Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement (motif disciplinaire) - Vol de matériel appartenant à l'employeur - Réintégration - le fonctionnaire s'estimant lésé, technicien en structures d'aéronefs à un aéroport, a été licencié pour avoir prétendument utilisé des feuilles d'aluminium et des parties de cornière appartenant à l'employeur afin de construire une rampe pour fauteuil roulant pour utilisation à l'extérieur du lieu de travail, ce qui n'avait rien à voir avec son travail - l'employeur a fondé sa conclusion sur l'enquête d'un superviseur où il a été déterminé qu'une partie du matériel utilisé portait le même numéro de lot que le matériel faisant partie de l'inventaire de l'employeur - le fonctionnaire s'estimant lésé a maintenu qu'il avait apporté le matériel de chez lui pour l'assembler au travail - lors de l'audience en arbitrage, le superviseur a reconstitué un « casse-tête » à partir des retailles d'aluminium en vue de démontrer que le matériel utilisé par le fonctionnaire s'estimant lésé a été réuni aux frais de l'employeur - l'employeur a aussi déposé de la documentation concernant l'achat par lui du matériel portant le numéro de lot trouvé sur une partie de la rampe fabriquée par le fonctionnaire s'estimant lésé - le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté des preuves remettant en question l'exactitude des documents de l'employeur - l'arbitre a jugé que la preuve de l'employeur n'était pas concluante et qu'elle laissait à désirer - le fonctionnaire s'estimant lésé avait clamé son innocence depuis le début et avait laissé sur la rampe partiellement construite en soirée au travail une note que tous pouvaient voir sur laquelle il avait indiqué qu'il ne s'agissait pas de matériel d'aéronefs mais de matériel acquis personnellement - l'arbitre a fait remarquer que les agissements du fonctionnaire s'estimant lésé n'étaient pas compatibles avec un comportement fourbe ou mensonger - l'employeur n'a pas fait la preuve qu'il y avait eu vol. Grief admis.

Contenu de la décision

Dossier: 166-2-27261 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE SHAWN FIELDS fonctionnaire s’estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Transports Canada)

employeur Devant: Marguerite-Marie Galipeau, président suppléant Pour le fonctionnaire s’estimant lésé: Derek Dagger, avocat, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur: Larissa Easson, avocate Affaire entendue à Ottawa (Ontario), les 16 et 17 septembre et les 17, 18 et 19 décembre 1996.

Decision Page 1 DÉCISION La présente décision fait suite à l’audition d’un grief renvoyé à l’arbitrage par Shawn Fields, anciennement employé à Transports Canada comme technicien en structures d’aéronefs (EG-04), à l’atelier des Services des aéronefs dans le hangar 58, rue de service, à l’aéroport d’Ottawa.

Shawn Fields («le fonctionnaire s’estimant lésé») conteste son licenciement survenu le 6 mars 1996. Le motif de son congédiement est ainsi énoncé dans une lettre datée du 6 mars 1996 et signée par R.D. Armstrong, directeur général, Services des aéronefs :

[Traduction] Le Ministère a maintenant terminé son enquête sur les allégations selon lesquelles vous auriez utilisé des biens appartenant à Transports Canada pour fabriquer des rampes pour fauteuils roulants.

Les résultats de l’enquête, que j’ai examinés avec beaucoup de soin, ont révélé que vous avez, par des moyens qui vous étaient accessibles en raison de votre poste de technicien en structures d’aéronefs, obtenu et utilisé du matériel appartenant à Transports Canada, soit des feuilles d’aluminium et des parties de cornière, pour construire des rampes pour fauteuils roulants que vous alliez utiliser dans votre propre entreprise commerciale.

J’estime que vos actes constituent un écart de conduite extrêmement grave, particulièrement compte tenu du poste de confiance que vous occupez au Ministère. Même si l’on vous en a donné l’occasion, vous n’avez pas fourni d’explication acceptable pour justifier vos agissements, et vous n’avez manifesté aucun regret.

Compte tenu de ce qui précède, j’estime que vous avez rompu le lien de confiance qui est essentiel au maintien de votre emploi auprès de la Fonction publique du Canada.

Par conséquent, je n’ai pas d’autre choix que de vous congédier du ministère des Transports et de la Fonction publique du Canada, à compter de la fin de la journée de travail du 6 mars 1996, conformément au pouvoir conféré au Conseil du Trésor du Canada en vertu de l’alinéa 11.2f) de la Loi sur la gestion des finances publiques, pouvoir qui m’a été délégué en vertu de l’article 12 de la même Loi.

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Decision Page 2 Si vous croyez que cette décision n’est pas justifiée, vous pouvez déposer un grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

Les témoins ont été exclus de l’audience. Dans leur exposé introductif, les deux avocats ont affirmé que le litige à trancher était le suivant : à qui appartenait le matériel utilisé par le fonctionnaire s’estimant lésé pour construire une rampe pour fauteuil roulant. Selon l’avocate de l’employeur, le matériel appartenait à Transports Canada. Selon l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé, celui-ci avait apporté le matériel à son lieu de travail.

LA PREUVE Treize témoins ont été entendus. Je commencerai par résumer le témoignage du superviseur du fonctionnaire s’estimant lésé, Peter Laverie, et ensuite celui de M. Shields. Ce sont leurs témoignages qui sont les plus liés à la propriété du matériel utilisé par le fonctionnaire s’estimant lésé pour construire une rampe pour fauteuil roulant.

Peter Laverie, technicien en chef par intérim, Services des aéronefs, est le superviseur du fonctionnaire s’estimant lésé.

Le 25 janvier 1996, on a attiré son attention sur deux pièces (pièces E-20, E-21) d’une rampe pour fauteuil roulant qui étaient appuyées contre un mur dans le magasin sous douane de l’atelier. Ces pièces étaient constituées d’une retaille et de morceaux d’une cornière. Il n’y avait pas de rivets sur la cornière. Sur l’une des pièces était écrit ce qui suit : [traduction] «communiquer avec S. Fields : ne pas utiliser : non du matériel pour aéronefs». Le 26 janvier, Peter Laverie a pris des photographies (pièces E-4 à E-8) de ce qu’il avait trouvé.

