Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
Licenciement (disciplinaire) - Harcèlement sexuel - Crédibilité - Gardien de prison - Fardeau de la preuve - à la suite d'une enquête menée par l'employeur, le fonctionnaire s'estimant lésé a été licencié pour avoir censément touché le sein d'une agente de correction pendant qu'ils étaient en service - le fonctionnaire et la plaignante ne s'entendaient pas et n'aimaient pas travailler ensemble - le fonctionnaire a nié l'incident et a maintenu que la plaignante l'avait piégé - bien que l'incident se soit produit dans un bureau exigu en présence d'un autre agent de correction, ce dernier a affirmé ne pas avoir prêté attention à ce qui se passait et, par conséquent, il ne pouvait ni confirmer ni nier la version de la plaignante - la preuve a établi que la plaignante a déposé sa plainte tout de suite après l'incident - le fonctionnaire s'estimant lésé a été acquitté des accusations criminelles portées contre lui à la suite de cet incident - la preuve a également établi qu'un incident analogue s'était déjà produit entre le fonctionnaire et une autre agente de correction bien que celle-ci n'ait déposé sa plainte qu'après que la plaignant eut déposé la sienne - l'arbitre a invoqué la jurisprudence qui a établi qu'en cas d'allégation d'inconduite grave, particulièrement lorsque l'emploi et la réputation d'une personne sont en jeu, l'employeur doit prouver par des preuves claires, convaincantes et solides que les faits allégués se sont produits - suivant la prépondérance des probabilités, l'arbitre a conclu que la version de la plaignante était plus crédible que celle du fonctionnaire - en arrivant à sa conclusion sur la crédibilité des divers témoins, l'arbitre a pris en compte des éléments tels que le comportement, la franchise et, essentiellement, l'uniformité de la déposition de chaque témoin ainsi que le degré d'intérêt de chaque témoin dans l'affaire - plus particulièrement, l'arbitre a tenu compte du « code d'honneur » et de ses conséquences probables sur le témoignage de l'agent de correction qui était présent au moment de l'incident - le congédiement était une sanction appropriée vu les circonstances - le fonctionnaire s'estimant lésé n'a présenté aucun facteur d'atténuation. Grief rejeté. Décisions citées : Samra (166-2-26543); Capital Health District and Hospital Employees' Union (1997), 65 L.A.C. (4th) 365; Kikilidis (166-2-3180 à 3182).
Contenu de la décision
Dossier : 166-2-27956 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE DEORAJ TEELUCK fonctionnaire s’estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Solliciteur général - Service correctionnel (Canada)
employeur
Devant : Donald MacLean, arbitre et commissaire Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Michael Tynes, Alliance de la Fonction publique du Canada Pour l’employeur : Jock Climie, avocat Affaire entendue à Bathurst (Nouveau-Brunswick), du 14 au 17 avril 1998.
Décision DÉCISION Page 1 Les parties ont convenu d'exclure les témoins jusqu'à ce qu'ils soient convoqués à la barre des témoins.
Le fonctionnaire en l'espèce est M. Deoraj Teeluck. Il travaille à l'établissement de l’Atlantique à Renous depuis l’ouverture de celui-ci en 1986. Durant cette période, il a occupé un poste d’agent de correction 2 : CO-2. Avant 1986, il avait travaillé pendant deux ans comme agent de correction en Colombie-Britannique dans un autre établissement fédéral.
L'employeur a licencié M. Teeluck le 3 mars 1997 parce que ce dernier était accusé de harcèlement sexuel à l’endroit d'une collègue officier, M me Karen Matthews. M. Teeluck demande comme redressement la réintégration dans son poste et le remboursement du salaire et des avantages sociaux perdus à la suite de sa cessation d'emploi.
Le directeur de l'établissement a expliqué les motifs du licenciement de M. Teeluck dans les termes suivants (pièce 3) : [Traduction] J'ai examiné attentivement le rapport de l'enquête effectuée à la suite de la plainte de harcèlement déposée par M m e Karen Matthews, et le rapport d'enquête disciplinaire établi par le chef d'unité, M. John Harris, et la conseillère principale du personnel, M m e Charlene Sullivan. Vous avez en main des copies de ces deux rapports. Aujourd'hui, nous avons tenu une audience disciplinaire en présence de votre représentant. J'ai répondu à vos questions durant l'audience. J'ai tenu compte de tous les renseignements ci-dessus pour en arriver à ma décision.
Au cours de l'enquête et durant l'audience disciplinaire, vous avez continué de nier avoir harcelé sexuellement M m e Matthews. Vous n'avez pas fait valoir de circonstances atténuantes.
Je vous déclare coupable de harcèlement sexuel commis à l'endroit de M m e Matthews le 17 novembre 1996 à l’intérieur du pénitencier. Cette mauvaise conduite grave constitue une violation importante du Code de discipline du SCC.
Le Service correctionnel du Canada a convenu d'une « Politique de tolérance zéro en matière de harcèlement » avec le Syndicat des employés du Solliciteur général. Vous connaissez ou auriez dû connaître cette politique.
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 2 J'ai examiné attentivement cet acte de mauvaise conduite ainsi que votre dossier. Du fait de votre comportement, j’ai perdu toute ma confiance en votre capacité d'entretenir des rapports professionnels avec vos collègues. Vous êtes un agent de la paix et vous avez juré d'appliquer les lois. Pour les motifs indiqués ci-dessus, je me vois dans l'obligation de vous licencier.
Par conséquent, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués aux termes du paragraphe 11(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, je dois vous informer, par les présentes, que votre cessation d'emploi au Service correctionnel du Canada entre en vigueur à 15 h le 3 mars 1997.
Dans sa plainte rédigée le 20 novembre 1996, M déclaration antérieure faite au sous-directeur selon laquelle M. Teeluck l'avait harcelé sexuellement le 17 novembre. En substance, M que M. Teeluck lui avait touché les seins pendant qu'ils travaillaient ensemble dans l'unité 4 de l'établissement.
Six jours plus tard, M. Teeluck a, à son tour, déposé une plainte de harcèlement sexuel contre M me Matthews dans laquelle il prétendait qu'elle l'avait délibérément humilié et intimidé par son comportement déplacé, sexuellement offensant et certainement inacceptable de la part d'un agent en service. Il disait qu'elle avait ajusté sa blouse de manière suggestive pour l'humilier et qu’elle s’était moquée de son embarras.
M. Dale Cross, directeur de l'établissement de l'Atlantique, a ordonné la tenue d'enquêtes au sujet de ces allégations. Les enquêtes ont été effectuées par deux personnes de l'extérieur de l'établissement qui ont interviewé un certain nombre d'employés à l'établissement. Elles ont remis à la mi-janvier leurs rapports dans lesquels elles concluaient que les allégations de M me Matthews étaient fondées, mais que celles de M. Teeluck ne l'étaient pas.
Le 3 mars 1997, M. Cross a licencié M. Teeluck après avoir examiné les rapports d'enquête. Il a également examiné un rapport d'enquête disciplinaire établi par M. John Harris et M me Charlene Sullivan, deux cadres de l'établissement, qui avaient également interviewé des membres du personnel. En outre, le directeur, à la demande de M. Teeluck, a interviewé ce dernier ainsi que M m e Nicole Losier, une autre fonctionnaire, avant d'arriver à sa décision finale.
Commission des relations de travail dans la fonction publique
m e Matthews a confirmé une m e Matthews affirmait dans sa plainte
Décision Page 3 Le même jour, M. Teeluck a déposé un grief. Il l'a renvoyé à l'arbitrage n’ayant pas obtenu gain de cause à l'issue de la procédure de règlement des griefs. Entre la date du renvoi à l'arbitrage de son grief et celle de la présente audience, M. Teeluck a comparu en cour provinciale à Newcastle pour répondre à des accusations criminelles liées à l'incident qui, en bout de ligne, a mené à son licenciement. Il a été acquitté relativement à l'accusation de harcèlement sexuel en janvier 1998.
Les personnes suivantes ont témoigné au nom de l'employeur. M Matthews, M. Donald Alexander, M. Victor Bracso, M Deschênes, M me Roberta McMullin, M. Michael Flannagan, M. John Harris et M. Dale Cross. M. Stephen Karasak, M. Timothy Martin, M. Kenneth St. Germain, M Losier, M. Robert Taylor, M. Jean LeBlanc et le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Teeluck, ont témoigné au nom de ce dernier.
La preuve indique que durant le quart de jour, le jour de l'incident, M. Teeluck était l'agent responsable de l'unité 4 à l'établissement, l'unité d'isolement où sont enfermés les détenus toute la journée sauf pendant une heure. Il s'agit d'une unité de deux étages ayant dix cellules par étage, des aires d'exercice et des douche distinctes que chaque détenu peut utiliser individuellement. M m e Matthews et M. Jean LeBlanc étaient les deux agents de correction en service à cette unité à la fin du quart. M. LeBlanc était le seul agent qui y était affecté de façon régulière.
