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Résumé :

Licenciement (motif disciplinaire) - Vol - Gardien de prison - Crédibilité - le fonctionnaire s'estimant lésé, qui avait été en congé pendant plusieurs semaines, a accepté d'effectuer un quart de jour le matin du 5 juillet 1996 - durant la journée il a accepté d'effectuer le quart du soir également - il s'est rendu à l'atelier de soudure et a demandé à l'instructeur qui s'y trouvait s'il pouvait avoir du fil-électrode pour réparer sa remorque - selon le fonctionnaire s'estimant lésé, l'instructeur lui a dit de prendre une bobine entière étant donné que la bobine devait être montée sur une soudeuse - l'instructeur a dit au fonctionnaire s'estimant lésé de rapporter ce qui resterait, et le fonctionnaire a promis de rapporter la bobine lorsqu'il reviendrait au travail quelques jours plus tard - le fonctionnaire s'estimant lésé a transporté la caisse de fil-électrode jusqu'à son poste de travail - comme il devait effectuer des heures supplémentaires, il a demandé à un employé d'une compagnie de construction qui effectuait des travaux de rénovation à l'établissement s'il pouvait transporter la caisse au terrain de stationnement en quittant le travail et la déposer dans sa voiture - un des travailleurs a accepté et la chose été portée à l'attention de l'employeur - lorsqu'il a été confronté par l'employeur, le fonctionnaire s'estimant lésé a expliqué avoir eu la permission de l'instructeur de l'atelier de soudure pour prendre la caisse de fil-électrode - l'instructeur l'a nié - le fonctionnaire s'estimant lésé a été congédié pour vol - la preuve a établi qu'il était courant dans l'établissement de prêter du matériel au personnel et de donner des choses de peu de valeur telles que des boulons et des écrous - l'employeur a mentionné un ordre permanent qui était en vigueur durant la période pertinente et qui interdisait de retirer des biens de l'établissement sans l'autorisation du directeur de l'établissement ou d'un chef de division - l'arbitre a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé avait retiré le fil-électrode avec l'autorisation de l'instructeur de l'atelier de soudure - l'arbitre a conclu que la version des faits du fonctionnaire s'estimant lésé était beaucoup plus compatible avec les circonstances et les faits de l'affaire que celle de l'instructeur de l'atelier de soudure - de plus, l'arbitre a conclu que, nonobstant l'existence de l'ordre permanent, l'employeur, par ses actes ou par son inaction, tolérait dans les faits que le personnel se serve du matériel de l'établissement à des fins personnelles - par conséquent, le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas coupable de vol lorsqu'il a pris des dispositions pour faire transporter la caisse de fil-électrode à l'extérieur de l'établissement - à l'avenir, si l'employeur a l'intention d'invoquer l'ordre permanent, il doit informer les employés de son intention de le faire malgré la pratique passée. Grief admis. Décision citée: Faryna v. Chorny [1952] 2 D.L.R. 354 (B.C.C.A.).

Contenu de la décision

Dossier: 166-2-27604 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE STEPHEN MELCHER fonctionnaire s’estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Solliciteur général - Service correctionnel)

employeur Devant: P. Chodos, président suppléant Pour le fonctionnaire s’estimant lésé: Barry Done, Alliance de la Fonction publique du Canada Pour l’employeur: Judith Begley, avocate Affaire entendue à Kingston (Ontario), du 18 au 21 mars 1997.

Decision Page 1 DÉCISION M. Stephen Melcher est entré au Service correctionnel en 1983; avant sa suspension sans traitement le 5 juillet 1996 et son congédiement le 26 août 1996, il travaillait au pénitencier de Kingston à titre d’agent de correction (CO-2); jusqu’à ce moment-là, il avait eu un dossier disciplinaire vierge et de bonnes évaluations de rendement.

Les motifs du licenciement de M. Melcher sont exposés en détail dans une lettre datée du 26 août 1996 (pièce E-10) de M. James Blackler, directeur du pénitencier de Kingston. Dans cette lettre de congédiement, M. Blackler fait remarquer ce qui suit :

[traduction] [...] Je suis convaincu que vous avez volé des biens appartenant à l’État [...]

Ce n’est pas seulement l’acte de voler qui a rompu ce lien de confiance. C’est aussi le fait que vous refusez d’admettre que vous avez commis un acte criminel et d’en accepter la responsabilité. Je ne suis pas convaincu que vous ne commettriez pas de nouveau une telle infraction si vous en aviez l’occasion.

Une grande partie des faits pertinents en l’espèce ne sont pas contestés. M. Melcher était en congé depuis deux ou trois semaines lorsqu’il a reçu un appel de ses supérieurs au pénitencier de Kingston, le 5 juillet 1996 au matin, lui demandant s’il était prêt à effectuer le poste du matin ce jour-là, qui allait approximativement de 7 h à 15 h 20. Il a accepté et est arrivé à l’établissement un peu après 7 h. On l’a affecté au poste de contrôle 2-G. Normalement, un seul agent est affecté à ce poste; de plus, un autre agent de relève venait de temps en temps travailler à ce poste ainsi qu’à un autre poste durant le quart de travail. À un moment donné au cours de la matinée, un surveillant correctionnel, M. Gord McKenzie-Crow, a demandé à M. Melcher s’il était disposé à effectuer également le poste du soir. Selon M. Melcher, vers 10 h M. McKenzie-Crow a confirmé que M. Melcher effectuerait également le quart de 15 h à 23 h. M. Melcher a témoigné que, vers 10 h 30, il a téléphoné à M. Bob Rankin, l’instructeur de l’atelier de soudure.

