Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement (motif disciplinaire) - Suspension (durée indéfinie) - Diffusion de renseignements désobligeants et faux concernant un haut fonctionnaire - le fonctionnaire a été suspendu indéfiniment puis congédié pour avoir diffusé des renseignements faux et trompeurs concernant un haut fonctionnaire dont on étudiait la candidature pour un poste de direction dans son ministère - il a renvoyé à l'arbitrage son grief concernant la suspension indéfinie et le congédiement - à la conclusion de l'audience d'arbitrage, le fonctionnaire a tenté de présenter, par l'intermédiaire de son représentant, des observations écrites additionnelles - l'arbitre les a acceptées sous réserve des objections soulevées par l'employeur - l'arbitre a refusé de tenir compte de ces observations dans sa décision puisqu'elles mentionnaient des affaires concernant lesquelles on n'avait présenté aucune preuve à l'audience - l'arbitre a rejeté le grief concernant la suspension pour une période indéfinie - cependant, elle a fait droit en partie au grief concernant le congédiement et a accordé au fonctionnaire six mois de rémunération au lieu de le réintégrer dans ses fonctions, puisque le lien de confiance entre le fonctionnaire et l'employeur avait été irrémédiablement rompu par la conduite du fonctionnaire [(1995) 27 Recueil de décisions de la CRTFP 34] - le fonctionnaire a présenté à la Cour fédérale, Section de première instance, une demande de révision judiciaire de la décision de l'arbitre et la Cour a accueilli sa demande en partie et a renvoyé l'affaire à l'arbitre « afin qu'elle prenne en considération soit les parties pertinentes des conclusions écrites, soit tous les arguments proposés de vive voix » (dossier de la Cour T-1365-95) - après avoir entendu tous les arguments proposés de vive voix ayant trait aux circonstances atténuantes additionnelles, l'arbitre a confirmé sa décision initiale. Grief concernant la suspension pour une période indéfinie rejeté. Grief concernant le congédiement admis en partie.

Contenu de la décision

Dossiers : 166-2-25992 166-2-25993

Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE RUSSELL DEIGAN fonctionnaire s'estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Industrie Canada)

employeur

Devant : Rosemary Vondette Simpson, commissaire Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Dougald E. Brown, avocat Pour l'employeur : Ronald M. Snyder, avocat Affaire entendue à Ottawa (Ontario), le 15 janvier 1998.

Decision Page 1 Les griefs de M. Russell Deigan contestant son congédiement et sa suspension pour une période indéterminée (dossiers de la Commission 166-2-25992 et 25993) ont été entendus en arbitrage par la soussignée du 11 au 13 janvier 1995. Pendant toute la période pertinente, le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Deigan, travaillait comme agent de commerce, CO-2, au Bureau de la concurrence à Industrie Canada, jusqu'à ce qu'il soit suspendu puis congédié pour avoir diffusé certaines lettres au sujet d'un autre fonctionnaire. Les parties ont demandé que la personne faisant l'objet de ces lettres ne soit pas identifiée par son nom. On l'appelle donc M me A tout au long de la présente décision.

M. Deigan a été suspendu pour une période indéterminée à compter de la fermeture des bureaux le 29 juin 1994 et congédié le 29 juillet 1994. La lettre de congédiement datée du 29 juillet 1994 et signée par James H. Bocking, sous-directeur intérimaire, Direction des fusionnements, Bureau de la concurrence (pièce E-24) dit ceci :

[Traduction] Je vous écris au sujet de la rédaction et de la diffusion à titre anonyme d'une série de lettres à des cadres supérieurs de la fonction publique, ministres de la Couronne et conseillers au sein du Cabinet du premier ministre. On a discuté de ces lettres avec vous lors de réunions qui ont eu lieu le 21 juin, le 6 juillet et le 8 juillet 1994. Vous avez été suspendu pour une période indéterminée à compter de la fermeture des bureaux le 29 juin 1994 en attendant qu'on achève l'enquête sur cette affaire.

Les lettres en question portent sur des situations mettant en cause M m e A, avocate-générale intérimaire, Services juridiques, Industrie Canada (l'ancien secteur des Consommateurs et des Sociétés). Ces lettres ont manifestement pour but de mettre en doute la compétence de M m e A relativement à certaines possibilités de promotion, y compris à un poste au Bureau de la politique de concurrence pour lequel on examinait sa candidature, et de nuire à ses perspectives d'avancement en général.

