Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
Rémunération provisoire - Compétence - Sanction pécuniaire - Mesure administrative - Preuve admissible - l'employeur a mis fin au poste intérimaire du fonctionnaire s'estimant lésé sur la foi de déclarations à l'effet que le fonctionnaire consommait de l'alcool au travail - ce dernier a déposé un grief dans lequel il alléguait du harcèlement et réclamait entre autres la réintégration dans son poste intérimaire ainsi qu'un remboursement de sa rémunération provisoire - l'employeur s'est objecté à la compétence de l'arbitre d'instruire le grief au premier motif que le retrait du fonctionnaire de son poste intérimaire constituait une mesure administrative prise aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et des règlements pris en vertu de cette loi - le grief ne pouvait alors pas faire l'objet d'un renvoi à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique - l'employeur s'est objecté au deuxième motif que la politique sur le harcèlement invoquée par le fonctionnaire n'a pas été intégrée à la convention collective et ne pouvait pas alors faire l'objet d'un renvoi en vertu de l'article 92 - troisièmement, l'employeur s'est objecté à la compétence de l'arbitre sur la base de l'affaire Burchill au motif que le fonctionnaire n'a pas prétendu dans son grief que la mesure constituait une «mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire» - le fonctionnaire s'est objecté à ce que soit admis en preuve les témoignages des personnes citées à comparaître par l'employeur au motif que leurs témoignages constituaient du ouï-dire - l'arbitre a mis en délibéré toutes les objections - au sujet de la première objection de l'employeur, elle a statué que l'employeur a eu recours à l'argument voulant que la mesure soit administrative afin d'empêcher le fonctionnaire d'avoir un recours à l'encontre de la mesure imposée vu l'absence totale de preuve contre le fonctionnaire - la mesure était donc de nature disciplinaire - au sujet de la deuxième et de la troisième objection de l'employeur, l'arbitre a conclu que l'employeur n'avait pas été pris par surprise - sur le fond, l'arbitre a conclu qu'il n'y avait aucune preuve que le fonctionnaire avait commis un quelconque écart de conduite - vu l'absence de preuve que le poste intérimaire aurait été renouvelé au delà de la période pendant laquelle le fonctionnaire l'occupait, l'arbitre n'a pas réintégré celui-ci dans le poste intérimaire mais lui a plutôt accordé la rémunération et les avantages auxquels il aurait eu droit s'il avait achevé la période intérimaire. Grief admis. Décision citée: Burchill c. Le procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109.
Contenu de la décision
Dossier: 166-2-26613 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE GÉRALD THIBAULT fonctionnaire s'estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Solliciteur général Canada - Service correctionnel)
employeur
Devant: Marguerite-Marie Galipeau, commissaire Pour le fonctionnaire s'estimant lésé: Alfred La Bissonnière, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur: Marie-Claude Couture, avocate
Affaire entendue à Montréal (Québec), le 31 mai 1996
Decision DÉCISION Page 1 La présente décision fait suite à l'arbitrage d'un grief déposé par Gérald Thibault (CX-02) membre de l'unité de négociation du groupe CX. Gérald Thibault travaille au ministère du Solliciteur général, à l'établissement pénitentiaire La Macaza.
Le grief de Gérald Thibault se lit comme suit: Mon employeur m'informait le 5 octobre 1994 que mon poste de CX3 int. que j'occupais depuis février 1994 à la Macaza, devait prendre fin cette même journée et par conséquent, je devais retourner à mes fonctions de CX2, dès le lendemain. La raison invoqué (sic) par ce dernier est la suivante:
On l'a informé que j'entrais de la boisson et que je consommais de la boisson durant mes heures de travail. Ce qui est insensé, faux et non fondé.
De part (sic) ce geste injustifié et des propos inqualifiables, mon employeur, manifeste à mon égard une forme de harcèlement en vertu de la Politique du S.C.C. sur le harcèlement; Tout propos, action ou exhibition répréhensible qui humilie, rabaisse ou embarrasse un employé, que ce soit une fois ou continuellement, est une manifestation de harcèlement.
Les mesures correctives demandées sont les suivantes: Que mon employeur prenne en considération le rapport d'enquête suite à ma plainte d'harcèlement déposé le 5 octobre 1994 et;
a) Que des excuses verbales et écrites me soient adressées et portées à mon dossier personnel.
b) Que l'on me réintègre à mes fonctions de CX3 intérimaire.
c) Qu'il me soit payé rétroactivement ma perte de salaire intérimaire selon la convention et ce depuis le 5 octobre 1994.
d) Que ma journée du 10 octobre 1994 (statutaire), me soit remboursée puisque j'étais cédulé pour travailler comme CX3. (ANNEXE B)
e) Qu'il me soit remboursé mes journées de maladie que j'ai dû prendre pour stess (sic) émotionnel grave suite à ces évènements(sic). (ANNEXE C)
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Decision Page 2 f) Que je puisse être présent et accompagner (sic) de mon représentant syndical à tous les paliers d'audition de ce grief.
ET Que si la cause devait aller jusqu'à l'arbitrage, tous les témoins seront appelés à comparaître devant l'arbitre.
De plus la présentation de ce grief devra être sans égard à toutes autres procédures qui porraient (sic) être entreprises.