Un numéro de lot était écrit sur l’un des deux morceaux de la cornière (n o 1057971EO) (pièces E-3 et E-4). Les deux parties conviennent que ce numéro (qui a depuis lors été enlevé) apparaissait sur la cornière qui fait partie de la rampe. Le numéro de lot est inscrit sur la cornière par l’usine qui fabrique cette pièce de matériel. Selon Peter Laverie, le même numéro apparaissait sur la cornière en la possession des Services des aéronefs. En outre, la cornière (1 po 1/2 sur 1 po 1/2) que

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Decision Page 3 le fonctionnaire s’estimant lésé avait utilisée pour construire la rampe apparaissait à Peter Laverie comme étant du même type que celle qu’il avait trouvée dans l’atelier, en ce qu’elle avait une brillance ou un lustre semblable.

Peter Laverie a fait le tour de l’atelier, a ramassé des retailles qui, à son avis, auraient pu faire partie de la même feuille de métal (aluminium) que la feuille utilisée par le fonctionnaire s’estimant lésé pour construire la rampe (pièces E-20, E-21). Certaines retailles (pièces E-22 à E-26) pouvaient s’imbriquer comme dans un casse- tête, auquel on pouvait ajouter les pièces de la rampe pour fauteuil roulant (pièces E-20, E-21). Les retailles (pièces E-22 à E-27) ramassées par Peter Laverie dans l’atelier et la rampe (pièces E-20, E-21) construite par le fonctionnaire s’estimant lésé ont été produites à l’audience. Au cours de celle-ci, Peter Laverie a construit un casse- tête, et un diagramme (pièce E-14) montrant ce casse-tête fait également partie de la preuve, comme deux photos (pièces E-18, E-19) du casse-tête.

Peter Laverie a fait remarquer que la retaille utilisée pour construire la rampe avait une épaisseur de 0,185 po. Cette retaille (légèrement cintrée) avait 8 po de large sur 78 po de long. Peter Laverie a trouvé deux retailles de 0,185 po d’épaisseur sous la machine à cisailler hydraulique. Ces retailles avaient 2 po de large sur 95 po 15/16 de long (pièces E-22, E-23).

Peter Laverie a également trouvé un grand morceau d’une feuille de métal (pièce E-24) (28 po de large sur 95 po 15/16 de long et 0,185 po d’épaisseur) dans le magasin sous douane. Cette épaisseur de métal (0,185) n’était pas courante, et le morceau portait un numéro (DO 306).

Peter Laverie a mis les deux pièces de la rampe (pièces E-20, E-21) l’une à côté de l’autre. Ensuite, il a mis les deux longues bandes étroites (pièces E-22, E-23, 2 po sur 95 po 15/16) et le grand morceau (28 po X 95 po 15/16, pièce E-24) à côté des pièces de la rampe. Naturellement, les pièces de la rampe étaient plus courtes. Toutefois, Peter Laverie a trouvé dans l’atelier un petit morceau (8 po sur 17 po 3/4, pièce E-25) qui, s’il était ajouté au bout de l’une des pièces de la rampe, pouvait produire une longueur totale de 95 po 3/4, c’est-à-dire 78 po (longueur de la rampe) plus 17 po 3/4 (longueur du petit morceau, pièce E-25). Il aurait fallu une autre petite retaille pour arriver à la longueur de l’une des pièces de la rampe, mais on n’en a jamais trouvé.

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Decision Page 4 Une feuille de métal complète (c.-à-d. telle que vendue, les dimensions étant de 4 pi sur 12 pi) ne pouvait être reconstruite.

Entre le moment Peter Laverie a trouvé le grand morceau (pièce E-24) et la date de l’audience, ce grand morceau pouvait être utilisé, et les travailleurs en ont utilisé une partie. La semaine suivant la construction de ce casse-tête, le fonctionnaire s’estimant lésé en a lui-même coupé une partie (pièce E-26) à la demande de la section du rembourrage.

On parle de 6061 pour désigner les pièces métalliques utilisées pour construire la rampe et les pièces trouvées par Peter Laverie dans l’atelier. Le grand morceau (pièce E-24) de feuille de métal portait un numéro de traçabilité, un numéro DO, soit DO 306. Il n’y avait pas de numéro de traçabilité sur la rampe du fonctionnaire s’estimant lésé.

Selon Peter Laverie, les deux retailles (2 po sur 95 po 15/16) (pièces E-22, E-23) qu’il a trouvées sous la machine à cisailler ont été reconnues par le fonctionnaire s’estimant lésé comme étant des retailles qu’il avait coupées du matériel qu’il avait utilisé pour construire sa rampe. Le fonctionnaire s’estimant lésé nie que ce soit le cas, comme on le verra plus loin.

Peter Laverie croit que le grand morceau de feuille de métal (28 po de large sur 95 po 15/16 de long) (pièce E-24) qu’il a trouvé dans le magasin sous douane faisait partie de la même feuille dont ont été coupées les retailles pour la rampe (8 po sur 78 po). Comme il a déjà été mentionné, elle portait un numéro «D» c.-à-d. DO 306.

En ajoutant la largeur de la rampe, celle des longues retailles (pièces E-22, E-23) (2 x 95 15/16) et le grand morceau de la feuille de métal (pièce E-24) (28 x 95 15/16), on arrivait à une largeur de 48 pouces, ce qui est la largeur standard d’une feuille, c.-à-d. 4 pi.

En se fondant sur ces observations, Peter Laverie (et ses supérieurs) ont conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait utilisé le matériel du Ministère pour construire sa rampe pour fauteuil roulant.

Peter Laverie a pris des photos (pièces E-4 à E-8 et E-6 à E-19) de la rampe et du casse-tête qu’il avait construit.

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Decision Page 5 Le reste du témoignage de Peter Laverie peut être résumé de la façon suivante. Il y a une dizaine d’ouvriers tôliers dans l’atelier. Peter Laverie et le fonctionnaire s’estimant lésé travaillent ensemble depuis neuf ans. Les deux ont posé leur candidature au poste de technicien en chef. Le concours a été [traduction] «mis en veilleuse» en attendant le résultat de la présente procédure d’arbitrage.

L’horaire de travail habituel des ouvriers tôliers est de 7 h 30 à 15 h 30. Il y a un poste du soir de 14 h 30 à 22 h 30. Le technicien en structures qui travaille le soir travaille également le samedi et le dimanche. Le fonctionnaire s’estimant lésé a déjà travaillé le soir. Il avait, entre autres tâches, la responsabilité de s’assurer que les stocks nécessaires étaient disponibles dans la tôlerie. S’il manquait du matériel, c’était à lui qu’il incombait de le commander.

