Décisions de la CRTESPF

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Résumé :

Suspension (10 jours) - Harcèlement sexuel - Conduite en dehors des heures de travail - Atelier à l'extérieur de la ville - Consommation excessive d'alcool - Crédibilité - à la suite d'une enquête découlant de plaintes présentées par deux fonctionnaires de sexe féminin, le fonctionnaire s'estimant lésé s'est vu imposer une sanction disciplinaire pour les avoir harcelées sexuellement en dehors des heures de travail, en soirée, après un atelier tenu à l'extérieur de la ville - la preuve a établi que le fonctionnaire avait consommé une quantité considérable d'alcool ce soir-là - la première plaignante a allégué que le fonctionnaire avait mis son bras autour d'elle et lui avait palpé le sein pendant qu'elle était assise à ses côtés - la seconde plaignante a allégué qu'il l'avait à deux occasions embrassée sur la joue et serrée contre lui contre son gré - ni l'une ni l'autre des plaignantes n'avaient eu des problèmes concernant le fonctionnaire avant la soirée en question - le fonctionnaire a nié que ces incidents s'étaient produits - subsidiairement, le fonctionnaire a fait valoir que sa conduite n'était pas reliée au travail et qu'elle ne pouvait donc faire l'objet de sanction disciplinaire puisque le tout s'était produit en dehors des heures de travail - le témoignage des autres témoins a corroboré au moins en partie les allégations des plaignantes - l'arbitre a conclu que le fonctionnaire avait commis les actes d'inconduite qui lui étaient reprochés - toutefois, ce type de conduite ne lui ressemblait pas et était probablement attribuable à sa consommation excessive d'alcool - l'arbitre a conclu que l'employeur devait prendre des mesures à l'égard du harcèlement dont le fonctionnaire s'était rendu coupable à l'endroit des plaignantes puisque celui-ci avait commis ces actes dans le contexte d'un programme de formation sanctionné par l'employeur et que les employés se faisaient rembourser leurs frais en vertu des dispositions pertinentes de la Directive sur les voyages - la conduite du fonctionnaire était donc reliée au travail - en outre, ces personnes travaillaient toutes ensemble et les actes du fonctionnaire avaient obligé le déplacement des plaignantes afin qu'elles aient le moins de contact possible avec lui - l'employeur avait pris en considération les longs états de service du fonctionnaire sans sanction disciplinaire, sans quoi la sanction aurait été beaucoup plus sévère - dans les circonstances, l'imposition par l'employeur d'une suspension de 10 jours au fonctionnaire pour son inconduite était raisonnable. Grief rejeté. Décisions citées :Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354; Cluff et la Commission canadienne des droits de la personne, [1994] 2 C.F. 176; Canadian Broadcasting Corporation and Canadian Media Guild (1998), 70 L.A.C. (4th) 44; Gravel (166-2-21603); Taylor (166-2-26318).

Contenu de la décision

Dossier : 166-2-28274 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE BERNARD PETER YOUNG fonctionnaire s'estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Affaires indiennes et du Nord Canada)

employeur

Devant : Joseph W. Potter, président suppléant Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Kenneth B. Young, avocat Pour l'employeur : Robert B. Lindey, avocat, et Cynthia C. Myslicki,avocate Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba), du 15 au 17 juin 1999

Décision DÉCISION Page 1 M. Bernard Young, qui occupe à Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC) un poste de niveau PM-4, a déposé un grief contestant la suspension de 10 jours qui lui a été imposée le 28 novembre 1996. La lettre disciplinaire (pièce E-5) dit notamment ce qui suit :

[Traduction] Lettre disciplinaire - suspension sans traitement La présente lettre fait suite aux plaintes de harcèlement sexuel qui ont été portées contre vous à propos d'incidents qui se seraient produits à l'atelier des Services de financement à Gimli (Manitoba) les 17 et 18 septembre 1996. Une enquête a eu lieu et le rapport qui s'en est suivi vous a été remis.

À la suite de cette enquête, j'ai accepté les conclusions du rapport et je suis convaincu que vous vous êtes comporté d'une façon inappropriée justifiant une sanction disciplinaire. Votre comportement contrevient à la politique du Ministère sur la prévention du harcèlement et est clairement inacceptable.

En raison de ce qui précède, vous êtes suspendu sans traitement pendant 10 jours, soit du lundi 2 décembre au vendredi 13 décembre 1996 inclusivement. Pendant cette période de suspension vous ne devez ni pénétrer dans les locaux du Ministère ni avoir de contact avec les employés du Ministère, sauf avec l'autorisation expresse du directeur des Services de financement, Arun Dighe.

[...] L'avocat de l'employeur a demandé que, dans la décision écrite, les noms des plaignantes ne soient pas mentionnés, et l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé ne s'y est pas opposé. Par conséquent, je désignerai simplement les deux plaignantes comme étant la témoin n o 1 ou la témoin n o 2, selon le cas. L'avocat de l'employeur a Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 2 produit 10 pièces et a présenté quatre témoins en interrogatoire principal, et il en a présenté deux autres en guise de réfutation (pour l'un des témoins, les parties ont convenu de ce qu'elle dirait si elle témoignait).

L'avocat du fonctionnaire a déposé une pièce et a présenté quatre témoins pour étayer la preuve du fonctionnaire s'estimant lésé.

À la demande de l'employeur, j'ai autorisé l'exclusion des témoins. Preuve M me Brenda Kustra, la directrice du bureau régional du Manitoba d'AINC, a témoigné qu'en 1996 elle avait la responsabilité générale de quelque 200 fonctionnaires à temps plein dans la région. Elle était notamment responsable d'une section appelée la Direction des services de financement, 45 à 50 employés travaillaient et négociaient avec diverses Premières nations à propos de questions diverses. Cette direction employait notamment des agents des services de financement (ASF), dont faisaient partie le fonctionnaire s'estimant lésé ainsi que les témoins n os 1 et 2. Les 17 et 18 septembre 1996, la Direction des services de financement a tenu un atelier à l'extérieur des bureaux, plus précisément à Gimli (Manitoba), l'objectif duquel était de promouvoir le travail d'équipe. Ironiquement, c'est à l'atelier que le présumé harcèlement sexuel a eu lieu.

Premier incident La témoin n o 1 a déclaré qu'elle était entrée au service d'AINC environ un an et demi avant la tenue de l'atelier, et qu'elle avait eu des contacts occasionnels avec le fonctionnaire s'estimant lésé, pendant les heures de travail seulement, sans qu'il ne survienne d'incident négatif avant celui en question.

