Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Suspension (période indéfinie) - Accusations criminelles de fraude fiscale - Le fonctionnaire s'estimant lésé a quitté l'audience après son témoignage - Délai de l'employeur pour répondre au grief - le fonctionnaire s'estimant lésé, gestionnaire à l'Unité de vérification de la section accises du Ministère, a été suspendu sans rémunération pour une période indéfinie à la suite d'une enquête portant sur une présumée fraude dans ses déclarations de revenus - sa suspension a débuté en avril 1995, et il a été formellement inculpé en vertu du Code criminel en octobre 1995 - son procès au criminel devait avoir lieu à la fin d'avril 1996 - il a déposé un grief en juin 1995 auquel l'employeur a répondu en septembre 1995 - au début de l'audience d'arbitrage, le fonctionnaire a remis une déclaration assermentée dans laquelle il alléguait que l'employeur avait violé les dispositions du Règlement et règles de procédure de la CRTFP en ne répondant pas à son grief en temps opportun - il a également soutenu que l'employeur avait contrevenu à ses propres procédures en permettant que l'enquête se prolonge au-delà d'une période de deux à cinq semaines - après le contre-interrogatoire, le fonctionnaire a quitté l'audience - le témoin de l'employeur a expliqué pourquoi il avait suspendu le fonctionnaire sans rémunération et pourquoi il estimait qu'aucune autre tâche ne pouvait être confiée au fonctionnaire jusqu'à l'issue des procédures criminelles - l'arbitre a conclu que même si l'employeur avait tardé à répondre au grief, le fonctionnaire aurait dû se prévaloir plus tôt de son droit de faire renvoyer le grief en arbitrage - en ce qui a trait à la suspension sans rémunération, l'arbitre a signalé que, dans ce genre de procédure, il est courant de pondérer les inconvénients causés au fonctionnaire par rapport aux intérêts légitimes de l'employeur - toutefois, à la lumière de la preuve soumise, l'arbitre ne pouvait conclure que la suspension était déraisonnable. Grief rejeté. Décisions citées: Air Canada and International Association of Machinists, Lodge 148, (1973) 5 L.A.C. (2d) 1973; Griffiths (166-2-7949).

Contenu de la décision

Dossier: 166-2-26796 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE RENÉ EDMOND DECAE et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Revenu Canada - Accise)

employeur Devant: J. Barry Turner, commissaire Pour le fonctionnaire s’estimant lésé: Lui-même Pour l’employeur: Ronald Snyder, avocat Affaire entendue à Saskatoon (Saskatchewan), le 11 avril 1996.

Decision Page 1 DÉCISION M. René DeCae occupe le poste de gestionnaire, Unité de vérification (AU-3), à Revenu Canada, Accise, à Saskatoon. Il a déposé un grief contestant la suspension indéfinie sans traitement que l’employeur lui a imposée en mars 1995.

M. DeCae a formulé son grief comme suit: [Traduction] Suspension sans traitement le 24 mars 1995. Selon la politique ministérielle (Guide du gestionnaire), on aurait communiquer avec moi et l’enquête aurait être achevée dans un délai de 5 semaines.

En outre, on ne m’a pas informé de mon droit, comme employé, de présenter un grief.

Voici la teneur de la lettre de suspension indéfinie: [Traduction] Nous vous informons par la présente que le sous-ministre adjoint, Accise - TPS vous a suspendu sans traitement pour une période indéfinie en attendant le règlement de questions vous concernant et exposées dans un mandat de perquisition exécuté conformément à l’article 487 du Code criminel durant la semaine du 20 mars 1995, aux bureaux et entrepôts occupés ou contrôlés par Revenu Canada au 123 2nd Avenue South, Saskatoon (Saskatchewan).

J’ai délégué M. E. Schmidt pour vous livrer cette décision. La suspension indéfinie entre en vigueur immédiatement.