Pour effectuer leur travail, les techniciens sont censés utiliser un numéro de «bordereau de réception» ou numéro de «traçabilité». Étant donné que les techniciens utilisent du métal pour l’entretien des aéronefs, le métal doit être identifiable. En théorie, tout le matériel qui se trouve dans le magasin sous douane de l’atelier doit être utilisé sur des aéronefs. Lorsqu’on parle du numéro de «traçabilité», on parle du numéro «D».

Les techniciens utilisent parfois l’équipement du Ministère pour travailler à des projets personnels. Ces projets sont appelés des «homers». Par exemple, un technicien pourrait fabriquer, au travail, une pince pour une bicyclette d’enfant. Il pourrait utiliser du matériel des Services des aéronefs. Ce matériel serait des «rebuts» trouvés dans le bac à «rebuts». Peter Laverie [traduction] «n’y verrait rien de mal» si quelqu’un prenait une pièce de métal dans le bac à «rebuts». C’est l’un des avantages de l’emploi, et cela n’a pas changé au cours des 23 années pendant lesquelles il a travaillé au Ministère. Toutefois, si le métal peut encore servir pour les aéronefs, il ne devrait pas être utilisé pour un «homer».

Les pilotes et les employés utilisaient du matériel qu’ils prenaient dans le bac à rebuts. C’était une pratique normale jusqu’à l’incident impliquant le fonctionnaire s’estimant lésé.

Le 26 janvier 1996, Peter Laverie a discuté de ses conclusions avec son propre superviseur, Dave Mayoh. Celui-ci lui a dit que si le fonctionnaire s’estimant lésé Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 6 avouait avoir utilisé du matériel du Ministère, il devrait payer pour le matériel et une lettre de réprimande serait versée à son dossier.

Toutefois, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a fait aucun aveu de ce genre. Il a nié avoir utilisé du matériel des Services des aéronefs, et il a dit que le lundi suivant il fournirait un reçu qui prouverait qu’il avait acheté le matériel.

Peter Laverie lui a dit qu’il ne pouvait pas sortir la rampe de l’atelier, mais il l’a autorisé à la riveter.

En dépit de ces instructions, le fonctionnaire s’estimant lésé a emporté la rampe chez lui.

Le 31 janvier 1996, le fonctionnaire s’estimant lésé a remis un reçu (pièce E-11) à Peter Laverie. Le reçu avait trait à du matériel différent de celui qui avait été utilisé pour la rampe.

Le fonctionnaire s’estimant lésé a rapporté la rampe. Le numéro de lot de la cornière était encore visible.

À l’audience, Peter Laverie a produit un bon de commande (pièce E-12) qu’avait trouvé sa secrétaire et qui avait trait, selon lui, à la cornière qui appartenait à l’employeur et qui portait le numéro de lot 1057971E0 et le numéro «D» DO 102.

Selon Peter Laverie, la rampe construite par le fonctionnaire s’estimant lésé vaut environ 450 $.

En contre-interrogatoire, Peter Laverie a affirmé qu’il ne savait pas combien de cornières portant le même numéro de lot une usine pouvait produire. Il ne connaît pas le système de numérotation de l’entreprise qui fabrique la cornière.

Il a reconnu que c’est seulement le numéro «D» (c.-à-d. le numéro du bordereau de réception ou le numéro de traçabilité) écrit sur le matériel qui permet de conclure qu’une certaine pièce appartient au Ministère. Il n’y avait pas de numéro «D» sur la rampe.

Selon Peter Laverie, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a cessé de répéter qu’il avait utilisé son propre matériel. Il a dit que c’était une coïncidence si le numéro de lot

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Decision Page 7 sur la cornière était le même que le numéro de lot sur la cornière appartenant au Ministère.

Peter Laverie se rappelait vaguement que le fonctionnaire s’estimant lésé lui avait dit qu’il fabriquait des rampes. Le fonctionnaire s’estimant lésé lui avait montré une brochure publicitaires sur les rampes (pièce E-3).

Peter Laverie a reconnu avoir lui-même fait des «homers» par le passé. Je vais maintenant résumer le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé. Cinq ans environ avant l’incident qui a donné lieu à son congédiement, le fonctionnaire s’estimant lésé a commencé à construire des rampes pour fauteuils roulants.

Il a construit la première rampe en se servant de quelques pièces de matériel du Ministère, avec l’approbation de son superviseur d’alors, Glen Bigney, et avec l’aide d’un collègue, Ross Viau, qui a peint la rampe une fois celle-ci assemblée.

Les autres rampes ont été construites avec son propre matériel, lequel, au cours des années, il a acheté ou ramassé ici et là. Jusqu’ici, il a construit huit rampes. C’est son passe-temps. Même s’il a fait faire une brochure (pièce E-3) à la suggestion d’une connaissance qui est un marchand, cette activité n’est pas une entreprise, et il ne réalise aucun profit sur la vente de ces rampes.

Ses explications concernant la rampe (pièces E-20, E-21) qui fait l’objet du litige en l’espèce sont les suivantes :

Il a pris le matériel dans son propre garage. Pour construire les rampes, il utilise des matériaux de qualité aviation. Il se pourrait qu’il ait acheté les bandes planées et la cornière qu’il a utilisées pour construire la rampe à des magasins comme Loucon Inc., ou Russell Inc., ou Ideal Inc., ou Cohen & Cohen Inc., ou auprès d’entreprises il travaillait avant de commencer à travailler à Transports Canada il y a huit ans, comme G. Fields Air Services Inc. et Enotech Aviation Inc. Au cours des années, il a accumulé du matériel à la maison. Il se qualifie de [traduction] «rat porteur». Il jette les reçus dès que le travail est terminé.

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Decision Page 8 Le reçu (pièce E-11) de Loucon Metal Ltd. qu’il a remis à Peter Laverie est le seul reçu qu’il pouvait trouver. Il croit qu’il a trait à une conversation téléphonique avec le commis, quelque temps en octobre 1995. Selon lui, ce reçu (pièce E-11) n’a rien à voir avec le matériel qu’il est passé prendre au magasin à la suite de la conversation. Il n’est même pas sûr s’il a trait à la transaction qui a effectivement eu lieu. Il n’a pas d’autres reçus, étant donné qu’il ne garde pas de reçus. Il a apporté le reçu pour prouver au moins qu’il achète du matériel du même type que celui qui a été utilisé pour la rampe. Malheureusement, même ce reçu ne prouve pas cet élément de l’affaire, car c’est de l’aluminium T-6 qu’il a ramassé et non de l’aluminium T-5, ce qui est écrit sur le reçu.