La témoin n o 1 a affirmé qu'elle avait quitté le bureau régional par autobus, afin de se rendre à l'atelier avec la plupart de ses collègues de travail, le matin du 17 septembre. Après l'arrivée et l'inscription des participants, l'atelier a débuté vers 10 heures et a duré jusqu'à 16 h 30, aux environs, le premier jour. Après 16 h 30, chacun allait il voulait, étant donné que rien n'était prévu par la suite. La témoin et

Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 3 quatre ou cinq de ses collègues ont dîné ensemble à l'hôtel. Une salle de réception avait été aménagée et la témoin n o 1 y s'est rendu entre 20 h et 21 h. Après, la témoin n o 1 s'est rendue à un bar local avec ses collègues, elle est demeurée environ deux heures. Jusque-là, elle a témoigné avoir consommé deux verres de vin avec son repas et deux scotches au bar.

La témoin a quitté le bar et s'est rendue à la plage située tout près, étant donné qu'un groupe de collègues de travail avait dit qu'il continuerait de bavarder et de chanter. La témoin a observé de 10 à 12 personnes assises en cercle sur la plage qui chantaient et qui jasaient. Elle a quitté brièvement les lieux, puis elle y est retournée entre 23 h 30 et minuit et elle a bavardé avec quelques collègues de travail, dont la témoin n o 2. La témoin n o 1 s'est ensuite assise près du fonctionnaire s'estimant lésé, puisque c'était la seule place libre dans le cercle. Elle cherchait à éviter tout contact avec un gestionnaire (pas le fonctionnaire s'estimant lésé) qui lui avait fait des avances non désirées pendant la soirée. La témoin a déclaré qu'elle n'était que depuis une minute environ lorsque M. Young a mis son bras autour de ses épaules et que sa main a abouti sur sa poitrine et, a-t-elle témoigné, « il m'a palpé ». Elle a crié, puis elle a bondi de son siège et l'a regardé. Elle a dit qu'il était dans un état de stupeur et qu'il semblait très ivre à ce moment-là.

La témoin n o 1 a déclaré qu'elle a immédiatement quitté la plage et qu'elle est retournée à l'hôtel. En attendant à l'ascenseur, elle a vu un autre collègue, M. Roy Jangula, et elle lui a demandé de la sortir de l'hôtel. Ils sont sortis marcher le long de la plage.

M. Jangula était lui aussi un ASF qui assistait à l'atelier. Il s'est entretenu avec ses collègues après la fin de l'atelier le 17 septembre et, vers 00 h 30, il se trouvait dans le lobby de l'hôtel, il a aperçu la témoin n o 1 près de l'ascenseur. Elle semblait affolée et elle a demandé à M. Jangula de la sortir de l'hôtel. Il l'a prise par le bras et ils ont marché pendant environ une heure. La témoin n o 1 a expliqué qu'elle était harcelée par un gestionnaire, mais elle n'a pas mentionné, à ce moment-là, que M. Young lui avait saisi un sein. Elle a ensuite dit à M. Jangula qu'elle ne voulait plus parler de l'incident. Ils sont retournés à l'hôtel et la témoin n o 1 est allée à sa chambre. M. Jangula a témoigné que le lendemain, lorsqu'ils sont retournés au bureau après la fin de l'atelier, la témoin n o 1 lui a parlé du fait que M. Young lui avait saisi un sein. Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 4 Elle lui a dit, a-t-il témoigné, qu'elle se sentait sale et violentée par cette action et qu'elle voulait s'amputer le sein.

Second incident La témoin n o 2 est entrée au service d'AINC le 16 janvier 1995, elle aussi à titre d'ASF. Elle aussi a assisté à l'atelier les 17 et 18 septembre 1996. Elle connaissait M. Young en tant que collègue de travail, encore qu'elle n'ait pas travaillé directement avec lui. C'était un type tranquille, a-t-elle dit, et il avait toujours une histoire à raconter. Avant l'atelier, elle n'avait éprouvé aucun problème concernant M. Young.

La témoin n o 2 a expliqué qu'à la fin de l'atelier le premier jour elle est allée dîner, puis elle s'est rendue à la salle de réception et elle est finalement arrivée à la plage vers minuit, le 17 septembre. Jusqu'alors, a-t-elle précisé, elle avait eu quatre consommations. À la plage, elle s'est assise près de M. Young et l'a salué. Il a mis son bras autour d'elle, l'a ramenée vers lui et l'a embrassée sur la joue droite. Elle lui a dit non et elle est partie. Il avait les yeux ternes, a-t-elle ajouté, et elle l'a quitté. Elle est retournée à l'hôtel, elle a rencontré un collègue, M. Fontaine, qui lui a demandé si elle voulait l'aider à nettoyer la salle de réception. M. Fontaine, dans son témoignage, a corroboré ce fait. Elle a accepté, puis elle est allée à sa chambre. Lorsqu'elle y est arrivée, sa camarade de chambre et quelqu'un d'autre conversaient, alors elle est partie et elle est retournée à la plage. En approchant du groupe, elle a aperçu M. Young qui s'éloignait; elle est allée retrouver le groupe, sans toutefois s'asseoir. Lorsqu'elle s'est tournée vers le groupe, M. Young est arrivé par sa gauche et l'a embrassée de nouveau sur la joue gauche. La témoin n o 2 a dit s'être éloignée et avoir dit qu'elle partait. Elle a témoigné que deux collègues, Stella Pruse et Earl Fontaine, lui ont tous les deux demandé de ramener M. Young à l'hôtel, mais elle a dit non. M m e Pruse et M. Fontaine ont témoigné ne pas avoir fait cette demande à la témoin n o 2. Quoi qu'il en soit, la témoin n o 2 marchait en direction de l'hôtel et elle a témoigné qu'elle était bouleversée. M. Young se dirigeait lui aussi vers l'hôtel et il a réussi à la prendre dans ses bras et à la serrer très fort. Elle a témoigné que les deux se sont rendus à l'hôtel. À l'ascenseur, la témoin n o 2 a demandé à M. Young s'il avait ses clés et, pendant qu'il les cherchait, elle s'est libérée de son emprise et a aperçu M. Jangula dans le lobby. Il lui a demandé si elle était bien, et elle a répondu par la

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Décision Page 5 négative. M. Jangula est ensuite venu la retrouver; il l'a sortie de l'hôtel et ils sont allés faire une marche.

