Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Suspension (2 jours) - Négligence - Dossier de l'employé - le fonctionnaire s'estimant lésé, un contrôleur maritime à la Garde côtière canadienne, a reçu un appel de la police locale selon lequel un bateau était attaché à une borne en eau peu profonde - le fonctionnaire a reçu une suspension de trois jours, ramenée subséquemment à deux jours par l'employeur, pour ne pas avoir donné suite à cet appel - le fonctionnaire a soutenu que, d'après l'information reçue de la police locale et à la suite de l'enquête préliminaire qu'il avait menée, et qui lui avait permis de conclure que le navigateur pouvait marcher en toute sécurité jusqu'au rivage, il ne s'agissait vraisemblablement pas d'une situation de détresse et qu'il n'y avait donc pas lieu de prendre d'autre mesure - l'employeur a contesté ces affirmations et a maintenu que le fonctionnaire s'estimant lésé aurait dû déclarer l'alerte - l'employeur s'est référé à un incident antérieur où le fonctionnaire avait été réprimandé pour négligence - l'arbitre a fait remarquer qu'une erreur de jugement, en supposant que c'était effectivement le cas dans les circonstances, ne justifie pas nécessairement l'imposition d'une sanction disciplinaire - l'arbitre a conclu que, à la lumière de la propre politique de l'employeur selon laquelle les contrôleurs maritimes ne devaient pas recourir aux ressources de recherche et de sauvetage chaque fois qu'ils reçoivent un appel, la réaction du fonctionnaire s'estimant lésé à l'appel semblait correcte dans les circonstances et ne constituait pas un acte de négligence - l'arbitre a ordonné à l'employeur de restituer la rémunération et les avantages sociaux que le fonctionnaire avait perdus. Grief admis.

Contenu de la décision

Dossier : 166-2-27502 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE CLAUDE SAINT-AMOUR fonctionnaire s’estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Pêches et Océans)

employeur

Devant : P. Chodos, président suppléant Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Derek Dagger, Alliance de la Fonction publique du Canada Pour l’employeur : Harvey Newman, avocat Affaire entendue à Victoria (Colombie-Britannique), le 30 septembre et le 1 er octobre 1997.

Décision Page 1 DÉCISION M. Claude Saint-Amour, le fonctionnaire s'estimant lésé, assume les fonctions de contrôleur maritime au Centre de coordination des opérations de sauvetage d'Esquimalt (Colombie-Britannique). Il a contesté l'imposition d'une suspension disciplinaire de trois jours, que l’employeur a subséquemment ramenée à deux jours, à la suite d’un incident survenu le 27 juin 1995. M. Saint-Amour a aussi contesté la négation de son droit à la représentation syndicale; M. Dagger, son représentant, a toutefois signalé en cours d'audience que M. Saint-Amour voulait laisser tomber cette question.

Le Centre de coordination des opérations de sauvetage est une composante de la Garde côtière canadienne. Il a pour tâche de coordonner les activités maritimes de recherche et de sauvetage le long de la côte Ouest. Le centre fonctionne vingt-quatre heures par jour, trois cent soixante-cinq jours par année. Deux contrôleurs de la Garde côtière et un officier des Forces armées canadiennes s'y trouvent en tout temps. Le soir du 26 juin 1995, M. John Riddle remplissait les fonctions de contrôleur principal et était secondé par M. Saint-Amour. Durant son quart de travail, ce dernier a reçu un appel d'une répartitrice de la police à Vancouver. Tous les appels sont enregistrés. L'appel en question a été retranscrit, et les segments présentant un intérêt pour l'affaire sont reproduits ci-dessous (pièce E-6) : 0529Z 27 JUIN 95 [Traduction] P. : « Un homme a téléphoné plus tôt pour dire que... qu'un bateau semblait être en difficulté... près du premier casse-croûte du côté de la baie English si l'on regarde dans cette direction. Cette fois, l'homme a dit il y a un bateau qui cherche ... la Garde côtière est là. »

S.-A. : « bien, mademoiselle, on avait quelque chose dans le bout de ... euh ... Stanley Park. »

P. : « OK, bon. C'est peut-être la même chose. » S.-A. : « Ça fait un bout de temps de ça. » P. : « Ce type, il téléphone de Locarno. Plage Locarno. Et il voit toujours le bateau, le bateau et la Garde côtière. Euh ... il dit que le bateau est maintenant vis-à-vis de ... euh... du casse-croûte le plus à l'ouest. Il est attaché à une borne dans l’eau. Je suppose que la personne

