Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement (motif disciplinaire) - Gardien de prison - Conduite en dehors des heures de travail - Longue association avec un criminel connu - Défaut de garder une distance raisonnable lorsque cette personne a été incarcérée dans l'établissement où le fonctionnaire travaillait - le fonctionnaire s'estimant lésé était un gardien de prison qui avait eu des rapports pendant de nombreuses années avec un trafiquant de drogue local - ce fait a été porté à la connaissance de l'employeur à la suite d'une opération d'infiltration policière visant le trafiquant de drogue et comportant une surveillance policière - la preuve a établi que le fonctionnaire était présent dans un restaurant et assis à la même table lorsque le trafiquant de drogue a discuté, avec un agent d'infiltration, d'une transaction de drogue importante - subséquemment, le trafiquant a été condamné et incarcéré à l'établissement où le fonctionnaire s'estimant lésé travaillait - le fonctionnaire a informé l'employeur qu'il connaissait le prisonnier et l'employeur lui a donné instruction de garder ses distances par rapport à lui - la preuve a établi que le fonctionnaire ne l'a pas fait et qu'il n'a pas non plus documenté ses rapports avec le prisonnier comme il était tenu de le faire - l'employeur a suspendu le fonctionnaire pour une durée indéterminée en attendant qu'une enquête soit menée et l'a finalement congédié en raison de ses rapports avec le trafiquant de drogue tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la prison - l'arbitre a conclu que le fonctionnaire était au courant des activités criminelles du trafiquant de drogue, ce qui ne l'a pas empêché de continuer de le fréquenter pendant plusieurs années - cela, combiné au fait qu'il n'avait pas gardé ses distances par rapport au prisonnier après son incarcération, constituait une violation des Règles de conduite professionnelle - le fonctionnaire s'en trouvait par le fait même incapable d'exercer les fonctions de son poste de façon satisfaisante. Grief rejeté. Décisions citées : Flewwelling (166-2-14236); Flewwelling et la Commission des relations de travail dans la fonction publique (1985), 65 N.R. 349 (C.A.F.).

Contenu de la décision

Dossier : 166-2-27802 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE SEAN WELLS fonctionnaire s'estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Solliciteur général - Service correctionnel Canada)

employeur

Devant : Rosemary Vondette Simpson, commissaire Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : David Landry, Alliance de la Fonction publique du Canada Pour l'employeur : Ronald Snyder, avocat Affaire entendue à Moncton (Nouveau-Brunswick), du 8 au 11 juillet 1997.

DÉCISION Au début de l'audience, j'ai ordonné l'exclusion des témoins. À la date de son congédiement de l'établissement de Springhill, en Nouvelle-Écosse, M. Sean Wells exerçait les fonctions d'agent de correction II. Il a présenté un grief contestant sa suspension pour une période indéterminée et son congédiement.

Par une lettre datée du 7 octobre 1996 et signée par M. Claude E. Dumaine, directeur de l'établissement de Springhill, M. Wells a été informé qu'il était licencié et que la décision prenait effet le 29 avril 1996, soit la date à laquelle il avait été suspendu pour une période indéterminée. Voici le texte intégral de la lettre de licenciement (pièce E-20) :

[Traduction] Objet : Renvoi de l'établissement de Springhill, Service correctionnel du Canada

J'ai maintenant terminé l'examen en profondeur du rapport d'enquête rédigé par M. Bruce Megeney à la suite des allégations selon lesquelles vous auriez commis une grave faute de conduite et violé le Code de discipline du SCC. Vous avez été mis au courant du contenu du rapport le 1 er août 1996, en la présence de votre avocat, M e J. Letcher. Vous avez été invité à examiner le rapport et à formuler les observations que vous jugiez pertinentes avant que j'envisage les mesures à prendre au sujet des allégations formulées. À votre demande, nous vous avons rencontré avec votre avocat le 7 août 1996.

En me fondant sur les renseignements que j'ai en main, j'ai conclu que vous aviez effectivement enfreint le Code de discipline et les Règles de conduite professionnelle du SCC. Plus précisément, sur une période de plusieurs années vous avez fréquenté M. Daniel Poirier, un trafiquant de drogue connu; vous étiez présent lorsqu'il s'est adonné à ses activités reliées à la drogue et avez sciemment pris part à celles-ci; et vous avez entretenu une relation inopportune avec M. Daniel Poirier pendant son incarcération à l'établissement de Springhill.

Les observations qui ont été faites en votre défense à notre rencontre du 7 août 1996 n'ont pas, à mes yeux, réduit le poids de la preuve contenue dans le rapport d'enquête susmentionné, et vous n'avez pas non plus fait valoir de circonstances qui auraient pu militer en votre faveur. En fait,

Public Service Staff Relations Board

Décision Page 2 vous n'avez même pas reconnu avoir commis une faute de conduite, avoir fait preuve de négligence ou avoir manqué de jugement pour excuser votre participation aux événements mentionnés dans le rapport d'enquête.

Je suis convaincu que, d'après la prépondérance des probabilités, vous avez commis les infractions mentionnées au deuxième paragraphe de la présente lettre. Je suis également persuadé que, par suite de votre comportement, vous vous êtes rendu inapte à exercer vos fonctions au SCC, car votre crédibilité a été ternie et votre efficacité diminuée à un point tel, auprès tant du personnel que des détenus, que vous seriez incapable de vous acquitter de vos tâches fondamentales avec le moindrement d’efficacité. Essentiellement, la confiance si vitale qui doit exister entre la direction et les agents de correction dans un milieu correctionnel a été trahie au point elle ne saurait être rétablie.

À la lumière de ce qui précède, je n'ai d'autre choix que de vous renvoyer du Service correctionnel du Canada. Conformément à l'article 11 de la Loi sur la gestion des finances publiques, il s'agit d'un licenciement motivé qui, en l'occurrence, prend effet le 29 avril 1996, soit la date de votre suspension.

