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Résumé :

Harcèlement - Activités syndicales - Compétence - S'agit-il de griefs fondés sur le paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) ou de plaintes fondées sur l'article 23 de la LRTFP - Les questions peuvent-elles être renvoyées à l'arbitrage aux termes du paragraphe 92(1) de la LRTFP - le fonctionnaire s'estimant lésé, président de la section locale de l'unité de négociation, a déposé trois griefs dans lesquels il allègue avoir été harcelé à cause de ses activités syndicales : dans le premier grief, il prétend que l'employeur le traitait différemment des autres employés à cause de ses activités syndicales; le deuxième grief concerne des plaintes de harcèlement déposées contre lui par deux gestionnaires; dans le troisième grief, il assimile les mesures disciplinaires qui lui ont été imposées à du harcèlement - l'employeur a contesté la compétence de l'arbitre au motif que les griefs n'avaient pas été déposés conformément au paragraphe 91(1) de la LRTFP du fait qu'un autre recours administratif était prévu dans une loi du Parlement ou aux termes d'une de ces lois - l'employeur a soutenu que le premier grief, dans lequel le fonctionnaire prétendait que l'employeur était intervenu dans les affaires du syndicat, aurait dû prendre la forme d'une plainte fondée sur l'article 23 de la LRTFP - l'employeur a fait valoir que le deuxième grief, qui concernait une plainte de harcèlement personnel, ne pouvait pas être renvoyé à l'arbitrage aux termes du paragraphe 92(1) de la LRTFP - l'employeur a prétendu que, vu que le troisième grief ne mentionnait pas un des motifs de discrimination précisés dans la convention collective, il fallait en déduire qu'il s'agissait de harcèlement personnel et que le grief devait être tranché en même temps que les griefs disciplinaires du fonctionnaire (166-2-27272 et 27273) - le fonctionnaire a répondu que, bien qu'il n'eût pas expressément précisé qu'il était harcelé en raison de ses activités syndicales dans chacun des trois griefs, la chose était manifeste dans le contexte des griefs et de leur interrelation - le fonctionnaire a soutenu que l'employeur avait accepté ses trois griefs sans soulever d'objection à l'un ou l'autre des paliers de la procédure de règlement des griefs - l'arbitre a conclu que l'article 23 de la LRTFP prévoit un autre recours administratif que le fonctionnaire aurait pu invoquer pour déposer ses plaintes étant donné que chacun des griefs porte essentiellement sur ses activités syndicales au nom de l'agent négociateur ou de ses membres - l'arbitre a conclu que les griefs n'étaient pas valables aux termes du paragraphe 91(1) de la LRTFP - l'arbitre a conclu qu'il devait se prononcer sur la question de sa compétence même si elle n'avait pas été soulevée par l'employeur à aucun des paliers de la procédure de règlement des griefs - absence de compétence. Griefs rejetés. Décisions citées : Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] 3 C.F. 445 (C.F. 1re inst.); Lawson (166-2-25530); Haslett (166-2-20737); Burchill c. Le Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.F.); Mohammed (166-2-26179); Mohammed c. Canada (Conseil du Trésor) (Dossier de la Cour fédérale no T-1328-97, 16 juin 1998); Rhéaume (166-2-21976 à 21979, 21151 à 21154, 22356); Boutilier c. Canada (Conseil du Trésor) (Dossier de la Cour fédérale no T-1450-97, 13 novembre 1998); Byers c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354

Contenu de la décision

Dossiers : 166-2-27880 à 27882 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE DAVID SHAW fonctionnaire s’estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Revenu Canada Douanes et Accise)

employeur Devant : Donald MacLean, arbitre et commissaire Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Michael Tynes, Alliance de la Fonction publique du Canada Pour l’employeur : Jock Climie, avocat Affaire entendue à Sydney (Nouvelle-Écosse), le 6 mai 1998.

