Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement (motif disciplinaire) - Suspension (durée indéfinie) - Abus de confiance - Demande de report des procédures - Fonctionnaire absent et non représenté à l'audience - Admissibilité et poids de la preuve (résultat du procès criminel) - l'employeur a suspendu indéfiniment, puis licencié le fonctionnaire s'estimant lésé, un agent d'immigration, pour avoir facilité l'entrée clandestine de personnes au Canada - le fonctionnaire a demandé que son grief soit mis en suspens en attendant le résultat du procès criminel concernant les mêmes incidents - la cour criminelle a reconnu le fonctionnaire coupable de conspiration pour faire entrer clandestinement au Canada des personnes ne détenant pas de visa valide - l'employeur a ensuite demandé que les griefs soient mis au rôle - le fonctionnaire a demandé que ses griefs soient mis en suspens en attendant de connaître le résultat de l'appel de la condamnation criminelle - l'employeur s'est opposé à toute autre remise de l'audience - la Commission a décidé d'inscrire les griefs au rôle - le fonctionnaire a ensuite informé la Commission que, n'ayant pas d'argent, il ne pourrait assister et être représenté à l'audience - le fonctionnaire n'a pas assisté à l'audience - l'employeur a produit des preuves à l'appui du licenciement, y compris le jugement de la cour criminelle - l'employeur a soutenu que le jugement était admissible à titre de preuve prima facie de l'allégation disciplinaire et l'arbitre lui a donné raison - l'arbitre a conclu que, en l'absence de preuve du contraire, l'employeur avait réussi à prouver que le licenciement était justifié. Griefs rejetés. Décisions citées :Re Nova Scotia Liquor Commission and N.S.G.E.U. (1997), 63 L.A.C. (4th) 430; Re McMaster University and S.E.I.U., Loc. 532 (1993), 33 L.A.C. (4th) 33; R. v. Chang (1998), 62 O.T.C. 81; Re Del Core and Ontario College of Pharmacists (1985), 51 O.R. (2d) 1; Del Core v. College of Pharmacists (Ontario), 57 O.R. (2d) 296; Re University of Western Ontario and C.U.P.E., Local 2361 (1988), 35 L.A.C. (3d) 39; Re Barber Hydraulic Turbine Ltd. and U.S.W. (1978), 19 L.A.C. (2d) 247.

Contenu de la décision

Dossiers : 166-2-27522 166-2-27678

Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE GEORGE GREGORY KULLMANN fonctionnaire s’estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Citoyenneté et Immigration Canada)

employeur Devant : P. Chodos, vice-président Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Personne Pour l’employeur : Robert Jaworski, avocat Affaire entendue à Toronto (Ontario), le 24 mars 1999

Décision DÉCISION Page 1 Le fonctionnaire s’estimant lésé occupait un poste d’agent à l’immigration depuis 16 ans avant d’être suspendu indéfiniment, puis licencié pour inconduite, et ce, à partir du 31 octobre 1996. À ce moment-là, M. Kullmann travaillait comme agent examinateur supérieur (PM-2) à l’aéroport international de Toronto. M. Kullmann a déposé deux griefs contestant la suspension indéfinie et le licenciement et les a tous deux renvoyés à l’arbitrage. Or, pour les raisons données ci-dessous, M. Kullmann a décidé de ne pas prendre part à l’audience, malgré le fait que la Commission l’avait avisé que l’audience aurait lieu le 24 mars, comme prévu.

Dans une lettre du 17 janvier 1996, M. R. Mantzel, alors directeur intérimaire de la région de l’Ontario, Citoyenneté et Immigration Canada, a informé M. Kullmann qu’il était suspendu indéfiniment sans solde durant « […] une enquête administrative dans le but de déterminer si vous êtes coupable d’inconduite quant aux allégations à l’effet que vous auriez été complice dans une affaire de passage illégal de personnes au Canada […] » (pièce E-2). Le 25 octobre 1996, M. Mantzel a informé M. Kullmann que l’enquête ministérielle avait conclu « […] que vous avez pris part aux activités entourant le passage illégal de personnes au Canada, et ce, pour en retirer des profits financiers; que vous avez comploté pour dévoiler à des tierces parties de l’information personnelle à propos de certains clients du ministère sans permission; et que vous avez comploté dans le but d’accorder des traitements de faveur à une tierce partie en acceptant de court-circuiter le processus d’immigration pour les associés de cette tierce partie […] ». Suite à ces allégations, M. Kullmann a été licencié. Les griefs de M. Kullmann concernant la suspension et le licenciement ont été renvoyés à l’arbitrage le 17 janvier 1997. L’Alliance de la Fonction publique du Canada a demandé, au nom du fonctionnaire s’estimant lésé, que les renvois à l’arbitrage soient mis en suspens en attendant le résultat du procès criminel de M. Kullmann, car les points en litige étaient essentiellement les mêmes. Dans une lettre du 1 er octobre 1998, la Commission a indiqué qu’elle garderait les renvois à l’arbitrage en suspens jusqu’à la fin du procès criminel de M. Kullmann.

Le 2 novembre 1998, l’employeur a avisé la Commission que le procès criminel de M. Kullmann et d’un collègue de travail, M. Aldo Chang, avait pris fin le 9 octobre 1998. Conséquemment, l’employeur demandait que les affaires soient mises au rôle de la Commission pour audience le plus tôt possible. L’Alliance de la Fonction publique du Canada a répondu que le fonctionnaire s’estimant lésé désirait que l’audience soit Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 2 suspendue pour une période indéterminée, soit jusqu’à la fin de l’appel de sa condamnation au criminel. Par le biais de son avocat, M e Jaworski, l’employeur s’est opposé à ce délai supplémentaire pour la mise au rôle de cette affaire et, de plus, M e Jaworski a demandé que les griefs de M. Kullmann et de M. Chang soient entendus ensemble. L’agent négociateur a continué de prétendre que l’audience relative à M. Kullmann devrait être remise jusqu’à ce qu’une décision soit rendue en appel; l’Alliance de la Fonction publique du Canada s’est opposée à la réunion des affaires de MM. Kullmann et Chang.