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Décision Page 2 connaissait les marées... Elle ... elle a réussi à attacher le bateau à une borne. »

P. » désigne la police et « S.-A. », M. Saint-Amour.) Le fonctionnaire soutient avoir examiné les cartes pertinentes pour déterminer l'emplacement de la borne et vérifié la météo pour le secteur. Il aurait ensuite demandé à M. Riddle si, à sa connaissance, il y avait quelque chose de particulier dans le secteur. M. Saint-Amour a communiqué avec le centre de sauvetage de Vancouver pour déterminer si un navire de sauvetage du camp de Kitsilano (Vancouver) avait été envoyé dans le secteur (c.-à-d., la baie English). M. Riddle a communiqué avec le camp Kitsilano à peu près au même moment. L'appel a lui aussi été enregistré et il a été présenté en preuve (pièce E-8). Voici une retranscription de l’échange : 0532Z 27 JUIN 95 [Traduction] K. : « Bonsoir. Ici le camp Kitsilano. » J. R. : « Bonsoir, c'est Jack du service de sauvetage. » K. : « Oui. » J. R. : « Vous êtes rentrés au camp? » K. : « Oui. » J. R. : « Qu'est-ce que vous cherchiez au juste, un bateau? La police de Vancouver a téléphoné pour dire, euh, que le bateau que vous cherchiez, il est attaché à une borne, euh, dans la baie English. »

K. : « ... une borne? » J. R. : « Plage Locarno ... Nous autres, on n’était au courant de rien. Alors j'ai pensé vous appeler pour en savoir plus ... Vous aussi vous n’étiez au courant de rien? »

K. : « Non. Non, on cherche pas un bateau. » J. R. : « Non. Non. Je ne pensais pas non plus. » K. : « Mais, euh ... » J. R. : « Mais je me suis dit que, bof, ça ne coûtait pas cher de vérifier... Au cas ... Rien d'autre à signaler? »

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Décision Page 3 K. : « Alors, comme ça, un bateau serait attaché à une borne quelque part? »

J. R. : « Oui, à la plage Locarno, quelque part du genre. » K. : « Hum, intéressant. Une seconde, OK, je vous passe Kelly. »

J. R. : « OK. » J. R. : « Kelly, c'est Jack. » K. K. : « Salut Jack. » J. R. : « Comment ça va? » K. K. : « Assez bien, merci. » J. R. : « Bon. Écoute, la police nous a avisés qu'un type avait téléphoné de la terre ferme pour dire que le bateau que vous cherchiez était attaché à une borne à la plage Locarno et ... »

K. K. : « Plage Lacana? » J. R. : «Ouais, et je me suis dit... je ne sais pas... » K. K. : « Ah, Locarno! » J. R. : « Locarno, oui. » K. K. : « OK. » J. R. : « J'ai dit : "Je ne suis au courant de rien mais ... » K. K. : « Moi non plus. Est-ce qu'on était supposé être en train d’effectuer des recherches? »

J. R. : « Pas que je sache. De toute façon, je voulais seulement vérifier avec vous autres, question de m'assurer qu'on était sur la même longueur d'ondes. »

K. K. : « On dirait qu'ils ... qu'ils ont vu un bateau attaché et qu'ils ont tenu pour acquis que ... qu'on le cherchait. »

J. R. : « Ouais. Quelque chose du genre. Je ne sais pas. Y'a pas à s'inquiéter. Je voulais juste m'assurer que vous étiez pas en train de chercher ou que la police vous avait pas appelé sans qu'on le sache, tu sais ... »

K. K. : « OK Jack. » J. R. : « Pas de problème mon homme. » Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 4 K. K. : « Bon. » J. R. : « Porte-toi bien. » K. K. : « Merci. » J. R. : « Bye. » **NOTA : K. désigne le camp Kitsilano; J. R., Jack Riddle; et K. K., le capitaine Kelly au camp Kitsilano.

Apparemment, aucune autre mesure n'a été prise à la suite de l'appel de la police, et l'incident n'a pas été inscrit dans le registre officiel (pièce E-3). Selon M. Riddle, M. Saint-Amour et lui savaient que la borne en question se trouvait à proximité du rivage, en eaux peu profondes; puisqu'on était alors en début de soirée, à marée basse, il devait donc y avoir environ deux pieds d'eau seulement à cet endroit. M. Riddle a affirmé dans son témoignage que l'opérateur du bateau pouvait facilement, et sans danger, marcher de la borne au rivage dans ces conditions. Au centre depuis douze ans, M. Riddle dirigeait auparavant la division maritime de la Gendarmerie royale, il détenait le grade de sergent. Il a souligné que, bien que la Loi sur la marine marchande du Canada l'interdise, il n'est pas rare de voir un bateau amarré à une borne kilométrique. M. Saint-Amour a lui-même soutenu dans son témoignage que, à son avis, le bateau n'était pas en péril et c'est pourquoi il n'a pas jugé bon de prendre d'autres mesures.

