Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement - Incompétence - le fonctionnaire s'estimant lésé occupait un poste de conducteur de véhicule sur une base militaire - il a subi quatre accidents mineurs qui, de l'opinion de l'employeur, auraient pu être évités - l'employeur a donc retiré au fonctionnaire de façon permanente les privilèges du permis de conducteur de véhicule militaire - l'employeur a ensuite licencié le fonctionnaire à compter du 21 septembre 1994 en invoquant son incompétence à titre de conducteur professionnel et la perte de son permis de conduire du Ministère - les accidents sont survenus le 18 août 1992, le 20 décembre 1993, le 15 février et le 19 mai 1994 - la preuve a établi que, à tous les moments pertinents, le fonctionnaire était atteint de cataractes et que l'employeur était au courant de ce fait - le fonctionnaire s'est fait opérer l'oeil droit en août 1993 et le gauche, en juillet 1994 - l'arbitre a conclu que les problèmes de vision du fonctionnaire constituaient des facteurs importants au regard des deux derniers accidents - l'arbitre a soulevé un doute au sujet de la bonne foi de l'employeur parce que ce dernier avait traité les quatre accidents en question comme des actes d'inconduite volontaire et n'avait jamais signalé au fonctionnaire que sa compétence était remise en question - de plus, eu égard à l'état de santé du fonctionnaire, état dont l'employeur était au courant, l'employeur était tenu de s'informer de la situation médicale du fonctionnaire avant de prendre la décision de le licencier - cette attitude de l'employeur a porté atteinte au caractère raisonnable de l'évaluation de la compétence du fonctionnaire - l'employeur ne pouvait non plus se cacher derrière sa décision de révoquer le permis de conduire du Ministère du fonctionnaire - l'arbitre a ordonné à l'employeur de réintégrer le fonctionnaire dans ses fonctions, avec effet rétroactif à la date de son licenciement. Grief admis. Décisions citées: Bell Canada v. Hallé et al. 29 CCEL 213; Hertz Canada Ltd and Office and Technical Employees' Union, Local 378 (1995), 46 L.A.C. (4th) 416; Kampman c. le Conseil du Trésor 1995 1 C.F. 306.

Contenu de la décision

Dossier: 166-2-26518 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE HARVEY EARL DEERING fonctionnaire s'estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Défense nationale)

employeur

Devant: P. Chodos, président suppléant Pour le fonctionnaire s'estimant lésé: David Landry, Alliance de la Fonction publique du Canada Pour l'employeur: S. Maureen Crocker, avocate Affaire entendue à Medicine Hat (Alberta), les 17 et 18 août; 8, 9 et 10 novembre 1995; exposés écrits remis les 1 et 15 décembre 1995.

Decision Page 1 DÉCISION M. Deering occupait un poste de conducteur de véhicule (GL-MDO-4) à la Base des Forces canadiennes Suffield jusqu’à son licenciement, le 21 septembre 1994, aux termes de l’alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques. En date de son licenciement, il avait 44 ans et était au service du Ministère depuis 17 ans. On avait d’abord décidé de le suspendre avant finalement de le congédier; les motifs de cette suspension et du licenciement sont exposés dans une lettre que lui a adressée le colonel K.T. Eddy, commandant de la base, en date du 22 juin 1994. Cette lettre (pièce G-2) se lit comme suit :

[traduction] À la suite d’une série d’accidents évitables que vous avez causés, j’ai évalué votre rendement au travail et les circonstances entourant chaque accident. Dans chaque cas, je suis d’accord avec les conclusions de l’enquêteur selon lesquelles vous auriez pu éviter ces accidents si vous aviez appliqué les principes qui vous ont été enseignés durant les multiples cours de perfectionnement des conducteurs que vous avez suivis. De plus, en ce qui concerne le dernier accident impliquant la voiture d’un civil, vous avez quitté les lieux et n’avez pas rapporté l’incident à votre superviseur, sécurité MMS ni à la Police militaire.

Je juge ce type de comportement inexcusable. Conjugué à votre dossier de conduite antérieur, ce comportement m’oblige à suspendre indéfiniment vos privilèges de conducteur de véhicule militaire.

À titre de GL-MDO-4, votre emploi est tributaire de la possession d’un permis DND 404 (Permis d’opérateur conducteur). Vu l’absence de tâches que vous pourriez exécuter dans votre poste d’attache, j’ai recommandé votre licenciement pour des motifs autres que disciplinaires. Par conséquent, jusqu’à ce que les autorités supérieures prennent une décision suite à ma recommandation, vous serez désigné surnuméraire et affecté à d’autres tâches.

La lettre de licenciement, datée du 21 septembre 1994, est libellée comme suit : [traduction] Suite à ma lettre datée du 22 juin 1994, vous êtes par les présentes avisé que le Commandant des forces terrestres a décidé de vous licencier en date de la réception de la présente lettre conformément au pouvoir qui lui a été délégué en vertu

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Decision Page 2 de l’article 50 (A) du Règlement sur les conditions d’emploi dans la fonction publique.

La décision de vous licencier pour des motifs autres que disciplinaires résulte de votre incompétence maintes fois démontrée comme conducteur professionnel et de votre incapacité à maintenir en règle le permis ministériel de conducteur opérateur DND 404.

... Comme l’indique la pièce G-2, les motifs autres que disciplinaires invoqués pour congédier M. Deering étaient liés aux nombreux accidents qu’il a eus au volant des véhicules du ministère de la Défense nationale. Le premier accident est survenu le 18 août 1992. À cette époque, M. Deering occupait un poste de mécanicien. Il a reconnu avoir franchi une barricade effondrée sur la route; il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire à la suite de cet accident (aucune preuve n’a été présentée concernant l’étendue de cette mesure); il n’a pas déposé de grief puisqu’il a reconnu sa faute. Trois des accidents sont survenus pendant que M. Deering travaillait comme conducteur. Le premier s’est produit le 20 décembre 1993. À ce moment-là, le fonctionnaire s'estimant lésé circulait en direction ouest dans un véhicule militaire appelé un taxi du GC (Génie construction). Il venait de laisser quelques passagers et circulait sur une route connue sous le nom de Coyote Road un peu plus tôt il avait aperçu trois chevreuils dans un champ à sa droite. Il a tourné la tête pendant une seconde ou une seconde et demie pour jeter un coup d’oeil dans le même champ, mais n’a vu que deux chevreuils. Lorsqu'il a ramené son regard devant lui, le troisième avait surgi du fossé de gauche pour traverser la route; il l’a heurté. M. Deering roulait à environ 50 km à l’heure à ce moment-là, le temps était nuageux et la pluie fine s’était transformée en neige, d’où la chaussée glissante. En apercevant l’animal, il a immédiatement donné un coup de frein, mais assez délicatement pour ne pas neutraliser brusquement la rotation des roues.

M. Deering a communiqué avec la Police militaire ainsi qu’avec le bureau de répartition des transports de la base. Le sous-officier responsable de la répartition des véhicules, le caporal-chef Sturgess, et le sergent Reginald Lafrenière ont mené une enquête sur les lieux de l’accident et noté la déclaration de M. Deering (pièce E-5). Ils ont effectué un « test de glissance ». D’après le cplc Sturgess, le test a révélé que si M. Deering conduisait à 50 km à l’heure, les marques de freinage auraient mesuré Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 3 10,6 m. Or, elles mesuraient 19,4 m du côté droit du véhicule et 21,4 m du côté gauche. Selon le cplc Sturgess, en utilisant la formule normalement employée par divers corps policiers, les marques de freinage du véhicule de M. Deering indiquaient que ce dernier roulait à environ 68 km à l’heure.

Dans son rapport de la cause de l’accident, le cplc Sturgess a indiqué que M. Deering roulait à une vitesse qui ne convenait pas aux conditions à ce moment-là et, que s’il avait conduit à la vitesse affichée de 50 km à l’heure, il aurait réussi à freiner à temps et ainsi évité de heurter le chevreuil. Le cplc Sturgess a également précisé que la « cause immédiate » de l’accident était le manque d’attention du conducteur, car M. Deering a avoué « qu’il regardait le chevreuil dans le champ ». Le cpcl Sturgess a également déclaré que M. Deering avait suivi le Cours de conduite préventive (CCP) en novembre 1993 ainsi que le Cours de perfectionnement du conducteur (CPC), cours l’on enseigne spécifiquement qu’il faut adapter la manière de conduire aux conditions météorologiques; on enseigne également, dans les deux cours, le principe du « délai de réaction des yeux », c’est-à-dire qu’on insiste sur l’importance de surveiller la route afin de détecter les dangers possibles et sur l’importance du rétroviseur et des miroirs. Le cpcl Sturgess a noté dans son rapport qu’outre la mort du chevreuil, le véhicule du MDN avait subi des « dommages mineurs ». La pièce E-11 indique que la réparation des dommages avait coûté 582,56 $.