La Commission a informé les parties que les affaires de MM. Kullmann et Chang seraient entendues séparément, et que l’audience des griefs de M. Kullmann aurait lieu le 24 mars 1999. Dans une lettre du 22 février 1999, l’Alliance de la Fonction publique du Canada a informé la Commission qu’elle se retirait de cette affaire. Dans une lettre du 23 février 1999, la Commission a avisé M. Kullmann que, en dépit du fait que l’Alliance s’était retirée, il était en droit de participer à l’audience le 24 mars 1999. Le 12 mars 1999, la Commission a de nouveau informé M. Kullmann que l’audience de ses griefs aurait lieu le 24 mars.

M. Kullmann a fait parvenir une lettre à la Commission le 12 mars 1999 : [Traduction] La présente est pour vous aviser que je ne pourrai pas assister à l’audience citée en rubrique fixée au 24 mars 1999 pour les raisons suivantes :

a) Dans sa lettre du 29 janvier 1999, M. Philippe Trottier, agent aux griefs et à l’arbitrage intérimaire à l’Alliance de la Fonction publique du Canada, demandait que l’audience de mes griefs soit mise en suspens pendant l’appel de ma condamnation. Or, la Commission a décidé de refuser la demande de l’AFPC au motif que l’affaire avait déjà été remise et que d’autres remises risquaient de créer un système de délai plutôt que justice soit rendue. Suite à la lettre de la CRTFP à l’AFPC l’informant du refus de sa demande, l’AFPC s’est retirée de l’affaire. De l’avis de l’AFPC, « cette cause est perdue d’avance » à cause de ma condamnation criminelle. Il va sans dire que ma condamnation criminelle constitue le pivot de la présente affaire. La décision en appel revêt donc la plus haute importance pour la détermination de l’arbitrage. En procédant avant que la décision en

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Décision Page 3 appel soit rendue, on enlève au processus d’arbitrage son caractère juste et impartial, et donc, par le fait même, sa raison d’être. Justice peut-elle être rendue lorsque les affaires ne suivent pas leur cours normal ?

b) L’AFPC s’étant retirée de l’affaire, je me suis retrouvée sans avocat ni représentation. Suite à ma suspension sans solde, puis à mon licenciement, Citoyenneté et Immigration Canada m’a privé d’un revenu qui, le cas échéant, m’aurait permis d’engager un avocat pour remplacer l’AFPC et me représenter à l’audience. Conséquemment, je n’ai donc personne qui puisse me représenter à l’arbitrage.

Pour les raisons précitées, je n’assisterai pas à l’audience comme prévu. Cependant, j’insiste sur le fait que je ne retire pas les griefs que j’ai déposés contre l’employeur. Mon absence aux procédures ne doit pas être considérée comme un abandon des griefs 166-2-27522 et 166-2-27678.

Toutefois, si vous décidez de procéder à l’arbitrage des griefs cités ci-dessus, veuillez noter que ce sera selon vos conditions et que vous n’avez ni mon approbation ni mon consentement.

En réponse à la lettre de M. Kullmann, l’avocat de l’employeur a soumis que la Commission devrait rendre une décision sommaire, sans audience. Le 18 mars 1999, une fois de plus, la Commission a avisé les deux parties que l’audience aurait lieu le 24 mars 1999, comme prévu. L’audience a bel et bien eu lieu à cette date, sans M. Kullmann.

À l’audience, M. Reinhard Mantzel a témoigné pour l’employeur. Il occupait le poste de directeur intérimaire de la région de l’Ontario, Citoyenneté et Immigration Canada, lorsqu’on a l’informé que la G.R.C. menait une enquête sur la participation de MM. Chang et Kullmann, entre autres, au passage de clandestins au Canada. Conséquemment, le ministère a procédé à une analyse pour savoir si les employés en question avaient commis un délit d’action. Étant donné la gravité des accusations, qui comprenaient complot pour le passage de clandestins au Canada dans le but d’en retirer des profits financiers, M. Kullmann a été suspendu sans solde jusqu’à ce que les résultats de l’enquête soient connus. On a institué un comité d’enquête et celui-ci a préparé un rapport (pièce E-3). M. Mantzel a fait remarquer que le rapport en question comprenait des documents qui identifiaient M. Kullmann comme étant à son poste lorsque deux femmes ont fait une demande d’entrée au Canada. Des transcriptions de

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Décision Page 4 conversations téléphoniques indiquent que, avant de traiter ces deux demandes, M. Kullmann a avisé M. Aldo Chang, qui lui a communiqué avec des tierces parties qui avaient un intérêt à ce que ces personnes demeurent au Canada (voir pièce E-4, page 106). M. Mantzel a souligné que, en tant qu’agent examinateur en poste, M. Kullmann avait la responsabilité de décider si ces personnes pouvaient rester au pays; il n’avait aucune raison de demander l’avis d’une personne de l’extérieur pour prendre sa décision.

