Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement - Suspension de durée indéterminée - Inspectrice des douanes impliquée dans de la contrebande - Preuve - Admissibilité en preuve de transcriptions d'écoute électronique effectuée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) - Crédibilité - la fonctionnaire s'estimant lésée, inspectrice des douanes, s'est vu suspendue pour une période indéfinie suite à une enquête sur la contrebande et s'est vu licenciée une fois l'enquête achevée - la preuve était constituée en partie de transcriptions d'écoute électronique de collègues de la fonctionnaire effectuée par la GRC - malgré l'objection de la fonctionnaire quant à l'admissibilité de cette preuve du fait qu'elle constituait du ouï-dire, l'arbitre l'a admise en se fondant sur les articles 25 c) et 96.1 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui permettent l'introduction de preuve admissible ou non en justice - la preuve a établi que la fonctionnaire avait accepté de l'argent d'un ou deux collègues en contrepartie de «considérations futures», bien que la fonctionnaire et l'employeur ne s'entendissent pas sur le sens de cette expression - l'arbitre a remis en question les explications parfois contradictoires de la fonctionnaire et a ainsi conclu que la version des événements présentée par l'employeur était plus crédible - l'arbitre a conclu que la fonctionnaire a manqué à son serment d'office, à ses obligations d'agent de la paix et n'a pas respecté ses fonctions telles que décrites dans sa description d'emploi - malgré les 21 ans de service et le dossier disciplinaire vierge de la fonctionnaire, son licenciement fut maintenu. Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Dossiers: 166-2-27307 166-2-27308

Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE MANON ROSE fonctionnaire s'estimant lésée et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Revenu Canada, Douanes et Accises)

employeur

Devant: Marguerite-Marie Galipeau, président suppléant Pour la fonctionnaire s'estimant lésée: Pierre Boulé, avocat Pour l'employeur: Agnès Lévesque, avocate Affaire entendue à Montréal (Québec), les 21, 22, 23, 24 et 25 octobre 1996.

Decision Page 1 DÉCISION Cette décision est rendue suite à l'audition de deux griefs renvoyés à l'arbitrage par Manon Rose, Inspectrice des douanes (PM-01). Jusqu'à son licenciement, Manon Rose travaille pour le compte du ministère Revenu Canada, Douanes et Accises au Grand Établissement Postal («G.E.P.») St-Laurent (Québec).

Le 2 mai 1995, Manon Rose est suspendue pour une période indéfinie en attendant les résultats d'une enquête menée par la Division des affaires internes du ministère au sujet de son «implication dans un dossier de contrebande».

Le 23 août 1995, Manon Rose est licenciée (pièce E-22) pour les motifs suivants: Suite à ma lettre du 2 mai 1995, l'enquête dont vous avez fait l'objet est maintenant terminée. Les renseignements recueillis démontrent que vous étiez au courant du trafic de narcotiques effectué par vos confrères de travail, Daniel Drapeau et Manuel Soares. De plus, le fait d'avoir accepté de l'argent de ceux-ci, en échange de considérations futures, vous rend complice de ce réseau d'importation de narcotiques.

Les griefs visent l'annulation de ces deux décisions. À la demande du procureur de Manon Rose, les témoins ont été exclus de la salle d'audience.

PREUVE Voici, en résumé, les grandes lignes de cette affaire. En 1994, la Gendarmerie royale du Canada («G.R.C.») amorce une enquête sur un réseau de trafic de drogues. L'enquête est axée sur les activités d'une organisation criminelle oeuvrant à partir de St-Sauveur et de Piedmont. Les membres de cette organisation trempent dans l'importation de cocaïne en provenance de la République Dominicaine.

En cours d'enquête, la G.R.C. met au jour l'existence d'une deuxième organisation dont certains membres sont inspecteurs de douanes. Il s’agit d’employés qui travaillent au Grand Établissement Postal St-Laurent (le «G.E.P.»).

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Decision Page 2 Plusieurs personnes sont arrêtées et accusées d'infractions au Code criminel. Parmi elles, deux collègues de travail de Manon Rose, c'est-à-dire, l'inspecteur de douanes, Daniel Drapeau, et, le manutentionnaire, Manuel Soares, sont accusés, entre autres, de complot pour importation de stupéfiants.

Selon l'enquêteur principal, Gilles Michaud, Daniel Drapeau a plaidé coupable à une accusation de complot pour importation de stupéfiants et à une accusation de possession de produits obtenus par le crime (blanchiment d'argent) et il a reçu une sentence de trois ans et demi. Quant à Manuel Soares, il est en attente de procès.

Au cours de l'enquête, la G.R.C. a intercepté des communications privées et elle a établi une liste de suspects. Jusqu'à ce qu'une décision soit prise de ne pas porter d'accusation contre elle, Manon Rose compte parmi les suspects.

Le 1 er mai 1995, Manon Rose est interrogée par deux enquêteurs de la G.R.C. Ce sont les réponses qu'elle donne en cours d'interrogatoire qui serviront de base à son licenciement. Comme en fait état la lettre de licenciement (pièce E-22), l'employeur reproche à Manon Rose d'avoir été au courant du trafic de stupéfiants effectué par ses confrères de travail et d'avoir accepté de l'argent de ceux-ci, en échange de «considérations futures».

Voici un résumé plus détaillé des faits mis en preuve. 1. Faits antérieurs à l'interrogatoire de Manon Rose le 1 er mai 1995 Au cours de son enquête, la G.R.C. intercepte les conversations de plusieurs personnes dont celles de l'inspecteur de douanes, Daniel Drapeau et du manutentionnaire, Manuel Soares. Leurs conversations sont interceptées pendant six mois.

Le procureur de Manon Rose s’est opposé à la production des transcriptions de conversations interceptées par écoute électronique au motif qu'elles constituaient du ouï-dire.

J’ai admis ces transcriptions (pièces E-1 à E-5) en preuve en vertu des pouvoirs qui me sont conférés par les articles 25 (c) et 96.1 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Elles ont été interceptées suite à l’obtention d’autorisations

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Decision Page 3 d’intercepter (pièces E-1, E-2, E-3) et l’agent Hadley a confirmé que la version dactylographiée correspondait aux conversations. Ces conversations sont pertinentes car, ajoutées au témoignage de l’agent Hadley, elles confirment un des moyens utilisés par les enquêteurs pour identifier les personnes mêlées au réseau de trafic de stupéfiants et elles permettent d’établir que Daniel Drapeau et Manuel Soares prévoyaient remettre de l’argent à certaines personnes, dont une «Manon» ou «Manoune». C’est ce renseignement qui a amené les enquêteurs de la G.R.C. à rencontrer Manon Rose.

Deux conversations en particulier éveillent les soupçons à l'égard de Manon Rose. Elles ont lieu le 25 février 1995 (pièce E-4) et le 25 mars 1995 (pièce E-5). Il s'agit de conversations entre Daniel Drapeau et Manuel Soares.

Dans la première conversation (pièce E-4), le 25 février 1995, Daniel Drapeau dit à Manuel Soares: «... m'a te donner ça ...» et un peu plus loin ... «ben, je vais te donner la même chose eh, pour Jean, eh, pour Michel pis et, Manon».

Dans la deuxième conversation (pièce E-5), le 25 mars 1995, Manuel Soares dit à Daniel Drapeau qu'il a donné «neuf (9) saumons» et il nomme certaines personnes à qui il les a donnés: «Forfay, Manoune».

En entendant ces noms «Forfay» et «Manoune», les enquêteurs (Gary Hadley, Daniel Lemay, Gilles Michaud) poussent plus avant leurs recherches et découvrent que Daniel Drapeau et Manuel Soares travaillent avec une dénommée Manon Rose et que par ailleurs le nom «Forfay» est un surnom donné à Michel Johnson, douanier à la division des renseignements. Cette découverte les amènera à interroger Manon Rose le 1 er mai 1995. Cet interrogatoire est relaté plus loin. Pour l'instant, il y a lieu de s'attarder à ce qui s'est passé après l'interception, le 25 mars 1995, de la conversation entre Daniel Drapeau et Manuel Soares.

Le 26 avril 1995, la G.R.C. saisit au lieu de travail de Daniel Drapeau, Manuel Soares et Manon Rose, soit le G.E.P. St-Laurent ou Grand Établissement Postal, 90 kilos de hachisch. Ce hachisch est réparti dans neuf sacs (pièces E-6 à E-10) (appelés Sacs «M») en provenance des Pays-Bas. Les sacs ont été dédouanés le jour même à la section Douanes du G.E.P. St-Laurent. Chaque sac «M» contient une boîte; dans cette boîte, il y a six livres; à l'intérieur de cinq de ces livres, sont dissimulés

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Decision Page 4 deux kilos de hachisch par livre. Selon l'enquêteur principal, Gilles Michaud, les sacs saisis le 26 avril 1995 ont été dédouanés par Manuel Soares dont on retrouve l'impression de l'étampe sur les sacs «M».

La G.R.C. soupçonne Daniel Drapeau, Manuel Soares, Jean Demenezes, Manon Rose et Michel Johnson de faciliter le dédouanement des colis et leur envoi à leurs destinataires.

Le hachisch saisi au G.E.P. St-Laurent est destiné à deux compagnies fictives. Le 28 avril 1995, la G.R.C. effectue une livraison contrôlée aux destinataires dont les adresses apparaissent sur les étiquettes attachées au sacs «M».

Le 2 mai 1995, quatre autres sacs «M» prêts à être livrés à une des deux compagnies fictives dont les adresses sont indiquées sur les étiquettes attachées aux sacs «M», sont saisis au bureau de Postes Canada, rue Papineau, à Montréal.

Le 3 mai 1995, une autre saisie a lieu au G.E.P. St-Laurent. Cette fois, il s'agit d'un sac «M» contenant une boîte qui, elle, contient onze kilos de hachisch. Ce sac est également destiné à une des deux adresses des compagnies fictives.

En tout, 151 kilos de hachisch sont saisis. De ces 151 kilos, 141 kilos sont saisis dans les sacs «M» qui passent aux Douanes au G.E.P. St-Laurent. Par ailleurs, dix kilos sont saisis dans le camion d'un dénommé Daniel Sansregret au 5048 Papineau.

Suite aux saisies et aux livraisons contrôlées, les individus suivants sont arrêtés: Daniel Drapeau, Manuel Soares, Jean Demenezes (tous trois employés par le ministère Revenu Canada, Douanes et Accises) ainsi que les individus suivants: Daniel Sansregret, Jean-Jacques Sansregret, Alain Panneton, Jacques Desjardins, Luigi Vitale.