M. Melcher a dit se souvenir qu’il avait rappelé à M. Rankin une conversation qu’il avait eue avec lui trois ou quatre semaines plus tôt au sujet d’une remorque

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Decision Page 2 qu’il voulait faire réparer; M. Melcher avait besoin d’entretoises en métal et de fil-électrode à cette fin. Selon M. Melcher, M. Rankin lui a répondu : « Je suis dans l’atelier maintenant, descends. » Immédiatement après cette conversation, M. Melcher a demandé à l’agent de relève, M. Paul Seed, de venir le remplacer; il a dit à ce dernier qu’il s’en allait à l’atelier de soudure et qu’il reviendrait sous peu. L’atelier de soudure est assez loin du poste 2-G et M. Melcher a franchir plusieurs portes électroniques et traverser un escalier, avant d’emprunter un long passage extérieur menant à l’atelier de soudure. M. Melcher a affirmé que de nombreux agents correctionnels étaient en mesure de le voir se rendre et revenir de l’atelier de soudure à ce moment-là.

M. Melcher a expliqué que l’atelier de soudure était divisé en deux pièces; M. Rankin était dans la première pièce avec deux détenus. M. Rankin a montré à M. Melcher des rails d’acier épais, ainsi que des cadres de porte en aluminium; selon M. Melcher, M. Rankin lui a dit qu’il ne pouvait utiliser ces matériaux; M. Melcher a ensuite demandé à M. Rankin s’il pouvait lui donner du fil-électrode. M. Melcher se souvient d’avoir pointé dans la direction de la soudeuse dans l’atelier et d’avoir demandé du fil de celle-ci. M. Rankin lui a répondu que la bobine devait être monté sur une soudeuse et que, par conséquent, il ne pouvait lui donner simplement un bout de fil, mais qu’il lui prêterait une bobine entière à monter sur une soudeuse. M. Rankin l’a ensuite conduit à un entrepôt verrouillé qu’il a ouvert avec une clé; à l’intérieur se trouvait une étagère contenant cinq caisses empilées sur le côté, les unes sur les autres. M. Rankin a pris la caisse du dessus, l’a ouverte et a examiné son contenu. Selon M. Melcher, M. Rankin lui a dit de prendre la caisse et de rapporter ce qui resterait; M. Melcher a répondu que son prochain quart de travail était le lundi 8 juillet et qu’il rapporterait le restant ce jour-là.

M. Melcher a témoigné avoir transporté la caisse de fil-électrode de 30 livres à son poste. M. Seed l’a vu arriver avec la caisse; il a regardé dans la caisse et a demandé à M. Melcher ce que c’était. Ce dernier lui a répondu qu’il avait reçu ce matériel de M. Rankin et qu’il s’en servirait pour réparer une remorque. Selon M. Melcher, M. Seed lui a demandé en plaisantant s’il pouvait en avoir lui aussi, ce à quoi M. Melcher a répondu qu’il devait le rapporter.

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Decision Page 3 Vers 10 h 45, M. Melcher a approché un certain M. Joe Rodrigues, un employé d’une compagnie de construction qui effectuait des travaux de rénovation à l’établissement. M. Melcher a demandé à M. Rodrigues s’il pouvait transporter la caisse de fil-électrode au terrain de stationnement lorsqu’il quitterait le travail et la déposer dans sa voiture pour lui. M. Melcher a témoigné que la caisse était assez lourde; il a demandé à M. Rodrigues de la sortir pour lui parce qu’il savait que ce dernier passerait par et qu’il pouvait lui épargner le temps et l’effort de transporter la caisse à sa voiture. M. Rodrigues a accepté de le faire; à la fin de la journée il avait un certain nombre de choses à transporter à son véhicule; il a donc demandé à un collègue travailleur de la construction, M. Guy Baillargeon, de prendre la caisse, ce que celui-ci a accepté de faire. M. Baillargeon a conduit sa voiture près de celle de M. Melcher, qu’il a reconnue d’après la description que M. Melcher lui en avait donnée, et a déposé la caisse sur le siège arrière. Les deux travailleurs sont ensuite retournés à leurs propres véhicules et ont quitté l’établissement (se reporter aux pièces E-4 et E-5, les dépositions écrites de MM. Rodrigues et Baillargeon).

M. Williams Isaacs est l’agent de sécurité préventive de l’établissement au pénitencier de Kingston. Selon M. Isaacs, on l’a informé vers 11 h 45 le 5 juillet que M. Melcher avait demandé à M. Rodrigues de transporter un article appartenant à l’établissement par l’entrée des véhicules et de le déposer dans son véhicule dans le terrain de stationnement. (M. Isaacs n’a pas identifié le nom de l’informant; avec l’accord du représentant du fonctionnaire, il a été convenu qu’il ne serait pas nécessaire de révéler l’identité de l’informant, puisque les faits que ce dernier pourrait relater ne sont pas contestés.) M. Isaacs a ensuite contacté un agent de correction, M. Goleimic, qui était chargé d’escorter les travailleurs de la construction. Il a dit à M. Goleimic qu’il était possible que M. Rodrigues quitte l’établissement par l’entrée des véhicules avec une caisse de fil-électrode de 30 livres et que, s’il en était témoin, il voulait en être informé immédiatement. Vers 15 h, M. Goleimic a informé M. Isaacs qu’on avait vu M. Baillargeon transporter la caisse en question au terrain de stationnement principal. Avec l’aide d’un autre agent de correction, M. Isaacs est sorti à la recherche du véhicule de M. Melcher, qu’il a trouvé avec la caisse de fil clairement visible sur le siège arrière.