Le comité d’enquête et la gestion du ministère ont conclu que, compte tenu des transcriptions des conversations téléphoniques et autres documents recueillis au cours de l’enquête, M. Kullmann et M. Chang laissaient passer des personnes au Canada dont l’entrée était indésirable. Les conclusions disaient aussi que M. Kullmann avait violé diverses dispositions du Code de conduite du ministère et de la Loi sur l’immigration en se servant de son poste pour laisser entrer illégalement des personnes au Canada, et ce, pour en retirer des profits financiers. M. Mantzel a remarqué que l’intégrité dont il doit faire preuve pour décider de laisser entrer ou non des personnes au Canada constitue le pivot des fonctions de M. Kullmann. Ce dernier doit se servir de son jugement pour prendre de telles décisions, et ce, souvent sans supervision immédiate. M. Mantzel a aussi noté que, malgré les seize années d’emploi de M. Kullmann, la gravité de l’inconduite a empêché le ministère de garder M. Kullmann à son emploi; de plus, M. Kullmann n’a pas exprimé de remords. Enfin, les gestes et les actes commis par M. Kullmann, qui comprenaient entre autres la planification et la préméditation, se sont échelonnés sur une longue période.

L’avocat de l’employeur a produit en preuve une copie du jugement de Madame la juge Molloy, de la Cour de l’Ontario (division générale), du 9 octobre 1998 (pièce E- 1).

Dans sa plaidoirie, l’avocat de l’employeur a soumis que le jugement de Madame la juge Molloy constitue une preuve prima facie que M. Kullmann a commis des actes illégaux dans le cadre de son travail. Conformément à la décision de la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’affaire Re Del Core and Ontario College of Pharmacists (1985), 51 O.R. (2d) 1, en l’absence de preuve contraire, la condamnation constitue une preuve prima facie de culpabilité dans l’affaire. M e Jaworski a insisté sur l’essence même des fonctions de M. Kullmann qui repose sur l’honnêteté et l’intégrité de ce dernier et,

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Décision Page 5 ainsi, le licenciement constitue la seule solution dans un tel cas d’abus de confiance criminel. M e Jaworski a aussi remarqué qu’aucune preuve n’avait été soumise quant à des circonstances atténuantes ou à des remords qu’aurait pu exprimer le fonctionnaire s’estimant lésé.

À l’appui de ses observations, M e Jaworski a aussi cité les décisions suivantes : Demeter v. British Pacific Life Insurance Co. and two other actions (1983), 43 O.R. (2d) 33;

K. (L.M.) v. Ontario (Ministry of Community & Social Services), (jugement non publié rendu par Morin, J., Cour de l’Ontario (division générale), le 28 février 1996);

Venneri v. Bascom (1996), 28 O.R. (3d) 281; Ontario v. Gray, (jugement non publié rendu par Jennings, J., Cour de l’Ontario (division générale), le 29 mai 1996);

Ontario (Minister of Community and Social Services) v. Ontario Crown Employees Grievance Settlement Board et al. (1997), 32 O.R. (3d) 572;

Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v. Copeland, [1998] 2 C.F. (P.I.) 493; McIsaac et le Conseil du Trésor (Revenu Canada Douanes et Accise) dossier de la Commission n o 166-2-20610; Beirnes et le Conseil du Trésor (Emploi et Immigration) dossier de la Commission n o 166- 21914;

Moore, dossier de la Commission n o 166-2-23658; Walcott, dossier de la Commission n o 166-2-25590. Motifs de la décision J’estime qu’il serait justifié de faire certaines observations concernant la décision du fonctionnaire s’estimant lésé de ne pas prendre part à l’audience. Quand elle établit le rôle, la Commission doit souvent prendre certaines décisions concernant une demande de remise faite par une partie et à laquelle s’oppose l’autre partie. Dans

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Décision Page 6 ce cas, la Commission doit tenir compte des questions fondamentales de justice et de son obligation de fournir un mode de résolution des conflits qui soit rapide et rentable. En prenant ce genre de décisions, la Commission doit être juste envers les deux parties. En l’espèce, la Commission avait déjà accordé une longue mise en suspens jusqu’à la fin du procès. Selon la Commission, il ne serait pas juste pour l’employeur d’avoir à subir une autre remise, d’une durée indéterminée, en attendant le résultat de l’appel. Il ne faut pas non plus oublier que l’employeur avait informé le fonctionnaire s’estimant lésé en octobre 1996 qu’il le licenciait.

Lorsqu’il a décider d’accorder ou non une demande de remise pendant les résultats de procédures criminelles, un arbitre a formulé les conclusions suivantes dans l’affaire Nova Scotia Liquor Commission and N.S.G.E.U. (1997), 63 L.A.C. (4 th ), à la page 439 : [Traduction] En l’espèce, les préoccupations de l’employeur doivent être considérées. Employeurs et employés ont le droit de s’attendre à une détermination rapide suite au processus d’arbitrage. Même si, en pratique, ce principe est souvent respecté dans les cas de violation, il n’en demeure pas moins un principe valide. De plus, en l’espèce, l’employeur semble avoir été patient. Sa longanimité qui l’a amené à accepter la demande de remise en mars 1996 ne peut être invoquée par le syndicat comme un droit à une remise jusqu’à la conclusion du procès criminel, malgré les imprévus du rôle de la Cour criminelle, des horaires et des affaires procédurales de la police et des procureurs de la Couronne et de la défense. L’employeur est en droit de voir l’aboutissement de cette affaire et de présenter sa cause avant que le temps n’efface complètement la mémoire des témoins.