Contre-interrogé, le cpcl Sturgess a confirmé que M. Deering lui a dit qu’il « regardait » le chevreuil; il ne lui a pas demandé pendant combien de temps.

Le 19 janvier 1994, M. Deering a reçu une « Lettre de counselling - rendement » émanant du major D.H. Phillips, l’Officier du transport (Base), dans laquelle ce dernier mentionne l’accident du 20 décembre ainsi qu’un autre accident antérieur survenu le 18 août 1992 alors que M. Deering travaillait comme mécanicien sur la base. D’après la lettre, ces deux accidents « auraient pu être évités ». Le major Phillips poursuit en disant :

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Decision Page 4 (pièce E-25) [traduction] ... Bien qu’il s’agisse d’accidents mineurs, nous ne pouvons les passer sous silence. Le fait que vous auriez pu les éviter tous les deux, vu votre expérience et votre formation, indique qu’il y a place pour certaines améliorations et qu’il y a peut-être lieu de vous faire suivre un cours de rattrapage pour conducteur. De plus, ces accidents entraînent des dépenses inutiles à l’État. La présente lettre constitue un avertissement formel de counselling relativement à votre rendement en tant que conducteur-opérateur de machine de classe 04 (GL-MDO-04).

... Dans les deux cas, vous aviez une maîtrise complète de la situation. Pourtant, pour une raison ou une autre, vous n’avez pas mis en pratique les principes et les techniques qu’on vous a enseignés. Pour vous aider à actualiser vos connaissances, vous devrez suivre le prochain Cours de perfectionnement du conducteur (CPC) qui sera offert. De plus, je vous invite à vous assurer de bien vous familiariser avec les environs, et d’y prêter attention, avant de conduire et pendant que vous êtes au volant. Bref, ayez « une vue d’ensemble » de la situation au lieu de vous concentrer sur des « choses sans importance » ou sur un aspect isolé. Une combinaison de ces éléments devrait vous permettre d’améliorer votre dossier de conducteur.

Si à l’avenir votre rendement continue d’indiquer que vous n’appliquez pas les principes de conduite défensive qu’on vous a enseignés aux cours de conduite défensive, de marche arrière et de perfectionnement du conducteur, je n’aurai d’autre choix que de recommander que l’on prenne des mesures disciplinaires draconiennes ou que votre rendement fasse l’objet d’une évaluation formelle relativement à votre poste de GL-MDO-04.

La présente lettre de counselling ne constitue pas un précédent par rapport à d’autres mesures disciplinaires dont vous avez pu avoir fait l’objet par le passé ni ne les amoindrit pas plus qu’elle devrait vous rendre indûment nerveux. Elle se veut cependant une démarche en vue de vous aider à vous améliorer et à perfectionner vos techniques et habitudes de conduite. N’oubliez pas, vos supérieurs, le personnel de la

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Decision Page 5 sécurité MMS et moi-même sommes pour vous aider à vous améliorer.

Le major Phillips a déclaré qu’il avait eu un entretien avec M. Deering au moment de lui remettre la pièce E-25. Il lui a fait part de son inquiétude au sujet de sa réputation de mauvais conducteur, et qu’un professionnel comme lui devrait prendre ses responsabilités de conducteur au sérieux et qu’il devrait suivre l’un ou l’autre des différents cours de conduite qui étaient offerts. Le major Phillips a affirmé que M. Deering a semblé « étonné » de recevoir une lettre officielle; M. Deering ne lui aurait pas fourni d’explication concernant l’accident à ce moment-là.

Le major Phillips a reconnu la description de travail de M. Deering (pièce E-24); il a indiqué que ce dernier consacre à toutes fins utiles tout son temps à conduire un camion léger appelé un « taxi du Génie construction ». Il doit détenir un permis de conduire décerné par les autorités civiles ainsi qu’un permis de conducteur opérateur de véhicule militaire appelé un permis DND 404.

Le 15 février 1994, M. Deering a eu un autre accident pendant qu’il transportait deux électriciens et leur matériel en route vers le bâtiment 398 sur la base; en faisant marche arrière il a monté sur le trottoir qui passe devant la porte du côté est du bâtiment en vue d’y laisser les deux électriciens et leur matériel. À sa droite, il y avait un gros arbre et à sa gauche une souche. Selon M. Deering, il voyait la souche dans le miroir du côté droit, mais, pour éviter l’arbre qui se trouvait de l’autre côté, il a effectuer une manoeuvre en « S »; il a perdu la souche de vue, l’a heurtée du côté droit du camion et a endommagé un feu arrière. M. Deering a déclaré qu’il avait souvent fait marche arrière à cet endroit précis, voire une ou deux fois la veille; d’autres conducteurs avaient également l’habitude d’en faire autant. Comme il y avait beaucoup de circulation sur la route adjacente, a-t-il indiqué, il avait reculé sur le trottoir pour ne pas causer d’embouteillage.

Le sergent Lafrenière a enquêté cet accident de concert avec un certain caporal McAllister. Il a interrogé M. Deering sur les lieux de l’accident; il lui a demandé pourquoi il n’avait pas fait appel à un des passagers pour le guider. M. Deering aurait tout simplement haussé les épaules, selon M. McAllister. Dans son rapport d’analyse de la cause de l’accident (pièce E-19), le sergent Lafrenière a conclu que la cause réelle de l’accident avait été « marche arrière non sécuritaire »; il a fait remarquer que le

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Decision Page 6 fonctionnaire s'estimant lésé n’avait pas respecté les lignes directrices qu’on lui avait enseignées au cours de conduite en marche arrière donné par le MDN en ne demandant pas à un des passagers de le guider ou en n’effectuant pas « d’inspection » des environs pour repérer les risques d’accident. Le sergent Lafrenière a également noté que la « cause immédiate » était « l’attitude » de M. Deering. Il a précisé dans son rapport que [traduction] « le conducteur du MDN a déclaré que l’arbre semblait être plus éloigné qu’il l’était dans le miroir. Il conduisait le même véhicule depuis six mois et aurait avoir remarqué que le miroir du côté droit affiche l’avertissement ″LES OBJETS QUI APPARAISSENT DANS LE MIROIR SONT PLUS PRÈS QU’IL PARAÎT″. Par conséquent, le fait de ne pas avoir tenu compte de cet avertissement a également contribué à l’endommagement du véhicule. » (pièce E-19). Le sergent Lafrenière a conclu que les réparations coûteraient environ 595,99 $. Il a affirmé avoir aperçu M. Deering plus tard dans le bureau il s’est entretenu avec lui de la cause de l’accident. Il lui a répété qu’il aurait faire appel à un des passagers pour le guider. Mais M. Deering n’a rien dit à l’époque. Le sergent a recommandé que M. Deering suive un autre cours de conduite en marche arrière.

À la suite de l’accident du 15 février, le major Phillips a remis à M. Deering ce qu’il a décrit comme une « lettre disciplinaire » datée du 7 mars 1994. Il a également mentionné à ce moment-là qu’il soulèverait la question auprès d’un officier supérieur, l’officier des services techniques de la base, pour examen, et qu’il le rencontrerait de nouveau pour discuter du problème. Le major Phillips a ensuite effectué des démarches pour faire suspendre le permis de conduire du MDN de M. Deering. Le major Phillips a conclu, lecture faite du rapport du sergent Lafrenière, que M. Deering avait « manifestement fait peu de cas » des cours de conduite en marche arrière qu’il avait suivis en ne faisant pas appel à un des passagers pour le guider et en n’effectuant pas le tour du camion avant d’effectuer la manoeuvre. Il croyait à l’époque que M. Deering avait reçu la formation nécessaire pour savoir qu’il n’avait pas respecté les procédures appropriées. Au cours de son témoignage, M. Deering a maintenu que l’utilisation d’un guide n’aurait pas empêché l’accident; il avait vu la souche, mais l’avait heurtée à cause d’une distorsion dans le miroir et d’une faiblesse de vision de profondeur à l’œil droit.

