Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement - Extorsion - Crédibilité - Preuve postérieure au licenciement - le fonctionnaire s'estimant lésé a été licencié pour avoir censément tenté d'extorquer de l'argent d'un M. Lo, président d'une entreprise engagée dans la vente et la réparation d'ordinateurs - M. Lo et un de ses employés, M. Chan, ont témoigné au sujet des dates et des moments précis où les tentatives d'extorsion avaient eu lieu - le fonctionnaire a témoigné que, aux moments en question, il se trouvait respectivement chez le dentiste et chez sa soeur - le témoignage du fonctionnaire a été corroboré par sa soeur et par Mme Allaire, assistante dentaire et réceptionniste du dentiste - le fonctionnaire a toujours proclamé son innocence, et sa version des événements était cohérente tout au long de l'audience - le fonctionnaire a émis l'hypothèse selon laquelle les accusations contre lui constituaient des représailles pour sa participation à l'enquête et aux poursuites judiciaires menées contre plusieurs entreprises chinoises d'ordinateurs - le témoignage du fonctionnaire était tout aussi crédible que celui de M. Lo et M. Chan - par contre, le témoignage du fonctionnaire avait l'avantage d'être compatible avec le témoignage clair et crédible de Mme Allaire - l'arbitre a conclu que l'extorsion alléguée contre le fonctionnaire n'avait pas été prouvée. Grief admis. Décisions citées: Faryna v. Chormy, 4 WWR (NS) 171; Burchill c. Procureur général du Canada [1981] 1 C.F. 109. Lorsque le fonctionnaire s'est opposé à l'introduction d'une preuve relative à un autre acte d'inconduite survenu avant le licenciement, mais découvert seulement après, l'arbitre a tranché l'objection de la façon suivante: [...] La Cour fédérale du Canada a déclaré dans Burchill c. Le procureur général du Canada [1981] 1 C.F. 109, qu'un fonctionnaire s'estimant lésé ne peut pas, à l'arbitrage, modifier la nature d'un grief qui a été défendu en son nom lors de la procédure de règlement des griefs. Réciproquement, en vertu de la LRTFP, l'employeur ne peut, une fois rendu à l'arbitrage, justifier un congédiement en faisant valoir des motifs autres que ceux qui ont été discutés durant la procédure de règlement des griefs. En d'autres termes, la preuve pertinente de mauvaise conduite découverte après le congédiement peut être utilisée dans un cas précis pour corroborer le motif du congédiement. Toutefois, si l'on ne réussit pas à démontrer le motif réel du congédiement, la preuve découverte par la suite ne peut être invoquée pour le justifier.

Contenu de la décision

Dossier: 166-2-26646 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE STEPHEN LAU fonctionnaire s'estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Revenu Canada - Douanes et Accise)

employeur

Devant: Yvon Tarte, président suppléant Pour le fonctionnaire s'estimant lésé: David Landry, Alliance de la Fonction publique du Canada Pour l'employeur: Debra Prupas et Cassandra Kirewskie, avocates Affaire entendue à Toronto (Ontario), le 5 décembre 1995.

Decision Page 1 DÉCISION Le grief Le 23 août 1994, M. Stephen Lau a été congédié de son poste d’enquêteur douanier à Toronto. La lettre de congédiement (pièce E-1), sont exposés succinctement les motifs du licenciement, se lit en partie comme suit :

[Traduction] La Direction de la sécurité du Ministère a terminé son enquête relative aux allégations de tentative d’extorsion d’argent dont vous vous seriez rendu coupable auprès de la compagnie Base Information Technology (BIT).

À l’issue de l’enquête, il a été démontré que vous vous trouviez dans les locaux de la Base Information Technology Inc. le 13 juin 1994 et que vous avez tenté d’extorquer une somme d’argent (23 000 $) à Eugene Lo, président de la compagnie.

Vos actions témoignent de votre manque d’honnêteté, de jugement et du sens des responsabilités nécessaires pour occuper le poste d’enquêteur douanier. Vos actions constituent une violation grave des articles 8, 9 et 11 a) et b) du Code de conduite et d’apparence du Ministère.

Il s’agit d’une infraction grave qui, vu vos tâches en qualité d’inspecteur douanier, compromet vos rapports avec le Ministère. Comme vous avez perdu la confiance du Ministère nous ne pouvons plus vous garder à notre service.