Le renvoi à l'arbitrage (Formule 14) ainsi qu'une lettre en date du 5 juillet 1995 de Thomas Dinan, Directeur intérimaire, Direction de la négociation collective de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, indiquent que le grief porte sur une «pénalité financière» ainsi que sur l'interprétation et l'application des articles M-16 (Élimination de la discrimination) et M-27 (Administration de la paye) de la convention cadre conclue par le Conseil du Trésor et l'Alliance de la Fonction publique du Canada (pièce E-1).
Le 6 mai 1996, l'avocate de l'employeur transmet à la Commission, une lettre dans laquelle l'employeur soulève deux objections préliminaires. D'abord, l'employeur soutient que le grief n'est pas arbitrable car il a trait à sa décision de mettre fin à la nomination intérimaire de Gérald Thibault. Selon l'employeur, il ne s'agit pas d'une mesure disciplinaire mais plutôt d'une décision prise aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique. Par conséquent, le grief ne peut être renvoyé à l'arbitrage aux termes de l'alinéa 92(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.
Dans un deuxième temps, l'employeur soutient que le grief ne peut pas non plus être renvoyé à l'arbitrage aux termes de l'alinéa 92(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique car les politiques en matière de harcèlement adoptées par le Conseil du Trésor et le Service correctionnel n'ont pas été intégrées à la convention collective (pièce E-1) invoquée par Gérald Thibault.
À l'audience, l'employeur a étayé ses objections par les arguments qui suivent.
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Decision Page 3 Les politiques sur le harcèlement adoptées par le Conseil du Trésor et le ministère en cause n'ont pas été intégrées à la convention collective (pièce E-1). Elles ne sont pas mentionnées à l'article 37.03 de la dite convention (pièce E-1). Le rôle de l'arbitre est d'interpréter les dispositions de la convention collective. L'arbitre ne peut se pencher sur une politique qui ne fait pas partie de la convention collective (Le procureur général du Canada c. Pierre André Lachapelle et la Commission des relations de travail dans la fonction publique et Jean-Paul Baril, [1979] 1. C.F. 377, pp. 380-81).
Par ailleurs, ce n'est qu'au stade du renvoi à l'arbitrage que Gérald Thibault a invoqué l'article M-16 de la convention collective (pièce E-1). Il ne mentionne pas cet article dans son grief. Il est trop tard pour invoquer cet article. Aux divers paliers de la procédure de griefs, l'employeur ne s'est pas penché sur l'applicabilité de l'article M-16 puisque cet article n'était pas mentionné dans le grief. Permettre que Gérald Thibault invoque cet article une fois rendu à l'arbitrage équivaudrait à l'autoriser de modifier son grief. L'arrêt James Francis Burchill c. Le procureur général du Canada, [1981] 1.C.F. 109, est clair: un requérant ne peut présenter à l'arbitrage un nouveau grief ou un grief différent, ou transformer un grief. De plus, aucun des motifs de discrimination mentionnés à l'article M-16 n'existe dans la présente affaire. Enfin, l'article M-38.02 a pour effet, en matière de discrimination, d'imposer à un fonctionnaire de chercher redressement par un recours devant la Commission canadienne des droits de la personne ou devant la Commission de la fonction publique du Canada.
À ces arguments, le représentant de Gérald Thibault répond qu'en dépit de la mention de l'article M-16 à la formule de renvoi à l'arbitrage, son client n'appuie plus sa position sur cet article. Plutôt, il soutient que le retrait de la nomination intérimaire, dans les circonstances où il a été effectué, constitue une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire au sens de l'alinéa 92(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. L'employeur a mis fin à la nomination intérimaire de Gérald Thibault parce que ce dernier est soupçonné d'avoir introduit de l'alcool dans l'établissement pénitentiaire et d'en avoir consommé. Il s'agit d'une décision dont le motif est disciplinaire.
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Decision Page 4 Le raisonnement adopté dans l'affaire Joseph Valadares et Le Conseil du Trésor (dossiers de la Commission nos. 166-2-19596 et 19597) s'applique aux circonstances de la présente affaire.
En réponse, le procureur de l'employeur ajoute ce qui suit. Le grief ne mentionne que le «harcèlement». Gérald Thibault n'y allègue pas une «mesure disciplinaire» non plus n'allègue-t-il qu'il y a eu mauvaise foi et que l'employeur a caché le motif de sa décision. L'énoncé du grief n'indique pas qu'il s'agit d'une mesure disciplinaire qui a eu comme résultat une sanction pécuniaire, ni n'indique-t-il qu'il s'agit d'une décision prise aux termes des alinéas 11(2)f) et g) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Il résulte des décisions Burchill (supra) et Baril (supra) qu'il est trop tard au stade de l'arbitrage pour alléguer qu'il s'agit d'une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire.
De plus, la décision de retirer Gérald Thibault des fonctions qu'il occupait pour une période intérimaire est une décision administrative prise aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Il découle de l'alinéa 24(1)a) de la Loi d'interprétation que le pouvoir de nomination d'un «fonctionnaire public» inclu celui de mettre fin à une nomination intérimaire. Des questions de nomination et de dotation ne peuvent être renvoyées à l'arbitrage.