À la réunion du 21 juin, je vous ai dit que si l'enquête révélait qu'il était justifié de prendre des mesures disciplinaires à votre égard, des facteurs tels que la franchise et le remords pourraient influer de façon importante sur les mesures à prendre. À cette réunion du 21 juin, vous avez

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Decision Page 2 catégoriquement nié avoir joué un rôle quelconque dans la rédaction et la diffusion de ces lettres. Vous l'avez nié à nouveau à la réunion du 6 juillet, malgré la preuve qui démontrait qu'on avait trouvé une lettre et des parties du texte d'autres lettres dans votre ordinateur au bureau. Vous avez en outre laissé entendre qu'une autre personne s'était servie de votre ordinateur et qu'on vous blâmait injustement.

À la réunion du 8 juillet qui a eu lieu à votre demande, vous avez admis avoir écrit et envoyé toutes les lettres, à l'exception de celle adressée au président de la Commission de la fonction publique. Vous avez continué de nier que vous étiez l'auteur de cette lettre malgré les ressemblances frappantes quant à la phraséologie et le contenu aux autres lettres, surtout à celle adressée à M. Mitchell Sharp en date du 16 avril 1994. En guise d'explication, vous avez déclaré que vous aviez craint des représailles si M m e A devenait un jour votre supérieur hiérarchique, ces craintes résultant de différends que vous aviez eus avec elle dans le passé. Je vous rappelle que, en premier lieu, ces lettres ont été rédigées après une discussion que vous avez eue avec un agent supérieur dans votre division qui vous a expliqué que vos craintes n'étaient pas justifiées, et que, en deuxième lieu, vous avez reconnu à la réunion du 8 juillet que vous saviez que vous aviez la possibilité d'une mutation à un autre poste au Bureau advenant le cas M m e A serait nommée au poste de sous-directeur de la Direction des fusionnements. Compte tenu de ces faits, votre prétendue crainte de représailles invoquée pour expliquer pourquoi vous avez écrit ces lettres n'était pas justifiée. Vous avez reconnu le caractère inapproprié de votre conduite, vous avez proposé de présenter des excuses et vous avez déclaré que vous n'agiriez plus de la sorte.

Je sais que vous avez déjà eu des différends avec M m e A dans le passé et que vous avez entrepris de présenter des plaintes et des griefs. Ces plaintes et griefs ont été réglés ultérieurement par un protocole d'entente signé par vous-même, la Commission de la fonction publique, Investissement Canada et d'autres parties. L'une des dispositions de l'entente interdit à l'une quelconque des parties de divulguer ou de faire connaître publiquement de quelque façon que ce soit les dispositions de l'entente ou tout fait ou circonstance qui a donné lieu à l'entente sans le consentement de l'autre partie. Vous avez manifestement et répréhensiblement contrevenu à cette disposition en envoyant ces lettres. Comme vous l'avez fait sur une période d'environ six semaines, on ne saurait parler d'un geste impulsif de votre part.

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Decision Page 3 Le Bureau de la politique de concurrence, pour remplir efficacement ses fonctions d'enquête et d'examen des transactions commerciales qui mettent en cause des renseignement commerciaux de nature très délicate, compte beaucoup sur l'intégrité, la probité professionnelle et la fiabilité de ses agents. Vous avez irrémédiablement détruit ce lien de confiance et vous avez dérogé aux normes de conduite auxquelles on s'attendait de votre part en écrivant et en envoyant ces lettres, en donnant une impression incorrecte de votre rôle dans cette affaire aux cadres du bureau les 21 juin et 6 juillet, en continuant de nier toute responsabilité de votre part en ce qui concerne la lettre du 14 avril 1994 adressée au président de la Commission de la fonction publique et en ne respectant pas l'entente qui était censée régler les différends entre vous et M m e A et d'autres parties. Ayant examiné avec soin votre comportement à cet égard, y compris vos évaluations du rendement, j'en suis arrivé à la conclusion que votre conduite justifie votre congédiement motivé de la fonction publique. Par conséquent, en vertu du pouvoir qui m'est délégué par le sous-ministre, je vous licencie de la fonction publique du Canada à compter de la fermeture des bureaux le 29 juillet 1994.

Vous avez le droit de présenter un grief pour contester cette décision.