M. Jangula a témoigné que, après qu'il eut aidé la témoin n o 1, il est allé à sa chambre mais, vers une heure, il s'est rendu dans le lobby de l'hôtel à la recherche d'une machine distributrice. En entrant dans le lobby, il a aperçu près de l'ascenseur la témoin n o 2 et M. Young, qui s'était abattu sur cette dernière. M. Jangula est allé aider la témoin n o 2 et lorsqu'il est arrivé, M. Young l'a repoussé et a marmonné des mots incompréhensibles. La témoin n o 2, selon M. Jangula, avait l'air apeurée et lui a dit d'une voix à peine audible « s'il vous plaît, aidez-moi à sortir d'ici ». À ce moment-là, il l'a prise par le bras et l'a sortie de l'hôtel.

Une fois sortie de l'hôtel, la témoin n o 2 a éclaté en sanglots et a tenté de parler, mais, selon M. Jangula, elle n'y parvenait que péniblement. Elle semblait très perturbée, mais elle a fini par se calmer et a dit qu'elle avait été à la plage et que des collègues avaient exercé sur elle des pressions pour qu'elle ramène M. Young à l'hôtel. Elle a dit qu'elle ne voulait pas le faire, mais elle l'a finalement fait. Elle a dit que M. Young était ivre et difficile à mener; elle devait repousser ses avances, puisqu'il lui faisait des attouchements.

M. Jangula et la témoin n o 2 ont marché pendant environ une demi-heure, puis M. Jangula a raccompagné la témoin à sa chambre et il est retourné lui-même à la sienne pour le reste de la nuit.

M. Young a témoigné qu'il était entré au service d'AINC en mai 1985, et qu'il occupe actuellement un poste d'ASF, comme en 1996. Il a assisté à l'atelier qui, le 17 septembre, s'est terminé vers 16 h 30. Il n'y avait rien de prévu au programme pour les heures subséquentes et aucun temps supplémentaire n'était payé à quiconque pour assister à l'atelier. M. Young est allé dîner vers 17 heures, puis il est retourné à la salle de réception et y est demeuré jusqu'à vers 22 h 30, après quoi il s'est rendu avec des collègues à un autre bar local. Jusqu'à ce moment-là, il avait consommé environ trois bières. Il est resté au bar jusqu'à la fermeture, vers 12 h 30, et il a consommé quatre autres bières durant ce laps de deux heures. Un certain nombre des collègues de M. Young avaient continué de bavarder à la plage; par conséquent, il a acheté 12 autres bières et il est allé y joindre les six à huit collègues qui étaient assis en cercle et

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Décision Page 6 chantaient. Il s'est assis entre deux collègues et a bu trois autres bières en 30 minutes. Les deux personnes qui étaient assises à ses côtés se sont levées et mises à marcher autour, mais M. Young a témoigné que, comme il s'était récemment fracturé la jambe, il avait encore de la difficulté à marcher et il est demeuré assis. Beaucoup d'autres personnes consommaient de l'alcool à ce moment-là; le témoignage de M. Earl Fontaine a corroboré ce fait. Le fonctionnaire a déclaré que la témoin n o 1 ne s'est jamais assise près de lui et, en fait, il ne se souvient pas de l'avoir vue à la plage ce soir-là. Il n'est pas certain pourquoi elle a déclaré y avoir été, puisqu'il se souvient clairement de ce qui s'est passé ce soir-là.

Le fonctionnaire a témoigné que, vers 2 h 30, il s'est levé; il avait de la difficulté à marcher dans le sable. Il marchait en direction de l'hôtel lorsque la témoin n o 2 l'a rattrapé et lui a pris le bras pour l'aider à marcher. M. Young a affirmé que la témoin n o 2 ne s'est jamais assise près de lui à la plage. M. Young et la témoin n o 2 marchaient en direction de l'hôtel et, a-t-il déclaré, celle-ci l'a laissé et il a poursuivi son chemin quelque pas derrière elle. M. Young a expliqué qu'une fois rendu à la porte de côté de l'hôtel il a sorti sa clé pour ouvrir la porte et il a laissé entrer la témoin n o 2, qui s'est rendue à l'ascenseur. M. Young a dit avoir vu M. Jangula à l'ascenseur et lui avoir dit qu'ils revenaient de la plage. Il est ensuite entré dans l'ascenseur et il s'est rendu à sa chambre.

En contre-interrogatoire, M. Young a dit avoir consommé de 10 à 12 bières ce soir-là. Il a nié avoir mis les bras autour d'aucune femme ce soir-là, à l'exception de la témoin n o 2, qui l'a aidé à revenir de la plage. Il a admis par ailleurs avoir tenu la main de M me Gail Govereau-Asham, bien que ce ne fut que pendant quelques secondes et qu'il l'a fait parce qu'elle avait dit qu'elle avait froid aux mains; il les a donc prises pour les réchauffer.

M m e Stella Pruse est une ASF et elle a assisté elle aussi à l'atelier. La journée normale de travail, a-t-elle précisé, était de sept heures et demie et l'atelier a pris fin vers 16 h 30 le 17 septembre. Il n'y avait rien de prévu après ces heures et elle est allée dîner à la fin de l'atelier puis elle s'est rendue à la suite de réception. Par la suite, elle est allée au bar local avec un certain nombre de collègues, et à la fermeture du bar elle est allée à la plage. La politique ministérielle interdit la consommation d'alcool au

Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 7 travail et, si quelqu'un est pris à boire durant l'exercice de ses fonctions, il fait l'objet d'une sanction disciplinaire. Il y avait pas mal de monde qui buvait à la plage, a-t-elle dit.

M m e Pruse a témoigné avoir vu les témoins n pendant qu'elle circulait et qu'elle bavardait avec différentes personnes. Elle a déclaré y avoir également vu M. Young et, à la question de savoir s'il était sobre, elle a répondu qu'il n'aurait pas été légalement capable de conduire une voiture. Elle a vu M. Young quitter la plage et elle a aussi dit avoir vu la témoin n rendre à l'hôtel. M. Young avait le bras autour de la témoin n M. Nick Labay a témoigné qu'il était lui aussi à l'atelier et à la plage plus tard dans la soirée du 17 septembre. Il a vu la témoin n rappeler s'il avait vu la témoin n o 2. L'avocat de l'employeur a voulu citer un autre témoin en guise de réfutation, mais l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé s'y est opposé, affirmant qu'il avait terminé la présentation de sa preuve. L'avocat de l'employeur a affirmé que l'histoire du fonctionnaire avait changé depuis le début et qu'il était donc nécessaire de présenter d'autres témoins afin de réfuter ce que venait de déclarer M. Young.