M m e Matthews et M. Teeluck ont tous les deux reconnu avoir des rapports tendus depuis de nombreuses années. Ils évitaient de travailler ensemble. Très peu de leurs collègues savaient qu'ils s'évitaient mutuellement. La plupart des agents qui ont témoigné ont déclaré qu'ils n'étaient pas au courant des frictions qu’il y avait entre eux.
Le jour en question, ni M. Teeluck ni M me Matthews n’étaient censés travailler à l'unité 4. Ils ont tous deux fait des échanges de postes avec des collègues qui avaient été affectés à l'unité en question sans savoir qu'ils allaient travailler ensemble lorsqu’ils ont procédé aux échanges le matin en question lors de la séance d’information du quart de jour. Ils ont tous les deux affirmé qu'ils n'auraient pas fait les échanges s'ils avaient su que l'autre se trouverait aussi dans l’unité.
Commission des relations de travail dans la fonction publique
m e Karen me Mary-Grace Traer, M. Charles me Nicole
Décision Page 4 M m e Matthews a fait un échange de postes avec M. Timothy Martin. Elle était censée patrouiller le périmètre extérieur de l'établissement, tâche qu'elle n'aimait pas. Elle avait déjà demandé à deux autres agents de faire un échange de postes avec elle. Ils avaient refusé. M. Martin, qui lui devait une faveur, a accepté; d'après son horaire, il était affecté au poste de surveillance durant la première moitié du quart et à l'unité 4 comme troisième agent après la pause-repas. Il a affirmé avoir mentionné à M m e Matthews que M. Teeluck serait l'agent responsable de l'unité 4 ce jour-là. M me Matthews a déclaré qu'elle ne l'a pas entendu dire que M. Teeluck serait l'agent responsable, et qu'elle ne lui a pas indiqué par un signe quelconque qu'elle l'avait entendu. Même s’il n’y avait pas de bruits forts dans la pièce à ce moment-là, il y avait le bruit des conversations habituelles entre les agents à la fin de la séance d’information.
M me Matthews a travaillé au poste de surveillance durant la première partie du quart, comme prévu. En route vers l'unité 4 après la pause-repas, elle s'est arrêtée au bureau du surveillant, occupé par M. Robert Taylor ce quart-là. (Le surveillant du quart est l'agent responsable de l'établissement durant le quart.) Il l'a interrogée au sujet de sa blouse déboutonnée et de l'absence de cravate. Elle a répondu que la blouse lui irritait le cou, et elle a remonté la fermeture éclair de son blouson jusqu’en haut.
M. Teeluck, M me Matthews et M. LeBlanc se trouvaient tous les trois dans le bureau de l'unité 4 au moment de l'incident. M me Matthews était arrivée à l'unité vers midi. Elle avait remarqué en arrivant que M. Teeluck et M. LeBlanc étaient en train de se raconter des histoires grivoises. Elle s'est souvenue d'avoir inscrit dans son cahier personnel qu'ils racontaient des histoires dégradantes.
M. Teeluck a pris sa pause-repas quelques minutes plus tard et est revenu vers 12 h 30. Le bureau de l'unité est exigu; il mesure environ 8 pi sur 10 pi. C'est le local utilisé par les agents pour faire leurs appels téléphoniques, remplir les formalités administratives, travailler à l'ordinateur ou tout simplement se détendre. De temps à autre ils vont faire des tournées pour jeter un coup d’oeil aux détenus, ou ils répondent à leurs questions ou aux questions posées à leur sujet. Vers 12 h 30, M. LeBlanc était assis au bureau qui se trouve le long du mur, à droite en entrant. Il faisait des appels téléphoniques pour certains détenus et il avait téléphoné à sa femme. M. Teeluck était en train de se servir de l'ordinateur installé sur un bureau le
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision long du mur, à gauche, en entrant. Il vérifiait certains renseignements gardés dans l'ordinateur principal de l'établissement. M au fond de la pièce (en diagonale par rapport à la porte).
À son retour de la pause-repas, M. Teeluck a remarqué que M me Matthews n'était pas en tenue réglementaire; elle portait un blouson; les deux premiers boutons de sa blouse étaient défaits, le col était relevé et dégageait le cou; elle ne portait pas de cravate. M. Teeluck lui a demandé pourquoi elle n'était pas en tenue réglementaire. Elle lui a expliqué que le tissu de la blouse lui irritait le cou. M. Teeluck lui a dit qu'elle pouvait se procurer au magasin de l'établissement des blouses fabriquées avec d'autres types de tissus qui ne la blesseraient pas. M me Matthews a répondu qu'elle se renseignerait.
Au bout de quelques minutes, M m e Matthews a remonté la fermeture de son blouson et est sorti sur le palier situé juste à l'extérieur du bureau. Elle est rentrée dans le bureau quelques minutes plus tard toujours vêtue du blouson. Elle était sur le point de l'enlever lorsque, d'après elle, M. Teeluck s’est éloigné du bureau de l'ordinateur sur son fauteuil à roulettes et s’est placé juste devant elle. D'après M me Matthews, M. Teeluck était à proximité de l'endroit où était assis M. LeBlanc. En dépit de l'exiguïté des lieux, M. LeBlanc a affirmé qu'il n'a pas vu M. Teeluck déplacer le fauteuil.
M me Matthews a déclaré que M. Teeluck — comme il l'a lui-même reconnu — a passé la remarque : « Quoi, tu as des livres dans les poches? » Elle a répondu : « Qu'est-ce que tu veux dire? » Elle a cessé d’enlever son blouson. Au même moment, M. Teeluck a levé les deux mains, a pris son sein dans sa main droite et a entrepris de lui pincer le mamelon avec le pouce et l'index droits. L'incident n'a duré qu'une ou deux secondes.
M me Matthews a protesté avec indignation : «Ne me touche pas les seins! Laisse mes seins tranquilles! Jean (M. LeBlanc) as-tu vu cela? Il m'a touché le sein! » Elle a prétendu que M. Teeluck est retourné avec le fauteuil à sa place et qu’il a dit en faisant allusion à ses mamelons en érection (visibles à travers la blouse) : « Je pensais que tu avais aimé ça parce qu'ils n'étaient pas visibles avant. »
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Page 5 m e Matthews était assise sur l’autre chaise
Décision Page 6 L'incident a stupéfait M me Matthews. La scène est demeurée gravée dans sa mémoire. M. Teeluck avait envahi son espace vital, son aura. Elle avait le sentiment d'avoir été violée. Elle était déroutée. Elle ne savait plus où donner de la tête. La panique s'est emparée d'elle. Elle n'arrivait pas à croire ce qui venait de lui arriver, et elle ne voulait pas y croire. Elle était étonnée de l'audace de M. Teeluck.
Selon M me Matthews, une dizaine de minutes après l'incident, M. Teeluck est sorti du bureau. (Il est allé chercher du papier pour l'imprimante de l'ordinateur. Il n'y en avait pas en quantité suffisante dans le bac de l'imprimante pour pouvoir imprimer un document dont il avait besoin.) Après son départ, M me Matthews a demandé à M. LeBlanc si elle avait l'air d'avoir des livres dans la poche et s'il avait vu M. Teeluck lui toucher le sein. Il a répondu par la négative. M me Matthews croit que M. LeBlanc a dû voir ou entendre quelque chose, mais qu’il a refusé de dire quoi que ce soit.
M m e Matthews, cherchant à rester calme, a décidé d'imprimer le manuel de sécurité qui se trouvait à l'écran de l'ordinateur de M. Teeluck, mais il n'y avait pas assez de papier dans le bac de l'imprimante. En entendant M. Teeluck revenir, elle a fourré les documents dans son sac à dos.
M. Teeluck et M me Matthews ont eu une vive dispute au retour de celui-là. M. Teeluck « s’en est pris à elle ». Elle avait utilisé l'ordinateur sans sa permission. La session était enregistrée sous son nom à lui. Le « bureau » lui imputerait l'impression du document. Ce genre de chose ne se faisait pas dans son pays d’origine (Maurice). D'après lui, cela démontrait le degré de dépravation culturelle de la société occidentale. C'est comme si on lui avait volé quelque chose. De plus, l'ordinateur était bloqué. Il ne fonctionnait plus. Il allait devoir « le relancer ». Il a continué à invectiver ainsi M me Matthews pendant une demi-heure à trois quarts d'heure. À ses yeux, c’était une dispute ridicule, une querelle enfantine qu’elle acceptait pourtant parce qu’elle faisait diversion. Elle n'a pas « démordu sur ce point ». Ce n'était absolument pas une raison suffisante pour inventer de toute pièce quelque chose aussi grave que des accusations de harcèlement sexuel.