Après avoir entendu la preuve et les arguments oraux des parties, j'ai énoncé mes conclusions et examiné les circonstances atténuantes dans ma décision datée du 19 mai 1995, que je reproduis ci-dessous :

En outre, à la toute fin de l'audience, M. Deigan m'a remis un document rédigé par lui contenant un certain nombre d'affirmations et d'arguments qui venaient s'ajouter à ceux avancés par son représentant. L'avocat de l'employeur s'est opposé à ce que ce document soit admis en preuve parce qu'il contenait des allusions à un certain nombre de questions qui étaient étrangères à la preuve. Avec le consentement de l'avocat de l'employeur, j'ai convenu de lire le document avant de me prononcer sur son admissibilité. En le lisant, j'ai constaté qu'il contenait de nombreuses affirmations factuelles qui ne font pas partie de la preuve. Par conséquent, je conclus que je ne puis me fonder sur ce document.

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Decision Page 4 Il me reste à me prononcer sur les griefs concernant la suspension et le congédiement du fonctionnaire s'estimant lésé.

J'ai examiné minutieusement les faits et les éléments de preuve se rapportant à la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé qui a donné lieu à sa suspension et à son congédiement.

La preuve démontre que M. Deigan, un avocat, a écrit une série de lettres au caractère extrêmement vindicatif dans le but de jeter le discrédit sur un haut fonctionnaire. Ces lettres ont été envoyées à un grand nombre de personnes dans la Commission de la fonction publique, à certaines personnes au ministère de la Justice et même au Cabinet du premier ministre.

J'ai trouvé M. Deigan très intelligent et je ne doute pas qu'il a agi en toute connaissance de cause et dans l'intention de faire dérailler la carrière de M m e A. M. Deigan n'a pas été honnête avec la soussignée. Dans son témoignage, il a prétendu qu'il avait agi dans l'intérêt du public et qu'il n'avait pas voulu nuire à la réputation de M m e A. Il a déclaré qu'il avait simplement invité les personnes auxquelles il écrivait à vérifier les faits. D'une part, il a déclaré qu'il avait présenté ses excuses à son employeur, mais il s'est dit contrarié par le fait que la direction avait jugé ses excuses peu sincères; d'autre part, il a continué tout au long de son témoignage de justifier sa conduite et, à un moment donné, il a admis qu'à son avis c'était lui la vraie victime.

Les lettres elles-mêmes contenaient des renseignements faux et trompeurs. Par exemple, elles laissaient entendre que de nombreuses plaintes avaient été portées contre M m e A. En contre-interrogatoire, toutefois, M. Deigan a fini par admettre qu'il était le seul à avoir porté ces plaintes et que, malgré les diverses enquêtes menées, aucune d'entre elles n'avait été jugée fondée.

On a fait valoir au nom du fonctionnaire s'estimant lésé que le programme de «rétroaction ascendante» en place dans son ministère l'avait encouragé à évaluer le rendement de ses supérieurs hiérarchiques. Son représentant a prétendu que les lettres anonymes que celui-ci avait rédigées étaient apparentées à la rétroaction fournie par les employés dans le cadre de cette évaluation. À mon avis, on ne peut comparer le programme ministériel dans le cadre duquel l'information est traitée de manière à en respecter le

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Decision Page 5 caractère confidentiel et la conduite de M. Deigan qui a mené à son congédiement.

Malgré la preuve présentée relativement au programme de «rétroaction ascendante», M. Deigan lui-même n'a pas indiqué dans son témoignage à quel point il s'en était servi ni comment ce programme avait pu l'influencer. Quoi qu'il en soit, le programme de «rétroaction ascendante» n'était pas conçu de manière à ce que l'information recueillie soit communiquée à l'extérieur du Ministère. Il offrait simplement aux employés l'occasion d'évaluer leurs supérieurs hiérarchiques d'une manière confidentielle et les résultats de l'évaluation devaient être communiqués seulement à ces derniers, auxquels il appartenait ensuite de décider s'ils voulaient modifier en conséquence leur façon de procéder avec les employés relevant d'eux. La façon dont M. Deigan a diffusé ses renseignements sur M m e A ne ressemble en rien au processus de «rétroaction ascendante».