Un même comportement par un fonctionnaire peut entraîner diverses décisions de la part de l'employeur. L'introduction de l'alcool dans l'établissement est la raison pour laquelle on a retiré Gérald Thibault des fonctions qu'il occupait. Il n'appartient pas à un arbitre de décider de la validité de cette raison (Procureur général du Canada c. Judith Penner, [1989] 3 C.F. 429).
S'il y a un motif à l'appui de la décision et que cette décision a été prise de bonne foi, la décision ne peut être révisée par un arbitre (Roland Jacmain et Le procureur général de Canada et La Commission des relations de travail dans la fonction publique, [1978] 2 R.C.S. 15). La «bonne foi» signifie qu'il y avait un motif réel de mettre fin à la nomination intérimaire de Gérald Thibault. La «bonne foi» est le contraire de la «mauvaise foi». La «mauvaise foi» existe lorsque l'on cache le vrai motif d'une décision. Si un employé est au courant du motif qui sous-tend une décision, il ne peut alléguer mauvaise foi.
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Decision Page 5 Le représentant de Gérald Thibault réplique ce qui suit. L'affaire Penner (supra) se distingue de la présente affaire en ce que, dans cette affaire, il s'agissait d'une fin d'emploi durant une période de stage sous le régime de l'ancien article 28 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Dans la présente affaire, la décision de l'employeur a comme but d'imposer une sanction disciplinaire à Gérald Thibault. Cette sanction s'est exprimée par le retrait de Gérald Thibault des fonctions intérimaires qui lui avaient été confiées. Le résultat est que Gérald Thibault a perdu sa réputation et de l'argent. Gérald Thibault a été puni sur la base d'une délation qui, en plus, était fausse.
Le procureur de l'employeur ajoute ce qui suit. Même si Gérald Thibault est lésé, cela ne veut pas dire pour autant que la décision ayant donné lieu à cette lésion, est une mesure disciplinaire. Son recours, si recours il y a, est peut-être de nature civile ou pourrait peut-être être intenté en Cour fédérale.
J'ai pris en délibéré les objections préliminaires de l'employeur et j'ai entendu la preuve sur le fond.
PREUVE L'employeur a produit deux témoins. Suite à leur témoignage, le représentant du fonctionnaire a indiqué qu'il n'avait pas de preuve à offrir.
Voici, en résumé, les témoignages que j'ai entendus. Robert Poirier Au moment des événements, Robert Poirier occupe le poste de gérant d'unité (AS05) à l'unité B de l'établissement La Macaza. Il a la responsabilité du bureau opérationnel où se retrouvent les surveillants correctionnels (CX-03) qui eux, travaillent durant différents quarts de travail. Robert Poirier supervise les six surveillants correctionnels.
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Decision Page 6 Le jour, c'est-à-dire, de 8h30 à 16h30, c'est le directeur qui est le premier responsable de l'établissement. Au cours des autres quarts de travail, c'est un surveillant correctionnel (CX-03) qui est le responsable de l'établissement. Les six surveillants correctionnels accomplissent leurs tâches selon un système de rotation. Il y a 21 quarts de travail: le directeur assume la responsabilité de l'établissement durant cinq quarts de travail, soit le jour; les surveillants correctionnels assument cette responsabilité durant les 16 autres quarts.
À l'époque pertinente, Gérald Thibault était surveillant correctionnel (CX-03) par intérim à l'unité A (pièce E-2).
Gérald Thibault avait acquis une vaste expérience dans plusieurs établissements pénitentiaires. Robert Poirier a participé à la décision de nommer Gérald Thibault, dans ses fonctions intérimaires de surveillant correctionnel (CX-03). On a tenu compte de son expérience, de sa capacité de gérer et de prendre des décisions. Gérald Thibault a eu trois nominations intérimaires successives (pièce E-3), soit du 14 février au 30 juin 1994, du 30 juin au 30 septembre 1994, et du 30 septembre au 31 décembre 1994.
On a retiré Gérald Thibault de ses fonctions intérimaires au début du mois d'octobre 1994 car il était soupçonné d'avoir consommé de l'alcool durant ses heures de travail.
Le représentant de Gérald Thibault s'est opposé à la preuve qui suit au motif qu'il s'agit de ouï-dire et que, le témoin se refusant à identifier ses sources, le représentant ne pouvait le contre-interroger de manière à vérifier sa crédibilité. Le représentant de Gérald Thibault a insisté pour que le témoin nomme ses sources afin que ces personnes soient appelées à témoigner et qu'il puisse les interroger. Le témoin de l'employeur, Robert Poirier, ainsi que le procureur de l'employeur ont indiqué que les témoins oculaires dont l'existence est alléguée par Robert Poirier, ne seraient pas nommés car ces personnes avaient indiqué à Robert Poirier qu'elles ne témoigneraient pas et ne signeraient aucune déclaration car, selon Robert Poirier, elles craignaient des représailles.
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Decision Page 7 J'ai pris en délibéré les objections du représentant de Gérald Thibault et j'ai permis au témoin Robert Poirier d'achever son témoignage. Ayant entendu ce que le témoin a bien voulu dire à l'audience, j'en arrive à la conclusion que l'objection du représentant de Gérald Thibault est fondée et je n'accorde aucun poids à la partie du témoignage de Robert Poirier qui suit. C'est avec beaucoup d'hésitation que je relate la teneur de cette partie de son témoignage car elle équivaut à la relation de rumeurs.