Dans la même sentence arbitrale, p. 436, l’arbitre fait allusion à l’observation suivante faite par l’arbitre P.J. Brunner dans Re McMaster University and S.E.I.U., Loc. 532 (1993), 33 L.A.C. (4 th )33 : (aux pp. 34-35) [Traduction] À la fin des plaidoiries, j’ai rejeté la demande de remise. J’étais d’opinion que, dans les circonstances, il n’y avait pas de raison de croire que le fonctionnaire s’estimant lésé ne

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Décision Page 7 bénéficierait pas de toute la justice procédurale ou qu’il serait privé de justice nature de quelle que façon que ce soit, si l’audience procédait sur-le-champ. La preuve démontre qu’il est difficile de savoir à quel moment l’affaire criminelle sera entendue et l’Université a un intérêt légitime à ce qu’elle le soit promptement. Il n’y a pas eu d’allégation selon laquelle les résultats de l’arbitrage porteraient atteinte à ses droits, au cours d’un procès au criminel, compte tenu des dispositions de l’article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés et de l’article 5 de la Loi sur la preuve. En pesant les intérêts de l’employeur et de l’employé licencié, je suis d’avis qu’aucune circonstance ne justifiait la remise.

M. Kullmann a été congédié suite à la conclusion du comité d’enquête ministériel selon laquelle il avait [traduction] « participé à des activités reliées au passage illégal de personnes au Canada dans le but d’en retirer des profits financiers. » (pièce E-6) Ces actes ont aussi donné lieu aux accusations criminelles portées contre M. Kullmann, entre autres. La partie pertinente du chef d’accusation est reproduite ci- dessous :

[Traduction] 2. ET QUE, MM. Aldo Chang et George Kullman, entre le 1er juin 1995 et le 12 janvier 1996, dans la Municipalité métropolitaine de Toronto, dans la ville de Mississauga et ailleurs dans la province de l’Ontario, ont illégalement comploté avec MING SUN CHIU, TIM-SING (EDDY) CHAN et ALBERT T. CHU, les uns avec les autres, et d’autres inconnus, dans le but de commettre un acte criminel, soit en se faisant complice, en organisant et en procédant, en toute connaissance de cause, au passage clandestin de personnes qui ne détenaient pas de visa en cours de validité, ou de passeport ou de documents de voyage, tel que le requiert la Loi sur l’immigration ou ses règlements, contrairement à l’article 94.1 de la Loi sur l’immigration, et, de ce fait, ont commis une infraction au paragraphe 423(1)(d) du Code criminel du Canada.

Dans les motifs de son jugement concernant les accusations ci-dessus, Madame la juge Molloy a examiné en détail la preuve contre les deux accusés, et surtout les centaines de pages de transcriptions des conversations téléphoniques captées entre les diverses parties, y compris le fonctionnaire s’estimant lésé. À la page 14 de son jugement, Madame la juge Molloy souligne la partie de l’acte d’accusation visant MM. Chang et Kullmann :

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Décision Page 8 [Traduction] Aldo Chang et George Kullman étaient tous deux agents à l’immigration à l’aéroport de Toronto à ce moment- là. L’accusation qui pèse contre eux est à l’effet qu’ils ont comploté avec d’autres pour vendre des visas de visiteurs dans le but de faciliter l’entrée au Canada de personnes qui ne détenaient pas de papier valide. L’acte d’accusation original porte sur la période allant du 20 décembre 1995 au 12 janvier 1996, mais, au début du procès, la date du début de la période a été changée au 1er juin 1995.

À la page 20 de son jugement, Madame la juge Molloy explique ce qu’elle entend par « groupe des participants » :

[Traduction] Premièrement, il est utile d’étudier le groupe des participants. Les deux accusés, Aldo Chang et George Kullman, étaient des agents à l’immigration à l’aéroport de Toronto. Aldo avait un cousin, Albert Chu, qui est comptable agréé et conseiller en immigration à temps partiel. Albert Chu a agi comme intermédiaire entre Aldo Chang et Eddy Chan. Albert Chu a rencontré Eddy Chan grâce à une connaissance commune, William Fong. M. Fong ne semble pas avoir joué un rôle plus important dans cette affaire. Eddy Chan agissait comme contact auprès des acheteurs potentiels de visas. C’est grâce à Eddy Chan que Allan Lim est entré en jeu à l’automne de 1995 comme acheteur potentiel de visas de visiteurs pour des prostituées thaïlandaises qu’il tentait de faire passer au Canada. C’est aussi grâce à Eddy Chan que Ming Sun Chiu s’est amené comme acheteur potentiel de visas, car il tentait de faire venir des gens de la République populaire de Chine. Le seul contact de George Kullman avec les autres présumés participants au complot fut par le biais d’Aldo Chang. Il n’a jamais eu de contact direct ou de marchés avec quiconque, sauf Chang. Aldo Chang a fait affaire avec Albert Chu. Il a rencontré Eddy Chan une fois, mais n’a jamais négocié avec lui directement.

Eddy Chan traitait directement avec les acheteurs et Albert Chu. Généralement, Aldo Chang et George Kullman étaient les présumés vendeurs, Albert Chu servant d’intermédiaire auprès des acheteurs. Eddy Chan était l’intermédiaire des acheteurs et les présumés acheteurs étaient Allan Lim et Ming Sun Chiu.

Des conversations téléphoniques entre ces hommes ont été captées. Albert Chu, Bill Fong et Ming Sun Chiu ont aussi témoigné oralement au procès.

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Décision Page 9 À la page 22, Madame la juge Molloy rapporte les faits pertinents : [Traduction] Le premier élément de preuve directe de la participation d’Aldo Chang à la vente de visas de visiteurs est une conversation téléphonique captée entre Aldo Chang et son cousin Albert Chu, le 6 octobre 1995. Il est évident qu’il y avait eu des conversations précédentes entre les deux concernant cette affaire. Des conversations téléphoniques précédentes avaient aussi été captées entre Albert Chu, Eddy Chan, Bill Fong et Allan Lim à tour de rôle.