Pendant votre suspension, il vous est interdit de pénétrer dans les locaux du Ministère pour quelque raison que ce soit sans la permission écrite du soussigné ou de son représentant.

Un représentant de la Section de la paye et des avantages sociaux communiquera avec vous concernant les effets que cette mesure administrative aura sur vos conditions d’emploi.

Veuillez accuser réception de cette lettre en signant le double dans l’espace prévu et en le retournant au bureau de M. Schmidt.

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Decision Page 2 M. DeCae demande la mesure corrective suivante: [Traduction] Plein rétablissement de mon traitement et de mes avantages à compter du 24 mars 1995.

On me demande de décider si la décision de l’employeur était justifiée dans les circonstances.

L’audience a duré une demi-journée; deux personnes ont été assignées à témoigner et dix pièces ont été produites en preuve.

Résumé de la preuve Le fardeau de la preuve dans cette affaire incombe à l’employeur. Normalement, donc, l’employeur présenterait sa preuve en premier, suivi du fonctionnaire s’estimant lésé. Cependant, M. DeCae, qui se représentait lui-même, a demandé à faire une déclaration, après quoi il avait l’intention de quitter l’audience. M. DeCae n’avait jamais comparu devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique. J’ai acquiescé à sa demande à condition qu’il fasse sa déposition sous serment. L’avocat de l’employeur ne s’y est pas opposé.

1. M. DeCae a témoigné que, après avoir été suspendu le 27 mars 1995, il n’a jamais été avisé de son droit, même à titre de fonctionnaire exclu, de présenter un grief; on ne lui a pas, non plus, donné l’occasion de le faire. Finalement, lorsque, le 19 juin 1995, il a fait signer son grief par un agent des relations de travail du Ministère, il s’est plaint que l’employeur n’y a pas répondu dans le délai prescrit par le paragraphe 74(1) des Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993), dont voici le libellé:

74 (1) Le représentant autorisé de l’employeur au palier un grief, autre qu’un grief relatif à la classification, est présenté par un fonctionnaire conformément aux articles 71 ou 73 remet à celui-ci une réponse écrite au plus tard 15 jours après la date de présentation du grief à ce palier.

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Decision Page 3 M e Snyder m’a avisé que le respect du délai n’avait jamais été en litige durant la procédure de règlement des griefs, bien que M. DeCae eût déposé son grief longtemps après l’expiration des vingt-cinq jours suivant la date de la suspension (le 27 mars 1995), soit le délai prévu au paragraphe 71(3) des Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P.

M. DeCae a dit avoir finalement obtenu une réponse à son grief le 12 septembre 1995, réponse qui était signée par M. Peter Harrison, sous-ministre adjoint aux Ressources humaines. Il a renvoyé son grief à l’arbitrage le 19 septembre 1995. M. DeCae a ajouté: « Je suis ici maintenant, mais j’ai peu d’intérêt à être ici. »

Le fonctionnaire a produit un extrait du Guide du gestionnaire (pièce G-1) portant sur le déplacement d’un employé du lieu de travail dans l’attente des résultats de l’enquête, à savoir l’article 29 (Suspension indéfinie) qui dit ce qui suit:

29. Si l’option des fonctions à caractère moins délicat a été prise en considération complètement et n’est pas acceptable pour le Receveur/Directeur régional approprié ou pour le Directeur ou Directeur général approprié à l’Administration centrale, on peut envisager la possibilité de suspendre l’employé indéfiniment sans salaire, en attendant les résultats de l’enquête, à condition que le Ministère soit chargé de contrôler l’enquête relative à la mauvaise conduite de l’employé et que cette enquête puisse vraisemblablement être terminée dans un délai d’environ deux à cinq semaines.

L’employeur, de soutenir M. DeCae, n’a pas complété son enquête concernant sa suspension dans les deux à cinq semaines prévues. Le Ministère, a-t-il ajouté, aurait le suspendre sans traitement jusqu’à ce qu’il soit accusé officiellement de fraude fiscale en octobre 1995. M. DeCae s’est plaint qu’il était « fatigué et frustré de parler à des gens qui faisaient la sourde oreille », et il n’a cessé de me rappeler qu’il travaillait pour la Direction générale de l’accise et non pour l’Impôt.