Selon Robert Poirier, un «employé» lui a dit au mois de juillet 1994, que Gérald Thibault consommait de l'alcool durant son quart de travail. Par la suite, «d'autres gens» lui ont parlé de la «possibilité» que Gérald Thibault ait consommé de l'alcool au travail.
Lors d'une rencontre quotidienne à la fin du mois d'août 1994, et à laquelle assistaient le directeur, le sous-directeur et l'agent de sécurité préventive, Robert Poirier a transmis ces rumeurs au directeur Maurice Jacques qui lui a demandé de vérifier si elles étaient fondées.
Robert Poirier a rencontré trois personnes à qui, à leur demande, il a promis la confidentialité. Une personne employée à La Macaza aurait déclaré avoir vu au «Bar de l'Aéroport» dans la nuit du 8-9 juillet 1994, vers 1h15, Gérald Thibault en uniforme de service s'adresser à un garçon de table qui a mis quatre bouteilles de bière dans un sac et aurait remis le sac à Gérald Thibault qui aurait aussitôt quitté le bar. En une autre occasion, une autre personne située à la poterne aurait vu Gérald Thibault quitter les lieux de son travail en déclarant qu'il allait faire un tour à l'épicerie. Une troisième personne aurait déclaré à Robert Poirier qu'à l'époque où Gérald Thibault était agent correctionnel (CX-02), il mettait de l'alcool dans les cafés et en avait mis dans le sien.
Sur la foi de ces déclarations, il fut décidé de mettre fin à l'affectation intérimaire de Gérald Thibault.
Le représentant de Gérald Thibault a déclaré qu'il ne contre-interrogerait pas Robert Poirier.
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Decision Page 8 Alain Jacques Alain Jacques est directeur associé de La Macaza depuis le mois de juillet 1994. Robert Poirier lui a fait part des rumeurs au sujet de Gérald Thibault. Alain Jacques ainsi que le directeur et l'agent de sécurité préventive ont pris ces rumeurs au sérieux.
Alain Jacques a parlé à un «employé» qui était au Bar de l'Aéroport, un jour de repos. Cette personne aurait vu Gérald Thibault acheter quatre bières et par la suite, prendre le véhicule du Ministère. Une deuxième personne aurait dit à Alain Jacques qu'à l'époque où Gérald Thibault était agent correctionnel (CX-02), il avait mis de l'alcool dans son café.
Alain Jacques témoigne que si ces deux personnes avaient voulu témoigner, «on aurait entamé le processus disciplinaire», «on en serait venu à une mesure disciplinaire».
Selon Alain Jacques, les deux personnes disaient avoir des craintes de témoigner. Leurs craintes n'étaient pas précises.
Alain Jacques souligne qu'un surveillant correctionnel est en charge de l'établissement et que, durant son quart de travail, des incidents graves, tels des meurtres et des prises d'otage, peuvent se produire. Par conséquent, il faut pouvoir accorder au surveillant correctionnel une confiance totale. Il fut donc décidé d'enlever à Gérald Thibault son affectation intérimaire.
Le 5 octobre 1994, jour où Gérald Thibault s'est vu retirer de son affectation intérimaire (pièce E-4), Alain Jacques a rencontré Gérald Thibault. On lui a dit pourquoi on le retirait de ses fonctions. Gérald Thibault était surpris; il ne comprenait pas. Il voulait savoir quelles étaient les sources d'Alain Jacques. Celui-ci lui a dit qu'il ne pouvait les lui révéler. Alain Jacques n'a pas demandé à Gérald Thibault s'il était vrai qu'il consommait de l'alcool au travail. Alain Jacques, reconnaît qu'il n'est peut-être pas sain de ne pas obtenir la version de l'employé concerné. Ceci dit, il déclare que la décision de retirer de ses fonctions Gérald Thibault a été prise avant que ne débute la rencontre du 5 octobre 1994 au cours de laquelle ce dernier fut informé de la décision.
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Decision Page 9 Gérald Thibault a 24 ans d'ancienneté et n'a jamais fait l'objet de mesures disciplinaires dans le passé.
PLAIDOIRIES La plaidoirie du procureur de l'employeur peut être résumée comme suit. La décision de mettre fin à l'affectation intérimaire de Gérald Thibault est une décision administrative qui ne peut être examinée que par la Cour Fédérale, en contrôle judiciaire. Ce n'est pas une mesure disciplinaire et de plus, le raisonnement adopté dans l'arrêt Burchill (supra) empêche de modifier le grief.
Le poste occupé par Gérald Thibault était un poste de confiance. On a perdu confiance en lui suite à l'obtention d'informations précises, objectives, de bonne foi, données par des gens dont la crédibilité ne faisait pas de doute. Ces personnes n'avaient pas d'intérêt à avancer ce qu'ils ont avancé.
C'est la sécurité de l'établissement qui était en jeu et il fallait prendre une décision.