Le soir du 24 janvier 1995, il a pris, dans ses stocks personnels à la maison, quatre morceaux de métal planés et quatre morceaux de cornière; il les a enveloppés et il les a apportés à l’atelier. Il avait l’intention de cintrer les morceaux planés. Le gardien de sécurité a tenu la porte ouverte pour lui lorsqu’il est arrivé au travail, et le fonctionnaire s’estimant lésé est sûr que cela a été enregistré par la caméra électronique. Malheureusement (les deux parties en conviennent), la bande vidéo n’est pas claire. Ce soir-là, le fonctionnaire s’estimant lésé a travaillé sur deux rampes. Les morceaux de métal planés mesuraient de 82 à 83 pouces de longueur. Il les a coupés à 78 po 1/4. Il les a ensuite pliés, y a percé des trous, les a assemblés temporairement puis les a remis dans le magasin avec une note disant [traduction] «ne pas toucher : non du matériel pour aéronefs : communiquer avec S. Fields». Il a mis une quinzaine de minutes à faire ce travail.

Le lendemain, Peter Laverie a dit qu’il trouvait curieux que le numéro de lot sur la cornière de sa rampe était le même que le numéro de lot sur la cornière en la possession de l’employeur. Il lui a montré un morceau de la cornière de l’employeur.

Les observations du fonctionnaire s’estimant lésé concernant le casse-tête construit par Peter Laverie sont les suivantes :

La retaille (pièce E-24) utilisée par Peter Laverie pour construire le casse-tête est du 6061, tout comme la retaille utilisée par le fonctionnaire s’estimant lésé pour construire la rampe, mais cela ne veut pas dire que les deux retailles sont venues de la même feuille de 6061. Le numéro «D», c.-à-d. DO 306, qui se trouve sur le grand morceau (pièce E-24) permet de faire le lien entre le matériel et le bordereau de

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Decision Page 9 réception du Ministère, mais sans le numéro de lot il est impossible de dire si les deux morceaux proviennent du même lot. Il pourrait y avoir 144 feuilles de 6061 (12 pi sur 4 pi) dans un lot, chaque feuille portant le même numéro de lot. Il n’y a pas de numéro de lot sur les morceaux du fonctionnaire s’estimant lésé (pièces E-20, E-21), ni sur les morceaux (pièce E-24) utilisés par Peter Laverie pour construire le casse-tête.

Il n’y a aucune preuve que les morceaux de feuille utilisés par le fonctionnaire s’estimant lésé proviennent du même lot que les morceaux utilisés par Peter Laverie pour construire le casse-tête.

En ce qui concerne la cornière, le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé qu’elle portait un numéro de lot, mais qu’il s’était assuré que Peter Laverie l’avait écrit et consigné, car il savait qu’il terminerait la rampe, ayant reçu l’autorisation de Peter Laverie à cet égard. Le numéro de lot était 1057971EO.

Le fonctionnaire s’estimant lésé a signalé des lacunes dans les preuves documentaires de l’employeur pour ce qui est de la cornière portant le numéro de lot 1057971EO. Le fonctionnaire s’estimant lésé a produit une copie du bon de commande (pièce G-3) sans les notes manuscrites [traduction] «cornière DO 102 lot 1057971EO» que l’on trouve sur la copie du bon de commande en la possession de l’employeur (pièce E-12), et il a aussi produit le connaissement (pièce G-4) et le certificat d’analyse (pièce G-5) délivrés par le fabricant. Selon ces documents, le numéro de lot ou le [traduction] «numéro de coulée» de la cornière commandée par le Ministère (pièce G-3, article 3) est 95-013-03. Il s’ensuit que le numéro de lot «1057971EO» écrit à la main par quelqu’un sur la copie du bon de commande (pièce E-12) ne correspond pas au numéro de lot du matériel qui, au moyen de ce bon de commande, a été acheté par l’employeur.

En outre, le fonctionnaire s’estimant lésé a souligné que même si l’employeur avait en sa possession une cornière portant le même numéro de lot que celui qui figurait sur sa cornière à lui, cela n’aurait rien d’étonnant. Il a expliqué que trois fournisseurs de cornières, p. ex. Loucon Inc., Ideal Inc. ou Russell Inc., peuvent acheter des cornières du même fabricant et, par conséquent, plusieurs acheteurs peuvent avoir en leur possession des cornières qui viennent du même lot et, partant, qui portent le même numéro de lot. Quoi qu’il en soit, il n’a pas cessé d’affirmer que la cornière qu’il avait utilisée pour construire la rampe lui appartenait.

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Decision Page 10 Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait une démonstration pour montrer qu’il n’aurait pas pu, à lui seul, soulever et couper deux bandes (8 po sur 78 po) d’une feuille métallique de 4 pi sur 12 pi (pièce G-1), (4) (5)) ni une feuille plus petite de 95 po 15/16 de longueur, ajoutant que cela aurait été dangereux. Il a reconnu qu’il aurait pu soulever un morceau de 6 pieds (pièce E-24) de longueur.

Le fonctionnaire s’estimant lésé a également souligné qu’il n’y avait aucune marque d’identification sur les morceaux (pièces E-22, E-23, E-25, E-26) utilisés par Peter Laverie pour construire le casse-tête. Il a reconnu que le «5» ou «6» et le «O» sur la pièce E-26 pourrait provenir du numéro DO, c.-à-d. DO 306, comme celui que l’on trouve sur la pièce E-24.

Il a nié avoir coupé les deux longs morceaux (pièces E-22, E-23), et il a expliqué qu’il avait coupé les morceaux de feuille qu’il avait apportés à environ deux ou trois pouces.

Le fonctionnaire s’estimant lésé admet qu’il aurait obéir après qu’on lui eut dit de laisser la rampe au travail. S’il l’a apportée chez lui, c’est qu’il n’était pas conscient du sérieux avec lequel Peter Laverie considérait l’incident. En outre, comme il s’agissait de son matériel, il n’avait aucune hésitation à le rapporter chez lui.

Au cours des réunions tenues relativement à cet incident, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas cessé de répéter que le matériel lui appartenait, mais qu’il ne pouvait pas dire précisément d’où il provenait, parce qu’il ramassait du matériel depuis de nombreuses années.

