Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Suspension (3 jours) - Comportement agressif contre un collègue - Harcèlement - Propos injurieux et menaces - le fonctionnaire s'estimant lésé, inspecteur de viandes, a écopé d'une suspension de trois jours pour avoir prétendument harcelé et injurié un collègue - la preuve a démontré que le fonctionnaire avait tenu des propos disgracieux envers le collègue et avait menacé physiquement ce dernier - l'arbitre n'a pas accepté la version des événements du fonctionnaire selon laquelle son collègue l'avait provoqué - l'arbitre a conclu que la mesure disciplinaire imposée n'était pas déraisonnable. Grief rejeté.

Contenu de la décision

Dossier: 166-2-26840 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE JOCELIN R. LACHANCE fonctionnaire s'estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Agriculture Canada)

employeur

Devant: Marguerite-Marie Galipeau, commissaire Pour le fonctionnaire s'estimant lésé: Pierre Labbé Pour l'employeur: Guy Blouin, avocat Affaire entendue à Québec (Québec), le 20 février 1996

Decision DÉCISION Page 1 Cette décision est rendue suite à l’audition d’un grief renvoyé à l’arbitrage par Jocelin Lachance, inspecteur des viandes (PI-3) au ministère d’Agriculture Canada. Le grief de Jocelin Lachance porte sur une suspension de trois jours (pièce E-2) qui lui a été imposée le 5 avril 1995. Dans la lettre (pièce E-2) qui l’informe de sa suspension, l’employeur reproche à Jocelin Lachance d’avoir harcelé un confrère de travail, Raymond Lacroix, “en utilisant un langage injurieux à son égard et en le menaçant physiquement, le 6 décembre 1994”. De plus, il lui reproche d’avoir “utilisé un langage menaçant à l’égard de Raymond Lacroix en relation particulièrement avec ses fonctions de représentant en sécurité”.

Preuve L’exclusion des témoins a été accordée. La preuve se résume comme suit. Jocelin Lachance et son collègue de travail, Raymond Lacroix, sont inspecteurs des viandes à l’établissement de la société Olymel à Vallée-Jonction. Cette société a requis les services d’inspection du ministère de l’Agriculture. Bien qu’ils soient employés à ce ministère, le lieu de travail de Jocelin Lachance et Raymond Lacroix est à l'établissement de la société Olymel. Jocelin Lachance et Raymond Lacroix travaillent ensemble avec quatre autres inspecteurs autour d’une table d’inspection. Les employés d’Olymel mettent les viscères des animaux dans des plateaux déposés sur la table d’inspection. Un des inspecteurs inspecte les carcasses. Les autres examinent les viscères et portent toute anomalie à l’attention des vétérinaires.

Jocelin Lachance et Raymond Lacroix se connaissent depuis une vingtaine d’années. Jocelin Lachance est représentant syndical depuis six ou sept ans. Pour sa part, Raymond Lacroix est représentant des employés en matière de santé et sécurité depuis 1989. De plus, à la demande de son syndicat, il est président, depuis 1991, du comité de santé et sécurité de la région de Québec. Ce sont ses confrères, les inspecteurs, qui l’ont élu à trois reprises, représentant en matière de santé et sécurité. Par ailleurs, c’est son syndicat qui l’a nommé président du comité de santé et sécurité.

Selon Raymond Lacroix, sa relation avec Jocelin Lachance s’est détériorée au moment il a été élu représentant en santé et sécurité en 1989.

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Decision Page 2 Selon lui, Jocelin Lachance était déçu que son ami, André Grégoire, n’ait pas été élu représentant aux lieu et place de Raymond Lacroix. De plus, selon Raymond Lacroix, Jocelin Lachance n’approuve pas la manière dont Raymond Lacroix s’acquitte des responsabilités qui lui incombent en sa qualité de représentant en matière de santé et sécurité et il le lui dit souvent. Raymond Lacroix estime que son rôle est de faire des suggestions et des recommandations à son employeur tandis que Jocelin Lachance pense que Raymond Lacroix devrait être plus revendicateur auprès de leur employeur. Selon Raymond Lacroix, Jocelin Lachance utilise à son endroit régulièrement un vocabulaire et un langage vulgaires. De plus, il arrive que Jocelin Lachance lui lance des morceaux de viande. Dans le passé, il a reçu des morceaux de viande à l’arrière de la tête et dans ses lunettes. Lorsqu’il demande à Jocelin Lachance de cesser, celui-ci lui répond “m’as-tu vu?”. Entre le mois de septembre et le mois de novembre 1994, la situation entre eux est devenue invivable. Ils eurent cinq ou sept altercations, reliées, entre autres, à la représentation en matière de santé et sécurité.