Le fonctionnaire a expliqué que, depuis son arrivée au Ministère en 1975, il avait eu un bon dossier au travail et que le Ministère n’en avait pas tenu compte lorsqu’il l’avait suspendu, pas plus qu’il n’avait pris en considération le fait qu’il vivait une situation stressante à cause de questions personnelles et familiales. Il a ajouté avoir « respecté la loi

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Decision Page 4 du mieux de [sa] capacité, mais que les tracasseries administratives et la bureaucratie [lui] avaient fait du tort ». Sa cause doit être entendue au criminel le 22 avril 1996.

En contre-interrogatoire, à la question de savoir si, en tant que cadre hiérarchique, il avait jamais été formé pour conseiller un subalterne sur la façon de présenter un grief, le fonctionnaire a répondu: [Traduction] « Oui, mais je n’ai jamais eu à en traiter un, même si je savais que le Guide du gestionnaire existait avec les instructions sur la façon de traiter les griefs. » M. DeCae a reconnu une lettre (pièce E-1) de M m e Helen Roberts, agente des relations de travail du Ministère, lui expliquant comment renvoyer son grief à l’arbitrage. À cette lettre était jointe la réponse que le Ministère avait faite au grief au dernier palier de la procédure.

M. DeCae a quitté l’audience à ce moment-ci, en dépit du fait que je lui ai rappelé trois fois qu’il avait le droit de demeurer et de contre-interroger le témoin de l’employeur. Il a refusé de le faire.

2. M. John M. Jordan, retraité, était directeur général de la région centrale, Revenu Canada, Douanes, Accise et Impôt, lorsque le fonctionnaire a été suspendu. Il a reconnu la description du poste (pièce E-2) que M. DeCae occupait à titre de gestionnaire d’unité de vérification; ce dernier avait alors dix à douze vérificateurs qui travaillaient sous sa direction. Le rôle du fonctionnaire, de préciser le témoin, consistait à appliquer la Loi sur la taxe d’accise, Taxe sur les produits et services (TPS). M DeCae n’avait aucun pouvoir ni aucune fonction en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Le témoin a reconnu un mandat de perquisition daté du 20 mars 1995 (pièce E-3) délivré sur la foi d’une déclaration sous serment de M. Barry McKenzie, enquêteur de l’impôt sur le revenu. Il a également reconnu la pièce E-4, la dénonciation utilisée pour obtenir le mandat de perquisition. Il a ajouté que le fonctionnaire avait préparé la déclaration de revenus de son ex-femme pour la période visée par l’enquête.

M. Jordan a expliqué comment on procédait pour obtenir un mandat de perquisition. L’enquêteur de l’impôt sur le revenu doit monter un « dossier solide et concluant » que doit ensuite approuver le gestionnaire supérieur du bureau de district, en l’occurrence Saskatoon, ainsi que l’administration centrale à Ottawa et le ministère de la

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Decision Page 5 Justice. Un processus semblable existe du côté de l’accise (TPS). M. Jordan a ajouté que, à titre de DGR, il pouvait approuver la décision d’obtenir un mandat de perquisition parce qu’il fallait agir rapidement afin d’éviter l’intervention des médias. M. Bill Reach, directeur du district de Saskatoon, lui a fait savoir au début de mars qu’un mandat de perquisition était nécessaire et que les enquêteurs travaillant au dossier seraient des personnes qui ne connaissaient pas le fonctionnaire s’estimant lésé.