Le permis de conduire de M. Deering a été suspendu pendant trois semaines à cause de cet accident. Ce dernier a ensuite rencontré le major Ludwar, soit l’officier Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 7 des services techniques. D’après M. Deering, il lui a spécifiquement parlé de la distorsion de sa vision provoquée par le miroir. Il a reçu une lettre de réprimande datée du 18 mars 1994 et signée par le major Ludwar. Cette lettre se lit en partie comme suit :

(pièce G-14) [traduction] À la suite de l’examen de votre dossier, j’ai décidé de vous imposer la mesure disciplinaire ci-dessus en tenant compte des circonstances atténuantes, de votre rendement dernièrement et de votre dossier disciplinaire. Je souligne le fait que votre attitude et votre inattention ont été jugées comme étant les causes de vos deux derniers accidents de la route; ces même traits de personnalité ont déjà été notés à d’autres occasions dans vos antécédents de travail. J'ai également remarqué que vous avez suivi un cours de conduite en marche arrière en 1991 dont les leçons s’appliquent à la situation dont il est question ici. Néanmoins, je conclus qu’en raison des circonstances atténuantes en l’occurrence nous ne procéderons pas à l’imposition de mesures disciplinaires progressivement plus sévères dans votre cas. J’estime que, peu après votre acceptation du poste de conducteur opérateur (MDO), vous auriez bénéficier de la formation nécessaire concernant les mesures de sécurité, c’est-à-dire suivre un cours de conduite préventive comme l’exige votre poste. J’ai pris la décision ci-dessus parce que vous n’aviez pas reçu cette formation jusqu’à ces derniers temps.

Outre cette sanction, j’ai donné des instructions à l’OT(B) pour que l’on vous inscrive au prochain cours de conduite en marche arrière il y aura une place. À la fin de ce cours, vous aurez reçu toute la formation requise concernant les mesures de sécurité courantes et pertinentes pour vous permettre d’accomplir vos tâches de conducteur professionnel. Je m’attends à ce que vous exécutiez ces tâches de manière responsable et sécuritaire.

M. Deering, je vous préviens que je ne serai pas aussi indulgent la prochaine fois que vous n’appliquerez pas les techniques qu’on vous aura enseignées ou ne respecterez pas les principes de conduite préventive. Je prendrai des mesures disciplinaires plus sévères pouvant aller jusqu’à votre congédiement de la fonction publique fédérale.

(Les caractères gras sont les miens.) Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 8 M. Deering a déclaré qu’il n’avait pas présenté de grief relativement à cette affaire parce qu’il reconnaissait que l’histoire de la souche était de sa faute.

Le 19 mai 1994, le fonctionnaire s'estimant lésé a eu un autre accident au volant d’un véhicule du Ministère. Cette fois-ci, il venait de laisser un passager à l’entrée de l’Économat. Il avait stationné la voiture perpendiculairement à la porte d’entrée dans une zone de chargement. C’est en faisant marche arrière pour sortir du terrain de stationnement qu’il a heurté un véhicule; le caporal McAllister (qui arrivait à l’Économat) a été témoin de l’accident. Ce dernier a vu M. Deering freiner, sortir du véhicule, jeter un coup d’oeil rapide sur la voiture qu’il venait de heurter, reprendre le volant de son véhicule, puis démarrer. Le caporal McAllister est rentré dans le casse-croûte de l’Économat pour vérifier si le véhicule appartenait bien à un caporal-chef Paul. Il a obtenu une déclaration du cpcl Paul qui a affirmé que l’avant de son véhicule avait été déplacé d’environ six à huit pouces « de telle sorte qu’il n’était plus stationné en ligne droite ». Il a ajouté que son véhicule avait été endommagé. Selon une estimation, les dommages s’élevaient à 383 $, et selon une autre ils s’élevaient à 410 $. Le Ministère a subséquemment autorisé le paiement de 393 $ en guise d’indemnisation.

On a contesté la preuve concernant l’endroit exact était stationné le véhicule du cpcl Paul et à savoir s’il était légalement stationné. M. Deering a toutefois admis avoir vu le véhicule du cpcl Paul en faisant marche arrière à sa sortie de la zone de chargement de l’Économat. Au cours de son témoignage, il a expliqué qu’il avait aperçu le véhicule dans le miroir du côté gauche du conducteur; il a immédiatement donné un coup de frein; l’arrêt brusque a provoqué un balancement; il a entendu un bruit qu’il a cru provenir du support de l’échelle arrimé au camion au moyen de chaînes. Il est sorti de son véhicule pour voir s’il avait heurté l’autre voiture, car il lui semblait l’avoir frôlé de près. Il y avait un espace entre les deux véhicules; un coup d’oeil rapide n’a révélé aucun dommage. Croyant ne pas avoir heurté l’autre voiture, il est reparti. À son retour au bureau de répartition du Génie construction, on lui a dit de retourner au terrain de stationnement de l’Économat. Le cpcl Sturgess s’y trouvait. Il lui a demandé s’il savait pourquoi il avait été convoqué. M. Deering a répondu « non », sur quoi le cpcl Sturgess lui a dit qu’il avait heurté un autre véhicule. M. Deering a rétorqué qu’il ne s’en était pas rendu compte, puis a fait une déclaration à la Police militaire (pièce E-14). Le cpcl Sturgess lui a montré ce qui a semblé être une Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 9 égratignure sur le véhicule du cpcl Paul. M. Deering a déclaré qu’il a pu aussi y avoir une fissure capillaire.

Au cour du contre-interrogatoire, M. Deering a affirmé qu’il ne pensait pas avoir besoin d’un guide ou de faire le tour du véhicule le 19 mai, car il avait vu l’auto. Il a convenu qu’il aurait pu stationner son véhicule de manière à éviter d’avoir à faire marche arrière et qu’il n’avait pas mis en pratique les techniques de conduite préventive qu’on lui a enseignées. Il a aussi admis qu’il n’avait peut-être par remarqué les dommages causés au véhicule du cpcl Paul parce qu’il n’avait effectué qu’une inspection superficielle.

À la suite de cet accident, le cpcl Sturgess a établi un autre rapport d’analyse d’accident il attribue la cause directe de l’accident au défaut de M. Deering : [traduction] « d’appliquer les techniques du Cours de conduite en marche arrière en ne demandant pas d’aide pour le guider ou en ne faisant pas le tour du véhicule pour déterminer les risques d’accident en reculant. De plus, les instructeurs du Cours de conduite en marche arrière enseignent qu’il ne faut faire marche arrière qu’en cas d’absolue nécessité. Le fait de ne pas avoir respecté cette consigne a été un facteur dans cet accident. » (pièce E-16).

Après avoir lu le rapport du cpcl Sturgess, le major Phillips a adressé une note de service à l’officier des services techniques de la base, datée du 31 mai 1994 (pièce E-30), il fait référence aux multiples accidents de M. Deering ainsi qu’aux nombreux cours de perfectionnement des conducteurs suivis par ce dernier. Le major Phillips a conclu qu’il fallait suspendre le permis DND 404 de M. Deering. Il a aussi recommandé : [traduction] « que le commandant de la base suspende indéfiniment les privilèges du permis de conducteur de véhicule militaire de M. Deering puisqu’il n’est pas apte à détenir un permis DND 404. Ce n’est pas une recommandation que je fais à la légère. Cependant, je crois, comme mes surveillants supérieurs, que M. Deering n’agit pas de manière responsable » (pièce E-30). Lors d’une rencontre qui avait eu lieu le 27 mai 1994, le major Phillips avait fait part à M. Deering des sanctions qu’il prendrait, propos qu’il a confirmés dans une note de service datée du 9 juin 1994 (pièce E-31).