On a signalé l’incident à la police municipale de Kingston, et le policier Peter Lafontaine est arrivé au terrain de stationnement du pénitencier. Il y a été accueilli

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Decision Page 4 par M. Isaacs, le surveillant correctionnel Chris Tsatsakis et le directeur adjoint de l’établissement par intérim William Gladu. M. Isaacs a relaté les faits à l’agent de police Lafontaine; M. Tsatsakis a ensuite amené M. Melcher au terrain de stationnement. À l’arrivée de M. Melcher, le policier Lafontaine lui a dit qu’il pouvait avoir volé des biens, qu’on avait trouvés dans sa voiture; M. Melcher a été mis en garde et avisé de son droit à un avocat; de plus, on l’a informé de son droit à un représentant syndical. M. Melcher a décliné toute représentation. Il a ensuite demandé s’il pouvait parler à M. Gladu et à M. Isaacs en privé; on a accéder à sa demande, et M. Melcher a expliqué à ces derniers qu’il avait des travaux de soudure à exécuter à la maison et que l’instructeur de l’atelier de soudure, M Rankin, était au courant et lui avait donné le matériel dont il avait besoin. M. Melcher leur a également expliqué qu’il avait demandé à M. Rodrigues de sortir le matériel de l’établissement et de le déposer dans sa voiture, parce qu’il effectuait des heures supplémentaires. M. Melcher a ensuite ouvert la porte de la voiture et a remis le matériel à M. Isaacs, qui l’a transporté dans son bureau. M. Melcher, M. Isaacs et M. Gladu sont retournés dans l’établissement; on a demandé à M. Melcher s’il rédigerait une déposition écrite, ce qu’il a accepté de faire sans hésitation. Avant qu’il rédige sa déposition écrite, M. Melcher a de nouveau été avisé de son droit à un avocat ou à un représentant syndical. Il a de nouveau refusé de se faire accompagner par un avocat ou un représentant syndical. M. Melcher a ensuite été informé qu’il était suspendu sans traitement en attendant les résultats d’une enquête plus poussée, puis il a été escorté à l’extérieur de l’établissement.

Plus tard ce soir-là, M. Rankin a reçu chez lui un appel téléphonique lui donnant instruction de retourner immédiatement à l’établissement. À son arrivée à l’établissement, M. Gladu lui a dit qu’il y avait un problème grave concernant des biens qu’on retirait de l’établissement et qu’il pourrait être impliqué dans un vol; il lui a lu ses droits, lui a dit qu’il pouvait obtenir un représentant syndical et lui a lu la déclaration de M. Melcher. On lui a ensuite montré la caisse de fil-électrode qui se trouvait dans le bureau de M. Isaacs; M. Rankin a dit qu’il avait effectivement ce genre d’article dans son atelier. Ils sont ensuite allés à son atelier et M. Rankin a déverrouillé la salle d’entreposage dans laquelle ils ont trouvé quatre caisses identiques de fil-électrode; le numéro de lot de ces caisses ne correspondait pas au numéro de lot qui figurait sur la caisse qui se trouvait dans le bureau de M. Isaacs, mais il était le même que celui de la bobine installée sur la soudeuse. M. Rankin se Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 5 souvenait d’avoir commandé ce fil au début du printemps. Il a nié avoir donné à M. Melcher la permission de prendre la caisse de fil-électrode.

Selon la déposition écrite de M. Gladu (pièce E-6), M. Rankin était [traduction] « très préoccupé par cette affaire et il a dit qu’il ne voulait pas perdre son emploi à cause de cela. Il était très contrarié par le fait que M. Melcher avait dit qu’il était impliqué dans l’incident ». M. Gladu a témoigné que M. Rankin semblait « très anxieux ». M. Gladu a demandé à M. Rankin de trouver le bordereau de commande et livraison correspondant à cet article; M. Rankin a cherché dans son bureau mais n’a pas trouvé le bordereau voulu.

M. Gladu a continué d’interroger M. Rankin. Il a fait remarquer de nouveau que M. Rankin semblait très nerveux et que, vers 22 h, il a demandé la présence d’un représentant syndical. M. Brian Adams, président de la section locale du pénitencier de Kingston, s’est joint à eux et a été mis au courant des faits par M. Gladu. M. Rankin a affirmé une fois de plus qu’il n’avait personnellement joué aucun rôle dans cet incident.

En contre-interrogatoire, M. Gladu a décrit M. Melcher comme ayant été « étonnamment coopératif » en tout temps et « franc »; il a fait remarquer que M. Melcher semblait tellement nonchalant et détendu qu’il lui a demandé s’il était conscient d’avoir mal agi. M. Gladu a convenu que M. Rankin semblait plus alarmé par cette affaire que M. Melcher.