Vous êtes par les présentes avisé de votre licenciement pour cause de Revenu Canada, Accise, Douanes et Impôt à compter de la fermeture des bureaux le 23 août 1994 conformément au pouvoir qui m’est dévolu en vertu du paragraphe 12(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques et conformément à l’alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Le grief de M. Lau, contestant le licenciement, a été remis à l’employeur le 15 septembre 1994 et renvoyé à l’arbitrage le 24 mai 1995.

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Decision Page 2 Les faits Plusieurs témoins ont comparu. Les versions des faits présentées par l’employeur et le fonctionnaire s’estimant lésé sont diamétralement opposées. Les voici.

Les faits d’après l’employeur Le 9 juin 1994, M. Joe Ralbosky, un collègue du fonctionnaire s’estimant lésé, était l’enquêteur chargé de l’exécution d’un mandat de perquisition des locaux occupés par Base Information Technology (BIT), une entreprise spécialisée dans la vente et la réparation d’ordinateurs.

Quelques jours auparavant, M. Ralbosky avait demandé au fonctionnaire s'estimant lésé de l’accompagner pour effectuer une fouille des locaux de la BIT. Six ou sept autres enquêteurs ont également participé à cette perquisition qui a duré environ une demi-journée.

M. Joseph Chow, un employé de la BIT, était présent durant la perquisition. Il connaît le fonctionnaire s'estimant lésé avec qui il a suivi des cours d’arts martiaux pendant quelque cinq ans. Le 9 juin 1994, il aurait offert à son patron, M. Eugene Lo, le propriétaire de la BIT, de téléphoner à M. Lau en vue d’en savoir plus long au sujet de la perquisition. M. Lo a photocopié la carte de visite de M. Lau, qu’on lui avait remis durant la perquisition, et a remis la copie à M. Chow.

Le 10 juin, M. Chow a vainement essayé de rejoindre M. Lau. M. Lo a déclaré que M. Chow lui a dit, le 10, qu’il n’avait pu rejoindre le fonctionnaire s'estimant lésé tandis que M. Chow, lui, a affirmé qu’il n’avait pas parlé à son patron le 10.

Le 13 juin 1994, M. Allan Shin, le directeur des ventes à la BIT, a aperçu M. Lau faire le cent pas à 9 h 30 devant les locaux de la BIT. Comme son patron, M. Lo, était en réunion, M. Shin a signalé la présence du fonctionnaire s'estimant lésé à M. Chow.

M. Chow a déclaré avoir rencontré M. Lau la première fois le 13 entre 9 h 45 et 10 h. Ils sont allés prendre un café au restaurant situé en face du magasin. Selon M. Chow, ils seraient restés au restaurant entre 45 minutes et une heure. Pendant qu’ils se trouvaient au restaurant, le fonctionnaire s'estimant lésé aurait dit à M. Chow

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Decision Page 3 que M. Lo se trouvait dans de beaux draps, mais qu’il pourrait tout arranger pour la somme de 23 000 $. À leur sortie du restaurant, M. Chow a raccompagné M. Lau jusqu’aux bureaux de la BIT le fonctionnaire s'estimant lésé a rencontré M. Lo. M. Chow a décliné l’invitation du fonctionnaire s'estimant lésé de prendre part à la discussion avec M. Lo.

M. Lo a affirmé que la réunion avec le fonctionnaire s'estimant lésé a duré environ une demi-heure, soit de 10 h 20 à 10 h 50. M. Lau lui a dit, a-t-il précisé, que certains documents trouvés lors de la perquisition pourraient servir à démontrer une fraude fiscale délibérée ce qui, en retour, pourrait déboucher sur plusieurs accusations criminelles. Ces accusations, selon le fonctionnaire s'estimant lésé, risquaient d’entraîner l’imposition d’amendes importantes (cinq chefs d’accusations de 25 000 $ chacun) voire un emprisonnement. M. Lo était sidéré. D’après lui, il n’avait pas rien commis de répréhensible, du moins pas délibérément.

M. Lau a donné à entendre que lui et son équipe pourraient faire quelque chose et que 23 000 $ garantiraient à toutes fins utiles l’élimination des difficultés de M. Lo. M. Lau a invité M. Lo à penser à l’offre qu’il venait de lui faire et de recommuniquer avec lui avant le jeudi 16, soit avant que le dossier ne soit transmis à un autre palier du Ministère. M. Lau a également affirmé qu’il remettrait les 23 000 $ à M. Lo si jamais des accusations criminelles étaient portées contre lui.