En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s’estimant lésé a nié avoir voulu dire qu’il avait coupé les deux longs morceaux (pièces E-22, E-23) lorsqu’il avait montré du doigt le matériel derrière la machine à cisailler. Il a expliqué qu’il indiquait le matériel qu’il avait coupé une largeur d’environ trois pouces) et, en outre, il ne se rappelle pas avoir vu les deux longs morceaux (pièces E-22, E-23) derrière la machine à cisailler. Même si ces deux morceaux (pièces-E-22, E-23) étaient là, il n’avait aucune raison de croire que c’était ces morceaux que Peter Laverie indiquait du doigt.

Au cours de l’une des réunions, le fonctionnaire s’estimant lésé a expliqué qu’il avait obtenu son matériel à de nombreux endroits, y compris le MDN. Il se rappelle qu’à l’automne de 1995, son collègue, Sabourin, avait rapporté du matériel du MDN. Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 11 Ce matériel ne portait pas de numéro de traçabilité. Glen Bigney avait dit de le jeter. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait aidé son collègue à apporter le matériel jusqu’au bac, et il en avait apporté une longueur à la maison. Il croit qu’il est possible qu’une partie du matériel inclus dans sa rampe fasse partie de ce matériel.

On a produit trois témoins pour tenter de clarifier les documents E-12, G-2, G-3, G-4, et pour établir leur valeur probante pour ce qui est de la cornière achetée par le Ministère.

Le témoignage de Brian Rodger peut être résumé de la façon suivante. Il est représentant commercial à Ideal Metal Inc. Selon lui, l’une des usines où Ideal Metal Inc. obtient son matériel est Reynolds Extrusion Company (pièce G-5). En raison de l’obligation qu’impose la loi de s’assurer de la traçabilité du métal à utiliser sur des aéronefs, ainsi que des obligations qui en découlent pour Transports Canada, Ideal Metal Inc. essaie de garantir, dans le cadre de son contrôle de la qualité, la traçabilité du métal qu’elle vend.

Selon Brian Rodger, les documents (pièces G-3, G-4 et G-5) produits par le fonctionnaire s’estimant lésé sont le bon de commande, le connaissement et le certificat d’analyse ayant trait à du métal vendu par Ideal Metal Inc. à Transports Canada. Une partie de ce métal consistait en un alliage d’aluminium pour cornières de 2 po sur 2 po sur 1/8 po sur 20 pi, 6061, F6 (et non des tuyaux) (pièces G-3 et G-4). Le numéro de lot était 95-013-03 (pièce G-4, article 3). Le numéro de lot a été donné par le fabricant, Reynolds Extrusion Company. Selon les dossiers de Ideal Metal Inc., Transports Canada n’a pas acheté d’autre matériel de ce genre de Ideal Metal Inc. Les pièces G-3, G-4 et G-5 sont les seules pièces que Brian Rodger pouvait trouver, et elles remontaient à 1992.

Lorsqu’on lui a montré un échantillon de la cornière (pièce E-27), Brian Rodger a fait remarquer qu’il y avait un numéro «D» sur l’échantillon, soit DO 102, que la spécification ASTMB21 QQA200-8-F faisait tout simplement allusion au type de cornière, et que le numéro de lot 1057971EO ne correspondait pas au numéro de lot figurant sur les pièces G-3, G-4 et G-5. Il a également fait remarquer que le nom du fabricant était EXAL et non Reynolds Extrusion Company.

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Decision Page 12 Brian Rodger a affirmé qu’il était possible que Ideal Metal Inc. ait vendu des cornières fabriquées par EXAL et venant du lot 1057971EO, mais il a ajouté qu’il n’y avait rien à Ideal Metal Inc. pour indiquer que ce genre de cornière avait été vendue à Transports Canada.

Brian Rodger a également souligné qu’un atelier fabrique des cornières dans une seule coulée, qu’il leur donne un numéro de lot, et qu’il les vend à des fournisseurs différents. Par exemple, Reynolds Extrusion Company produit au moins 1 100 livres de cornières en une seule coulée ou un seul lot.

Selon Brian Rodger, il est fort peu probable que l’échantillon E-27 aurait pu être livré à Transports Canada avec les pièces G-3, G-4 et G-5, car ces documents n’ont rien à voir avec la pièce E-27.

Brian Rodger ne pouvait pas expliquer pourquoi on pouvait également trouver sur l’échantillon (pièce E-27) le code à barres 61358496 du transporteur général Daily Group utilisé par Ideal Metal Inc. pour livrer le métal mentionné dans les pièces G-3, G-4 et G-5. Il a affirmé qu’il en connaissait très peu dans le domaine de l’expédition des marchandises.

Le témoignage du Chef des opérations, Denis Chennette, à Daily Group Inc. peut être résumé de la façon suivante.

Selon un récépissé de livraison (pièce E-31) en la possession de Daily Group, le 4 décembre 1995 Daily Group aurait livré pour Ideal Metal Inc. 177 livres de tubes à Transports Canada. La copie porte le code à barres 61358496.

Denis Chennette a expliqué que Daily Group appose sur le connaissement une étiquette portant le code à barres, et trois autres étiquettes sur la marchandise elle- même. Le code à barres n’est utilisé que pour une seule livraison.

Le témoignage de Neil Wright peut être résumé de la façon suivante. Il est gestionnaire d’entrepôt aux Services des aéronefs depuis huit ans. Auparavant, il était chef de bureau à l’inventaire/aux acquisitions, section centrale. Il connaît bien la paperasse qui accompagne l’achat et la réception de métal.

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Decision Page 13 Lorsque les marchandises arrivent, le magasinier vérifie le bordereau d’expédition, le connaissement et le bon de commande. Il assigne un numéro de bordereau de réception ou numéro «D» à la marchandise achetée, en le transcrivant sur le bon de commande ou le bordereau d’expédition, ou les deux. En outre, il trace une ligne en diagonale sur le bon de commande.

Il a approuvé le bon de commande à la pièce E-12. Il reconnaît sa signature. Le numéro T8514 32D a été attribué au bon, et celui-ci a été classé dans le dossier des marchandises à recevoir dans l’aire de réception. La pièce G-3 est une autre copie du bon de commande et, à son avis, elle a probablement été classée à la section des acquisitions. Il ne sait pas qui a écrit à la main [traduction] «cornière DO 102 Lot 1057971EO» sur la pièce E-12. Le magasinier, John Sullivan, semble avoir reçu les marchandises énumérées dans le bon de commande (pièce G-3 ou E-12) et dans le connaissement (pièce G-4). M. Wright croit que le registre des marchandises reçues (pièce E-30) tend à confirmer cette conclusion. Une facture de fret manque.