M. Jordan a affirmé avoir relevé le fonctionnaire de ses fonctions pour cinq raisons: premièrement, pour maintenir l’intégrité du système fiscal, car la preuve de fraude fiscale de la part du fonctionnaire entre les années 1990 et 1993 était très forte. M. Jordan doutait beaucoup que M. DeCae pût continuer de s’acquitter consciencieusement de ses fonctions. Deuxièmement, parce que le fonctionnaire aurait manqué de crédibilité auprès de ses subalternes. Si celui-ci avait bénéficié d’un traitement de faveur en tant que gestionnaire, le personnel aurait pu réagir négativement. Troisièmement, le fonctionnaire aurait pu avoir des difficultés à traiter avec les contribuables, car il avait à résoudre des litiges avec ces derniers et parfois à négocier des remboursements. Quatrièmement, pour éliminer le risque qu’il soit porté atteinte à la réputation du Ministère, puisque l’impôt et l’accise sont maintenant intégrés dans le même bureau. Le contribuable confond les deux pour les besoins de l’impôt. Au Canada, les contribuables paient leurs impôts selon un système de déclaration volontaire, d’ajouter le témoin, et puisque le Ministère mène une lutte contre l’économie souterraine, ses employés doivent faire preuve de la plus grande intégrité et inspirer la plus grande confiance. Si M. DeCae avait pu demeurer à son poste durant l’enquête et si les médias avaient eu vent de l’affaire, cela aurait pu être « dévastateur pour le Ministère ». Cinquièmement, il voulait adopter une approche prudente face à la possibilité d’un abus de pouvoir de la part de M. DeCae, car de nombreux contribuables en Saskatchewan ont droit à des remboursement au titre de la TPS. En sa qualité de gestionnaire d’unité de vérification, le fonctionnaire pouvait autoriser de tels remboursements jusqu’à concurrence de 50 000 $. M. Jordan a déclaré qu’il devait tenir compte du risque le risque que ce dernier abuse de son pouvoir dans les circonstances. Il est difficile de superviser un gestionnaire d’unité de vérification, a-t-il ajouté, car il a beaucoup de contrôle direct sur ses programmes. En se fondant sur ces considérations, M. Jordan a ordonné la suspension du fonctionnaire.

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Decision Page 6 Le témoin a affirmé qu’il était au courant de l’extrait du Guide du gestionnaire (pièce G-1) qui mentionne en outre la possibilité d’une « réaffectation à des fonctions à caractère moins délicat ». Il a discuté de cette possibilité avec M. Reach, mais ils l’ont rejetée parce qu’il aurait quand même fallu que M. DeCae continue d’avoir accès à l’information fiscale et qu’il traite avec les contribuables. Du côté finances et administration, le Ministère avait un excédent de personnel à cause de regroupement du travail. On était sur le point de fermer le bureau régional de Calgary, et le côté des douanes faisait aussi l’objet d’une réduction de ses effectifs. Il a donc conclu qu’il n’y avait pas de bureau le fonctionnaire aurait pu être réaffecté, tel qu’il est mentionné dans la pièce E-5.

M. Jordan a déclaré que si l’enquête et les accusations criminelles qui en ont découlé se révélaient non fondées, M. DeCae serait réintégré et dédommagé entièrement de ses pertes au titre du traitement et des avantages sociaux.

Les installations du bureau de Saskatoon ont été regroupées en 1995 avec la fusion de la TPS et de l’Impôt, mais le poste de gestionnaire d’unité de vérification (TPS) n’est toujours pas, à ce jour, touché par le regroupement.

Le témoin a expliqué que M. Barry McKenzie, dont le nom figure dans la pièce E-4, est un enquêteur de l’impôt. Aucun des renseignements en la possession de ce dernier n’a été communiqué à M. Jordan avant qu’il suspende le fonctionnaire, en dépit du fait que, aux termes de l’alinéa 241(4)h) de la Loi de l’impôt sur le revenu, il est prévu la divulgation d’un renseignement confidentiel à une fin liée à des mesures disciplinaires. Comme M. DeCae n’appliquait pas la Loi de l’impôt sur le revenu, on ne lui a communiqué aucun renseignement concernant l’enquête.