Après le départ du fonctionnaire s'estimant lésé, M. Lo a communiqué avec son comptable, M. Eric Chan, qui, en retour, a rejoint M. Anthony Chan, un ami qui travaille à Revenu Canada - Impôt. Il a fixé un rendez-vous pour 19 h, dans les bureaux de la BIT.

Au cours de la rencontre, M. Anthony Chan a suggéré à M. Lo de communiquer avec la GRC, suggestion que M. Lo a rejetée. Vers 19 h 30, ce dernier a téléphoné à M. Chow pour lui demander de communiquer avec le fonctionnaire s'estimant lésé afin de lui dire qu’il ne lui verserait pas l’argent. MM. Shin et Chow ont tous les deux indiqué que M. Lo leur a dit vers le milieu de l’après-midi de rencontrer M. Lau pour lui dire qu’il ne paierait pas. M. Lo a insisté sur le fait qu’il avait donné ces instructions seulement après la rencontre de 19 h.

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Decision Page 4 M. Chow a déclaré avoir téléphoné deux fois au fonctionnaire s'estimant lésé le 13 juin, la première fois en vain au bureau, puis chez lui. À la deuxième occasion, M. Chow a invité M. Lau a prendre un verre à l’hôtel, puis a changé d’idée et lui a suggéré de le rencontrer dans le terrain de stationnement de la BIT. M. Chow a reconnu avoir invité M. Lau d’aller à se rendre dans un bar de danse contact ou un studio de massage. Il a ajouté, toutefois, qu’il avait lancé cette invitation en farce.

MM. Shin et Chow ont rencontré M. Lau dans le terrain de stationnement de la BIT. M. Shin est demeuré dans l’auto pendant que M. Chow s'est approché du fonctionnaire s'estimant lésé pour lui dire que M. Lo refusait de payer la somme demandée. M. Shin n’a pas entendu la conversation qui n’a duré que quelques minutes. Le 14 juin, M. Chow a indiqué à M. Lo qu’il avait parlé à M. Lau la veille et qu’il lui avait dit de ne pas s’attendre à être payé.

Le ou vers le 27 juin, M. Anthony Chan a déjeuné avec un ami, M. Norm Okawa, un enquêteur douanier et collègue de M. Lau. M. Chan lui a dit en passant qu’un enquêteur douanier avait essayé d’extorquer 23 000 $ en vue de faire annuler des accusation criminelles dans une enquête douanière.

L’incident a éventuellement été porté à l’attention de M. Gary Colgan, alors gestionnaire régional des enquêtes douanières. Après avoir effectué une vérification des allégations faites par M. Colgan, l’administration centrale a Ottawa a décidé de mener une enquête interne. M. Colgan a indiqué que sa première réaction a été de ne pas croire les accusations portées contre le fonctionnaire s'estimant lésé. Il croit maintenant qu’elles sont fondées. Le 30 juin, M. Colgan a rencontré M. Lau pour lui faire part des allégations qui pesaient contre lui. Selon M. Colgan, le fonctionnaire s'estimant lésé a semblé très étonné.

M. Lau a été congédié le 23 août 1994. Une semaine plus tard, pendant qu’on vidait son bureau, une certaine M me A. Johnson a trouvé une lettre. M. Landry s’est opposé à la présentation de la lettre en preuve, car elle n’avait rien à voir avec les motifs de licenciement. M e Prupas a soutenu que la lettre était pertinente, car elle était directement liée aux questions de confiance, de jugement et du sens des responsabilités soulevées dans la lettre de licenciement (précitée). J’ai décidé d’accepter la lettre en preuve et de prendre sous réserve l’objection de M. Landry concernant sa pertinence. Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 5 La lettre (pièce E-10), datée du 13 décembre 1992, est adressée au président d’une entreprise en Thaïlande. Elle se lit comme suit :

[Traduction] Objet :Concession pour la vente d’huile de crocodile au Canada

Au mois d’octobre, j’ai effectué un voyage de tourisme en Thaïlande j’ai acheté un petit flacon d’huile de crocodile au coût de 60 B en devises thaïlandaises. C’est très efficace.

J’aimerais obtenir l’exclusivité de la vente de ce produit au Canada. Pourriez-vous m’expliquer comment procéder. Entre-temps, auriez-vous l’obligeance de me faire parvenir une douzaine (12) de grands flacons d’huile de crocodile (lors de ma visite ces flacons coûtaient 100 B chacun) dès que vous le pourrez. Veuillez envoyer la facture à l’adresse ci-dessus. En ce qui a trait aux documents d’entrée, je vous demande de remplacer les étiquettes par une étiquette libellée autrement et d’omettre votre nom.

