Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement (non disciplinaire) - Incapacité médicale - Devoir d'accommodement - le fonctionnaire s'estimant lésé était en congé de maladie non payé depuis sept ans lorsque l'employeur l'a licencié - la preuve a établi que l'état de santé du fonctionnaire avait empiré depuis son départ en congé de maladie et qu'il était peu probable qu'il puisse retourner travailler - le fonctionnaire a prétendu que le fait de lui refuser les crédits et l'argent qui lui permettraient de prendre sa retraite avec pleine pension quatre ans plus tard constituait de la discrimination fondée sur son incapacité physique - l'employeur se devait donc de l'accommoder, ce qui signifiait qu'il devait le garder sur sa liste de paye à moins de contrainte excessive - l'arbitre a conclu que le licenciement du fonctionnaire ne constituait pas de la discrimination étant donné que la pleine pension, à l'âge normale de la retraite, est un avantage qui s'obtient en travaillant. Griefs rejetés. Décisions citées : Dekoning (166-2-22971 et 149-2-129); McCormick (166-2-26274); MacNeill v. Canada (1994), 169 N.R. 368 (C.A.F.); Re O.N.A. and Etobicoke General Hospital et autres 14 O.R. (3d) 40 (Cour de sect. de l'Ontario).

Contenu de la décision

Dossiers : 166-2-28276 et 28277 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE R. LORNE WALTON fonctionnaire s'estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Service correctionnel du Canada)

employeur

Devant : Ken Norman, commissaire Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Edith Bramwell, Alliance de la Fonction publique du Canada Pour l'employeur : Robert Lindey, avocat Affaire entendue à Saskatoon (Saskatchewan), le 22 juin 1998.

DÉCISION M. Lorne Walton conteste son licenciement du Service correctionnel en alléguant que la mesure constitue de la discrimination fondée sur une déficience physique. M. Walton a commencé à travailler au Service correctionnel en 1976. Il a pris un congé de maladie non payé le 23 juin 1990 et a commencé à toucher des prestations d'invalidité (ILD-Sun Life). Son état de santé a empiré depuis. Par une lettre datée du 6 juin 1997, soit sept ans plus tard, M. W. Peet, directeur de l'établissement Riverbend, l'a avisé qu'il était licencié. M. Peet a donné les motifs suivants :

[Traduction] Les fonctionnaires en congé de maladie non payé qui ne prévoient pas retourner travailler dans un délai raisonnable ne doivent pas demeurer en congé non payé pendant une période indéterminée. Le Conseil du Trésor recommande de ne pas prolonger ce type de congé au-delà de deux ans et d'y mettre fin en faisant en sorte que le fonctionnaire retourne au travail, démissionne ou prenne sa retraite pour des raisons médicales ou qu'il soit renvoyé pour des motifs autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite.

Nous vous avons écrit afin de déterminer si vous aviez l'intention de reprendre vos fonctions dans un avenir prévisible. Votre médecin a indiqué dans sa dernière lettre que vous n'êtes pas en mesure de reprendre vos fonctions présentement à quelque titre que ce soit et qu'il ne sait pas quand vous pourrez le faire.

En rétrospective, je comprends très bien pourquoi la première option prévue dans la politique du Conseil du Trésor, soit le retour au travail, a pu paraître offensante à M. Lorne Walton et à son médecin. Un retour au travail, à quelque titre que ce soit, n'a jamais été envisagé par M. Lorne Walton. En outre, à l'époque même le sous-directeur, M. Doug Stewart, demandait un prognostic, M. Walton attendait anxieusement de subir une intervention chirurgicale à l'une de trois artères bloquées. Il est malheureux que la situation ait été expliqué M. Walton dans les termes elle a été expliquée. Après sept ans de silence de la part de l'employeur, alors que sa santé était fragile, le fait pour le fonctionnaire de se retrouver soudainement partie à une conférence téléphonique dirigée par M. Stewart pour déterminer quand il pourrait retourner au travail à quelque titre que ce soit, n’était pas la façon la plus délicate d’être initié à la politique du Conseil du Trésor. Toutefois, cette façon de faire ne peut être qualifiée de harcèlement. M. Stewart n'était pas au courant de l'état de santé de M. Walton. Il faisait ce qu'il croyait devoir faire - appliquer la politique du Conseil du Trésor à la lettre.