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Decision Page 10 Le major Phillips a déclaré qu’il avait agi conformément à l’autorité qui lui est dévolue en vertu des lignes directrices pour les services administratifs et le transport à la Défense nationale, en particulier le paragraphe 136 (pièce E-32) qui stipule que « Le permis DND 404 d’un employé peut également être suspendu à la suite d’une décision administrative prise par le Cmdt et fondée sur l’évaluation de l’O Trsp B quant à l’aptitude de l’employé à détenir un permis DND 404. » Dans une note de service datée du 17 juin 1994, adressée à l’officier du personnel civil de la base, le major Phillips a passé en revue les mesures prises et les motifs :

(pièce E-33) [traduction] ... 10. Nous avons tout essayé, depuis le counselling jusqu’à des cours de formation, pour faire en sorte que M. Deering puisse accomplir ses tâches de manière efficace et responsable. ... Ses superviseurs et moi-même avons personnellement rencontré M. Deering et lui avons remis une lettre de counselling à la suite de l’accident du 20 décembre 1993. Suite à l’accident du 15 février 1994, j’ai demandé que l’on fasse enquête. L’officier des services techniques SO2 a par la suite remis une lettre de réprimande à M. Deering.

11. Je ne peux insister assez sur la gravité du dernier accident survenu le 20 mai 1994, soit d’avoir fait marche arrière pour sortir d’une « Zone de stationnement interdit » puis d’être entré en collision avec une voiture civile. Selon un témoin oculaire, après avoir heurté la voiture, il est sorti de son véhicule, a examiné l’arrière du véhicule, puis est remonté dans le sien et a démarré. Il n’a pas rapporté l’accident.

12. Après avoir été informé des circonstances, j’ai suspendu son permis de conducteur de véhicule militaire en attendant de connaître la décision du commandant de la base suite à la recommandation de suspendre son permis de façon permanente. Il a fallu prendre cette décision dans l’intérêt de l’utilisation sécuritaire des véhicules.

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Decision Page 11 13. Étant donné que M. Deering a été incapable de respecter de simples consignes de conduite sécuritaire généralement acceptées, je recommande son licenciement pour un motif autre que disciplinaire.

À la suite de l’accident du 19 mai, M. Deering n’a plus été autorisé à conduire un véhicule du Ministère; il a accompli des tâches de manoeuvre à la Section du transport avant d’être affecté à l’atelier de la Section du Génie construction après avoir reçu la lettre du commandant de la base en date du 22 juin (voir G-2, précitée); il y est demeuré jusqu’à son licenciement le 21 septembre.

Au cours du contre-interrogatoire, le major Phillips a attribué la cause de l’accident à de la « négligence » de la part du fonctionnaire s'estimant lésé. Il a également affirmé que ce dernier avait « commis un acte d’inconduite volontaire » en quittant les lieux de l’accident et en ne le rapportant pas. Le major Phillips avait recommandé que M. Deering soit licencié pour des motifs autres que disciplinaires étant donné qu’il n’était plus titulaire d’un permis DND 404 et, partant, qu’il ne pouvait plus conduire les véhicules du Ministère. Il a également précisé qu’il était clair, d’après lui, que M. Deering connaissait les règles et les règlements en matière de conduite préventive et qu’il « avait intentionnellement désobéi aux règles ».

M. Peter Stauffer était l’officier du matériel de soutien roulant à l’époque M. Deering travaillait comme conducteur à la BFC Suffield. Il a fait remarquer que M. Deering avait, selon son expérience personnelle, bénéficié de plus de formation que quiconque dans un cours laps de temps. Il a affirmé qu’il serait inutile de lui faire suivre d’autres cours vu la quantité de formation qu’il avait déjà reçue sans pourtant démontrer d’amélioration.

M. Paul Howe était l’officier des services techniques à la BFC Suffield de juillet 1993 à octobre 1994. Une bonne partie de la correspondance émanant du major Phillips, concernant la décision de suspendre puis finalement de licencier M. Deering, lui a été adressée. M. Howe n’a pas été mêlé directement aux incidents relatifs au comportement de M. Deering pas plus qu’il n’a eu de contacts personnels avec lui à l’époque des incidents ni après la recommandation de le licencier. Il a déclaré qu’il s’était dit d’accord avec la recommandation de licencier M. Deering pour des motifs autres que disciplinaires plutôt que de le rétrograder vu que ce dernier avait déjà été rétrogradé en 1992; lui donner une autre chance n’aurait servi à rien, selon lui. Il a

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Decision Page 12 aussi mentionné qu’on avait procédé à des « réductions de personnel importantes » dans la foulée du budget de février 1994 de telle sorte qu’il n’y avait aucun poste vacant à l’époque. Le témoin a ajouté qu’il n’embaucherait par M. Deering comme conducteur ni même comme mécanicien à cause de son insouciance face aux questions de sécurité.

En sa qualité de commandant intérimaire de la base, M. Howe a signé une note de service datée du mois d’août 1994, qui a été envoyée à d’autres officiers supérieurs de la Défense nationale. La note de service relate les antécédents de travail de M. Deering au Ministère depuis son embauche en septembre 1977, soit son rendement dans un poste de mécanicien et la décision de le rétrograder en mai 1993. Voici ce qu’on dit au neuvième paragraphe de cette note de service :

(pièce E-42) [traduction] ... 9. La direction a donné à cet employé toutes les chances possibles d’améliorer son rendement : orientation, counselling, formation, rétrogradation volontaire dans un poste comportant des tâches différentes, d’autre counselling, d’autre formation. Même une mesure disciplinaire, semble-t-il, n’a pas réussi à corriger les lacunes de M. Deering puisqu’il continue d’avoir un rendement moins que satisfaisant. En tant que conducteur, M. Deering est souvent responsable de la sécurité d’autres personnes. Jusqu’ici, ses accidents n’ont entraîné que des coûts monétaires pour la Base. Heureusement personne n’a été blessé. La direction n’a d’autre choix que de licencier M. Deering pour un motif autre que disciplinaire étant donné qu’il a démontré à maintes reprises son incompétence comme conducteur professionnel.

Le représentant de M. Deering a contesté l’admissibilité de cette note de service au motif qu’elle contrevenait à la clause M.-33.04 de la Convention cadre de l’AFPC. Cette disposition se lit comme suit :

M-33.04 L'employeur convient de ne produire comme élément de preuve, au cours d'une audience concernant une

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Decision Page 13 mesure disciplinaire, aucun document extrait du dossier de l'employé-e dont le contenu n'a pas été porté à la connaissance de celui-ci au moment il a été versé à son dossier ou dans un délai ultérieur raisonnable.

M. Landry a fait remarquer que M. Deering n’a jamais été mis au courant du contenu de ce document. Je conclus qu’étant donné la position de l’employeur selon laquelle M. Deering a été licencié pour des motifs autres que disciplinaires, position qu’il a continué de défendre à l’audience, l’admissibilité de ce document ne contrevient pas aux dispositions de la clause M-33.04; j’estime cependant qu’une bonne partie de la pièce E-42 n’a que peu de pertinence; dans ses communications avec le fonctionnaire s'estimant lésé, l’employeur a clairement expliqué qu’il était licencié à cause de son piètre rendement comme conducteur et, en particulier, à cause des quatre accidents qu’il a eus pendant qu’il conduisait un véhicule du MDN. Par conséquent, son présumé rendement au travail en dehors de ce contexte n’est ni pertinent ni du ressort de la présente audience.

M. Ivan Jessie a témoigné au nom du fonctionnaire s'estimant lésé. Il travaille à la BFC Suffield depuis 20 ans dont 10 ans en qualité de MDO-6. M. Jessie a affirmé savoir qu’un conducteur est censé faire le tour du véhicule ou faire appel à un guide avant de faire marche arrière, mais que cette consigne est rarement mise en pratique par les conducteurs. Il a également déclaré qu’il arrive assez fréquemment aux conducteurs circulant sur la base de frapper des chevreuils; il y a un an cela lui est arrivé pendant qu’il conduisait un véhicule militaire dans des circonstances analogues à celles entourant l’accident de M. Deering survenu le 20 décembre; il n’a pas fait l’objet de mesures disciplinaires à la suite de cet accident.

M. Clifford Anten travaille comme électricien à la BFC Suffield depuis 1976. Il a déclaré que ses responsabilités l’amènent souvent à conduire des véhicules. Selon lui, les conducteurs, tant civils que militaires, n’ont pas l’habitude d’appliquer les règlements prescrits lorsqu’ils doivent faire marche arrière; il a occupé le poste de délégué syndical pendant cinq des vingt-sept ans qu’il travaille à la BFC Suffield; personne n’a jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour ne pas avoir fait appel à un guide ou le tour du véhicule avant de faire marche arrière.