Joyeux Noël!

M. Colgan a indiqué que l’huile de crocodile était une substance contrôlée et que son importation sans la licence appropriée était interdite en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, la Liste de marchandises d’importation contrôlée et la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES). Il a fait référence à la Liste de contrôle n o 10 de la CITES (pièce E-13) qui mentionne spécifiquement « crocodylia ». Certaines espèces d’alligators et de crocodiles, réglementées en vertu de l’Annexe I de la Liste de contrôle, sont considérées comme des espèces « rares ou menacées d’extinction et l’échange à des fins principalement commerciales n’en sera pas permis ». D’autres espèces de crocodiles et d’alligators, réglementées en vertu de l’Annexe II de la Liste de contrôle, ne sont pas actuellement considérées comme des espèces rares ou menacées. En règle générale, ces reptiles « doivent être accompagnés d’un permis d’exportation approprié du gouvernement de l’État exportateur pour que l’entrée en soit permis dans le pays importateur ». L’employeur n’a présenté aucune preuve au sujet de la catégorie dans laquelle étaient classés les crocodiles thaïlandais.

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Decision Page 6 M. Colgan a également fait référence au Code de conduite et d’apparence du Ministère (pièce E-4) qui stipule que chaque employé du Ministère, dans l’exercice de cette responsabilité, doit « faire preuve d’intégrité et d’efficacité de manière à inspirer la confiance et le respect au plus haut point auprès des autres ministères et organismes, des clients du Ministère et du grand public ». De plus, le Code stipule que les employés tels que M. Lau, qui sont des agents de la paix aux termes du Code criminel (voir l’extrait, pièce E-7), « se doivent d’adopter une conduite qui n’est pas seulement au-dessus de tout reproche mais aussi exemplaire aux yeux du grand public ».

Au cours de l’enquête menée par le Ministère, M. Colgan a déterminé qu’il fallait une vingtaine de minutes pour effectuer le trajet entre le cabinet du dentiste de M. Lau et les locaux de la BIT. On l’a vérifié pour contrôler l’alibi du fonctionnaire s'estimant lésé. Le test a été mené vers le milieu de l’après-midi, à une heure il n’y a pas beaucoup de circulation. On a respecté les limites de vitesse. M. Colgan a reconnu lors de son contre-interrogatoire que l’estimation d’une vingtaine de minutes était peut-être un peu basse.

Les faits d’après le fonctionnaire s'estimant lésé Le fonctionnaire s'estimant lésé substantiellement différente de ce qui précède. M. Lau compte 17 ans de service au sein de la fonction publique fédérale. Au mois d’août 1992, il occupait un poste d’inspecteur douanier.

Le 9 juin 1994, le fonctionnaire s'estimant lésé a participé à une fouille des locaux d’une entreprise d’informatique (BIT) appartenant à M. Eugene Lo. Un collègue, M. Joe Ralbosky, lui avait demandé de l’aider. Durant la fouille, MM. Lau et Ralbosky ont remis leur carte de visite à M. Lo.

À un moment donné, pendant que la perquisition était en cours, M. Lau a reconnu M. Joe Chow avec qui il avait suivi des d’arts martiaux. Ils ont échangé des propos anodins.

Le 13 juin 1994, M. Lau a pris congé. Après avoir laissé son fils à l’école vers 8 h 45, il s’est rendu chez le dentiste il avait un rendez-vous à 9 h 15. Il en est

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a donné une version des faits

Decision ressorti à 10 h 10. Cette preuve est corroborée par M et réceptionniste au service du D r Lee, dentiste de M. Lau. M déclaré qu’il faut compter environ cinq minutes en sortant du cabinet du dentiste pour se rendre à un véhicule stationné dans le parc de stationnement puis sortir du stationnement.

M. Lau a indiqué qu’il était sorti du stationnement du cabinet du dentiste vers 10 h 15 et qu’il s’était rendu à un magasin Canadian Tire situé à proximité. De là, il s’est rendu au domicile de sa soeur, M me Lilly Quan. Il est arrivé chez elle entre 10 h 45 et 11 h, puis en est reparti avant 11 h 30 pour ne pas être vu par son beau-frère qui devait rentrer à 11 h 30. M. Lau voulait s’entretenir avec sa soeur de ce qu’il fallait faire au sujet de leur mère âgée et malade.