J'ai permis à l'avocat de l'employeur de présenter la preuve de réfutation, et les parties ont convenu de ce que M m e Leona Engele dirait si elle témoignait. Ils ont convenu qu'elle dirait que M. Young avait mis son bras autour d'elle à la plage le soir du 17 septembre.

M me Gail Govereau-Asham a témoigné qu'elle était elle aussi sur la plage le soir en question et que M. Young l'avait serrée très fort dans ses bras. Plus tard, il a voulu lui prendre la main à trois occasions, mais chaque fois elle l'a retirée et lui a dit de « foutre le camp », utilisant des termes de plus en plus forts chaque fois qu'il tentait de lui prendre la main.

Voilà ce qui s'est passé le 17 septembre selon les divers témoins. Le 18 septembre, les témoins n o 1 et n dit avoir compris que M. Jangula était venu à la rescousse de la témoin n Commission des relations de travail dans la fonction publique

o 1 et n o 2 à la plage ce soir-là o 2 l'aider à marcher pour se o 2. o 1 sur la plage, mais il n'a pu se

o 2 parlaient ensemble et la témoin n o 2 a o 1, de même

Décision Page 8 qu'à sa propre rescousse la veille. La témoin n o 1 lui a demandé de quoi elle parlait et la témoin n o 2 a dit qu'elle avait eu un problème concernant M. Young la veille au soir. La témoin n o 1 a dit qu'elle n'était pas étonnée puisqu'elle avait eu un problème à son sujet également. Elles ont fait le trajet de retour au bureau ensemble et elles se sont échangé leurs sentiments à propos des événements relatés plus haut. La témoin n o 1 a déclaré avoir dit qu'elle était bouleversée et qu'elle voulait s'amputer le sein et en avoir un nouveau. Elle a réitéré ses commentaires à d'autres personnes, dont à M. Jangula, à une date ultérieure.

La témoin n o 2 a déclaré qu'une fois arrivée au bureau en fin d'après-midi le 18 septembre elle est allée au bureau de sa sœur et lui a raconté ce qui s'était passé. Ensemble elles sont allées au Personnel pour parler à la directrice, M m e Nan Rice. Le 19 septembre, la directrice des Resources humaines a mis la directrice régionale, M m e Kustra, au courant des faits et lui a dit que des allégations de harcèlement sexuel avaient été faites. Elle a témoigné qu'on lui a dit que les plaignantes étaient les témoins n o 1 et n o 2 et qu'elles alléguaient avoir fait l'objet d'avances physiques non désirées de la part de M. Young.

M me Kustra a déclaré avoir ensuite examiné la politique du Conseil du Trésor sur le harcèlement au travail (pièce E-2) ainsi que la politique ministérielle sur le harcèlement (pièce E-3). La politique ministérielle exige un milieu de travail exempt de harcèlement (voir l'alinéa 7.1a)) et, bien qu'il n'eût aucune plainte écrite, M m e Kustra a déclaré qu'il incombait à la direction de prendre les mesures voulues à partir de l'information dont elle disposait.

M me Kustra a en outre reconnu la pièce E-4, le code de déontologie du Ministère signé par M. Young le 5 janvier 1989. Elle a signalé un des points figurant dans ce document, à savoir que les employés doivent se conduire, durant l'exercice de leurs fonctions et en public, d'une manière à faire honneur à leur propre personne, au Ministère et à la fonction publique.

M me Kustra a témoigné avoir demandé à la directrice des Ressources humaines ainsi qu'au directeur général associé de la région de faire enquête au sujet des

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Décision Page 9 allégations. Il a été décidé de confier l'enquête à un enquêteur indépendant; par conséquent, le Ministère a retenu les services de TLS Enterprises.

Le 20 septembre, M me Kustra a communiqué avec M. Young et lui a demandé de venir la rencontrer dans son bureau. M. Young a affirmé que, comme il ignorait l'objet de la réunion, il a apporté avec lui ses dossiers de travail. À son arrivée au bureau de M me Kustra, on lui a dit que la témoin n o 2 l'avait accusé de harcèlement sexuel. Il a dit avoir été totalement abasourdi par cette allégation et il a expliqué qu'elle l'avait aidé à marcher lorsqu'il retournait à l'hôtel. Il a témoigné qu'à cette réunion il n'avait nullement été fait mention de quoi que ce soit à propos de la témoin n o 1. M me Kustra a fait remarquer qu'à l'issue de la réunion avec M. Young les témoins n o 1 et n o 2 ont toutes deux été déplacées à un autre étage, et qu'elles avaient poursuivi leur travail.

M. Young n'arrivait pas à croire l'allégation et n'a pas mangé pendant trois à quatre jours. La seconde allégation de harcèlement sexuel a été faite quelques jours plus tard et faisait également partie de l'enquête. M. Young a déclaré qu'il n'avait aucune idée de ce qui avait pu motiver la témoin n allégations, puisqu'il s'était toujours bien entendu avec elles. Il a dit avoir été terrassé par les allégations.

TLS Enterprises a mené l'enquête concernant les incidents. M. Young figurait parmi les personnes interrogées et il a déclaré que, avant qu'on l'interroge, il a reçu une lettre (pièce E-7) de TLS Enterprises expliquant les allégations qui avaient été faites. TLS Enterprises a soumis un rapport d'enquête le 12 novembre 1996 (pièce E-1). Au début de l'audience, l'avocat de l'employeur a affirmé qu'il allait produire ce rapport par l'entremise d'un représentant de la direction. L'avocat du fonctionnaire s'y est opposé, affirmant qu'il devait être présenté par son auteur. L'avocat de l'employeur a signalé qu'il ne le présentait pas pour la véracité de son contenu, mais plutôt pour montrer simplement que la direction avait reçu un rapport. L'avocat du fonctionnaire a accepté que le rapport soit produit à ces conditions.

M me Kustra a témoigné avoir reçu le rapport d'enquête (pièce E-1), qu'elle a jugé complet. Après avoir examiné les pièce E-1, E-2 et E-3, elle a consulté la directrice des Ressources humaines, ainsi que des fonctionnaires de l'administration centrale à

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o 1 ou la témoin n o 2 à faire ces

Décision Page 10 Ottawa, et il a été décidé d'imposer une suspension de 10 jours à M. Young. Au départ, M me Kustra estimait qu'une suspension plus longue était indiquée, mais, avant de décider de la sanction finale, elle a tenu compte du fait que le fonctionnaire avait à son crédit 11 années de service sans aucun incident disciplinaire.