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Décision Page 2 Argumentation Pour l'employeur L'employeur soutient que la démarche adoptée en vertu de la politique du Conseil du Trésor en vigueur depuis le 23 septembre 1996 est tout à fait conforme au pouvoir qui lui est accordé en vertu de l'alinéa 11 (2) g) de la Loi sur la gestion des finances publiques. En effet, cette disposition enchâsse dans la loi la proposition en common law selon laquelle une déficience chronique annule le contrat d'emploi. Alors qu’il était président suppléant, M. Yvon Tarte a conclu, dans l'affaire McCormick (166-2-26274) (18 septembre 1995), qu'eu égard au critère du caractère raisonnable, l'employeur doit uniquement démontrer, en vertu de cette disposition, que le fonctionnaire, au moment de son licenciement, était inapte à travailler et qu'il n'était pas en mesure de retourner au travail dans un avenir prévisible. L'employeur invoque également la décision semblable rendue subséquemment par la commissaire Rosemary Simpson dans l'affaire Begley (166-2-26311) (26 juin 1997). Cette affaire Begley a ceci de nouveau qu’elle correspond à l'affaire McCormick même si l'Alliance de la Fonction publique du Canada a invoqué l'argument de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable et l'obligation d'accommodement de l'employeur. L'affaire Isfeld (166-2-27680) (J. Barry Turner) (26 juin 1997) reprend explicitement la décision rendue dans l'affaire McCormick, de nouveau compte tenu d'un argument semblable de l'Alliance, soit que l'obligation d'accommodement doit signifier que le fonctionnaire ayant une déficience physique doit continuer de faire partie de l'effectif sous réserve de contrainte excessive.

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé La représentante du fonctionnaire fait valoir au départ que la Loi sur la gestion des finances publiques doit être subordonnée aux dispositions énonçant les motifs de distinction illicite de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette thèse a été retenue dans l'affaire Dekoning (166-2-22971 et 149-2-129) (Albert S. Burke) (2 mars 1993). Ainsi, l’application de la politique du Conseil du Trésor équivaut à faire de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable relativement à un avantage conféré par l’exercice d’un emploi, en raison d’une déficience physique. En effet, la politique fait dire à l'employeur : « À cause de votre déficience, vous ne toucherez pas une pleine pension à la date normale de votre retraite. » L'employeur ne doit pas être autorisé à adopter cette position d'office. La représentante cite un certain nombre d'affaires condamnant l'application d'office de politiques de congédiement par suite d'absences prolongées pour cause de déficience qui ont

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Décision Page 3 eu pour effet de priver les plaignants de leur droit à l'arbitrage aux termes des dispositions des conventions collectives sur le congédiement pour motif valable : City of Stratford and CUPE (1990), 13 L.A.C. (4th) 1 (Marszewski), confirmée par la Cour divisionnaire de l'Ontario, (19 avril 1991), non publiée (voir Re ONA and Etobicoke General Hospital et al 14 O.R. (3d) 40 (Cour div. de l'Ont.) p. 42); Re Toronto Hospital and ONA (1992), 31 L.A.C. (4th) 44 (P.C. Picher); Re Ontario Human Rights Commission and Gaines Pet Foods Corporation (1993), 16 O.R. (3d) 290 (Cour div. de l'Ont.). L'employeur ne peut pas non plus se retrancher derrière la notion selon laquelle la déficience du fonctionnaire annule le contrat d'emploi à tous égards. The Corporation of the City of Gloucester and Gloucester Professional Fire Fighters' Association (Kates) (17 février 1996) (non publiée). Essentiellement, l'employeur doit composer avec la déficience du fonctionnaire, ce qui signifie qu'il doit le garder à son service à moins de pouvoir démontrer que cela lui impose une contrainte excessive.