M me Quan a déclaré que, le 13 juin 1994, son frère se trouvait chez elle entre 10 h et 11 h. Elle se souvient de la date exacte parce qu’il lui a montré une lettre (pièce G-3) envoyée par le Foyer Mon Sheong pour personnes âgées, dans laquelle on demande de renvoyer certains documents avant le 15 juin 1994. M. Lau lui a dit qu’ils disposaient de deux jours seulement pour prendre une décision.

En sortant de chez sa soeur, M. Lau est allé déjeuné, puis a fait ses épiceries. Il est rentré chez lui aux environs de 14 h 15. Vers 16 h, il a reçu un appel téléphonique de M. Chow qui l’invitait à prendre un verre. Ils ont convenu de se rencontrer à 21 h à l’hôtel local. M. Lau a expliqué qu’au début de 1994, lors des célébrations de la remise des certificats à la fin des cours d’arts martiaux, M. Chow lui avait glissé un mot au sujet d’activités frauduleuses dans l’industrie de l’informatique. M. Lau croyait que M. Chow voulait lui communiquer d’autres renseignements au sujet de ces activités.

Une heure plus tard, M. Chow a retéléphoné au fonctionnaire s'estimant lésé pour lui proposer plutôt de le rencontrer à 21 h 30 dans le terrain de stationnement de la BIT en prétextant qu’il avait quelque chose à faire dans le bureau. Il a également indiqué au fonctionnaire s'estimant lésé qu’ils pourraient tous les deux se rendre dans un bar il y avait de la danse contact. M. Lau a déclaré qu’il avait voulu annuler le rendez-vous après que M. Chow eut raccroché, mais qu’il ne connaissait pas le numéro le rejoindre.

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Page 7 me Julie Allaire, assistante dentaire me Allaire a également

Decision Page 8 M. Lau a rencontré M. Chow au terrain de stationnement de la BIT. M. Chow lui a proposé de l’accompagner au studio de massage on leur consentirait une réduction. M. Lau a refusé. La conversation a pris fin peu après et ils se sont quittés.

M. Lau n’était pas au courant des allégations graves qui pesaient contre lui avant de rencontrer MM. Colgan et Moyle le 30 juin 1994. Le 5 juillet 1994, le fonctionnaire s'estimant lésé a pris connaissance des détails des accusations portées par M. Lo et ses employés. Le 14 juillet 1994, il a été interviewé pendant trois heures par l’enquêteur du Ministère. Il a été congédié le 23 août 1994.

En réponse à la question de savoir pourquoi les témoins de l’employeur mentiraient au sujet de son comportement, M. Lau a déclaré que les fausses accusations étaient sans doute une forme de représailles à cause de sa participation aux enquêtes menées contre plusieurs entreprises d’informatique appartenant à des Chinois, enquêtes qui avaient débouché sur des poursuites judiciaires fructueuses.

M. Lau a déclaré qu’il n’était pas en difficulté financière, que sa femme et lui travaillent tous les deux et qu’ils n’ont presque pas de dettes. Il n’a aucun dossier disciplinaire.

Pour ce qui est de la lettre relative à « l’huile de crocodile », M. Lau a indiqué qu’il avait demandé qu’on enlève les étiquettes afin d’éviter d’avoir à se rendre aux bureaux de douane, rue Front à Toronto, pour dédouaner la marchandise. Il ne cherchait pas à éviter de payer les douanes qui auraient été minimes. Enfin, il ne savait pas à l’époque que l’huile de crocodile était une substance interdite ou contrôlée puisqu’elle provenait de reptiles « d’élevage ». Le fonctionnaire s'estimant lésé a précisé qu’il n’avait en fait jamais reçu l’huile commandée le 13 décembre 1992.

Plaidoiries Pour l’employeur Dans un cas comme celui-ci, l’employeur doit prouver que la présumée mauvaise conduite a eu lieu et que la peine imposée était appropriée. L’employeur n’a qu’à démontrer selon la prépondérance des probabilités que le fonctionnaire s'estimant lésé a voulu extorquer de l’argent à M. Lo.