Plus tard, M me Matthews et M. Teeluck se sont également chamaillés au sujet d'une inscription dans le registre de l'unité. Un des détenus n'avait pas reçu les
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 7 médicaments qu'il devait prendre à 14 h. Un appel à l'infirmière a révélé que celle-ci accusait une demi-heure de retard. M me Matthews a noté ce renseignement dans le registre au cas où l'infirmière arriverait après 14 h 30. M. Teeluck l'a accusée de « moucharder ». M. Teeluck a reconnu par la suite que l'inscription était justifiée, mais quand M m e Matthews a refusé de suivre ses instructions à la lettre, il lui a dit de ne plus jamais inscrire quoi que ce soit dans « son » registre.
Peu après, M me Matthews a prétexté qu’elle voulait utiliser des toilettes plus propres à l’extérieur de l’unité pour se rendre chez le surveillant, M. Taylor. Ce dernier était dans son bureau quand elle s’est dirigée vers les toilettes, mais il ne s'y trouvait plus quand elle en est sortie. De retour à l'unité 4, elle a aperçu M. Taylor en compagnie de M. Teeluck. Elle a pensé qu'il était trop tard pour lui rapporter l'incident.
Quelque temps plus tard, M. LeBlanc a indiqué qu'il allait partir un peu plus tôt ce jour-là. M me Matthews craignait de rester seule avec M. Teeluck. Après le départ de M. LeBlanc, elle est restée sur le palier à l'extérieur du bureau où pouvait l'apercevoir l'agent affecté au poste de surveillance. Elle ne voulait pas se retrouver seule dans le bureau avec M. Teeluck. Elle a été rassurée quand celui-ci est parti peu après M. LeBlanc.
Durant le quart suivant cet après-midi-là (à un autre poste de surveillance), M me Matthews s'est confiée à l'agent Victor Bracso. Elle était rassurée de le savoir à proximité. Elle le connaissait très bien. Elle se sentait à l'aise avec lui. Elle s'est mise à pleurer quand elle l'a aperçu. Ils ont passé le quart à discuter de l'incident. Ils ont décidé d'en parler à M me Mary-Grace Traer (une surveillante, CO-03) le lendemain matin. M m e Matthews avait confiance que tout s'arrangerait après qu'elle lui aurait parlé.
Le lendemain 18 novembre, durant la séance d'information du personnel, M m e Matthews a aperçu M. Teeluck. Plus tard dans la journée, elle a répété ses allégations à M m e Traer. Cette dernière a organisé une rencontre entre M me Matthews et M. Terry Hatcher, un sous-directeur à l'établissement. M m e Matthews lui a raconté ce qui était arrivé. (À sa demande, elle a mis ses allégations par écrit le 20 novembre.)
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 8 M me Traer a été étonné d’apprendre que M. Teeluck était en cause. Elle n'en a pas moins cru M m e Matthews et a demandé à quelqu'un de remplacer cette dernière durant le reste du quart. Elle a également pris des dispositions pour qu'elle rencontre M. Charles Deschênes plus tard dans la matinée. M. Deschênes est un psychologue à l'établissement. M m e Matthews a passé trois heures à lui raconter tout ce qui s'était passé la veille avec M. Teeluck. Selon M. Deschênes, elle était en état de choc et de détresse, elle était anéantie, dépressive et démunie. Elle avait vécu un événement traumatisant. Sa réaction était très violente. Il était très très improbable qu'elle feigne tant d'émotions. Une grande partie de sa détresse était directement liée a l’attouchement de M. Teeluck. La plupart de ses remarques ont porté sur cet incident. Elle remettait en question ses propres valeurs et se demandait si elle n'avait pas elle-même provoqué tout cela ou comment cela avait pu lui arriver. Lors de la rencontre ou lors d'une autre rencontre plus tard durant la semaine, elle lui a remis le cahier dans lequel elle relatait ses souvenirs des événements du 17 novembre.
Tout le monde s'entend pour dire que M. Teeluck est un agent qui applique strictement le règlement. Il suit les instructions à la lettre. Il est très professionnel. Il n'accepte pas facilement que les autres ne pensent pas comme lui. La plupart des témoins ont affirmé avoir été étonnés d'entendre dire que M. Teeluck avait été accusé de harcèlement sexuel. Ce n'était pas son genre. En se défendant contre les accusations formulées par M m e Matthews durant l'enquête de l'employeur, en cour provinciale et durant la présente audience, M. Teeluck a nié lui avoir touché le sein ou avoir fait les prétendues commentaires au sujet de ses mamelons. Il a maintenu que l'incident, tel que l'a décrit M me Matthews, ne s'est jamais produit. M. Teeluck a expressément nié que lui et M. LeBlanc aient été en train de raconter des histoires grivoises quand M m e Matthews est entrée dans le bureau la première fois. Il ne raconte pas ce genre d’histoires. Il a reconnu avoir eu la conversation au sujet de sa blouse. Il lui a suggéré de se procurer des blouses faites d'un autre type de tissu. C'est elle qui a déplacé son fauteuil pour se retrouver devant lui. Elle a enlevé son blouson. On pouvait « tout » voir. Les premiers boutons de sa blouse étaient défaits. On pouvait voir la bretelle de ses dessous noirs. Cela l'a rendu inconfortable, l’a mis mal à l'aise. Il le lui a dit. Elle lui a répondu qu'elle avait une irritation cutanée; il lui a dit qu'il se vendait des blouses en coton qui ne causent pas ce genre d'irritation. Quelques minutes plus tard, constatant qu'elle ne réagissait pas à Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 9 ses remarques au sujet de sa tenue, il lui a demandé si elle avait un livre dans la poche. Il voulait par là l'amener à pencher la tête pour se rendre compte de l’air qu'elle avait les boutons défaits. Elle s'est contentée de hausser les épaules sans rien dire. Il est retourné à son ordinateur. Il est sorti quelques minutes plus tard pour aller chercher du papier pour imprimer un manuel de sécurité.
M. Teeluck a nié catégoriquement toute allégation de harcèlement sexuel. Il a admis avoir demandé à M m e Matthews si elle avait des livres dans sa poche. Il se sentait mal à l'aise à cause de sa tenue vestimentaire. Sa question au sujet des livres visait à attirer l'attention de M me Matthews sur le fait que sa blouse était déboutonnée. Il estime avoir été piégé par M me Matthews. Ce sentiment est attribuable à un incident survenu en 1990, quand il l'a remplacée à la rédaction des consignes de postes ou des ordres permanents. M me Matthews n'avait réussi à s'acquitter que d’une petite partie de cette tâche. La direction l'avait réaffectée ailleurs et avait confié la tâche à M. Teeluck qui avait pu terminer le travail de façon assez satisfaisante. Il n'a présenté aucun autre élément de preuve afin d'établir un lien entre les deux incidents. M m e Nicole Losier s'est souvenue, lors de son témoignage, qu'environ deux mois avant le dépôt de la plainte de harcèlement sexuel, M m e Matthews et elle-même travaillaient à la même unité tandis que M. Teeluck travaillait dans la salle de contrôle. Le détecteur de fumée s’est déclenché (fausse alarme) dans une cellule de l'unité. M m e Matthews s’est disputé avec M. Teeluck sur la manière d’arrêter l’alarme. D'après elle, il devait le faire dans la salle de contrôle tandis que M. Teeluck était sûr qu’elle devait demander à quelqu’un d’aller l’arrêter dans la cellule du détenu. M m e Matthews n'a pas aimé le ton sur lequel M. Teeluck lui parlait. Elle a dit à M me Losier : « Il me le paiera. » Lors du contre-interrogatoire, M me Losier a affirmé qu'elle avait conclu que M me Matthews avait l'intention de le dénoncer. M. Teeluck a reconnu avoir fait des remontrances à M me Matthews parce qu'elle ne lui avait pas demandé la permission d'imprimer un document vu qu’il avait établi la connexion à son nom. Il a ajouté ne pas avoir haussé le ton. Il a un timbre de voix normalement aigu. Quand il parle « Tout le monde sait que c’est Teeluck. »
M. Teeluck ne s'est pas souvenu d'avoir aperçu M matin à la séance d'information du quart. Le 3 mars, quand le directeur Cross lui a demandé ce qu'il avait à dire au sujet des allégations de M Commission des relations de travail dans la fonction publique
me Matthews le lendemain m e Matthews, il a répondu
Décision Page 10 qu'il en avait beaucoup à dire mais que cela ne lui servirait à rien de lui en faire part, qu'il raconterait tout « en cour ».
M. LeBlanc a affirmé ne pas avoir entendu les propos attribués à M. Teeluck ou à M m e Matthews ni avoir vu M. Teeluck toucher le sein de cette dernière. Il a reconnu qu'ils s'étaient parlés, mais il ne prêtait pas attention à leurs propos. Il avait seulement remarqué que M me Matthews ne portait pas son blouson à peu près au même moment qu’ils ont tous deux constaté que M. Teeluck était sorti de l'unité.
Lors de l'enquête menée au sujet des accusations de M me Matthews, la police et l'établissement ont invité M me Matthews, M. Teeluck et M. LeBlanc à se soumettre à un test de polygraphe. M m e Matthews est la seule qui a accepté. MM. Teeluck et LeBlanc ont décliné l'offre.