Lorsque l'employeur a d'abord pris connaissance de ses activités, M. Deigan a commencé par tout nier. Quelque temps après, il a admis avoir écrit toutes les lettres sauf une, soit celle adressée à M. Giroux, le président de la Commission de la fonction publique. Plus tard, il a admis avoir écrit cette lettre également et il a expliqué qu'il avait nié en être l'auteur parce que plusieurs lignes avaient été supprimées au liquide correcteur. Même sans ces quelques lignes, toutefois, il est évident que cette lettre est presque identique aux autres. La raison qu'il a invoquée pour expliquer pourquoi il avait continué de nier l'avoir écrit [sic] n'est pas plausible.

Il ne fait pas de doute qu'il est l'auteur des lettres. Il l'a admis lui-même. Dans son témoignage, même s'il a offert de présenter ses excuses à toute personne que l'employeur pourrait suggérer, il n'a manifesté aucun remords et ne semblait pas vraiment comprendre la gravité de sa faute de conduite.

D'après le témoignage de M. Deigan, j'estime que l'allégation dans ses lettres selon laquelle M du personnel dans le passé» est fausse.

La plainte qu'il a déposée au sujet de l'intégrité de M m e A et de la falsification par elle de documents auprès du Barreau du Québec a été jugée non fondée. Il savait que sa lettre avait donné lieu à une enquête. Il avait eu plusieurs conversations téléphoniques avec le syndic du Barreau à Montréal après le dépôt de sa plainte. Pourtant, il a dit dans son témoignage qu'on ne lui avait rien communiqué lui permettant de croire que sa plainte était fondée [sic].

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m e A avait «harcelé

Decision Page 6 Il en est de même pour la plainte qu'il a présentée à l'honorable Kim Campbell. Il savait qu'on avait procédé à une enquête, que celle-ci était achevée depuis longtemps et qu'on avait conclu au non-fondement de ses allégations contre M m e A. Je n'accepte pas le témoignage de M. Deigan selon lequel il a rédigé les lettres au sujet de M m e A dans l'intérêt du public. Il a fait quelques accusations fausses et un certain nombre d'autres accusations qu'il n'a pu étayer. Dans certaines lettres, il a formulé ces accusations de façon à amener le lecteur à croire, à tort, que l'auteur de la lettre était un tiers désintéressé qui faisait tout simplement état d'inquiétudes exprimées par d'autres. Le ton des lettres elles-mêmes donne le démenti à son intention déclarée d'«être équitable».

M. Deigan a déclaré dans son témoignage qu'il était persuadé que la divulgation des détails des différends qu'il avait eus dans le passé avec M m e A ne constituait pas une violation du protocole d'entente (pièce E-2) parce qu'il croyait cette entente nulle et non avenue. Je ne suis pas en mesure de me prononcer sur ce point. Qu'il y ait eu violation de cette entente ou non, toutefois, M. Deigan, en rédigeant et en diffusant ces lettres anonymes qui contenaient des renseignements faux et trompeurs sur un autre fonctionnaire, s'est rendu coupable d'une faute de conduite très grave. En mentant et en continuant de mentir pendant un certain temps à son employeur au sujet de sa participation à cette affaire, il a aggravé encore sa faute de conduite. Même s'il n'a pas donné de noms, il a laissé entendre à son employeur que d'autres employés pourraient avoir écrit les lettres en question, de sorte qu'ils auraient pu eux aussi être visés par l'enquête. M. Deigan n'a manifesté aucun remords à l'audience. Même s'il a admis en contre-interrogatoire certains des aspects trompeurs de ses lettres, il a continué de soutenir qu'il avait été dans son droit en les envoyant puisqu'il l'avait fait dans l'intérêt du public.

Comme circonstances atténuantes, je retiens les longs états de service de M. Deigan et son dossier disciplinaire vierge jusqu'ici. Malgré la gravité de sa faute de conduite, je suis d'avis que le congédiement est une peine trop sévère dans les circonstances.

J'estime toutefois, qu'il serait peu approprié de ma part d'ordonner la réintégration de M. Deigan dans son ancien poste, étant donné que le lien de confiance qui doit exister entre un employé et son employeur a été irrémédiablement détruit par la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé.

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Decision Page 7 Par conséquent, j'accorde à M. Deigan une indemnisation équivalant à six mois de rémunération au taux en vigueur au moment de son congédiement, en lieu et place de sa réintégration dans ses fonctions. En accordant cette somme, j'ai pris en ligne de compte les facteurs suivants : la gravité de la faute de conduite du fonctionnaire s'estimant lésé; son dossier vierge; ses longs états de service; son âge et le fait qu'il pourrait lui être difficile de trouver un autre emploi.

