est donc nécessaire de convoquer un membre de l’équipe d’urgence pour donner la formation, conformément aux propres politiques de l’employeur. L’opinion des relations du travail (pièce 6) n’est pas pertinente, puisqu’il n’existe aucun fondement factuel sur lequel s’appuyer. L’employeur n’a présenté aucune interprétation du Conseil du Trésor, l’autre partie à la convention collective, pour expliquer son interprétation de la clause. Il n’existe pas de preuves claires, logiques et convaincantes à l’appui de l’interprétation du SCC. Le témoignage de M. Enger n’est pas contesté et a été corroboré par M. Demers. Les éléments de preuve présentés par M. Colledge et Mme Moore sont peu pertinents.

16        Selon Brown et Beatty, dans Canadian Labour Arbitration, quatrième édition, au paragraphe 8:2140, il existe une présomption contre le cumul sauf si les versements ont des objectifs différents, comme c’est le cas en l’espèce. La clause 43.05 de la convention collective rémunère les formateurs pour la responsabilité supplémentaire de donner la formation pour le compte de l’employeur, alors que la clause 43.06 de la convention collective rémunère les membres de l’équipe d’urgence pour la responsabilité supplémentaire de leurs rôles en tant que membres de l’équipe d’urgence. (Voir également Houle c. Manitoba (Conseil du Trésor), (1978) 21 L.A.C. (2d) 103; Beese et. al. c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains), 2012 CRTFP 99; Jones c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 70, au paragraphe 97).

B. Pour l’employeur

17        Selon la position de l’employeur, le fonctionnaire n’a pas droit au paiement des indemnités prévues aux clauses 43.05 et 43.06 de la convention collective pour les mêmes heures. Il a droit à l’indemnité pour ces heures en vertu de l’un des intertitres, mais pas les deux. Le langage clair et simple de la convention collective n’est pas ambigu et, par conséquent, aucune preuve de l’intention des parties n’est requise. La direction a pour pratique de ne verser qu’une seule indemnité, et le SHD a été configuré de manière à rendre impossible la réclamation des deux indemnités pour les mêmes heures. Le SHD est fondé sur la convention collective et constitue la meilleure preuve de l’interprétation appropriée de la convention collective.

18        Lorsque les formateurs de l’équipe d’urgence sont appelés à donner une formation pour l’équipe d’urgence, ils sont présents à titre de formateurs et non à titre de membres de l’équipe d’urgence. Ils n’exercent pas des fonctions liées à l’équipe d’urgence. Que le formateur soit membre ou non de l’équipe d’urgence, lorsqu’il donne une formation pour l’équipe d’urgence, il agit en tant que formateur.

19        Il doit y avoir une expression claire d’intention de conférer un avantage financier (Wallis c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2004 CRTFP 180, au paragraphe 37). Il incombe à l’agent négociateur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que ce qu’il allègue a réellement eu lieu (Arsenault et. al. c. Agence Parcs Canada, 2008 CRTFP 17, au paragraphe 29). Dans la présente affaire, l’agent négociateur n’a pas réussi à démontrer le droit réclamé par le fonctionnaire.

20        Lorsque les droits sont clairs, il n’est pas possible d’ajouter de nouvelles conditions, même si la disposition en question semble injuste (Chafe et. al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, aux paragraphes 50 et 51). La convention collective ne contient aucune indication que les indemnités en question puissent être cumulées. La convention collective a été renouvelée sans changement au libellé. M. Demers a affirmé que, à son avis, une seule indemnité s’applique à la fois. Il n’existe aucune pratique antérieure cohérente établissant le contraire.

21        La Commission doit respecter le sens clair de la convention collective, qu’il soit désagréable ou non. Dans l’éventualité où le grief était accueilli, l’employeur affirme que les principes établis dans Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813, s’appliquent, et que la rétroactivité de toute ordonnance est limitée aux 25 jours ouvrables précédant la date de dépôt du grief.

IV. Motifs

22        L’affirmation des deux parties, selon laquelle il est nécessaire d’examiner l’ensemble de la convention collective et d’accorder aux termes y figurant leur sens clair et habituel afin de déterminer l’interprétation appropriée des clauses 43.05 et 43.06 de la convention collective, est correcte. Les principes contemporains d’interprétation sont davantage axés sur les termes employés, selon leur sens ordinaire et grammatical, dans le contexte de l’ensemble de la convention, de son objet, et de l’intention des parties. Les principes contemporains d’interprétation constituent davantage une méthode d’interprétation qu’une règle comme telle, et englobent plusieurs conventions dûment reconnues en matière d’interprétation. Les principes contemporains amènent les personnes chargées d’interpréter une convention à tenir compte de l’ensemble du contexte de la convention, d’en lire les termes en les inscrivant dans leur contexte global et en leur attribuant leur sens ordinaire et grammatical, en harmonie avec le cadre et l’objet de la convention et de l’intention des parties (Beese, au paragraphe 23).

