Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Directives sur le service extérieur - Frais de réinstallation - Remboursement des frais judiciaires et immobiliers - Préclusion - le fonctionnaire s'estimant lésé était un agent du service extérieur affecté aux États-Unis - il se demandait s'il était préférable de vendre ou de louer sa résidence - l'article 16.0 des Directives sur le service extérieur (DSE), lesquelles sont incorporées dans la convention collective applicable, prévoient le remboursement une fois au cours de la carrière d'un fonctionnaire des frais juridiques et immobiliers liés à la vente de sa résidence - le fonctionnaire ne croyait pas qu'il satisfaisait aux critères - toutefois, l'employeur lui a dit qu'il pouvait se prévaloir de cette disposition - sur la foi de cette information, le fonctionnaire a confié la vente de sa résidence à un agent et, en vue de la vendre le plus rapidement possible, il a accepté une offre inférieure à celle qu'il aurait normalement acceptée - l'employeur lui a remboursé les frais juridiques et immobiliers engagés pour vendre sa maison - subséquemment, l'employeur a exigé le remboursement du montant au motif que la l'article 16.0 de la DSE ne s'appliquait pas au fonctionnaire - ce dernier a remboursé le montant en question à l'employeur - il a reconnu qu'il n'avait pas droit au remboursement de ses frais judiciaires et immobiliers aux termes de l'article 16.0 de la DSE - toutefois, il a fait valoir que l'employeur, en vertu de la doctrine de la préclusion, ne pouvait pas lui demander le remboursement de l'argent puisqu'il s'était appuyé sur l'information fournie par l'employeur à son détriment - l'arbitre a conclu qu'il n'avait pas été déraisonnable de la part du fonctionnaire de s'appuyer sur l'information fournie par l'employeur - en outre, il serait injuste de laisser l'employeur se soustraire aux conséquences de l'information fournie - par conséquent, l'arbitre a ordonné à l'employeur de rembourser au fonctionnaire les frais judiciaires et immobiliers qu'il avait engagés relativement à la vente de sa résidence. Grief admis. Décision citée : Amalgamated Investment and Property Co. Ltd v. Texas Commerce International Bank Ltd [1981] 3 All E.R. 577.

Contenu de la décision

Dossier : 166-2-28379 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE ROBERT NEVILL WEBB fonctionnaire s’estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Affaires étrangères et Commerce international)

employeur

Devant : P. Chodos, vice-président Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : James L. Shields, avocat, Association professionnelle des agents du service extérieur

Pour l’employeur : Michel LeFrançois, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario), le 4 décembre 1998.

DÉCISION  M. Webb est un agent du Service extérieur qui travaille actuellement au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international à Washington. Il a contesté, par le dépôt de son grief, la décision de l’employeur de recouvrer la somme de 26 700 $ qu’il avait reçue du Ministère à titre de remboursement des frais liés à la vente de son domicile familial à Brampton, en Ontario. À l’audience, M. Webb a témoigné pour lui-même; l’employeur n’a cité aucun témoin.

Le fonctionnaire s’estimant lésé a joint le Ministère en décembre 1990. Lorsqu’il a été nommé à la fonction publique, M. Webb habitait à Brampton avec son épouse et ses quatre enfants. M. Webb a choisi d’habiter dans un logement temporaire à Ottawa et de retourner chez lui à Brampton les fins de semaine. En mars 1993, M. Webb a appris qu’un poste était devenu vacant au sein du Ministère à Dayton, en Ohio. Par une lettre datée du 18 mai 1993 (pièce G-2), M. Webb a été avisé par le Ministère que son affectation à Dayton était confirmée [traduction] « sous réserve de la réception du certificat médical et des autorisations appropriées de Santé et Bien-être Canada ».

Selon M. Webb, lorsqu’il a reçu la lettre d’offre datée du 18 mai, il a discuté avec son épouse de la question de savoir s’ils devaient vendre ou louer leur maison à Brampton. À ce moment-là ils ont décidé qu’ils allaient probablement louer la maison étant donné que le marché immobilier dans la région de Toronto était faible; M. Webb a en outre signalé qu’il songeait à trouver un poste au sein du Ministère à Toronto après son affectation initiale à l’étranger, en particulier parce que deux de ses enfants fréquentaient l’université près de Toronto.