En contre-interrogatoire, Raymond Lacroix admet qu'en une occasion, en blague, avec un collègue, il avait mis un morceau de rognon dans les bottes d’un employé. Il nie avoir utilisé un langage vulgaire du genre utilisé par Jocelin Lachance à son égard.

Raymond Lacroix décrit comme suit l’incident du 6 décembre 1994. À l’heure de dîner, Raymond Lacroix se rend au vestiaire. Sa case est à côté de celle de Jocelin Lachance. En prenant sa chemise et son pantalon, il accroche la porte de la case de Jocelin Lachance sur laquelle sont appuyées les bottes de Jocelin Lachance. Un dialogue s'ensuit au cours duquel Jocelin Lachance injurie Raymond Lacroix et le menace de lui mettre le poing au visage.

Raymond Lacroix répond à Jocelin Lachance de rester calme sans quoi il aura à répondre de ses gestes. Au même moment, Gilles Roy entre au vestiaire. Raymond Lacroix quitte le vestiaire accompagné de Gilles Roy.

Voici en résumé ce que d’autres inspecteurs ont témoigné. Jaclin Carrier témoigne qu’avant le 6 décembre 1994, lors de leurs discussions en matière de santé et de sécurité, Jocelin Lachance fait des reproches à Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 3 Raymond Lacroix. Raymond Lacroix se fait lancer des petits morceaux de viande plus souvent que les autres inspecteurs. Selon Jaclin Carrier, il existe un conflit entre d'une part Raymond Lacroix et d'autre part Jocelin Lachance, Pierre Labbé et André Grégoire.

À quelques reprises, Jaclin Carrier voit Jocelin Lachance lancer des petits morceaux de viande à Raymond Lacroix. Selon Jaclin Carrier, il n'est pas dans les habitudes de Raymond Lacroix de lancer de la viande à ses confrères et d'utiliser un langage vulgaire.

Le 6 décembre 1994, Jaclin Carrier entend des voix dans le vestiaire. Il entend Jocelin Lachance dire “fais attention, je t’ai déjà dit de faire attention à mes bottes”. Un peu plus tard, il entend Jocelin Lachance dire à Raymond Lacroix: “J’vas te péter la gueule, j’vas te sacrer un coup de poing sur la gueule”. Il entend ensuite Raymond Lacroix: “Voyons Jocelin, on est entre adultes”. Puis, Jocelin Lachance: “Mon c... de têteux de grade 4” et enfin, Raymond Lacroix: “Faut apprendre à vivre en société”.

Pour sa part, l’inspecteur Gilles Roy témoigne que dans le passé, il voit souvent Jocelin Lachance lancer de la viande à Raymond Lacroix. Raymond Lacroix endure. Puis, il va voir Jocelin Lachance et lui dit "as-tu fini de me tirer de la viande". Jocelin Lachance répond "m'as-tu vu?" Selon Gilles Roy, Raymond Lacroix n'est pas un "lanceur" de viande. Par ailleurs, Gilles Roy a vu plus d'une fois Jocelin Lachance lancer de la viande à Raymond Lacroix. Il a également entendu Jocelin Lachance à la table d'inspection dire à Raymond Lacroix "on va avoir ta peau mon c...". André Grégoire était aux côtés de Jocelin Lachance lorsqu'il prononça ses paroles.

Quant à l'incident du 6 décembre 1994, tout ce qu'il a entendu, c'est la fin de l'incident. Raymond Lacroix était assis sur un banc et disait à Jocelin Lachance "tu subiras les conséquences de tes gestes". En aucun moment, selon Gilles Roy, Raymond Lacroix ne s'est dirigé vers Jocelin Lachance ou ne s'en est-il approché de manière agressive. Il s'est tout simplement levé du banc et a suivi Gilles Roy.

Selon un autre inspecteur, Gilles Pommerleau, il y avait des divergences d'opinion entre Jocelin Lachance et Raymond Lacroix. Jocelin Lachance aurait préféré que Raymond Lacroix ne soit pas représentant en santé et sécurité. Il n'agissait pas

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Decision Page 4 comme Jocelin Lachance aurait souhaité. Des gros mots avaient été dits. Jocelin Lachance avait traité Raymond Lacroix de "têteux de boss". Il y a sept ou huit ans, Gilles Pommerleau a vu Jocelin Lachance saisir l'inspecteur Yves Turgeon au collet. Il a les séparer.