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Decision Page 9 L’incident relatif à « l’huile de crocodile » est pertinent puisqu’il est lié aux motifs à l’origine du congédiement, soit l’absence de confiance; l’absence de jugement; la violation du Code de conduite et de certains règlements que M. Lau avait la responsabilité d’appliquer. Les affaires McIntyre (dossier de la Commission : 166-2-25417), Tran (dossier de la Commission : 166-2-23878) et McKendry and Deputy Minister of Department of Regional Economic Expansion (1973), D.L.R. (3d) 305 (C.A.F.) reconnaissent le principe que la preuve de mauvaise conduite obtenue par un employeur après le congédiement peut être présentée à l’audience en arbitrage si la nouvelle mauvaise conduite est étroitement reliée aux motifs à l’origine du congédiement ou si elle constitue une autre justification pour le congédiement. L’employeur, par conséquent, prétend que le licenciement du fonctionnaire s'estimant lésé peut être maintenu sur la foi uniquement de l’incident de « l’huile de crocodile » même si l’on détermine que la présumée extorsion n’a pas eu lieu.

Malgré la preuve contradictoire quant aux dates, il n’y a pas de doute que M. Lau se trouvait dans les locaux de la BIT le matin du 13 juin 1994.

La crédibilité des témoins est très importante en l’occurrence. Dans Faryna v. Chorny, 4 WWR (NS) 171, le juge O’Halloran de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique énonce des lignes directrices utiles pour évaluer la question de la crédibilité.

Les dépositions des témoins de l’employeur sont plus crédibles que celle du fonctionnaire s'estimant lésé puisqu’une partie des faits n’a été dévoilée qu’à l’audience.

Tant la tentative d’extorsion que la lettre concernant « l’huile de crocodile » constituent des violations évidentes du Code de conduite (pièce E-4). M. Lau est un agent de la paix qui a manqué totalement de respect à l’égard des règlements qu'il a la responsabilité d’appliquer. Son comportement relatif à l’incident de « l’huile de crocodile » jette une ombre sur l’ensemble de son témoignage. On ne peut le croire ni lui faire confiance. Par ailleurs, MM. Lo, Chow et Shin n’ont aucune raison de mentir au sujet de l’incident concernant l’extorsion.

Les décisions Matthews (dossier de la Commission : 166-2-20753) et Pauzé (dossiers de la Commission : 166-2-25320 et 25321) illustrent qu’un comportement

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Decision Page 10 qui témoigne d’une absence de jugement et d’intégrité conduira inévitablement au congédiement.

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé Le congédiement aurait été approprié en l’occurrence si M. Lau avait effectivement été coupable de tentative d’extorsion. Le fait est, toutefois, qu’il ne l’est pas. Le fonctionnaire s'estimant lésé n’avait absolument aucun motif de se comporter de manière aussi irrationnelle et désorganisée. La preuve a clairement démontré que M. Lau ne pouvait se trouver dans les locaux de la BIT entre 9 h 30 et 10 h 30 le 13 juin 1994 comme l’ont prétendu MM. Lo, Chow et Shin.

Les dépositions de ces derniers témoins étaient souvent contradictoires et dénuées de toute crédibilité. La rencontre dans le terrain de stationnement de la BIT le soir du 13 juin 1994 était sans doute un coup monté pour « réunir des preuves contre M. Lau ». Sinon, pourquoi M. Chow aurait-il proposé une visite à un studio de massage ou de la danse contact. En fait, il n’y avait réellement aucune raison pour MM. Chow et Lau de se rencontrer si tout ce qu’on avait à lui dire est que M. Lo refusait de payer.

Les actes et déclarations de MM. Lo, Chow et Shin indiquent qu’ils essayaient de causer du tort à M. Lau, le seul membre asiatique de l’équipe d’enquêteurs et celui qui avait participé aux poursuites intentées contre plusieurs autres entreprises d’informatique appartenant à des Chinois.

La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique stipule qu’un arbitre peut instruire seulement les questions qui ont d’abord été examinées dans le cadre de la procédure appropriée de règlement des griefs. Dans ce contexte, je n’ai pas compétence pour me prononcer sur l’incident concernant « l’huile de crocodile », et cet incident ne devrait pas être invoqué pour justifier le congédiement de M. Lau. Il s’agit d’un motif de licenciement qui n’a rien à voir avec celui dont je suis saisi. MM. Brown et Beatty, dans Canadian Labour Arbitration, troisième édition, paragraphe 7:2200, discutent de cette question en profondeur. Il devrait être fait droit au grief.

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Decision Page 11 Réplique de l’employeur Le fait que les témoignages de MM. Lo, Chow et Shin comportent des contradictions indiquent qu’ils disent la vérité, car s’ils avaient voulu conspirer contre M. Lau, ils se seraient entendus sur une version des faits.