Selon l'enquêteur principal, Gilles Michaud, la tête dirigeante de l'organisation dont faisaient partie Daniel Drapeau et Manuel Soares, était Jacques Desjardins. Or, lors de son arrestation, il était en possession d'un agenda personnel. L'agenda contenait des codes et des collants jaunes (pièce E-25). Les codes furent analysés et comparés à des codes utilisés par Luigi Vitale, Daniel Drapeau et Manuel Soares lors

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Decision Page 5 de conversations téléphoniques interceptées ainsi qu'à des codes similaires utilisés par Jacques Desjardins lors de conversations sur téléavertisseur.

Le déchiffrage des codes a permis aux enquêteurs de savoir trouver les stupéfiants. C'est ainsi qu'ils se sont rendus au G.E.P. St-Laurent le 26 avril 1995 pour y fouiller les sacs «M» qui avaient été dédouanés.

Dans l'agenda saisi, la première colonne de chiffres (pièce E-25, première feuille) correspond à la date d'expédition des colis à partir des Pays-Bas. (On déduit que les dates indiquées visaient le mois d'avril à partir des renseignements obtenus grâce à l'écoute électronique.) La deuxième colonne indique les adresses de livraison des colis [«46» signifie 6837 St-Denis, Montréal et «45» veut dire «5048» Papineau, Montréal]. La troisième colonne indique les quantités de hachisch. La dernière colonne indique les dates le hachisch a été reçu. Les parenthèses de la dernière colonne sont vides car il s'agit de colis non reçus. Ce sont les colis saisis par la G.R.C.

Quant aux collants jaunes, la première colonne de chiffres (pièce E-25, deuxième feuille) indique les dates d'expédition des Pays-Bas du hachisch non reçu et dont il est fait mention sur la première feuille de la pièce E-25, la deuxième colonne indique le nombre de sacs «M» en cause, la troisième colonne indique la destination des sacs (il s'agit des adresses susmentionnées), la quatrième colonne indique les sacs qui n'ont pas passé aux Douanes.

Les enquêteurs en sont venus à ces conclusions en se basant aussi sur des conversations interceptées entre Daniel Drapeau, Manuel Soares et Luigi Vitale et portant sur le nombre de sacs passés aux Douanes.

Au cours de ces conversations, il est aussi question d'échanges d'argent. Trois conversations (pièces E-28, E-26 et E-27) interceptées par la G.R.C. les 22 mars 1995 et le 13 avril 1995 15 h 53 et à 17 h 04) ainsi que des constatations faites sur place par les enquêteurs ont permis de confirmer certains échanges d'argent.

Dans la conversation (pièce E-28) du 22 mars 1995, Daniel Drapeau fait allusion à des «mon oncle» (sacs «M») qui manquent. Dans la première conversation (pièce E-26) du 13 avril 1995, Daniel Drapeau invite Manuel Soares à venir voir son

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Decision Page 6 barbecue. Dans la deuxième conversation (pièce E-27) du 13 avril, Daniel Drapeau confirme à Manuel Soares qu'il viendra voir le «charcoal».

Le même jour, en l'absence de Daniel Drapeau, les enquêteurs vont examiner son barbecue. Ils voient un sac contenant 71 liasses de billets de 20 $, chaque liasse étant entourée d'un ruban de banque sur lequel est inscrit «2,000»; il y a une autre liasse de billets de 20 $ entourée d'un élastique et de la même épaisseur que les autres liasses; de plus, il y a trois liasses de billets de 10 $, chaque liasse étant entourée d'un ruban de banque sur lequel est inscrit 1 000 $. En tout, selon l'enquêteur Gilles Michaud, il y a environ 26 000 $.

Les enquêteurs laissent l'argent dans le barbecue et retournent à leur poste d'observation. Quelques instants plus tard, ils voient l'épouse de Manuel Soares, Huguette Soares, se rendre au patio est le barbecue et en revenir avec un sac blanc tel que celui contenant l'argent et que les enquêteurs ont vu quelques instants auparavant (selon l'enquêteur Michaud, les agents ont également intercepté une conversation au cours de laquelle Manuel Soares demande à son épouse, Huguette, de se rendre chez Daniel Drapeau).

2. Interrogatoire de Manon Rose le 1 er mai 1995. 1. Confection du résumé de l'interrogatoire et déroulement de l'interrogatoire.

Le 1 er mai 1995, les enquêteurs Gary Hadley et Daniel Lemay interrogent Manon Rose à son travail. Elle compte parmi les suspects. L'interrogatoire a lieu dans le bureau du directeur Robert Emond. L'interrogatoire débute à 14 h 54 et se termine à 18 h 25 (pièces E-11 et A-4).

Gary Hadley déclare avoir consigné par écrit comme suit l'interrogatoire de Manon Rose: il n'a rédigé que quelques notes au début de l'interrogatoire de Manon Rose, soit les inscriptions contenues vis-à-vis les heures 14.54, 15.33 et 18.20 (pièce A-4); le reste des notes manuscrites (pièce A-4) a été composé durant la soirée après avoir interrogé Manon Rose, s'être rendu au domicile de cette dernière et enfin, après le souper. Bref, vers 10 heures le même soir. Lorsque Gary Hadley rédige ses notes, il le fait de mémoire et, de son propre

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Decision Page 7 aveu, pas nécessairement en ordre chronologique. C'est deux jours plus tard, soit le 3 mai 1995, qu'il rédige directement à même son ordinateur et en s'inspirant de ses notes manuscrites (pièce A-4), un résumé (pièce E-11) de l'interrogatoire de Manon Rose.

Par ailleurs, selon Manon Rose, Gary Hadley n'a fait aucune inscription sur le bloc-notes qui était devant lui lors de l'interrogatoire hormis la mention de l’heure «14.54» à laquelle a débuté l’interrogatoire.

Selon Gary Hadley, au début de l'interrogatoire, il informe Manon Rose qu'elle est soupçonnée de participer à un complot d’importation de stupéfiants ainsi que d'abus de confiance. Il lui dit qu'elle peut faire appel à un avocat. Il lui lit ses droits à partir d'une petite carte sur laquelle ils sont formulés.

Lors de son témoignage, Manon Rose confirme à plus d'une reprise que Gary Hadley lui a lu ses droits et elle déclare qu'elle-même, comme inspecteur des douanes, a une carte dont elle se sert dans ses fonctions pour lire leurs droits aux personnes. Cependant, elle ne se souvient pas si Gary Hadley a mentionné les crimes dont elle était soupçonnée et elle ajoute qu'elle ne portait pas vraiment attention à ce qu'on lui disait. Selon elle, ce n'est qu'à la fin de l'interrogatoire en voyant les mots «complot d'importation» sur une déclaration (pièce A-2) qu'on l'invite à signer qu'elle comprend qu'elle compte parmi les suspects. C'est à ce moment-là qu'elle décide de contacter un avocat (ce qu'elle fait hors la présence des enquêteurs qui sont sortis du bureau le temps de sa conversation avec l'avocat). Sur ses conseils, elle décide de ne pas faire de déclaration écrite.

Elle ne quitte pas le bureau a lieu l'interrogatoire pendant toute la durée de celui-ci (de 14.54 à 18.27). On ne lui dit pas qu'elle peut quitter la pièce ni ne demande-t-elle de la quitter. Vers 15 h 15, elle manifeste le désir de téléphoner à sa fille. Selon sa version, on lui répond qu'elle a le choix de téléphoner à sa fille ou à son avocat mais comme la conversation reprend entre elle et l'agent Lemay cette fois, elle oublie momentanément sa fille. Quant à l'agent Hadley, il ne se rappelle pas lui avoir présenté un tel choix. Il se rappelle qu'elle a demandé de téléphoner à un avocat puis qu'elle s'est ravisée.

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Decision Page 8 Vers quatre heures, Manon Rose téléphone à sa fille. Plus tard, elle téléphonera à un avocat du nom de «Marchildon». C'est l'agent Hadley qui compose pour elle le numéro de cet avocat.

Selon l'agent Hadley, il se peut qu'à la fin de l'interrogatoire, on ait dit à Manon Rose qu'il était possible qu'elle couche à Tanguay (prison pour les femmes) ce soir-là. Gary Hadley ajoute que son collègue et lui envisageaient de l'y mener. Tout dépendait des faits qui seraient découverts au cours de l'interrogatoire. Pour sa part, Manon Rose confirme que c'est à la fin de l'interrogatoire, lorsque les policiers annoncent qu'ils se rendront à son domicile pour saisir l'argent, que le mot «Tanguay» est prononcé. Par ailleurs, elle n'allègue ni menaces ni promesses ni pressions. Toutefois, elle dit que l'atmosphère était «serré».

L'agent Hadley reconnaît aussi la possibilité qu'on ait dit à Manon Rose qu'elle était menteuse car elle changeait de versions au cours de l'interrogatoire. Par ailleurs, il ajoute qu'il n'y a eu ni cri, ni injure, ni menace de sa part ou de celle de son collègue, l'agent Lemay.

2. Déclarations de Manon Rose lors de l'interrogatoire. Le résumé de l'interrogatoire de Manon Rose (pièce E-11 et pièce A-4) ainsi que le témoignage de Gary Hadley qui, accompagné de l'agent Daniel Lemay, a interrogé Manon Rose et le témoignage de Manon Rose ne concordent pas sur certains points. Par conséquent, je relate dans les paragraphes suivants, la version de chacun.

2. a) Version de Gary Hadley Cette version est complétée par le résumé de Gary Hadley (pièce E-11). Selon le témoignage de Gary Hadley, le 1 er mai 1995, Manon Rose déclare que c'est le matin même qu'elle a appris l'arrestation de Manuel Soares et de Daniel Drapeau. Elle dit que Daniel Drapeau est son grand ami, son confident. Elle dit qu'il a payé ses repas et sa bière à l'occasion. Un peu plus tard dans la conversation, elle dit qu'à deux occasions, elle a accepté 100 $ de

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Decision Page 9 Daniel Drapeau. Lorsqu'on lui demande pourquoi, elle ne répond pas exactement. Elle dit que c'était pour «considérations futures».

Lorsqu'on lui demande pourquoi Daniel Drapeau était si généreux avec elle, elle dit que Daniel Drapeau roulait gros. Elle ignore pourquoi il en est ainsi.

Elle dit que Daniel Drapeau lui donnait comme surnom «Minoune» ou «Manoune».

Quarante-cinq minutes plus tard, après avoir demandé à téléphoner à son avocat puis avoir changé d'idée, lorsque les agents lui disent que les montants (deux fois 100 $) ne correspondent pas à ce qu'ils ont entendu grâce à l'écoute électronique, Manon Rose admet qu'elle a accepté en deux occasions de Daniel Drapeau, un montant de 1 000 $ (donc, deux fois 1 000 $).