Il y a une preuve non contredite d'une décision prise de bonne foi pour des motifs réels. Ce n'est pas de la mauvaise foi de vouloir protéger des témoins qui ont peur. La mauvaise foi serait de camoufler le véritable motif de la décision. Le gestionnaire a choisi de croire la version des gens qui se sont ouverts à lui: est-ce de la mauvaise foi?
S'il est décidé que la mesure est disciplinaire, il est vrai qu'il n'y a pas suffisamment de preuve pour la justifier. Ceci dit, il ressort de la preuve qu'il s'agit d'une décision prise de bonne foi sous l'empire de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.
La plaidoirie du représentant de Gérald Thibault peut être résumée comme suit. Dans les circonstances, était-ce de la bonne foi d'accuser Gérald Thibault d'avoir consommé de l'alcool en se basant sur du ouï-dire? On aurait pu faire des contrôles et s'assurer de la vérité. Ceux qui ont dénoncé Gérald Thibault étaient peut-
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Decision Page 10 être intéressés. On ne le sait pas puisqu'on ignore leur identité. Depuis 24 ans, Gérald Thibault avait un dossier vierge. L'employeur aurait dû faire une enquête, par exemple, interroger le garçon de table au Bar de l'Aéroport.
Cette affaire se résume à de la délation. Par son attitude, l'employeur encourage la délation. C'est de la mauvaise foi. On ternit la réputation d'une personne sur la base d'une «pseudo-preuve». Il faut mettre des années pour établir sa crédibilité, pour se construire une réputation. Gérald Thibault a mis 24 ans de sa vie à se bâtir une réputation. Du jour au lendemain, on lui a dit qu'on n'avait plus confiance en lui.
On ne l'a pas interrogé sur les faits allégués, on n'a pas cherché à obtenir sa version; à l'audience, l'employeur n'a offert aucun témoin des faits reprochés à Gérald Thibault. C'est une situation intenable. L'employeur a commis une erreur et il devrait en assumer les conséquences.
Il ne faut pas définir la mauvaise foi d'une façon aussi restrictive que celle proposée par l'employeur.
Comme redressement, Gérald Thibault veut que des excuses lui soient présentées et être réintégré dans ses fonctions. De plus, il réclame le remboursement du salaire perdu suite à la décision de lui retirer son affectation temporaire.
En réplique, le procureur de l'employeur ajoute ce qui suit. La preuve de ouï-dire faite devait l'arbitre soussignée n'a pas été contredite puisque Gérald Thibault n'a pas témoigné. Encourager de la délation n'équivaut pas à de la mauvaise foi. Les délateurs sont parfois nécessaires à l'administration de la justice. Un même comportement peut donner lieu à une mesure disciplinaire et à une décision administrative.
Si le grief est accueilli et que l'employeur doive rembourser Gérald Thibault, le remboursement doit se limiter à la perte de la différence de salaire (entre CX-02 et CX-03) du 5 octobre au 31 décembre 1994. On ne peut présumer que l'affectation intérimaire aurait été renouvelée.
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Decision Page 11 MOTIFS Comme je le relatais au début de cette décision, l'employeur a objecté que ce grief n'est pas arbitrable car il allègue harcèlement de la part de l'employeur alors que la convention collective n'intègre pas les politiques de l'employeur en matière de harcèlement. Pour sa part, le représentant de Gérald Thibault a indiqué que son client n'invoquait plus les dispositions de la convention collective. Il en découle que je n'ai plus à interpréter la convention collective puisque le fonctionnaire n'appuie plus son grief sur les dispositions de la convention collective.
La position du fonctionnaire Gérald Thibault est qu'il a reçu une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire et qu'il a le droit, aux termes de l'alinéa 92(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, de faire examiner cette décision par un arbitre. Encore une fois, l'employeur s'oppose à l'arbitrabilité du grief, cette fois en arguant qu'il s'agit, non pas d'une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique mais plutôt du retrait d'une nomination intérimaire accordée à Gérald Thibault sous l'empire de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. C'est cette objection qu'il me faut trancher avant d'en arriver, le cas échéant, à une décision sur le fond.
À cette objection, s'ajoute une objection subsidiaire voulant que le grief ne faisant pas mention des mots «mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire», en conséquence, le fonctionnaire ne peut alléguer devant l'arbitre soussignée que la décision en cause était une «mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire», à moins de lui permettre de modifier son grief au stade de l'arbitrage, ce qui serait prohibé selon les arrêts Burchill (supra) et Baril (supra).