Au cours de leur conversation téléphonique du 6 octobre 1995, Albert Chu et Aldo Chang ont parlé, pour la première fois, du paiement d’un tarif à Chang pour qu’il fournisse une « assurance » dans le but de faciliter le passage des deux Thaïlandaises qui possédaient déjà un visa de visiteurs. (cet aspect de leur marché est à la base du premier chef d’accusation) À ce moment-là, il y a eu des pourparlers à l’effet que la personne qui faisait venir les deux Thaïlandaises voulait aussi acheter de deux à cinq visas et que la vente de ces visas et de l’assurance pour les deux Thaïlandaises constituerait un « forfait ».

Il y a eu des discussions concernant cette « assurance » qui ne faisait pas partie de l’affaire initiale. Selon le contexte, il est évident qu’il y avait eu des négociations antérieures concernant la vente des visas de visiteurs et que c’est cette vente qui constituait le thème de leur marché. Le contexte dans lequel s’est faite la réunion de tous les intervenants, ie acheteurs potentiels et vendeurs a été révélé par les témoignages au procès de Bill Fong et d’Albert Chu et les conversations captées entre Fong, Chu, Lim et Chan. Je prends en considération ces communications, non pas pour leur véracité, mais bien pour démontrer les échanges entre ces personnes qui ont donné lieu aux ventes potentielles des visas des visiteurs.

Le processus s’est enclenché lorsque Aldo Chang a dit à son cousin Albert Chu qu’un de ses collègues de travail à Immigration Canada avait obtenu des formulaires de visa de visiteurs. Albert Chu a transmis l’information à Bill Fong qui lui l’a transmise à Eddy Chan. Ils ont discuté de la possibilité de vendre ces visas à une personne appelée « John » qui voulait les utiliser pour faire venir des prostituées de Thaïlande. Il est évident ici que l’on fait référence à Allan Lim. Plus tard, Eddy Chan et Albert Chu ont communiqué et ont entrepris les négociations pour la vente des visas. Ainsi, Aldo Chang a été l’instigateur de la réunion de toutes ces personnes en mettant son cousin au courant de l’existence des formulaires de visa.

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Décision Page 10 Le 9 octobre 1995, il y a eu une autre conversation téléphonique entre Albert Chu et Aldo Chang pendant laquelle Chu a indiqué que les acheteurs voulaient jeter un coup d’oeil aux visas. Chang a demandé pourquoi ils voulaient « le revoir ». La référence avait sans aucun doute trait à une réunion mentionnée par Albert Chu et Bill Fong au cours de leur témoignage au procès, mais ni l’un ni l’autre n’a pu en préciser la date. Il est cependant évident que cette réunion s’est tenue tout juste avant le 9 octobre, possiblement vers la fin de septembre ou au début d’octobre.

La réunion s’est déroulée dans les locaux de l’entreprise d’Albert Chu, Take 1 Studios. Il s’agissait de l’occasion pour Aldo Chang de montrer l’échantillon de visa aux acheteurs potentiels. Aldo Chang, Albert Chu, Eddy Chan et Bill Fong ont assisté à la réunion. Aldo Chang a montré un visa en blanc et a expliqué que son collègue de travail l’avait obtenu d’un bureau outre-mer et comment on pouvait dire qu’il était authentique.

La deuxième réunion mentionnée durant la conversation téléphonique du 9 octobre pour « remontrer » le visa n’a jamais eu lieu. Le 15 octobre 1995, Ms Chansiri est arrivée à Toronto, comme je l’ai mentionné dans mes motifs concernant le premier chef d’accusation.

À ce moment critique, Albert Chu et Eddy Chan étaient encore en discussion concernant le prix qui serait demandé à l’acheteur potentiel des visas de visiteurs. Aldo Chang a dit à Albert Chu que le prix minimal que Chang accepterait pour un visa de visiteur serait 5 000,00 $, mais que le prix augmenterait avec l’ajout de services tel que « l’assurance » à l’aéroport ou un permis de travail qui permettrait au détenteur de travailler comme bonne. Les intervenants s’étaient entendus sur le fait que le prix final, payé par l’acheteur, serait beaucoup plus élevé car tous les intermédiaires auraient droit à leur part de profits. Ainsi, avec l’ajout des parts de profits, le prix final à débourser par Allan Lim pour un visa de visiteur tournait autour de 10 000,00 $. M. Lim a indiqué à Eddy Chan que le prix était trop élevé. Il a dit qu’il débourserait 7 500,00 $ et qu’un montant de 8 000,00 $ était négociable.

Il n’y a pas de preuve sur ce qui s’est finalement passé avec la vente proposée à Lim. Il n’y a pas non plus de preuve sur l’entente quant au prix final à payer par Lim. Bref, il ne semble pas y avoir eu de vente.

Le 20 décembre 1995, Albert Chu a de nouveau communiqué avec Aldo Chang et l’a informé que son contact (en l’occurrence Eddy Chan) avait une autre proposition pour l’achat de visas de visiteurs au coût de 5 000,00 $, montant devant être payé à Chang et qui inclurait le passage « sans

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Décision Page 11 problèmes » à l’aéroport. Ce type de visa serait d’abord vendu à l’essai. Les utilisateurs de ces visas étaient supposément des hommes de la République populaire de Chine. Chang a mentionné que cette affaire représentait une possibilité et qu’il en parlerait à son associé. Le 2 janvier, vers 19 h 41, au cours d’une conversation téléphonique, Albert Chu a indiqué à Aldo Chang que les acheteurs voulaient voir un échantillon. Ils ont aussi discuté de la possibilité d’exiger un dépôt des acheteurs avant de leur montrer le visa. Puis, ce même soir, soit le 2 janvier vers 22 h 27, Aldo Chang et George Kullman ont eu une conversation téléphonique. Ils ont parlé de la demande de l’acheteur de voir le visa de visiteurs. Kullman était tout à fait contre l’idée que l’acheteur ait accès au visa car il craignait les photocopies sophistiquées. Il ne s’opposait pas, par contre, à ce que le visa soit montré, pourvu que Aldo Chang y soit en tout temps. Aldo s’est empressé de communiquer avec Albert Chu pour lui dire que le dépôt n’était pas nécessaire, mais que le visa ne pourrait être gardé jusqu’au lendemain et que son associé exigeait que lui-même le garde toujours en sa possession. Subséquemment, Chu et Chang ont fait des arrangements pour montrer le visa à deux, et peut-être trois, occasions, mais à chaque fois, Chang n’a pas mis le plan à exécution.

