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Résumé :

Compétence - Rétrogradation (révocation d'une affectation intérimaire) - Abus de pouvoir - Sanction pécuniaire - Gardien de prison - le fonctionnaire s'estimant lésé occupait à titre intérimaire, depuis deux ou trois ans, un poste classifié un niveau immédiatement au-dessus de son poste d'attache - après avoir reçu une pétition signée par 150 détenus, alléguant que le fonctionnaire abusait de son pouvoir, et après que le fonctionnaire eut fait l'objet à deux reprises de menaces de mort de la part de détenus, l'employeur a mené une enquête - l'enquêteur a conclu que le nombre de plaintes portées contre le fonctionnaire s'estimant lésé était de loin supérieur à la moyenne et que celui-ci ne faisait pas l'objet d'une surveillance adéquate par rapport à son interaction avec les détenus - l'enquêteur a notamment recommandé que l'on transfère le fonctionnaire à un autre pénitencier, où il lui serait plus facile d'améliorer ses relations avec les détenus - l'employeur a révoqué l'affectation intérimaire du fonctionnaire et l'a réaffecté à son poste d'attache, qui était à un autre endroit et qui ne comportait pas de rapports avec les détenus - le fonctionnaire a soutenu que la décision de l'employeur était de nature punitive, qu'elle lui avait causé un tort financier et qu'elle équivalait à une suspension - le fonctionnaire s'estimant lésé a maintenu que les questions ayant trait à l'abus de pouvoir étaient de nature disciplinaire - il a souligné qu'une lettre qu'il avait reçue de l'employeur qualifiait l'enquête de disciplinaire - l'employeur a fait remarquer que le fonctionnaire n'avait pas commis de faute de conduite - selon l'employeur, l'affaire portait sur le rendement du fonctionnaire, il ne s'agissait pas d'une question disciplinaire - l'employeur a maintenu que son action n'était pas de nature disciplinaire, mais administrative - l'employeur a souligné le fait que le fonctionnaire ne pouvait pas continuer d'occuper son poste à titre intérimaire à cause des menaces de mort qui avaient été proférées contre lui et parce qu'il n'y avait pas d'autre poste disponible au niveau des fonctions intérimaires qu'il remplissait - l'arbitre a conclu que la décision de l'employeur était de nature administrative et qu'il n'avait pas compétence pour instruire le grief - il a ajouté que l'employeur n'était nullement obligé de réaffecter le fonctionnaire à un poste au même niveau que celui qu'il occupait à titre intérimaire. Grief rejeté.

Contenu de la décision

Dossier : 166-2-27445 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE MICHAEL B. SMITH fonctionnaire s’estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Solliciteur général - Service correctionnel du Canada)

employeur

Devant: Joseph W. Potter, commissaire Pour le fonctionnaire s’estimant lésé: Francine Cabana, Alliance de la Fonction publique du Canada Pour l’employeur: Judith K. Begley, avocate Affaire entendue à Kingston (Ontario) les 8 et 9 septembre 1997.

DÉCISION Le 12 octobre 1995, M. Michael Smith, un agent correctionnel (CX-1), a contesté la révocation de son affectation intérimaire à titre de CX-2. Il a prétendu qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire qui a entraîné une sanction pécuniaire. La question que je dois trancher est de savoir si j’ai compétence pour entendre l’affaire puisque l’employeur a déclaré qu’il s’agissait d’une question d’administration seulement.

Pour faire la lumière sur ce point, l’employeur a déclaré que l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) définit le pouvoir d’un arbitre. Comme l’affaire ne concerne pas l’interprétation de la convention collective ni une question disciplinaire, l’employeur a fait valoir que je n’avais pas compétence pour l’entendre.

La position de l’agent négociateur a été que la révocation de l’affectation intérimaire a bel et bien entraîné une sanction pécuniaire et a été décrétée pour des motifs disciplinaires et que j’avais donc compétence.

J’ai indiqué que je réservais ma décision sur cette question jusqu’à ce que j’aie entendu les témoignages.

L’agent négociateur a déposé les pièces G-1 à G-6 par l’intermédiaire de son premier témoin, M. Michael Smith. J’ai ensuite entendu le témoignage de M. Leslie Veley, le vice-président régional de l’Alliance pour l’Ontario. Le témoin de l’employeur a été M. Helgi Enjolfsson, directeur de l’Établissement de Joyceville.

Les faits En 1992, M. Smith a commencé son affectation intérimaire en qualité d’agent correctionnel (CX) niveau 2 à l’Établissement de Joyceville, un pénitencier fédéral à sécurité moyenne. Auparavant, il occupait un poste de CX-1 au même endroit. Les parties ont convenu qu’elles ne contestaient pas le fait que les rapports de rendement de M. Smith au moment il a commencé son affectation intérimaire étaient positifs. La même chose vaut pour les rapports d’évaluation de 1992-1993 et 1993-1994 (comme l’indique la pièce G-2). L’affectation intérimaire a été renouvelée sans interruption jusqu’à sa révocation par la direction en octobre 1995.