Vous avez le droit, en vertu de votre convention collective, de présenter un grief concernant cette décision. Si vous décidez de vous prévaloir de ce droit, vous devrez, en conformité avec la clause M-38.19 de la convention cadre de l'AFPC, déposer votre grief directement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

Le gendarme Todd Gilmore, qui est au service de la Gendarmerie royale du Canada depuis 1987, prenait part à titre d'agent d'infiltration à une enquête appelée l'« opération Jim Dandy ». Celle-ci portait sur le commerce illicite de la drogue, des boissons alcoolisées et d'autres objets interdits. M. Gilmore et un agent de police rémunéré ont exploité du mois de janvier jusqu'au mois de décembre 1995 environ un petit magasin appelé le « Jim Dandy Newsstand ». À l'automne de 1995, M. Gilmore a fait des transactions avec M. Daniel Poirier, un gros trafiquant de cocaïne qui a plus tard été reconnu coupable de trafic de drogue. On l'a condamné à cinq ans d'emprisonnement après qu'il eut plaidé coupable.

À titre d'agent d'infiltration, le gendarme Gilmore a fait deux transactions avec M. Poirier. Dans la première transaction, ce dernier a vendu 1 700 $ de cocaïne au

Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 3 gendarme Gilmore; dans l'autre, M. Poirier lui a vendu un kilogramme de cocaïne 50 000 $. Le 11 décembre 1995, M. Poirier est entré au magasin Jim Dandy avec M. Wells, qu'il a présenté au gendarme Gilmore. Ce dernier savait déjà, par les rapports de surveillance, que M. Wells était souvent vu en compagnie de M. Poirier. Il savait également que M. Wells était un gardien de prison et qu'il avait travaillé à temps partiel en tant que garde de sécurité. Les trois hommes sont allés déjeuner au « Don Cherry's Sport Bar »; MM. Wells et Poirier s'y sont rendus ensemble en voiture et le gendarme Gilmore est arrivé seul. Ils se sont assis à une petite table d'environ trois pieds sur trois pieds, M. Poirier et le gendarme Gilmore l'un face à l'autre, et M. Wells à la droite du gendarme Gilmore. M. Wells, de préciser le témoin, était plus près de lui que de M. Poirier. Le gendarme Gilmore a affirmé que le restaurant était bondé, mais que ce n'était pas particulièrement bruyant. M. Poirier et lui n'avaient aucune difficulté à s'entendre l'un l'autre, et M. Wells était plus près du témoin. La conversation et le déjeuner ont duré plus d'une heure, et 75 % de la conversation a porté sur une transaction de drogue que le gendarme Gilmore avait arrangée avec M. Poirier. Une bonne part de cette conversation s'est déroulée au début, lorsque les trois hommes se faisaient face. Au cours de l’entretien, qui a eu lieu en français et en anglais, on a utilisé de nombreux mots d'argot désignant, en français, la cocaïne et le hasch, soit la « poudre » et le « noir ».

M. Wells n'a pas pris part à la conversation sur la drogue; il a simplement continué de manger. Il ne faisait aucun doute dans l'esprit du gendarme Gilmore que M. Wells entendait et comprenait la conversation qui s'est poursuivie tout au long du repas. M. Poirier ne semblait guère préoccupé par le fait que M. Wells pouvait entendre la conversation. À un moment donné, le gendarme Gilmore a demandé à M. Wells ce qu'il faisait dans la vie. M. Wells lui a répondu qu'il installait des systèmes d'alarme. Il n'a pas dit qu'il était gardien de prison. Ce n'est que dans les cinq ou dix dernières minutes que M. Wells s'est légèrement tourné pour regarder la télévision. Il pouvait sans aucun doute continuer d'entendre la conversation à la table. À la suite de l'opération Jim Dandy et d'une autre opération, il y a eu, dans la région de Moncton, une descente importante qui a donné lieu à de nombreuses arrestations, dont celle de M. Poirier, ainsi qu'à la saisie de grandes quantités de drogues et d'autres produits de la criminalité.

Le gendarme a consigné l’incident dans ses notes le jour même il s’est Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 4 produit. L'agent Brian Barnes, qui fait partie du corps policier de Moncton depuis 1975, a déclaré qu'il avait participé à l'opération « concierge » operation janitor »), une opération de surveillance ayant pour cible M. Poirier. Il avait fait la connaissance de M. Wells il y a huit ou neuf ans, à l'époque celui-ci était garde de sécurité dans un mail commercial local. Ils avaient une relation cordiale et amicale, et ils s'appelaient par leur prénom. Il avait, de temps à autre, vu M. Wells en compagnie de M. Poirier.

Le 29 septembre 1995, pendant qu'il surveillait la maison de M. Poirier, l'agent Barnes a vu M. Wells sur le perron de la résidence de ce dernier. L'agent Barnes était en conversation, par radio, avec d'autres agents qui surveillaient aussi M. Poirier. Il y avait quatre équipes différentes pour faire la surveillance de M. Poirier.

Le 1 er novembre 1995, une journée M. Poirier était sous surveillance, on l’a vu à la résidence de M. Wells, au 55, rue Church, à Moncton, et on a vu M. Wells monter dans une voiture avec lui.

M. William John MacDonald, un agent de police de Moncton depuis 1978, a témoigné qu'il participait à l'opération d'infiltration menée par les forces communes. À un moment donné, pendant qu'il faisait de la surveillance, il a vu M. Wells aller déjeuner avec M. Poirier au restaurant Don Cherry, que le gendarme Gilmore fréquentait également. Cela faisait entre cinq et sept ans qu’il connaissait M. Wells parce que celui-ci était été garde de sécurité au Highfield Square Shopping Mall.