La lettre disciplinaire (pièce E-5) a été remise au fonctionnaire le 28 novembre 1996.

En contre-interrogatoire, M me Kustra a affirmé que la plupart des employés s'étaient rendus à l'atelier et en étaient revenus en empruntant l'autobus fourni par le Ministère, mais que tous étaient en déplacement et qu'ils étaient censés demeurer à Gimli pendant la durée de l'atelier. M me Kustra a reconnu qu'il était inacceptable de consommer de l'alcool au travail et qu'elle considérait que les événements avaient eu lieu dans un milieu de travail, en partie à cause de la nature de l'atelier et du fait que ses objectifs continuaient tout au long de la durée de l'atelier.

Argumentation de l'employeur L'avocat affirme que l'employeur a montré, d'après la prépondérance des probabilités, que les faits ont eu lieu tels qu'ils sont décrits dans l'avis de sanction disciplinaire. Les ASF ont participé à un atelier qui avait pour objet de promouvoir le travail d'équipe. Tous les fonctionnaires qui y ont assisté étaient considérés comme étant en déplacement et tous leurs frais leur été remboursés conformément à la Directive sur les voyages.

Les témoignages ont révélé que M. Jangula avait aidé tant la témoin n témoin n o 2 le soir du 17 septembre. M. Jangula était un témoin digne de foi et il n'avait aucun intérêt à faire valoir par rapport aux faits en question. On devrait donc le croire lorsqu'il affirme que tant la témoin n bouleversées lorsqu'il les a rencontrées, tout comme on devrait croire ce qu'il affirme qu'on lui a dit ce soir-là. Les déclarations qu'ont faites ces témoins à l'audience d'arbitrage concordent avec ce qu'elles ont dit à M. Jangula le soir du 17 septembre.

Les témoins n o 1 et n o 2, dans leur témoignage, ont toutes les deux expliqué clairement elles étaient le 17 septembre. M toutes les deux sur la plage ce soir-là et elle a affirmé avoir aperçu la témoin n Commission des relations de travail dans la fonction publique

o 1 que la o 1 que la témoin n o 2 semblaient

m e Stella Pruse a témoigné les avoir vues o 2

Décision quitter la plage et l'avoir entendue dire qu'elle en avait assez. Il ne devrait y avoir aucun doute que les deux femmes étaient sur la plage le soir en question, en dépit du fait que M. Young a déclaré qu'il ne se souvenait pas d'avoir vu la témoin n plage ce soir-là.

Le fonctionnaire s'estimant lésé a admis qu'il ne pouvait penser à aucune raison pour laquelle la témoin n o 1 ou la témoin n o 2 aurait fabriqué une telle histoire. La témoin n o 1 et la témoin n o 2 ont toutes les deux vues la stupeur d'ivrogne de M. Young et M me Pruse a déclaré qu'à son avis M. Young était dans un état d'ivresse trop avancé pour pouvoir conduire une voiture ce soir-là.

M. Young a déclaré qu'il n'avait touché à personne le soir du 17 septembre, exception faite de l'aide qu'il avait reçue de la témoin n o 2. Or il a été établi en contre- preuve qu'il avait serré M. Engele fort dans ses bras et, de plus, qu'il avait tenté de prendre la main de M me Gauvereau-Asham à trois reprises en dépit du fait qu'elle lui avait dit fermement de ne pas le faire. Cela contredisait le témoignage du fonctionnaire, qui a dit n'avoir tenu sa main que pendant quelques secondes et l'avoir fait après qu'elle eut dit qu'elle avait froid.

Selon l'avocat de l'employeur, le fonctionnaire a été évasif et vague et il a constamment changé son témoignage; la preuve de l'employeur, ajoute-t-il, était crédible.

En ce qui a trait à la politique du Conseil du Trésor, l'objectif visé est un degré de tolérance zéro. De plus, le code de conduite, que le fonctionnaire a signé, oblige les employés à se conduire à la satisfaction de l'employeur. Ici, la nature de la faute de conduite est grave. La preuve a montré que M. Young avait à maintes reprises touché et embrassé les plaignantes et que, dans le cas de la témoin n o 1, il lui avait saisi le sein. La direction était tenue de prendre des mesures concernant ce harcèlement; l'avocat se réfère à l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor) [1987] 2 R.C.S. 84.

Il n'est pas rare qu'on envoie des employés suivre des programmes de formation et l'employeur a le droit de compter qu'ils se conduiront comme s'ils étaient au travail.

Commission des relations de travail dans la fonction publique

Page 11 o 1 sur la

Décision Page 12 Subsidiairement, l'avocat soutient que les politiques relatives à la conduite des employés en dehors des heures de travail s'appliquent ici et il invoque à l'appui la section 7:3010 de l'ouvrage de Brown et Beatty intitulé Canadian Labour Arbitration (troisième édition).

L'avocat me renvoie à la jurisprudence suivante de la Commission : Gravel (dossier 166-2-21603); Dell, Philipchuk et Swweeny (dossiers 166-2-25124 à 26 et 25189 à 91); Kahlon (dossier 166-2-20871); Frankel (dossier 166-2-23022); Taylor (dossier 166-2-26318); Lagacé (dossier 166-2-25915); et Teeluck (dossier 166-2-27956).

Argumentation du fonctionnaire s'estimant lésé L'avocat du fonctionnaire fait valoir une argumentation à deux volets, à savoir que ce qui s'est produit le soir en question n'était pas du harcèlement ou, deuxièmement, si je conclus qu'il y a eu harcèlement, qu'il ne s'est pas produit dans un lieu de travail et, par conséquent, qu'il ne peut faire l'objet d'une sanction disciplinaire. L'avocat souligne que l'arrêt qui fait jurisprudence relativement au deuxième point est celui qu'a rendu la Cour fédérale (1 r e inst.) dans Cluff et la Commission canadienne des droits de la personne [1994] 2 C.F. 176.