Le témoignage de M. Lau comporte également des contradictions, contradictions dont il faut tenir compte pour déterminer sa crédibilité. Il a agi de manière irrationnelle et s’est fait prendre. Il doit aujourd’hui en payer le prix.

Motifs Les parties en l’occurrence ont avancé des versions diamétralement opposées des faits survenus le 13 juin 1994. Selon la prépondérance des probabilités, je dois conclure que M. Lau n’a pas essayé d’extorquer de l’argent à M. Lo.

Le témoignage de M me Allaire n’a pas été contesté. Je l’accepte sans hésitation. Il était par conséquent impossible pour M. Lau de se retrouver dans les locaux de la BIT le 13 juin 1994 à l’heure indiquée par les témoins de l’employeur. La plupart de ces témoins ont été interviewés par l’enquêteur douanier peu après l’incident. Ils avaient encore frais en mémoire leur souvenir du présumé incident, mais ils ne savaient sans doute pas que le fonctionnaire s'estimant lésé avait un alibi en béton.

Le fonctionnaire s'estimant lésé a toujours clamé son innocence. Sa version des faits a toujours été la même.

J’ajoute que la présente affaire a posé énormément de difficultés sur le plan linguistique. Certains des témoins qui ont comparu devant moi accompagnés d’un interprète avaient initialement donné leur version des faits en anglais à l’employeur. Ce qui explique sans doute une partie de la confusion concernant la présente affaire.

Le juge O’Hallaran dans Faryna v. Chorny (précitée), aux pages 174 et 175, a énoncé de manière très éloquente certains principes très utiles pour déterminer la crédibilité des témoins :

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Decision Page 12 [Traduction] Mais la validité de la preuve ne dépend pas, en dernière analyse, du fait qu’elle demeure non contredite ou que le juge peut avoir tenu des propos favorables ou défavorables au sujet de cette preuve ou de l’attitude d’un témoin; ce sont des éléments qui permettent de déterminer la validité de la preuve, mais ils sont soumis à la question de savoir si la preuve corrobore les probabilités relatives à l’affaire dans l’ensemble et que l’on a démontré comme ayant existé à l’époque : voir Brethour v. Law Society of B.C. (1951) 1 WWR (NS) 34, p. 38-39.

Si les conclusions du juge de première instance en ce qui concerne la crédibilité doivent dépendre exclusivement de son évaluation quant à la personne qui s’est montrée la plus sincère à la barre des témoins, sa décision sera purement arbitraire et l’administration de la justice se fera en fonction des déclarations des personnes qui se sont révélées les meilleurs acteurs à la barre des témoins. Tout bien considéré, il est bien évident que le fait d’avoir l’air de dire la vérité n’est qu’un des éléments dont il faut tenir compte pour évaluer la crédibilité d’un témoin. La crédibilité est fondée sur un ensemble de facteurs comprenant notamment les occasions de savoir, le pouvoir d’observation, le jugement et la mémoire, l’aptitude à décrire clairement ce que l’on a vu et entendu, (voir Raymond v. Bosanquet (1919) 59 R.C.S. 452, p. 460). Par ses manières, un témoin peut créer une impression défavorable sur le juge de première instance, mais les circonstances d’une affaire peuvent indiquer qu’en fait, il dit la vérité. Je ne parle pas des cas relativement peu fréquents un témoin est pris à mentir maladroitement.

La crédibilité des témoins intéressés, particulièrement dans les affaires les preuves se contredisent, ne peut être déterminée exclusivement d’après leur comportement à la barre des témoins. D’abord leur histoire doit être cohérente, puis elle doit s’accorder avec les circonstances probables. En bref, le critère de la véracité de la déposition d’un témoin dans un tel cas doit concorder avec les probabilités qu’une personne avisée et pratique devrait pouvoir facilement discerner dans les circonstances. Ce n’est qu’ainsi qu’un tribunal peut évaluer de manière satisfaisante les dépositions de témoins expérimentés, confiants et vifs d’esprit, de même que celles qui se complaisent dans le demi-mensonge et qui ont le don de combiner des exagérations habiles avec des dissimulations partielles de la vérité. Ou encore, un témoin peut présenter honnêtement une déposition sans savoir qu’il se trompe. Un juge qui dirait : « Je le crois parce que j’estime qu’il dit la vérité » tirerait des conclusions à partir de données

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Decision Page 13 insuffisantes. En réalité, il agirait à partir d’une impression personnelle, ce qui serait des plus dangereux.