Après le licenciement de M. Teeluck, M. LeBlanc lui a apporté un appui moral en lui rendant visite dans sa famille à Miramichi. M. Teeluck, en guise de reconnaissance, l'a invité à rester à souper.
Au cours de l'enquête effectuée par l'établissement, une autre agente de correction a demandé à rencontrer les enquêteurs parce qu’elle avait des renseignements supplémentaires à lui fournir. Il s'agissait de M CO-01, que les enquêteurs ont interviewée.
En octobre 1996, selon M me McMullin, M. Teeluck lui avait barré le passage dans le corridor/le hall tout près de la salle où se tiennent les séances d'information. Il lui a demandé : « Tu as un livre dans la poche? Tes tétons ont l'air pas mal plats. » Tout de suite après ce commentaire, il a poussé du doigt le carnet qu'elle garde dans la poche de son uniforme en le pressant sur son sein. M m e McMullin n'a pas rapporté l'incident à ses supérieurs ni dit quoi que ce soit à ses collègues. Elle n'a pas déposé de plainte à ce moment-là. Elle s'est contentée de le mentionner à M. Vic Nash, un surveillant, quelques jours après avoir entendu des rumeurs au sujet des accusations de harcèlement portées par M. Matthews.
C'est à contrecœur que M me McMullin a raconté l'incident aux enquêteurs quelque six ou sept semaines plus tard.
Commission des relations de travail dans la fonction publique
m e Roberta McMullin,
Décision Page 11 La plupart des témoins ont parlé du « code d'honneur » qui existe à l'établissement. Quelques-uns ont reconnu en avoir entendu parler pour la première fois avant l’ouverture de l'établissement dans le cadre d'une séance de formation. Le code interdit aux agents de dénoncer un collègue à la direction de l'établissement lorsqu'il se produit un incident attribuable à une faute de négligence ou de conduite. Les agents peuvent régler leurs problèmes entre eux. Ils prennent simplement l'agent fautif à part dans l'établissement ou le stationnement et le rappellent à l'ordre. Pour certains agents, M. LeBlanc par exemple, cela se fait uniquement dans le cas d'entorses mineures aux règlement de la part d’un collègue, par exemple dormir au travail ou arriver en retard pour le poste de travail suivant. Cela ne se fait pas pour des infractions graves comme une agression sexuelle ou du harcèlement. On ne peut pas fermer les yeux sur ce genre de comportement. Un agent doit intervenir s'il est témoin de harcèlement sexuel. Dénoncer ce type d'infraction ne serait pas contraire au « code d'honneur ».
L’agent qui ne respecte pas ce « code d'honneur » et qui dénonce un de ses collègues à la direction est traité avec mépris. On le « boude », c'est-à-dire que les collègues ne lui adressent plus la parole, ils ne répondent pas quand il demande de se faire ouvrir les portes entre deux unités ou prennent leur temps pour le faire. Il finit par craindre tout ce qui sort ou semble sortir de l'ordinaire.
Pourtant, une des conditions implicites du travail à l'établissement est le fait que l'agent doit pouvoir compter sur ses collègues au moindre signal. L'agent doit avoir la certitude que ses collègues le défendront ou lui viendront en aide en cas d'altercation avec un des détenus. Lorsque cette confiance s'effrite au point où l'agent craint pour sa sécurité ou ne peut plus compter sur l'aide de ses collègues, l'agent et la direction de l'établissement doivent envisager d'autres options.
La situation à l'établissement s'est effectivement détériorée pour M me Matthews et M m e McMullin. On a cessé de leur adresser la parole et on s’est mis à les faire attendre aux portes et dans les unités. Au bout de trois ou quatre mois de ce traitement de la part de collègues, M m e Matthews, à sa demande, a été mutée au bureau régional à Moncton pour s'occuper d'un projet spécial. M me McMullin a vu sa sécurité personnelle davantage menacée. En plus de la bouder et de la faire attendre on a saboté sa voiture dans le stationnement de l'établissement en laissant s'échapper l'air
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 12 des pneus. À une autre occasion, quelqu'un a trafiqué le dispositif de verrouillage du capot qui s'est relevé pendant qu'elle conduisait. Quelqu'un d'autre a desserré les écrous d'un des pneus. Même si M m e McMullin n'a jamais perdu le contrôle de son véhicule, l'effet cumulatif des incidents a miné sa confiance au point où elle a demandé à être mutée à un établissement dans une autre province. Bien qu'elle n'ait pas de preuves que ses collègues ont trafiqué sa voiture, son instinct lui dit qu'il existe un lien. Même si elle était amie avec M me Matthews depuis leur arrivée à l'établissement, elle blâme maintenant en partie celle-ci pour son départ forcé de la région de Miramichi. (M m e Matthews a tout déclenché en portant des accusations contre M. Teeluck.)
M. Teeluck a affirmé que M m e Matthews se faisait harceler parce qu'elle visait un poste de direction. Elle avait déjà posé sa candidature à l’un de ces postes. Les autres agents lui en voulaient de vouloir passer du côté de la direction. D'après M. Teeluck, M me Matthews n’a aucunement fait les frais des accusations de harcèlement sexuel qu’elle a portées contre lui.
Le service correctionnel et l'agent négociateur ont signé une déclaration de tolérance zéro de toute forme de harcèlement au travail. En outre, l'employeur applique un code de discipline qui prévoit diverses sanctions (suivant la gravité de la faute de conduite) allant de la réprimande orale à la réprimande écrite, à la suspension jusqu'au congédiement ou au licenciement. Le code énumère un certain nombre d'infractions, y compris la perpétration d'un acte criminel condamnable ou une déclaration sommaire de culpabilité en vertu du Code criminel, qui jetteraient le discrédit sur le service correctionnel. La liste des infractions comprend également les actes de harcèlement personnel ou sexuel à l'endroit d'autres fonctionnaires.
Résumé des représentations pour le compte des parties Argumentation de l’employeur L'avocat de l'employeur concède que l'employeur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les incidents se sont produits, qu’il y avait lieu d’imposer une mesure disciplinaire et que la mesure disciplinaire imposée en l'espèce était justifiée. L'employeur comprend qu'il a le fardeau de la preuve en cas de faute de conduite grave. Dans ces cas-là, il lui incombe de démontrer que les incidents se sont
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 13 effectivement produits en présentant des preuves claires, convaincantes, concises et fortes. Plus les allégations sont graves plus la preuve doit être claire, convaincante, concise et forte.
En l'espèce, la crédibilité de M. LeBlanc est un élément clé. Il existe trois possibilités : 1) l'incident a bel et bien eu lieu, mais M. LeBlanc n'a rien vu ni entendu; 2) l'incident a bel et bien eu lieu et M. LeBlanc a vu et entendu quelque chose, mais il refuse de dire quoi que ce soit en raison du « code d'honneur »; ou 3) l'incident n'a pas eu lieu de telle sorte que M. LeBlanc n'a rien pu voir ni entendre.
Selon le premier scénario, M. LeBlanc était très fatigué après avoir effectué trois quarts de travail doubles consécutifs et il est possible qu'il ait tout simplement décidé de faire la sourde oreille à ce qui se passait autour de lui, y compris à la remarque de M m e Matthews qu'elle se sentait inconfortable ou mal à l'aise. Suivant le deuxième scénario, M. LeBlanc refuse peut-être de parler à cause du « code d'honneur » par crainte des représailles possibles. L'avocat de l'employeur met en doute sa crédibilité pour deux raisons : a) M. LeBlanc a refusé de subir le test de polygraphe, et b) une fois les allégations connues, il s'est rendu au domicile de M. Teeluck pour lui apporter un soutien moral. L'avocat a également mis en doute la crédibilité de M. LeBlanc en lui demandant pourquoi il n'avait pas rapporté l'incident à M. Taylor ou même suggéré à M me Matthews de faire part de ses allégations à M. Taylor. L'avocat fait aussi remarquer que, dans un bureau aussi exigu, M. LeBlanc ne devait se trouver qu’à quelques pouces de l'endroit où s'est produit l'incident.
Selon le troisième scénario, M. LeBlanc n'a rien à ajouter en affirmant qu'il ne sait rien ou qu'il n'a rien vu. Si c'est effectivement le cas, M inventé.
M me Matthews était manifestement bouleversée et ébranlée quand elle a parlé à M. Bracso durant le quart suivant, et à M. Taylor, M me Traer et M. Deschênes le lendemain. Ce dernier, un psychologue aguerri, a déclaré qu'elle était anéantie et traumatisée, qu'elle se sentait sale, qu’elle était en état de choc qu'elle se remettait en question. Il aurait fallu qu'elle soit une actrice extraordinaire pour feindre de telles émotions.