L'avocat revoit le témoignage de M me Kustra, qui a affirmé que la consommation d'alcool était formellement interdite au travail. Toute la preuve donne à croire qu'on a beaucoup consommé d'alcool après 16 h 30 le 17 septembre, et qu'aucune activité reliée au travail n'a eu lieu après 16 h 30. En fait, d'affirmer l'avocat, l'employeur n'a avancé aucun élément de preuve pour montrer qu'il s'était produit quoi que ce soit de relié au travail après 16 h 30. Tous les témoins ont corroboré le fait que le programme officiel ne comportait aucune activité professionnelle après 16 h 30, ce qui avait lieu par la suite étant de nature sociale. Aucune des activités telles que le fait de consommer de l'alcool, de s'amuser, etc. ne pouvait être considérée comme étant reliée au travail. Par conséquent, ce qui a pu se produire après la fin de l'atelier le jour en question n'avait pas de rapport à l'atelier. L'employeur n'avait à proprement parler aucun contrôle sur les employés au-delà de 16 h 30 le 17 septembre. Chacun était libre de faire à sa guise après 16 h 30 et il n'était pas loisible à l'employeur de leur imposer des sanctions disciplinaires en raison d'aucune de ces activités.

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Décision Page 13 M. Young a été clair dans son témoignage. Il a affirmé avoir bu 12 bières pendant la soirée, mais il se souvenait clairement de ce qui s'était produit ce soir-là. La témoin n o 2 l'a aidé à se rendre à l'hôtel et il a catégoriquement nié l'avoir touchée ou l'avoir harcelée d'une façon ou d'une autre. Il a en outre affirmé ne pas se rappeler s'être assis à côté de la témoin n o 1 pendant qu'il était sur la plage. Le lendemain il n'a aucunement été fait mention du fait qu'il y avait eu harcèlement et, en fait, la témoin n o 2 a attendu d'être revenue à Winnipeg avant de faire quoi que ce soit. Ni la témoin n o 1 ni la témoin n o 2 n'ont jamais déposé de plainte écrite.

Réfutation Il n'est pas nécessaire qu'il y ait eu une plainte écrite avant que l'on puisse entamer une enquête concernant des actes présumés de harcèlement (voir la pièce E-3, article 5.4). M. Young s'est vu remettre par TLS Enterprises un document décrivant les actes présumés de harcèlement (pièce E-7).

L'arrêt Cluff (supra) ne s'applique pas en l'occurrence puisqu'il portait sur un appel d'une décision du Tribunal des droits de la personne. De plus, la politique du Conseil du Trésor ne limite pas au cadre de l'emploi les situations des mesures doivent être prises.

Motifs de la décision La preuve non contestée montre que M. Young a bu le soir du 17 septembre 1996. Il a concédé avoir bu 10 à 12 bières ce soir-là et M me Pruse a affirmé que, à son avis, il était dans un état d'ébriété trop avancé pour conduire. Heureusement, il n'avait pas à le faire, mais il est facile de conclure que le fonctionnaire était en état d'ébriété le 17 septembre lorsqu'il assistait à l'atelier à Gimli. Bien qu'il ait affirmé se souvenir clairement des faits qui se sont produits ce soir-là, j'estime qu'il est fort probable que son souvenir a été embrouillé par la consommation de l'alcool. Je dirais donc qu'il n'a pas menti à propos des événements qui ont eu lieu sur la plage, mais qu'en fait le souvenir qu'il en avait était plutôt embrouillé à cause de la consommation d'alcool.

M. Young a déclaré que, puisque la témoin n question, rien ne s'est produit à son sujet. Commission des relations de travail dans la fonction publique

o 1 n'était pas sur la plage le soir en

Décision Page 14 La témoin n o 1 a déclaré qu'elle y était et M m e Pruse, qui a été citée par le fonctionnaire s'estimant lésé, a déclaré l'avoir vue sur la plage. M. Jangula a témoigné qu'il avait parlé à la témoin n o 1 lorsqu'elle était revenue de la plage, qu'elle était bouleversée et qu'elle s'était confiée à lui.

Je n'ai aucune difficulté à conclure que la témoin n sur la plage le 17 septembre.

La témoin n o 1 a déclaré que M. Young lui avait palpé le sein. Personne n'a déclaré avoir été témoin de cet incident, que M. Young a d'ailleurs nié.

Un des arrêts qui fait jurisprudence relativement à la crédibilité des témoins est une décision rendue par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans Faryna c. Chorny [1952] 2 D.L.R. 354. À la page 357, le juge d'appel O'Halloran dit ce qui suit :

[Traduction] [...] On ne peut apprécier la crédibilité des témoins intéressés, notamment lorsque la preuve est contradictoire, uniquement en se demandant si le témoin, par son comportement, donne l'impression de dire la vérité. Sa version des faits doit faire l'objet d'un examen raisonnable visant à établir si elle concorde avec les probabilités qui entourent les conditions qui existent alors. En bref, ce qui permet de vérifier réellement si le témoin dit la vérité en pareil cas, c'est la compatibilité de sa version avec la prépondérance des probabilités que reconnaîtrait d'emblée une personne pratique et informée qui se trouverait dans ce lieu et dans ces conditions. [...]

M. Young a déclaré qu'il s'entendait bien tant avec la témoin n o 1 qu'avec la témoin n o 2 avant les incidents qui ont eu lieu à l'atelier. Il n'y avait aucune raison apparente qui aurait pu les motiver à mentir sur ce qui s'était produit, et on ne m'a pas expliqué pourquoi elles auraient pu mentir. Or c'est ce que M. Young prétend. Afin de

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o 1 se trouvait effectivement

Décision Page 15 déterminer qui dit la vérité, il est utile d'examiner dans quelle mesure son histoire concorde avec la déposition des autres témoins.

M. Jangula est une partie désintéressée. On n’a pas mentionné à l’audience qu’il aurait un compte à régler, pour ainsi dire, avec qui que ce soit. Il a semblé sincère lorsqu'il a témoigné, il a été direct, et il ne s'est pas contredit. Il a déclaré avoir rencontré la témoin n o 1 vers 12 h 30 dans le lobby de l'hôtel et celle-ci lui a paru affolée. Elle a demandé de l'aide et il l'a accompagnée à l'extérieur de l'hôtel. Elle a expliqué qu'elle était bouleversée parce qu'un gestionnaire l'avait tripotée. Bien qu'elle n'ait pas mentionné que M. Young lui avait saisi le sein durant cette discussion, il a témoigné qu'elle lui avait relaté l'incident le lendemain au bureau. Elle lui avait dit, a-t-il affirmé, qu'elle se sentait sale et qu'elle voulait s'amputer le sein en raison de ce qu'avait fait M. Young. Il est peu probable, à mon avis, que celle-ci ait pu avoir un tel sentiment si l'incident n'avait pas effectivement eu lieu tel qu'elle l'a raconté. Le fait que la témoin n o 1 n'a pas mentionné cet incident particulier à M. Jangula le soir du 17 septembre, c'est-à-dire le soir même l'incident aurait eu lieu, n'indique pas, à mon avis, que l'incident n'a pas eu lieu. La témoin n o 1 était affolée à la suite des avances non souhaitées dont elle avait fait l'objet de la part d'un gestionnaire, ainsi qu'en raison de ce qu'avait fait M. Young. J'estime que ce n'était qu'une question de degré ici, et que la témoin n o 1 était davantage troublée par les avances du gestionnaire, qui avaient duré toute la soirée, qu'elle ne l'était, à ce moment-là, par le comportement de M. Young. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'elle considérait la conduite de M. Young comme acceptable. Tout au contraire, la preuve a montré qu'elle avait été bouleversée par le fait que M. Young lui avait saisi le sein, à un point tel qu'elle a dit vouloir se l'amputer.