En contre-interrogatoire, M. Rankin a été confronté à une déclaration qu’il avait faite à M. Gladu concernant une clé de série qui donnait accès, entre autres, à l’entrepôt dans l’atelier de soudure. Selon la déclaration de M. Gladu, M. Rankin lui aurait dit ce qui suit :

[traduction] [...] il circule depuis très longtemps une rumeur selon laquelle les agents de correction avaient accès à une clé de série leur permettant de pénétrer dans de nombreux entrepôts pendant les quarts de 15 h à 23 h et de minuit. M. Tsatsakis a demandé à M. Rankin de lui fournir tous les renseignements détaillés dont il pourrait personnellement être au courant à ce sujet. M. Rankin a répondu qu’il n’en savait personnellement rien [c’est nous qui soulignons], mais qu’il y avait beaucoup de rumeurs parmi le personnel à

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Decision Page 6 ce sujet et qu’on soupçonnait que des employés avaient accès à ces entrepôts dans les ateliers durant les postes en dehors des heures normales de travail.

M. Rankin a témoigné avoir trouvé une clé de série sur le plancher de son atelier en mars ou avril; il a nié avoir dit qu’il « ne savait personnellement rien » de cette affaire. Il a déclaré qu’il n’avait pas voulu en parler à M. Gladu quand ce dernier l’avait interrogé dans le contexte de l’enquête. Il était conscient, lorsqu’il a trouvé la clé, qu’il s’agissait d’une affaire grave; par contre, il ne voulait en discuter avec personne à ce moment-là jusqu’à ce que quelqu’un vienne chercher la clé. M. Rankin a nié avoir dit à M. Gladu qu’il y avait des rumeurs concernant l’existence d’une clé de série, en dépit du fait que la déposition de M. Gladu indique qu’il avait fait une telle affirmation. M. Rankin a reconnu qu’il était très nerveux et anxieux à l’entrevue; cependant, il a déclaré qu’il ne craignait pas de perdre son emploi parce qu’il était à un âge il « se foutait de l’emploi ». Il a par contre reconnu avoir dit à M. Gladu qu’il avait peur de perdre son emploi; il avait fait cette remarque parce qu’il avait conclu que quiconque donnait des matériaux risquait d’être congédié. M. Rankin a aussi signalé que lui et d’autres collègues dans les ateliers « réparaient tout le temps des choses pour les membres du personnel » et qu’il n’y avait rien de mal à cela; toutefois, dans le fond il « pensait qu’ils ne devraient probablement pas le faire ». Il croyait également que c’était « CORRECT » de donner des choses de peu de valeur au personnel, des boulons et des écrous, par exemple. Il effectuait des soudures avec cinq sous de fil-électrode environ pour les employés et il se souvenait d’avoir donné de vieux cadenas inutilisés à des membres du personnel. Il ignorait l’existence de règles concernant les articles de rebut, mais il ne serait pas étonné d’apprendre que de telles règles existent. Personne ne lui a jamais dit qu’il avait besoin de la permission de la direction pour se débarrasser d’articles de rebut. Il était par ailleurs « sûr » que le personnel avait emprunté des outils de temps à autre; il a fait remarquer que la plupart des agents de correction lui avaient demandé d’exécuter une tâche quelconque. Selon M. Rankin, la direction avait agi de façon « très impitoyable » envers M. Melcher et les choses n’auraient jamais aller si loin. Il a reconnu qu’il faudrait prendre toute la bobine de fil pour pouvoir utiliser le fil avec une soudeuse; une bobine de 30 livres de fil-électrode, estime-t-il, coûte 17 $.

M. Patrick Laverty est actuellement chef d’unité au pénitencier de Kingston; il travaille au Service correctionnel depuis 1977. Il a reçu du directeur Blackler Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 7 l’instruction de [traduction] « mener une enquête concernant le vol, au pénitencier de Kingston, de biens appartenant à l'État, le présumé auteur de ce vol étant l’agent de correction II S. Melcher ». Au cours de son enquête, M. Laverty a interrogé de nombreuses personnes, dont M. Isaacs, M. Gladu, M. Rankin, les deux travailleurs de la construction, soit MM. Rodrigues et Baillargeon, ainsi que M. Melcher à plusieurs reprises. Chaque fois M. Melcher a affirmé avoir pris le fil avec la permission de M. Rankin. MM. Baillargeon et Rodrigues ont essentiellement confirmé la version que M. Melcher avait donnée des conversations qu’ils avaient eues avec lui. M. Rankin a répété à M. Laverty qu’il n’avait pas donné le fil à M. Melcher; en réponse à M. Laverty, M. Rankin a affirmé qu’il n’avait aucune idée de la façon dont M. Melcher s’était procuré la bobine de fil. À une deuxième occasion M. Laverty l’a interrogé, M. Rankin a déclaré que toute l’affaire le dérangeait qu’il songeait à prendre sa retraite à cause de cela, qu’il n’aimait pas ce qui arrivait à M. Melcher, qu’il ne changeait pas son histoire mais qu’il regrettait comment toute la vie de M. Melcher « était bouleversée par ça ».