Le 10 janvier 1998, Eddy Chan a appelé Ming Sun Chiu qui devait être l’acheteur du visa. Chan a avisé Ming Sun Chiu que la personne en possession du visa ne voulait pas le montrer car elle ne voulait pas montrer son visage. Comme mentionné précédemment, on doit exercer une certaine prudence à l’égard de la véracité des dires d’Eddy Chan. Cependant, cette information spécifique a été corroborée par la conversation téléphonique qu’ont eu Aldo Chang et Albert Chu le 4 janvier 1996 sur ce même sujet. Albert Chu ne voulait pas que l’acheteur voit le visage d’Aldo ou le sien. Il a suggéré d’utiliser un intermédiaire qui remettrait le visa à l’acheteur qui lui disposerait d’une heure pour examiner le visa.

Même s’il était d’accord avec Albert concernant la protection de leur identité, Aldo a indiqué que son associé n’accepterait jamais qu’il se départisse du visa, même pas pendant une heure, à cause des risques de photocopies.

Cette conversation, associée à la non-exécution du plan par Aldo de montrer, à deux occasions planifiées, le visa, appuie la version qu’a rapportée Eddy Chan à Ming Sun Chiu à l’effet que les vendeurs ne voulaient plus montrer le visa parce qu’ils ne voulaient pas se faire voir.

Eddy Chan a proposé un autre moyen pour permettre à l’acheteur, Chiu, de s’assurer de l’authenticité du visa avant de payer. Il a suggéré que Chiu donne un passeport

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Décision Page 12 aux vendeurs pour qu’ils y insèrent le visa. Au moment de récupérer le passeport, Ming Sun Chiu pourrait refuser de payer s’il n’était pas convaincu de l’authenticité du visa. Eddy Chan a suggéré d’essayer en utilisant un seul passeport pour commencer. Chiu a accepté tout en ajoutant qu’il voulait en discuter après l’arrivée du courrier dans environ deux jours.

Au procès, Ming Sun Chiu a témoigné que, un soir, quelque temps après cette discussion, il avait remis à Eddy Chan le passeport d’un homme de la République populaire de Chine car Eddy lui avait dit qu’il pouvait obtenir un visa pour cet homme.

Ming Sun Chiu a aussi indiqué au cours de son témoignage qu’il avait l’intention de poster le passeport de l’homme après y avoir inséré le visa.

Le lendemain matin, Eddy Chan et Ming Sun Chiu ont été arrêtés en rapport avec cette affaire. Le passeport chinois qui avait été fourni par Ming Sun Chiu a été trouvé dans les affaires de M. Chan.

À la page 40, Madame la juge Molloy rapporte d’autres faits et les conclusions qu’elle en tire : [Traduction] Il est évident que George Kullmann était un agent à l’immigration à l’aéroport et qu’il y travaillait avec Aldo Chang. Selon la conversation téléphonique du 2 janvier, il semble qu’il était déjà au courant de la vente imminente. Durant cette conversation téléphonique, on le consultait concernant la demande de l’acheteur d’examiner le visa en blanc. Il était tout à fait opposé à l’idée que les acheteurs puissent examiner le visa sans supervision, et il s’est d’ailleurs exprimé sans gêne à cet effet. Il insistait pour qu’Aldo Chang soit présent durant l’examen des visas par les acheteurs parce qu’il avait peur des photocopieurs modernes. Il a aussi avisé Aldo Chang qu’il ne serait pas nécessaire d’exiger un dépôt pour l’examen des visas comme ce dernier serait sur place en tout temps.

Compte tenu de la relation existant entre ces deux hommes, que l’on peut constater par le ton de la conversation téléphonique, de la façon qu’avait Kullman de dicter les conditions selon lesquelles l’examen du visa allait se faire et de la reconnaissance par Chang de son droit d’agir ainsi, je considère qu’il est plus que probable que Kullman ait participé au complot, ou du moins à cette étape du complot.

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Décision Page 13 De plus, il est probable que sa participation remonte au début de l’automne. Il semblerait que, d’après la conversation téléphonique, il était en possession des visas. Par conséquent, il devait nécessairement faire partie de tout schème de la vente de ces visas. Au début de la conversation téléphonique au cours de laquelle Aldo Chang explique à George Kullman que les acheteurs veulent examiner le visa, il lui dit aussi que « c’était des nouveaux acheteurs ». Il lui a répondu « parce que ce sont des nouveaux, il faut qu’ils voient le produit ». Il est évident que les acheteurs dans ce cas-ci ne sont pas ceux qui avaient examiné le visa échantillon à la réunion qui s’était tenue plus tôt à l’automne au Take 1 Studios. J’en arrive donc à la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, George Kullman a participé au complot, et ce, du début de l’automne 1995 jusqu’au mois de janvier 1996.

Cette conclusion satisfait à la partie 2 du critère Carter permettant de considérer l’exception à la règle du ouï- dire à l’égard des conspirateurs. Ainsi, les agissements et les déclarations des coconspirateurs pour l’exécution du complot constituent de la preuve admissible concernant la culpabilité de George Kullman.