Voici la version de Jocelin Lachance de l'incident du 6 décembre 1994. Il entre au vestiaire. Son manteau est sur la case, ses bottes sont en face de sa case. Raymond Lacroix a poussé la porte sur les bottes. Jocelin Lachance retire la porte. Il va se laver les mains dans une autre salle. Au retour, il voit Raymond Lacroix qui pousse fort sur la porte et ce faisant, écrase les bottes (selon Jocelin Lachance, ses bottes en portent les marques). Un dialogue s'ensuit au cours duquel Jocelin Lachance rappelle à Raymond Lacroix qu'il lui a demandé dans le passé de faire attention à ses bottes. Raymond Lacroix lui dit d'aller se changer ailleurs puisqu'il n'est pas content. Le ton monte. Jocelin Lachance injurie Raymond Lacroix. Il l'invective. Il le qualifie d'épithètes peu flatteuses. Finalement, il lui reproche d'avoir accepté la grandeur du vestiaire en sa qualité de représentant en santé et sécurité.

Selon Jocelin Lachance, quand il eut fini de parler, Raymond Lacroix s'est levé et est venu vers lui de façon agressive (il était déjà près de Jocelin Lachance car c'est une pièce exiguë) et a dit à Jocelin Lachance "m'a t'apprendre à vivre en société et tu vas t'en souvenir". Jocelin Lachance répondit: "si t'arrêtes pas, tu vas avoir mon poing dans le front". Sur ces mots, il quitte le vestiaire. Selon Jocelin Lachance, Pierre Labbé et André Grégoire ont été témoins de l'incident complet. Par ailleurs, Jocelin Lachance reconnaît qu'il a eu dans le passé des discussions avec Raymond Lacroix sur des sujets de nature syndicale. Il s'agissait de divergences d'opinion. Jocelin Lachance déclare également que lorsqu'il a débuté dans ses fonctions de représentant syndical, Raymond Lacroix lui a dit "tiens, t'es allé têter Goupil".

Le témoignage de l'inspecteur André Grégoire se résume comme suit. Il a entendu Jocelin Lachance dire à Raymond Lacroix "t'as encore frappé mes bottes" et "chien sale". Raymond Lacroix s'est levé du banc il était assis et il est allé vers Jocelin Lachance qui lui a dit "avances pas, tu vas avoir mon poing dans la

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Decision Page 5 face". André Grégoire déclare qu'il s'occupe d'affaires syndicales et que dans le passé, il y a eu des divergences d'opinions entre lui, Jocelin Lachance et Raymond Lacroix.

Les inspecteurs Fernand Duchêne et Vital Labonté ont témoigné qu'il y avait des divergences d'opinion entre Jocelin Lachance et Raymond Lacroix. Selon Vital Labonté, il y a toujours eu un peu d'hostilité entre eux. Des rancunes se sont installées. Selon Vital Labonté, le langage des travailleurs est coloré.

Le directeur général de la direction générale de la production de l'inspection des aliments, Gaston Roy, a témoigné qu'il a décidé d'imposer une suspension de trois jours à Jocelin Lachance après avoir pris connaissance du rapport d'enquête concluant qu'il y avait eu harcèlement.

Gaston Roy a conclu que Jocelin Lachance était coupable d'intimidation, de l'usage de langage injurieux, de menaces physiques et d'avoir lancé de la viande, ce qui peut constituer un risque à la sécurité des employés. Même s'il y a un langage discutable parfois entre employés, Gaston Roy est d'avis que l'employeur ne peut tolérer le langage utilisé par Jocelin Lachance à l'égard de Raymond Lacroix.

PLAIDOIRIES Le procureur de l'employeur souligne l'existence de la politique relative au harcèlement en milieu de travail (pièce E-1). Le harcèlement se définit comme "tout comportement malséant et blessant d'un employé de la fonction publique envers un autre employé de la fonction publique dont l'importunité était connue de l'auteur ou n'aurait pas lui échapper. Tout propos, action ou exhibition répréhensible qui humilie, rabaisse ou embarrasse un employé, que ce soit une fois ou continuellement, est une manifestation de harcèlement." Il déclare que des considérations de dissuasion et d'exemplarité sous-tendent la décision de l'employeur. Le vocabulaire utilisé, les menaces d'ordre physique militent en faveur d'une suspension de trois jours. Aucune jurisprudence n'est citée.