Environ deux heures plus tard, le centre a reçu un appel d’un certain Neil. Celui-ci téléphonait de Sewell's Marina (un établissement faisant la location de bateaux) pour signaler qu'un bateau de quinze pieds, loué à un dénommé Jeff Kingsmith, manquait à l'appel. Selon lui, le bateau avait pris la direction de Howe Sound. Le centre a affecté un certain nombre de ressources à la recherche du bateau manquant. Parmi ces ressources figuraient l'Osprey, un navire de sauvetage ancré au camp Kitsilano, et un aéroglisseur. Après environ quatre heures de recherches dans les eaux au nord de Vancouver (pièce E-4), le centre a reçu un second appel de Sewell's Marina; M. Kingsmith avait téléphoné de son domicile pour dire qu'il avait échoué le bateau sur le haut-fond appelé Spanish Banks. Il a par la suite été confirmé que ce bateau était bien celui signalé plus tôt.

M. John Palliser supervise le Centre de coordination des opérations de sauvetage à Esquimalt. Il travaille de 8 h à 16 h, du lundi au vendredi. À son arrivée Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 5 au travail le matin du 27 juin, il a reçu un appel de M. John McGrath, l’officier responsable de la base d'aéroglisseurs de la Garde côtière à Richmond (Colombie-Britannique), d'où provenait l'un des aéroglisseurs utilisé pour les recherches de la veille. Selon M. Palliser, M. McGrath a dit qu'avant le début des recherches le centre avait reçu des informations sur le bateau manquant et n'avait pris aucune mesure; il a par conséquent demandé à M. Palliser de mener une petite enquête là-dessus. M. Palliser a examiné le registre officiel et le relevé des incidents pour les 26 et 27 juin; rien n'indiquait que les contrôleurs avaient été avisés plus tôt de la disparition du bateau. Il a ensuite communiqué avec le camp Kitsilano. On a attesté qu'il y avait eu dans la soirée, avant le début des recherches, une conversation entre le personnel du camp et celui du centre concernant un bateau le même que celui ayant fait l'objet de recherches, a-t-on confirmé plus tard. M. Palliser a par la suite écouté l'enregistrement des conversations téléphoniques du centre à ce sujet et a fait transcrire ces conversations (ci-dessus). Il en a conclu que le personnel du centre avait négligé de faire le suivi, ce qui l'a alarmé, puisque c’était son devoir de faire en sorte que les opérations de recherche et de sauvetage soient menées de manière prompte et efficace. M. Palliser a soutenu dans son témoignage qu'il était nécessaire d'analyser chaque incident pour déterminer les ressources à utiliser. L'inaction des contrôleurs suivant l'appel de la police aurait pu avoir des conséquences graves, a-t-il affirmé. Selon lui, lorsqu'un contrôleur apprend qu'un bateau est en difficulté, il doit faire en sorte de déterminer la nature de la difficulté. Le contrôleur qui a répondu à l'appel de la police aurait obtenir plus d'information; il aurait pu demander à la police de procéder à une vérification depuis une route à proximité, et il aurait pu demander au poste de radio de la Garde côtière de lancer un appel à tous afin de déterminer si quelqu'un avait remarqué un bateau en difficulté dans le secteur. Selon M. Palliser, les contrôleurs auraient également pu demander au camp Kitsilano d'envoyer un navire pour vérifier le rapport, ce qui n’aurait pris que quelques minutes. À son avis, ni le centre ni le personnel du camp n’ont apparemment pris le rapport au sérieux.