La preuve est abondante concernant la participation directe de George Kullman dans cette affaire. Dès le début, les complices, de même que les acheteurs, ont été avertis par Chang par l’intermédiaire d’autres personnes que les visas provenaient d’un autre agent examinateur qui travaillait avec Aldo Chang et qui avait obtenu des formulaires de visa alors qu’il était en poste outre-mer. Ceci constitue la preuve de la pleine réalisation du complot car cette information visait à rassurer tous les intervenants quant à l’authenticité du formulaire de visa.

Durant toutes ses conversations avec Albert Chu, Aldo Chang faisait constamment allusion à son associé et, de temps en temps, indiquait qu’il devait d’abord vérifier certains faits ou détails avec son associé. Il faisait allusion à George comme étant le nom de son associé.

À quelques reprises, Aldo Chang a mentionné que son associé était pressé de passer à l’exécution et entretenait des doutes sur Aldo. En effet il craignait que ce dernier lui joue dans le dos, et ce, surtout en novembre les affaires étaient plutôt calmes.

Une fois de plus, comportements confirmaient le complot dans le but de forcer les affaires et d’expliquer les contretemps provoqués par Aldo Chang qui cherchait à confirmer des détails.

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ces agissements ou ces

Décision Page 14 Le fait qu’Aldo décrive son associé comme étant quelqu’un qui devait approuver les démarches et qui lui fournissait les visas concorde avec le fait que l’associé était celui en possession des visas, alors que le rôle de Chang était d’établir des liens avec les intervenants criminels intéressés par ce commerce illégal, qui constitue le point central du complot.

En octobre, lorsqu’Aldo Chang pensait qu’il allait être transféré en Espagne, il a dit à Albert Chu qu’il pouvait traiter directement avec son associé pendant son absence. Cette mention démontre clairement la participation de l’associé dans cette affaire et vient confirmer une fois de plus le complot, dans le sens qu’il s’agissait là d’une garantie pour les intervenants que les affaires allaient se dérouler comme prévu, même sans Aldo. Le fait que Aldo Chang et George Kullman ont semblé par la suite se déranger mutuellement et que Aldo eut retiré son conseil à Albert Chu de traiter directement avec son associé n’a pas de conséquence sur leur témoignage sur la question de l’existence de l’associé.

En janvier, lorsqu’il a été question de montrer les visas, Aldo Chang a eu avec Kullman une conversation dont j’ai déjà fait mention. Or, tout de suite après, il a eu la communication suivante avec Albert Chu :

« Ouais, je viens de parler au gars. Et puis ? Il dit qu’ils ont juste à le montrer et que, si je suis là, ils n’ont pas besoin de faire un dépôt.

Il dit que laisser le visa jusqu’au lendemain, pas question, je, je ne peux pas le laisser aller. »

Quelques jours plus tard, au cours d’une autre conversation téléphonique avec Albert Chu, Aldo Chang lui a répété que son associé ne voulait pas laisser aller les visas jusqu’au lendemain car il craignait qu’ils soient reproduits à l’aide d’un photocopieur sophistiqué. Chang lui a communiqué les inquiétudes exprimées par Kullman dans leur conversation précédente.

Ces agissements démontrent de façon évidente l’existence du complot et confirment que, en plus de jouer un rôle actif, l’associé de Chang était bel et bien George Kullman.

Par conséquent, après avoir examiné la preuve, j’en conclus que George Kullman était l’associé actif d’Aldo Chang tout au long de cette affaire. Je suis convaincue, hors

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Décision Page 15 de tout doute raisonnable, de sa participation au complot, tel que je l’ai déjà expliqué.

Sa seigneurerie fait aussi la remarque suivante (page 58) : [Traduction] Je rejette l’argument de la défense à l’effet que le but du complot n’était pas de faire entrer des gens au pays sans papier valide, mais plutôt de vendre des visas. Il est évident que les intervenants avaient l’intention d’utiliser les visas pour faire entrer au Canada des personnes sans papier valide. […]

Enfin, Madame la juge Molloy conclut en disant : [p. 64] [Traduction] Je suis convaincue, hors de tout doute raisonnable, de la culpabilité des deux accusés concernant les chefs contenus dans l’acte d’accusation. Aldo Chang sera reconnu coupable quant au premier chef d’accusation et, quant au deuxième chef, George Kullman et Aldo Chang seront tous deux reconnus coupables.

D’après les extraits reproduits ci-dessus, il est évident que la Cour a reconnu M. Kullmann coupable d’avoir participé au complot dans le but de faire entrer clandestinement au Canada des personnes qui n’y auraient pas eu droit par ailleurs, tout cela en violation de ses tâches et responsabilités d’agent à l’immigration. Quant à l’importance à donner au jugement de la Cour, j’accepte l’argument de l’avocat de l’employeur que la jurisprudence actuelle considère de tel jugement comme preuve à première vue (prima facie) dans toute autre poursuite judiciaire, y compris le présent arbitrage. Dans l’affaire Re Del Core and Ontario College of Pharmacists (supra), le comité de discipline du Ontario College of Pharmacists s’est fié sur la condamnation criminelle du pharmacien pour le déclarer coupable d’inconduite. Les allégations d’inconduite soulevées devant le comité de discipline étaient quasi identiques à celles contenues dans l’acte d’accusation criminelle. Une des questions portées devant la Cour d’appel était à savoir si le comité de discipline avait le droit de prendre en considération la condamnation criminelle pour rendre son jugement d’inconduite. La Cour d’appel a maintenu la conclusion du comité de discipline, (renversant ainsi la décision de la Cour divisionnaire). En effet Houlden J.A. conclut à la page 17 : Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 16 [Traduction] Le comité de discipline a eu raison d’admettre en preuve le certificat de condamnation. Ce certificat constituait une preuve prima facie, et non pas concluante, que l’intimé avait commis les trois actes de fraude; or comme l’intimé n’a pas produit de preuve pour refuter les accusations, le comité avait le droit de s’en servir et de déclarer l’intimé coupable des actes frauduleux.