Lorsque les marchandises arrivent, celui qui les reçoit ne vérifie pas le numéro de lot sur le métal. Il s’assure tout simplement que le document de certification correspond aux articles apparaissant sur le bordereau d’expédition. Il ne croit pas non plus que l’inspecteur à la réception examine le numéro de lot. Les numéros de lot ne sont pas enregistrés.

Il ne sait pas pourquoi quelqu’un a écrit «lot 1057971EO» sur la pièce E-12. Cela ne se fait pas normalement.

Pour ce qui est du code à barres du transporteur général, il confirme qu’une étiquette portant le code à barres est placée sur le connaissement, le bordereau d’expédition, la cargaison, et sur une autre copie que conserve le transporteur. Il ne peut expliquer pourquoi le code à barres apparaissant sur le connaissement (pièce G-4) se trouve également sur la cornière (pièce E-27) portant le numéro de lot 1057971EO.

Le témoignage du commissionnaire Joseph Edouard Mireault, qui était de service le 24 janvier 1996 lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé est arrivé au travail, peut être résumé de la façon suivante.

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Decision Page 14 Il a vu le fonctionnaire s’estimant lésé arriver au travail. Le fonctionnaire s’estimant lésé lui a dit : [traduction] «Pendant ma pause, je vais apporter des choses à couper.» C’est ce qu’il a fait. Il faisait noir. M. Mireault a vu le fonctionnaire s’estimant lésé entrer avec trois morceaux de métal planés, dont les dimensions étaient à peu près les suivantes : 87 po sur 8 pi, 1 pi 2 , et 7 po sur 1 pi 2 . Il ne peut dire s’il s’agit du même type de métal que celui qu’on trouve dans la rampe (pièces E-20, E-21). Il est possible qu’il ait aussi apporté des cornières dans l’atelier. Il ne l’a vu que pour un bref moment.

Farrell Levasseur était directeur des Services techniques avant de prendre sa retraite en 1996. Son témoignage peut être résumé de la façon suivante.

Dans son poste de directeur des Services techniques, il rendait compte au directeur général, Ron Armstrong. Les chefs de l’entretien, de la planification, de l’inspection et des approvisionnements relevaient de lui. Il a travaillé 38 ans aux Services des aéronefs.

En ce qui concerne les «homers», ce témoin a confirmé leur existence et le fait que la pratique était autorisée. Il a affirmé que normalement, il s’agissait de projets mineurs. Des «rebuts» pouvaient être utilisés pour ces «homers». Lui-même avait travaillé sur des «homers».

En ce qui concerne la «traçabilité», le témoin a répété ce qui a déjà été résumé au sujet des dépositions des autres témoins.

Peter Laverie et Dave Mayoh lui ont dit que le fonctionnaire s’estimant lésé avait construit une rampe au travail. Lui-même a mis le directeur général au courant. Il était présent au cours de l’une des réunions tenues avec le fonctionnaire s’estimant lésé. La réunion a eu lieu le 7 février 1995. Il a aidé Peter Laverie à construire un casse-tête avec la rampe et d’autres morceaux de métal qu’ils ont trouvés au travail. Il a décrit l’assemblage de ces morceaux. Il a pris des photographies (pièces E-16 à E-19).

Selon ce témoin, la seule caractéristique sur un morceau de métal qui peut relier ce métal au Ministère est le numéro «D». Il ne peut expliquer les trous dans la pièce E-23, et il reconnaît qu’ils ne correspondent pas aux trous apparaissant dans la rampe du fonctionnaire s’estimant lésé.

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Decision Page 15 Pendant toute cette affaire, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas cessé de répéter que le matériel dans la rampe (pièces E-20, E-21) lui appartenait. Selon Farrell Levasseur, si le casse-tête ne correspond pas parfaitement, c’est parce que le métal dans la rampe avait être cintré.

Le gestionnaire des Services de hangar, David Mayoh, a aussi témoigné. Son témoignage a confirmé ceux des autres témoins qui ont déjà été résumés, c’est-à-dire que les «homers» étaient autorisés, et que l’on pouvait utiliser des «rebuts» pour faire ces «homers». Ce témoin a également affirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait toujours dit que le matériel lui appartenait.

Glen Bigney était superviseur d’atelier lorsqu’il a pris sa retraite. Il avait travaillé comme technicien en structures d’aéronefs depuis 1972. Ce témoin a répété ce qui avait déjà été dit par d’autres témoins, c’est-à-dire que les «homers» étaient autorisés et que les «rebuts» pouvaient être utilisés. Il ne se rappelle pas que quelqu’un ait travaillé à des «homers» pendant les heures de travail. Il qualifie le fonctionnaire s’estimant lésé de bon employé qui [traduction] «travaillait fort». Il ne se rappelle pas que le fonctionnaire s’estimant lésé lui aurait dit, il y a trois ans, qu’il construisait une rampe pour fauteuil roulant pour l’enfant de son voisin.

David Sabourin occupe un poste de technicien en structures dans l’atelier principal. Il était l’un des collègues du fonctionnaire s’estimant lésé. Il se rappelle être allé avec Glen Bigney, il y a un ou deux ans, au ministère de la Défense nationale pour examiner du matériel qui était disponible. Il ne se rappelle pas avoir rapporté des articles en feuilles. Il se peut qu’il ait rapporté des morceaux de cornière plus petits. Il ne tenait pas un inventaire de ce matériel. Il n’y avait pas de numéro de traçabilité sur ce matériel. Par le passé, il a travaillé à des «homers» à l’atelier. Il a utilisé des «rebuts». Même si cela ne serait pas approprié, il se peut qu’il soit arrivé, mais pas souvent, que du métal portant un numéro de traçabilité soit utilisé pour des «homers». Le témoin a produit une série (pièce G-1) de photos de l’atelier.

Ross Viau est le superviseur des ateliers de peinture et de rembourrage. Selon son témoignage, quelque temps avant décembre 1995 les serrures de l’atelier de rembourrage ont été changées, et des mesures de contrôle plus strictes ont été mises en place pour limiter le nombre de personnes qui avaient les clés de cet atelier en leur possession. Si cela avait été fait, c’est parce que peu de temps avant on avait trouvé du

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Decision Page 16 matériel (des outils, des pinces, des ciseaux, des aiguilles) ici et là, et que de la toile avait disparu. Un grand nombre de personnes avaient des passe-partout pour l’atelier de rembourrage.