Le juge de première instance doit aller plus loin et affirmer que les preuves présentées par le témoin qu’il juge digne de foi sont conformes à la prépondérance des probabilités et, s’il veut que l’on ait confiance en lui, il doit indiquer pourquoi il en est arrivé à cette conclusion. Un juge n’a pas le pouvoir de lire dans les pensées des gens. De plus, la Cour d’appel doit être convaincue que le juge de première instance a fondé ses constatations concernant la crédibilité non pas sur un seul élément à l’exclusion des autres, mais sur tous les éléments qui servent de critères dans l’affaire à trancher.

Le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé était aussi crédible que ceux de MM. Lo et Chan. Il a toutefois l’avantage de confirmer celui de M qui était clair et crédible.

Je me permets d’ajouter que le comportement dont on accuse M. Lau frôle l’irrationnel. Pourquoi une personne nourrissant l’intention d’extorquer une somme d’argent discuterait du crime avec un employé de la victime?

Ayant conclu que la mauvaise conduite à l’origine du congédiement de M. Lau n’a pas été prouvée, je dois maintenant me prononcer sur l’incident de « l’huile de crocodile ». Les affaires McKendry, Tran et McIntyre (précitées) défendent le principe qu’un arbitre doit accepter la preuve de mauvaise conduite découverte après le congédiement à la condition qu’elle ait au moins rapport aux questions soulevées par l’affaire. Elles ne soutiennent pas la position que les motifs de licenciement peuvent être modifiés après le congédiement. Un employé a le droit de savoir pourquoi il a été congédié et peut déposer un grief s’il n’est pas satisfait des motifs fournis par l’employeur.

L’article 92 de la LRTFP autorise le renvoi d’un grief à l’arbitrage uniquement après que les modalités de la procédure de règlement des griefs ont été épuisées. La Cour fédérale du Canada a déclaré dans Burchill c. Le procureur général du Canada [1981] 1 C.F. 109, qu’un fonctionnaire s'estimant lésé ne peut pas, à l’arbitrage, modifier la nature d’un grief qui a été défendu en son nom lors de la procédure de règlement des griefs. Commission des relations de travail dans la fonction publique

me Allaire, témoignage

Decision Page 14 Réciproquement, en vertu de la LRTFP, l’employeur ne peut, une fois rendu à l’arbitrage, justifier un congédiement en faisant valoir des motifs autres que ceux qui ont été discutés durant la procédure de règlement des griefs.

En d’autres termes, la preuve pertinente de mauvaise conduite découverte après le congédiement peut être utilisée dans un cas précis pour corroborer le motif du congédiement. Toutefois, si l’on ne réussit pas à démontrer le motif réel du congédiement, la preuve découverte par la suite ne peut être invoquée pour le justifier.

Il est toujours inapproprié de condamner quelqu’un sans le bénéfice de l’application régulière du droit. Les risques de le faire en l’occurrence sont encore plus grands car l’employeur a reconnu ne pas avoir mené d’enquête approfondie sur l’incident de « l’huile de crocodile ». J’ajoute qu’il n’a pas non plus évalué adéquatement par rapport aux faits de la présente affaire l’applicabilité des divers règlements visant l’importation et l’exportation de ce produit. Il se pourrait fort bien que les crocodiles provenant d’établissements d’élevage en Thaïlande soient une des espèces visées par l’Annexe II de la Liste de contrôle CITES (pièce E-13) dont l’entrée au Canada est uniquement assujettie à l’obtention d’un permis d’exportation du gouvernement thaïlandais.

Le fonctionnaire s'estimant lésé a assurément commis une faute en suggérant au destinataire de sa lettre relative à « l’huile de crocodile » de libeller incorrectement le produit d’importation et peut fort bien mériter l’imposition d’une sanction disciplinaire. La nature et la sévérité de cette sanction ne peuvent être déterminées qu’après que les systèmes de contrôle ont été dûment appliqués.

Je fais droit au grief de M. Lau. Toute mention du congédiement doit être rayée des dossiers de l’employeur. M. Lau doit être réintégré sans perte de salaire et d’avantages sociaux. Les parties disposent de trois mois à compter de la diffusion de la présente décision pour s’entendre sur le montant au fonctionnaire s'estimant

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Decision Page 15 lésé, à défaut de quoi l’une ou l’autre des parties peut, dans les deux semaines qui suivent l’expiration de ce délai, me demander de trancher la question.

Yvon Tarte, président suppléant

OTTAWA, le 9 février 1996. Traduction certifiée conforme Serge Lareau

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