Pour tous ces motifs, le grief concernant la suspension de M. Deigan pour une période indéterminée est rejeté; il est fait droit au grief concernant son congédiement dans la mesure indiquée ci-dessus.

M. Deigan a demandé la révision judiciaire de cette décision (dossier de la Cour : T-1365-95). Sa demande a été accueillie le 12 novembre 1997, et l'affaire m'a été renvoyée en vertu de l'ordonnance suivante :

Par ces motifs, l'affaire est renvoyée à la même arbitre afin qu'elle prenne en considération soit les parties pertinentes des conclusions écrites soit tous les arguments proposés de vives voix.

J'ai décidé de donner aux parties l'occasion d'exposer la totalité de leurs arguments de vive voix. Par conséquent, une audience s'est tenue le 15 janvier 1998 au cours de laquelle j'ai également invité l'avocat de M. Deigan à se reporter aux parties pertinentes des arguments écrits présentés par M. Deigan lors de la première audience. L'avocat de M. Deigan a affirmé qu'il ne le ferait pas et qu'il s'en tiendrait à la présentation d'arguments de vive voix.

Voici le résumé de l'argumentation orale des parties : Argumentation du fonctionnaire s'estimant lésé L'avocat du fonctionnaire reconnaît au départ que les lettres n'auraient pas être envoyées. La rédaction de lettres anonymes est une action qui a tendance à susciter de vives réactions de réprobation morale et de condamnation. Ce genre de

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Decision réactions est inné chez la majorité des gens. Toutefois, les actions du fonctionnaire n'ont réellement causé aucun tort. La nomination de M faire avorter par ses lettres, a quand même eu lieu. De plus, aucun élément de la preuve n'a démontré que les destinataires des lettres avaient prêté foi aux allégations qu'elles contenaient.

Vu que les lettres ont été rédigées sur une période de six semaines, on ne peut dire que M. Deigan a eu un emportement momentané. Toutefois, l'avocat du fonctionnaire m'a invité à voir dans la longueur de la période pendant laquelle les lettres ont été écrites, la preuve d'une préoccupation malsaine au sujet de la nomination éventuelle de M me A. M. Darroch, directeur des Services de sécurité, dans une lettre adressée à M. Howard, l'agent de sécurité du Ministère, dit que M. Deigan était dans un état d'agitation. L'avocat soutient que M. Deigan était « préoccupé au point d'être obsédé » par M me A, avec qui il avait déjà eu des différends. Il fait cependant remarquer qu'aucun preuve médicale n'a été présentée à cet effet.

Aucune preuve n'a été présentée démontrant que durant la période il a écrit les lettres, M. Deigan a négligé ses tâches de collecte d'information auprès des clients. S'il était réintégré, il pourrait continuer de s'acquitter de ses tâches de façon compétente, comme il l'avait fait pendant de nombreuses années.

On ne pouvait lui reprocher qu'une seule chose, soit ses rapports avec M me A. Malgré son obsession quasiment maladive, il a continué de traiter comme il se doit les renseignements fournis par des tiers. S'il était réintégré, il continuerait de pouvoir s'acquitter de ses tâches comme auparavant.

L'avocat du fonctionnaire a fait valoir que c'est la décision rendue dans l'affaire Fraser (dossier de la Commission 166-2-12721) qu'il faut appliquer pour trancher une question concernant la diminution de la capacité d'un employé à s'acquitter de ses fonctions.

Le fait que le fonctionnaire n'ait pas immédiatement avoué être l'auteur des lettres lorsqu'il a été confronté à ce sujet la première fois devrait être examiné à la lumière du fait que trois représentants de l'employeur étaient présents alors que lui était seul sans représentant syndical. Il est vrai qu'on lui a offert de faire venir son représentant syndical et qu'il a refusé; toutefois, l'atmosphère était telle qu'il n'y avait

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Page 8 m e A, que M. Deigan a cherché à

Decision Page 9 personne à qui il aurait pu se confier. Lors de la deuxième réunion, à laquelle assistait son représentant syndical, M. Deigan a avoué être l'auteur de la majorité des lettres. L'avocat m'exhorte d'accorder un poids considérable à ces aveux.

L'avocat fait remarquer que même si un des représentants de l'employeur a jugé que les excuses faites par M. Deigan lors de la réunion décrite à la pièce E-19 n'étaient pas sincères, cela n'est pas mentionné dans le compte rendu de cette réunion. Rien dans le compte rendu n'étaye la conclusion voulant que M. Deigan n'ait pas été sincère.