L’alinéa 241(4)h) est ainsi libellé: Un fonctionnaire peut : [...] h) utiliser ou fournir un renseignement confidentiel, mais uniquement à une fin liée à la surveillance ou à l’évaluation d’une personne autorisée, ou à des mesures disciplinaires prises à son endroit, par sa Majesté du chef du Canada

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Decision Page 7 relativement à une période au cours de laquelle la personne autorisée était soit employée par Sa Majesté du chef du Canada, soit engagée par elle ou en son nom, pour aider à l’application ou à l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada ou de la Loi sur l’assurance-chômage, dans la mesure le renseignement a rapport à cette fin;

M. Jordan a affirmé avoir décidé de suspendre le fonctionnaire après avoir pris connaissance des renseignements contenus dans le mandat de perquisition (pièce E-3). Le fonctionnaire n’a jamais offert de renseignements concernant ses impôts dans le but d’aider à l’exécution de l’enquête.

Le témoin a reconnu une sommation (pièce E-8) datée du 23 octobre 1995 qui a été signifiée au fonctionnaire ainsi qu’une formule de dénonciation (pièce E-9) assermentée par M. Gilbert Hertlein le 20 octobre 1995.

À la question de savoir pourquoi il avait fallu de mars à octobre pour finalement porter des accusations contre M. DeCae, M. Jordan a répondu qu’il fallait en général prévoir un an pour examiner tous les documents et monter un dossier solide l’on est sûr à cent pour cent avant de porter des accusations. En fait, l’affaire de M. DeCae a été accélérée puisque le tout n’a pris que sept mois. Il aurait été impossible de compléter l’enquête dans les deux à cinq semaines prévues à l’article 29 de la pièce G-1, de conclure le témoin, puisque l’alinéa 241(4)h) de la Loi de l’impôt sur le revenu ne permettait pas la divulgation de renseignements confidentiels dans les circonstances. Il n’avait d’autre moyen de déterminer la culpabilité ou l’innocence du fonctionnaire que d’attendre que la cour rende son jugement.

Argumentation de l’employeur M e Snyder soutient qu’on a délivré le mandat de perquisition (pièce E-3) à Revenu Canada le 20 mars 1995, après que l’enquête de M. Barry McKenzie (pièce E-4) eut amené ce dernier à conclure que le fonctionnaire s’estimant lésé avait commis les actes de fraude fiscale décrits dans le résumé de la pièce E-4, à la page 21.

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Decision Page 8 Selon M e Snyder, il y a donc deux questions à trancher en l’espèce: était-ce raisonnable de relever le fonctionnaire de ses fonctions au départ, et si oui, est-ce raisonnable de maintenir sa suspension jusqu’à ce que la cour ait rendu son jugement?

L’avocat me renvoie à la jurisprudence suivante: Griffiths (dossier de la Commission 166-2-7949); Nolan (dossier de la Commission 166-2-17895); Arseneault (dossier de la Commission 166-2-1615); appel interjeté par Leclair en vertu de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, dossier 91-PEN-0268R; Air Canada and International Association of Machinists, Lodge 148, (1973), 5 L.A.C. (2d) 1973.

M e Snyder me demande de prendre en considération les cinq motifs que M. Jordan a invoqués pour suspendre le fonctionnaire. Premièrement, l’intégrité du système. Il me renvoie à la pièce E-2, la description de travail du fonctionnaire, en particulier les points 1.e), f), g), i), j) et l). Il conclut que ces fonctions ont trait à l’essentiel des opérations du Ministère et qu’il était raisonnable pour l’employeur de douter que le fonctionnaire pût s’acquitter de sa tâche, puisque la nature de la présumée infraction allait nuire à l’exercice de ses fonctions relatives à la perception des impôts. Comme dans Griffiths (supra), il aurait pu être temporairement déplacé, et comme dans Leclair (supra), la perception que l’on a de l’exercice des fonctions justifie que le fonctionnaire soit relevé de ses fonctions.