Lorsqu'on la questionne sur la provenance de l'argent, elle répond que vers janvier 1995, Daniel Drapeau lui a parlé d'un moyen sûr de faire de l'argent et que c'était de faire de l'importation de stupéfiants via le système des sacs «M».

Selon Gary Hadley, à chaque fois qu'on demande à Manon Rose ce qu'elle devait faire pour avoir cet argent, elle répond que c'était pour des «considérations futures». Elle n'évoque pas de prêt. Même, elle dit qu'il n'y a pas d'entente entre elle et Daniel Drapeau quant au remboursement de l'argent.

Elle déclare qu'elle a eu une liaison amoureuse il y a trois ans avec Daniel Drapeau.

Elle nie que l'argent qu'elle recevait était le résultat de chantage de sa part à l'endroit de Daniel Drapeau et elle nie que Daniel Drapeau et Manuel Soares aient voulu acheter son silence. Elle revient toujours avec la même chose, c'est-à-dire, que l'argent était pour «considérations futures».

Dédouaner les sacs «M» fait partie de ses fonctions. Elle n'était pas assignée de façon permanente à cette fonction. Dans le passé, elle avait accompli cette fonction avec Manuel Soares (en attente de procès) ainsi qu'avec

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Decision Page 10 Jean Demenezes (des accusations ont été portées contre ce dernier puis retirées).

Lorsqu'on lui demande pourquoi elle a accepté des montants (deux fois 1 000 $) aussi importants de Daniel Drapeau, elle déclare qu'elle avait besoin d'argent pour défrayer des frais d'avocat reliés à l'obtention de la garde légale de sa fille.

Puis les enquêteurs insistent et déclarent que selon leur enquête, ce n'est pas 2 000 $ qu'elle a reçus de Daniel Drapeau mais 3 000 $. Elle admet que c'est vrai (selon Gary Hadley, ce montant correspondait au montant mentionné et capté par écoute électronique).

Après avoir admis qu'il s'agissait de 3 000 $, elle déclare qu'elle a encore une partie de cet argent à son domicile.

Elle déclare qu'elle a reçu 2 000 $ de Daniel Drapeau (soit 1 000 $ en deux occasions) et qu'elle a reçu 1 000 $ de Manuel Soares. Manuel Soares lui a remis 1 000 $ à leur lieu de travail, au G.E.P., en une liasse de billets de 20 $. La remise avait eu lieu deux semaines auparavant. Ce jour-là, Daniel Drapeau n'était pas au travail.

Elle reconnaît ne pas avoir rapporté à ses supérieurs le fait que Daniel Drapeau lui avait confié qu'il existait un moyen sûr de faire de l'importation de stupéfiants.

Lorsqu'on lui demande si elle considère avoir brisé son serment d'office, elle répond affirmativement. Selon Gary Hadley, cette réponse visait autant la connaissance qu'elle avait du plan de Daniel Drapeau que le fait d'avoir accepté de l'argent de Daniel Drapeau. Manon Rose déclare aussi qu'elle n'a pas été malhonnête. Elle offre de se soumettre à un examen par polygraphe.

En contre-interrogatoire, Gary Hadley déclare qu'il est possible que Manon Rose ait parlé de «cadeaux» lorsqu'elle a mentionné au début de l'interrogatoire, avoir reçu deux fois 100 $ de Daniel Drapeau.

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Decision Page 11 Gary Hadley insiste que les mots «au début» dans ses notes manuscrites (pièce A-4, p. 2) ne vise que les montants de 100 $ déclarés par Manon Rose au début de son interrogatoire.

Quant aux mots «considérations futures», Gary Hadley ne se rappelle pas qui les a utilisés en premier. Il est possible qu'ils aient d'abord été employés par lui-même ou par son collègue ou par Manon Rose. Il reconnaît que cette expression est ambigue. Elle fut employée tant par lui-même que par son collègue Daniel Lemay et par Manon Rose. Comme les agents n'arrivaient pas à connaître de Manon Rose la contrepartie de l'argent (3 000 $) qu'elle recevait de Daniel Drapeau et Manuel Soares, (elle dit à un moment donné: «dites ce que vous voulez ....») l'expression «considérations futures» fut utilisée par les agents et par Manon Rose. Selon Gary Hadley, l'expression «considérations futures» reflétait le sens de ce que Manon Rose disait. Selon Gary Hadley, si Manon Rose n'a pas utilisé l'expression la première, du moins, elle a continué de s'en servir tout au long de leur entretien.

Quant au «plan» de Daniel Drapeau, Gary Hadley ajoute que Manon Rose a déclaré que Daniel Drapeau lui avait dit qu'il avait un plan pour faire de l'argent, que c'était impossible qu'il se fasse «pogner» et qu'il était bien «plogué». Les mots «plogué» et «pogné» étaient de Manon Rose. Gary Hadley reconnaît la possibilité que Manon Rose ait dit que Daniel Drapeau avait dit que les sacs «M» étaient une passoire facile pour faire passer la drogue.

Les mots «rouler gros» ne sont pas les mots exacts de Manon Rose. C'est Manon Rose qui a révélé que Daniel Drapeau avait un chalet.

Elle a également dit que Manuel Soares lui avait donné l'argent (le troisième 1 000 $) pour «considérations futures».

Finalement, Gary Hadley déclare que le mot «incident» au dernier paragraphe de son résumé (pièce E-11, page 3) fait allusion tant à l'acceptation d'argent par Manon Rose de Daniel Drapeau qu'à sa connaissance depuis janvier 1995 du plan de Daniel Drapeau.

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Decision Page 12 2. b) Version de Manon Rose Le 1 er mai 1995, en arrivant au travail, Manon Rose apprend l'arrestation de son collègue et ami, Daniel Drapeau ainsi que celle de son collègue, Manuel Soares. Elle pleure.

À 14 h 45, Gary Hadley et son collègue l'interrogent dans le bureau de Robert Emond. Elle demeure dans le bureau jusqu'à 18 h 35. On lui lit ses droits. Gary Hadley ne prend aucune note sauf la mention «14 h 54» (pièce A-4). Elle ne se souvient pas clairement qu'il lui ait dit qu'elle était soupçonnée de complot de trafic de stupéfiants. Elle ne portait pas vraiment attention à ce qu'on lui disait.

Elle explique aux policiers qu'elle connaît très bien Daniel Drapeau. Elle l'a connu en 1974 alors qu'ils étaient commis (CR-05). C'est son confident. Ils ont eu une liaison en 1974. De 1975 à 1980, ils se perdent de vue. Par la suite, ils se revoient à quelques reprises. En 1991, ils deviennent collègues à nouveau. Cette fois, ils sont tous deux inspecteurs de douanes. Ils ont une brève liaison à nouveau. Manon Rose confie ses problèmes à Daniel Drapeau. Elle vit une séparation difficile avec son ex-conjoint et ils ne s'entendent pas sur la garde de leur enfant et les paiements d'hypothèque d'une maison dont ils sont les propriétaires.

Lorsque les policiers lui demandent si Daniel Drapeau lui a donné de l'argent dans le passé, elle répond: «1 000 $ à deux reprises en guise de cadeaux».

Elle dit aussi qu'avant les trois derniers mois, elle allait au restaurant une ou deux fois par semaine et Daniel Drapeau payait son lunch et sa bière. Daniel Drapeau payait souvent le lunch et la bière à d'autres collègues aussi. Manuel Soares était le grand ami de Daniel Drapeau et il faisait partie du groupe d'employés qui mangeaient ensemble.

Elle déclare qu'avant de dire aux policiers que Daniel Drapeau lui a donné 1 000 $ à deux reprises, elle leur a dit qu'il lui avait fait des cadeaux de 100 $ à deux reprises. Elle ne croit pas leur avoir dit que c'était pour son

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Decision Page 13 anniversaire de naissance mais tel était le cas: une fois, en janvier 1992; une autre, en janvier 1994.

Quant aux deux occasions Daniel Drapeau lui a apporté 1 000 $, il s'agissait d'emprunts. En premier, elle n'a pas dit aux policiers qu'il s'agissait d'emprunts. Par la suite, elle leur a dit que Daniel Drapeau lui avait prêté de l'argent.

Ce prêt a eu lieu vers le mois de février 1995. Elle a dit à Daniel Drapeau qu'elle avait besoin de 2 000 $ ou 3 000 $ pour payer les frais d'avocat reliés à la garde légale de son enfant et aux paiements de l'hypothèque. Il n'a pas été question de remboursement. Daniel Drapeau a tout simplement dit: «va régler tes problèmes ma noire et on va arranger cela».

Daniel Drapeau lui a remis sur les lieux de leur travail 1 000 $ dans la semaine du 28 février au 3 mars 1995. Il s'agissait de 1 000 $ en billets de 20 $ retenus ensemble par une bande élastique.

Il lui a remis un autre 1 000 $ sur les mêmes lieux vers la fin du mois de mars 1995.

Les policiers ont demandé à Manon Rose si Daniel Drapeau était venu la voir chez elle à Beauharnois. Elle a répondu non. Ils lui ont dit qu'elle était menteuse. Elle a répondu qu'elle s'excusait et qu'effectivement, il était passé chez elle une fois en 1995. Les policiers lui ont dit qu'ils le savaient car ils suivaient Daniel Drapeau.

Selon Manon Rose, Daniel Drapeau était dépensier. Les policiers ont demandé à Manon Rose si elle avait un surnom. Elle répondit non. Quand on lui demande si Daniel Drapeau l'appelait «Manoune» elle répond qu'il donne des surnoms aux gens «la rousse, manoune». Selon Manon Rose, ses collègues ne l'appelaient pas «manoune». Elle reconnaît que Daniel Drapeau l'appelait «minoune».

Quand les policiers lui ont demandé pourquoi Daniel Drapeau lui avait passé de l'argent, Manon Rose répond que c'était convenu, c'était un emprunt.

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Decision Page 14 Les policiers lui ont suggéré «pour considérations futures». Manon Rose a acquiescé à cette expression. Elle ignore pourquoi elle a acquiescé à l'expression «considérations futures» qui est revenue plusieurs fois dans la conversation.

Vers 15 h 15 - 15 h 30, elle a voulu téléphoner à sa fille. On lui a dit qu'elle pouvait téléphoner ou à sa fille ou à son avocat. La conversation a repris et elle a oublié sa fille car elle répondait aux questions du policier Lemay. Finalement, elle a téléphoné à sa fille à 16 h 00.