Le représentant du fonctionnaire est d'avis que le 6 décembre 1994, Raymond Lacroix a posé un geste "disgracieux" sur les effets personnels de Jocelin Lachance et qu'à partir de ce geste, les choses se sont envenimées. Quand Raymond Lacroix s'est levé, cela laissait présager une agression et Jocelin Lachance s'est senti menacé. Un incident banal a pris de grandes proportions. Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 6 Quant à lancer de la viande, Jocelin Lachance n'est pas le seul à le faire. Certes, c'est un jeu dangereux et un geste répréhensible qui doit être condamné pour des raisons d'éthique et de sécurité.

La suspension de trois jours est d'autant plus grave qu'elle entraîne une note au dossier de l'employé. Or, en période de réduction des effectifs, une note au dossier peut porter préjudice. Finalement, le processus d'enquête a laissé des traces chez certains. Il faut être sensible aux répercussions sur ce petit groupe d'inspecteurs (environ quinze) appelés à travailler ensemble. Aucune jurisprudence n'est citée.

DÉCISION Dans cette affaire, le fardeau de la preuve incombe à l'employeur et j'estime qu'il s'en est déchargé.

Il est en preuve que le 6 décembre 1994 Jocelin Lachance a utilisé un langage injurieux à l'égard de Raymond Lacroix et qu'il l'a menacé physiquement. De fait, Jocelin Lachance l'a reconnu lorsqu'il a donné sa version de l'incident. Il s'en explique en déclarant que Raymond Lacroix a écrasé ses bottes et qu'il s'est avancé vers lui de manière agressive vers la fin de l'altercation.

Je ne suis pas convaincue que Raymond Lacroix se soit approché de Jocelin Lachance d'une façon menaçante. D'abord Gilles Roy, qui a vu cette partie de l'incident, le contredit. Ce dernier a témoigné que Raymond Lacroix ne s'était pas dirigé vers Jocelin Lachance de manière agressive. Même André Grégoire, qui témoignait pour Jocelin Lachance, a donné une version mitigée en se contentant de dire que Raymond Lacroix s'était "avancé" sans pour autant qualifier le geste. Par ailleurs, l'autre témoin, Pierre Labbé, n'a pas témoigné, ayant choisi de représenter Jocelin Lachance. De plus, la preuve sur le comportement antérieur des deux prota- gonistes, me porte à croire que Jocelin Lachance est le plus agressif des deux. En effet, selon les témoignages, il s'est permis à plusieurs reprises dans le passé, de lancer des morceaux de viande à Raymond Lacroix sans que ce dernier riposte. Son comportement antérieur fait en sorte que je ne suis pas encline à accorder beaucoup de poids à ses explications au sujet de la menace du 6 décembre 1994.

En admettant que Raymond Lacroix ait manqué d'égards à l'endroit de Jocelin Lachance en appuyant la porte sur les bottes de ce dernier, (il n'y a pas de Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 7 preuve qu'il ait fait cela de manière délibérée) cela n'excuse pas un langage injurieux et des menaces.

L'employeur a aussi reproché à Jocelin Lachance d'avoir "utilisé un langage menaçant à l'égard de Raymond Lacroix en relation particulièrement avec ses fonctions de représentant en sécurité". Quant à ce troisième reproche, la preuve est sommaire. Toutefois, la preuve quant "au langage injurieux et aux menaces" en date du 6 décembre 1994 ayant été faite, j'estime qu'en soi, cet incident du 6 décembre 1994 constitue du harcèlement au sens le définit la Politique relative au harcèlement en milieu de travail (pièce E-1) et mérite la sanction disciplinaire imposée à Jocelin Lachance.

Il ne fait aucun doute que les relations entre Raymond Lacroix et Jocelin Lachance sont tendues. L'ensemble des témoignages m'en convainc. Dans ce contexte, l'incident du 6 décembre 1994 m'apparaît comme la goutte qui a fait déborder le vase.

Les différends qui les opposent dans leurs rôles respectifs de représentant en santé et sécurité et de délégué syndical ne justifient pas le langage injurieux et les menaces de Jocelin Lachance. En résumé, la mesure disciplinaire ne m'apparaît pas déraisonnable et par conséquent, je n'interviens pas.

Pour ces raisons, le grief est rejeté.

Marguerite-Marie Galipeau, commissaire

OTTAWA, le 29 mars 1996

Commission des relations de travail dans la fonction publique

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