Décision DÉCISION Page 1 Dans cette affaire, les parties m’ont demandé de déterminer si j’avais compétence pour instruire les griefs. Elles veulent que je détermine si j’ai compétence aux termes de l’article 91 de la Loi d’instruire les 3 griefs et les renvois à l’arbitrage soumis par le fonctionnaire s’estimant lésé, M. David Shaw.

Les 3 griefs remontent à mai 1995. Ils ont été déposés par M. Shaw qui soutient avoir été harcelé par l’employeur.

Les parties n’ont pas présenté de preuve de vive voix à l’audience. Elles se sont appuyées sur les déclarations contenues dans les griefs et sur les réponses de l’employeur à ces griefs.

M. Shaw a déposé le premier de ses griefs le 5 mai 1995 parce qu’il croyait être victime de « harcèlement, de coercition, d’intimidation et d’ingérence de la part de la direction de Revenu Canada en raison de mes représentations et de mes activités en tant que président de la section locale du syndicat ». Il soutenait que l’employeur le traitait différemment parce qu’il était président de la section locale du syndicat. Il prétend que les actions de la direction contreviennent à l’article M-16 de la convention (collective) cadre.

Dans son second grief daté du 19 mai 1995, M. Shaw prétend que « Ray MacDonald et Ray Jeffrey me harcèlent en déposant des plaintes de harcèlement contre moi et en utilisant la politique sur le harcèlement pour nuire plutôt que pour protéger ». Il était contrarié que MM. MacDonald et Jeffrey aient déposé des plaintes de harcèlement contre lui. Il voulait qu’ils arrêtent de le harceler.

Dans son troisième grief déposé le 26 mai 1995, M. Shaw prétend que « à la suite de certaines mesures disciplinaires dont j’ai récemment fait l’objet, je suis continuellement victime de discrimination et de harcèlement en contravention des dispositions de l’article M-16 de la convention collective ». Il s’inquiète du fait que la direction a pris des mesures disciplinaires contre lui. Il assimile les mesures disciplinaires à du harcèlement aux termes de la convention collective.

L’employeur a rejeté les trois griefs, et M. Shaw les a renvoyés en arbitrage en juin 1997.

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Décision Page 2 Sommaire des observations formulées au nom des parties Argumentation de l’employeur L’employeur soutient qu’un arbitre n’a pas compétence pour instruire les trois griefs soumis par le fonctionnaire s’estimant lésé aux termes de l’article 91.

Pour qu’un grief puisse à bon droit être fondé sur le paragraphe 91(1), il faut que son auteur s’estime lésé par l’application ou l’interprétation, à son égard, par l’employeur des conditions d’emploi ou d’une disposition d’une convention collective. Si le grief n’est pas présenté pour ce motif, l’article 92 de la Loi (lu en conjugaison avec l’article 91) ne permet pas le renvoi du grief à l’arbitrage. Par conséquent, en l’occurrence, les griefs que M. Shaw a l’intention de renvoyer à l’arbitrage doivent être fondés sur une disposition de la convention collective.

Le grief du 5 mai n’est pas arbitrable parce que le paragraphe 91(1) de la Loi prévoit qu’un grief peut être présenté si « aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale ». Nous devons appliquer l’article 91 rigoureusement, compte tenu de son libellé sans équivoque. Un arbitre ne peut instruire aux termes de l’article 92 un grief qui peut être adressé à une autre instance. Selon l’employeur, le fonctionnaire s’estimant lésé a un autre recours administratif. Il se trouve à l’article 23 de la Loi.

M. Shaw prétend que l’employeur l’a harcelé, contraint, intimidé, et qu’il s’est ingéré dans ses affaires parce qu’il est le président de la section locale du syndicat. Les personnes qu’il a nommées occupaient bien des postes de gestion. En fait, il dit que l’employeur s’est ingéré dans les affaires du syndicat. En conséquence, la Commission devrait examiner ces prétentions sous l’angle d’une plainte aux termes de l’article 23 parce que l’employeur a passé outre aux interdictions énoncées aux articles 8 ou 9 de la Loi. Il n’est pas possible de contourner les restrictions inévitables de la Loi.