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Décision Page 2 Un autre document intitulé « Rapport sur les aptitudes personnelles du candidat pour les postes d’agent correctionnel II » (pièce G-2) préparé par le superviseur de M. Smith en août 1994, dans lequel l’auteur s’interroge sur l’élément « bonnes relations interpersonnelles » et sur la « capacité de traiter efficacement avec des personnes d’origine ethnique, culturelle, religieuse, économique, linguistique différente ».

Puis, en août 1995, une pétition signée par quelque 150 détenus (pièce G-2) a été envoyée au directeur. Les détenus s’y plaignaient d’un abus de pouvoir de la part de M. Smith. Au cours du même mois, la direction a pris connaissance de deux menaces de mort proférées par deux détenus contre M. Smith. En raison de la gravité de la situation, on a mené une enquête pour évaluer les risques de danger pour le fonctionnaire s’estimant lésé et l’Établissement.

En ce qui concerne les allégations d’abus de pouvoir, M. Don Pyke, conseiller spécial du sous-commissaire, a été appelé le 24 août 1995 pour faire enquête. Il a mené son enquête et, le 26 septembre 1995, a remis un rapport intitulé « Enquête de sécurité concernant les allégations d’abus de pouvoir et le rendement de l’AC II intérimaire M. Smith » (pièce G-2).

L’enquêteur a conclu notamment que le nombre de plaintes des détenus contre M. Smith était très élevé par rapport à la moyenne de l’établissement. Il a aussi conclu, par ailleurs, que M. Smith ne faisait pas l’objet d’une surveillance adéquate pour ce qui est de son interaction avec les détenus. L’auteur a recommandé, entre autres, de muter M. Smith à un autre établissement il lui serait plus facile d’améliorer l’interaction avec les détenus.

Après la réception du rapport, M. G. Henderson, surveillant correctionnel à Joyceville, a écrit à M. Smith pour lui dire qu’il devait réintégrer son poste d’attache à compter du 11 octobre 1995 (pièce G-3). M. Smith a conclu que la décision de l’employeur était de nature disciplinaire et qu’elle avait entraîné une sanction pécuniaire du fait qu’il est passé d’un taux de rémunération de CX-2 à un taux de rémunération plus faible, soit celui de CX-1.

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Décision Page 3 Arguments La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que la décision de l’employeur était de nature punitive et qu’elle avait causé un préjudice financier au fonctionnaire. L’annulation de l’affectation comme CX-2 équivalait à une suspension, ce qui m’autorisait à assumer compétence aux termes de l’alinéa 92(1)b) de la LRTFP. La preuve mène à la conclusion que la décision de l’employeur était de nature disciplinaire. Le rapport d’enquête (pièce G-2) indique clairement qu’il est question d’abus de pouvoir et c’est une question disciplinaire. Il a été mis fin à l’affectation intérimaire du fonctionnaire s’estimant lésé à la suite du rapport comme l’indique la note de service du 11 octobre 1995 qu’il a reçue (pièce G-3). La pièce G-4 était une lettre datée du 20 août 1996 que M. Karl Niemann, de Service correctionnel Canada, a envoyée à la Commission des accidents du travail et dans laquelle il est précisé que l’enquête était de nature disciplinaire. La représentante m’a exhorté à conclure que la décision était de nature disciplinaire, à assumer compétence et à mettre l’affaire au rôle en vue de l’entendre sur le fond.

La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé m’a renvoyé aux décisions suivantes : MacLean (166-2-22580); Guay (166-2-24899); Gaw (166-2-3292); Nolan (166-2-25229); Marchand et Segall (166-2-25869 et 25870) et Massip v. Canada (1985) 61 N.R. 114.

L’avocate de l’employeur a affirmé qu’il n’y avait pas eu de mauvaise conduite de la part de l’employé et que ses actions n’avaient rien de répréhensible. Par conséquent, la mesure prise par l’employeur ne pouvait être qualifiée de disciplinaire. Il s’agit d’un problème de rendement lié à la personnalité de M. Smith, et la direction l’a réglé en prenant une décision administrative, ce qu’elle est autorisée à faire.

À cause des menaces de mort proférées contre lui, M. Smith ne pouvait pas retourner à son unité il était en contact avec les détenus. M. Smith a lui-même reconnu ce fait. Vu l’absence de preuve additionnelle indiquant que d’autres postes de niveau CX-2 étaient disponibles et vu que le syndicat a le fardeau de la preuve en l’occurrence, il est impossible de conclure qu’une simple mutation peut faire l’objet d’une audience.