Commission des relations de travail dans la fonction publique
me Matthews a alors tout
Décision Page 14 M me Matthews était réellement traumatisée, non seulement par l’attouchement non désiré, mais également par les propos tenus par M. Teeluck immédiatement après l'incident. Ces propos se voulaient manipulateurs et intimidants. C'était le coup final d’un jeu de puissance.
L'avocat soutient également que le témoignage de M me Matthews devrait avoir plus de poids que celui des autres témoins à cause de sa crédibilité exceptionnelle. Elle a de bonnes valeurs. Elle s'est exprimée de façon claire et concise, et son témoignage n'a pas été contredit ni réfuté. Elle n'avait aucune raison de mentir, elle était pleinement justifiée de ne pas dénoncer M. Teeluck et de jouer à l'autruche. Si elle a tout inventé, pourquoi mentionnerait-elle des événements qui se sont passés quand il y avait quelqu'un d'autre dans la pièce qui pouvait tout entendre? Cela n'a aucun sens. Aucun témoin n'a avancé de raison convaincante pour expliquer pourquoi elle aurait tout inventé.
Par ailleurs, M. Teeluck est loin d'avoir été sincère lors de son témoignage. Il est très fier. Il se bat pour garder son emploi. Il a répondu de façon évasive à des questions simples. Il a dit qu'elle voulait que quelqu'un soit dans la pièce pour pouvoir témoigner au sujet de l'incident. « Elle l'a piégé. »
M. Teeluck affirme que la raison pour laquelle elle l'a piégé est liée au fait qu’en 1990 il l'a remplacée pour rédiger les consignes de poste. Néanmoins, il n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de sa théorie. Lorsque le directeur lui a demandé de fournir certains renseignements le jour où il lui a signifié son licenciement, M. Teeluck a dit qu'il les fournirait « en cour ». Pourtant, en l'espèce, il n'a apporté aucun nouvel élément d'information que la direction n'avait pas en main au moment du licenciement.
M me Matthews a fait preuve de courage en dénonçant M. Teeluck. Elle en a payé le prix. Elle a fait l'objet de harcèlement et d'intimidation de la part d'autre membres de l'unité de négociation qui ont exercé des représailles envers elle. L'intimidation l'a obligée, ainsi que M me McMullin, à demander une mutation à l'extérieur de la région de Miramichi.
Si M. Teeluck réintègre son poste, quel moyen prendra l'employeur pour garantir un lieu de travail sans harcèlement? M. Teeluck ne se reconnaît aucun tort. Il
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 15 ne manifeste aucun remords. Le directeur affirme avoir perdu trois membres de son équipe : M me Matthews, M me McMullin ainsi que M. Teeluck. Il existe une politique de tolérance zéro à l'établissement et dans tout le service correctionnel. Aucune atténuation de la mesure disciplinaire n'est justifiée en l'espèce. Cette mesure était raisonnable pour ce type de faute de conduite. L'avocat me demande de ne pas modifier la décision de l'employeur.
M e Climie a cité la jurisprudence suivante : 1) Santokh Kahlon et le Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel du Canada), (166-2-20871), 4 mars 1991, (Kwavnick), pages 37-38. 2) Vernon Taylor et le Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel du Canada), (166-2-26543), 15 janvier 1996, (Simpson), pages 29, 30, 33 et 34. 3) Kevin Dell, Ken Philipchuk et David Sweeny et le Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel du Canada), (166-2-25124 à 26 et 25189 à 91), 19 octobre 1995, (Burke), pages 32 et 37. 4) Aristos Kikilidis et le Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service canadien des pénitenciers), (166-2-3180 à 3182), 11 octobre 1997, (Smith), pages 4-5.
5) Gérard Côté and Treasury Board, (1994), 162 N.R. 214; 109 D.L.R. (4 th ) 224, (Hugessen, J.A.) (CAF).
6) Capital Health District and Hospital Employees' Union, (1997), 65 L.A.C. (4 th ) 365. L'avocat me demande de rejeter le grief. Argumentation de M. Teeluck L'agent négociateur conteste le licenciement de M. Teeluck en l'espèce en faisant valoir que c'est lui faire une grave injustice. En effet, tous les témoins le décrivent comme un bon employé. Il applique le règlement à la lettre. Certaines personnes à l'établissement n'aiment pas sa façon de faire les choses. Toutefois, tout le monde le respecte et respecte sa façon de traiter avec ses collègues.
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 16 Il est important de se rappeler que, le 17 novembre 1996, une foule de choses inhabituelles se sont produites à l'unité 4. Ni M. Teeluck ni M m e Matthews n’étaient censés travailler à cet endroit. M m e Matthews a fait un échange de postes avec l'agent Martin au lieu de patrouiller le périmètre extérieur de l'établissement. M. Teeluck a fait un échange de postes avec l'agent Malley, à la demande de ce dernier, et il a assumé la responsabilité de l'unité 4. Seul M. Jean LeBlanc effectuait son poste habituel à l'unité 4. Par conséquent, trois agents qui n'avaient pas l'habitude de travailler ensemble se trouvaient réunis. M. Teeluck et M me Matthews ne s’entendaient pas bien. Bref, ils ne s’aimaient pas et ne voulaient pas travailler ensemble. Ils ont tous les deux déclaré que s'ils avaient su qu'ils allaient travailler à la même unité, ils n'auraient pas fait l'échange de postes. Les morceaux étaient en place pour que la situation prenne une mauvaise tournure. Quand M m e Matthews a changé de poste avec l'agent Martin lors de la séance d'information le matin en question, ce dernier lui a dit que M. Teeluck était l'agent responsable de l'unité 4 durant le quart. Elle a affirmé ne pas l'avoir entendu. Pourtant, il n'y avait pas de bruit assourdissant dans la pièce à ce moment-là et, par conséquent, elle n’a aucune raison de ne pas l’avoir entendu. M m e Matthews s'est présentée au bureau de l'unité 4 vers midi; c'est un petit bureau dans lequel trois personnes sont à l'étroit. Elle a affirmé que M. Teeluck et M. LeBlanc parlaient entre eux et se racontaient des histoires grivoises, ce que M. Teeluck a nié. M. LeBlanc ne s'est pas souvenu d'avoir eu ce genre de conversation. Toutefois, c'est uniquement à l'audience que M me Matthews en a parlé. Elle n'en a rien dit dans ses déclarations aux autres ni lors des entrevues avec les enquêteurs. Il y a aussi une autre contradiction lorsqu'elle affirme ne pas avoir enlevé son blouson en entrant dans le bureau. Pourtant, M. LeBlanc et M. Teeluck ont tous les deux déclaré qu'elle l'avait enlevé. Aussi, M. LeBlanc a dit qu'il n'avait pas vu si M. Teeluck était assis directement en face de M me Matthews. M. Teeluck a reconnu avoir demandé à M m e Matthews si elle avait des livres dans la poche de sa blouse, mais c'était uniquement pour attirer son attention sur le fait que sa blouse était déboutonnée. M. LeBlanc n'a pas vu ou entendu les événements rapportés par M me Matthews. Pour accepter que son témoignage soit conforme aux faits, il faut donc que M. LeBlanc, l'unique témoin oculaire, ait menti.
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 17 Toutefois, M. LeBlanc n'a pas menti. La preuve qu'il faut retenir est que l'incident ne s'est tout simplement pas produit. L'employeur cherche à faire abstraction du témoignage de M. LeBlanc et à s'en tenir à celui de M me Matthews. Pourtant, MM. LeBlanc et Teeluck ne sont pas de grands amis. Ils n'habitent pas dans la même ville. Il n'y a aucune raison personnelle pour que M. LeBlanc protège M. Teeluck. M. LeBlanc a déclaré que ce n'est pas un « code d'honneur » qui l'aurait empêché de dénoncer M. Teeluck s'il avait été témoin de harcèlement sexuel. Son témoignage a été franc, direct et sans détours. Il n’a pas hésité à raconter les événements dont il se souvenait. Sa version était claire et elle n'a pas changé durant l'audience, lors de l'enquête et lorsqu'il a témoigné. Il est venu dire la vérité. Si l'incident s'est produit comme l'a prétendu M me Matthews, pourquoi ne l'a-t-elle pas rapporté à M. Taylor, le surveillant du quart? Elle aurait pu le faire mais elle ne l'a pas fait. Ce n'était pas à M. LeBlanc de le faire. Ce n'était pas sa responsabilité. Même le témoignage de M. Deschênes ne nous permet pas plus de conclure que l’état de perturbation de M me Matthews était indéniablement attribuable à une agression sexuelle. M m e Matthews est une bonne actrice. Toutefois, elle était bouleversée à cause de la discussion qu'elle avait avec M. Teeluck et non pas à cause d'une agression sexuelle. M me Matthews avait un motif pour se venger de M. Teeluck. Elle en avait glissé un mot à M me Losier environ deux mois avant de se plaindre de harcèlement sexuel. Un détecteur de fumée s’était déclenché et elle n'avait pas aimé la façon dont M. Teeluck l'avait traitée à ce moment-là. « Il me le paiera », a-t-elle déclaré. L'employeur demande à l'arbitre de rejeter la déposition des témoins de M. Teeluck. C'est grave. En outre, l'enquête effectuée par l'employeur concernant les allégations n'était pas impartiale ni complète. Les enquêteurs ont accepté les affirmations de certains témoins et ont rejeté ou omis celles d'autres témoins. Ils n'ont pas clairement conclu que M. Teeluck était coupable des accusations portées contre lui. Ils ont simplement dit « que quelque chose de grave était arrivé à M me Matthews » et que les allégations étaient fondées. Ce n'est pas une conclusion suffisamment claire et solide pour justifier le licenciement de M. Teeluck.