Blair J.A. y souscrit à la page 20 : [Traduction] Je suis d’accord avec mes confrères à l’effet que la preuve produite concernant la condamnation pour fraude était admissible. Dorénavant, il faut que soit considéré établi comme loi dans cette province que la preuve d’une condamnation criminelle antérieure peut être admissible dans une poursuite judiciaire civile : Demeter v. British Pacific Life Ins. Co. and two other actions (1984), 48 O.R. (2d) 266, 13 D.L.R. (4 t h ) 318, [1985] I.L.R. para. 1-1862; confirmant la décision et adoptant les motifs de Osler J. parus dans 43 O.R. (2d) 33, 150 D.L.R. (3d) 249, [1983] I.L.R. para. 1-1689.

(Permission pour en appeler à la Cour suprême du Canada refusée, 57 O.R. (2d) 296n.)

Les arbitres ne s’entendent pas tous sur la façon de considérer la preuve d’une condamnation antérieure. Un arbitre a conclu que : [traduction] « Quels que soient les conclusions de fait et le résultat du processus criminel, le tribunal d’arbitrage doit entendre l’affaire de nouveau. De la même façon, un tribunal criminel, en considérant la preuve présentée, n’est pas lié par les conclusions rendues au cours de l’arbitrage. (Re University of Western Ontario and C.U.P.E. Local 2361 (1988), 35 L.A.C. (3d) 39 (Dissanayake), p. 41). Voir aussi Re Barber Hydraulic Turbine Ltd. and U.S.W. (1978), 19 L.A.C. (2d) 247 (O’Shea). » Sans vouloir manquer de respect envers qui que ce soit, j’estime que l’opinion la plus juste (et la plus respectueuse des décisions judiciaires actuelles) est celle du Professeur Gorsky et al. dans Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration, Gorsky/Usprich/Brandt, Carswell, 1994 à la page 11-67 : [Traduction] On pourrait prétendre que, étant donné la logique douteuse de la règle et la critique largement répandue qu’elle a suscitée, les arbitres auraient eu raison dans l’exercice de

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Décision Page 17 leur compétence de considérer une condamnation comme une preuve de culpabilité. Cependant, l’affaire Hollington v. Hewthorn n’est généralement plus vue comme une autorité même par les tribunaux ordinaires. De plus, la cause a été renversée par législation dans certaines juridictions. Il est évident que, de nos jours, un arbitre devrait admettre une condamnation comme preuve de culpabilité. Cette condamnation ne constitue pas cependant une preuve concluante. Le plaignant devrait avoir la possibilité de présenter une nouvelle preuve pour refuter les conclusions de la cour. Tel que mentionné précédemment, on a longtemps accordé ce traitement à un plaidoyer de culpabilité à une accusation criminelle, lequel est subséquemment utilisé comme admission contre une personne.

J’irais aussi jusqu’à dire que, en voulant donner une certaine importance aux conclusions de fait de la Cour, certaines considérations politiques publiques entrent en ligne de compte. D’abord, de nombreuses garanties sont offertes à l’accusé au cours du procès criminel, notamment celle du fardeau de la preuve plus lourd, garanties dont le fonctionnaire s’estimant lésé ne bénéficie pas dans le cadre du processus d’arbitrage. De plus, ne pas relever cette preuve ou lui donner une importance minime signifierait une charge de travail accrue et inutile pour les parties pour l’établissement de leur cause avec pour résultat ultime un processus coûteux et ralenti; ce qui est tout à fait contraire à la raison d’être du processus d’arbitrage de griefs.

J’insiste sur le fait que les conclusions de la Cour ne constituent qu’une preuve prima facie; le fonctionnaire a toute la liberté de les refuter. En l’espèce, par contre, et ce pour les raisons expliquées ci-haut, le fonctionnaire s’estimant lésé a décidé de ne pas se prévaloir de ce droit. Par conséquent, et à la lumière des faits et des conclusions exprimés dans le jugement de la Cour, j’en conclus que l’employeur a réussi à prouver l’inconduite commise par le fonctionnaire s’estimant lésé.

Je me suis aussi demandé si, étant donné les circonstances de la présente affaire, l’employeur avait eu raison d’imposer la sanction ultime, c’est-à-dire le licenciement, compte tenu des seize années d’emploi sans faute du fonctionnaire s’estimant lésé. Il n’y a aucun doute dans mon esprit que le licenciement est justifié. Il est difficile d’imaginer une conduite pire et plus à l’encontre de ses tâches et de ses responsabilités que celle adoptée par le fonctionnaire s’estimant lésé dans la présente affaire. M. Kullmann a trahi son serment d’office et s’est complètement déchargé de

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Décision Page 18 ses responsabilités envers son employeur et le grand public. Il serait très difficile pour quiconque de trouver des circonstances pouvant minimiser les conséquences de ces actes flagrants d’inconduite. De plus, en l’espèce, le fonctionnaire s’estimant lésé a décidé de ne pas produire de preuve pour expliquer ou minimiser les conséquences de sa conduite. À part la durée de son emploi, il ne dispose d’aucun élément minimiseur. Même la durée de son emploi ne réussit pas à minimiser la gravité de ses gestes.

Par conséquent, les griefs sont rejetés. P. Chodos, vice-président

OTTAWA, le 11 mai 1999. Traduction certifiée conforme

Serge Lareau

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