À la demande de M. Melcher, M. Laverty a également interrogé M. Huehmer, un instructeur de l’atelier de menuiserie. M. Huehmer a affirmé qu’il était courant dans l’établissement de prêter du matériel et des outils au personnel. M. Laverty a témoigné avoir dit à M. Huehmer qu’il ne pouvait rien prêter sans la permission du directeur de l’établissement et que cette pratique devait cesser.

M. Laverty a reconnu qu’il ignorait toujours comment M. Melcher avait obtenu la bobine de fil de l’atelier et qu’il ne savait pas si M. Rankin lui avait donné la permission de la prendre ou non. Selon M. Laverty, puisque M. Melcher n’a pas reçu de permission écrite, il est coupable de vol. M. Laverty a informé le directeur de l’établissement que M. Rankin donnait des articles mineurs et qu’il lui avait dit de ne plus le faire. Il n’a pas suggéré que M. Rankin ou d’autres employés fassent l’objet d’une enquête. M. Laverty a expliqué que M. Huehmer lui avait dit avoir prêté des outils et du matériel de nombreuses fois, et qu’il gardait à ce sujet un registre (pièce G-2) qu’il a montré à M. Laverty. C’est M. Laverty qui a conclu que M. Melcher « avait été impliqué dans un acte criminel [...] » et qui a recommandé dans son rapport que M. Melcher soit licencié. Par ailleurs, M. Laverty trouvait comme les autres témoins de la direction que M. Melcher semblait coopératif et qu’il avait bien répondu aux questions qu’il lui avait posées durant son enquête.

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Decision Page 8 Un certain nombre des témoins de la direction se sont reportés à l’ordre permanent n o 571-4 daté du 30 juillet 1992 (pièce E-7), qui était en vigueur pendant la période pertinente. M. Isaacs a fait remarquer que, selon cet ordre permanent, on ne pouvait retirer des biens de l’établissement qu’avec l’autorisation d’un chef de division ou du directeur de l’établissement. D’après M. Isaacs, un employé aurait besoin d’une note de service identifiant les articles à sortir et aurait à produire l’approbation écrite. En l’absence d’une telle autorisation, le retrait de biens serait considéré comme illégal et irrégulier, et tout agent n’ayant pas contesté ce retrait serait considéré comme ayant fait preuve de négligence. M. Gladu a signalé que personne ne pouvait autoriser quelqu’un à donner les biens de l’établissement; tous les articles ne servant plus, y compris les rebuts, doivent être envoyés au Centre de distribution des biens de la Couronne. M. Laverty a reconnu que l’alinéa 5c) de la pièce E-7 semble interdire le retrait de tout bien de l’établissement à des fins personnelles.

Le directeur de l’établissement, M. James Blackler, a également témoigné pour l’employeur. Lorsqu’il a reçu le rapport et les recommandations de M. Laverty, M. Blackler a convoqué une audience disciplinaire le 15 août; à ce moment-là, il a présenté à M. Melcher les recommandations de M. Laverty. M. Melcher avait une copie du rapport de M. Laverty et l’avait parcouru. Selon M. Blackler, M. Melcher s’est opposé à l’emploi de l’expression biens « volés ». M. Melcher n’a pas avoué avoir volé des biens, pas plus qu’il n’a manifesté de remords. M. Blackler a témoigné que, en l’absence de ces facteurs atténuants, il n’avait d’autre choix que d’approuver la recommandation de M. Laverty de congédier M. Melcher.

En contre-interrogatoire, M. Blackler a affirmé que toute infraction à l’ordre permanent (pièce E-7) aurait fait l’objet d’une enquête; cependant, rien n’avait été signalé à son attention. Il s’est souvenu, toutefois, que M. Laverty lui avait dit que l’on empruntait du matériel et de l’outillage à l’établissement. Il n’était à l’établissement que depuis deux mois lorsque cet incident s’est produit, a-t-il dit; personne ne lui avait signalé de problèmes concernant le vol avant l’affaire Melcher. M. Blackler a en outre déclaré que cela était sans importance à ses yeux que M. Rankin ait donné la permission ou non de retirer la bobine de fil, car il n’avait pas le pouvoir de le faire. Cependant, s’il avait cru que M. Melcher avait obtenu la permission de

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Decision Page 9 M. Rankin et qu’il estimait donc avoir l’autorité d’agir ainsi, il aurait considéré cela comme une circonstance atténuante.

M. Juergen Huehmer a témoigné pour le fonctionnaire s’estimant lésé; il occupe le poste d’instructeur en menuiserie au pénitencier de Kingston et il travaille à l’établissement depuis 1966. Il y a d’abord occupé un poste d’agent de correction en 1971, puis il a commencé à travailler à l’atelier de menuiserie en 1981. Il se peut, a-t-il dit, qu’il ait vu l’ordre permanent en question quand il était agent de correction; cependant, il n’en a pas une expérience habituelle et il n’en a jamais reçu d’exemplaire en sa qualité d’instructeur. M. Huehmer a témoigné que déjà en 1966 il était pratique courante parmi le personnel du pénitencier de Kingston d’emprunter l’outillage et les biens de l’établissement. En 1983, un des instructeurs de l’atelier de menuiserie, M. Haycock, a commencé à tenir un registre des articles prêtés à l’atelier; M. Huehmer a tenu son propre registre (pièce G-2), qui contient des inscriptions remontant à 1973, les dernières étant datées du 11 octobre 1996. Il croit qu’encore aujourd’hui il est courant de prêter outils et fournitures; jamais la direction ne lui a dit qu’il ne pouvait pas prêter d’outillage. Il est arrivé souvent qu’il ait emprunté des outils et qu’il les ait transportés par la porte principale; les gardiens le voyaient souvent et ne soulevaient aucune objection. Il a fait remarquer qu’à l’occasion on prêtait les ponceuses à courroie et que les courroies étaient normalement usées ou déchirées avant que la ponceuse soit retournée.