Leslie Thompson, qui est l’adjointe de Peter Laverie à l’atelier, a témoigné qu’un soir à la fin de novembre 1995, le fonctionnaire s’estimant lésé est venu y travailler et lui a dit qu’il avait une clé pour l’atelier de rembourrage, et qu’il irait dans cet atelier pour faire de la couture. Elle a raconté cela à Ross Viau le lendemain. Quelque temps plus tard, elle a appris qu’on avait changé les serrures de l’atelier de rembourrage.

Enfin, le témoignage de Ron D. Armstrong, directeur général, Services des aéronefs, peut être résumé de la façon suivante.

Ron Armstrong a signé la lettre de licenciement. Avant de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé, il a examiné la preuve ainsi que les explications fournies par l’intéressé. Il n’a pas trouvé ces explications convaincantes et il a jugé que les coïncidences l’étaient, tout particulièrement la construction du casse-tête par Peter Laverie et le numéro de «stock» sur l’un des morceaux de métal. Il a offert au fonctionnaire s’estimant lésé la possibilité de démissionner, mais celui-ci a rejeté l’offre et a maintenu son innocence.

PLAIDOIRIES La plaidoirie de l’avocate de l’employeur peut être résumée de la façon suivante. Le fardeau de la preuve incombe à l’employeur. L’affaire doit être établie sur une simple prépondérance de la preuve. La présente affaire est fondée sur des preuves circonstancielles, car personne n’a vu le fonctionnaire s’estimant lésé sortir du matériel du magasin. Il y a une série de coïncidences qui sont toutes compatibles les unes avec les autres. La preuve recueillie et réunie par Peter Laverie confirme la conclusion que le fonctionnaire s’estimant lésé a utilisé le matériel de l’employeur pour construire sa rampe. Le congédiement est une peine raisonnable. La jurisprudence appuie un congédiement lorsqu’il y a eu vol, en particulier lorsque l’intéressé ne cesse de proclamer son honnêteté, ce qui équivaut à de la malhonnêteté pendant l’enquête.

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Decision Page 17 Cette affaire a créé des conflits dans le milieu de travail, et il serait difficile aux autres employés de travailler avec le fonctionnaire s’estimant lésé. Par conséquent, si le tribunal se prononce en faveur de ce dernier, il serait préférable de lui accorder des dommages-intérêts plutôt que de le réintégrer dans ses fonctions.

Même l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé a convenu que s’il était prouvé que celui-ci avait pris le matériel, le congédiement était justifié. On m’a renvoyée aux affaires suivantes : Stéphane Laparé et le Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes (dossier de la Commission n o 166-18-22492), Robert Lutes et le Conseil du Trésor (dossier de la Commission n o 166-2-26706), Nathalie Mercier et le Conseil du Trésor (dossier de la Commission n o 166-2-21350), Philip Zakoor et le Conseil du Trésor (dossier de la Commission n o 166-2-25882), Nicolas Di Vito et Alastair Mathers, demandeurs et MacDonald Dettwiler & Associates Ltd. [1996] B.C.J. n o 1436, n o C944198 au registre de Vancouver. La plaidoirie de l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé peut être résumée de la façon suivante.

En l’espèce, le fardeau de la preuve incombe à l’employeur; la norme doit être plus élevée qu’une simple probabilité que quelque chose s’est produit, mais moins élevée que celle qu’exigerait une cour de juridiction criminelle. On trouve dans l’affaire Satwinder Samra et le Conseil du Trésor (dossier de la Commission n o 166-2-26543) un survol de cette question. Le fonctionnaire s’estimant lésé demande la réintégration dans ses fonctions, son plein salaire avec effet rétroactif, une exonération complète ainsi que l’épuration de son dossier du Personnel. L’employeur n’a produit aucune preuve, de quelque nature que ce soit, qui indiquerait que la réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé causerait des problèmes dans le milieu de travail.

En ce qui concerne la preuve, l’employeur n’a pas établi que le matériel utilisé par le fonctionnaire s’estimant lésé pour construire la rampe appartenait à l’employeur. Le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé est crédible. Le fait que quelqu’un puisse construire un casse-tête partiel ne prouve pas que le matériel appartient à l’employeur. Aucune analyse chimique du matériel utilisé dans la rampe du fonctionnaire s’estimant lésé et dans le casse-tête de l’employeur n’a été effectuée.

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Decision Page 18 L’avocat me renvoie aux affaires suivantes : James Gregory Herritt et le Conseil du Trésor (dossier de la Commission n o 166-2-27188), Re Indusmin Ltd. and United Cement, Lime and Gypsum Workers International Union, Local 488, (1978) 20 L.A.C. (2d) 87.

DÉCISION Le présent grief est accueilli pour les raisons suivantes. Je ne suis pas convaincue que l’employeur s’est acquitté du fardeau de la preuve. Je ne suis pas convaincue, en me fondant sur la preuve produite par l’employeur, que le fonctionnaire s’estimant lésé [traduction] «a obtenu et utilisé du matériel appartenant à Transports Canada, soit des feuilles d’aluminium et des parties de cornière, pour construire des rampes pour fauteuils roulants que vous alliez utiliser dans votre propre entreprise commerciale» (lettre de licenciement au dossier).

Le témoin principal de l’employeur, Peter Laverie, a assemblé devant moi des morceaux d’une feuille d’aluminium qu’il avait trouvés à différents endroits dans l’atelier et qui appartenaient apparemment à l’employeur. Il a mis ces morceaux à côté des deux pièces de la rampe (pièces E-20, E-21) construites par le fonctionnaire s’estimant lésé. Le résultat de cet assemblage était, selon l’employeur, la reconstitution partielle de ce qui avait déjà été une grande feuille d’aluminium (4 pi sur 12 pi) qui appartenait apparemment à l’employeur.

Après avoir vu ce «casse-tête», je dois dire que même si certaines pièces utilisées par l’employeur pour le construire semblent bien s’imbriquer, on ne peut tirer aussi facilement la même conclusion concernant les pièces cintrées de la rampe (pièces E-20, E-21).