Le 3 janvier 1996, M. MacDonald a interrogé M. Wells au poste de police et a enregistré le tout sur bande magnétoscopique. Il a plus tard constaté qu'il n'y avait pas de son sur l'enregistrement. M. Wells n'a avoué aucune activité criminelle. Il a admis qu'il se tenait avec M. Poirier. Il passait beaucoup de temps avec lui et ils avaient fait des voyages ensemble. Une fois, par exemple, ils étaient allés assister à un spectacle à Montréal; ils avaient fait le trajet en voiture, en compagnie d'un autre agent de correction. M. Poirier était revenu à Moncton en avion, et les autres avaient pris la voiture. Lorsqu'on l'a interrogé à ce propos, W. Wells a nié avoir rapporté quoi que ce soit pour M. Poirier.

Lorsque M. MacDonald lui a posé des questions au sujet des personnes avec qui Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 5 M. Poirier se tenait, M. Wells a mentionné le nom de Charles Clades, qu'il avait vu une fois au domicile de M. Poirier. M. Wells a dit qu'il se trouvait dans une autre pièce et qu'il n'avait pas porté attention à ce qui se passait. Il a reconnu qu'il savait qui était Charles Blades, soit un criminel professionnel connu à Moncton. L'agent MacDonald a précisé que M. Blades avait servi de passeur de drogue pour M. Poirier et qu'on l'avait condamné à une peine d'emprisonnement à la suite de ces activités. M. Wells a aussi reconnu qu'il savait depuis trois ans que M. Poirier était un trafiquant de drogue, mais « je ne pensais pas qu'il trafiquait tant que ça », a-t-il ajouté. Plus tard, l'agent de police MacDonald a informé l'agent de sécurité préventive à l'établissement (ASPE) M. Wells travaillait en tant qu'agent de correction. Il a parlé à M. Bob Hanley et l'a mis au courant de l'interrogatoire qu'il avait fait subir à M. Wells.

M. Bob Hanley, l'ancien ASPE à l'établissement de Springhill travaillait M. Wells, a témoigné. M. Hanley a été malade; il a des pertes de mémoire et il est en congé d'invalidité depuis mars 1996, notamment à cause du stress qu'il a subi. Il a entendu parler pour la première fois de l'enquête sur M. Poirier avant octobre 1995. Plus tard, le 4 janvier 1996, il s'est entretenu avec l'agent de police MacDonald, qui lui a parlé de l'amitié que M. Wells entretenait avec M. Poirier. L'agent MacDonald lui a dit qu'il avait interrogé M. Wells à propos de la rencontre au restaurant Don Cherry, une transaction de drogue avait eu lieu. Peu de temps après qu'il eut reçu l'appel de l'agent MacDonald, M. Wells est venu lui dire qu'un de ses copains, M. Daniel Poirier, avait été reconnu coupable de trafic de drogue et qu’il serait incarcéré à l'établissement de Springhill. M. Hanley a dit à M. Wells qu'il ne devrait y avoir aucun problème s'il se tenait loin de lui et évitait de lui adresser la parole.

M. Bob MacKay, qui était anciennement agent de correction II et qui est maintenant superviseur correctionnel par intérim depuis mai 1996, a expliqué qu'il y avait quatre unités de logement. En général, les détenus ne sont pas supposés se trouver dans une unité de logement autre que la leur. Le témoin a vu M. Poirier à trois ou quatre reprises dans l'unité de logement n o 10, soit celle à laquelle M. Wells était affecté à titre d'agent. Une fois, il a vu M. Wells s'entretenir avec M. Poirier pendant 15 minutes. Lorsqu'il a demandé à M. Wells pourquoi M. Poirier était venu le voir, M. Wells a répondu que M. Poirier était un ami de l'extérieur et qu'il était venu lui demander conseil. M. MacKay s'inquiétait du fait que M. Wells passait trop de temps avec M. Poirier et qu'il se plaçait ainsi dans une mauvaise situation par rapport à ses Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 6 collègues et aux autres détenus. À l'occasion, M. MacKay a vu M. Wells remettre un journal à M. Poirier. Il n'était pas rare que des agents remettent le journal aux détenus de leur unité de logement après avoir fini de le lire, mais ce n'était pas une bonne habitude de remettre quoi que ce soit aux détenus d’une autre unité. M. Poirier, d'ajouter le témoin, était en zone interdite dès qu'il franchissait la porte d'en avant.

M. Denis Daigle, un agent de correction I à l'établissement de Springhill, a témoigné qu'il connaissait M. Wells depuis plusieurs années; les deux avaient travaillé à temps partiel au Highfield Square Shopping Mall, à Moncton, en tant qu'agent de sécurité. Il connaissait également M. Poirier parce qu'il avait une boutique dans le mail, mais il n'entretenait avec lui aucune relation personnelle. M. Daigle avait vu M. Wells et M. Poirier se parler à un certain nombre d'occasions. Il a vu M. Wells converser avec M. Poirier en tant que détenu une fois. Lorsque des connaissances de par chez lui étaient incarcérées à Springhill, il en informait l'ASPE et veillait à ce qu'elles soient logées dans une unité autre que la sienne; il s'assurait qu'elles ne puissent communiquer avec lui. Parfois, un détenu a de bonnes raisons de vouloir voir quelqu'un qui se trouve dans une autre unité de logement, et il arrive effectivement que des visites de ce genre se produisent, mais on ne doit pas les encourager.

M. George Sproul, un agent de correction II, a déclaré que M. Wells lui avait demandé d'aller assister à un spectacle d'Elton John à Montréal avec M. Poirier en octobre 1995. Il avait cru comprendre qu'un certain nombre d'autres personnes allaient également être du voyage, mais finalement il était seul à accompagner M. Wells et M. Poirier. M. Sproul croyait que M. Poirier était un entrepreneur prospère. M. Poirier a conduit la voiture jusqu’à Montréal et a payé la chambre qu'ils ont partagée. M. Sproul n'était pas sûr si M. Poirier avait payé sa place au spectacle, mais lui-même ne l'avait pas payée, pas plus d'ailleurs que M. Wells, à ce qu'il sache. M. Poirier s'était procuré les billets d'un trafiqueur de billets dans une boîte de strip tease; ils les avaient payés environ 110 $ chacun. M. Sproul a déclaré qu'il avait bu beaucoup ce soir-là. Il n'a rien remarqué d'anormal. Le lendemain, M. Wells est revenu à Moncton en voiture avec M. Sproul, après que M. Poirier les eut informés qu'il avait décidé de faire le trajet de retour en avion.