M. Garry Sletvold a également témoigné au nom du fonctionnaire s'estimant lésé. On lui a demandé d’aller chercher le cadavre du chevreuil tué lors de l’accident

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Decision Page 14 du 20 décembre; il a fait remarquer qu’un fossé d’une profondeur de trois à quatre pieds longe la route à l’endroit a surgi le chevreuil.

Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu’il souffre de cataractes qui réduisent sa vision, ce qui, selon lui, est une des causes des accidents survenus le 15 février et le 19 mai 1994. Il sait depuis mai 1993 que l’œil droit est atteint d’une cataracte. Il ne croyait pas alors que cela l’empêcherait de conduire. Lorsqu’il a été affecté comme conducteur à la Section du Génie construction, il l’a mentionné à M. Stauffer et a précisé qu’il devait subir une intervention chirurgicale en juillet. M. Stauffer a affirmé qu’il lui avait demandé à ce moment-là si l’opération allait changer son acuité visuelle; selon M. Stauffer, M. Deering lui a répondu que l’extraction de la cataracte devait en fait la corriger. Ce dernier s’est fait opérer en août 1993 à la suite de quoi la vision de l’œil droit est redevenue 20/20. Après une période de convalescence, M. Deering est rentré au travail en septembre. M. Stauffer a déclaré qu’il lui avait demandé comment il se sentait. Celui-ci lui avait répondu qu’il voyait mieux qu’avant en précisant qu’il n’avait aucune restriction visuelle. M. Deering n’a plus jamais soulevé la question avec M. Stauffer quoiqu’il lui ait remis un certificat médical d’incapacité (pièce E-39) indiquant qu’il serait apte à reprendre ses fonctions le 10 septembre 1993.

M. Deering a déclaré que bien qu’il ait recouvré la vision normale à l’œil droit, celle de l’œil gauche s’est graduellement détériorée à cause d’une cataracte. M. Deering a affirmé que sa vision périphérique était diminuée, qu’il avait de la difficulté à déceler des objets du côté gauche. Le docteur Brent Rinaldi, l’ophtalmologiste de M. Deering, a indiqué que ce dernier souffrait d’une cataracte capsulaire postérieure, c’est-à-dire une cataracte sur la surface postérieure de la lentille. Le docteur Rinaldi a fait remarquer que lors de l’examen de M. Deering en décembre 1993, l’acuité visuelle de l’œil gauche était 20/30-3; en février 1994, elle s’était détériorée à 20/60.

Le témoin expert de l’employeur en ophtalmologie, le docteur John MacKay, a expliqué que les chiffres utilisés pour décrire la vision sont en fait une définition de l’acuité visuelle; le premier chiffre représente la distance en pieds de l’objet, le second la distance à laquelle l’objet sous-tend un angle d’un arc de cinq degrés sur la rétine. Plus l’œil est capable de lire les caractères réduits de l’échelle optométrique, plus l’acuité visuelle est bonne. Le docteur MacKay a fait remarquer qu’une vision 20/30

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Decision Page 15 est l’exigence provinciale normale pour obtenir un permis de conducteur de catégorie 3 (voir la pièce E-37). Il a déclaré que l’acuité visuelle d’une personne est déterminée selon le « meilleur œil », c’est-à-dire qu’une personne ayant une acuité visuelle de 20/20 dans un œil et, par exemple, de 20/60 dans l’autre est considérée comme ayant une acuité visuelle de 20/20. Il a ajouté que la Direction des véhicules automobiles de l’Alberta accepterait la vision du meilleur œil comme critère pour la délivrance d’un permis de conducteur. Il a aussi indiqué qu’il incombe à une personne dont l’acuité visuelle est altérée d’en informer l’autorité qui délivre les permis.

Le docteur MacKay a indiqué qu’il n’y aurait pas de distorsion significative de l’acuité visuelle si un seul œil était atteint de cataracte. Après avoir regardé les photos prises sur les lieux des accidents du 15 février et du 19 mai 1994, le docteur MacKay a maintenu que le fonctionnaire s'estimant lésé n’aurait pas éprouver de difficulté à voir la souche ou le véhicule du cpcl Paul. D’après lui, l’éblouissement ne l’aurait pas gêné dans l’un ou l’autre cas puisqu’il faisait un temps nuageux.

Contre-interrogé, le docteur MacKay a déclaré que les objets se trouvant dans le champ de vision du fonctionnaire s'estimant lésé, qui est atteint d’une cataracte capsulaire postérieure, seraient embrouillés mais à des degrés variés suivant l’intensité de la lumière. Il a convenu que la lumière du jour à l’extérieur est normalement plus forte que dans un bureau, et que plus l’éblouissement est grand plus la vue devient embrouillée; il a maintenu qu’une cataracte n’influe pas sur la vision périphérique. Au mois d’août, a-t-il convenu, selon le « Alberta Medical Examination for Motor Vehicle Operators Form » (Formulaire d’examen médical des opérateurs de véhicules automobiles de l’Alberta), le fonctionnaire s'estimant lésé n’était pas apte à détenir un permis de catégorie 3. Il a également convenu que si ce dernier avait une acuité visuelle de 20/60 à l’œil droit en février 1994, il n’était pas apte à détenir un permis de catégorie 3. D’après lui, cependant, la Direction des véhicules automobiles, en pratique, ne respecte pas rigoureusement les règles à cet égard.

Le docteur Rinaldi, au nom du fonctionnaire s'estimant lésé, a affirmé que la cataracte qui affligeait M. Deering en février 1994 aurait définitivement posé un problème en cas d’éblouissement. Il a déclaré que l’acuité visuelle de M. Deering en février 1994 était de 20/100 dans la lumière. Il a convenu que dans des conditions

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Decision Page 16 d’éclairage normales, une cataracte n’influerait pas énormément sur la vision périphérique. Toutefois, a-t-il précisé, elle influe sur la vision de profondeur, c’est-à-dire qu’elle peut réduire la capacité de déterminer les distances, par exemple, en faisant marche arrière avec un véhicule. Il a également fait remarquer que l’état de l’œil gauche de M. Deering avait continué de se détériorer entre février et juillet 1994.

Contre-interrogé, le docteur Rinaldi, a affirmé qu’il ignorait que M. Deering était un conducteur professionnel. Lorsqu’on lui a montré les photos de l’accident survenu en février, il a convenu que le fonctionnaire s'estimant lésé n’aurait eu aucune difficulté à voir la souche, ni, lors de l’accident du 19 mai, la voiture du cpcl Paul. Le docteur Rinaldo a également déclaré qu’une personne comme M. Deering, à cause de son problème relatif à la vision de profondeur, ne serait pas autorisé à détenir un permis de catégorie 1.

Le 5 mai 1994, le fonctionnaire s'estimant lésé a été examiné par un médecin militaire. M. Deering a affirmé qu’il ne pouvait voir l’échelle optométrique de son œil droit. En vertu de l’Accès à l’information, il a obtenu un document (pièce G-13) intitulé « Rapport d’examen physique général » qui semble confirmer les problèmes de vision de M. Deering. Le 16 mai 1994, M. Deering a demandé et obtenu un congé de maladie de plusieurs semaines en juillet en vue de faire extraire la cataracte de l’œil gauche à la suite de quoi il a récupéré une vision 20/20.

Argumentation L’avocate de l’employeur a fait valoir que, conformément aux décisions rendues dans les affaires Stitt (dossier de la Commission : 166-2-25981) et Hogan (dossier de la Commission : 166-2-26360), les critères suivants sont pertinents pour déterminer si le licenciement de M. Deering pour des motifs autres que disciplinaires est justifié : (1) l’employeur a-t-il expliqué au fonctionnaire s'estimant lésé ce qu’il attendait de lui; (2) l’employeur a-t-il fait preuve d’équité et de franchise dans la manière dont il a porté les lacunes du fonctionnaire s'estimant lésé à l’attention de ce dernier; (3) l’employeur a-t-il offert au fonctionnaire s'estimant lésé la possibilité d’améliorer son rendement et l’a-t-il aidé à cet égard; (4) l’employeur a-t-il prouvé que le rendement du fonctionnaire s'estimant lésé ne s’est pas amélioré par rapport aux lacunes reprochées; (5) l’employeur a-t-il prévenu le fonctionnaire s'estimant lésé des conséquences possibles. M e Crocker, en passant les éléments de preuve en revue, a Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 17 soutenu que l’employeur a respecté les critères ci-dessus. Spécifiquement, l’employeur a à maintes reprises expliqué au fonctionnaire s'estimant lésé ce à quoi on s’attendait de la part d’un conducteur professionnel; après chaque accident, l’employeur lui a signalé qu’il n’avait pas suivi la procédure en place et quelle était cette procédure; de plus, il lui a donné amplement le temps de démontrer qu’il avait appris de ses erreurs; en outre, le fonctionnaire s'estimant lésé a suivi plusieurs cours de conduite défensive et de conduite en marche arrière. L’employeur l’a également averti plusieurs fois des conséquences s’il s’obstinait à ne pas respecter les procédures. L’avocate a maintenu que les antécédents de travail du fonctionnaire s'estimant lésé mènent à la conclusion raisonnable qu’il était incompétent comme conducteur professionnel puisqu’il a été incapable de démontrer qu’il possédait les aptitudes requises pour le poste et qu’il pouvait exécuter une partie intégrante de ses tâches.