M. Palliser a souligné que M. Saint-Amour avait une formation suffisante pour comprendre ce qu'il fallait faire dans ces circonstances. Il a fait référence à la pièce E-9 (le manuel de la formation que doivent suivre tous les contrôleurs), en particulier au paragraphe 5.1, qui souligne l'importance d'une réponse rapide afin de réduire les

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Décision Page 6 risques pour les survivants. Plus on attend pour lancer les opérations de recherche, plus il faut de ressources, car le secteur à couvrir est alors plus grand. Bien qu'il appartienne aux contrôleurs de juger à laquelle des trois phases progressives il convient de passer, il faut immédiatement donner l'alerte quand on a des doutes relativement à la sécurité, a soutenu M. Palliser. Vu ses préoccupations, M. Palliser s'est rendu au centre le samedi 3 juillet pour voir MM. Riddle et Saint-Amour, qui étaient tous deux en fonction ce jour-là. Il a demandé à s'entretenir de l'incident en privé avec les deux hommes. M. Riddle a répondu n'avoir rien à ajouter et il a indiqué à M. Palliser que, s'il souhaitait dire quelque chose, il pouvait le faire ouvertement. Lorsque M. Palliser a exposé le résultat de son enquête personnelle, M. Riddle a apparemment répliqué qu'il n'avait rien à se reprocher. M. Palliser en a conclu que les deux contrôleurs n'étaient pas prêts à lui donner raison et, avant de partir, il les a avisés que, selon lui, leur comportement justifiait une mesure disciplinaire. M. Palliser a écrit au directeur des opérations de la Garde côtière à Vancouver pour lui décrire l'incident et lui faire part de ses préoccupations (pièce E-10). Il a ensuite discuté de la possibilité d'une mesure disciplinaire avec son supérieur immédiat, M. Peter Golden (surintendant, Sauvetage, Sécurité et Intervention), ainsi qu'avec le major en charge du centre de sauvetage et des relations avec le personnel à la Garde côtière.

M. Golden a confirmé dans son témoignage qu'il approuvait l'imposition d'une mesure disciplinaire; il a en effet conclu que les contrôleurs n'avaient pas agi comme il se devait compte tenu de l'information en leur possession et, surtout, qu'ils avaient dérogé aux consignes d'opération permanentes ainsi qu'à leur formation. Selon lui, MM. Riddle et Saint-Amour avaient trop présumé que tout allait bien.

En contre-interrogatoire, M. Palliser a mentionné que, depuis un an, il ne travaillait plus au centre car il était affecté à un projet spécial. Il a reconnu que M. Saint-Amour avait déjà déposé une plainte de harcèlement le concernant et que l'employé de la Commission de la fonction publique chargé du dossier avait déterminé que la plainte était en partie fondée et que M. Palliser avait enfreint la politique sur le harcèlement (pièce G-2). M. Palliser a soutenu que son affectation au projet spécial n'avait rien à voir avec la plainte de harcèlement, ce qu'a confirmé M. Golden. Il a ajouté n'avoir fait l'objet d'aucune sanction à la suite de cette plainte. M. Palliser a indiqué avoir reçu le rapport de la Commission de la fonction publique le 14 juin 1996. Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 7 Durant le contre-interrogatoire, M. Palliser a affirmé qu'il était erroné de tenir pour acquis que personne n'était en difficulté parce que le bateau était amarré en eaux peu profondes. Il a aussi soutenu qu'il n'était pas courant de voir des bateaux attachés aux bornes dans les environs de Spanish Banks. Il a reconnu que la formation en cours d’emploi de M. Saint-Amour avait été interrompue durant 21 mois parce que celui-ci avait été blessé dans l'exercice de ses fonctions. Ce n'est qu'en mai 1995 que M. Saint-Amour avait repris le travail. M. Palliser a aussi admis avoir adressé aux collègues de M. Saint-Amour des commentaires sur ce dernier, commentaires qui les ont portés à conclure qu'il considérait M. Saint-Amour comme un alcoolique.

M. Saint-Amour a indiqué avoir fait la connaissance de M. Palliser en 1977 à Vancouver, à la base d'aéroglisseurs. Il a précisé que sa relation avec lui n'était pas très bonne. M. Saint-Amour est au service de la Garde côtière depuis 1969. Il a commencé par s’inscrire à un programme de formation de quatre ans au collège de la Garde côtière à Sydney (Nouvelle-Écosse). Après une série d'affectations, il a abouti au Centre de coordination des opérations de sauvetage en 1993. En avril 1993, il a suivi la formation de contrôleur maritime, puis il a commencé à travailler au centre. À partir de la fin juillet, il a touché durant vingt et un mois des indemnités pour accident de travail. À son retour au centre, en mai 1995, il a reçu quatre jours de formation alors qu'il s'attendait à recevoir un mois complet; on lui a dit que M. Palliser voulait qu'il commence immédiatement, sans formation additionnelle. M. Saint-Amour est resté au centre jusqu'à la troisième semaine d'août, quand il a quitté le centre en ambulance. Il semble qu’il ait une pression artérielle anormalement élevée et on lui a dit, à cette époque, qu'il souffrait du trouble de stress post-traumatique lequel il attribue au stress mental causé par sa relation avec M. Palliser. M. Saint-Amour n'est pas retourné au Centre de coordination des opérations de sauvetage. Il a été détaché au centre des opérations régionales, à Victoria.

