Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Délai - Demande de déposer un grief en vertu de l'article 63 du Règlement et règles de procédure de la CRTFP (1993) - Compétence - Grief présenté après le rejet par la Cour fédérale d'une action découlant du licenciement - Circonstances ayant donné lieu au grief remontant à 13 ans - en avril 1996, le fonctionnaire s'estimant lésé a déposé un grief demandant des dommages-intérêts découlant de son congédiement en 1982 - en 1983, le fonctionnaire s'estimant lésé avait déposé des griefs exigeant des dommages-intérêts à la suite de son congédiement au titre notamment de la perte de sa maison et d'occasions ratées de faire des heures supplémentaires - les griefs ont été rejetés - par conséquent, le fonctionnaire s'estimant lésé a engagé une action en dommages-intérêts devant la Cour fédérale qui a finalement été rejetée en 1994 au motif que le seul recours possible pour le fonctionnaire s'estimant lésé consistait à renvoyer l'affaire à l'arbitrage en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique - le fonctionnaire s'estimant lésé a donc déposé un grief en avril 1996 réclamant des dommages-intérêts - l'employeur a contesté la compétence de l'arbitre pour plusieurs motifs, dont l'expiration des délais - le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas demandé d'autorisation de déposer un grief avant l'audience - l'arbitre a estimé que l'objet du grief en cause était le même que celui des griefs de 1983 - même en supposant que l'arbitre pourrait agir au nom de la Commission et entendre la demande en vertu de l'article 63, la demande est irrecevable sur le fond compte tenu du caractère tardif des griefs du fonctionnaire s'estimant lésé. Grief rejeté. Décisions citées: Coleman (149-2-26); Rattew (149-2-107); Miller (149-2-149) et Weber v. Ontario Hydro (1995), 95 C.L.L.C. 141 231 (C.S.C.).

Contenu de la décision

Dossier: 166-2-27258 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE JOHN QUIGLEY fonctionnaire s'estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Citoyenneté et Immigration Canada)

employeur

Devant: P. Chodos, président suppléant Pour le fonctionnaire s'estimant lésé: Lui-même Pour l'employeur: Roger Lafrenière, avocat Affaire entendue à Toronto (Ontario), les 9 et 10 septembre 1996.

Decision Page 1 DÉCISION M. Quigley a prétendu déposer un grief daté du 2 avril 1996, libellé comme suit :

[traduction] Je conteste la décision de l’employeur de refuser de considérer ou de régler les questions que devait aborder la Cour fédérale du Canada, dossier de la Cour 1007-85, comme l’avait convenu le Conseil du Trésor dans ses observations devant la Cour fédérale.

M. Quigley demande le redressement suivant : [traduction] Qu’on me verse tous les dommages-intérêts auxquels j’ai droit; que toutes les autres questions soient réglées à ma satisfaction; que je sois présent à l’audience au dernier palier de la procédure.

L’employeur a répondu à M. Quigley que, selon lui, le grief n’était pas valable, notamment parce qu’il avait été présenté en dehors des délais prescrits dans la convention collective pertinente. M. M.J. Molloy, la personne autorisée à répondre au grief au deuxième palier, a écrit à M. Quigley le 10 mai 1996 pour lui dire que son grief serait traité comme une plainte plutôt que comme un grief valable. M. Molloy a précisé dans sa lettre « [...] qu’il s’agissait de questions remontant à 1982 et 1983 au sujet desquelles vous avez déjà déposé un grief (On-83-880) concernant les dommages-intérêts découlant de votre licenciement en 1982. Le grief en question a été rejeté au dernier palier et n’a jamais été renvoyé à l’arbitrage. » Le 6 mai 1996, avant de recevoir la lettre de M. Molloy, M. Quigley a saisi la Commission de son grief par le biais de la Formule 14 intitulée Renvoi à l’arbitrage. L’employeur a informé la Commission qu’il s’opposait à ce que celle-ci assume compétence dans cette affaire, position qu’il a réitérée à l’audience. L’arbitre soussigné a accepté d’entendre la preuve et les arguments des parties au sujet de l’exception déclinatoire de compétence, et de se prononcer sur cette question avant d’instruire le grief sur le fond, le cas échéant.