La lettre de congédiement mentionne la violation d'une clause de confidentialité contenue dans un protocole d'entente. Même s'il y a eu violation de la clause en question, il n'a pas été démontré que cela avait eu des répercussions sur la façon dont M. Deigan traitait les renseignements confidentiels au Bureau de la concurrence.

Compte tenu de ces facteurs et des 13 années de services irréprochables du fonctionnaire, l'avocat m'a exhortée à remplacer le congédiement par une peine moins sévère. Il a cité trois affaires : Vancouver Community College and Vancouver Municipal and Regional Employees’ Union (1994), 44 L.A.C. (4th) 418; Saint John Shipbuilding Ltd. and Marine & Shipbuilding Workers, Local 3 (1992), 26 L.A.C. (4th) 361; Martin v. Regina Community Legal Services Society (Batten, J), 1981, 13 Sask. R. 50.

L'avocat du fonctionnaire m'a exhorté à ordonner la réintégration du fonctionnaire si je conclus que le congédiement est une peine excessive. Le lien de confiance n'est pas irrémédiablement rompu. Bien souvent, il ne s'agit que de termes qu'utilise l'employeur. Assurément, il faudrait que M. Deigan regagne la pleine confiance de son employeur, mais on devrait lui donner la chance de le faire.

De plus, le témoignage et l'attitude du fonctionnaire à l'audience ne devraient pas empêcher sa réintégration. De par sa nature, une audience est un processus accusatoire Il existe de nombreux cas les arbitres de la Commission ont ordonné la réintégration d'un fonctionnaire malgré les vives critiques qu'ils lui avaient adressées.

M. Deigan pourrait être réintégré et muté à un poste qui ne relèverait pas directement de M me A. Sa réintégration pourrait être assortie de certaines conditions, notamment l'obligation de présenter des excuses et de reconnaître ses torts, non Public Service Staff Relations Board

Decision Page 10 seulement à l'employeur mais aussi à M me A. Il pourrait aussi recevoir du counselling pour l'aider à mieux comprendre pourquoi ses actions ont reçu un accueil aussi négatif chez ses collègues et l'aider à améliorer ses rapports avec ses collègues et à travailler avec les autres. Bien qu'il sache très bien que toute récidive de sa part, s'il était réintégré, pourrait donner lieu à la prise de mesures disciplinaires pouvant mener à son congédiement, cela pourrait lui être clairement précisé par écrit.

L'avocat du fonctionnaire a aussi invoqué les affaires suivantes : Corporation of City of Ottawa and Canadian Union of Public Employees, Local 503 (Roy) (1993), 34 L.A.C. (4th) 177; Fraser and Public Service Staff Relations Board (1985), 23 D.L.R. (4th) 122; Treasury Board (Employment & Immigration) and Quigley (1987), 31 L.A.C. (3d) 156; Amarteifio (166-2-25829); McGoldrick (166-2-25796).

Argumentation de l'employeur Le fonctionnaire a écrit des lettres très fielleuses uniquement afin de faire dérailler la carrière de M me A. Les lettres étaient fausses et trompeuses, et le fonctionnaire le savait. Il a continué de nier les avoir écrites, ce qui a aggravé la mauvaise conduite. Il n'a manifesté aucun remords véritable. Même durant l'audience, il a dit que c'est lui qui était la véritable victime dans cette affaire.

En réalité, M. Deigan est coupable d'une faute de conduite très grave et il serait inapproprié de le réintégrer dans son poste vu que le lien de confiance entre lui et son employeur a été irrémédiablement brisé comme l'a fait remarquer M. Bocking dans son témoignage. La confiance est un ingrédient essentiel de la relation employeur-employé. Le Bureau de la concurrence traite de renseignements commerciaux de nature très délicate et compte beaucoup sur l'intégrité, la probité professionnelle et la fiabilité de ses agents. Rien n'a changé depuis janvier 1995 et aucun argument ne peut modifier les conclusions de fait tirées en 1995.

L'unique preuve indiquant que M. Deigan a agi de façon compulsive ou qu'il était dans un état d'agitation est une lettre du directeur de la sécurité à Justice Canada. On n'a présenté aucune preuve directe à cet égard. En fait, le directeur avait seulement entendu dire que M. Deigan était dans cet état. Quant à ce dernier, il n'a jamais prétendu avoir été dans un état d'agitation.