Peu de temps après avoir obtenu la confirmation de son affectation, M. Webb a reçu un cartable de documents ayant trait, entre autres, aux procédures d’affectation à une mission. Parmi ces documents se trouvait une formule ministérielle intitulée Pré-affectation/Liste de rendez-vous obligatoires (pièce G-3). Cette formule dresse la liste des rencontres auxquelles le titulaire doit assister afin de satisfaire aux modalités d’autorisation avant l’affectation, et ce, afin qu’il soit bien renseigné par un certain nombre de divisions du Ministère au sujet de diverses questions ayant trait à son affectation. Parmi les divisions figurant dans la pièce G-3 se trouve ABMR, qui est chargée de l’expédition des effets personnels et des préparatifs de voyage. M. Webb

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Décision Page croit se rappeler avoir rencontré un dénommé Marc Perrier d’ABMR au début du mois de juin; M. Webb s’est reporté à ses notes manuscrites qu’il a prises au cours de son entretien avec M. Perrier; ces notes étaient inscrites au verso de la pièce G-3, ainsi qu’au bas de la première page de ce document. Les notes portent sur nombre de questions, notamment la directive sur le service extérieur (DSE) 16 concernant les frais engagés pour la vente d’une maison. M. Webb a témoigné que M. Perrier lui avait demandé au cours de ce premier entretien s’il avait l’intention de vendre ou de louer sa maison à Brampton. M. Webb a dit avoir répondu à M. Perrier qu’ils y pensaient toujours; toutefois, ils avaient essentiellement décidé de louer la maison. M. Perrier lui a ensuite demandé s’il était au courant qu’en vertu des DSE récemment révisées les frais juridiques et les honoraires de vente d’immeuble pour la vente d’une maison étaient remboursables. M. Perrier a spécifiquement mentionné la DSE 16 dans ce contexte. M. Webb a dit qu’il avait précédemment examiné les DSE avant qu’on les modifie et qu’il avait conclu qu’elles ne s’appliquaient pas à lui à ce moment-là. Il a examiné la disposition en question avec M. Perrier; il a écrit qu’elle prévoyait le remboursement des frais juridiques et des honoraires de vente d’immeuble une fois au cours de sa carrière (mention au verso de la pièce G-3).

M. Webb se souvient qu’à ce moment-là M. Perrier a dit qu’il irait vérifier auprès de son superviseur l’interprétation de cette partie des directives; M. Perrier a ensuite quitté la pièce pendant une dizaine de minutes; à son retour il a confirmé que la DSE 16 couvrait les frais juridiques et les honoraires de vente d’immeuble, ainsi que la TPS. M. Webb s’est reporté à ses notes manuscrites au bas de la pièce G-3 : [traduction] « Mark Perrier house sale Ref. to Updated FSD’s Ref FSD 16.19(b) II real Est legal + GST paid » (Marc Perrier, vente de la maison, mention des DSE révisées : DSE 16.19b II frais immobiliers et juridiques + TPS payés). M. Webb se souvient que M. Perrier a lui aussi inscrit ses propres notes dans un cartable au cours de cette rencontre. M. Webb a ensuite dit à M. Perrier qu’il discuterait avec son épouse de la question de savoir s’ils vendraient ou loueraient. M. Perrier lui a dit qu’à la prochaine rencontre il devrait apporter la convention d’inscription si jamais il décidait de vendre. M. Perrier lui a en outre dit qu’il pouvait obtenir une avance sur les honoraires de vente d’immeuble s’il le voulait. À ce moment-là, ils n’avaient pas fixé de date pour la prochaine rencontre.

Cette fin de semaine-là, M. Webb a rencontré son agent immobilier, M. Mark McLean, afin de discuter des avantages de louer ou de vendre du point de vue Commission des relations de travail dans la fonction publique 

Décision Page des coûts. La semaine suivante son épouse a signé une convention d’inscription ayant pour effet de mettre en branle la vente de la maison. M. Webb a déclaré que le facteur déterminant dans leur décision de vendre plutôt que de louer avait été l’affirmation de M. Perrier comme quoi on leur rembourserait leurs frais juridiques et les honoraires de vente d’immeuble occasionnés par la vente de leur maison.