En contre-interrogatoire, M. Huehmer a dit qu’il connaissait M. Melcher depuis dix à douze ans; il ne le considérait pas comme un ami, mais simplement comme un collègue de travail. Il a reconnu qu’on devait obéir aux ordres permanents; toutefois, les instructeurs ne reçoivent pas de copies des ordres et ils en ignorent souvent le contenu, a-t-il dit. Il se souvenait de la conversation qu’il avait eue avec M. Laverty durant l’enquête; il ne se rappelait pas que ce dernier lui ait fait savoir que la pratique de prêter des outils devait cesser. Il a fait remarquer qu’en 1983 le directeur Graham avait emprunté de l’équipement; il a reconnu que l’équipement avait pu servir à des travaux à l’intérieur de l’établissement. Selon la pièce G-2, sur les douze prêts effectués en 1994, cinq avaient pu être faits pour des fins personnelles. La situation était semblable en 1995 et 1996. M. Huehmer a précisé que les seuls articles inscrits dans le registre étaient les outils, pas les matériaux. Il a dit qu’il lui arrivait de donner des fournitures consommables mineures telles que des vis et des boulons.

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Decision Page 10 Argumentation L’avocate de l’employeur soutient qu’il s’agit ici d’une simple affaire de vol commis à l’endroit de l’employeur. Il incombe à l’employeur de prouver : 1) qu’il y a un motif valable de mesure disciplinaire; 2) que le congédiement était une sanction juste et raisonnable dans les circonstances. M e Begley maintient que c’est le fardeau de la preuve en matière civile qui s’applique, c’est-à-dire que l’employeur doit établir le bien-fondé de sa prétention selon la prépondérance de la preuve, bien qu’elle reconnaisse que dans le cas d’une allégation de vol, la preuve doit être claire et forte.

Selon M e Begley, on trouve dans le propre témoignage du fonctionnaire suffisamment de faits pour conclure qu’il y a eu vol; de son propre aveu, M. Melcher a pris la caisse de fil qui -- il a aussi reconnu le savoir -- appartenait à l’État; il a remis la caisse à des travailleurs de la construction pour qu’ils la transportent à sa voiture dans l’intention de l’utiliser au moins en partie. Aux termes du Code criminel, même la dépossession temporaire d’un bien sans droit clair constitue un vol. Dans l’affaire qui nous occupe, il y a eu un abus de confiance profond, sans circonstances atténuantes, puisque M. Melcher n’a pas semblé comprendre qu’il avait enfreint les règles. Autrement dit, il y a eu une violation claire du Code de discipline et, à moins que la mesure disciplinaire ne soit manifestement injuste, il n’y a pas lieu de la modifier. Compte tenu du fait que M. Melcher a refusé de reconnaître sa faute de conduite et qu’il n’a manifesté aucun remords, la direction ne peut nullement avoir confiance en sa capacité de ne pas commettre de nouveau des actes semblables. À l’appui de ses arguments, l’avocate se réfère à la jurisprudence suivante de la Commission : Bisson (dossiers 166-2-15706 et 15707); Laparé (dossier 166-18-22492); et Fauteux (dossier 166-2-26211).

Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé répond que l’employeur doit prouver qu’il avait un motif valable pour conclure qu’il y a eu vol en l’espèce; le mot « vol », fait-il remarquer, est mentionné six fois dans la lettre de congédiement. M. Done signale par ailleurs que, selon le fardeau de la preuve en matière civile, lorsqu’il est porté des accusations d’actes criminels on doit étayer sa preuve sur des « éléments clairs et forts ».

M. Done maintient que pour qu’il y ait vol il doit y avoir une intention criminelle; si le fonctionnaire n’était pas conscient que ce qu’il faisait était un vol,

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Decision Page 11 alors cette condition n’est pas remplie. En l’occurrence, le comportement de M. Melcher est incompatible avec la notion de vol; il n’y avait rien de clandestin dans son comportement; tout ce qu’il a fait, il l’a fait ouvertement. De plus, la direction a reconnu qu’il avait été entièrement coopératif tout au long de l’enquête, et qu’il n’avait cherché à être représenté ni par un avocat ni par un représentant syndical, même lorsqu’on le lui a demandé à trois reprises.

M. Done soutient en outre que l’employeur a la responsabilité de faire en sorte que les employés connaissent les règles; or M. Rankin et M. Huehmer ont tous deux témoigné qu’ils ne connaissaient pas le contenu des ordres permanents.

M. Done soutient par ailleurs que je devrais préférer le témoignage de M. Melcher à la déposition de M. Rankin, en particulier à la lumière de leurs comportements différents durant leur témoignage et tout au long de l’enquête. Selon M. Done, c’est parce qu’on lui a fait peur que M. Rankin s’est défendu en déclarant faussement qu’il n’avait pas prêté la bobine de fil à M. Melcher.