Les faits relatifs à la question de la compétence ne sont pas contestés, et les parties se sont contentées de se fonder uniquement sur la preuve documentaire. Les événements qui nous intéressent datent d’environ 14 ans. En 1982, M. Quigley a été

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Decision Page 2 licencié par son ministère prétendument pour mauvaise conduite. Il a déposé un grief et a aussi demandé à la Cour fédérale d’émettre un bref de certiorari. Dans une décision datée du 22 février 1983, le juge Mahoney de la Cour fédérale a annulé la décision du sous-ministre de congédier M. Quigley. Une fois réintégré à la suite de la décision de la Cour fédérale, M. Quigley a déposé deux griefs (On-83-879, 880) réclamant certains chefs de dommages-intérêts découlant de son licenciement ainsi que le remboursement de ses frais judiciaires (voir la pièce E-3). L’employeur a répondu aux griefs à tous les paliers de la procédure, y compris au quatrième, et rejeté la demande d’indemnisation additionnelle. M. Quigley a cessé toute démarche relative à ses griefs et a plutôt saisi la Cour fédérale d’une Déclaration en 1985 (pièce E-10) en vue d’obtenir des dommages-intérêts pour les pertes qu’il aurait censément subies à la suite de son licenciement. L’affaire a été instruite par Madame la juge Tremblay-Lamer en octobre 1994. Avant l’audience, Madame la juge a fait part aux parties de ses préoccupations au sujet de la compétence de la Cour de statuer sur l’action en dommages et intérêts vu les circonstances de l’affaire. Elle a invité les parties à exposer leur position relative à la compétence de la Cour, ce que ces dernières ont fait le 18 octobre 1994. À cette occasion, l’avocat de l’employeur a présenté les arguments suivants sur lesquels s’appuie M. Quigley pour étayer sa demande actuelle (pièce E-12, transcription des débats, page 9) :

[traduction] M. Quigley a été licencié. Quelqu’un a pris la décision de le licencier. Cette décision a eu des conséquences, notamment la perte de salaire, la perte d’heures supplémentaires et les autres conséquences auxquelles il prétend.

Il aurait pu à ce moment-là déposer un grief et le renvoyer à l’arbitrage. En arbitrage, il aurait pu obtenir sa réintégration, se faire rembourser ses heures supplémentaires, s’il était déjà rendu au troisième palier en décembre et que l’audience était imminente, ses autres pertes auraient été uniformes et il n’aurait pas eu à engager de frais judiciaires puisque la représentation aurait été minime.

Il a préféré demander à la Cour fédérale d’annuler la décision de le licencier. Ainsi, si nous faisons abstraction de la décision à l’origine des conséquences susmentionnées, la décision n’existe pas, mais les conséquences, elles, demeurent, et cela semble être la façon dont est présentée cette affaire,

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Decision Page 3 mais le motif est toujours le licenciement, la cessation illégale de son emploi.

Nous ferions valoir que ces conséquences peuvent être examinées dans le cadre de la procédure d’arbitrage. Le libellé de l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique est suffisamment général, à mon avis, pour englober toute réclamation relative à ces différentes conséquences.

En tout état de supplémentaires est une conséquence directe du licenciement, et M. Quigley aurait pu, à ce sujet, déposer un grief et le renvoyer à l’arbitrage.

Assurément, même dans l’affaire de Mercado ou quelque chose comme des dommages-intérêts pour les souffrances morales faisait partie de la réclamation, la décision en l’espèce a été que cette question aurait dû, elle aussi, être renvoyée à l’arbitrage. Rien n’empêchait M. Quigley de soulever également cet aspect de sa réclamation dans le cadre des procédures applicables aux griefs et à l’arbitrage de griefs.

D’après ce raisonnement, par conséquent, je dirais, en réponse à la question posée par votre Seigneurie, qu’effectivement la Cour n’a pas compétence pour instruire cette affaire. M. Quigley aurait épuiser les autres recours à sa disposition ailleurs.

Madame la juge Tremblay-Lamer a conclu que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour se saisir de l’action en dommages-intérêts de M. Quigley. Elle a donc rejeté la réclamation (voir le jugement de la Cour daté du 19 octobre 1994, dossier de la Cour : T-1007-85). Le 7 août 1995, M e Thomas Kelsey, l’avocat de M. Quigley, a écrit au ministère de la Justice pour savoir si, vu les arguments exposés devant la Cour fédérale, l’employeur [traduction] « [...] accepterait de renvoyer tout le dossier à l’arbitrage »? Sa requête serait restée lettre morte, d’où le présent grief.