Réfutation de l'employeur La présente affaire n'a aucun rapport avec les affaires de « licenciement d'office à la suite d'une absence prolongée » invoquées par la représentante du fonctionnaire. Dans lesdites affaires, les plaignants se voyaient priver de leur droit à une audience équitable du fait des dispositions sur le licenciement d'office. En l'espèce, l'exercice de ce droit n'est pas refusé. Le fonctionnaire a le droit d'être entendu et il a exercé ce droit devant l'arbitre soussigné. L'affaire City of Gloucester ne s'applique pas non plus. Dans cette affaire, qui portait seulement sur le droit continu de déposer un grief aux termes de la convention collective relativement à l’admissibilité aux prestations invalidité, le plaignant n'a pas été réintégré. Enfin, l’application de la politique du Conseil du Trésor ne constitue pas de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. S'il y a discrimination fondée sur une déficience physique, c'est de la discrimination « directe » et non pas de la discrimination « par suite d'un effet préjudiciable ». Par conséquent, la question de l’obligation d'accommodement ne se pose pas en l'espèce. MacNeill v. Canada , (1994) 169 N.R. 368 (C.A.F.).

Motifs Je dirai d’abord que je souscris à la thèse initiale de la représentante du fonctionnaire. Dans l'affaire Dekoning, le commissaire Albert Burke a déclaré ce qui suit à la page 49 :

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Décision Page 4 J'en suis venu à la conclusion que si le paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l'article M-16 de la convention cadre sont semblables, ce n'est pas un hasard: le législateur et les parties à la convention avaient les mêmes buts à l'esprit. Dans les deux cas, on vise à faire en sorte que les personnes visées, en l'occurrence celles qui sont atteintes d'une incapacité, ne fassent pas l'objet de discrimination. Par ailleurs, plusieurs arbitres, notamment M. Ken Norman dans l'affaire Le Syndicat des postiers du Canada c. la Société canadienne des postes (grief Wytrykush), ont déclaré que l'employeur avait l'obligation de composer avec les employés bénéficiant de la protection de lois telle la Loi canadienne sur les droits de la personne, surtout lorsque cela ne lui imposait pas des contraintes excessives.

Il suit que je ne suis pas convaincu qu’il y a une si grande différence entre la discrimination « par suite d'un effet préjudiciable » et la discrimination « directe », comme il a été établi dans l'affaire MacNeill c. Canada. Selon moi, il n'est pas du tout évident, à la lecture des exposés de la Cour suprême du Canada sur la discrimination au travail et l’obligation d'accommodement, que l'on puisse conclure de façon aussi nette que l’obligation d'accommodement ne s'applique que dans un cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable. En effet, je suis convaincu qu'une telle conclusion est plus un point de vue qu’un critère objectif. (Voir Shelagh Day & Gwen Brodsky, The Legal Duty to Accommodate: Who Benefits?, (1996) 75 Canadian Bar Review 433.)

Toutefois, je cesse de souscrire à l'argument de la représentante du fonctionnaire lorsqu’elle allègue que la politique du Conseil du Trésor est discriminatoire et qu'elle essaie alors de transformer l'accommodement au travail en accommodement relativement à un « avantage conféré par l’exercice d’un emploi ». Dans l'affaire Etobicoke General Hospital, la Cour divisionnaire de l'Ontario a conclu que le licenciement d'office par suite d'absences prolongées du travail à cause d'une déficience était discriminatoire parce que cela empêchait l'instruction d'un grief de congédiement pour un motif valable. C'est un élément important, non seulement parce qu'il établit une distinction entre cette décision et l'affaire dont je suis saisi, comme l'employeur l’a allégué dans son argumentation, mais aussi parce que la Cour divisionnaire se prononce sur le critère applicable à un tel plaignant, une fois levé l'obstacle discriminatoire à une audience équitable, pour trancher l’affaire sur le fond. Autrement dit, comme on peut le lire dans l'analyse publiée dans Lancaster Labour Law Reports, Charter Cases/Human Rights Reporter (janvier 1994), vol. 10, no 1 :

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Décision Page 5 [Traduction] D'après cette décision, les dispositions des conventions collectives qui prévoient le licenciement d'office en cas d'absence prolongée à cause d'une déficience sont discriminatoires, et le licenciement ne sera pas maintenu à moins de démontrer que l'employé est incapable d'exécuter les fonctions essentielles de l'emploi après avoir tenu compte de l’obligation d'accommodement.