En ce qui a trait à cette dernière objection, je constate ce qui suit. Le fonctionnaire énonce clairement dans son grief qu'il s'oppose à la décision de son employeur, en date du 5 octobre 1994, de le retirer de ses fonctions intérimaires. De plus, il est clair à la lecture des mesures correctives demandées que ce que le fonctionnaire recherche, c'est d'être remis dans l'état où il était avant d'être l'objet de cette décision, le tout incluant le remboursement des pertes de salaire résultant de la décision de le retirer de ses fonctions intérimaires. Les réponses de
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Decision Page 12 l'employeur à ce grief ne laissent aucun doute que l'employeur comprenait bien quelle était la décision attaquée et quel était le redressement recherché. Par ailleurs, la réponse de l'employeur au premier palier de la procédure de grief montre bien que l'employeur justifiait sa décision en invoquant un écart de conduite (relié à l'alcool) de la part du fonctionnaire. Par conséquent, j'estime que ce n’est pas sans raison que le fonctionnaire s’est cru l’objet d’une mesure disciplinaire, bien qu’il n’ait pas utilisé les mots «mesure disciplinaire» dans son grief. Par ailleurs, il est clair que l’employeur n'a pas été pris par surprise et qu'il n'a pas subi de préjudice du fait que le fonctionnaire ait omis d'utiliser les mots «mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire» que l'on retrouve à l'alinéa 92(1)a) de la Loi. Le grief était suffisamment clair pour lui permettre de comprendre que le fonctionnaire contestait le bien-fondé de la décision et la véracité du motif invoqué par l'employeur. Qui plus est, à l'arbitrage, la preuve présentée par l'employeur confirme qu'en aucun moment l'employeur n'a été dans le noir quant à la décision attaquée et au redressement recherché. De plus, il n'a pas présenté de preuve que l'omission dans le grief des mots magiques «mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire» lui ait causé quelque préjudice. Au surcroît, l'employeur savait de par l'avis de renvoi à l'arbitrage que l'employé plaiderait que la décision constituait une mesure disciplinaire. Entre le renvoi à l'arbitrage et la date de l'audience, il a eu le temps de préparer sa cause en conséquence. Finalement, quel que soit le nom donné à la décision de l’employeur, le résultat était le même: l’employeur savait que l’employé voulait obtenir son annulation ainsi que le remboursement des pertes qu’il avait essuyées.
Compte tenu de l'objection de l'employeur et, le recul aidant, il aurait probablement été préférable que le fonctionnaire s'assure de qualifier la décision et d'avoir recours aux mots «mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire» dans l'énoncé du grief. Toutefois, je ne crois pas que cette omission soit fatale.
En effet, il importe que la forme ne l'emporte pas sur le fond. Au moment où ils rédigent un grief et s'apprêtent à attaquer une décision de leur employeur, les employés n'ont pas, en général, le secours d'un expert juridique pour leur souffler les termes exacts.
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Decision Page 13 Afin d'en tenir compte, la Commission a adopté l'article 10 du Règlement et règles de procédure de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (1993) qui se lit comme suit: 10. «Aucune procédure visée par le présent règlement n'est invalide au seul motif qu'elle comporte un vice de forme ou une irrégularité d'ordre technique.»
Elle a aussi adopté le paragraphe 71(5) qui se lit comme suit: 71. (5) Le grief d'un fonctionnaire n'est pas invalide au seul motif qu'il n'a pas été présenté sur la formule approuvée par la Commission selon l'article 70.
Dans la mesure où l'employeur n'est pas pris par surprise et ne souffre aucun préjudice du fait que la rédaction d'un grief laisse parfois à désirer, il me semble qu'un arbitre de la Commission ne doit pas sur la seule base d’une rédaction boîteuse empêcher un fonctionnaire d'accéder à l'arbitrage. Une certaine latitude m'apparaît justifiée. Il n'est pas inutile de rappeler que, plus souvent qu'autrement, ce n'est qu'après le dernier palier de la procédure de griefs qu'un fonctionnaire a accès à un conseiller juridique ou à un représentant syndical spécialisé en arbitrage de griefs.
Il me semble qu'en exigeant de ce fonctionnaire autant de rigueur qu'on le ferait d'un justiciable représenté par avocat, la Commission et ses arbitres feraient fausse route et s'éloigneraient de leur raison d'être, c'est-à-dire, faciliter le recours à un tiers impartial et favoriser le règlement expéditif et définitif des conflits de travail qui opposent fonctionnaires et employeurs.
Finalement, je considère qu'il existe des distinctions entre la présente affaire et l'affaire Burchill (supra). De plus, cette décision a été rendue il y a plus de quinze ans. L’application stricte qu’on en propose pourrait dans certaines circonstances devenir un carcan, et il y aurait peut-être lieu que la Cour fédérale, au moment où elle le jugera opportun, se penche à nouveau sur cette question, c'est-à-dire, le degré de précision qu'il y a lieu d'exiger d'un fonctionnaire au moment où il rédige son grief.
J'en arrive maintenant à la principale objection de l'employeur, c'est-à-dire, celle voulant que la décision de mettre fin à la nomination intérimaire de Gérald Thibault ne soit pas une mesure disciplinaire mais plutôt une «décision administrative» prise sous l'empire de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Commission des relations de travail dans la fonction publique
Decision Page 14 D'abord, il est acquis que j'ai compétence, à tout le moins, pour m'enquérir des faits susceptibles de confirmer ou d'infirmer ma compétence. C'est ce que j'ai fait en invitant les parties à exposer les faits relatifs à cette question ainsi qu'au fond de cette affaire.
Deuxièmement, quant à ma compétence, le fardeau de la preuve incombait au fonctionnaire. Par ailleurs, dans l'hypothèse où j'en arrive éventuellement à la conclusion qu'il s'agissait d'une mesure disciplinaire, c'est l'employeur qui avait le fardeau de prouver que la mesure disciplinaire était justifiée. Afin d'éviter de scinder l'audition de cette affaire, j'ai pris sous réserve l'objection quant à ma compétence. C'est au moment du délibéré que j'ai évalué si les parties s'étaient déchargées de leur fardeau de preuve respectif.