Il y a lieu de faire remarquer que, le 10 août 1988, pour des motifs non liés à son licenciement en 1982, M. Quigley a de nouveau été licencié de la fonction publique. Ce licenciement a fait l’objet d’une décision arbitrale rendue par le soussigné le 28 mars 1989 (dossier de la Commission : 166-2-18034); le grief de M. Quigley a été rejeté. Ce dernier ne fait donc plus partie de la fonction publique fédérale depuis 1988. Commission des relations de travail dans la fonction publique

cause, la perte d’heures

Decision Page 4 Argumentation L’avocat de l’employeur a présenté un exposé des faits et du droit; un résumé succinct de l’argumentation de l’employeur se trouve à la page 6 de ce document :

[traduction] A) M. Quigley est-il un fonctionnaire? 18. L’article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique définit un fonctionnaire comme étant une personne employée dans la fonction publique. Le fonctionnaire a le droit, aux termes de l’article 91, de présenter un grief et, aux termes de l’article 92, de le renvoyer à l’arbitrage. À l’époque M. Quigley a présenté le grief dont il est question ici (le 2 avril 1996), il n’était plus fonctionnaire depuis presque huit ans et n’avait donc pas droit de présenter de grief ou de le renvoyer à l’arbitrage.

B) Respect de la procédure de règlement des griefs 19. Tant la convention collective que les articles 91 et 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique exigent qu’un fonctionnaire épuise tous les recours de la procédure de règlement des griefs avant de renvoyer son grief à l’arbitrage. Il n’existe aucune preuve indiquant que M. Quigley ait respecté la procédure de règlement des griefs. Dans le Renvoi à l’arbitrage (Formule 14) qu’il a déposé, il laisse croire que son grief a été présenté au premier palier de la procédure le 2 avril 1996 et qu’il l’a aussi présenté au dernier palier de la procédure le même jour. Cette formule est la preuve prima facie qu’il n’a pas respecté la procédure de règlement des griefs.

C) Approbation de l’agent négociateur 20. Le grief soulève des questions de dommages-intérêts comme on peut le lire dans l’action entreprise devant la Cour fédérale. Le redressement demandé comprend la perte d’heures supplémentaires, question qui relève de la convention collective. Les paragraphes 91(2) et 92(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique stipulent que les griefs ayant trait à la convention collective doivent être approuvés par l’agent négociateur intéressé et que ce dernier doit accepter de représenter le fonctionnaire à l’arbitrage. M. Quigley n’a satisfait ni à l’une ni à l’autre de ces conditions.

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Decision Page 5 D) Respect des délais 21. Tant les conventions collectives que les Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. prévoient des délais à respecter quant à la présentation d’un grief et à son cheminement aux divers paliers de la procédure de règlement des griefs. En règle générale, un grief doit être présenté au premier palier de la procédure au plus tard le vingt-cinquième (25 e ) jour après la date à laquelle le fonctionnaire est avisé verbalement ou par écrit ou a connaissance de l’action ou des circonstances à l’origine du grief. Le présent grief a clairement été déposé en dehors des délais prescrits étant donné que l’employeur a communiqué sa décision par écrit le 14 juillet 1983.

22. En vertu de l’article 63 des Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., il est possible de déroger aux délais prescrits aux termes d’une convention collective ou de la Loi. Cet article habilite la Commission à prolonger le délai de présentation d’un grief. Or, M. Quigley n’a pas demandé de prolongation même après que l’employeur eut soulevé cette question dans une lettre qu’il lui a envoyée en date du 10 mai 1996, ainsi que dans une lettre adressée à la Commission en date du 27 mai 1996.

E) Abandon du grief 23. Un grief est considéré comme ayant été abandonné lorsqu’il y a inaction totale indiquant l’absence d’intention de continuer les démarches. L’abandon d’un grief constitue un empêchement à l’arbitrage d’un second grief traitant de la même question. En 1983, M. Quigley a omis de renvoyer à l’arbitrage le grief dans lequel il réclame des dommages-intérêts. Il n’a plus le droit de le reprendre ou de le présenter de nouveau en utilisant le même libellé.

En réponse aux arguments de l’employeur, M. Quigley a fait valoir ce qui suit. Il a maintenu qu’il était en fait un fonctionnaire lorsqu’il a été licencié en 1982 et lorsqu’il a contesté ce licenciement et demandé des dommages-intérêts et le remboursement de ses frais judiciaires. Il a fait remarquer qu’il ne se fondait pas sur les observations de l’avocat du ministère de la Justice mais plutôt sur les questions découlant de son licenciement en 1982; il a toutefois indiqué que les observations faites devant la Cour fédérale en 1994 constituaient, à son avis, une offre de bonne foi d’autoriser que soient soumise à la Commission des relations de travail dans la fonction publique les questions qu’il avait soulevées dans l’action en dommages et intérêts.