M. Saint-Amour a fait mention de la lettre que lui a fait parvenir le directeur des Enquêtes à la Commission de la fonction publique. Cette lettre stipule que : [traduction] « [...] M. Palliser a été réaffecté pour une période d'un an et il assistera à l'atelier sur le harcèlement en milieu de travail qui aura lieu au début de la nouvelle année. »

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Décision Page 8 En ce qui concerne la section 5 du manuel, M. Saint-Amour a souligné que l'on ne traite pas un bateau amarré de la même manière que l'on traite un bateau à la dérive. Dans le cas qui nous intéresse, le bateau était amarré. M. Saint-Amour a ajouté que, s'il y avait eu un second appel, des mesures additionnelles auraient été prises; toutefois, ayant appris que le bateau était amarré, ils ont jugé inutile d'intervenir. M. Saint-Amour a de plus indiqué qu'il n'était pas rare que des bateaux soient attachés à une borne pour éviter d'avoir à jeter l'ancre.

M. Saint-Amour a donné sa version de l'entretien entre lui, M. Riddle et M. Palliser le dimanche suivant l'incident : il avait au préalable indiqué à M. Riddle qu'il n'avait pas l'intention d'aller dans le bureau de M. Palliser à cause de ses problèmes passés avec lui. Il a dit que, en ce qui le concerne, il n'avait pas ouvert la bouche; seul M. Riddle avait pris la parole. Quant à M. Palliser, il avait perdu son sang-froid et avait déclaré que les deux hommes seraient suspendus.

En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s'estimant lésé a reconnu la pièce E-2, une lettre de réprimande datée du 31 août 1994 à propos d'un incident impliquant un homme tombé d'un traversier provincial. La lettre disait que : [traduction] « En ne suivant pas les consignes d'opération normales et en n'avisant pas le contrôleur principal de l'incident, vous avez commis une faute grave, ce que nous ne pouvons tolérer. » M. Saint Amour n'a pas contesté cette réprimande. Il a ajouté qu'il n'est pas rare que la police relaie au centre les appels concernant des questions maritimes; la police a ainsi retransmis l'information communiquée par une personne selon laquelle le bateau était amarré.

M. John Riddle, qui a lui-même reçu une lettre de réprimande suivant l'incident, a témoigné au nom du fonctionnaire s'estimant lésé. M. Riddle travaille au centre depuis douze ans et remplit actuellement les fonctions de contrôleur maritime principal (GT-5). M. Riddle a mentionné que les contrôleurs inscrivent de 2 000 à 3 000 incidents par année dans les registres officiels, mais qu'ils reçoivent annuellement environ 15 000 appels; seuls sont enregistrés les appels pertinents, ce que les contrôleurs déterminent en tenant compte du manuel, de la météo et d'autres facteurs. Les contrôleurs prennent aussi en considération la position du bateau. Dans le cas qui nous intéresse, le bateau était dans le secteur de Spanish Banks, qui est peu profond. Si le bateau avait été dans un secteur rocheux, ils auraient réagi très vite à

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Décision Page 9 l'appel. M. Riddle a soutenu que le centre reçoit fréquemment des appels concernant des bateaux attachés à des bornes. Il a indiqué que les contrôleurs doivent prendre en considération tous les facteurs : météo, marée, signaux de détresse. Dans ce cas, on n'a remarqué aucun signal de détresse. Il n'y a en outre pas eu d'autres appels téléphoniques bien que cette partie de la côte soit, comme on le sait, très fréquentée. M. Riddle a ajouté que les contrôleurs n'envoient pas de navires en recherche dès qu'une personne attache son bateau à une borne; ils doivent d'abord déterminer si le bateau en question est en difficulté. À son avis, l'appel de la police n'indiquait pas une situation de détresse. M. Riddle a affirmé que les contrôleurs ne peuvent pas ordonner des recherches pour chaque appel qu'ils reçoivent. Son rôle à lui consiste à déterminer quand il convient d'envoyer un navire c'est pour cela qu'on le paie. Il n'a pas fait le lien entre le bateau attaché à la borne et celui déclaré manquant, mais il ne croit pas qu'il aurait agir différemment.