En outre, M. Shaw n’a pas apprécié que MM. MacDonald et Jeffrey déposent des plaintes de harcèlement contre lui. Ce n’est pourtant pas un motif pour poursuivre son grief personnel. On ne peut renvoyer à l’arbitrage un grief de harcèlement personnel.

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Décision Page 3 Le grief du 19 mai ne se rapporte pas à une violation de la convention collective. Son renvoi à l’arbitrage mentionne bien l’article M-16, c’est-à-dire la clause relative au harcèlement de la convention cadre. Cependant il ne mentionne aucun des motifs énumérés à l’article M-16. En conséquence, étant donné qu’aucun motif ne se rapporte à une disposition de la convention collective, le grief du 19 mai n’est pas arbitrable. L’employeur n’a aucun moyen de savoir quels sont les motifs de harcèlement.

Le fonctionnaire s’estimant lésé et l’agent négociateur ne peuvent à ce stade citer un motif précis. S’ils le faisaient maintenant, cela équivaudrait à modifier fondamentalement la nature du grief. Le fonctionnaire s’estimant lésé ne peut prétendre à l’arbitrage quelque chose qu’il n’a pas prétendu lors de la procédure de règlement des griefs. Un employé a le droit de ne pas être harcelé. Néanmoins, un employé ne peut renvoyer n’importe quel type de harcèlement personnel à l’arbitrage. En fait, ce sont les conséquences du harcèlement qui font qu’il est visé par l’un des motifs énumérés.

Le troisième grief de M. Shaw, celui déposé le 26 mai 1995, mentionne de nouveau l’article M-16. Il mentionne également les mesures disciplinaires qui lui ont été imposées. Toutefois, comme M. Shaw ne cite aucun motif de harcèlement, on doit déduire qu’il s’agit encore une fois de harcèlement personnel, lequel n’est pas prévu à l’article M-16. Par conséquent, ce grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage. Si le fonctionnaire s’estimant lésé veut contester la mesure disciplinaire qui lui a été imposée, c’est un grief disciplinaire qu’il devrait présenter (dossiers de la Commission 166-2-27272 et 166-2-27273).

Il existe un principe en droit selon lequel s’il n’y a pas de recours, il n’y a pas de cause d’action. Un arbitre ne peut rien lui donner qu’il n’a déjà. La Loi n’a pas créé une tribune devant servir à relater les mauvaises expériences de la vie professionnelle pour lesquelles il n’existe aucun recours.

Un arbitre ne peut rendre qu’une décision déclaratoire, à savoir que M. Shaw doit pouvoir travailler sans être harcelé. Le fonctionnaire s’estimant lésé ne peut obtenir ni indemnisation ni excuses. Pour régler les problèmes, l’employeur est prêt à lui donner l’assurance qu’il ne sera pas harcelé au travail.

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Décision Page 4 Un grief présenté aux termes de l’article 91, et son renvoi à l’arbitrage aux termes de l’article 92, diffèrent complètement d’une plainte présentée aux termes de l’article 23. L’arbitre et les parties ont la responsabilité de ne renvoyer à l’arbitrage que les seules questions qui sont arbitrables. Nous sommes tous tenus de respecter la loi.

L’avocat de l’employeur a invoqué les affaires suivantes : 1. Shiv Chopra et le Conseil du Trésor (Canada) (ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), [1995] 3 C.F. 445 (juge Simpson). 2. Joan Mohammed et le Conseil du Trésor, Commission de l’immigration et du statut de réfugié (1997), dossier de la Commission 166-2-26179. 3. Charlotte Rhéaume et le Conseil du Trésor, Revenu Canada Douanes et Accise (1994), dossiers de la Commission 166-2-21976 à 166-2-21979, 166-2-21151 à 166-2-21154, et 166-2-22356 (Tarte). 4. Walter G. Haslett et le Conseil du Trésor, Défense nationale (1991), dossier de la Commission 166-2-20737 (Brown). 5. Lawson et le Conseil du Trésor (1992), dossier de la Commission 166-2-25530 (Tenace).