L’employeur s’est beaucoup appuyé sur la construction de ce casse-tête pour établir que le matériel utilisé dans la rampe était le même que les autres morceaux qu’avait ramassés Peter Laverie dans l’atelier et, par conséquent, qu’il provenait de la même feuille d’aluminium. Je demeure non convaincue. Même si les efforts faits par l’employeur pour reconstruire une feuille d’aluminium de 4 pi sur 12 pi constituaient sûrement une façon valable d’établir l’origine du métal, et même si ces efforts étaient pertinents et que j’en ai tenu compte pour arriver à une décision, le reste de la preuve [ou plutôt l’absence de preuve], ajouté au casse-tête fabriqué par Peter Laverie, ne Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 19 suffit pas pour me permettre de conclure que le métal utilisé par le fonctionnaire s’estimant lésé pour construire la rampe est du métal appartenant à Transports Canada.

Comme l’a mentionné l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé, il n’existe aucune preuve qu’on a procédé à une analyse chimique pour établir que le métal utilisé par le fonctionnaire s’estimant lésé provenait de la même feuille que le métal trouvé dans l’atelier et utilisé pour construire le casse-tête auquel est arrivé l’employeur.

Sans cette analyse, il ne reste plus qu’à chercher des marques d’identification sur les deux séries de morceaux de métal, qui établiraient un lien entre le métal utilisé par l’employeur et le métal utilisé par le fonctionnaire s’estimant lésé (évidemment, il faut supposer que le métal utilisé par l’employeur pour construire le casse-tête appartient à l’employeur : même sur ce point, autre que le témoignage de Peter Laverie on n’a pas établi que l’employeur était propriétaire de certains morceaux de métal utilisés pour la construction du casse-tête, auxquels on a ajouté la rampe du fonctionnaire s’estimant lésé).

Les témoins de l’employeur ont affirmé que le seul élément fiable qui pourrait confirmer que l’employeur était propriétaire d’un certain morceau de métal serait un numéro de «bordereau de réception» ou numéro «D» appelé également «numéro de traçabilité», qui apparaîtrait à plusieurs endroits sur le métal après son achat et sa réception par l’employeur. Nulle part trouve-t-on ce numéro sur le métal utilisé par le fonctionnaire s’estimant lésé pour construire sa rampe.

En outre, il n’y a même pas de numéro de lot sur l’aluminium produit par l’employeur ou sur l’aluminium utilisé par le fonctionnaire s’estimant lésé, ce qui nous permettrait au moins d’établir que le métal utilisé par les deux parties provenait du même lot.

Pour conclure, il n’a pas été établi que les morceaux de la feuille d’aluminium utilisés par le fonctionnaire s’estimant lésé pour construire sa rampe appartiennent à l’employeur.

En ce qui concerne les parties de cornière utilisées pour construire la rampe, l’une d’entre elles portait le même numéro de lot que le numéro de lot inscrit sur une Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 20 partie de cornière (pièce E-27) que l’employeur avait en sa possession. Cette preuve, bien qu’elle soit pertinente, ne suffit pas en soi pour établir que l’employeur est propriétaire de la cornière utilisée par le fonctionnaire s’estimant lésé. Les fabricants de cornières produisent un gros lot qu’ils vendent à divers fournisseurs qui, à leur tour, le vendent à leurs clients. Par conséquent, il est facilement concevable et, en fait, fort probable que plusieurs personnes seraient propriétaires de cornières provenant du même lot. Pour résumer, le fait que l’employeur et le fonctionnaire s’estimant lésé possédaient des cornières ayant le même numéro de lot n’est pas anormal, et il ne permet pas de trancher la question de la propriété de la cornière.

J’arrive maintenant à la preuve documentaire ou plutôt à son absence. La preuve documentaire déposée par les deux parties à l’audience laissait à désirer. De son propre aveu, le fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait produire de preuve documentaire pour appuyer sa prétention selon laquelle le matériel utilisé dans la rampe lui appartenait, et le seul reçu (pièce E-11) qu’il a présenté n’avait rien à voir avec le type de matériel qu’il a utilisé.

Par ailleurs, l’employeur a produit une preuve documentaire (pièce E-12) pour établir qu’il avait acheté de Ideal Metal Inc. la cornière portant le même numéro de lot que celui figurant sur la cornière utilisée par le fonctionnaire s’estimant lésé dans sa rampe (pièces E-20, E-21). Toutefois, à la fin il est devenu évident, à la lumière de la preuve documentaire (pièces G-2, G-3, G-4, G-5) produite par le fonctionnaire s’estimant lésé, que la preuve documentaire de l’employeur n’était pas fiable, en ce qu’elle avait trait à une cornière portant un numéro de lot différent (pièce G-4, numéro de lot 95-013-03) et provenant d’un fabricant différent, Reynolds Extrusion Company (pièce G-5), du numéro de lot (1057971EO) et du fabricant (EXAL) inscrits sur la cornière de l’employeur produite à l’audience.

Même si la preuve documentaire laisse à désirer des deux côtés, je suis consciente du fait qu’il appartenait à l’employeur de prouver qu’il était propriétaire du matériel utilisé par le fonctionnaire s’estimant lésé pour construire la rampe.

Pour résumer, après avoir examiné la preuve matérielle, testimoniale et documentaire, je conclus que l’employeur n’a pas établi qu’il était propriétaire du matériel utilisé par le fonctionnaire s’estimant lésé pour construire la rampe.

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Decision Page 21 Je remarque que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été congédié pour avoir travaillé à un «homer» (c.-à-d. avoir utilisé le matériel de l’employeur pour faire un projet personnel); en outre, même selon les propres témoins de l’employeur, travailler à des «homers» était une pratique tolérée par l’employeur. Je remarque également que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas caché le fait qu’il avait travaillé à sa rampe dans l’atelier, allant jusqu’à la laisser à son lieu de travail pour la nuit, à la vue de tous, avec une note portant son nom. Ces agissements ne sont pas, à mon avis, compatibles avec un comportement fourbe ou mensonger, et ils tendent à confirmer sa prétention qu’il n’a jamais commis d’écart de conduite.

Pour ces motifs, le grief est accueilli, le fonctionnaire s’estimant lésé doit être réintégré dans ses fonctions avec plein traitement et tous les avantages, et ce rétroactivement à la date de son licenciement, et toute mention de la prise de mesures disciplinaires doit être supprimée de son dossier. Je demeure saisie de l’affaire au cas l’exécution de la présente décision poserait des difficultés.

Marguerite-Marie Galipeau, président suppléant OTTAWA, le 17 février 1997

Traduction certifiée conforme Serge Lareau

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