Enfin, le représentant du fonctionnaire maintient que, conformément aux principes énoncés par Brown et Beatty au chapitre 7-89 de Canadian Labour Arbitration (Canada Law Book, 3 e éd.), il y a de nombreuses raisons en l’espèce pour lesquelles la sanction ultime du congédiement n’était pas indiquée : 1) la valeur des biens en question était insignifiante; 2) l’employé avait de longs états services exemplaires; 3) les règles de l’employeur n’avaient pas été suivies de façon constante par le passé; 4) l’employeur a exagéré les allégations et a adopté une attitude accusatrice tout au long de l’enquête.

Motifs de la décision La question à trancher est de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé a volé des biens au pénitencier de Kingston le 5 juillet 1996 et, si tel est le cas, si sa conduite globale justifiait le congédiement. Les représentants des parties conviennent que, bien que ce soit le fardeau de la preuve en matière civile qui s’applique, compte tenu de la nature des allégations et du fait que la sanction ultime a été infligée, l’employeur doit prouver sa cause en s’appuyant sur une preuve claire et forte. J’ajouterais, cependant, qu’en l’occurrence la question de la norme de preuve requise

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Decision Page 12 est pratiquement hypothétique, car à mon avis la preuve de l’employeur, quel que soit le niveau de preuve, est tout à fait inadéquate.

Il n’est pas contesté que pendant la période de deux ou trois semaines qui a précédé le 5 juillet 1996 le fonctionnaire était en congé; autrement dit, il n’avait pas été à l’établissement pendant une période prolongée avant de rentrer au travail à la demande de la direction le 5 juillet. Cela soulève la question suivante : si M. Melcher mentait et s’il avait obtenu la bobine de fil de 30 livres clandestinement à une autre occasion sans l’approbation ou l’assistance de M. Rankin, quand l’a-t-il fait et a-t-il caché la bobine? Deux ou trois semaines, c’est une longue période pour cacher un article volumineux comme une caisse de 30 livres, surtout dans un milieu carcéral l’on effectue régulièrement des fouilles à la recherche de contrebande. L’employeur n’a offert aucune explication à propos de cet aspect de l’affaire; en fait, si on fait exception de vagues suggestions comme quoi une clé de série circulait dans l’établissement et avait pu se trouver en la possession de membres inconnus du personnel, aucune explication, et encore moins de preuve, n’a été avancée quant à la façon dont M. Melcher aurait pu se procurer la bobine sans que M. Rankin le sache ou l’aide. En fait, le propre enquêteur de l’employeur, M. Laverty, a signalé dans son rapport (pièce G-1) qu’il n’avait pas été [traduction] « [...] établi clairement comment M. Melcher avait pu obtenir le matériel de l’atelier de soudure pour le retirer de la prison ». Or M. Melcher a fourni une explication parfaitement logique quant aux circonstances, explication qui est en fait corroborée par d’autres éléments de preuve. Premièrement, il y a la déposition des travailleurs de la construction auxquels M. Melcher avait demandé de l’aide, et auxquels il n’a jamais tenté de faire croire que l’article n’appartenait pas à l’établissement (se reporter à la pièce G-1, soit le rapport de M. Laverty). Deuxièmement, l’article était placé bien en vue sur le siège arrière de la voiture de M. Melcher. Troisièmement, M. Melcher n’a pas fait cette demande d’une manière secrète ou clandestine. De plus, M. Melcher avait affirmé que M. Seed l’avait vu avec l’article au poste 2-G et qu’il lui avait posé des questions à ce sujet. Si cela n’est pas vrai, il incombait à l’employeur de citer M. Seed à cet effet; il ne l’a pas fait. Enfin, il y a le comportement de M. Melcher tout au long de l’enquête. Pratiquement tous les témoins de l’employeur ont reconnu que M. Melcher avait été entièrement coopératif, qu’il avait répondu sans hésitation à toutes les questions et qu’il avait semblé imperturbable et calme lorsqu’on l’a confronté la première fois à l’allégation

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Decision Page 13 voulant qu’il ait volé des biens. À la barre des témoins, M. Melcher a été tout aussi franc dans son témoignage.

En revanche, de nombreux témoins de la direction ont fait remarquer que M. Rankin avait semblé anxieux et nerveux; M. Rankin a affirmé à l’enquêteur qu’il craignait de perdre son emploi; or à la barre des témoins, bien qu’il reconnût avoir fait cette déclaration au cours de l’enquête, il a dit qu’il ne s’inquiétait pas réellement de perdre son emploi. En fait, le témoignage de M. Rankin a été marqué de nombreuses contradictions. Il a témoigné avoir trouvé une clé sur le plancher de son atelier en mars ou avril 1996, et pourtant il a nié être personnellement au courant de ce fait lorsque M. Gladu l’a interrogé durant l’enquête. Il a déclaré dans son témoignage qu’il ne voulait parler de la clé à personne jusqu’à ce qu’on se mette à la chercher, en dépit du fait qu’il était conscient à ce moment-là de l’extrême gravité de l’affaire. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il s’agit d’un comportement bizarre, qui soulève par ailleurs des doutes sérieux concernant la crédibilité de M. Rankin, notamment en ce qui a trait à son affirmation selon laquelle il n’avait pas autorisé M. Melcher à prendre la bobine de fil. M. Rankin a en outre affirmé avoir dit à M. Gladu qu’il s’inquiétait de perdre son emploi parce qu’il craignait que ce serait la conséquence à subir pour avoir donné à quelqu’un des matériaux de son atelier. Cela établit un motif clair pour mentir, si on considère qu’au départ la direction l’a confronté à la réalité qu’il pourrait être impliqué dans un vol. En effet, les circonstances dans lesquelles toute cette affaire a été portée à sa connaissance font qu’il est tout à fait possible que M. Rankin ait nié toute implication parce qu’il a eu peur; après avoir ainsi nié son implication, il s’est peut-être mis dans l’embarras et ne savait plus comment s’en tirer.