[C'est moi qui souligne]

La question à trancher en l'espèce, en ce qui concerne le licenciement, n'a rien à voir avec la discrimination que l'on retrouve dans les affaires de licenciement d'office. Le fonctionnaire a eu droit à une audience en bonne et due forme. (Il y a peut-être lieu de mentionner que même s'il était établi qu'il y a eu discrimination fondée sur une déficience physique, le sous-directeur Stewart a réglé le problème de l'accommodement au travail en disant au fonctionnaire qu'il était prêt à le muter et à lui confier d'autres fonctions, dans la région du Pacifique il habite aujourd'hui s’il le fallait, et il a pris des dispositions à cet égard : pièces E-1, E-4 et E-5. Comme le sous-directeur a fini par le constater, ces options, vu la santé fragile du fonctionnaire, étaient tout à fait hors de question : pièce E-6.)

Il peut y avoir discrimination relativement à un avantage conféré par l’exercice d’un emploi tout comme il peut y avoir discrimination au travail, comme c’est le cas dans l'affaire City of Gloucester qui porte sur une question d’assurance-invalidité. Toutefois, il faut qu'il soit démontré que le fonctionnaire jouit d'un droit que l'employeur lui a refusé de façon discriminatoire. Dans l'affaire City of Gloucester, il s'agissait du droit à l'assurance-invalidité. Dans les affaires de licenciement d'office, il s’agissait du droit de porter plainte et d’être entendus en vertu des dispositions des conventions collectives sur le congédiement pour motif valable. D'après les faits devant moi, le fonctionnaire ne jouit pas d'un tel droit ni d'aucun autre droit clairement défini. Autrement dit, il n'a pas été démontré qu’on a refusé quoi que ce soit au fonctionnaire de façon discriminatoire. Ce dernier affirme qu'il y a discrimination lorsqu'on lui refuse les crédits et les dollars qui lui permettraient d'avoir droit à une pleine pension dans quatre ans. Je ne suis pas d'accord. Une pleine pension, à l'âge normal de la retraite, est un avantage que l'on acquiert en travaillant.

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Décision Page 6 Comme il n’y a pas eu de discrimination, le critère applicable est celui énoncé dans l'analyse susmentionnée publiée dans Lancaster Labour Law Reporter. Ce critère, qui fait autorité dans les cas de licenciement, est énoncé par le président suppléant, M. Yvon Tarte, dans l'affaire McCormick, p. 29 :

Pour pouvoir licencier un fonctionnaire pour incapacité en vertu de l’alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques, l’employeur doit démontrer qu’au moment du licenciement le fonctionnaire était inapte au travail et qu’il ne pourrait pas retourner au travail dans un avenir prévisible. Au dire de tous, il a été satisfait à ce critère depuis longtemps en l'espèce. M. Lorne Walton se trouvait dans cette situation depuis sept ans lorsqu'il a été licencié. C'est bien plus que le délai prévu dans la politique du Conseil du Trésor qui est contestée. La preuve médicale a démontré que l'état de santé du fonctionnaire ne s'améliorait pas : pièce E-6. La Loi canadienne sur les droits de la personne n'impose pas à l'employeur l'obligation de garder le fonctionnaire à son service, au prix d'une quelconque contribution annuelle, pour qu'il puisse recevoir une pleine pension dans quatre ans.

Pour les motifs que j'ai indiqués, les présents griefs sont rejetés. On n'a pas fait la preuve qu'il y avait eu harcèlement ou discrimination fondée sur une déficience. L'employeur a satisfait au critère prévu à l'alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Ken Norman, commissaire

SASKATOON, le 31 août 1998. Traduction certifiée conforme Serge Lareau

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