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Décision Page 7 M. Sproul ne s'est pas posé de questions au sujet du voyage jusqu’au jour où, cinq mois après le spectacle, il a vu M. Poirier attendre en file à la cafétéria de l'établissement et a appris que celui qu'il avait pris pour un entrepreneur prospère, était maintenant un trafiquant de drogue purgeant une peine dans un établissement fédéral. Surpris, préoccupé et fâché, il est allé voir M. Wells. Il était préoccupé par le fait que, à peine quelques mois plus tôt, il avait accepté une invitation de M. Wells pour aller assister à un spectacle à Montréal en compagnie de M. Poirier. M. Wells a donné l’assurance à M. Sproul qu'il avait parlé à l'ASPE, M. Bob Hanley, de sa relation avec M. Poirier, et que ce dernier lui avait dit de ne pas s'en inquiéter.

Alors que M. Sproul était affecté à l'unité de logement n o 10, il a vu à au moins deux reprises M. Poirier venir parler à M. Wells. À une occasion, M. Poirier et M. Wells sont demeurés ensemble dans une pièce pendant une trentaine de minutes parce que M. Poirier s'inquiétait de son enquête communautaire et qu'il était venu faire part de ses préoccupations à M. Wells.

Lorsque, vers le 30 avril 1996, M. Sproul a appris que M. Wells avait été suspendu pour avoir entretenu des contacts avec M. Poirier, il est allé voir son surveillant, M. Bruce Megeney, qui l'a renvoyé à M. Dave Coon, le nouvel agent de sécurité préventive (ASPE), pour leur parler du voyage à Montréal. M. Sproul a ensuite fait l'objet d'une enquête. Il a affirmé qu'il serait très fâché contre M. Wells si celui-ci l’avait amené à Montréal sachant alors que M. Poirier était un trafiquant de drogue. L'employeur a imposé une sanction disciplinaire à M. Sproul pour avoir tardé à lui signaler le voyage.

M. John Alderson a aussi témoigné pour l'employeur. Il est chef d'unité depuis 1989 à l'établissement de Springhill. Il y a un chef d'unité pour chaque unité de logement. De janvier 1995 à avril 1996, M. Wells était affecté à l'unité n o 10, et M. Poirier était logé à l'unité n o 8. M. Poirier ne faisait pas partie des détenus assignés à M. Wells. Ce dernier n'avait pas le pouvoir de s'occuper d'une enquête communautaire concernant M. Poirier. Il était obligé de renvoyer M. Poirier à son propre agent de gestion des cas. Toutefois, s'il s'est entretenu avec lui à propos de l'enquête communautaire, il aurait remplir une formule « Registre des activités » (pièce E-6). Cette formule sert à consigner les activités et rapports des agents de correction avec des détenus qui ne leur sont pas assignés. Il est important de tenir ces

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Décision Page 8 registres, car il est crucial que le personnel partage l'information. Si, au cours de l'entretien qu'il a eu avec M. Poirier, M. Wells a discuté de l'enquête communautaire de ce dernier, ce fait n'est consigné nulle part.

Si M. Wells a fréquenté M. Poirier, un trafiquant de drogue, en toute connaissance de cause à l'extérieur de l'établissement, et s'il se trouvait effectivement à ses côtés au restaurant Don Cherry lorsque celui-ci a discuté d'une transaction de drogue, il serait maintenant extrêmement difficile pour M. Wells de s'acquitter de ses fonctions d'agent de correction. Un agent de correction doit être intègre et sa conduite doit rejaillir positivement sur l'établissement. Il doit être un modèle de comportement et il doit prêcher par l'exemple.

M. Dave Coon est l'agent de sécurité préventive à l'établissement de Springhill depuis 1996, et il compte 24 ans de service dans le secteur correctionnel. Il s'occupe de la présente affaire depuis mars 1996. Il a assisté aux rencontres qui ont eu lieu avec les autorités pénitentiaires et les membres des corps policiers qui ont pris part à l'opération de surveillance ainsi qu'à la recherche de preuves contre M. Poirier. Il y a eu divulgation des faits. Plus tard, le directeur de l'établissement, M. Claude E. Dumaine, a ordonné à M. Bruce Megeney, un chef d'unité, de diriger une enquête concernant M. Wells et ses rapports avec M. Poirier. M. Coon a aidé M. Megeney dans son enquête. C'est en outre lui qui a procédé à la recherche initiale des faits avant la suspension de M. Wells. Le 29 avril 1996, M. Wells a été suspendu. De nombreux détenus ont été interrogés, notamment M. Poirier.

M. Coon a affirmé que, s'il était établi que M. Wells avait sciemment fréquenté un criminel à l'extérieur de l'établissement, qu'il avait été présent au restaurant Don Cherry et y avait entendu M. Poirier conclure une transaction de drogue, et qu'il avait eu des rapports inopportuns avec ce dernier à l'intérieur de l'établissement, il aurait énormément de difficulté à accepter que M. Wells continue de travailler comme agent de correction à l'établissement. À titre d'agent de la sécurité préventive, il lui incombe de garantir un milieu institutionnel sûr et sécuritaire au personnel et aux détenus. Pour ce faire et c'est le meilleur moyen d'y parvenir –, le personnel doit en tout temps être honnête, fiable et consciencieux. M. Coon a déclaré qu'il doit pouvoir compter sur le fait que chaque membre du personnel exécutera ses fonctions d'une manière intègre et honnête. Par exemple, si M. Wells devait fouiller des visiteurs ou

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Décision Page 9 des détenus à la recherche d'objets interdits, M. Coon ne pourrait pas être certain que M. Wells s'acquitterait de cette fonction comme il faut et avec diligence.