Argumentation du fonctionnaire s’estimant lésé M. Shaw fait valoir que ses trois griefs devraient être renvoyés à l’arbitrage aux termes de l’article M-16 de la convention cadre (la disposition sur « l’élimination de la discrimination »).

Il admet ne pas avoir expressément mentionné qu’il était harcelé en raison de ses activités syndicales dans chacun de ses griefs. Toutefois, il soutient que dans le contexte des trois griefs et de leur interrelation, il était évident qu’il se plaignait de harcèlement en raison de ses activités syndicales. Par conséquent, les trois griefs sont des griefs de harcèlement en raison de ses activités syndicales. Dans ce contexte, ils se rapportent à des violations de l’article M-16.

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Décision Page 5 L’article 92 de la Loi lui donne le droit de saisir un arbitre des prétendues violations de l’article M-16.

Si l’arbitre se déclare non compétent pour instruire ces affaires, il en résultera principalement un long délai parce que la Commission devra instruire les mêmes griefs sous la forme de plaintes aux termes de l’article 23. Le refus d’instruire les griefs serait simplement une perte de temps sur une question de forme tout au plus.

Il est significatif que l’employeur ait accepté les trois griefs. Ils ont été instruits aux divers paliers de la procédure de règlement des griefs sans que l’employeur soulève d’objections quant à la compétence d’instruire ces griefs aux termes de l’article 91.

Pour ces raisons, M. Shaw soutient que l’arbitre devrait reconnaître qu’il a compétence pour instruire les griefs. M. Shaw veut obtenir une déclaration selon laquelle il y a bien eu harcèlement.

Un grief aux termes de l’article 91, et son renvoi à l’arbitrage aux termes de l’article 92, ne diffèrent d’une plainte aux termes de l’article 23 que dans la manière dont ils sont traités. Toutefois, la Commission instruira un grief et une plainte exactement de la même manière. Il incombe au fonctionnaire s’estimant lésé de faire la preuve de ses prétentions dans l’un et l’autre cas.

M. Tynes me demande de rejeter l’exception déclinatoire de compétence. Convention collective M-16.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire d’exercée ou d’appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale et physique ou son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») 91.(1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard : Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 6 (i) soit d’une disposition législative, d’un règlement administratif ou autre —, d’une instruction ou d’un autre acte pris par l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d’emploi.

Conclusion et motifs de décision J’examinerai d’abord les décisions pertinentes invoquées par l’employeur et les principes qui y sont énoncés et je déterminerai ensuite de quelle façon ces propositions s’appliquent en l’espèce.

Pour déterminer les principes applicables en l’occurrence, il faut se reporter à l’arrêt Chopra (supra) de la Cour fédérale du Canada, qui est le texte de base. L’arrêt Chopra étaye l’idée que l’agent négociateur et le fonctionnaire ne peuvent invoquer la procédure de règlement de grief lorsqu’un recours administratif est prévu par une loi fédérale. Ils doivent plutôt utiliser cet autre recours administratif. C’est uniquement lorsqu’une loi ne prévoit pas de (d’autre) recours administratif qu’un fonctionnaire peut déposer un grief aux termes du paragraphe 91(1).

Dans l’affaire Lawson, l’arbitre a déterminé qu’il n’était pas compétent parce que la loi prévoyait un autre recours. L’affaire Lawson fait ressortir le principe selon lequel lorsqu’un autre recours administratif de réparation existe, il faut l’utiliser s’il est disponible. En conséquence, si une autre option s’offre à l’employé, celui-ci ne peut présenter un grief aux termes du paragraphe 91(1).