23        La question dont je suis saisi consiste à déterminer si, comme le soutient l’employeur, le libellé des clauses 43.05 et 43.06 de la convention collective interdit le cumul des indemnités ou si, comme le soutient le fonctionnaire, le libellé de la convention collective crée deux avantages distincts auxquels la présomption contre le cumul des avantages ne s’applique pas.

24        À première vue, le libellé des deux clauses en question est très simple :

**

43.05 Indemnités pour formateur

Lorsqu’un-e employé-e accepte d’agir à titre de formateur, il ou elle reçoit une indemnité de deux dollars et cinquante cents (2,50 $) de l’heure pour chaque heure ou partie d’heure.

                     **

43.06 Indemnités pour les employé-e-s qui acceptent d’être membres de l’équipe d’urgence

L’employé-e qui est membre de l’équipe d’urgence reçoit d’une prime de deux dollars et cinquante cents (2,50 $) de l’heure ou partie d’heure dès qu’il ou elle est appelé comme membre de l’équipe d’urgence. Cette prime s’applique également durant les périodes de formation données à l’employé-e membre de l’équipe d’urgence.

         **

25        Les clauses 43.05 et 43.06 de la convention collective ont été introduites dans la convention collective en 2006, comme le démontrent clairement les astérisques qui précèdent les deux clauses dans la version imprimée de la convention collective déposée à titre de pièce 1. Il n’y a pas d’intertitre pour aider à interpréter ces clauses ou pour indiquer si elles doivent être lues ensemble ou séparément. Si les parties avaient voulu qu’elles soient lues ensemble de sorte que les formateurs de l’équipe d’urgence n’aient pas droit à l’indemnité pour formateurs en vertu de la clause 43.05 et à l’indemnité pour membres de l’équipe d’urgence pour leur participation à la formation d’urgence, on pourrait s’attendre à ce que ce soit indiqué ici, puisque les deux clauses se suivent. Il n’en est pas question.

26        Je note que l’employeur a pris des mesures pour limiter d’autres indemnités. La clause 43.03 de la convention collective, Indemnité d’habillement, qui a été introduite en même temps que les clauses 43.05 et 43.06 de cette même convention, limite l’indemnité pour les uniformes des CX-1 et CX-2 s’ils réclament l’indemnité prévue à cette clause : « Un-e employé-e recevant cette indemnité ne doit pas être admissible à recevoir des points portant sur la question de l’uniforme » [je souligne].

27        Ailleurs dans la convention collective, plus particulièrement à la partie 3, Conditions de travail, l’employeur a pris des mesures pour empêcher le cumul des avantages, comme l’a fait remarquer le fonctionnaire. La clause 22.03 est libellée comme suit :

Article 22

Indemnité de rentrée au travail

[…]

22.03  Les paiements prévus aux termes de l’indemnité de rappel au travail et de l’indemnité de rentrée au travail ne sont pas cumulés, c’est-à-dire que l’employé-e n’a pas droit à plus d’une rémunération pour le même service.

[…]

[Je souligne]

28        Un libellé semblable figure à la clause 24.03 :

Article 24

Indemnité de rappel au travail

[…]

Non-cumul des paiements

24.03  Les paiements prévus en vertu des dispositions concernant les heures supplémentaires, l’indemnité de rentrée au travail, des dispositions concernant les jours fériés désignés payés et l’indemnité de disponibilité de la présente convention collective, ainsi que du paragraphe 24.01 ci-dessus, ne doivent pas être cumulés; c’est-à-dire que l’employé-e n’a pas droit à plus d’une rémunération pour le même service.

[…]

[Je souligne]

29        De même, à la clause 33.02, il y a une interdiction particulière encore plus précise contre le cumul des avantages :

Article 33

Indemnité de départ

[…]

33.02 Les indemnités de départ payables à l’employé-e en vertu du présent article sont réduites de manière à tenir compte de toute période d’emploi continu pour laquelle il a déjà reçu une forme quelconque d’indemnité de cessation d’emploi. En aucun cas doit-il y avoir cumul des indemnités de départ maximales prévues au paragraphe 33.01.

[Je souligne]

30        L’employeur a démontré une tendance nette, dans le passé et par l’introduction de nouveaux libellés dans cette convention collective, à préciser les occasions où le cumul des avantages est interdit. Il a choisi de ne pas le faire dans le cas de l’indemnité pour formateurs et de l’indemnité pour les membres de l’équipe d’urgence. Selon le fonctionnaire, cela suffit pour établir qu’il a droit aux deux.

31        Ce n’est malheureusement pas suffisant, à mon avis, pour tirer cette conclusion, bien que ce soit très convaincant. Selon Brown et Beatty, au paragraphe 8:2140, lorsque des avantages sont payés aux fins d’un même objectif et pour la même période sous deux dispositions différentes, il y a cumul. Il n’y a aucune question de cumul lorsque les demandes de prime se rapportent à des heures différentes ou à des travaux différents.