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Décision Page 4 L’enquêteur a recommandé de muter M. Smith à un autre établissement et, en fait, c’est ce qui s’est produit après l’annulation de l’affectation intérimaire. La décision était fondée sur les conclusions du rapport selon lequel la majorité des détenus avait pris M. Smith en aversion, ce qui aurait des conséquences pour sa sécurité. L’enquêteur a aussi conclu qu’il y avait lieu de s’interroger sur les aptitudes de M. Smith à traiter efficacement avec les détenus, et c’est ce qui a pu jouer dans les circonstances.

Vu le rapport de l’enquêteur, l’employeur se devait de prendre une décision. M. Smith ne pouvait pas retourner à un poste il serait en contact avec les détenus d’où la décision de le ramener à son poste d’attache lequel ne comportait pas de contact avec les détenus. L’employeur n’avait pas à créer de postes au niveau CX-2 alors qu’il pouvait ramener M. Smith à son poste d’attache. L’employeur a pris une décision administrative et, cela étant, l’avocate m’a exhorté à conclure que je n’avais pas compétence pour entendre l’affaire sur le fond.

Décision En vue de répondre à la question de savoir si j’ai compétence ou non pour entendre l’affaire, je dois d’abord examiner le sous-alinéa 92(1)b)(i) de la LRTFP, qui se lit comme suit : 92. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

[...] b) dans le cas d’un fonctionnaire d’un ministère ou secteur de l’administration publique fédérale spécifié à la partie I de l’annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire,

Cela signifie que je dois conclure qu’il y a eu mesure disciplinaire et que cette mesure a entraîné une sanction pécuniaire.

Après avoir examiné les faits de l’affaire, je conclus que je n’ai pas compétence pour entendre le grief. Aux termes de la procédure administrative, l’employeur a affecté M. Smith dans un poste intérimaire de niveau CX-2. Rien ne lui garantirait qu’il

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Décision Page 5 y demeurerait intérimaire indéfiniment. Des inquiétudes ont été notées concernant certains aspects du rendement de M. Smith, mais ce n’est qu’après la signature d’une pétition par quelque 150 détenus qu’on a entrepris une enquête. La pétition alléguait un abus de pouvoir.

L’enquête a indiqué qu’un nombre anormalement élevé de détenus se plaignaient de M. Smith. J’accepte cette conclusion au vu de celle-ci puisque les plaintes pourraient être une réaction à l’extrêmeme vigilence et à la très grande efficacité d’un employé. Toutefois, l’enquêteur a conclu que certaines plaintes étaient fondées. J’ai noté que l’enquêteur conclut également que les capacités de gestionnaire de M. Smith laissaient à désirer. Il a été recommandé de le muter dans un endroit il pourrait corriger ses lacunes. L’employeur avait donc le choix entre trouver d’autres postes de niveau CX-2, ramener M. Smith au niveau CX-1 ou prendre toute autre mesure qui lui permettrait de régler ce problème. Que je sois d’accord ou non avec la décision de l’employeur de révoquer une affectation intérimaire n’est pas la question à moins que l’on puisse démontrer que la mesure prise était de nature disciplinaire. Rien n’indique que c’était le cas. Tous, y compris le fonctionnaire s’estimant lésé, ont convenu qu’il ne pouvait retourner à son unité il avait reçu des menaces de mort. L’employeur se devait de lui trouver d’autres tâches et il l’a fait en le ramenant à son poste d’attache et en l’affectant à des tâches qui ne le plaçaient pas en contact avec les détenus.

Dans l’ouvrage de MM. Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, (troisième édition), aux pages 7-157, 7:4210, les auteurs donnent leur point de vue sur la question disciplinaire : [traduction] [...] le premier motif d’une mesure disciplinaire est la mauvaise conduite, et le but est de sévir. D’autres arbitres ont déclaré que le terme discipline désigne généralement tout « type de mesure prise par un employeur qui constitue une réaction à un comportement jugé répréhensible et susceptible d’être corrigé par l’imposition d’une mesure disciplinaire quelconque » [...]

En l’occurrence, on ne m’a pas démontré que le fonctionnaire s’estimant lésé avait eu un comportement répréhensible. On m’a toutefois démontré qu’une mesure administrative avait été prise par l’employeur suite à deux menaces de mort ainsi qu’à une allégation d’abus de pouvoir. Le prétendu abus de pouvoir est attribuable au fait Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 6 que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas les qualités voulues pour traiter efficacement avec les détenus. La réaction de l’employeur a été de le ramener à son poste d’attache et de l’affecter à des tâches ne posant aucun risque. Bien que l’employeur ait pu l’affecter à un autre poste de niveau correspondant à celui du poste intérimaire, il n’était pas obligé de le faire. La preuve n’étaye pas l’allégation selon laquelle la mesure prise par l’employeur était une mesure disciplinaire. Par conséquent, je ne peux avoir compétence dans l’espèce.

Joseph W. Potter, commissaire

OTTAWA, le 22 septembre 1997.

Traduction certifiée conforme Serge Lareau

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