Dans l’affaire Haslett (supra), ni la gestion, ni même le fonctionnaire s’estimant lésé ne savaient que le grief de harcèlement du fait de l’origine ethnique serait finalement renvoyé à l’arbitrage. Dans cette affaire, le fonctionnaire s’estimant lésé avait déposé un grief de harcèlement personnel. Il n’avait jamais songé qu’il pouvait être harcelé à cause de son origine ethnique avant de recevoir la réponse de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Au cours de cette procédure, il n’a mentionné aucun des motifs énumérés à l’article M-16. Les motifs invoqués au cours de la procédure de règlement des griefs différaient de ceux que l’agent négociateur voulait invoquer pour renvoyer l’affaire en arbitrage. Par

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Décision Page 7 conséquent, l’employeur n’a jamais eu la possibilité d’examiner le grief sous l’angle d’un grief de harcèlement du fait de l’origine ethnique. Comme il s’agissait d’un changement fondamental de la nature du grief, l’arbitre n’a pu examiner les questions sous l’angle de griefs aux termes de l’article M-16. L’arbitre Brown a conclu qu’il n’avait pas compétence pour instruire le grief. Il n’y avait pas de motif valable de renvoyer le grief à l’arbitrage. À l’appui de sa conclusion, il a cité l’arrêt Burchill c. Le Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (CAF).

L’affaire Burchill faisait partie des précédents invoqués pour étayer les principes énoncés dans la décision Mohammed (supra). Dans cette décision, l’arbitre, aux pages 14 et 15, a rejeté les arguments de la fonctionnaire s’estimant lésée qui prétendait pouvoir modifier le fondement de son grief après le dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Il en est venu à la conclusion, en conformité avec les principes énoncés dans l’arrêt Chopra, qu’il n’avait pas compétence pour instruire l’affaire. Il s’agissait d’une affaire les la page 18) « allégations peuvent également justifier une plainte au titre de la LCDP [Loi canadienne sur les droits de la personne], qui prévoit à la fois un droit de réparation et un redressement en pareilles circonstances ».

L’agent négociateur a demandé un contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre dans l’affaire Mohammed. À la page 14 de l’arrêt de la Cour fédérale [(non publié) 16 juin 1998, juge Cullen, dossier de la Cour n o T-1328-97 (Section de première instance)], il est précisé que dans la mesure le demandeur peut « obtenir une réparation véritable » en utilisant un autre recours de réparation pouvant être avantageux pour lui, il n’a d’autre choix que d’utiliser ce recours. Il importe peu que l’autre recours n’accorde pas la même réparation que la procédure de règlement des griefs prévue par la Loi.

L’affaire Rhéaume (supra) explique comment déterminer le fondement des griefs de harcèlement aux termes de l’article M-16. L’arbitre y rejette également les griefs de harcèlement perçu qui ne sont attribuables qu’à des conflits de personnalité et qui ne s’appuient pas sur l’un des motifs énumérés. Voici ce qu’il dit à ce sujet (page 35) :

[…] seul le harcèlement ou la discrimination fondés sur un motif protégé peuvent faire l’objet d’un grief et du fait même d’un renvoi à l’arbitrage. Les

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Décision Page 8 simples questions de conflit de personnalité en milieu de travail ne sont donc pas visées par l’article M-16.

C’est l’analyse que l’on trouve dans l’arrêt Chopra qui demeure la plus pertinente en l’espèce. La Cour devait déterminer si l’arbitre avait eu raison de conclure qu’il n’avait pas compétence pour instruire le grief aux termes du paragraphe 91(1). La Cour a conclu que, étant donné que le grief déposé portait sur une question de droit de la personne, il y avait un recours administratif, à savoir la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). Le juge Simpson a déclaré, aux pages 455 et 456, que « si la CCDP a compétence pour traiter la plainte de façon raisonnable et efficace quand au fond du grief de l’employé, alors elle peut adjuger une réparation ».