Deuxièmement, les autres fonctionnaires auraient pu trouver que l’employeur, en accordant un traitement spécial à M. DeCae, appliquait « deux poids deux mesures » Troisièmement, la capacité de M. DeCae de traiter avec le public était diminuée et si les médias avaient découvert qu’il était toujours en poste, « cela aurait fait leur bonheur », selon M e Snyder. Quatrièmement, l’affaire risquait de compromettre la réputation de Revenu Canada en plaçant le Ministère dans une situation embarrassante. L’affaire n’a fait l’objet d’aucun reportage dans les médias à ce jour, mais il fallait tenir compte de cette possibilité parce que le Ministère est très visible. Cinquièmement, M. DeCae risquait d’abuser de son poste, car il jouit d’une grande autonomie qui le soustrait à toute surveillance étroite.

L’avocat me rappelle que la réaffectation à des fonctions à caractère moins délicat n’était pas une option (pièce E-5). Il maintient que, puisque l’alinéa 241(4)h) de la Loi de l’impôt sur le revenu n’autorise pas la divulgation de renseignements confidentiels,

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Decision Page 9 l’employeur n’avait d’autre choix que d’attendre l’issue du procès avant d’envisager la réintégration totale du fonctionnaire.

Pour tous ces motifs, l’avocat me demande de rejeter le grief. M. DeCae n’est pas revenu à l’audience pour présenter d’autres faits ou arguments. Décision Tout d’abord, aussi difficile que cela eût pu être pour le fonctionnaire de se représenter lui-même dans cette affaire, il a eu toutes les chances de le faire. Sa décision de quitter l’audience tôt était volontaire et délibérée. Si, pour une raison ou pour une autre, il a présenté son grief en retard, l’employeur ne lui en a pas tenu rigueur. M. DeCae savait que la procédure de règlement des griefs était expliquée dans le Guide du gestionnaire. L’employeur estimait qu’il lui était impossible de répondre au grief dans le délai de quinze jours fixé par les Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. ; il lui fallait d’abord avoir plus de renseignements sur les circonstances entourant la présumée fraude fiscale. Quoi qu’il en soit, la réponse tardive de l’employeur faisait en sorte que le fonctionnaire avait le droit, en vertu de l’alinéa 76(1)b) des Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., de renvoyer son grief à l’arbitrage plus tôt que prévu.

J’ai donc à décider si l’employeur était fondé à suspendre le fonctionnaire sans traitement pour une période indéfinie, en attendant l’issue de l’enquête et des accusations subséquentes de fraude fiscale portées contre lui. Rien dans la preuve ne m’incite à conclure que l’employeur a agi pour des motifs non raisonnables. En pareil cas, l’arbitre soupèse habituellement le préjudice qui est causé au fonctionnaire par une suspension de cette durée par rapport à l’effet négatif que des accusations criminelles peuvent avoir sur l’employeur, mais, en l’occurrence, les mesures prises par l’employeur n’ont pas suffisamment été débattues devant moi.

Bien que l’enquête interne menée par le Ministère n’ait pas été complétée dans le délai de deux à cinq semaines prévu dans le Guide du gestionnaire (pièce G-1), je conclus que le délai de sept mois mentionné par M. Jordan n’était pas déraisonnable. Le délai de deux à cinq semaines était irréaliste dans les circonstances d’une présumée fraude fiscale.

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Decision Page 10 La suspension indéfinie sans traitement n’outrepassait pas les lignes directrices du Guide du gestionnaire. Je remarque que, à l’article 29 du Guide du gestionnaire, s’il est dit que l’enquête doit être terminée dans un délai de deux à cinq semaines, il est aussi précisé que cela vaut « à condition que le Ministère soit chargé de contrôler l’enquête relative à la mauvaise conduite de l’employé ». Or la preuve en l’espèce porte à croire que c’est la police qui contrôlait l’enquête.