M. Bruce Megeney, chef d'unité à l'établissement de Springhill depuis 1995, a témoigné. Le 27 mars 1996, M. Coon lui a communiqué, à titre de chef de l'unité à laquelle M. Wells était assigné, les renseignements qu'il avait reçus de la police. Au cours du mois qui a suivi, il a fait le point avec M. Coon, toutes les semaines, sur l'enquête qu'il menait; pendant ce temps, M. Wells continuait de remplir ses fonctions. Le 29 avril 1996, la direction a décidé de suspendre M. Wells, vu la gravité des infractions, et l'enquête s'est poursuivie. Pendant le mois de juin, il a interrogé les membres du personnel qui avaient travaillé avec M. Wells. Chacun s'est vu offrir la possibilité d'être accompagné d'un représentant syndical. M. Megeney a enregistré les interrogatoires, puis il a plus tard fait transcrire le tout et il en a remis le texte à chaque employé pour qu'il le revoie et paraphe les changements. Il a rédigé un rapport final qu'il a présenté au directeur de l'établissement le 8 juillet 1996 (pièce E-14). (Le représentant du fonctionnaire a soutenu que le rapport n'était pas admissible en preuve, prétextant que ce n'était que ouï-dire. Je l'ai admis uniquement pour montrer que les interrogatoires avaient eu lieu et non pour la véracité de son contenu. J'ai précisé que je fonderais ma décision sur les dépositions faites de vive voix par les témoins à l'audience.)

Bien que M. Megeney, dans son rapport, mentionnât une quatrième allégation concernant des activités reliées à la drogue auxquelles M. Wells se serait livré à Springhill, le directeur n'en a pas tenu compte dans sa décision de prendre des mesures disciplinaires à l'endroit de M. Wells. Le 1 er août 1996, une copie du rapport a été remise à M. Wells qui, le 7 août, a eu la possibilité de réfuter les accusations. Le directeur, le sous-directeur et M. Megeney ont décidé qu'il y avait lieu de licencier M. Wells.

M. Claude E. Dumaine, l'ancien directeur de l'établissement de Springhill, a témoigné. Il est maintenant conseiller spécial auprès du sous-commissaire, région de l'Atlantique, pour le Service correctionnel du Canada.

En mars 1996, M. Dumaine a reçu des renseignements selon lesquels M. Wells et M. Poirier se fréquentaient à l'extérieur du pénitencier. Une enquête a été menée à

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Décision Page 10 l'intérieur de l'établissement de Springhill. Le 29 avril 1996, on l'a informé qu'une enquête préliminaire avait confirmé l'allégation première. Les renseignements qu'il a reçus concernant les rapports que M. Wells entretenait avec M. Poirier et le fait que M. Wells avait été présent au restaurant Don Cherry lorsque M. Poirier avait discuté d'une transaction de drogue avec l'agent d'infiltration, le gendarme Gilmore, ont convaincu M. Dumaine que, bien que l'enquête ne fût pas terminée, il y avait lieu de suspendre M. Wells. M. Dumaine a demandé qu'on poursuive l'enquête. Le 14 juin 1996, il a reçu le rapport final de l'enquête. Il l'a étudié et il a fixé ensuite une réunion pour le 1 er août 1996. Il a sollicité la présence de M. Wells et de son avocat, M e Letcher, du sous-directeur A. Alexander ainsi que de M. Megeney. Le directeur Dumaine était également présent à cette réunion. Il voulait remettre le rapport à M. Wells afin qu'il puisse l'examiner et faire valoir les arguments qu'il pourrait avoir en guise de réfutation. M. Wells et son avocat ont eu toutes les possibilités voulues de réplique. Il a été décidé de fixer une autre réunion le 7 août 1996. Dans sa décision, M. Dumaine s'est appuyée sur les allégations suivantes : (1) les rapports sociaux que M. Wells entretenait avec M. Poirier en dépit du fait qu'il savait que celui-ci était un trafiquant de drogue; (2) le fait que M. Wells était présent au restaurant Don Cherry lorsqu'on avait discuté d'une transaction de drogue; et (3) le fait que M. Wells avait noué des liens inopportuns avec un détenu.

M. Wells a eu toutes les chances voulues de réfuter les allégations. À aucun moment il n'a reconnu avoir manqué de jugement. M. Dumaine a reconnu qu'il avait lui-même décidé de licencier M. Wells. Si la lettre était signée par M. Alexander, le directeur intérimaire, c'est toutefois lui, M. Dumaine, qui l'avait écrite.

Le représentant du fonctionnaire a amorcé sa preuve en citant M. Daniel Poirier, un détenu à l'établissement de Springhill. M. Poirier a dit qu'il connaissait M. Wells depuis environ 1993. Il l'a rencontré à l'époque il était garde de sécurité au Highfield Square Shopping Mall. M. Poirier avait une boutique dans ce mail à l'époque. M. Wells et lui étaient de bons amis; ils ont fait de nombreux voyages ensemble, notamment à Boston et à Montréal. M. Poirier voyait M. Wells régulièrement. Il n'a pas dit à M. Wells qu'il faisait le trafic de la drogue. Ce n'est pas quelque chose qu'il criait sur les toits.

M. Poirier a décrit sa visite au restaurant Don Cherry en compagnie du Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 11 gendarme Gilmore et de M. Wells. Ce dernier, a-t-il dit, ne pouvait savoir ce dont le gendarme Gilmore et lui discutaient lorsqu'ils parlaient de la transaction de drogue. M. Poirier ne se rappelle pas avoir employé les mots « poudre », « noir », « powder » ou « black ».