D’autres arbitres ont appliqué le principe défini dans l’arrêt Chopra à plusieurs occasions. Dans l’affaire Lawson, l’arbitre a décidé qu’il n’avait pas compétence parce qu’il y avait un autre recours prévu dans une loi. Dans ce cas, il s’agissait du processus d’enquête prévu aux termes de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

Dans l’affaire Mohammed, l’arbitre a également tenu compte de l’impact de l’arrêt Chopra et, à la page 18, il s’est déclaré non compétent pour instruire l’affaire sous l’angle d’un grief présenté en vertu de l’article M-16 sur l’allégation qu’elle « avait été victime de discrimination raciale ou religieuse ». Il a décidé que ses « allégations peuvent également justifier une plainte » au titre de la loi sur les droits de la personne. Le paragraphe 91(1) l’empêchait d’instruire le grief de Mohammed.

Je précise que l’agent négociateur a demandé un contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre dans l’affaire Mohammed. À la page 14 de l’arrêt de la Cour fédérale [(non publié) 16 juin 1998, juge Cullen, dossier de la Cour n o T-1328-97 (Section de première instance)], il est précisé que dans la mesure le demandeur peut obtenir une « réparation véritable » en utilisant un autre recours administratif de réparation pouvant l’avantager, il n’a d’autre choix que d’utiliser ce recours. Il importe peu que l’autre recours n’accorde pas le même redressement que la procédure de règlement prévue par la Loi. Il s’agissait de déterminer si l’autre recours pouvait être avantageux pour la demanderesse.

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Décision Page 9 Dans l’arrêt Boutilier [(non publié) 13 novembre 1998, juge McGillis, dossier de la Cour n o T-1450-97 (Section de première instance)] rendu plus récemment, la Cour a déterminé la page 23) que les questions de discrimination étaient les seules questions sur lesquelles portait le grief et qu’elles correspondaient en tous points à l’objet de la LCDP. L’arbitre n’avait pas compétence pour trancher le grief aux termes de la Loi.

À mon avis, un autre recours administratif de réparation s’offre à M. Shaw concernant les griefs qu’il a déposés. Ceux-ci sont expressément prévus à l’article 23 de la Loi, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées : 23.(1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle l’employeur ou une organisation syndicale ou une personne agissant pour le compte de celui-là ou de celle-ci n’a pas, selon le cas :

a) observé les interdictions énoncées aux articles 8, 9 ou 10; Les articles 8 et 9 de la Loi sont ainsi libellés : 8.(1) Il est interdit à quiconque occupant un poste de direction ou de confiance, qu’il agisse ou non pour le compte de l’employeur, de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale, ou d’intervenir dans la représentation des fonctionnaires par une telle organisation ou dans les affaires en général de celle-ci.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit : a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de faire des distinctions injustes fondées, en ce qui concerne l’emploi ou l’une quelconque des conditions d’emploi d’une personne, sur l’appartenance de celle-ci à une organisation syndicale ou sur l’exercice d’un droit que lui accorde la présente loi;

b) d’imposer ou de proposer d’imposer —, à l’occasion d’une nomination d’un contrat de travail, une condition visant à empêcher un fonctionnaire ou une personne cherchant un emploi d’adhérer à une organisation syndicale ou d’exercer un droit que lui accorde la présente loi;

c) de chercher, notamment par intimidation, par menace de destitution ou par l’imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger un fonctionnaire :

(i) à adhérer ou s’abstenir ou cesser d’adhérer —, ou encore, sauf disposition contraire dans une convention collective, à continuer d’adhérer à une organisation syndicale,

(ii) à s’abstenir d’exercer tout autre droit que lui accorde la présente loi.

(3) Toute action ou omission à l’égard d’une personne occupant un poste de direction ou de confiance, ou proposée pour un tel poste, ne saurait constituer un manquement aux dispositions du paragraphe (2).

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Décision Page 10 9.(1) Sauf dans les conditions et cas prévus par la présente loi, un règlement, une convention collective ou une décision arbitrale, il est interdit à une personne occupant un poste de direction ou de confiance, qu’elle agisse ou non pour le compte de l’employeur, de faire des distinctions injustes à l’égard d’une organisation syndicale.