À l'audience, j'ai invité l'employeur à produire sa preuve en premier, ce qu'il a accepté. Suite à cette preuve, le représentant du fonctionnaire a indiqué qu'il ne produirait pas de preuve.
Par conséquent, je dois trancher cette affaire en me fondant sur la preuve de l'employeur tout en ayant à l'esprit que le fardeau de preuve, quant à ma compétence, incombait au fonctionnaire.
Objection quant à la compétence: Au départ, il convient de rappeler que la preuve se limite au témoignage du gérant d'unité, Robert Poirier et à celui du directeur associé de La Macaza, Alain Jacques, qui tous deux ont affirmé avoir parlé à des personnes, qu'ils n'ont pas nommées lors de leur témoignage. Ces personnes auraient fait des allégations à l'endroit du fonctionnaire Gérald Thibault. Les allégations auraient été en rapport avec de l'alcool. L'avocate de l'employeur a indiqué que les personnes ne seraient pas identifiées et que les témoins oculaires des incidents reprochés à Gérald Thibault ne viendraient pas témoigner. Bref, les témoins de l'employeur allèguent que Gérald Thibault a été retiré de ses fonctions intérimaires à cause de prétendus agissements reliés, selon leurs dires, à de l'alcool mais ils ne veulent pas dévoiler la preuve, s'il en est, de ces prétendus agissements.
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Decision Page 15 J'ignore l'identité des personnes. J'ignore même si, dans les faits, ces personnes existent car elles ne sont pas venues corroborer les affirmations de Robert Poirier et d'Alain Jacques et par le fait même attester de leur vérité. J'ignore si les personnes auxquelles Robert Poirier aurait parlé sont les mêmes que celles auxquelles aurait parlé Alain Jacques. J'ignore aussi la nature exacte des gestes qui sont reprochés au fonctionnaire Gérald Thibault. Lui reproche-t-on d'être allé à un bar? Et si oui, durant ses heures de travail ou durant son temps libre? Lui reproche-t- on d'être allé à l'épicerie? Et si oui, quand? Et pourquoi? Lui reproche-t-on d'avoir mis de l'alcool dans le café d'un confrère au temps où il occupait son poste d'attache? Et si oui, quand et qui est ce confrère? De plus, le représentant de Gérald Thibault n'a pu vérifier la qualité de la preuve contre son client puisque les personnes qui, selon l'employeur, ont accusé Gérald Thibault, ne sont pas venues témoigner. Il en découle qu’il a été empêché de vérifier l’authenticité de la qualification donnée par l’employeur à sa propre décision.
Je suis devant une absence totale de preuve quant aux faits reprochés au fonctionnaire Gérald Thibault. Il s'agit de la forme la plus pernicieuse de ouï-dire puisque non seulement l'employeur n'a pas produit les soi-disant témoins oculaires mais, de plus, il refuse de les identifier.
Sur cette base, l'employeur m'invite tout simplement à le croire lorsqu'il prétend que sa décision d'enlever à Gérald Thibault ses fonctions intérimaires était une décision administrative prise de bonne foi et non pas une mesure disciplinaire camouflée. Autrement dit, il veut que j’accepte sa qualification de la décision sans faire la preuve des faits qui permettraient d’étayer cette qualification.
Comme la bonne foi se présume, au départ, j'ai présumé de la bonne foi de l'employeur. De plus au départ, c'est au fonctionnaire qu'il appartenait de renverser cette présomption de bonne foi.
Toutefois, c'est l'employeur lui-même, qui, par sa preuve, m'a convaincue de sa mauvaise foi, relevant ainsi le fonctionnaire de son obligation de faire une preuve de mauvaise foi. En effet, l'employeur camoufle au fonctionnaire Gérald Thibault la nature exacte des accusations qui pesaient contre lui ainsi que l'identité de ses accusateurs. Par la suite, devant l'arbitre soussignée, l'employeur ne précise pas la nature exacte des accusations faites à l'endroit de Gérald Thibault, il refuse de révéler Commission des relations de travail dans la fonction publique
Decision Page 16 l'identité des accusateurs de Gérald Thibault et ces derniers ne témoignent pas. Dans ce contexte, on nage dans l'arbitraire le plus absolu et je pense que cet arbitraire peut être assimilé à de la mauvaise foi.
J’en déduis que, dans les faits, Gérald Thibault a fait l'objet d'une mesure disciplinaire que son employeur a choisi de qualifier de «décision administrative prise aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique» dans l'espoir d'éviter, comme ce serait le cas s'il reconnaissait qu'il s'agissait d'une mesure disciplinaire, de voir cette décision portée devant un arbitre et éventuellement annulée vu l'absence totale de preuve contre Gérald Thibault. En prétendant qu'il s'agit d'une «décision administrative prise aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique», l'employeur a recours à un expédient administratif pour justifier sa décision et se tirer de l'embarras où le plonge le manque de preuve.
Le témoignage d’Alain Jacques tend à confirmer cette conclusion: ce dernier a déclaré que si les personnes qu’il refusait d’identifier avaient voulu témoigner, «on en serait venu à une mesure disciplinaire».