M e Crocker a également maintenu qu’en révoquant le permis de conducteur de véhicule militaire, c’est-à-dire le permis DND 404, à la suite de l’évaluation du rendement du fonctionnaire s'estimant lésé et des cours de formation, l’officier du transport (base) a dûment exercé son autorité en raison des risques de sécurité qu’il a pressentis et du pouvoir discrétionnaire dont il jouit. L’avocate s’est reportée à la décision du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique dans l’affaire Otto (CFP 81-31-MDN-2R) le Comité a confirmé la recommandation de congédier un employé à la suite de la révocation du permis de conduire (DND 404) de l’appelant. Elle a également fait référence au jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale dans Kampman c. Conseil du Trésor [1995] 1. C.F. 306, affaire une employée avait été congédiée pour incapacité à la suite de la révocation de sa cote de fiabilité approfondie. M e Crocker a fait remarquer que la Cour a conclu en l’espèce que « bien que la perte volontaire de la capacité d’un employé puisse effectivement faire l’objet d’une procédure disciplinaire, cela n’empêche pas en soi qu’on recommande le renvoi de l’employé en se fondant sur les mêmes faits ». Elle a également soutenu que le jugement Kampman sanctionne le principe que la décision du major Phillips d’exercer son autorité pour révoquer le permis DND 404 n’est pas sujet à révision s’il a pris en considération tous les éléments pertinents avant de prendre cette décision. À l’appui de son argumentation, l’avocate a également invoqué l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Thompson c. La Reine [1992], 89 D.L.R. (4th) 218.

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Decision Page 18 L’avocate de l’employeur a aussi cité la décision arbitrale dans Fundy Cable Limited (décision de Donald MacLean rendue en vertu du Code canadien du travail, datée du 4 novembre 1994, non publiée) l’on invoque le jugement de la Cour fédérale dans Bell Canada c. Hallé, et al., 29 CCEL 213 dans lequel la Cour a souscrit au critère susmentionné et ajouté : (page 221) « ... Ce que l’employeur doit prouver c’est...qu’il a agi en toute objectivité, de façon sérieuse, indépendante de ses humeurs passagères, sans discrimination, avec en vue uniquement le bon fonctionnement de son entreprise. »

M e Crocker a aussi maintenu qu’il n’y a pas de lien entre l’acuité visuelle du fonctionnaire s'estimant lésé et les préoccupations de l’employeur concernant les accidents qui, eux, ont trait à des questions de sécurité routière. De plus, M. Deering n’a jamais rien dit au sujet de son état de santé dans ses discussions avec ou M. Phillips ou M. Sturgess, c’est-à-dire qu’il n’a pas porté à leur attention ses restrictions ou difficultés. Par conséquent, l’employeur ne devrait pas être tenu de verser un salaire rétroactif dans de telles circonstances.

Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé a répliqué qu’un licenciement pour un motif autre que disciplinaire est de toute évidence sujet à révision conformément à l’alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques. M. Landry a soutenu que le pouvoir d’un arbitre ne se limite pas à déterminer si le sous-ministre a exercé son autorité en toute bonne foi, comme cela était le cas aux termes de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. En vertu des modifications de 1993, un arbitre peut exercer son pouvoir de redressement suivant les principes d’équité en milieu de travail. C’est-à-dire que le libellé du sous-alinéa 92(1)b)(ii) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique est très différent de celui de l’ancien paragraphe 31(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Par conséquent, il faut faire preuve de discernement en lisant le jugement de la Cour dans Kampman (précité) rendu aux termes du paragraphe 31(1), vu particulièrement le droit de révision très limité qu’accorde cette disposition comparativement à celui que prévoit la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Quoi qu’il en soit, a soutenu M. Landry, le jugement Kampman (précité) reconnaît le droit du comité d’appel de revoir la décision de l’administrateur général recommandant le congédiement par suite de la révocation de la cote de fiabilité approfondie; ce droit de

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Decision Page 19 révision appartient maintenant à l’arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

M. Landry a passé en revue la preuve relative aux divers accidents; il a maintenu que M. Deering n’était pas responsable de l’accident du 20 décembre 1993. Quant aux accidents des 15 février et 19 mai 1994, le fonctionnaire s'estimant lésé soutient qu’ils sont attribuables à la détérioration de sa vue. M. Landry a fait remarquer que l’employeur avait réprimandé le fonctionnaire s'estimant lésé par écrit à la suite de l’accident du 15 février; il ne peut maintenant faire volte-face et dire que l’accident s’est produit à cause de l’incompétence de M. Deering. En ce qui a trait à l’accident du 19 mai, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait un choix conscient, ce qui n’a rien à voir avec l’incompétence ou l’incapacité; il s’agit plutôt d’une question d’ordre disciplinaire. M. Landry a également fait valoir que l’employeur connaissait fort bien l’état de santé de M. Deering; il savait que ce dernier devait se faire opérer et qu’en fait il l’avait été; il y a aussi l’élément de preuve apporté par la pièce G-13 qui indique que le fonctionnaire s'estimant lésé s’est fait examiner par le médecin de l’employeur, lequel a diagnostiqué des problèmes de la vue le 5 mai 1994.

Dans son argumentation écrite, M. Landry a, entre autres choses, fait remarquer ce qui suit :

[traduction] (page 8) Le grief conteste le congédiement survenu en date du 21 septembre 1994, et la lettre datée du 21 septembre 1994 fournit deux motifs : (1) incompétence; et (2) pas de 404. L’accident du 19 mai (comme je l’ai déjà souligné) ne dénote pas de l’incompétence puisqu’un choix a été fait. Le motif de la perte du permis 404 est le même que pour la première fois. M. Deering a perdu son permis 404 parce que l’employeur l’a jugé incompétent à la suite de l’accident du 19 mai. Tant le congédiement que la perte du permis 404 ont été recommandés par le major Phillips à la suite de l’accident du 19 mai, lequel, selon ce dernier, est attribuable à de la mauvaise conduite, ...

M. Landry a conclu son argumentation écrite comme suit : [traduction] Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 20 Les allégations concernant l’accident du 19 mai ne prouvent pas qu’il y a eu incompétence, mais bien de la mauvaise conduite. Le 15 février 1994, M. Deering a eu un accident à la suite duquel il a fait l’objet d’une réprimande écrite. Puisque la mauvaise conduite n’est plus le problème, les arguments relatifs aux faits n’ont pas été répétés. L’employeur avait le choix entre 11(2)f) ou 11(2)g). Il a choisi « g) » et le motif d’incompétence. Le licenciement est un congédiement pour mauvaise conduite; or, cette mauvaise conduite n’a pas été prouvée. Si le motif avait été d’ordre disciplinaire, il aurait fallu que l’employeur impose des mesures progressivement plus sévères (réprimande écrite) avant de procéder au congédiement. Il a fait preuve de mauvaise foi en invoquant des motifs autres que disciplinaires pour empêcher le fonctionnaire de faire valoir ses droits.

La Loi établit une distinction entre 11(2)f) et 11(2)g). L’employeur peut licencier un employé conformément à l’une ou l’autre de ces dispositions, mais il ne peut en choisir une puis, constatant son erreur, changer d’idée à l’arbitrage.