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 18 En raison de la gravité des accusations et des conséquences pour M. Teeluck, le fardeau de la preuve est plus lourd en l'espèce. L'employeur ne s'en est pas déchargé. Quelque chose de grave s’est produit à l’unité 4, le 17 novembre 1997. 1) M. Teeluck s'en est pris à M me Matthews à cause de sa tenue vestimentaire et de sa violation du code à cet égard. 2) M. Teeluck s'en est également pris à M me Matthews parce qu'elle avait utilisé l'ordinateur (alors que la connexion avait été établie au moyen du mot de passe de M. Teeluck) sans sa permission pendant qu'il était sorti du bureau. 3) Enfin, il y eu la dispute au sujet des médicaments d'un détenu et d'une inscription faite dans le registre par M me Matthews. Malgré la gravité de ces incidents, ils ne sont pas mentionnés dans la lettre comme motifs de licenciement. L'agent négociateur ne nie pas l'existence d'un « code d'honneur » parmi les agents de l'établissement. Il est évident toutefois qu'il ne s'applique qu'à des conflits mineurs entre les agents et non pas à des questions graves. Par exemple, on ne dénonce pas un collègue parce qu'il s'est endormi ou qu'il est arrivé en retard au travail. On le prend à part et on lui demande de se corriger. M. LeBlanc est un tiers impartial. Il se trouvait sur les lieux au moment du prétendu incident. Il a corroboré la version de M. Teeluck. Rejeter son témoignage sous le prétexte du code d'honneur constituerait un précédent. Cela signifierait qu'un agent ne peut pas se défendre contre de fausses allégations de harcèlement sexuel même lorsqu’une autre personne qui était présente affirme qu'il ne s'est rien passé. Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé soutient en outre que la preuve de faits similaires concernant d'autres allégations de harcèlement sexuel (par M me Roberta McMullin) ne doit pas être acceptée. Il n'y a aucune raison de la produire à l’audience. Il ne faut lui accorder que très peu de poids. En outre, M me McMullin s'est montrée très évasive durant son témoignage. L'employeur voudrait substituer à la preuve présentée par M. LeBlanc, une personne qui n'a aucune raison de vouloir protéger M. Teeluck, celle de M me Matthews, qui a avoué avoir M. Teeluck en aversion.
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 19 L'arbitre devrait accepter le témoignage de M. Teeluck. Vu la gravité des accusations et des conséquences pour M. Teeluck, le fardeau de la preuve est plus lourd en l'espèce. L'employeur ne s'en est pas déchargé. L'employeur n'avait pas de motifs suffisants de licencier M. Teeluck à la suite des allégations de M m e Matthews au sujet des événements survenus le 17 novembre 1996. Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé a invoqué la jurisprudence suivante : 1) Satwinder Samra et le Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), (166-2-26543), 11 septembre 1996, (vice-président Tenace), pages 23, 24, 25.
(2) Re Saskatchewan Government Insurance and Saskatchewan Insurance, Office and Professional Employees' Union (O.P.E.I.U., local 397) (1997), 60 L.A.C. (4 th ) 323 (Priel), pages 326-327.
M. Tynes demande qu'il soit fait droit au grief et que M. Teeluck soit réintégré dans son poste d'agent de correction (CO-02) à l’établissement.
[Traduction] CODE DE DISCIPLINE - du Service correctionnel du Canada
a. Les Règles de conduite professionnelle imposent un certain nombre de règles particulières aux employés du Service correctionnel du Canada. Toute infraction à ces règles peut, suivant sa gravité, donner lieu à l'imposition d'une des mesures suivantes : a. réprimande orale; b. réprimande écrite; c. suspension (ou peine pécuniaire); d. congédiement; e. licenciement ou rétrogration pour motif valable. 2. RÈGLE DEUX - CONDUITE ET APPARENCE Infractions Commet une infraction l'employé qui :
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 20 _ commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d'une loi du Canada ou d'un territoire ou d'une province, risquant ainsi de ternir l'image du Service ou d'avoir un effet préjudiciable sur le rendement au travail; 3. RÈGLE TROIS - RELATIONS AVEC LES AUTRES EMPLOYÉS Infractions Commet une infraction l'employé qui : _ commet un acte de harcèlement sexuel ou personnel à l'endroit d'un autre membre du personnel;
Conclusion et motifs de décision Le 3 mars 1997, l'employeur a licencié M. Teeluck après avoir mené une enquête au sujet des allégations de harcèlement sexuel formulées par M me Matthews. Je dois déterminer en l'espèce si la preuve a démontré de façon claire, solide et convaincante que la mesure disciplinaire était justifiée et, dans l'affirmative, si la mesure disciplinaire était raisonnable dans les circonstances. On dit que les affaires de harcèlement sexuel sont des cas difficiles à trancher. Normalement, il n'y a que deux témoins dans ce genre d'affaires : la personne qui est accusée et celle qui accuse. La personne appelée à instruire l'affaire doit déterminer, selon la prépondérance des probabilités, laquelle des deux versions se rapproche le plus de la vérité. En l'espèce, nous savons que M. LeBlanc se trouvait dans la même pièce que les deux fonctionnaires en cause. Il affirme n'avoir rien entendu ou vu d'anormal. L'examen des souvenirs qu'il a gardé des événements en question sera très important. Je conviens avec M. Tynes qu'il est extrêmement important de faire en sorte que M. Teeluck ne se sente pas victime d'une injustice. Assurément, tous les témoins l'ont décrit comme un bon employé qui applique le règlement à la lettre. Certains collègues n'aiment pas sa façon de faire les choses. Néanmoins, ils le respectent pour la façon dont il traite avec les autres agents.
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 21 La norme de preuve en l'espèce est celle de la prépondérance des probabilités. Comme il s'agit d'allégations de harcèlement sexuel, les deux parties ont convenu que la preuve doit démontrer de façon claire, concise, solide et convaincante que les actes reprochés ont bel et bien été commis. En effet, si les allégations sont prouvées, la mesure disciplinaire habituellement imposée est le licenciement. En présence d'allégations aussi graves pouvant avoir des conséquences néfastes pour l'employé en cause, la jurisprudence énonce une norme claire. La décision rendue dans l'affaire Samra (précitée) décrit le fardeau de la preuve dans de tels cas (page 24) :
[…] La jurisprudence actuelle abonde en affaires qui appuient la notion que dans les cas de prétendue inconduite grave, particulièrement lorsque l’emploi et la réputation d’une personne sont en jeu, l’employeur doit prouver par des preuves claires, convaincantes et solides que les faits allégués se sont produits. Même si la norme n’est pas celle des affaires criminelles où l’on exige des preuves hors de tout doute raisonnable, il faut davantage qu’une simple prépondérance de la preuve.
L'arbitre Tenace cite l'ouvrage du professeur Gorsky (Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration (1996), Carswell) au sujet du fardeau de la preuve (Samra, précitée, page 25) :
[…] Parler de «lourds fardeaux» ou de «légers fardeaux» est tout simplement une façon confuse de reconnaître légalement un principe de la pensée sociale : plus un comportement est inhabituel ou répréhensible, plus la preuve d’un tel comportement doit être convaincante avant que nous puissions croire qu’il s’est produit.
En présence d'une preuve de faits similaires, il est dangereux d'établir un lien entre un incident antérieur et un incident subséquent en soutenant que l’incident antérieur constitue la preuve de l’incident subséquent. Il faut plutôt prouver que le fait subséquent s'est effectivement produit. Dans des affaires d'arbitrage, la preuve de faits similaires peut être admise si la valeur probante l'emporte sur le préjudice éventuel causé à l'employé. Par contre, la preuve de faits similaires ne doit pas être admise uniquement pour prouver que l'employé a une disposition ou une propension à commettre le prétendu acte ou est le
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 22 genre de personne à commettre un tel acte. (Capital Health District, précitée, page 375) La valeur probante de la preuve et son effet préjudiciable possible sont déterminées selon une échelle dégressive ou progressive. Par exemple, moins la preuve est préjudiciable, moins le seuil d'admissibilité est élevé. (Capital Health District, précitée, ibid) Toutefois, plus il y a de similitude entre deux incidents plus la valeur probante de la preuve augmentera. Cela devient important quant la preuve de faits similaires antérieurs et l'incident présumé comportent des caractéristiques uniques ou distincts. (Capital Health District, précitée, page 376) L'avocat de l'employeur soutient que je ne devrais pas substituer une décision différente aux conclusions de l'employeur. Il s'appuie sur l'affaire Kikilidis, précitée. Dans l'espèce, l'arbitre Smith a affirmé à la page 6 :
[...] L’employeur estime que l’attitude de l’employé s’estimant lésé pose des risques au niveau de la sécurité. L’employeur est responsable de la sécurité du personnel, des détenus et de tout l’établissement. Un arbitre de griefs ne devrait pas essayer de substituer, à cet égard, sa propre évaluation de la situation à celle de l’employeur. Les fonctions et responsabilités des agents de correction et du Service des pénitenciers diffèrent complètement de celles des employés de la plupart des autres secteurs de la fonction publique. Un arbitre de griefs doit non seulement tenir compte des intérêts de l’employeur et de l’employé, mais aussi de ceux des autres employés, des détenus et du grand public.