M. Riddle se rappelle que, une fois, M. Palliser lui a dit qu'on ne pouvait pas faire confiance à M. Saint-Amour et qu'il fallait le surveiller parce qu'il avait un problème d'alcool. M. Riddle, pour sa part, a indiqué n'avoir jamais eu de problème avec le fonctionnaire s'estimant lésé et n'éprouver aucune difficulté à lui faire confiance.

En contre-interrogatoire, M. Riddle a déclaré que son rôle comme contrôleur principal consistait à guider, mais qu’il savait que M. Saint-Amour avait une certaine connaissance du domaine et qu’il possédait une expérience pertinente. Il a convenu qu'il aurait été possible d'envoyer une voiture du camp Kitsilano jusqu’à Spanish Banks. Il a indiqué connaître la plage Locarno et savoir se trouvait la borne en question. Ce soir-là, il a téléphoné au camp Kitsilano parce que l'opérateur radio à Vancouver ne pouvait confirmer si l'Osprey était sorti. M. Riddle a de plus reconnu qu'il ne savait pas si le bateau attaché à la borne était en difficulté au moment de l'appel de la police et, le cas échéant, quelle était la nature de cette difficulté. Il a tenu pour acquis qu'il n'était pas en difficulté. Il a affirmé qu'il était impossible pour les contrôleurs de vérifier chacun des milliers d'appels reçus chaque année. Il ne croit pas avoir fait d'erreur dans le cas qui nous intéresse. Il admet toutefois, avec le recul, qu'il aurait pu faire plus tôt le lien entre le bateau manquant et celui attaché à la borne.

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Décision Page 10 M. Richard Hendrickson a aussi témoigné au nom du fonctionnaire s'estimant lésé. M. Hendrickson est contrôleur maritime au centre depuis treize ans et demi et il occupe un poste de contrôleur principal. Il a discuté de l'incident avec M. Palliser et écouté les enregistrements. Il a informé M. Palliser qu'il n'était pas rare que des bateaux soient attachés à une borne. À son avis, le bateau n'était pas en détresse. Étant donné que l'appel a été reçu durant la période la plus occupée de l'année, celle le centre reçoit le plus d'appels, il n'aurait lui-même rien fait de plus que ce qu’ont fait MM. Riddle et Saint-Amour. Il a affirmé que le centre ne devait pas monopoliser ses ressources pour des bateaux amarrés en eaux peu profondes, que n'était pas son mandat.

M. Hendrickson a de plus mentionné une conversation entre lui et M. Palliser, en mai 1995, durant laquelle M. Palliser lui a dit que M. Saint-Amour avait un grave problème d'alcool et qu’il devait être surveillé constamment.

Lors de son contre-interrogatoire, M. Hendrickson a indiqué qu'il remplissait le rôle de délégué syndical depuis quinze ans et que, en cette qualité, il avait eu à plus d'une reprise l'occasion de présenter le point de vue du syndicat à la direction. Il a fait référence à la pièce E-6, la police dit : [traduction] « Oh ... Apparemment, il y a ... ». Il est presque certain que sur l'enregistrement, la police dit « il y avait », non pas « il y a ». M. Hendrickson a répété que, à son avis, les contrôleurs avaient agi correctement compte tenu des circonstances.

M. Leo Shew a été durant plusieurs années capitaine de l'aéroglisseur basé à Sea Island, près de l'aéroport de Vancouver. Il a pris sa retraite en mars 1997. Il a reconnu la pièce G-3, une lettre adressée au syndicat et signée par quatre capitaines d'aéroglisseurs. Il a indiqué connaître les circonstances de l'incident survenu le 27 juin. À son avis, les contrôleurs ont agi adéquatement. Il a ajouté avoir lui-même des bateaux attachés à une borne 40 à 50 fois.

En contre-interrogatoire, M. Shew a admis ne pas avoir reçu de formation de contrôleur maritime et n'avoir eu accès ni à la retranscription des appels téléphoniques ni aux registres officiels. Il s’est souvenu par ailleurs d'une occasion M. Palliser a fait référence à M. Saint-Amour en l’appelant Claude [traduction] « dont on n’entendra plus parler » ce qui signifiait que M. Saint-Amour ne reviendrait

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Décision Page 11 peut-être jamais au travail. Sans être un ami de M. Saint-Amour, M. Shew avait cru bon informer ce dernier de l'incident.