À propos de l'allégation selon laquelle M. Wells avait continué de le voir après son incarcération à l'établissement de Springhill, M. Poirier a affirmé que, une fois, il était allé consulter M. Wells au sujet d'une enquête communautaire. Il ne comprenait pas le système, et M. Wells le lui a expliqué. À ce moment-là, aucun agent de gestion des cas ne lui avait été assigné. À la question de savoir combien de fois il était allé voir M. Wells à l'unité de logement n o 10, M. Poirier a répondu : « Quatre ou cinq fois, peut-être. »

En ce qui concerne le spectacle d'Elton John qu'il est allé voir à Montréal en compagnie de M. Wells et de M. Sproul, M. Poirier a expliqué qu'il avait décidé de revenir à Moncton en avion parce qu'il ne portait pas bien l'alcool et qu'il ne se sentait pas bien; il avait donc décidé de prendre l'avion et de laisser les deux autres revenir en voiture.

En contre-interrogatoire, le détenu Poirier a admis qu'il avait un casier judiciaire depuis 1977. Ses infractions passées avaient trait au trafic de stupéfiants. On l'avait condamné à trois mois d'emprisonnement au titre de chacune des trois accusations portées contre lui. Il avait également été reconnu coupable de possession de stupéfiants et de voies de fait, de méfait et de possession de produits de la criminalité. À sa connaissance, M. Wells ne lui a jamais dit qu'ils ne devaient pas socialiser dans l'établissement. À trois ou quatre occasions, M. Wells l'a en fait invité à venir à l'unité de logement vers 20 h afin de lui remettre un journal.

M. Wells a témoigné pour lui-même. Il a travaillé à l'établissement de Springhill pendant environ neuf ans, et lorsqu'on l'a congédié il occupait à titre intérimaire un poste d'agent de correction II. Quatre-vingt-dix pour cent (90 %) de son travail comportait des contacts avec les détenus. Il était un bon ami de M. Poirier, a-t-il admis, et il l'a beaucoup fréquenté. Par contre, il a nié avoir été au courant du fait que M. Poirier se livrait au trafic de la drogue à l'époque il le fréquentait avant son incarcération. Il ignorait également que M. Poirier avait déjà purgé une peine

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Décision Page 12 d'emprisonnement. M. Wells a décrit le voyage à Montréal qu'il avait fait en octobre 1995. D’autres personnes devaient aussi assister au spectacle, mais elles se sont décommandées la veille. Le fonctionnaire a nié que M. Poirier avait acheté son billet, ainsi que celui de M. Sproul, pour le spectacle d'Elton John. Il a témoigné avoir acheté son propre billet et celui de M. Sproul.

Le fonctionnaire a confirmé qu'il avait déjeuné au restaurant Don Cherry avec M. Poirier et un agent d'infiltration qu'il croyait à l'époque être le propriétaire du kiosque à journaux Jim Dandy. Il a expliqué qu'il ne s'était pas présenté comme gardien de prison mais comme installateur de systèmes d'alarme parce qu'il souhaitait installer un tel système au kiosque Jim Dandy. Il a pris son repas, puis il s'est tourné pour regarder la télévision. Il n'a pas entendu parler de drogue au restaurant Don Cherry. Il a appris le lendemain de la descente que M. Poirier faisait le trafic de la drogue. Il a rencontré l'épouse de M. Poirier, qui lui a dit que ce dernier venait d'être emprisonné pour trafic de drogue.

Lorsque l'agent MacDonald lui a demandé de venir le voir au poste de police, M. Wells y est allé de plein gré; il n'avait rien à cacher et ne pensait pas avoir besoin d'un avocat. M. Wells a déclaré à l'agent MacDonald qu'il ignorait que M. Poirier se livrait au trafic de la drogue. Il lui a avoué qu'il connaissait M. Poirier depuis environ trois ans, mais qu'il n'était pas au courant du fait que celui-ci était un trafiquant de drogue. Il ne l'a appris que récemment, quand M. Poirier a été incarcéré, mais jusque-là il l'ignorait. L'agent MacDonald lui a dit que l'interrogatoire serait enregistré sur bande magnétoscopique, et M. Wells y a consenti. On ne lui a pas remis de copie de la bande, et il n'en a pas demandé non plus. Plus tard, il a appris que le son avait fait défaut durant l'enregistrement.

M. Wells a nié avoir jamais dit à l'agent de police MacDonald qu'il savait que M. Poirier était un trafiquant de drogue. Peu de temps après sa rencontre avec l'agent MacDonald, M. Wells a pris rendez-vous avec l'agent de sécurité préventive à l'établissement. L'ASPE ne lui a pas dit de se tenir loin de M. Poirier. M. Wells n'a pas vu M. Poirier dans les premiers temps de son incarcération parce que ce dernier se trouvait à l'unité d'admission et qu'il était, lui, à l'unité de logement n o 10. Il ne s'est Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 13 pas mis à la recherche de M. Poirier. À quatre ou cinq reprises, cependant, M. Poirier est venu le voir. À une occasion, M. Poirier voulait des conseils à propos de son enquête communautaire. Il voulait savoir si celle-ci influerait sur ses chances de libération conditionnelle. À trois reprises environ, il a remis un journal à M. Poirier à sa demande. Lorsque M. Poirier venait le voir à l'unité de logement n o 10, il entrait par la porte d’en avant et montait l'escalier; M. Wells le voyait une fois qu'il était rendu en haut de l'escalier. M. Wells a nié que M. Poirier était en zone interdite lorsqu'il arrivait en haut de l'escalier parce que, en somme, tous les agents de correction laissaient les détenus monter l'escalier; ces derniers n’étaient pas arrêtés lorsqu’ils franchissaient le seuil de la porte.

M. Wells a déclaré que, lorsqu'il a reçu sa lettre de suspension (pièce E-18), on ne lui a donné aucune autre explication. En moins de dix minutes il s'est fait escorter hors des lieux, et il a attendre jusqu'au 1 er août 1996, soit le jour de la rencontre entre la direction et lui-même et son avocat, M e Letcher, pour prendre connaissance des allégations. À cette rencontre, M. Wells a dit au directeur Dumaine que la portion audio de l'entrevue qu'il avait eue avec l'agent MacDonald montrerait qu'en fait il n'avait jamais admis être au courant du fait que M. Poirier était un trafiquant de drogue. Peu de temps après, on a découvert que le son de la bande n'était pas bon.