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Decision Page 11 En ce qui concerne le fait que M. Deigan ait avoué avoir écrit les lettres après avoir consulté son représentant syndical, l'avocat de l'employeur fait remarquer que M. Deigan a refusé d'admettre pendant longtemps avoir écrit à M. Giroux après avoir admis avoir écrit les autres lettres. Il évoque également les conclusions auxquelles je suis arrivée dans ma décision, soit que M. Deigan n'a manifesté aucun remords ou qu'il ne saisissait pas la gravité de ses actions.

M e Snyder passe en revue les affaires invoquées par l'avocat du fonctionnaire et établit des distinctions entre elles. Il me renvoie à l'affaire suivante : Grahn v. Canada (1987), 91 N.R. 394.

Motifs de décision L'avocat du fonctionnaire ne conteste pas le fait que le comportement du fonctionnaire ait été répréhensible et qu'il justifiait l'imposition d'une mesure disciplinaire. Il a toutefois mentionné d'autres facteurs d'atténuation qu'il m'a demandé d'examiner. Il a aussi demandé que la réintégration du fonctionnaire soit assortie de certaines conditions.

J'ai examiné la preuve et les arguments que les parties ont présentés lors de la première audience ainsi que leurs arguments additionnels. Voici les conclusions auxquelles je suis arrivée.

M e Brown a soutenu que l'état mental de M. Deigan, au moment il a écrit les lettres, devrait être considéré comme un facteur d'atténuation. Lui-même, toutefois, a reconnu l'absence de preuve médicale à cet égard.

J'ai aussi examiné les arguments de M e Brown concernant le poids que je devrais accorder au fait que M. Deigan a avoué avoir écrit les lettres. Il est vrai qu'il a avoué avoir écrit la plupart des lettres après l'avoir d'abord nié. Cela ne constitue toutefois pas un facteur d'atténuation valable. Il l'a d'abord nié avec véhémence et indignation. Lors de la réunion du 21 juin 1994, il a adressé des reproches à la direction parce qu'elle faisait enquête sur lui et, à un moment donné, il a dit à M. Bocking : « C'est ridicule, Jim. Tu devrais avoir honte. » Même lors d'une réunion subséquente le 6 juillet, à laquelle assistait son représentant syndical, il a continué de nier être l'auteur des lettres lorsqu'on les lui a montrées en dépit des similitudes frappantes, dont certains passages identiques. Ce n'est qu'après la réunion que le Public Service Staff Relations Board

Decision Page 12 représentant syndical a téléphoné à la direction pour dire que M. Deigan avait quelque chose à ajouter et qu'il désirait une autre réunion.

Les longs états de service de M. Deigan et son dossier vierge doivent être considérés comme des facteurs d'atténuation; de même que le fait qu'il pourrait lui être difficile de trouver un autre emploi. Compte tenu de ces facteurs, et malgré la gravité des fautes de conduite, je crois que le congédiement est une peine trop sévère dans les circonstances. Je demeure toutefois convaincue qu'il serait contre-indiqué d'ordonner la réintégration de M. Deigan dans son ancien poste étant donné que le lien de confiance qui doit exister entre le fonctionnaire et l'employeur a été irrémédiablement détruit par la conduite du fonctionnaire. J'estime qu'il est toujours approprié d'accorder à M. Deigan une indemnisation équivalant à six mois de rémunération au taux en vigueur au moment de son congédiement.

Aucun des éléments de l'argumentation de M e Brown ne m'a convaincue que M. Deigan devrait être réintégré, même à certaines conditions. Encore une fois, l'absence de preuve médicale concernant l'état d'agitation ou le comportement compulsif rend impossible, voire tout à fait inappropriée, la détermination de conditions dans les circonstances. De plus, même si j'avais compétence pour ordonner la réintégration de M. Deigan dans un autre poste, je considère qu'une telle ordonnance ne serait pas appropriée dans les circonstances.

Pour tous ces motifs, le grief concernant la suspension de M. Deigan pour une période indéterminée est rejeté et il est fait droit au grief concernant son congédiement dans la mesure indiquée ci-dessus.

Rosemary Vondette Simpson, commissaire

OTTAWA, le 31 mars 1998.

Traduction certifiée conforme

Serge Lareau Public Service Staff Relations Board

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