L’avocat de la partie patronale déclare que l'affaire est simple, qu'elle n’a rien à voir avec une plainte de harcèlement, qu’elle concerne exclusivement les événements mentionnés dans la lettre de réprimande du 7 juillet 1995 (pièce E-1). M e Newman soutient que M. Palliser avait des préoccupations réelles concernant le rendement de M. Saint-Amour. Il cite à titre d'exemple la lettre de réprimande antérieure, que M. Saint-Amour n'a pas contestée.

L’avocat de la partie patronale ajoute que la raison d'être des contrôleurs maritimes est de protéger des vies et que, par conséquent, ceux-ci doivent faire preuve du plus grand empressement dans l'exercice de leurs fonctions. Personne ne s'attend à la perfection absolue; néanmoins, la manière dont le fonctionnaire s'estimant lésé s'est comporté le 27 juin est bien en-dessous du minimum acceptable. M e Newman soutient qu'il n’est pas habituel pour le centre de recevoir des appels de la police. De toute évidence, celle-ci a estimé les appels reçus assez sérieux pour communiquer avec la Garde côtière. Lorsque les contrôleurs reçoivent de tels appels, il ont l’obligation de vérifier la situation. Les contrôleurs ont réagi, mais les mesures qu'ils ont prises n'étaient pas suffisantes et adéquates. Ils se sont comportés de manière frivole et nonchalante; sans vérifier, ils ont tenu pour acquis que le bateau n'était pas en danger. Il semble que leur seule préoccupation ait été de déterminer si l'Osprey avait ou non été envoyé en recherche sans qu’ils en aient donné l’ordre; ils n'ont pas semblé s'inquiéter de la possibilité que des passagers soient en péril. Bref, leur comportement a été tel que l'on peut parler d'inconduite. MM. Saint-Amour et Riddle n'ont pas complètement écarté l'appel du revers de la main, mais ils ont fait preuve de négligence en ne suivant pas les procédures normales. Ce n'était pas la première fois que M. Saint-Amour faisait preuve d’une telle négligence. Dans les circonstances, la direction a été plutôt clémente et la pénalité imposée n'est pas excessive si l'on considère que M. Saint-Amour avait déjà commis une faute de même nature. M e Newman dit également qu'on ne peut accorder beaucoup de poids au témoignage de M. Hendrickson, celui-ci remplissant les fonctions de représentant syndical. En ce qui concerne M. Shew, M e Newman rappelle qu'il n'était pas un contrôleur et qu’il n'avait pas eu accès à tous les faits.

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Décision Page 12 Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé répond qu'il est ici important de tenir compte du fait que l’incident est examiné rétrospectivement. Si les contrôleurs avaient jugé que le bateau était en détresse et n'avaient pas pris les mesures énumérées dans la pièce E-10, l'affaire aurait été bien différente. Dans l'exercice de leurs fonctions, les contrôleurs doivent cependant se servir de leur jugement pour éviter d’envoyer inutilement des ressources de sauvetage chaque fois qu’il y a un appel. Agir autrement équivaudrait à compromettre la sécurité des plaisanciers et autres utilisateurs de bateaux. M. Dagger soutient que ce n'est pas parce qu'un appel vient de la police qu'il est nécessairement plus urgent. Il soutient également qu'il n'y a aucune preuve que les contrôleurs ont fait preuve de nonchalance ou qu’ils n’ont pas pris leur travail au sérieux.

Faisant référence à la pièce E-6, la transcription de l'appel de la police, M. Dagger souligne que la répartitrice de la police a dit qu'un bateau semblait en difficulté; autrement dit, la police a seulement présumé que le bateau était en difficulté, mais elle a par la suite appris que le bateau était attaché à une borne. Dans ces circonstances, il n'y avait aucune raison de supposer que le bateau était toujours en difficulté. M. Dagger souligne enfin que les consignes du manuel s'appliquent à des bateaux à la dérive, non à des bateaux attachés à une borne à marée basse en eaux peu profondes.

M. Dagger déclare que les contrôleurs étaient tenus d'examiner tous les facteurs avant de mobiliser des ressources limitées. Il rappelle les témoignages non contredits de quatre personnes selon lesquels MM. Riddle et Saint-Amour avaient pris la bonne décision. Il soutient qu’il n’y a pas de raison valable de rejeter les témoignages de MM. Hendrickson et Shew.

M e Newman répond que les contrôleurs doivent s’appuyer sur des faits, non sur de simples suppositions. La faute tient ici à ce qu'ils ont omis de vérifier le rapport de la police; ils ont pris une décision sans prendre la peine de vérifier les faits, ce qui aurait pourtant pu être fait facilement.