Je conclus, d'après la prépondérance des probabilités et à la lumière des éléments de preuve qui m'ont été présentés, que ce présumé incident a vraiment eu lieu.

La témoin n o 2 a déclaré que M. Young l'avait embrassée sur la joue à deux reprises, en dépit du fait qu'elle lui avait dit non après la première fois. M. Young nie ces faits.

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Décision Page 16 Ici encore je me tourne vers le témoignage de M. Jangula afin de déterminer la probabilité de savoir si oui ou non les faits allégués se sont produits. M. Jangula a rencontré la témoin n o 2 dans le lobby de l'hôtel, près de l'ascenseur, M. Young s'agrippait à elle. M. Jangula a témoigné qu'elle paraissait affolée, et lorsqu'il a approché elle a prononcé d'une façon à peine audible les mots « s'il vous plaît veuillez m'aider ». Il a en outre témoigné que M. Young avait marmotté quelque chose d'incompréhensible. M. Young a témoigné avoir accompagné la témoin n o 2 à l'hôtel, puisqu'elle l'aidait, puis qu'il avait simplement pris l'ascenseur et qu'il était allé à sa chambre. Ici encore, on n'a avancé aucune raison pour expliquer ce qui aurait pu motiver la témoin n o 2 à mentir au sujet des faits qui se sont produits; d'ailleurs, son témoignage a été corroboré par M. Jangula.

On m'a également expliqué que M. Jangula avait aidé la témoin n o 2 à sortir de l'hôtel et qu'ils étaient allés faire une marche, M. Jangula cherchant à la calmer. Celle-ci a raconté à M. Jangula qu'elle avait eu à repousser les avances de M. Young. Les deux ont marché pendant une trentaine de minutes et M. Jangula l'a raccompagnée à sa chambre. La témoin n o 2 n'avait aucune raison de mentir à propos de ces faits, et son attitude donnait à croire qu'il s'était passé quelque chose. Je conclus, ici aussi, que d'après la prépondérance des probabilités les faits reprochés ont eu lieu.

Je rejette par conséquent le premier argument avancé par l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé, à savoir que les faits reprochés n'ont pas eu lieu. Je conclus le contraire.

Dans le deuxième argument qu'il a fait valoir, l'avocat du fonctionnaire a soutenu que les faits, s'ils se sont produits, ont eu lieu en dehors du milieu de travail et que l'employeur ne peut imposer de sanction disciplinaire au fonctionnaire dans les circonstances. L'avocat m'a renvoyé à ce qu'il a qualifié d'arrêt de principe à l'appui de cet argument, à savoir la décision rendue par la Cour fédérale (1 r e inst.) dans Cluff et la Commission canadienne des droits de la personne (supra). Cette affaire avait trait à une demande de révision judiciaire d'une décision rendue par le Tribunal des droits de la personne, le requérant soutenant que le Tribunal n'avait pas compétence pour faire enquête étant donné que le présumé harcèlement sexuel n'avait pas eu lieu dans le cadre d'un emploi. La Division de première instance a rejeté la demande de révision. L'avocat de l'employeur a signalé qu'il s'agissait d'une décision de la Cour fédérale qui

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Décision Page 17 faisait suite à une décision du Tribunal des droits de la personne, lequel appliquait la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les définitions de harcèlement qu'on trouve dans la Loi canadienne sur les droits de la personne se trouvent, en l'occurrence, assimilées à la politique du Conseil du Trésor sur le harcèlement, et cette dernière va encore plus loin que la Loi. La politique ne limite pas le harcèlement au contexte d'un emploi.

Accepter la proposition avancée par l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé équivaudrait à nier le principe que, dans certaines situations, l'employeur peut imposer à un employé une sanction disciplinaire à la suite d'une conduite répréhensible en dehors des heures de travail.

Dans Canadian Labour Arbitration (supra), les auteurs Brown et Beatty écrivent, à la section 7:3010 :

[Traduction] Comportement en dehors des heures de travail [...] à moins que l'acte la situation faisant l'objet de la plainte ne nuise à la réputation de l'employeur, n'empêche l'employé de s'acquitter convenablement de ses fonctions professionnelles, n'incite d'autres employés à refuser de travailler avec cette personne ou à le faire à contrecœur, ou ne porte atteinte à la capacité de l'employeur de gérer et de diriger efficacement le processus de production, l'employeur n'est pas fondé à imposer une sanction disciplinaire à un employé pour une faute de conduite commise en dehors des heures de travail. Les arbitres ont reconnu que, sauf s'il a une raison opérationnelle importante et légitime de le faire, l'employeur n'a ni pouvoir, ni contrôle, ni intérêt, ni compétence à l'égard de la conduite d'un employé en dehors de ses heures de travail [...]

Autrement dit, un employé peut faire à bon droit l'objet de sanctions disciplinaires pour son inconduite après les heures de travail, selon les circonstances.

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Décision Page 18 Par conséquent, pourvu que des activités soient reliées au travail, je rejette le deuxième argument de l'avocat du fonctionnaire, à savoir qu'un employé ne peut être l'objet d'une mesure disciplinaire pour des activités qui ont eu lieu après la fin de la journée de travail.

Dans toute situation disciplinaire, le juge des faits doit déterminer si les actes présumés justifient en fait une sanction disciplinaire.

Dans la lettre disciplinaire, on peut lire que M. Young s'est conduit d'une façon inappropriée justifiant une sanction disciplinaire. Le comportement qu'il a eu, peut-on également y lire, contrevient à la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement et est manifestement inacceptable (voir la pièce E-5).