32        L’application de la clause 43.05 de la convention collective est restreinte. Elle ne s’applique qu’aux CX qui offrent de la formation à d’autres CX pour le compte de l’employeur. Elle a pour but de rémunérer l’employé qui agit en tant que formateur et rien d’autre. L’application de la clause 43.06 de la convention collective est aussi restreinte; elle ne s’applique qu’aux CX qui sont membres de l’équipe d’urgence. Ce ne sont pas tous les formateurs qui sont membres de l’équipe d’urgence ni tous les membres de l’équipe d’urgence qui sont formateurs. Dans le cas du fonctionnaire, il entre dans les deux catégories. Les indemnités ont clairement pour but de rémunérer les employés pour des fonctions et des rôles différents. Comme l’a affirmé l’arbitre de grief dans Jones, au paragraphe 97 :

[…] les parties ont reconnu que la formation est une tâche qu’un agent correctionnel visé par la convention collective pourrait être appelé à accomplir et pour laquelle il ne recevrait aucune autre rémunération, […]

33        Selon la politique de l’employeur, la formation de l’équipe d’urgence est donnée aux membres de l’équipe par des membres de l’équipe d’urgence qui sont certifiés à titre de formateurs. Si la formation de l’équipe d’urgence était fournie par des membres de l’équipe d’urgence et qu’il n’y avait aucune exigence qu’un formateur soit certifié, il n’y aurait pas de question de cumul. Ce n’est toutefois pas le cas. Le formateur doit être membre de l’équipe d’urgence. Ce qui distingue les membres de l’équipe d’urgence des autres CX sur le plan de la rémunération, c’est qu’ils reçoivent une prime en vertu de la clause 43.06 pour toutes les heures où ils sont appelés à agir à titre de membre de l’équipe d’urgence, y compris les heures consacrées à la formation exigée par l’employeur.

34        Il est intéressant de noter que, selon le témoignage non contesté de M. Enger, l’employeur reconnaît les heures consacrées à donner de la formation aux membres de l’équipe d’urgence comme des heures comptabilisées aux fins du renouvellement de la certification requise en tant que membre de l’équipe d’urgence. J’y vois la confirmation que, pendant qu’il donne la formation, le fonctionnaire est un membre de l’équipe d’urgence, sinon il aurait dû satisfaire aux obligations de recyclage à un autre moment.

35        L’employeur a reconnu que, pendant qu’il se trouve aux séances de formation, le fonctionnaire agit à titre de formateur et qu’il a donc droit à l’indemnité pour formateurs. En reconnaissant la formation aux fins de renouvellement de la certification et en exigeant que les formateurs soient membres de l’équipe d’urgence, l’employeur a créé une situation où le cumul des indemnités doit être autorisé, puisque les indemnités visent des travaux et des buts nettement différents, ce qui réfute la présomption contre le cumul établie dans Brown et Beatty.

36        La représentante de l’employeur a soutenu que Wallis exige une expression d’intention claire pour conférer un avantage financier. Les clauses 43.05 et 43.06 de la convention collective ne peuvent pas être plus claires; elles indiquent clairement l’intention de conférer un avantage financier, en établissant l’avantage en question.

37        La représentante de l’employeur a aussi soutenu que, lorsque les indemnités sont claires, de nouvelles conditions ne peuvent pas être ajoutées, même si la disposition en question semble injuste (Chafe). À son avis, la convention collective ne contient aucune indication que les indemnités en question puissent être cumulées. Cependant, la convention collective n’indique pas qu’elles ne peuvent pas être cumulées, comme c’est le cas ailleurs lorsque c’est là l’intention des parties et, lorsque les buts sont distincts comme c’est le cas ici, il y a cumul. Si j’accepte l’argument de l’employeur, j’imposerais des conditions relatives à l’application de la convention collective qui n’existent pas autrement.

38        L’employeur se fiait beaucoup à son système SHD comme preuve de l’exactitude de son interprétation et de son application de la convention collective. Je n’accorde aucun poids à l’argument que la seule interprétation correcte de la convention collective repose entièrement sur le fait que le système d’horaire de travail d’un employeur ne permet pas l’entrée de deux indemnités pour la même période. Le SHD n’est rien de plus qu’un outil d’horaire de travail créé par l’employeur; il ne constitue pas une preuve de l’interprétation appropriée de la convention collective.

39        Le grief est accueilli. Cependant, conformément à la décision dans Coallier, tout paiement rétroactif sera limité à la période de 25 jours ouvrables précédant le dépôt du grief.

40        Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

41        Le grief est accueilli avec paiement rétroactif des indemnités prévues en vertu de la clause 43.05 de la convention collective, pour la période se limitant aux 25 jours ouvrables précédant le 6 janvier 2015.

42        Je demeure saisie de cette affaire pendant une période de 120 jours à compter de la date de cette décision pour traiter les questions découlant de la présente ordonnance.

Le 29 janvier 2018.

Traduction de la CRTESPF

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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