Dans sa réfutation écrite, l’avocate de l’employeur a de nouveau fait remarquer que : [traduction] « ...la perte d’une qualité d’emploi requise (ici le DND 404) rend une personne incapable de remplir ses fonctions (page 9, Kampman) ». M e Crocker a également affirmé ce qui suit :

(page 4) [traduction] ... La position de l’employeur est « que dans de nombreux cas, il n’est pas pratique d’exiger que l’on s’en tienne à une distinction rigide entre des actes répréhensibles et des actes non répréhensibles ... » (Crane Canada Inc. and U.A. Loc. 170, Re, (1990) 14 L.A.C. (4th) 253, page 276, copie ci-jointe).

L’employeur a eu recours à la fois à une mesure disciplinaire pour corriger l’attitude de M. Deering et à de la formation pour l’aider à améliorer son rendement. Sur la foi de l’ensemble de son expérience avec M. Deering, le Ministère est arrivé à la conclusion raisonnable qu’il était incompétent comme conducteur professionnel. Ni le counselling, ni la formation, ni les mesures disciplinaires n’avaient permis de corriger les lacunes de cet employé. Son obstination à ne pas appliquer les techniques de conduite préventive et ses accidents évitables, malgré la formation et le counselling, ont miné la relation d’emploi.

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Decision Page 21 ... la preuve ne démontre pas que son rendement est susceptible de s’améliorer -- relativement aux techniques de conduite préventive.

Motifs de la décision En l’occurrence, il s’agit de déterminer si l’employeur a eu raison de licencier M. Deering pour des motifs autres que disciplinaires conformément à l’autorité qui lui est dévolue en vertu de l’alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques. La question incidente est de déterminer dans quelle mesure la décision de révoquer le permis de conducteur de véhicule militaire (I.e., le permis DND 404) conformément à une directive ministérielle, peut faire l’objet d’une révision par un arbitre nommé en vertu du sous-alinéa 92(1)b)(ii) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Au départ, il y a lieu de souligner le fait que l’employeur a indiqué qu’il ne voulait pas que la présente affaire soit traitée comme une question disciplinaire si je concluais que le fonctionnaire s'estimant lésé n’avait pas été dûment licencié en vertu de l’alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques. En d’autres termes, l’employeur voulait s’en tenir à son argumentation qu’il s’agit d’un licenciement en bonne et due forme issu de l’application de cette disposition. Les dispositions pertinentes de la LRTFP et de la LGFP sont reproduites ci-dessous.

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé :

a) par l'interprétation ou l'application à son égard : (i) soit d'une disposition législative, d'un règlement administratif ou autre —, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,

(ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

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Decision Page 22 b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous- alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

11(2) Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique :

f) établir des normes de discipline dans la fonction publique et prescrire les sanctions pécuniaires et autres y compris le licenciement et la suspension, susceptibles d'être appliquées pour manquement à la discipline ou pour inconduite et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

g) prévoir, pour des raisons autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur des

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Decision Page 23 personnes employées dans la fonction publique et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

11(4) Les mesures disciplinaires, le licenciement ou la rétrogradation effectués en application des alinéas (2)f) ou g) doivent être motivés.

Avant de me pencher sur les questions juridiques soulevées par la présente affaire, je dois examiner la preuve et tirer certaines conclusions de fait. La plaidoirie de l’employeur repose exclusivement sur quatre accidents qu’a eus le fonctionnaire s'estimant lésé; le premier s’est produit au mois d’août 1992 pendant que le fonctionnaire s'estimant lésé travaillait comme mécanicien; ce dernier, pour des motifs non liés à l’accident, a subséquemment été rétrogradé à un poste de conducteur, son poste actuel. Pendant qu’il occupait ce poste, le fonctionnaire s'estimant lésé a eu trois autres accidents mineurs. Le premier est survenu le 20 décembre 1993 lorsqu’il a frappé et tué un chevreuil qui a surgi sur la route devant le véhicule qu’il conduisait. J’accepte la preuve de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé roulait à une vitesse qui ne convenait pas à l’état des routes à ce moment-là et qui était supérieure à la limite affichée. Toutefois, je ne suis pas disposé à conclure qu’il a été distrait comme l’a prétendu l’employeur. Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu’il avait simplement jeté un coup d’oeil vers le champ il avait déjà aperçu un chevreuil. Même si M. Stauffer maintient que le fonctionnaire s'estimant lésé lui a dit qu’il avait « regardé » le chevreuil, ce qui l’avait amené à conclure que M. Deering avait été distrait, il ne lui a pas demandé pendant combien de temps. J’accepte le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé à cet égard.

En ce qui concerne l’accident du 15 février 1994, il n’y a pas de doute que le fonctionnaire s'estimant lésé est responsable d’avoir heurté la souche pendant qu’il était au volant du véhicule. Il était pleinement conscient du risque. Or, cet accident fait intervenir la question de savoir si sa vue a joué un rôle. Le témoignage essentiellement non contredit de son ophtalmologiste, le docteur Rinaldi, est que la

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Decision Page 24 cataracte dont souffre M. Deering a sans doute influé sur sa vision de profondeur, car elle rendrait la tâche de faire marche arrière plus difficile pour lui. Le témoignage du docteur MacKay, lequel a été confirmé par le docteur Rinaldi, est que l’acuité visuelle d’une personne est déterminée par la vision du meilleur œil, laquelle aurait été 20/20 à l’époque. Le docteur MacKay n’a toutefois rien dit au sujet des effets des cataractes sur la vision de profondeur. Quoi qu’il en soit, s’il y a contradiction entre les témoignages du docteur MacKay et du docteur Rinaldi à cet égard, je préfère celui du docteur Rinaldi qui connaissait l’état de santé de M. Deering. Par conséquent, je conclus que l’acuité visuelle de M. Deering est un facteur qui a contribué de manière significative aux accidents survenus les 15 février et 19 mai 1994.

Je conclus également que, le 19 mai 1994, M. Deering est effectivement entré en collision avec le véhicule du caporal Paul en faisant marche arrière; c’est-à-dire qu’il l’a heurté et qu’il a sans doute causé des dommages très mineurs. De nouveau, M. Deering a avoué qu’il savait que le véhicule du caporal Paul se trouvait derrière le sien; il n’a pas nié qu’il était inquiet parce qu’il croyait l’avoir heurté et que c’est la raison pour laquelle il était descendu de son véhicule pour effectuer « une inspection rapide » du véhicule en question. Vu ces circonstances, vu le témoignage du caporal McAllister et vu la preuve que le véhicule du caporal Paul a été légèrement endommagé, j’ai conclu que M. Deering avait effectivement heurté ce véhicule. Par ailleurs, je conclus également que cet accident était sans doute attribuable aux problèmes de la vue dont souffrait M. Deering, problèmes qui, selon le docteur Rinaldi, se sont aggravés après février. Je prends note également de la pièce G-13, datée du 5 mai, qui semble être un rapport médical établi par le médecin de l’employeur dans lequel il est indiqué que M. Deering souffre d’un problème de la vue. Bien que les détails entourant les commentaires faits au sujet de ce document soulèvent certaines questions, il s’agit d’un rapport officiel de l’employeur, semble-t-il; d’après moi, si l’employeur avait voulu contester son authenticité, il se devait de présenter des preuves à cet égard tout en gardant présent à l’esprit que le document a été trouvé en sa possession.

À la lumière des conclusions de fait ci-dessus, l’employeur s’est-il déchargé du fardeau de démontrer qu’il avait des motifs raisonnables pour licencier M. Deering. À mon avis, il n’a manifestement pas réussi à le démontrer. Tant dans l’affaire Stitt que dans l’affaire Hogan (précitées), l’employeur avait clairement communiqué aux Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 25 fonctionnaires s’estimant lésés que leur compétence était au coeur du problème. En l’occurrence, les actes de l’employeur étaient certainement ambigus; à la suite de chaque accident, il a traité les actes de M. Deering comme étant de la mauvaise conduite volontaire. Les documents émanant de l’employeur indiquent très clairement que ce dernier considérait le comportement du fonctionnaire s'estimant lésé comme étant essentiellement une question de discipline et non pas d’incompétence ou d’incapacité. Dans son témoignage, le major Phillips a très candidement avoué que, d’après lui, M. Deering savait très bien ce dont on attendait de lui, qu’il avait comprendre les directives de l’employeur concernant la façon de conduire les véhicules sur la base, mais qu’il ne s’en était pas soucié. Dans la première lettre de « counselling » envoyée au fonctionnaire s'estimant lésé à la suite de l’accident du 20 décembre, le major Phillips a indiqué que toute récidive allait entraîner une mesure disciplinaire ou une évaluation du rendement. Après l’accident du 15 février, M. Deering a reçu une lettre disciplinaire du major Ludwar. L’employeur aurait donc décidé de considérer ses actes comme de la mauvaise conduite. Or, à la suite de l’accident du 19 mai, lequel comportait sans aucun doute des éléments d’inconduite et a été perçu comme tel par le major Phillips, l’employeur a fait volte-face et décidé de licencier le fonctionnaire s'estimant lésé pour de présumés motifs autres que disciplinaires.