Selon Manon Rose, au mois de janvier 1995, Daniel Drapeau ne lui a pas dit qu'il avait un «plan» pour faire de l'argent en faisant entrer de la «dope» par les «M-Bags», tel qu'écrit dans le résumé (pièce E-11, page ) de Gary Hadley.

Ce qui s'est plutôt passé, c'est que devant plusieurs collègues (Jean Leduc, Richard Lamoureux, Serge Cardinal), alors qu'ils s'affairaient à une chaîne de production, Daniel Drapeau avait dit à Manon Rose que les «M-Bags» étaient une vraie passoire.

Selon Manon Rose, Daniel Drapeau était vu presque comme un héros car il faisait plus de saisies que les autres inspecteurs de douanes. Daniel Drapeau était frustré car il trouvait que les inspecteurs étaient trop portés à laisser passer les sacs sans inspection. Un mois avant son arrestation, en leur qualité d'inspecteurs de douanes, Daniel Drapeau et Manon Rose avaient saisi ensemble de la cocaïne dans une poche. Manon Rose nie avoir employé les mots «bien plogué» lors de l'interrogatoire. Par ailleurs, elle témoigne qu'il est possible qu'elle ait dit que Daniel Drapeau avait dit «d'la dope, ça peut rentrer à tour de bras».

Manon Rose témoigne qu'à un moment donné, les policiers l'ont traitée de «menteuse» et lui ont dit que selon l'écoute électronique, ce n'était pas 2 000 $ mais 3 000 $ que Daniel Drapeau lui avait passés. En entendant ceci, elle a répondu que vers la mi-avril 1995, Manuel Soares lui avait remis 1 000 $ sur les lieux de leur travail de la part de Daniel Drapeau.

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Decision Page 15 Manon Rose témoigne qu'elle n'a pas pensé de mentionner ce troisième 1 000 $ aux policiers car les policiers lui parlaient de Daniel Drapeau et c'est Manuel Soares qui lui avait remis ce troisième 1 000 $. Manon Rose déclare aussi que si elle n'a pas immédiatement mentionné le troisième 1 000 $ lorsqu'interrogée au sujet de l'argent qu'elle avait reçu, c'est qu'elle avait oublié. Elle ne s’explique pas cet oubli.

Manon Rose témoigne que deux semaines avant la rencontre avec les policiers, Manuel Soares lui avait remis, de la part de Daniel Drapeau, sur les lieux de leur travail 1 000 $ dans une enveloppe en lui disant «t'es chanceuse d'avoir un chum comme cela». Le mille dollars était en billets de 20 $. Si Soares lui a remis l'argent, c'est que ce jour-là, Daniel Drapeau était en vacances.

Manon Rose témoigne qu'elle sait qu'il n'est pas «bien vu» qu'un employé accepte de l'argent d'un autre employé et que le code de conduite traite de ce sujet.

Elle ajoute qu'elle n'a pas parlé à son conjoint de fait du fait que Daniel Drapeau lui prêtait de l'argent car elle craignait sa réaction. Elle redoutait qu'il devienne jaloux.

Manon Rose a reconnu devant les policiers qu'elle avait brisé son serment d'office. Selon elle, elle l'a brisé en faisant un emprunt de Daniel Drapeau. Par ailleurs, elle ne croit pas qu'elle l'ait brisé en ne rapportant pas le «plan» de Daniel Drapeau car elle n'avait pas connaissance d'un tel plan à rapporter.

Suite à l'interrogatoire, après avoir parlé à l'avocat Marchildon et sur ses conseils, elle a dit aux policiers qu'elle ne ferait pas de déclaration écrite.

3. Faits postérieurs à l'interrogatoire de Manon Rose le 1 er mai 1995. Durant l'interrogatoire, Manon Rose déclare qu'elle a encore chez elle une partie des 3 000 $ qu'elle a reçus. Par la suite, elle consent (pièce E-12) à ce que les policiers viennent saisir cet argent à son domicile.

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Decision Page 16 Rendus à son domicile, elle remet 2 630 $ aux policiers. [Une fois qu'il sera décidé de ne pas porter d'accusations contre elle, on lui remettra l'argent (pièce A-1).]

Manon Rose témoigne qu'elle a remis aux policiers l'argent qu'elle avait reçu de Daniel Drapeau en des coupures différentes que celles reçues de Daniel Drapeau car dans l'intervalle, elle avait prêté l'argent à son conjoint de fait qui, par la suite, avait remis cet argent en coupures différentes dans la boîte elle gardait l'argent.

Le 30 mai 1995, son conjoint rédige une déclaration sous serment (pièce E-29) dans laquelle il prétend que l’argent lui appartient.

Par la suite, une fois déposés ses griefs, Manon Rose produit à son employeur, au quatrième palier de la procédure de griefs, la déclaration sous serment (pièce E-29) de son conjoint dans laquelle il prétend que l'argent lui appartient. Manon Rose n'explique pas à son employeur qu'il s'agit de l'argent qu'elle a reçu de Daniel Drapeau et que c'est elle qui a remis l'argent reçu de Daniel Drapeau, à son conjoint.

Elle ne peut expliquer pourquoi elle a produit cette déclaration (pièce E-29) à son employeur et elle reconnaît qu'elle n'aurait peut-être pas la produire.

Manon Rose admet qu'au mois de mai 1995, elle ne devait pas encore de frais d'avocat pour la garde de son enfant (pièce E-30 signée H. Ste-Marie).

Manon Rose n'a pas remboursé à Daniel Drapeau l'argent que celui-ci lui a passé.

Avant de conclure la relation de la preuve, il convient de résumer les faits pertinents qui se dégagent du témoignage de l'enquêteur interne du Ministère, Henri Samson, du directeur du District Montréal-Métro, Réjean Ross et de l'inspecteur des douanes, Serge Cardinal.

Une fois achevée l'enquête de la G.R.C., Henri Samson, enquêteur interne de Revenu Canada, Douanes et Accises, procède à une enquête interne puis remet son rapport (pièce E-16) le 3 août 1995. Au mois de juillet 1995, il entre en communication avec Manon Rose dans le but d'obtenir sa version des faits. À ce stade, elle a un avocat. Cet avocat informe Henri Samson qu'il préfère attendre de

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Decision savoir si des accusations devant les instances criminelles seront portées contre sa cliente avant de décider s'il lui conseillera de faire une déclaration à son employeur. N'ayant pas rencontré Manon Rose, rapport (pièce E-16), la situation de Manon Rose en se fondant sur les documents (pièce E-11) de la G.R.C.

Le directeur Réjean Ross est l'auteur de la lettre de licenciement (pièce E-22). Il a fondé sa décision de licencier Manon Rose sur les déclarations (pièce E-11) de Manon Rose, telles que relatées par Gary Hadley (G.R.C.) ainsi que sur le rapport (pièce E-16) de Henri Samson.

Malgré les 21 ans d'ancienneté de Manon Rose, malgré son dossier disciplinaire vierge et son rendement entièrement satisfaisant, malgré son âge, il en est venu à la conclusion que ces facteurs ne faisaient pas le poids compte tenu de la gravité des fautes de conduite qui lui étaient reprochées. Selon lui, l'intégrité, l'honnêteté, la fiabilité et la loyauté sont les qualités essentielles au travail d'un (ou d'une) inspecteur. L'inspecteur doit contrôler, c'est-à-dire examiner et parfois saisir la marchandise à l'importation et à l'exportation. Il (ou elle) administre 60 lois au bénéfice de plusieurs ministères. Entre autres, il recueille des preuves d'infractions à la Loi sur les douanes et au Code criminel du Canada (pièce E-18). En particulier, il intercepte et saisit des marchandises prohibées tels des stupéfiants et accorde la mainlevée. Réjean Ross souligne que lorsque Manon Rose travaillait à la section des sacs «M», elle était le seul inspecteur sur place bien que secondée dans son travail par un manutentionnaire.

Manon Rose a reçu une formation (pièce E-19) d'une durée de 14 semaines sur les lois et règlements qu'elle est chargée d'appliquer. En particulier, elle a suivi le cours (pièce E-19) des douanes sur la lutte anti-drogue. Dans ce cours, furent discutés l'identification des stupéfiants, les saisies de stupéfiants et les interrogatoires.

Manon Rose a prêté un serment d'allégeance, un serment d'office et de discrétion et un serment «d'appréciateur des effets» (pièce E-20). Elle a juré entre autres de tout faire en son pouvoir «pour prévenir toute fraude ou subterfuge à l'égard des dites lois, pour empêcher qu'elles soient éludées ...».

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Page 17 Henri Samson résume dans son

Decision Page 18 L'inspecteur (et inspectrice) de douanes est régi par un Code de conduite (pièce E-21). De plus, il est agent de la paix. Selon le Code de conduite (article 9), sa conduite doit être au-dessus de tout reproche et exemplaire aux yeux du grand public.

Réjean Ross a conclu que Manon Rose avait accepté de l'argent de participants à un réseau d'importation de stupéfiants et qu'elle n'avait pas divulgué les infractions au sujet desquelles elle était au courant.

Selon Réjean Ross, ces faits ajoutés à son aveu d'avoir enfreint son serment d'office créaient une incompatibilité avec les fonctions de Manon Rose dont la mission première à titre d'inspectrice des douanes est d'éliminer la contrebande et d'empêcher l'importation de marchandises prohibées. Le fait qu'elle n'a pas déclaré dès le début de l'interrogatoire avoir reçu 3 000 $ était un facteur additionnel. Bref, selon Réjean Ross, la relation de confiance était détruite et elle ne pouvait être reconstituée.

Réjean Ross a procédé au licenciement de Manon Rose sans savoir si des accusations de nature criminelle seraient portées contre elle car, explique-t-il, le fardeau de la preuve pour justifier un licenciement n'est pas le même. De plus, Manon Rose et ses confrères (Drapeau, Soares, Demenezes, Johnson) étaient sous le coup de suspensions sans solde. Il a signé les lettres de licenciement de ces cinq personnes le 23 août 1995.

Les journaux (pièce E-24) ont fait état de l'enquête de la G.R.C., des arrestations et du fait que l'importation de stupéfiants avait pu être réalisée grâce à la participation de douaniers. Réjean Ross est d'avis que Manon Rose aurait révéler à son employeur les faits dont elle avait la connaissance au sujet de ce réseau de trafic de drogues et qu'elle a contribué par son silence à une situation qui a terni l'image du Ministère. Le procureur de Manon Rose s'est opposé à la production des coupures de presse. J'en ai permis la production. Cette preuve est admissible dans la mesure les articles 25 (c) et 96.1 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique permettent à un arbitre de recevoir les éléments de preuve qu'il juge approprié, qu'ils soient admissibles ou non en justice. En l'occurrence, il s'agit d'une preuve pertinente bien que, dans un sens, limité. En effet, les coupures de presse ne font pas preuve des faits qui y sont relatés; cependant, elles font preuve du fait que l'implication de certains douaniers dans cette affaire de drogues a eu une certaine notoriété.