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Decision Page 6 M. Quigley a aussi soutenu qu’il avait en fait respecté la procédure de règlement des griefs en 1983; il avait toutefois conclu, à ce moment-là, qu’une action en dommages-intérêts devant la Cour fédérale était la voie appropriée pour obtenir réparation. Ce n’est qu’à la suite du jugement de 1994 que les parties ont appris qu’elles s’étaient trompées de tribunal, a-t-il indiqué. Il a cité l’arrêt de la Cour suprême dans Weber c. Ontario Hydro (1995), 95 CLLC 141,231, à l’appui de la proposition qu’un fonctionnaire, dans des circonstances analogues aux siennes, ne devrait pas se voir refuser réparation et devrait avoir accès à l’arbitrage en cas de conflit relatif à son emploi. Il a précisé que même le ministère de la Justice n’avait pas soulevé la question de compétence concernant son action en dommages-intérêts devant la Cour fédérale.

En ce qui concerne le respect des délais, M. Quigley a fait valoir qu’il n’avait jamais indiqué avoir eu l’intention de contourner ces points ou de les laisser tomber; il a plutôt choisi une autre voie, et ce qu’il croyait alors être le recours le plus approprié, en soulevant la question devant les tribunaux au lieu de renvoyer ses griefs à l’arbitrage. Il a également fait remarquer que les griefs avaient été déposés dans les délais prescrits en 1983, à l’exception du renvoi à l’arbitrage. M. Quigley a déclaré qu’il voulait obtenir une prolongation du délai aux termes de l’article 63 du Règlement de la Commission. À l’appui de cette requête, il a fait remarquer que, même s’il s’était écoulé 14 ans depuis le dépôt de ses griefs en 1982, le délai n’a causé de préjudice qu’à une seule personne, lui-même. Le règlement de cette affaire ne repose pas sur la mémoire de témoins, mais uniquement sur des documents auxquels on peut facilement avoir accès. M. Quigley a aussi fait valoir qu’il n’avait pas besoin de l’approbation de son agent négociateur étant donné qu’il s’agit d’un cas de licenciement et non pas d’interprétation de la convention collective.

M. Quigley a de plus souligné le fait qu’il avait fait preuve de diligence, à la suite de la décision de la Cour en 1994, pour convaincre l’employeur de renvoyer l’affaire à la Commission des relations de travail dans la fonction publique; c’est l’absence de réponse de l’employeur seulement qui l’a amené à s’adresser à la Commission par le biais du grief déposé en 1996. Il ne s’agit pas ici d’un nouveau grief, selon lui, mais d’un renvoi à l’arbitrage du premier différend remontant à 1983,

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Decision Page 7 et la formule de grief déposée en 1996 n’était qu’un moyen de porter l’affaire à l’attention de la Commission.

En réponse aux arguments de M. Quigley, M e Lafrenière a soutenu qu’à la lecture des pages 6 et 7 de la transcription des débats de 1994 (pièce E-12), on constate que M. Quigley avait l’intention d’abandonner les griefs déposés en 1983; il a consciemment choisi une autre voie. L’avocat a également fait remarquer que, depuis la décision de 1994, il n’existe aucun élément de preuve qui expliquerait pourquoi M. Quigley n’a pas respecté les délais prescrits. M e Lafrenière a fait valoir que, par le grief actuel, M. Quigley tente de reprendre le grief de 1983. On ne peut reprendre un grief en en déposant un nouveau; il faut en fait présenter une demande de prolongation du délai. Dès le début de 1996, M. Quigley savait fort bien que l’employeur estimait que le grief actuel était hors délai. Malgré cela, M. Quigley n’a pas cherché à présenter une demande de prolongation de délai à la Commission. L’avocat de l’employeur a maintenu que l’arrêt Weber (précité) ne donne pas rétroactivement le droit d’aller en arbitrage. Le fait que M. Quigley se soit rendu compte de l’erreur commise en 1983 en n’allant pas en arbitrage n’est pas un motif justifiant la reprise de ce grief. M e Lafrenière a soutenu que les procédures de règlement des griefs et d’arbitrage doivent avoir une fin à un moment donné. À l’appui de ses arguments, il a cité l’ouvrage de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, troisième édition, paragraphe 2:3230.