Ces circonstances soulèvent des questions importantes quant à la bonne foi du Ministère dans ses démarches concernant le fonctionnaire s’estimant lésé dans cette affaire, compte tenu particulièrement de la preuve sur l’état de santé de M. Deering. Le Ministère savait fort bien, avant de le licencier, que M. Deering souffrait de cataractes, problème qui se corrige très bien au moyen d’une chirurgie; ces faits connus, une enquête quelque peu approfondie relative à sa capacité d’exécuter les tâches d’un conducteur aurait inclure une évaluation de son état de santé. L’employeur aurait pu, par exemple, ordonner à M. Deering de consulter un ophtalmologiste de son choix, mais il a préféré se fermer l’esprit à toute solution ou conclusion qui n’aurait pas débouché sur le congédiement de M. Deering. Comme je l’ai déjà indiqué, je conclus que les problèmes de la vue de M. Deering ont joué un rôle important dans les accidents. Il est évident que l’employeur n’avait pas examiné voire considéré ce fait lorsqu’il a décidé de révoquer le permis de conducteur de véhicule militaire de M. Deering et de le licencier. S’il l’avait fait, et ce en toute bonne foi, il n'aurait pu

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Decision Page 26 raisonnablement conclure, le 21 septembre 1994, que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était plus apte à exécuter les tâches de son poste. Dans le jugement Bell Canada (précité) la Cour a fait remarquer que nous devons déterminer « le caractère raisonnable de l’évaluation faite par l’employeur de l’absence de compétence chez l’employé » (page 221). Selon moi, l’employeur ne s’est pas acquitté de cette responsabilité. En arrivant à cette conclusion, je tiens à souligner que je ne suis pas en désaccord avec la conclusion à laquelle on est arrivé dans la décision arbitrale Crane Canada selon laquelle une distinction rigide entre un acte répréhensible et un autre non répréhensible est fréquemment peu pratique. Toutefois, la distinction existe comme on peut le lire dans l’ouvrage de MM. Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, (3 e ) , chapitre 7:3510. D’après moi, la décision arbitrale rendue récemment dans l'affaire Hertz Canada Ltd and Office & Technical Employees’ Union, Local 378 (1995) 46 L.A.C. (4th) 416 (Hope) nous éclaire considérablement, compte tenu des faits en l’occurrence. En l’espèce, il s’agissait également d’un employé s’estimant lésé qui avait été congédié à la suite d’un accident de la route; à la page 439, le savant arbitre a affirmé :

[traduction] Quant à la question de l’accident, la preuve étaye la conclusion que le fonctionnaire s’estimant lésé était le responsable. Il a causé le dommage au véhicule et ce geste était passible d’une mesure disciplinaire. ... il est évident que l’employeur avait adopté une politique pour ce genre d’accident ... La preuve confirme le fait que l'employé s’estimant lésé a contrevenu à cette politique en ce sens que ses actions ont été à l’origine des dommages d’une valeur de 150 $ causés au véhicule de l’employeur.

Quant à savoir si l’accident est perçu comme étant attribuable à une erreur de jugement, dans le sens l’on emploi ce terme dans la jurisprudence, ou à une certaine négligence, intentionnelle ou non, l’employeur avait le droit de recourir à une mesure disciplinaire pour faire comprendre au fonctionnaire s’estimant lésé et aux autres employés l’importance de faire preuve de prudence afin d’éviter ce genre d’accident. Toutefois, il faut mesurer la gravité de toute infraction à cette politique dans le contexte des faits particuliers. En outre, l’employeur est et était tenu, conformément aux principes des relations professionnelles implicites dans la loi, d’adopter une approche correctrice dans les sanctions prises contre les employés, y compris

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Decision Page 27 l’imposition de peines progressivement plus sévères comme condition préalable à tout congédiement.

L’approche des mesures disciplinaires progressivement plus sévères est particulièrement efficace dans des circonstances comme celles qui nous occupent l’infraction n’est pas attribuable à de l’inconduite délibérée.

Je suis d’accord avec l’arbitre Hope (comme d’ailleurs l’était le Ministère initialement) que dans des circonstances comme celles qui nous occupent, il faut plutôt opter pour une approche disciplinaire, y compris toutefois l’application du principe de l’imposition de mesures disciplinaires progressivement plus sévères.

Il y a lieu également de s’interroger à savoir si la révocation du permis DND 404 est déterminante pour trancher la question en faveur de l’employeur. À l’appui de son argument, l’avocate de l’employeur s’appuie essentiellement sur les décisions Kampman et Otto (précitées). Une lecture de ces décisions montre pourquoi cet argument ne tient pas vu les circonstances en l’occurrence. Dans le jugement Kampman (précité), le juge Strayer a affirmé : (page 318) «Un examen attentif de la décision Ahmad révèle que le Comité doit respecter de prime abord l’opinion de l’administrateur général, mais qu’il peut réviser sa décision en ce qui a trait au droit, à la question de la mauvaise foi et aux faits, leur exactitude étant apparemment le facteur à considérer.» Selon moi, le même pouvoir et la même responsabilité de réviser les décisions de l’employeur s’appliquent a fortiori à l’égard d’un arbitre nommé en vertu du sous-alinéa 92(1)b)(ii) de la LRTFP. En l’occurrence, comme je l’ai déjà mentionné, des faits pertinents et critiques ont été passés sous silence par le major Phillips et le commandant de la base lorsqu’ils ont décidé de licencier M. Deering. De plus, pour les motifs indiqués ci-dessus, je doute fort que cette décision ait été prise en toute bonne foi.

Dans l’affaire Otto, l’appelant a été reconnu coupable de conduite en état d’ébriété et par la suite de conduite dangereuse; à ces deux occasions, son permis de conduire a été suspendu. En raison de cette suspension de permis, le ministère de la Défense nationale a suspendu le permis DND 404 de M. Otto lors de la première occasion; il l’a averti qu’une autre suspension du permis provincial entraînerait la révocation du permis DND 404 et le licenciement. M. Otto a été licencié à la suite de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 28 seconde suspension. Son licenciement était l’objet de l’appel. En rejetant l’appel, le président du comité a conclu : (page 10) [traduction] « il est évident que du point de vue du Ministère, deux suspensions d’un permis de conduire à intervalles rapprochés ont suffi pour entraîner la perte de confiance dans la responsabilité du conducteur. Je ne puis trouver rien de déraisonnable dans cette décision ».

Il est manifeste que les circonstances en l’occurrence sont radicalement différentes de celles qui prévalaient dans l’affaire Otto. Aucun organisme indépendant n’a revu les faits concernant le cas de M. Deering; son permis de conduire provincial n’a jamais fait l’objet d’une suspension; en fait, il continue de détenir un permis provincial de catégorie 3, et rien ne laisse croire qu’on ait déjà menacé de suspendre ce permis. Selon moi, la justice serait mal servie si le Ministère pouvait simplement se cacher derrière la décision du major Phillips pour recommander la révocation du permis DND 404 de M. Deering et, partant, pour le licencier sans la possibilité d’un examen complet des faits pertinents à la prise de cette décision. Une telle conclusion est indéfendable et serait tout à fait contraire à l’esprit et à la lettre du sous-alinéa 92(1)b)(ii) de la LRTFP.

En guise de conclusion, je juge que la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé conformément à l’alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques était déraisonnable et non justifiée. Par conséquent, j’ordonne à l’employeur de réintégrer M. Deering rétroactivement à la date de son licenciement. Je demeure saisi de l’affaire pendant un mois à compter de la date de la présente décision au cas les parties éprouveraient des difficultés à l’appliquer.

P. Chodos, président suppléant.

OTTAWA, le 8 février 1996. Traduction certifiée conforme Serge Lareau Commission des relations de travail dans la fonction publique

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