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Decision Page 19 Réjean Ross ajoute qu'un certain laxisme existait en matière d'inspection des sacs «M» car il s'agissait d'un secteur «à faible risque» et qu'il fallait donner de l'attention aux secteurs «à plus haut risque».

Avant de conclure la relation des faits, il reste le témoignage de Serge Cardinal. Il est inspecteur des douanes (depuis 27 ans). Il est aussi collègue de Manon Rose. Il témoigne qu'un des surnoms de Manon Rose était Manoune. Daniel Drapeau, Manuel Soares et d'autres inspecteurs lui donnaient ce surnom. Il est arrivé à Serge Cardinal, quoique rarement, de s'adresser à Manon Rose par ce surnom.

Selon Serge Cardinal, Daniel Drapeau effectuait beaucoup de saisies, surtout des saisies de stupéfiants. C'était un homme dépensier qui payait «la traite» à ses collègues au restaurant. Manon Rose et Daniel Drapeau étaient très liés. Ils semblaient «un vieux couple».

PLAIDOIRIE DE L'EMPLOYEUR L'avocate de l'employeur revoit la preuve. Selon elle, il en ressort que les dates (25 février, 25 mars, 13 avril) auxquelles a eu lieu l'interception de certaines conversations téléphoniques (pièces E-4, E-5, E-26) correspondent à quelques jours près aux dates Manon Rose a reçu de l'argent de Daniel Drapeau et Manuel Soares («entre le 28 février et le 3 mars 1995», «vers la fin mars 1995», «vers la mi-avril 1995» selon Manon Rose). Il en ressort aussi que, de son propre aveu, Manon Rose a reçu l'argent des mains de Daniel Drapeau et Manuel Soares en coupures de 20 $. Or, selon l'enquêteur Michaud, dans l'argent caché dans le barbecue de Daniel Drapeau, il y avait une liasse de 1 000 $ en coupures de 20 $.

Le témoignage donné par Manon Rose au sujet de l'interrogatoire du 1 er mai 1995 doit être pesé. Elle prétend que ses droits n'ont pas été respectés mais elle admet ne pas avoir porté attention à ce qu'on lui disait. Elle dit qu'elle était confuse mais elle affirme être certaine d'avoir mentionné dès le début de l'interrogatoire que Daniel Drapeau lui avait passé 2 000 $.

Or, selon Gary Hadley, ce n'est que plus tard qu'elle a fini par admettre la somme de 2 000 $ reçue de Daniel Drapeau et plus tard encore, qu'elle a admis un autre 1 000 $ qui, cette fois, lui a été remis par Manuel Soares. Elle prétend que Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 20 Manuel Soares n'était que le messager de Daniel Drapeau et elle ne peut expliquer comment il se fait qu'elle a oublié de mentionner l'argent reçu des mains de Soares.

Elle donne plusieurs explications sur les raisons de son acceptation de ces sommes d'argent. Elle prétend que c'est un prêt. Elle ne peut expliquer les formalités de remboursement. Elle prétend qu'elle avait l'intention de rembourser Daniel Drapeau mais elle ne le fait pas. Elle explique qu'elle n'en a plus les moyens. Elle ne lui remet pas le 2 630 $ que la police a fini par lui remettre. Elle allègue comme motifs d'acceptation du «prêt», des difficultés financières avec la banque, des difficultés d'ordre légal reliées à la garde de sa fille, et l'achat d'une nouvelle maison avec son présent conjoint. Elle ne mentionne pas le «prêt» de Daniel Drapeau à son conjoint. Elle évoque la possibilité qu'il devienne jaloux. Par contre, elle lui passe l'argent. Et il le lui remet. Pourtant, un an après les événements, le 20 mars 1995, au quatrième palier de la procédure de griefs, elle produit à son employeur une déclaration sous serment de son conjoint dans laquelle il prétend être le propriétaire de cet argent. En produisant cette déclaration (pièce E-29), il faut croire qu'elle voulait qu'elle fasse foi de son contenu.

C'est la version du policier Gary Hadley qu'il faut retenir et il faut conclure que Manon Rose a accepté de l'argent de Daniel Drapeau et de Manuel Soares, qu'il s'agissait d'une forme d'assurance pour eux car Manon Rose (tout comme eux) travaillait au G.E.P., était inspecteur de douanes et pouvait leur servir d'yeux en leur absence. Il faut conclure qu'elle participait par omission à un réseau de trafic de drogues et qu'elle était au courant du système de ce réseau mis en place à la section des douanes par Daniel Drapeau et compagnie.

Il faut se placer dans la situation de Daniel Drapeau et Manuel Soares. Ces deux douaniers étaient impliqués dans un réseau de trafic de drogues. Ils encouraient des risques mais on peut présumer que puisque c’était le cas, ils estimaient que la récompense correspondait au risque encouru. Il faut se demander: est-ce que ces deux douaniers accepteraient de partager leur butin avec quelqu'un qui n'encourt pas de risques? Il est difficile de concevoir que Manuel Soares accepterait de donner de l'argent à Manon Rose seulement parce que cette dernière est l'amie de Daniel Drapeau.

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Decision Page 21 Même si on admettait qu'elle a fait des oublis de bonne foi lors de l'interrogatoire et qu'au surcroît, elle était nerveuse, il demeure qu'un an après cet événement, Manon Rose a posé un geste qu'elle a eu le temps de réfléchir et elle a produit à son employeur, une déclaration sous serment (pièce E-29) de son conjoint par laquelle elle avait l'intention de convaincre son employeur que la propriété de cet argent était celle de son conjoint alors qu'il s'agissait de l'argent qu'elle avait reçu de Daniel Drapeau et Manuel Soares.

Selon sa propre version, Manon Rose, sur les lieux de son travail, a accepté à trois reprises 1 000 $ de Daniel Drapeau et Manuel Soares. Il ne s'agit pas d'un seul acte.

Manon Rose admet qu'elle a contrevenu au Code de conduite mais elle se prétend honnête. En sa qualité d'inspecteur des douanes et agent de la paix, Manon Rose inspecte, contrôle, évalue, saisit et relâche des marchandises. Elle peut détenir des personnes et procéder à des fouilles. Par conséquent, l'honnêteté est essentielle.

On peut considérer que les articles suivants du Code de conduite (pièce E-21) ont été violés: 8, 9, 10 (c) (2), 11 a) et b), 12, 13, 26 (1), 28, 29, 30, 31¸34, 41, 42, 44 et 53. 8. Dans l’exercice de cette responsabilité, les employés doivent faire preuve d’intégrité et d’efficacité de manière à inspirer la confiance et le respect au plus haut point auprès des autres ministères et organismes.

9. Par conséquent, les employés doivent s’abstenir de tout ce qui pourrait entrer en contradiction avec les dispositions des présentes normes. Bien que le Ministère s’attende à ce que la conduite de tous les employés des Douanes et de l’Accise soit à la hauteur de son image, les employés qui occupent un poste d’agent de la paix se doivent d’adopter une conduite qui n’est pas seulement au-dessus de tout reproche mais aussi exemplaire aux yeux du grand public.

10. c) Sensibilisation et réceptivité (2) En présence d’une conduite illégale ou d’une attitude démesurément provocatrice, les employés doivent alors faire preuve de fermeté et de professionnalisme dans la mesure des pouvoirs qui

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Decision Page 22 leur ont été conférés. Lorsqu’ils jugent que ces pouvoirs ne leur permettent pas de résoudre un problème, les employés doivent demander l’aide nécessitée par les circonstances, y compris l’aide de la part des organismes locaux responsables de l’exécution des lois afin de maîtriser la situation. Dans de tels cas, les employés et les représentants de la direction ainsi que leurs surveillants s’assureront que les rapports appropriés sont rédigés au besoin.

... Conduite inacceptable 11. Les infractions suivantes comptent parmi celles qui pourraient justifier des mesures disciplinaires ou mener au congédiement d’un employé:

a) Malhonnêteté, abus d’autorité et infractions aux lois (Généralités)

(1) Tout employé du Ministère qui sous-évalue délibérément des marchandises au pays, accepte un pot-de-vin, un avantage ou une compensation quelconque par suite de l’exécution malhonnête ou de la non-exécution de ses tâches, qui a en sa possession des stupéfiants ou des drogues dont la possession est interdite en vertu de la loi, qui s’approprie l’argent ou un bien du Ministère, ou qui accomplit des gestes que l’on peut qualifier de malhonnêtes est passible de congédiement immédiat.

(2) Tout employé du Ministère qui agit de connivence avec quelqu’un d’autre en vue d’en tirer des avantages personnels, qui présente ou approuve des demandes fictives de remboursement des droits et taxes ou qui enfreint délibérément les dispositions des lois dont le Ministère assure l’application est passible de congédiement immédiat.

(b) Application des lois et des règlements relevant du Ministère

Les employés des Douanes et de l’Accise, leur famille et leurs amis qui reviennent au Canada ou qui importent des marchandises au Canada son assujettis aux mêmes règlements que le public voyageur. Les employés ne doivent pas tenter d’obtenir ou de recevoir un traitement de faveur de la part des employés du gouvernement qui travaillent pour le Ministère ou pour tout autre ministère. Les employés

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Decision Page 23 des Douanes et de l’Accise doivent déclarer toutes les marchandises achetées, acquises ou réparées pendant leur séjour à l’étranger, lors de leur retour au Canada; ils doivent se plier aux exigences de l’examen primaire ou secondaire jugé nécessaire par les fonctionnaires du Ministère ou de tout autre ministère. Le fait de ne pas se conformer à ces exigences sera considéré comme de la mauvaise conduite et pourra entraîner de graves mesures disciplinaires.

... Obligation pour les employés des Douanes et de l’Accise de signaler les infractions à la Loi

12. Conformément à la politique et aux procédures du Ministère sur les enquêtes internes, les employés doivent rapporter sans tarder à leurs surveillants toute allégation ou tout renseignement qui leur sont communiqués concernant la violation possible des présentes normes, des lois et des règlements appliqués par le Ministère ou de toute autre loi en matière criminelle, ces infractions étant commises au lieu de travail, que la (les) personne(s) responsable(s) soit (soient) ou non un (des) employé(s) du gouvernement. En plus, l’article 92 de la Loi sur l’administration financière (LAF) exige que tout fonctionnaire qui occupe quelque charge ou emploi se rattachant à la perception, à la gestion ou au déboursement de deniers publics, qui a connaissance d’une contravention à la LAF ou aux règlements connexes, ou à toute loi ayant trait à la perception des recettes, ou d’une fraude contre Sa Majesté, est tenu de la signaler à un supérieur. Une fois avisé de l’infraction, le surveillant doit immédiatement rédiger un rapport officiel expliquant les détails et l’envoyer au Receveur régional ou au Directeur régional concerné ou, à l’Administration centrale, au directeur ou directeur général concerné selon le cas.