M. Wells a déclaré qu'il savait maintenant qu'il avait commis une erreur en entretenant avec M. Poirier des rapports aussi suivis dans l'établissement. À l'époque, toutefois, il n'était pas conscient des préoccupations que cela suscitait. Néanmoins, il s'est vraiment efforcé de garder ses distances; il ne parlait pas à M. Poirier tous les jours. M. Wells a admis avoir fait l'objet de mesures disciplinaires à plusieurs occasions par le passé.

En contre-interrogatoire, à la question de savoir si, en tant qu'agent de correction, on lui avait enseigné à être alerte et à demeurer à l'affût de toute activité criminelle, M. Wells a répondu par l'affirmative et il a précisé qu’il avait acquis de l'expérience en ce sens durant les huit ans il avait été garde de sécurité dans un mail. À la lumière de cette réponse, l'avocat lui a demandé s'il n'avait pas eu des soupçons au sujet de M. Poirier. M. Wells a répondu qu'il en avait effectivement eu une fois et qu'il avait alors demandé à M. Poirier s'il se livrait au trafic de la drogue, mais qu'il accepté la parole de M. Poirier comme quoi ce n'était pas le cas.

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Décision Page 14 Le dernier témoin, M. Norman Copeland, un agent de correction II, n'a pu venir témoigner oralement à l'audience. Certains des points que M. Copeland souhaitait soulever ont été admis en preuve avec le consentement de l'employeur.

M. Copeland, un agent de correction comptant environ 18 années de service, travaillait régulièrement avec M. Wells, mais pas nécessairement tous les jours. Il avait une bonne relation avec lui et il n'a rien remarqué d'inhabituel dans les rapports que M. Wells entretenait avec M. Poirier. Il n'a pu se rappeler avoir vu le fonctionnaire avec M. Poirier; en fait, il ignorait qui était ce dernier.

La politique qui s'applique aux détenus des autres unités, selon M. Copeland, interdit à ceux-ci d'aller plus loin que le haut de l'escalier. On n'a jamais appliqué la règle les obligeant à rester sur le seuil de la porte. Si un détenu vient voir un des agents, il n'y a pas de quoi s'en inquiéter. Le problème surgit lorsqu'un détenu vient voir un autre détenu.

Argumentation de l'employeur Les faits sont clairs et chacune des allégations qui figurent dans la lettre de congédiement a été prouvée d'après la prépondérance de la preuve. M. Wells a entretenu une relation inopportune avec un trafiquant de drogue à Springhill avant et après l'incarcération de celui-ci à l'établissement de Springhill. Il a connu et fréquenté en connaissance de cause un trafiquant de drogue pendant environ trois ans. Il en a fait l'aveu à l'agent de police MacDonald, qui a consigné sa déposition dans la pièce E-3. M. Wells est allé prendre un repas au restaurant Don Cherry et il se trouvait, pendant le repas, assis à moins d'un pied et demi de M. Poirier et d'un agent d'infiltration pendant que ces derniers discutaient d'une transaction de drogue. Ces actes ont compromis l'intégrité de M. Wells au point de le rendre inapte à exécuter efficacement ses fonctions. Lorsque M. Wells a commencé à avoir des soupçons au sujet de M. Poirier, il lui a demandé s'il se livrait au trafic de la drogue et s'est contenté de la réponse négative qu'il a reçue sans faire aucune autre vérification. En tant qu'agent de correction, il avait des moyens de vérifier la véracité de cette affirmation. M. Wells a placé un collègue de travail, M. George Sproul, dans une situation compromettante en l'amenant à Montréal voir un spectacle d'Elton John aux frais d’un trafiquant de drogue.

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Décision Page 15 Argumentation du fonctionnaire s'estimant lésé Le représentant fait valoir que M. Wells n'aurait aucune difficulté à s'acquitter convenablement de ses fonctions d'agent de correction s'il était rétabli dans son poste. Durant les trois années M. Wells a fréquenté M. Poirier, il ignorait que ce dernier se livrait au trafic de drogue.

L'agent de police MacDonald se trompe lorsqu'il affirme que M. Wells lui a dit qu’il savait, pendant ces trois ans, que M. Poirier était un trafiquant de drogue, mais qu'il ne s'était pas rendu compte de l'ampleur de ses activités. À aucun moment M. Wells n'a cherché à dissimuler le fait qu'il avait été ami avec M. Poirier.

Le représentant du fonctionnaire soutient que M. Wells disait la vérité lorsqu'il a affirmé qu'il n'avait rien entendu à propos de la drogue au déjeuner pris au restaurant Don Cherry.

C'est en toute innocence que M. Wells a entretenu des contacts avec M. Poirier à l'établissement. Il ignorait qu'il ne fallait pas permettre à un détenu de monter jusqu'en haut de l'escalier, si ce n'est qu'il ne devait pas franchir le seuil de la porte.

Motifs de la décision M. Wells a admis avoir été un ami intime de M. Poirier pendant plusieurs années durant lesquelles ils ont voyagé, assisté à nombre d'activités sociales et passé beaucoup de temps ensemble. Bien que M. Wells ait nié avoir su que M. Poirier était un trafiquant de drogue à l'époque, il a admis avoir eu des soupçons, mais il a accepté la parole de M. Poirier comme quoi ce n'était pas le cas, sans faire d’autres vérifications. Il a également nié avoir avoué à l'agent MacDonald qu'il savait que M. Poirier était un trafiquant, mais qu’il ne pensait pas que ses activités étaient de l’envergure de celles pour lesquelles il a été condamné. Que l'agent MacDonald ait été dans l'erreur ou qu'il ait mal compris les propos de M. Wells, je suis convaincue que, d'après la prépondérance des probabilités, à un moment donné, bien avant l'arrestation de M. Poirier, M. Wells a su que M. Poirier était un trafiquant de drogue. M. Wells est une personne avisée, qui a beaucoup d'expérience comme garde de sécurité et agent de correction. Compte tenu du temps qu’il passait avec M. Poirier, selon la preuve qui a été présentée, il aurait été pratiquement impossible à M. Poirier de dissimuler toute

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Décision Page 16 preuve du trafic auquel il se livrait, surtout que M. Poirier avait été négligent au point de l'inviter à déjeuner avec une personne qu'il pensait être un client.