Motifs de décision Je crois, comme l’avocat de la partie patronale, que cette affaire est raisonnablement simple : il s'agit de déterminer si la réaction du fonctionnaire

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Décision Page 13 s'estimant lésé à l'appel d'une répartitrice de la police (pièce E-6) constitue une faute de conduite. Je voudrais souligner que la question du bien-fondé de la plainte de M. Saint-Amour contre M. Palliser n’a pas à être tranchée en l’occurrence.

Les arbitres reconnaissent généralement que, en l'absence de mauvaise conduite coupable, les erreurs de jugement à proprement parler ne justifient pas l'imposition de mesures disciplinaires (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, troisième édition, par. 7:3510 et les cas qui y sont cités). Le représentant de la partie patronale concède que, en matière de jugement, on ne peut s'attendre à la perfection absolue de simples mortels. C'est une question de gros bon sens. Par conséquent, une erreur de jugement si erreur de jugement il y a eu en l’occurrence ne constitue pas en soi une faute de conduite.

Le fonctionnaire s'estimant lésé a-t-il manqué à son devoir, ou a-t-il fait preuve de négligence? Pour répondre à cette question il faut se rappeler, comme M. Dagger et M e Newman l'ont admis, que les fonctions de contrôleur maritime nécessitent beaucoup de jugement. À ce sujet, je veux attirer l’attention sur la pièce E-11, qui a été soumise par l’avocat de la partie patronale. Le document qui s’intitule « La recherche et le sauvetage maritimes au Canada » contient une rubrique intitulée « Utilisation du système SAR » il est énoncé ce qui suit : La sécurité en mer est une responsabilité personnelle. Le système SAR ne doit intervenir qu'en dernier recours. Il ne doit être mis en œuvre que lorsque toutes les autres méthodes pour empêcher l'accident ont échoué.

[...] Dans d'autres cas, le recours au système SAR est manifestement évitable ou déraisonnable. Ces cas sont coûteux pour les contribuables canadiens. Surtout, ils mobilisent des ressources qui pourraient être requises pour un véritable incident SAR. De plus, ils font courir des risques inutiles aux sauveteurs. La Garde côtière canadienne examine actuellement des moyens d'empêcher ces cas de se produire.

Il est clair, d'après ce document et les témoignages entendus dans cette affaire, que l'on n'attend pas des contrôleurs qu'ils utilisent les ressources du SAR dès qu'ils reçoivent un appel. À preuve, le témoignage de M. Riddle selon qui le centre reçoit environ 15 000 appels par année, dont seulement 2 000 ou 3 000 sont considérés

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Décision Page 14 comme des incidents valant la peine d'être consignés. Le fonctionnaire s'estimant lésé et M. Riddle, le contrôleur principal en fonction lors de l'appel qui nous intéresse, ont vérifié les cartes et les conditions météorologiques, puis ont communiqué avec le camp Kitsilano, y compris avec le capitaine de l'Osprey (c.-à-d., M. Kelly). M. Riddle, M. Saint-Amour et le capitaine de l'Osprey n'ont apparemment pas jugé que le bateau en question était en détresse; et, de toute évidence, d'autres personnes ayant une expérience considérable dans le domaine partageaient leur point de vue. Leur conclusion semble de fait correcte, puisque l'opérateur du bateau attaché à la borne a simplement marché jusqu'au rivage.

Bien sûr, tout nous semble toujours plus clair rétrospectivement. Si MM. Riddle et Saint-Amour avaient pris des mesures additionnelles suite à l'appel, la Garde côtière n'aurait sans doute pas eu à monopoliser inutilement des ressources pour rechercher le bateau manquant. À la lumière des renseignements en leur possession aujourd'hui, il se peut que MM. Riddle et Saint-Amour aient agi différemment. Sans doute est-ce aussi vrai de M. Palliser et de ses communications à d’autres au sujet de M. Saint- Amour. Même les arbitres aimeraient parfois pouvoir revoir leurs décisions rétrospectivement. Compte tenu des faits précités, je ne suis pas prêt à conclure que M. Saint-Amour a agi de manière si irresponsable, en prenant les décisions qu’il a prises, qu'il a manqué à son devoir ou a fait preuve de négligence. Je conclus donc que la mesure disciplinaire n’était pas justifiée. J'accueille par conséquent le grief de M. Saint-Amour et j’ordonne à l'employeur de verser au fonctionnaire la rémunération et les avantages sociaux qu'il a perdus.

P. Chodos, président suppléant

OTTAWA, le 4 novembre 1997. Traduction certifié conforme Serge Lareau

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