Les politiques du Conseil du Trésor et du Ministère définissent toutes les deux le harcèlement tout court et le harcèlement sexuel dans les termes suivants (voir les pièces E-2 et E-3) :

Appendice A Définitions Harcèlement : Tout comportement par une personne ou des personnes employées par le Ministère ou la Fonction publique du Canada, envers un autre fonctionnaire qui pourrait le blesser et dont l'importunité était connue du harceleur ou n'aurait pas lui échapper. Ceci comprend tout propos, action ou exhibition répréhensible qui humilie, rabaisse ou embarrasse un fonctionnaire, que ce soit une fois ou continuellement.

Il comprend le harcèlement tel que défini dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, c'est-à-dire le harcèlement qui peut être relié à un des motifs de distinction illicite suivants : la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la discrimination sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée. Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 19 Harcèlement sexuel : signifie tout comportement, conduite, propos, geste ou contact d'ordre sexuel, qu'ils ne se produisent qu'une fois ou en une série continuelle d'incidents dont :

a) Il est raisonnable de penser qu'il puisse choquer ou humilier un fonctionnaire; ou

b) Que le fonctionnaire peut raisonnablement interpréter comme l'assujettissement d'un emploi ou de chances de formation, de développement ou d'avancement de carrière à des conditions d'ordre sexuel.

[...] Le code de déontologie ministériel (pièce E-4), dont M. Young a accusé réception en 1989, dit notamment ce qui suit :

[Traduction] [...] - se conduire, au travail et en public, d'une façon à honorer leur propre personne, leur ministère et la fonction publique;

[...] Je n'ai aucune difficulté à conclure que les actes de M. Young correspondent à du harcèlement sexuel au sens on l'entend dans les politiques gouvernementales précitées. Lorsque M. Young a saisi le sein de la témoin n o 1, il a, à mon avis, commis un acte de nature sexuelle dont il est raisonnable de penser qu'il puisse la choquer ou l'humilier. Il n'y avait absolument aucune indication qu'une telle avance était souhaitée.

De même, le fait d'embrasser la témoin n o 2 était importun. Celle-ci l'a clairement dit après le contact initial, ce qui n'a pas empêché le fonctionnaire de l'embrasser de nouveau. Je note que l'arbitre Hope est arrivé à une conclusion semblable dans l’affaire Canadian Broadcasting Corporation and Canadian Media Guild

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Décision Page 20 (1998) 70 L.A.C. (4th) 44. À la page 86 de cette décision, l'arbitre Hope écrit, à propos d'une allégation selon laquelle l'employé aurait tenté avec force d'embrasser une collègue :

[Traduction] [...] l'employeur a fait face à une conduite équivalant à une agression sexuelle qu'il était fondé à soulever aux termes de l'article 14.

La politique du Ministère sur la prévention du harcèlement (pièce E-3) dit ceci à l'alinéa 6.1a) :

6.1 Énoncé de politique a) Toute forme de harcèlement constitue une mauvaise conduite et est passible de sanctions disciplinaires [...]

La politique précise en outre, à l'alinéa 6.1c) que : c) tous les fonctionnaires s'engagent à fournir un milieu de travail exempt de harcèlement.

À la page 1, la politique du Conseil du Trésor (pièce E-2) dit ce qui suit :

Les administrateurs généraux doivent : 1. créer un milieu de travail exempt de harcèlement [...] Par conséquent, je conclus qu'il incombe clairement à l'employeur de veiller à ce qu'il n'y ait pas de harcèlement au travail, et de prendre les mesures voulues le cas échéant. En l'occurrence, je conclus que l'employeur devait prendre des mesures à l'égard du harcèlement dont M. Young s'est rendu coupable en dehors de ses heures de travail, puisqu'il a commis ses actes dans le cadre d'un programme de formation sanctionné par l'employeur et que les employés se faisaient rembourser leurs frais en vertu des dispositions pertinentes de la Directive sur les

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Décision Page 21 voyages. En outre, ces personnes travaillent toutes aux Services de financement et les actes de M. Young ont rendu nécessaire le déplacement des témoins n o s 1 et 2 à un autre secteur afin qu'elles aient le moins de contact possible avec lui.

Enfin, je dois décider si la suspension de 10 jours était justifiée dans les circonstances. L'employeur a pris en considération les longs états de service du fonctionnaire sans sanction disciplinaire avant de décider de le suspendre pour 10 jours. M m e Kustra a en effet souligné que, en l'absence de tels antécédents, la suspension aurait été plus longue.

Dans Gravel (supra), l'ancien vice-président L.M. Tenace a ramené un congédiement à une suspension d'environ un an pour harcèlement sexuel et personnel. Dans Taylor (supra), la commissaire R.V. Simpson a confirmé un congédiement pour ce que l'on a jugé être une agression sexuelle (il y avait eu des baisers et des attouchements). Je conviens que les faits reprochés dans chacune de ces deux affaires étaient peut-être plus graves que ceux qu'on reproche au fonctionnaire en l'espèce, mais toutes proportions gardées, je ne trouve pas qu'une suspension de 10 jours est trop sévère pour les incidents qui ont eu lieu. L'employeur a reconnu les facteurs atténuants lorsqu'il a décidé de la sanction à imposer et je ne vois aucune raison de réduire celle-ci davantage. Le grief est donc rejeté.

J'aimerais faire un dernier commentaire. Ce n'était pas comme M. Young, semble-t-il de se conduire comme il l'a fait et on ne peut que présumer que ses actes sont imputables, jusqu'à un certain point, à la consommation excessive d'alcool.

Je n'ai rien entendu qui me permettrait de penser que, dans un milieu de travail normal, M. Young aurait tendance à harceler quelqu'un. En fait, c'est tout le contraire. Les témoins ont reconnu que, dans un milieu de travail normal, M. Young s'acquittait de ses fonctions d'une façon satisfaisante et, en fait, qu'il était très jovial. J'espère que tout le

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Décision Page 22 monde pourra mettre ces incidents derrière eux et retourner à une unité de travail productive et entièrement opérationnelle. Bien que nous ne puissions changer les faits qui ont eu lieu, nous pouvons certainement en tirer des leçons. Ce que l'on peut dire ici, c'est que les actes étaient inacceptables et qu'une sanction disciplinaire était justifiée. Toutefois, il s'agissait d'un comportement atypique en l'occurrence et j'espère sincèrement qu'il ne se répétera pas.

Joseph W. Potter, président suppléant

OTTAWA, le 4 août 1999. Traduction certifiée conforme

Serge Lareau

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