Motifs de décision Essentiellement, M. Quigley soutient que les griefs qu’il a déposés en 1983, il réclame des dommages-intérêts et le remboursement de ses frais judiciaires, devraient être entendus en arbitrage compte tenu du jugement de la Cour fédérale rendu en 1994 selon lequel la Cour n’avait pas compétence pour instruire une action en dommages-intérêts relativement à ces questions. On ne conteste pas le fait que l’objet du grief actuel est identique à celui des griefs qui ont été déposés en 1983. En fait, M. Quigley reconnaît volontiers que son unique objectif, en déposant le grief de 1996 et la Formule 14, était de saisir la Commission des questions soulevées dans les griefs de 1983.

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Decision Page 8 M. Quigley cherche à étayer son cas en invoquant les observations faites devant la Cour fédérale par l’avocat du ministère de la Justice, soit que les questions dont on a saisi la Cour relèvent davantage de la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Je ne considère pas qu’il s’agit d’une offre faite par l’employeur de saisir rétroactivement la Commission de ces questions. De plus, Madame la juge Tremblay-Lamer n’a pas rejeté la réclamation de M. Quigley au motif que l’employeur réglerait la question par le biais de la procédure de règlement des griefs. Quoi qu’il en soit, les observations de l’avocat ne peuvent servir de fondement pour déposer un nouveau grief distinct des premiers griefs présentés en 1983, époque se sont produits les faits à l’origine de ces griefs. Par conséquent, il faut déterminer si les griefs de 1983 peuvent maintenant être instruits par un arbitre aux termes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. M. Quigley a reconnu qu’il avait décidé de ne pas renvoyer son grief en arbitrage, croyant qu’il serait plus approprié ou avantageux de s’adresser à la Cour fédérale.

Assurément, un des obstacles que doit surmonter M. Quigley, vu les circonstances de l’affaire, est la question du respect des délais. Le moins que l’on puisse dire est que les délais prescrits par la convention collective pertinente et le Règlement de la Commission sont depuis longtemps écoulés. Au cours de l’audience, M. Quigley a demandé à la Commission d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en vertu de l’article 63 pour le soustraire à l’application des dispositions relatives aux délais. Abstraction faite de la question de savoir si un commissaire, siégeant à titre d’arbitre, peut examiner une demande présentée en vertu de l’article 63 et si une telle demande peut être instruite sans préavis approprié à l’employeur, à mon avis il n’existe aucun motif sur lequel pourrait se fonder la Commission pour exercer le pouvoir qui lui est conféré en vertu de l’article 63 du Règlement. On s’attend à ce qu’un fonctionnaire qui dépose un grief respecte les délais prescrits aux termes des procédures applicables aux griefs et à l’arbitrage de griefs; l’article 63 autorise la Commission à relever quelqu’un de l’application stricte de ces délais, mais si elle exerçait aveuglément ce pouvoir, la disposition en question aurait tôt fait de perdre tout son sens, ce qui nuirait, en bout de ligne, à l’ensemble des procédures applicables aux griefs et à l’arbitrage. Par conséquent, la Commission, saisie d’une demande aux termes de l’article 63, doit déterminer s’il existe des circonstances spéciales justifiant son intervention. Un aspect important à considérer

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Decision Page 9 est la question de savoir s’il y a eu diligence raisonnable même si les délais n’ont pas été respectés; évidemment, la durée du délai pèse énormément dans la réponse à cette question. En l’occurrence, le retard a été d’une durée que l’on pourrait qualifier d’assez exceptionnelle. L’unique raison fournie à cet égard était que M. Quigley croyait qu’il pouvait obtenir un redressement ailleurs. Même en acceptant que ce soit un motif suffisant pour que la Commission exerce son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 63, il n’existe absolument aucune preuve qui expliquerait, premièrement, pourquoi la Déclaration n’a été déposée qu’en 1985 et, deuxièmement, pourquoi l’action n’a pas été entendue avant 1994. Selon moi, il incombait à M. Quigley, à titre de requérant aux termes de l’article 63, de fournir certaines explications concernant ce retard; il ne l’a pas fait.