(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’empêcher une personne occupant un poste de direction ou de confiance de recevoir les observations des représentants d’une organisation syndicale ou d’avoir des discussions avec eux.

Le fondement des griefs de M. Shaw se trouve à l’article 23. Essentiellement, il allègue qu’il y a eu violation des articles 8 et 9.

Le fonctionnaire s’estimant lésé a reconnu dans son argumentation que les trois griefs étaient interreliés. Il prétend avoir été harcelé en raison de ses activités pour le compte de l’agent négociateur ou de son adhésion syndicale. Il dit que l’employeur a pris connaissance des motifs des griefs au cours de la procédure de règlement des griefs. Ils sont visés par l’article M-16, qui interdit le harcèlement du fonctionnaire s’estimant lésé en raison de son « adhésion au syndicat ou [de] son activité dans celui-ci ».

Néanmoins, je souscris à l’observation de l’employeur selon laquelle les griefs du fonctionnaire s’estimant lésé auraient prendre la forme de plaintes aux termes de l’article 23 de la Loi plutôt que de griefs aux termes du paragraphe 91(1). Les griefs portent tous sur les activités du fonctionnaire s’estimant lésé en tant que représentant de l’unité de négociation ou de membre d’un syndicat. La Commission peut les examiner sous l’angle de plaintes aux termes de l’article 23 plutôt que de griefs en vertu du paragraphe 91(1). Ce ne sont pas des griefs valables aux termes du paragraphe 91(1).

Par conséquent, je conclus que, en raison des dispositions du paragraphe 91(1), je n’ai pas compétence pour trancher les griefs déposés par M. Shaw.

Le fonctionnaire s’estimant lésé dit qu’en refusant d’instruire les griefs aux termes de l’article 91, je ne fais que retarder les choses. M. Shaw et son agent négociateur doivent toutefois reconnaître que le Parlement a établi le régime de la Loi à des fins bien précises. D’après le libellé du paragraphe 91(1), il est évident que le législateur voulait éviter une multiplicité d’audiences sur la même question aux termes d’un autre article de la Loi ou d’une autre loi. Dans sa sagesse, il a décidé que les questions d’ingérence dans les affaires d’un agent négociateur et de représentation

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Décision Page 11 par celui-ci devaient faire l’objet de plaintes aux termes de l’article 23. En raison du libellé du paragraphe 91(1), le soussigné n’a pas le loisir d’instruire les affaires pour lesquels le texte législatif prévoit expressément un recours à l’article 23. (Voir l’arrêt Chopra (supra), aux pages 455 et 456, et la décision Boutilier (supra), page 24.)

Le fonctionnaire s’estimant lésé dit que l’employeur ne s’est pas opposé à la première occasion à la formulation de ces affaires sous la forme de griefs. Ce genre d’argumentation peut aider le fonctionnaire s’estimant lésé à contourner les vices perçus de la procédure de règlement des griefs aux termes de la convention collective. Toutefois, elle ne permet pas au soussigné de faire abstraction du texte législatif sur les questions de compétence. C’est simple, en raison du paragraphe 91(1), je ne peux trancher les questions pour lesquelles il existe un autre recours. S’il y avait quelque doute que ce soit quant au moment une personne peut soulever la question de la compétence d’un arbitre, l’arrêt Boutilier (supra), à la page 24, reprend les principes exposés dans l’arrêt Byers c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354 (C.A.) selon lesquels (page 373 de l’arrêt Byers) « ni les parties non plus l’arbitre ne peuvent ignorer » le fait que la compétence de l’arbitre est restreinte.

En conséquence, je rejette par les présentes les renvois à l’arbitrage. Je n’ai pas compétence pour instruire ces affaires. Ce ne sont pas des griefs fondés sur le paragraphe 91(1) de la Loi.

Donald MacLean, arbitre et commissaire

MONCTON, le 14 décembre 1998.

Traduction certifiée conforme Serge Lareau Commission des relations de travail dans la fonction publique

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