Ainsi, pour pallier aux lacunes de sa preuve, l'employeur a choisi de sévir contre Gérald Thibault au moyen d’une décision qu'il qualifie de «décision administrative prise aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique» et de lui retirer ses fonctions intérimaires.
Là où le bat blesse, à mon sens, c'est que le caractère authentique de cette décision fait défaut et la qualification que voudrait en faire l'employeur apparaît comme une tentative pour mettre la décision à l'abri du regard critique d'un tiers impartial, en l'occurrence, un arbitre.
Or, en faisant cela, l'employeur tente de priver cet employé du droit que lui accorde la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique de déposer un grief à l'encontre d'une mesure disciplinaire et de renvoyer ce grief à l'arbitrage. Je suis d'avis que l'intention du législateur en promulguant l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, était de permettre aux employés de se protéger des mesures disciplinaires injustifiées, soient-elles prises ouvertement ou soient-elles prises sous le couvert de différents noms, tels «mesure administrative, etc.» Dans les deux cas, il appartient à l'arbitre de décider de la véritable nature de la
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Decision Page 17 décision. Il me semble qu'il n'est pas déraisonnable de penser que la protection accordée par le législateur s'étend aux cas où un employeur a recours à un subterfuge ou, pour des raisons que lui seul connaît, aux cas où un employeur manque de transparence sur la nature disciplinaire d'une décision.
Il convient de rappeler que les fonctionnaires qui, pour un certain laps de temps, occupent des fonctions intérimaires, ont les mêmes droits à l'encontre de mesures disciplinaires que leurs collègues qui occupent un poste d'attache. Or, si le procédé utilisé par l'employeur dans la présente affaire devait être entériné, cela entraînerait, à l’avenir, le résultat suivant: dans les cas où un employeur soupçonne un écart de conduite et veut sévir, en l'absence de preuve, l'employeur pourrait sévir impunément contre un employé en le retirant de ses fonctions intérimaires sans avoir à s'en expliquer devant un arbitre alors que l'employeur aurait été astreint à ne sévir contre lui que pour cause et avec preuve à l'appui si ce même employé à qui l'on reproche un écart de conduite était demeuré à son poste d'attache. Bref, certains fonctionnaires seraient plus vulnérables que d'autres en matière disciplinaire du simple fait d'avoir accepté des fonctions intérimaires et leurs droits de se défendre contre des mesures disciplinaires injustifiées seraient à la remorque de la qualification choisie par l'employeur pour définir sa décision.
En dépit des multiples efforts déployés par le passé pour dresser une cloison étanche entre le champ d'application de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et celui de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, il subsiste une zone grise où certaines décisions qui en apparence relèvent de l'une ne résistent pas à un examen minutieux et basculent en quelque sorte dans le champ d'application de l'autre. Je crois que la présente affaire se situe dans cette zone grise et que ses circonstances particulières en font une décision de nature disciplinaire, c'est-à-dire, une mesure qui vise à sanctionner un écart de conduite reproché, à tort ou à raison, à un employé.
L'employeur a tenté de me convaincre que son intention n'était pas de sanctionner un écart de conduite chez l'employé (sous l'empire de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique) mais plutôt de s'assurer de la «sécurité de l'établissement» en retirant Gérald Thibault de ses fonctions intérimaires (sous l'empire de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique). Comme je ne peux aller
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Decision Page 18 dans la tête de l'employeur pour vérifier cette intention, il ne me reste que la preuve ou l'absence de preuve pour évaluer celle-ci. Or, la raison invoquée par l'employeur n'est confirmée par aucun élément de preuve puisqu'il n'y a aucune preuve que Gérald Thibault ait, à quelque moment, par sa conduite, mis en péril la sécurité de l'établissement.
En définitive, j'opte pour la conclusion que la décision de retirer Gérald Thibault du poste qu'il occupait tient de la décision disciplinaire plutôt que d'une authentique décision administrative prise sous l'empire de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique de mettre fin à des fonctions intérimaires ou de la Loi d’interprétation mentionnée en passant par le procureur de l’employeur. Il en découle que j'ai compétence dans la présente affaire au motif qu'il s'agit d'une mesure disciplinaire.
Ceci dit, sur le fond, il n'y a aucune preuve que Gérald Thibault ait commis quelque écart de conduite. De plus, l'employeur a reconnu que si j'en arrivais à la conclusion qu'il s'agissait bel et bien d'une mesure disciplinaire, il n'y avait pas de preuve suffisante pour justifier cette mesure disciplinaire.
Par conséquent, la décision de l'employeur est annulée. Toutefois, Gérald Thibault n'est pas remis dans les fonctions intérimaires qu'il occupait puisque la période pour laquelle il avait été nommé à ces fonctions est écoulée et il n'y a aucune preuve qu'on aurait renouvelé ses fonctions intérimaires. Finalement, il est ordonné à l'employeur de rembourser à Gérald Thibault la rémunération et les autres avantages sociaux auxquels il aurait eu droit s'il avait achevé la période durant laquelle il occupait ces fonctions intérimaires.
Marguerite-Marie Galipeau, commissaire
OTTAWA, le 9 septembre 1996.
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