Je crois que la décision de la Commission dans l’affaire Coleman (dossier de la Commission : 149-2-26) est intéressante et comporte certains parallèles avec celle qui nous occupe. L’affaire en question concernait également une demande de prolongation des délais prévus dans le Règlement de la Commission. En l’espèce, le requérant avait été licencié et demandait l’autorisation de présenter un grief huit mois après l’expiration des délais prescrits; l’employeur avait concédé que le retard mis par le fonctionnaire à déposer son grief ne nuirait pas à l'exposé de ses arguments. En rejetant la requête, le président suppléant d’alors, M. Kates, a déclaré ce qui suit :

(page31) En examinant les preuves, la Commission a conclu que les raisons avancées par M. Coleman pour justifier son retard à présenter un grief (en supposant qu’il a agi avec promptitude entre juillet et octobre 1979) ne constituaient pas une excuse digne de foi et qui lui permette d’accéder à sa demande de prolongation. Les preuves indiquent que M. Coleman n’a pas omis de présenter un grief en raison de son ignorance ou de sa négligence, mais parce que, vers le 16 janvier, il avait pris la décision consciente et préméditée de renoncer à présenter un grief selon la procédure prescrite. La Commission est convaincue que M. Coleman avait un motif légitime pour présenter un grief à ce moment et qu’il a consciemment et volontairement résolu d’abandonner ses droits en négligeant d’exploiter à son avantage la procédure à laquelle il aurait pu avoir recours. Ce n’est que lorsque le demandeur a appris qu’il était acquitté qu’il a changé d’avis. Entretemps, il avait toutefois, par sa conduite, renoncé à s’opposer aux mesures de l’employeur concernant son statut d’employé.

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Decision Page 10 [...] Bref, l’employé s’estimant lésé a résolu dès janvier 1979, de renoncer à présenter un grief et, à la suite de cette décision, il n’a plus la possibilité de tenter de se prévaloir d’un droit auquel il avait renoncé.

Voir aussi les décisions de la Commission dans Rattew (dossier de la Commission : 149-2-107) et Miller (dossier de la Commission : 149-2-149).

M. Quigley soutient qu’il n’a jamais renoncé à essayer d’obtenir le paiement de dommages-intérêts; toutefois, il existe une distinction importante entre, d’une part, faire valoir une réclamation et, d’autre part, chercher un redressement. Bien que M. Quigley n’ait peut-être pas renoncé à son action en dommages-intérêts, une personne raisonnable aurait conclu dans les circonstances qu’il avait effectivement abandonné ses griefs. Il savait fort bien que les procédures de grief et d’arbitrage lui étaient accessibles. Il n’est pas rare qu’un fonctionnaire maintienne un grief jusqu’au dernier palier puis décide de ne pas le renvoyer à l’arbitrage. Lorsqu’un fonctionnaire décide de ne pas se prévaloir de l’arbitrage dans les délais prescrits, particulièrement lorsqu’il ne manifeste aucune intention de le faire pendant 13 ans, l’employeur a le droit de supposer qu’il y a eu abandon du grief. Je conviens avec M e Lafrenière qu’il est dans le meilleur intérêt des relations de travail que l’exercice du droit de présenter un grief aux termes de la convention collective et de la Loi soit soumis à un délai. Si l’on ne peut conclure dans les circonstances en cause que les griefs ont été abandonnés, il y a lieu de se demander dans quelles circonstances cela devrait se produire.

M. Quigley est sans aucun doute déçu qu’une autre possibilité de redressement lui soit enlevée, mais cela résulte d’un choix qu’il a lui-même fait en 1983. Je ne crois pas que l’arrêt Weber (précité) ne soit de quelque secours à M. Quigley. En résumé, la Cour suprême a déclaré en l’espèce que dans un cas de différend issu d’une question liée à l’emploi, la tribune appropriée pour régler ce différend est l’arbitrage prévu en vertu de la convention collective pertinente. En fait, la présente décision ne fait que souligner et confirmer la conclusion de Madame la juge Tremblay-Lamer, soit que la Cour n’a pas compétence pour instruire une action en dommages-intérêts dans les présentes circonstances. Il n’autorise pas, cependant, un fonctionnaire s’estimant lésé

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Decision Page 11 à reprendre un grief qu’il avait décidé de ne pas renvoyer à l’arbitrage quelque 13 ans auparavant.

Pour les motifs ci-dessus, il n’est pas fait droit au grief à défaut de compétence.

P. Chodos, président suppléant

OTTAWA, le 1 er octobre 1996. Traduction certifiée conforme

Serge Lareau

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