Il est reconnu depuis longtemps que, lorsqu’on évalue la crédibilité, il faut tempérer par d’autres facteurs la simple apparence de sincérité et de crédibilité. Dans l’affaire souvent citée Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.), le critère de crédibilité suivant a été proposé :

la page 357) [traduction] On ne peut évaluer la crédibilité des témoins intéressés, particulièrement dans les cas de preuves contradictoires,

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Decision Page 14 uniquement en établissant si le témoin en question, par son comportement, a réussi à convaincre qu’il disait la vérité. On doit examiner son histoire pour voir si elle concorde avec les probabilités qui entourent les circonstances qui existent à ce moment-là. En bref, pour pouvoir réellement conclure que l’histoire d’un témoin est vraie en pareil cas, celle-ci doit être en harmonie avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et informée reconnaîtrait d’emblée comme étant raisonnables en ce lieu et dans ces circonstances. [...]

Il me semble que la version des faits relatée par M. Melcher est beaucoup plus compatible avec les circonstances et les faits de la présente affaire que celle de M. Rankin. En plus des divers faits signalés plus haut, il y a le témoignage de M. Huehmer et de M. Rankin lui-même selon qui on prêtait -- c’est le moins qu’on puisse dire -- du matériel de façon courante à l’établissement (voir aussi la pièce G-2), une pratique à laquelle M. Rankin a avoué se livrer. Cela dit, l’employeur n’a avancé aucune explication pour éclaircir les motifs qui auraient incité M. Melcher à tenter d’obtenir clandestinement, et à l’insu de M. Rankin, la bobine de fil-électrode. À la lumière de toutes ces considérations, il n’y a pratiquement aucune raison de ne pas croire l’histoire de M. Melcher. En fait, si pour un instant la direction était prête à accepter à tout le moins la possibilité que M. Melcher disait la vérité, l’insistance avec laquelle ce dernier, tout au long de l’enquête et à l’audience disciplinaire, a maintenu qu’il n’avait commis aucun vol (d’où l’absence de remords de sa part) est tout à fait compréhensible.

On a fait beaucoup de cas de l’ordre permanent n o 571-1 qui -- la direction insiste beaucoup sur ce point -- interdit à quiconque de retirer de l’établissement tout matériel sans l’autorisation de la direction. Étant donné que la direction a soutenu que M. Melcher mentait lorsqu’il a dit que M. Rankin lui avait donné la permission de prendre le matériel en question, et vu qu’elle s’est appuyée sur cette conclusion pour le congédier, l’application de l’ordre permanent dans ces circonstances est dans une large mesure sans objet. De toute façon, il y a une preuve abondante qui montre qu’on fait honneur à l’ordre permanent davantage en l’enfreignant qu’en l’observant. De plus, la preuve donne à croire que la direction locale était pour ainsi dire indifférente aux infractions à l’ordre permanent. Apparemment, aucune mesure disciplinaire n’a été prise contre M. Rankin ou M. Huehmer, en dépit du fait qu’ils avaient clairement et de façon répétée prêté du matériel et des outils en contravention de l’ordre permanent; aucune mesure n’a non plus été prise à l’endroit Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 15 des autres personnes identifiées dans le registre de M. Huehmer. Force est de conclure que ces infractions n’étaient pas prises au sérieux à l’établissement. Autrement dit, la direction, par ses actes ou par son inaction, tolérait en fait la pratique selon laquelle le personnel se servait des biens de l’établissement à des fins personnelles. En pareilles circonstances, la direction ne saurait s’appuyer sur l’ordre permanent pour justifier une mesure disciplinaire, du moins pas avant d’avoir clairement et de façon non équivoque informé les employés que, nonobstant la pratique passée, l’ordre permanent sera dorénavant appliqué rigoureusement.

En résumé, selon la prépondérance des probabilités, je conclus que M. Melcher n’a pas commis la faute de conduite pour laquelle il a été congédié; par conséquent, je fais droit au grief. J’ordonne à l’employeur de le réintégrer immédiatement et de le dédommager de toutes les pertes qu’il a subies au titre de la rémunération et des avantages sociaux. Je demeurerai saisi de l’affaire pendant une période d’un mois à compter de la date de la présente décision au cas les parties éprouveraient des difficultés à exécuter ma décision.

P. Chodos, président suppléant

OTTAWA, le 18 avril 1997.

Traduction certifiée conforme Serge Lareau

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