13. Compte tenu de ce qui précède, les infractions prétendues ou reconnues qui figurent ci-dessous doivent être immédiatement signalées:

a) sollicitation ou acceptation de toute gratification ou de tout pot-de-vin en rapport avec une opération afférente aux Douanes et à l’Accise;

b) emploi ou affaires à l’extérieur non-autorisés; c) sollicitation ou acceptation de sommes, de cadeaux ou de marques de faveur de la part d’un membre du public qui transige avec le Ministère, que ce soit pour l’employé lui- même ou pour toute autre personne;

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Decision Page 24 d) association déplacée avec des importateurs, des courtiers et d’autres personnes qui ont régulièrement ou périodiquement affaire aux Douanes et à l’Accise, association qui pourrait constituer une infraction aux normes d’éthique ou aux règles de conduite;

e) utilisation interdite ou négligence dans l’utilisation des véhicules, du matériel ou des services (téléphone, etc.) du Ministère;

f) détournement de fonds appartenant au gouvernement; g) déclaration erronée, faux rapports ou fraude dans la rédaction de documents officiels;

h) divulgation interdite de renseignements au public; i) usage interdit ou possession de stupéfiants ou de drogues contrôlées;

j) participation à des opérations de jeux illégales au lieu de travail;

k) émission de chèques sans valeur ou toute autre transaction financière inappropriée ou douteuse faite au lieu de travail et qui pourrait discréditer le Ministère;

l) négligence de l’employé dans l’exercice de ses fonctions, surtout dans le cas de recettes qui sont ou qui auraient pu être compromises ou la possibilité de causer un manque à gagner soit en raison d’une mesure prise ou de l’absence de mesure qui aurait être prise pour l’application des lois ou règlements dont le Ministère (Douanes et Accise) assume la responsabilité;

m) tout acte frauduleux ou omission qui entraîne une perte de recettes ou de biens à Sa Majesté en raison de méfait, de négligence volontaire de ses devoirs ou de négligence flagrante;

n) usage interdit ou emploi abusif des cartes de crédit du gouvernement;

o) usage inconsidéré de titre, de pièces d’identité ou de poste.

Remarque: La présente liste n’est pas exhaustive, elle doit servir de guide en ce qui a trait aux activités jugées inacceptables pour un employé des Douanes et de l’Accise.

...

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Decision Page 25 26. b) Emprunt d’argent (1) Les employés ne doivent pas, que ce soit de façon directe ou indirecte, prêter ou emprunter des sommes d’argent importantes à d’autres employés.

27. On peut définir un conflit d’intérêts comme étant une situation les intérêts privés d’un employé, habituellement de nature financière ou matérielle, entrent en conflit avec ses fonctions et responsabilités publiques. Tout conflit, qu’il soit réel ou apparent, donne matière à préoccupation.

28. Il ne suffit nullement qu’un employé observe la loi. Il lui faut non seulement se conformer à la loi, mais avoir également une conduite si irréprochable qu’elle puisse résister à l’enquête la plus minutieuse.

29. Pour que leur intégrité et leur impartialité soient à l’abri de tout doute, les employés ou les membres de leur famille doivent faire en sorte de ne rien devoir à une personne ou à un organisme qui pourrait vouloir se faire accorder par leur entremise, une compensation ou un avantage particulier, ou chercherait par tous les moyens à obtenir d’eux un traitement de faveur. De même, un fonctionnaire ne doit pas avoir d’intérêts financiers susceptibles d’entrer en conflit de quelque manière que ce soit, avec l’exercice de ses fonctions officielles.

30. Il ne doit pas y avoir, ni sembler y avoir, de conflits entre les intérêts privés des employés et leurs fonctions officielles. Lorsqu’ils entrent au Ministère, ils doivent gérer leurs affaires personnelles de manière à éviter tout conflit d’intérêts.

31. Les employés doivent veiller, dans la gestion de leurs affaires personnelles, à ce qu’ils ne se servent ni semblent se servir ou à ce que les membres de leur famille immédiate ne se servent ni semblent se servir à leur avantage, de renseignements obtenus dans l’exercice de leurs fonctions officielles lorsque de façon générale, ces renseignements ne sont pas accessibles au public.

... 34. On s’attend à ce que tous les employés, après discussion avec leur surveillant, lui fournissent des détails par écrit sur tous les intérêts financiers, commerciaux ou d’affaires détenus par eux et leurs familles immédiates lorsque ces avoirs et ces intérêts pourraient vraisemblablement être considérés comme venant en conflit réel ou éventuel avec leurs fonctions officielles. Cette divulgation aurait être

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Decision Page 26 faite au plus tard le 30 juin 1974 par tous les employés dont le nom figurait sur la liste du personnel au moment de la divulgation par le Cabinet, des lignes de conduite sur les conflits d’intérêts.

... 41. Pour conserver l’intégrité et la réputation du service des Douanes et de l’Accise dans son ensemble, l’acceptation par un employé de tout cadeau, prêt, avantage, privilège, invitation , voyage et/ou logement gratuit ou à frais partagés au pays ou à l’étranger, ou de toute autre faveur faite ou offerte par un membre quelconque du public, à qui elle pourrait être profitable, ne peut être tolérée sauf dans la mesure précisée dans le présent paragraphe. Les employés doivent se rendre compte que le fait d’accepter des faveurs de la part du public est non seulement contraire aux exigences de la profession et porte préjudice à la réputation de tous les employés des Douanes et de l’Accise, mais peut être également illégal en vertu du Code pénal. À remarquer que par le seul fait de donner ou d’accepter des cadeaux, la personne qui donne et celle qui reçoit s’exposent toutes deux à une accusation en vertu du Code pénal.

42. Les employés ne peuvent demander ni accepter aucun cadeau, gratification, faveur, divertissement, repas et/ou boisson, prêt, ni aucune autre considération qui représente une valeur monétaire, que ce soit directement ou indirectement, dont la provenance est interdite ou de l’extérieur. L’expression «provenance interdite ou extérieure» englobe une personne, une entreprise, une société commerciale, une association ou tout autre organisme qui:

a) fait ou cherche à faire des affaires avec les Douanes et l’Accise;

b) a des intérêts à sauvegarder, ces derniers pouvant être mis en péril advenant l’exécution ou la non- exécution des fonctions officielles de tout employé des Douanes et de l’Accise.

... 44. Parmi les «cadeaux, prêts, avantages, privilèges ou autres faveurs» dont l’acceptation est interdite, l’on retrouve:

a) des présents en espèces, en marchandises ou en services;

b) une réduction de prix sur des marchandises ou des services;

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Decision Page 27 c) des travaux effectués gratuitement sur la propriété de l’intéressé;

d) un traitement préférentiel quelconque accordé par une entreprise commerciale;

e) des prêts d’argent, de matière ou d’équipement de toute sorte;

f) toute autre faveur accordée, offerte à un employé ou mise à sa disposition par une personne faisant affaire avec le Ministère, simplement parce qu’il est un employé du Ministère, et accordée ou offerte à un membre de la famille de l’employé ou à toute autre personne au nom de l’employé.

... 53. Les employés ne doivent pas, exception faite des rapports qu’ils ont dans le cadre de leurs tâches officielles, entretenir de relations avec des individus ou des groupes soupçonnés ou reconnus par l’employé comme étant des individus reliés à des activités criminelles lorsque ces relations sont susceptibles de discréditer, directement ou indirectement, la personnalité, la réputation de l’employé ou des Douanes et de l’Accise.

Manon Rose n'a pas signalé à son employeur le fait que le système des sacs «M» pouvait servir de véhicule au trafic de drogues.

Quant à la suspension, l'employeur avait raison de suspendre Manon Rose car elle était soupçonnée de complot de trafic de drogues par la G.R.C. et d'abus de confiance. Par conséquent, on ne pouvait prendre le risque de la laisser sur les lieux de travail. D'ailleurs, il faut remarquer que deux jours après l'interrogatoire de Manon Rose, soit le 3 mai 1995, il y a eu une autre saisie de drogue dans les sacs «M» sur les lieux de travail.

Un inspecteur des douanes est appelé à exécuter diverses tâches mais vu la perte de confiance, il n'y a aucun poste qui pourrait être confié à Manon Rose. Pour ce faire, il faudrait vérifier chaque colis relâché par Manon Rose.

Les extraits d'écoute électronique produits sont pertinents en ce qu'ils démontrent les correspondances entre les dates de livraison de la drogue et les dates de réception de l'argent.

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Decision Page 28 Le bris de confiance à l'endroit de Manon Rose est irrémédiable. Sont citées, les causes suivantes: Lucien Charbonneau et Le Conseil du Trésor (dossiers de la Commission 166-2-25889 et 166-2-25890); Gérard Laplante et Le Conseil du Trésor (dossier de la Commission 166-2-18001 et dossier de la Cour d'appel fédérale: A-175-89); Stéphane Laparé et Le Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes (dossier de la Commission 166-18-22492); Hugh J.A. Dashney et Le Conseil du Trésor (dossier de la Commission 166-2-14177); Allan R. Francis et Le Conseil du Trésor (dossier de la Commission 166-2-24111); E.B. Charles et Le Conseil du Trésor (dossier de la Commission 166-2-6434); C. Edis A. Flewwelling et Le Conseil du Trésor (dossier de la Commission 166-2-14236).

PLAIDOIRIE DE MANON ROSE La plaidoirie du procureur de Manon Rose peut être résumée comme suit. Manon Rose a été suspendue dans l’attente d’une enquête menée par la Division des affaires internes au sujet de son «implication dans un dossier de contrebande» (pièce E-23) et elle a été congédiée pour avoir été «au courant de trafic de narcotiques» effectué par ses confrères de travail et «avoir accepté de l’argent de ceux- ci en échange de considérations futures» (pièce E-22). Or, l’enquête interne de Henri Samson n’a pas permis d’établir ces faits puisque l’enquêteur Samson s’est borné dans son rapport (pièce E-16) à reprendre les conclusions de la G.R.C. Réjean Ross a déclaré s’être basé sur le rapport d’Henri Samson (pièce E-6) et sur le résumé de l’interrogatoire de Manon Rose (pièce E-11) pour congédier Manon Rose. Il y a donc lieu d’évaluer la valeur probante de ces documents.