Compte tenu des témoignages en l'espèce, j'ai accepté ou préféré la preuve de certains témoins par rapport à celle d'autres témoins. Pour faire ce choix, j'ai pris en compte des éléments tels que le comportement, la franchise et, essentiellement, l'uniformité de la déposition de chaque témoin. Un autre élément important est le degré d'intérêt de chaque témoin dans l'affaire. M. Teeluck prétend que les conclusions des enquêteurs ne sont pas suffisamment claires et convaincantes pour justifier le licenciement. Ces derniers ont conclu (page 37 de la pièce 15) qu'il « était arrivé quelque chose de grave à M m e Matthews » et que les allégations étaient fondées. Toutefois, même s'ils n'affirment pas que le prétendu acte a été commis selon la prépondérance des Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 23 probabilités, ils disent bien que « les faits et l'information disponibles, y compris la crédibilité des témoins et leurs déclarations, militent en faveur de la probabilité et de la plausibilité du prétendu acte. » Je crois que leurs conclusions sont suffisamment convaincantes dans les circonstances. En fait, ils établissent un lien direct avec les accusations sur lesquelles on leur a demandé d'enquêter. En plus, outre les conclusions de l'enquête, l'employeur s'est fondé sur l'enquête disciplinaire et l'entrevue disciplinaire avec M. Teeluck. Néanmoins, l'audition de la preuve devant un arbitre (voir Tipple, dossier de la Cour : A-66-85, (C.A.F.)) annule toute injustice procédurale liée à un processus d’enquête. M. LeBlanc a tenté de donner une impression de franchise. Il s'est souvenu que M. Teeluck et M m e Matthews étaient en train de discuter ensemble lorsque l'incident s'est produit. Il a affirmé avoir fait la sourde oreille. Il n'a pas dit qu'il n’y avait pas eu de discussion. M. Teeluck a dit que M. LeBlanc avait été témoin des événements. Pourtant, ce dernier n’a pas été en mesure de dire à qui que ce soit ce qu'il avait vu ou entendu. Il n'a pas dit qu'il n'était rien arrivé entre le fonctionnaire et M m e Matthews. Il a seulement dit qu'il n'avait rien remarqué ou qu'il ne leur avait pas prêté attention. Il a dit ne pas se souvenir de les avoir entendus discuter ou de les avoir vus déplacer les fauteuils ou encore de les avoir vus changer de place dans le bureau, sauf après le départ de M. Teeluck. Il n'est pas un témoin oculaire. Que son comportement à la barre des témoins soit attribuable au « code d'honneur » ou à une décision personnelle de soutenir M. Teeluck, M. LeBlanc, selon moi, ne voulait pas se rappeler des événements. Selon l'agent négociateur, le « code d'honneur » n'est pas aussi important que le disent les témoins de l'employeur. Le témoignage le plus valable est celui de M. LeBlanc en particulier. Les agents ont un comportement passablement professionnel dans les situations graves concernant leurs collègues. Dans ce genre de situation, ils n’appliquent pas le code tacite en s'abstenant de dénoncer un collègue. Toutefois, les faits parlent d'eux-mêmes en l'espèce. M. LeBlanc a pu se rappeler presque tous les autres détails importants des événements survenus au cours de l'après-midi en question, l'incident de l'ordinateur, les allées et venues des autres, ainsi de suite. En revanche, il n'a pu se rappeler d'aucun élément d'une discussion qui, a-t-il reconnu a eu lieu entre M. Teeluck et M me Matthews. De façon fort opportune, il a fait abstraction de leurs propos et de leur agissements. Il ne s'est pas souvenu de leur discussion. Il a ajouté qu'un agent n'hésiterait pas et ne se retrancherait pas derrière Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 24 le code d'honneur pour ne pas intervenir dans une situation de harcèlement sexuel. Pourtant, je ne peux prêter foi à son témoignage au sujet de la discussion. M. Teeluck conteste la crédibilité de M me Matthews parce qu'elle n'a rien dit auparavant des histoires grivoises qu'il racontait quand elle est entrée dans le bureau la première fois. Pourtant, elle les a mentionnées dans le carnet qu'elle a remis à M. Deschênes en novembre 1996. M. Teeluck a également affirmé que M m e Matthews s'était contredite en affirmant qu'elle avait enlevé son blouson en entrant dans le bureau. MM. Teeluck et LeBlanc ont tous les deux déclaré qu'elle l'avait enlevé. Toutefois, d'après les souvenirs de M. LeBlanc sur ce point, elle ne le portait plus quand M. Teeluck est sorti pour aller chercher du papier d'imprimante, ce qui s’est passé cinq à dix minutes après les incidents. La tentative de M me Losier d'attaquer la crédibilité de M me Matthews n'aide pas M. Teeluck. Elle a elle aussi reconnu lors du contre-interrogatoire que M me Matthews avait eu l'intention à ce moment-là de rapporter l'incident à la direction. De là à dire qu’elle avait l'intention d'inventer une histoire en vue de se venger de M. Teeluck, il y a toute une marge. Ça ne tient tout simplement pas debout. M. Martin a affirmé avoir dit à M me Matthews que M. Teeluck serait l'agent responsable de l'unité 4 pour la journée. J'accepte son témoignage pour ce qu'il est. Toutefois, M m e Matthews ne lui a donné aucune indication qu'elle l'avait entendu. Elle a déclaré qu'elle ne l'avait pas entendu. Cette affirmation n'a pas réellement été contestée lors du contre-interrogatoire. La salle où se tiennent les séances d'information est beaucoup plus vaste que le bureau exigu de l'unité 4. D'autres agents se trouvaient dans la pièce. Compte tenu du nombre d'agents qui discutaient entre eux en sortant, il ne serait pas anormal qu'un agent ne puisse pas entendre certains renseignements communiqués par un collègue. J'accepte le souvenir de M me Matthews sur ce point. M. Teeluck accuse M me Matthews de l'avoir piégé. D'après lui, elle lui en voulait de l’avoir remplacée en 1990 pour rédiger les « consignes de poste ». Pourtant, aucune autre preuve que le fruit de son imagination pour expliquer pourquoi elle voudrait lui faire perdre son emploi. Il n'a produit aucun élément de preuve démontrant qu'elle cherchait à se venger, mis à part le fait qu'elle n'aimait pas travailler avec lui. Il en allait de même pour lui : il ne voulait pas travailler avec elle non plus. Aucun autre Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision Page 25 témoin n'a affirmé qu'elle voulait se venger. La plupart des témoins ont dit qu'ils n'étaient pas au courant de l'animosité qui existait entre eux. Au cours de l'enquête, de l'audience disciplinaire et de l'audience en arbitrage, M. Teeluck s'est plaint sans relâche des infractions de M me Matthews au code vestimentaire. Il a affirmé que l'employeur n'avait pas interrogé les autres agents qui l'ont vue le 17 novembre 1996 et avant cette date. Ils auraient pu mentionner aux enquêteurs que M m e Matthews ne respectait pas le code vestimentaire. Ce type de faux-fuyant n'est pas non plus un grand secours pour M. Teeluck. Tous conviennent que les deux premiers boutons de la blouse de M me Matthews étaient défaits et qu'elle ne portait pas de cravate. Il n'est pas nécessaire de faire une autre enquête pour le savoir. Il est incroyable qu'un incident aussi banal ait troublé M. Teeluck à ce point. Le surveillant du quart, M. Taylor, s’était occupé du problème lorsque M m e Matthews était passé par son bureau avant de se rendre à l'unité 4. M. Teeluck a entendu le témoignage de M. Taylor à ce sujet. Le fait que M. Teeluck ait continué d'attacher autant d'importance à la tenue vestimentaire de M me Matthews au cours de l'audience, après les explications du surveillant sur la question et après le rejet de sa plainte par les enquêteurs, m'amène à m'interroger sur ses véritables motifs de revenir constamment là-dessus. Il n'avait rien à gagner en répétant sans cesse qu'elle ne respectait pas le code vestimentaire et que d'autres personnes pouvaient le confirmer. Le jour de son licenciement, M. Teeluck a dit au directeur qu'il avait d'autres renseignements, mais qu'il ne les révélerait qu'« en cour ». Or, il n'a présenté aucune preuve additionnelle que l'employeur ne connaissait pas lorsqu'il l'a licencié. Après avoir examiné l'ensemble de la preuve et les témoignages en l'espèce, j'accepte les allégations de harcèlement sexuel de la part de M. Teeluck à l'endroit de M me Matthews. Selon moi, l'employeur a respecté la norme de la preuve en produisant des éléments de preuve solides et clairs selon la prépondérance des probabilités. À mon avis, le témoignage de M m e Matthews fait la progression des événements de la journée du 17 novembre 1996 et des jours suivants. Son témoignage et celui de M. Teeluck concordent à l’égard de l'ensemble des événements survenus ce jour-là sauf pour ce qui est du prétendu attouchement, du commentaire de M. Teeluck par la suite et de la réaction de M m e Matthews au geste qu'il a posé. M. Teeluck a tout nié. Or, M me Matthews a discuté de l'incident avec M. LeBlanc dans les dix minutes, dès que M. Teeluck fut sorti du bureau. Contrairement à M. Teeluck, M. LeBlanc n'a pas dit