Il convient d’examiner brièvement les facteurs qui, selon M. Jordan, l’ont amené à conclure qu’il n’avait d’autre choix que de suspendre M. DeCae sans traitement, ainsi que l’incapacité du Ministère de réaffecter ce dernier à des fonctions à caractère moins délicat.

L’intégrité du système fiscal canadien doit être maintenue. Il était impensable d’accorder un traitement de faveur à M. DeCae. Si l’affaire avait été rendue publique, la perception de la façon dont M. DeCae s’acquittait de ses fonctions, la confiance et l’intégrité que les contribuables placent dans les fonctionnaires de Revenu Canada auraient été compromises, sans compter que l’affaire aurait jeté le discrédit sur le Ministère. Il y avait aussi le risque que M. DeCae abuse de son poste de gestionnaire d’unité de vérification en traitant les crédits de la TPS, car ses fonctions comportent peu de supervision directe.

La décision rendue dans l’affaire Air Canada and International Association of Machinists, Lodge 148 (supra) est utile. Je me reporte en particulier au passage suivant:

[Traduction] Dans l’affaire Dorr-Oliver-Long Ltd. and U.S.W., Local 4697 (1973), 3 L.A.C. (2d) 193 (O’Shea), la Commission avait à trancher un grief l’employé avait été suspendu en attendant qu’une cour criminelle rende un jugement concernant l’accusation de possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic qui pesait contre lui. La Commission s’était reportée la p. 199] à l’affaire Millhaven Fibres Ltd., Millhaven Works, and Oil, Chemical and Atomic Workers International Union, Local 9-670 (1967), 1 (A) Union-Management Arbitration Cases, 328 (Anderson), et avait cité le passage suivant:

« [...] pour démontrer qu’elle a congédié l’employé pour un motif justifiable découlant de la conduite de

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Decision Page 11 celui-ci à l’extérieur du lieu de travail, la compagnie doit prouver ce qui suit:

(1) la conduite de l’employé nuit à la réputation ou au produit de la compagnie;

(2) le comportement de l’employé le rend incapable de s’acquitter convenablement de ses fonctions;

(3) à cause du comportement de l’employé, d’autres employés refusent ou sont incapables de travailler avec lui, ou encore hésitent à le faire;

(4) l’employé s’est rendu coupable d’une grave infraction au Code criminel et a donc porté atteinte à la réputation générale de la compagnie et de ses employés;

(5) la compagnie se trouve placée dans une situation il lui est difficile de gérer ses opérations efficacement et de diriger efficacement ses effectifs. »

Selon mon interprétation, il n’est pas nécessaire qu’une compagnie établisse que les cinq critères mentionnés dans l’affaire Millhaven Fibres s’appliquent à la conduite de l’employé; l’une ou l’autre de ces conséquences peut justifier une sanction disciplinaire.

J’estime qu’il était raisonnable pour l’employeur de conclure que, s’il avait permis à M. DeCae de demeurer à son poste en attendant l’issue des accusations criminelles, il en aurait découlé les conséquences (1), (2), (3) et (5) ci-dessus.

Je suis par ailleurs d’avis que la décision de l’employeur de suspendre le fonctionnaire sans traitement était motivée par la crainte qu’il soit porté atteinte à la réputation du Ministère -- comme dans Griffiths - et qu’elle n’avait rien à avoir avec la culpabilité ou l’innocence de M. DeCae. C’est la cour qui jugera de ce dernier point. Si le fonctionnaire est innocent, M. Jordan a affirmé qu’il serait dédommagé de toutes ses pertes au titre du traitement et des avantages sociaux. Par conséquent, je conclus que l’employeur était fondé à suspendre le fonctionnaire jusqu’à la fin de son procès.

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Decision Page 12 Le grief est donc rejeté.

J. Barry Turner, commissaire

OTTAWA, le 13 mai 1996. Traduction certifiée conforme

Serge Lareau

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