Les notes (pièce A-4) qui ont servi au résumé ne furent rédigées qu’après l’interrogatoire. Pour l’interrogatoire, Manon Rose était dans le bureau de son patron, seule avec les policiers. À un moment donné, le mot «Tanguay» fut prononcé. On ne lui a pas dit qu’elle était libre de quitter la pièce.

La chronologie du résumé (pièce E-11) de la déclaration de Manon Rose est douteuse. Une logique interne fait défaut au document. Les mots «considérations futures» sont mentionnés deux fois dans les notes de Gary Hadley (pièce A-4); par Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 29 contre, on les retrouve cinq fois dans le résumé (pièce E-11). Comment expliquer cette différence?

Gary Hadley ne pouvait dire qui, en premier, avait utilisé les mots «considérations futures». Certes, Manon Rose a acquiescé à cette expression. Ces mots laissent flotter une certaine atmosphère. Il est important de rechercher leur signification car Réjean Ross a tenu pour avérées ces «considérations futures» et il en a conclu que Manon Rose était coupable de complot de trafic de narcotiques. Il aurait fallu que l’employeur établisse que ces mots signifiaient pour un motif illicite quelconque, tel, fermer les yeux.

Il est incompréhensible que Gary Hadley n’ait pas pris de notes durant la rencontre, en particulier du fait que Daniel Drapeau a parlé à Manon Rose de «son plan» tel que mentionné dans son résumé (pièce E-11). Il faut conclure qu’il s’agit de négligence et d’invention de sa part. Il veut tellement «enfoncer le clou» qu’il est illogique lors de son témoignage et prétend que les mots «cet incident» (pièce E-11, page 3, dernier paragraphe) font allusion autant au plan de Daniel Drapeau qu’à l’argent que Daniel Drapeau et Manuel Soares ont remis à Manon Rose. À sa face même, le résumé de la déclaration de Manon Rose contient des contradictions en plus d’une chronologie douteuse et de termes («considérations futures») dont on ignore qui en est vraiment l’auteur.

Même si Manon Rose fut mentionnée lors des conversations (pièces E-4 et E-5) interceptées, il ne s’agit que d’une coïncidence. Daniel Drapeau profite du fait qu’il a de l’argent disponible pour le faire remettre à Manon Rose par Manuel Soares. Il s’agit d’une preuve circonstancielle. De plus, il n’y a pas de preuve que Manon Rose ait posé des gestes illégaux pour servir les fins des trafiquants.

Même en admettant que le but de Daniel Drapeau en prêtant de l’argent à Manon Rose était peut-être de lui demander sa collaboration éventuellement, on ne peut présumer qu’elle aurait accepté.

Entre le témoignage et le résumé (pièce E-11) de Gary Hadley et le témoignage de Manon Rose, c’est celui de cette dernière qu’il faut retenir. Il faut se rappeler qu’il s’agit d’une employée avec d’excellents états de service et aucun antécédent disciplinaire.

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Decision Page 30 Manon Rose admet avoir reçu un prêt d’un collègue alors que le Code de conduite (pièce E-21) l’interdit. Il faut comprendre que dans le milieu de travail, il se forme des relations intimes qui peuvent parfois amener un employé à transgresser l'une ou l'autre norme. On comprendrait mal que Manon Rose ait accepté un prêt de quelqu’un qui n’est pas son ami mais on peut comprendre un prêt d’un ami intime. Même si le Code de conduite (pièce E-21) prohibe cette sorte de transaction, le licenciement est une mesure disciplinaire trop sévère.

Il y a lieu d’apprécier la crédibilité de Manon Rose et d’analyser ses explications quant au fait d’avoir accepté de l’argent par l’entremise de Manuel Soares ainsi que sur la production d’un affidavit (pièce E-29) de son conjoint.

En congédiant Manon Rose au mois d’août 1995 en même temps que ses collègues (Demenezes, Soares, Johnson, Drapeau), l’employeur n’a pas entendu la version de Manon Rose et il s’en est remis exclusivement à sa déclaration (pièce E-11) telle que résumée par l’agent Gary Hadley de la G.R.C. Si l’employeur avait attendu de savoir si des accusations en cour criminelle seraient portées contre Manon Rose, il aurait donné à celle-ci l’occasion de s’expliquer une fois la décision prise de ne pas porter d’accusations contre elle. Ni la règle d’audi alteram partem ni le «duty to act fairly» n’ont été respectés.

Par ailleurs, si Manon Rose n’a pas remboursé le «prêt» à Daniel Drapeau, il ne faut pas lui en tenir rigueur car elle a été licenciée, elle n’a plus de revenus et elle peut considérer que c’est à cause de Daniel Drapeau qu’elle se retrouve dans cette situation.

RÉPLIQUE DU PROCUREUR DE L'EMPLOYEUR En réplique, le procureur de l’employeur souligne que l’agent Gary Hadley ne connaissait pas Manon Rose et n’avait pas d’intérêt personnel à ce que des accusations soient portées contre elle. Quant à la prétention que la règle audi alteram partem a été violée en n’obtenant pas la version de Manon Rose avant de la licencier, quel que soit le mérite de cette prétention, l’arbitrage même du licenciement a remédié à la situation («cured the defect»). (L’avocate de l’employeur fait allusion à Tipple dossier de la Cour fédérale: A-66-85) De plus, il faut se rappeler que la version de Manon Rose a été obtenue lors de l’interrogatoire et en raison de sa formation d’inspecteur des douanes, elle était familière avec les interrogatoires.

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Decision Page 31 MOTIFS Dans cette affaire, le fardeau de la preuve incombait à l’employeur. Comme il s’agit d’une matière civile, il ne s’agissait pas de démontrer la culpabilité de Manon Rose au-delà de tout doute raisonnable comme ce serait le cas en matière criminelle, mais plutôt il s’agissait d’établir les gestes reprochés à Manon Rose en fonction de la norme de la prépondérance des probabilités. J’estime que l’employeur s’est déchargé de son obligation de faire cette preuve.

Manon Rose a été licenciée en bonne partie sur la base des révélations et des explications qu’elle a fournies lors d’un interrogatoire (pièce E-11) mené par deux agents de la G.R.C. Cet interrogatoire découlait de la mise au jour de l’existence d’un réseau d’importation de stupéfiants auquel participaient des collègues de Manon Rose.

Ayant vu et entendu d’une part, l’enquêteur de la G.R.C., Gary Hadley et d’autre part, Manon Rose, j’accorde plus de poids à la déposition de l’enquêteur Hadley et je m'en expliquerai plus loin.

De plus, je suis d’avis que la déclaration de Manon Rose était libre et volontaire, qu’elle comprenait qu’elle était soupçonnée de complot d’importation de stupéfiants et d’abus de confiance. Je suis également d’avis qu’elle connaissait ses droits puisque d’une part, on les lui a lus et d’autre part, elle était familière avec les interrogatoires en raison de ses fonctions et de sa formation de douanier.

Je pense qu’il aurait été préférable que l’enquêteur Hadley mette sur papier les affirmations de Manon Rose au moment même on interrogeait Manon Rose au lieu de le faire de mémoire (pièce A-4) durant la soirée, une fois l’interrogatoire terminé, et enfin de rédiger la version finale (pièce E-11) deux jours plus tard. Toutefois, son omission n’est pas fatale à la valeur probante de son résumé de l’interrogatoire. En effet, le témoignage de l’agent Hadley et, en particulier son empressement à reconnaître que l’expression «considérations futures» ne venait pas nécessairement de Manon Rose mais que son confrère ou lui-même furent peut-être les premiers à l'avoir utilisée, rehausse la crédibilité de l’agent Hadley et partant, de son résumé de l’interrogatoire (pièce E-11).

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Decision Page 32 Par ailleurs, lors de son témoignage, Manon Rose elle-même a confirmé sur certains points cruciaux à la thèse de l’employeur, le témoignage de l’agent Hadley, renforcissant du fait même, la crédibilité de l’agent Hadley. En particulier, elle a corroboré le témoignage de l’agent Hadley que ce n’était pas elle mais plutôt les deux agents de la G.R.C. qui avaient amené sur le tapis le fait que ce n’était pas 2 000 $ qu’elle avait reçus mais bien 3 000 $. J’y reviendrai. Bref, je suis d’avis que la crédibilité de l’agent Hadley a été établie.

D’autre part, j’estime que Manon Rose n’a pas établi sa propre crédibilité. Manon Rose n’a pu fournir d’explications sur des éléments importants. Ainsi, elle admet avoir acquiescé à l’expression «considérations futures» mais elle ne peut expliquer pourquoi elle a acquiescé. Elle admet ne pas avoir mentionné aux agents qu’elle a également reçu 1 000 $ des mains de Soares. Elle prétend que c’est un oubli qu’elle ne parvient pas à s’expliquer. Elle admet avoir remis à l’employeur une déclaration sous serment (pièce E-29) de son conjoint mais elle ne peut expliquer pourquoi elle a posé ce geste.

De plus, Manon Rose s'est contredite lors de son témoignage. Au début, elle parle de «cadeaux» reçus de Daniel Drapeau et subséquemment d'«emprunts». Bref, les réticences et les oublis contenus dans son témoignage ajoutés à ses aveux et à la preuve circonstancielle font qu’entre le témoignage de Manon Rose et celui de l’agent Hadley, j’accorde plus de poids à celui de l’agent Hadley.

J’en arrive aux conclusions de fait que je tire à partir de l’ensemble de la preuve.

Manon Rose a reçu 2 000 $ de son collègue et ex-amant, Daniel Drapeau. Elle a reçu 1 000 $ de son collègue, Manuel Soares.

Elle a reçu les 2 000 $ de Daniel Drapeau en deux versements: 1 000 $ dans la semaine du 28 février - 3 mars 1995 et 1 000 $ à la fin du mois de mars 1995.

Elle a reçu 1 000 $ de Manuel Soares en un versement vers la mi-avril 1995. On ne sait pas précisément ce qu’elle devait faire en retour de ces paiements. Toutefois, quelle est la preuve circonstancielle entourant ces paiements?

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Decision Page 33 Les trois versements ont eu lieu à des dates très rapprochées de cinq conversations téléphoniques entre Daniel Drapeau et Manuel Soares interceptées par écoute électronique les 25 février 1995 (pièce E-4), 22 mars 1995 (pièce E-28, 25 mars 1995 (pièce E-5), 13 avril 1995 (pièces E-26, E-27).