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Décision qu'il ne s'était rien passé; il a tout simplement affirmé ne pas avoir prêté attention à ce qui se passait entre M. Teeluck et M m e Matthews. Cette dernière a également voulu parler de l'incident à M. Taylor mais elle ne l'a pas trouvé tout de suite. Quand elle l'a vu plus tard, elle estimait que le quart était déjà trop avancé. Elle a toutefois rapporté l'incident à l'agent Bracso au cours de la première moitié du quart de l'après-midi. Elle a témoigné franchement sans exagérer sa réaction émotive. Le lendemain matin, elle a fait part de ses allégations à M me Traer, M. Hatcher et M. Deschênes. M. Taylor, M m e Traer et M. Deschênes ont tous les trois attesté de l'authenticité de son état émotif à l'époque. M. Teeluck a qualifié les entrevues de M grande performance théâtrale. Toutefois, nous avons le témoignage de M. Deschênes, un psychologue. Il rejette toute affirmation voulant qu'elle ait fabriqué ses souvenirs des événements. J'ai, moi aussi, soumis le témoignage de M M. Teeluck et des autres témoins aux vérifications et contre-vérifications habituelles au sujet de ce qui était arrivé. À mon avis, le souvenir de M plus de la vérité. M. Teeluck l'a harcelé sexuellement. L'employeur avait un motif valable d'imposer une mesure disciplinaire à M. Teeluck. Je ne vois rien dans le comportement de M. Teeluck à l'endroit de M qui justifie que je m'immisce dans la décision de le licencier. La peine correspond à l'infraction. M. Teeluck n'a fourni aucun facteur atténuant à l'employeur ou à l'audience. Il est l'artisan de son malheur. Le témoignage clair et uniforme de M outre, il y a une similitude frappante entre les allégations de M M me McMullin. Le témoignage sincère quoique fait à contrecœur de M compléter ma conclusion que M. Teeluck a effectivement harcelé M comme l'a prétendu l'employeur. Je n'ai aucune raison de croire que M leurs allégations de harcèlement sexuel. Il n'existe aucune preuve fiable démontrant qu'il y a eu conspiration, avant ou après les événements, pour nuire à M. Teeluck. En terminant, je conclus que le licenciement de M. Teeluck était fondée sur un motif valable. Par conséquent, le grief renvoyé à l'arbitrage est rejeté par les présentes.
Commission des relations de travail dans la fonction publique
Page 26 m e Matthews avec les enquêteurs de me Matthews ainsi que celui de m e Matthews se rapproche le m e Matthews m e Matthews étaye ma conclusion. En me Matthews et celles de me McMullin vient me Matthews m e Matthews ou M m e McMullin ont fabriqué
Décision Page 27 Donald MacLean, Arbitre et commissaire
MONCTON, le 20 août 1998. Traduction certifié conforme Serge Lareau
Commission des relations de travail dans la fonction publique
ADDENDUM Je ferais preuve de négligence si je ne faisais pas d'observations sur l'existence et l'impact du « code d'honneur » à Renous (comme on appelle affectueusement l'établissement de l'Atlantique dans les médias). L'agent négociateur reconnaît l'existence d'un code d'honneur à l'établissement. Il voudrait nous faire croire que l'employeur en a exagéré l'importance et l'impact. Ses témoins ont déclaré ne l'appliquer que lorsque les agents ont commis des écarts de conduite mineurs, c'est-à-dire quand un agent fautif peut être admonesté ou intercepté discrètement à la sortie pour lui rafraîchir la mémoire au sujet du règlement de l'établissement. Une fois prévenu de son écart de conduite, l'agent ne récidivera plus. En théorie donc, il n'est pas nécessaire de signaler au surveillant ou à la direction un agent qui s'est endormi durant son quart ou qui est arrivé en retard pour relever un collègue. En d'autres termes : « Nous nous organisons entre nous. »
Par ailleurs, selon l'agent négociateur, les agents font preuve de professionnalisme dans les cas graves. Ils dénonceraient un collègue qui est accusé de harcèlement sexuel.
La preuve démontre le contraire. Le code d'honneur est pris au sérieux par les agents de correction à Renous. Ce code est une façon de dire à tout le monde : si vous dénoncez un collègue, peu importe la gravité ou l'évidence de l'accusation, vous allez le payer cher. Nous vous ferons la vie dure. Non seulement nous vous « bouderons » (la règle du silence), nous vous ferons aussi attendre aux portes entre deux sections et, pire encore, nous prendrons notre temps pour répondre à un appel à l'aide, si nous décidons d'y répondre. Nous vous donnerons des avertissements en glissant un poisson mort dans votre boîte aux lettres, en dégonflant vos pneus dans le stationnement de l'établissement. Et puis, soit dit en passant, si les écrous des roues de votre voiture sont dévissés ou si, par hasard, le dispositif de sécurité du capot de votre voiture a été relâché, ce n'est que pure coïncidence. Peut-être s'agit-il de véritables coïncidences. Mais, au bout d'un certain temps, vous aurez compris : nous ne voulons plus vous voir ici, peu importe vos qualités d'agent. Nous ne voulons pas de vous ici! Qu'est-ce que ça vous prend pour vous le faire comprendre? C'est là le
message qui est envoyé à l'agent qui ose enfreindre le code. Dénoncer un collègue à la direction, peu importe la gravité de l'incident, c'est signer son arrêt de mort. Voilà ce qui s'est produit dans les cas de M mes Matthews et McMullin en l'occurrence. Leur vie est devenue intenable au point où elles ont été obligées quitter la région de Miramichi.
Une façon de voir aussi primitive ne vaut rien de mieux que l'infâme code que les détenus ont la mauvaise réputation d'appliquer. Pour des personnes qui ont juré de respecter et d'appliquer la loi, non seulement une telle réaction à des incidents graves les amène au plus bas niveau, elle en fait des barbares qui s'approprient le droit de décider ce qui est permis ou non à l'établissement. Elle éveille en eux les bas instincts qui leur permettent de rationaliser leurs agissements sur la notion de réalité. « C'est nous qui menons » et que Dieu vienne en aide à ceux et celles qui se trouvent sur notre chemin. Nous leur ferons leur affaire!
Une façon de voir aussi tordu est inacceptable pour toute personne sensée dont le devoir comme agent de la paix est d'appliquer la loi. L'époque où un agent se devait d'entretenir une telle animosité et lui laisser dicter ses actions au travail est depuis longtemps révolue.
Cela ne signifie pas que les agents n'ont pas le droit de se défendre quand des allégations sont formulées. Les procédures de médiation, de grief et d'arbitrage sont là pour soutenir un collègue. C'est là où la procédure de recours entre en jeu.
Le problème se pose lorsque les agents décident d'accorder leur appui à un collègue au détriment des autres. C'est inacceptable. Au travail, un agent doit pouvoir compter sur le professionnalisme de ses collègues tout au long de la journée. Quand ces derniers décident de refuser de l'aider par solidarité avec un autre collègue, c'est à ce moment-là qu'ils oublient leur professionnalisme et la règle de droit. Lorsque cela se produit, personne à l'établissement, ou à l'extérieur, n'est en sécurité. En effet, la sécurité de tout le monde devient subordonnée aux caprices du partenaire durant le quart, ce qui est, au mieux, une perspective très effrayante quoique peu probable. Un agent ne peut pas se permettre de prendre de chances car les enjeux sont trop importants : il s'agit de sa vie, de sa personne. Personne ne devrait avoir à prendre des
précautions au travail par crainte de représailles. Cela nuit au bon fonctionnement de l'établissement. Il faut que cessent ces actes de représailles.
Donald MacLean, arbitre et commissaire
Moncton, le 20 août 1998.