Si M. Poirier avait cherché à cacher à M. Wells sa transaction de drogue, il l'aurait tenu à l'écart d'un déjeuner avec quelqu'un, un client croyait-il, qui cherchait à conclure une très grosse transaction avec lui, sauf si M. Wells était déjà au fait de ses activités reliées à la drogue. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que M. Wells fréquentait M. Poirier sachant qu'il était un trafiquant de drogue. À ce déjeuner, il y a eu entre M. Poirier et son présumé client, en réalité un agent d'infiltration, une longue discussion à propos d'une transaction de drogue. Bien que M. Wells n'ait pas pris part à la discussion, celle-ci s'est déroulée à une petite table les trois étaient assis à moins de trois pieds l'un de l'autre. S'il est vrai que M. Wells a pris ses distances à un moment donné en se tournant, je suis persuadée, compte tenu de la prépondérance des probabilités, que M. Wells savait fort bien de quoi il retournait.

Bien que M. Wells ait informé l'agent de sécurité préventive à l'établissement de ce qui se passait quand il a su que M. Poirier était incarcéré à l'établissement il travaillait, il n'a pas gardé ses distances avec M. Poirier en tant que détenu.

D'après la preuve, M. Wells permettait à M. Poirier de venir dans l'immeuble il travaillait, et il lui aurait accordé un traitement de faveur en lui remettant les journaux qu’il avait fini de lire. À au moins une occasion, M. Wells a passé au moins une demi-heure avec M. Poirier à discuter de son enquête communautaire, alors que celui-ci ne faisait pas partie des cas qui lui étaient assignés. S'ils ont effectivement discuté de cette enquête, M. Wells n'a pas présenté à ce sujet le rapport qu'il était tenu de produire. Les témoins divergeaient d'opinion quant à savoir s'il s'agissait d'une conduite répréhensible. M. Wells reconnaît aujourd'hui il l'a dit dans son témoignage qu'il a poussé trop loin ses rapports avec M. Poirier.

M. Poirier a été incarcéré pour de graves infractions en matière de drogues et il avait été un ami intime de M. Wells à l'extérieur. Pour cette raison, M. Wells aurait être doublement prudent et garder ses distances avec lui dans l'établissement.

La règle 2 des « Règles de conduite professionnelle » (pièce E-10) dit notamment ce qui suit : « Les employés doivent veiller à se présenter, tant en service qu'en dehors

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Décision Page 17 du service, comme des citoyens responsables et respectueux des lois. » À cause des rapports qu'il a entretenus avec M. Poirier, M. Wells s'est trouvé à enfreindre cette règle.

Dans l'affaire Flewwelling (dossier de la Commission 166-2-14236), comme en l'espèce, le comportement qui a donné lieu à la mesure disciplinaire avait eu lieu principalement à l'extérieur du lieu de travail. L'arbitre a déclaré ce qui suit aux pages 16 et 17 : Pour déterminer le droit de l'employeur de congédier un employé, les arbitres se reportent souvent à l'affaire Millhaven Fibres Ltd., Millhaven Works, and Oil, Chemical and Atomic Workers Int'l., Local 9-670 (1967) 1 (A) Union Management Arbitration Cases, 328 (Anderson).

On peut lire à la page 329 les règles énoncées par le juge Anderson et devenues les « critères de Millhaven », et qu'il vaut la peine de reproduire ici:

Un certain nombre d'affaires d'arbitrage portent sur des questions disciplinaires découlant de la conduite d'employés hors du lieu de travail. De façon générale, il est clair que le droit, d'un employeur, de congédier un employé pour actes reprochables hors du lieu de travail dépend des répercussions de cette conduite sur le fonctionnement de l'entreprise.

En d'autres termes, pour que le congédiement puisse découler de la conduite de l'employé hors du lieu de travail, la direction a la charge de prouver:

1) que la conduite de l'employé en cause fait du tort à l'entreprise ou à ses produits;

2) que la conduite de l'employé le rend inapte à remplir ses fonctions convenablement;

3) que la conduite de l'employé amène ses compagnons de travail à refuser de travailler avec lui ou les rend réticents à le faire ou incapables de le faire;

4) que l'employé a été reconnu coupable d'une grave infraction au Code criminel portant atteinte à la réputation de l'entreprise et à celle de ses employés;

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Décision Page 18 5) que la conduite de l'employé nuit à la gestion des opérations et du personnel de l'entreprise.

(traduction non officielle)

Le grief que M. Flewwelling avait déposé pour contester son congédiement a été rejeté, et la Cour a par la suite rejeté la demande de contrôle judiciaire dont elle avait été saisie : Flewwelling and Public Service Staff Relations Board et al (1985), 65 N.R. 349.

Selon l'arbitre dans l'affaire Flewwelling (supra), une seule des conséquences découlant de la conduite de l'employé doit être établie pour justifier l'imposition d'une mesure disciplinaire par l'employeur. Le deuxième critère « [...] la conduite de l'employé le rend inapte à remplir ses fonctions convenablement » s'applique ici. Je dois conclure que M. Wells, en se conduisant comme il l'a fait, a entaché sa crédibilité au point de devenir inapte à remplir efficacement ses fonctions d'agent de correction. De plus, je suis persuadée que le lien de confiance entre le fonctionnaire et l'employeur a été irrémédiablement rompu.

J'ai examiné toutes les circonstances atténuantes pertinentes et je conclus que le congédiement n'est pas une peine déraisonnable dans les circonstances.

Pour tous ces motifs, le grief est rejeté.

Rosemary Vondette Simpson, commissaire

OTTAWA, le 25 novembre 1997.

Traduction certifiée conforme Ginette Côté

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