Il ressort de ces conversations ainsi que des explications fournies par l’agent Hadley que Daniel Drapeau comptait donner «ça» à «Manon» (pièce E-4), un «saumon» à «Manoune» (pièce E-5), qu’il avait de l’argent caché dans son barbecue (pièces E-26 et E-27) qui serait pris par l’épouse de Manuel Soares, Huguette Soares. Il ressort aussi du témoignage de Gary Hadley que le 13 avril 1995, après avoir intercepté les conversations téléphoniques, les agents de la G.R.C. ont vu 20 000 $ dans le barbecue de Daniel Drapeau et ils ont également vu l’épouse de Manuel Soares, prendre l’argent.

D’abord, j’estime que la «Manon» ou «Manoune» dont il est question dans les conversations interceptées est Manon Rose. Elle a reconnu que Daniel Drapeau l’appelait ainsi et Serge Cardinal confirme que c’était son surnom. De plus, les policiers ont pris connaissance grâce à l’écoute électronique du fait que la fameuse «Manon» avait reçu 3 000 $ et Manon Rose a fini par leur admettre que c’est 3 000 $ qu’elle a reçu.

Deuxièmement, j’estime que la proximité dans le temps entre les versements faits par Daniel Drapeau et par Manuel Soares à Manon Rose et les conversations téléphoniques révélant l’intention de Drapeau et Soares de payer certaines personnes, et au cours desquelles une «Manon» et «Manoune» est mentionnée, était plus qu’une simple coïncidence. La proximité entre les versements à Manon Rose et les conversations téléphoniques entre Drapeau et Soares est un élément de preuve qui, en soi, n’est pas concluant mais qui, ajouté aux affirmations et aux silences de Manon Rose lors de l’interrogatoire, me convainquent que les trois versements d’argent par Drapeau et Soares à Manon Rose n’étaient pas des actes désintéressés tel qu’a voulu m’en convaincre Manon Rose, mais plutôt des transactions illicites visant à rémunérer ou récompenser un (ou des) service(s) rendu(s) ou un (ou des) service(s) à rendre par Manon Rose ou une assistance quelconque de sa part.

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Decision Page 34 Je ne crois pas Manon Rose lorsqu’elle affirme qu’il s’agissait d’emprunts. Si Daniel Drapeau était un «ami», Manuel Soares, lui, ne l’était pas, et je m’explique mal qu’un beau jour, il ait décidé de prêter 1 000 $ à Manon Rose, pas plus que je ne crois Manon Rose lorsqu’elle prétend que Soares n’était que le «messager» de Drapeau.

En effet, les versements doivent être considérés à la lumière du reste de la preuve. Manon Rose a admis à l’agent Hadley (pièce E-11) avoir été au courant du plan de Daniel Drapeau de faire de l’argent en faisant entrer de la «dope» par les «M-Bags». ce sujet, c’est le témoignage de l’agent Hadley que je retiens, et ce, d’autant plus qu’aucune des personnes présentes, selon Manon Rose, au moment Drapeau a parlé de ce sujet, ne sont venues corroborer le témoignage de Manon Rose.)

Bref, je pars de la prémisse que Manon Rose était au courant du plan de Daniel Drapeau. Ensuite, lorsqu’elle est interrogée, elle est évasive, il faut lui arracher les faits: elle commence par parler de cadeaux de 100 $, une heure plus tard, elle avoue avoir reçu deux fois 1 000 $ de Daniel Drapeau, puis elle passe sous silence l’argent reçu de Manuel Soares et ce n’est qu’une fois confrontée qu’elle finit par admettre avoir reçu 1 000 $ de Manuel Soares. Elle affirme que Daniel Drapeau n’est pas venu chez elle à Beauharnois, et une fois de plus, lorsqu’on lui rafraîchit la mémoire, elle avoue qu’il est allé chez elle une fois en 1995. Pourquoi cette réticence à faire connaître tous les faits dès le début? Je ne crois pas qu’il s’agisse d’oublis innocents.

Je pense que si les 3 000 $ versés à Manon Rose lui avaient été versés dans des circonstances innocentes, elle n’aurait pas été réticente lors de l’interrogatoire à tout révéler dès le début et elle n’aurait pas caché l’argent reçu de Soares. Je pense qu’elle a voulu taire l’argent reçu de Soares parce qu’elle savait qu’en révélant ce versement, ses explications voulant que l’argent reçu de Daniel Drapeau constituait des «emprunts», devenaient moins crédibles.

À ces considérations, il faut ajouter que ni Drapeau ni Soares ne sont venus confirmer que l’argent qu’ils ont versé à Manon Rose constituait un ou des emprunts ni n’ont-ils confirmé que Soares n’était qu’un messager de Drapeau.

Lors de son témoignage, Manon Rose a affirmé qu’elle avait accepté de l’argent de Daniel Drapeau à titre d’emprunt et qu’en effectuant le troisième versement,

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Decision Page 35 Manuel Soares n’était que le messager de Drapeau. Comment concilier cette partie de son témoignage avec sa déclaration à l’agent Hadley lors de l’interrogatoire? Même en tenant pour acquis qu’elle n’est pas à l’origine de l’expression «considérations futures», elle a acquiescé lors de l’interrogatoire à l’emploi de cette expression pour expliquer pourquoi elle avait accepté de l’argent. Je m’explique mal qu’elle ait acquiescé et même utilisé cette expression cet égard, je retiens le témoignage de l’agent Hadley) si, comme elle le prétend, il s’agissait de simples emprunts. Tout considéré, j’en arrive à la conclusion qu’il ne s’agissait pas d’«emprunts», que Manon Rose a voulu cacher la véritable nature des trois versements et qu’elle a acquiescé à l’expression «considérations futures» parce que justement, cette expression la dispensait en quelque sorte d’apporter plus de précisions sur la contrepartie des trois versements.

Je me suis demandée si, avant de pouvoir licencier Manon Rose, l’employeur aurait être en mesure d’établir précisément les «considérations futures», c’est-à- dire la contrepartie exacte des trois versements faits par Drapeau et Soares à Manon Rose, et j’en suis arrivée à la conclusion que dans les circonstances particulières de cette affaire, il serait déraisonnable d’exiger cette preuve.

Le fait que Manon Rose de son propre chef, ait fait allusion devant les enquêteurs de la G.R.C. à un «plan» de Drapeau, le fait qu’elle ait déclaré avoir été au courant du plan de Drapeau de faire de l’argent en faisant entrer de la «dope» au moyen de la propriété de l’employeur (les sacs «M»), le fait qu’elle n’ait pas dénoncé ce plan à l’employeur, le fait qu’elle ait accepté une somme importante d’argent (3 000$) de deux collègues mêlés à un réseau d’importation de stupéfiants et ce, à une époque contemporaine à des conversations interceptées dans lesquelles il est fait allusion à des paiements à certaines personnes dont une certaine Manon et également contemporaine aux saisies de drogue dans les sacs «M», le fait qu’elle n’ait pas avoué spontanément avoir aussi accepté de l’argent de Manuel Soares mais qu’il ait fallu plutôt l’amener à avouer cet argent reçu de Soares, sont autant de faits dont l’employeur devait tenir compte dans son évaluation de la confiance qu’il pouvait mettre en Manon Rose et, en fin d’analyse, je pense que Manon Rose a posé suffisamment de gestes troublants pour que son employeur n’ait plus confiance en elle et la licencie sans qu’il soit nécessaire maintenant d’astreindre l’employeur à établir précisément la contrepartie des trois versements. Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 36 Par ailleurs, à ces gestes que je viens d’énumérer, s’ajoute du moins quant à l’évaluation de sa crédibilité le fait que Manon Rose ait remis à son employeur au quatrième palier de la procédure de griefs, une déclaration (pièce E-29) de son conjoint selon laquelle la plus grande partie de cet argent lui appartenait. Je partage le point de vue de la procureure de l’employeur selon lequel il s’agissait d’un geste calculé. Lorsque contre-interrogée, Manon Rose n’a pu fournir quelque raison pour expliquer d’avoir remis ce document à son employeur. Vu son incapacité à fournir un quelconque motif, j’en suis arrivée à la conclusion qu’il s’agissait d’une tentative malhabile d’induire en erreur l’employeur et de se distancer de cet argent qu’elle avait reçu de Drapeau et qui lui avait coûté son emploi. Bref, ce comportement postérieur au licenciement de Manon Rose et le fait qu’elle ne peut s’en expliquer lors du contre- interrogatoire, est compatible avec sa réticence lors de l’interrogatoire par les enquêteurs de la G.R.C. à révéler qu’elle avait également reçu 1 000 $ de Manuel Soares.

En conclusion, j’estime que l’employeur a fait la preuve des faits qu’il reproche à Manon Rose dans la lettre de licenciement.

Dans toute cette affaire, Manon Rose a adopté une conduite qui a miné sa propre crédibilité et qui a entaché de façon irrémédiable la perception que son employeur et le public pouvaient avoir de son intégrité. En ne dénonçant pas le «plan» de Daniel Drapeau de se servir des sacs du Ministère pour faire le trafic de stupéfiants, elle a manqué à son serment d’office (pièce E-20) et au Code de conduite qui la régit (article 12, pièce E-21) ainsi qu’à ses obligations d’agent de la paix en plus de ne pas respecter sinon la lettre du moins l’esprit des fonctions énumérées dans sa description d’emploi (pièce E-18).

En acceptant pour «considérations futures» 2 000 $ de ce même Daniel Drapeau, collègue et trafiquant de stupéfiants, et 1 000 $ de Manuel Soares, un autre collègue de travail en attente de procès relié au même trafic de stupéfiants, elle a manqué à son obligation d’intégrité (articles 8, 9, 11(a) du Code de conduite), elle s’est placée dans une situation de conflit d’intérêts (articles 27, 28, 29 et 30 du Code de conduite) et elle a entretenu des relations avec des individus reliés à des activités criminelles (article 53 du Code de conduite). Il est pertinent de noter que même si je ne retenais que la version de Manon Rose, c’est-à-dire que les versements d’argent

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Decision Page 37 constituaient des «emprunts», je tirerais encore la conclusion qu’elle a contrevenu au Code de conduite car: 1) les emprunts de sommes d’argent importantes à d’autres employés sont prohibés (article 26(b)(1) Code de conduite) et 2) Manon Rose admet avoir contrevenu à son serment d’office (pièce E-20). Vu les circonstances se seraient produits ces soi-disant «emprunts», je conclurais tout autant, qu’en l’espèce, ils justifient le licenciement.

Finalement, je ne crois pas que les 21 ans de services de Manon Rose et son dossier disciplinaire vierge puissent faire pencher la balance en sa faveur.

Pour ces raisons, les griefs sont rejetés.

Marguerite-Marie Galipeau, président suppléant

OTTAWA, le 16 décembre 1996.

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