Il a été fait référence à deux lettres (pièces E-1 et E-2) de M. McLean, l’agent immobilier de M. Webb; la première lettre, datée du 12 février 1996, dit ce qui suit :

[Traduction] Vous avez demandé que je confirme par écrit les circonstances entourant la vente de votre propriété par l’entremise de Re/Max Brampton Inc.

En mai 1993, vous m’avez demandé conseil à savoir s’il était préférable de vendre ou de louer votre maison, comme vous étiez sur le point de déménager en Ohio afin d’y occuper un poste pour le gouvernement canadien au cours de l’été de 1993.

Nous avons discuté du prix de vente probable de votre maison et des coûts associés à la vente. Nous avons également discuté du loyer mensuel probable pour votre propriété et des frais de gestion que vous auriez à payer puisque vous seriez un propriétaire forain.

Juste avant le 16 juin, lorsque votre épouse a signé la convention d’inscription, vous avez discuté avec moi de votre décision de vendre plutôt que de louer votre maison. Vous m’avez dit qu’à la suite de votre rencontre concernant votre réinstallation qui avait eu lieu dans vos bureaux à Ottawa, la division qui organisait votre déménagement vous avait dit que le gouvernement vous rembourserait vos frais immobiliers et les honoraires de vente d’immeuble lorsque vous vendriez votre maison, en dépit du fait que celle-ci n’était pas située dans la région d’Ottawa, en vertu des nouvelles règles qui venaient d’être adoptées. Par conséquent, vous n’aviez pas intérêt à louer votre maison.

Nous avons convenu d’inscrire initialement votre maison à un prix supérieur à celui que vous espériez obtenir afin de tester le marché. Le 1 er juillet vous m’avez donné instruction de réduire le prix de votre maison afin de pouvoir la vendre rapidement. Nous avons convenu de 399 900 $ et vous avez signé la convention d’inscription modifiée. Votre épouse a

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Décision Page signé le contrat de vente à ce pris de 399 900 $ vers la mi-juillet 1993.

Si je puis vous être utile de nouveau, n’hésitez pas à communiquer avec moi.

Le 8 juillet 1993, M. Webb a eu une deuxième rencontre avec M. Perrier; il se souvient de la date exacte de cette rencontre puisqu’elle coïncidait avec le deuxième jour du programme de formation décrit dans un calendrier que lui avait remis le Ministère (pièce E-4); sur ce calendrier il avait noté, à côté de ce qui était prévu au programme pour 13 h 30 le jeudi 8 juillet, qu’il avait un rendez-vous avec ABMR. À cette occasion, M. Webb a de nouveau pris des notes durant la rencontre, cette fois au verso de la pièce E-4. Il se souvient avoir à ce moment-là remis à M. Perrier une copie de la convention d’inscription signée avec l’agent immobilier. M. Perrier lui a demandé s’il voulait une avance relative aux honoraires de vente d’immeuble. M. Webb a décliné l’offre afin d’éviter de la paperasserie supplémentaire; il a dit à M. Perrier qu’il soumettrait les factures finales une fois la vente conclue.

M. Webb a témoigné qu’il avait réduit le prix demandé pour sa maison à 400 000 $ à la lumière de l’information que lui avait communiquée M. Perrier, à savoir qu’il récupérerait les frais juridiques et les honoraires de vente d’immeuble qu’il aurait engagés; à la suite de la réduction du prix, la maison s’est vendue rapidement au plein prix demandé.

À la fin d’août, M. Webb a déménagé à Dayton, en Ohio. Vers la fin de septembre ou le début d’octobre, il a reçu de son avocat et de son agent immobilier les factures d’honoraires. Il a posté les originaux à M. Perrier et en a gardé des copies. Vers la fin de la première semaine d’octobre il a communiqué avec M. Perrier, qui lui a dit qu’il n’avait pas reçu les factures. Il lui en a envoyé de nouvelles par la poste; une semaine plus tard il a rappelé M. Perrier, qui lui a de nouveau dit qu’il n’avait pas reçu ni les premières ni les deuxièmes factures. Il a communiqué avec son avocat, qui s’est engagé à faire livrer un troisième jeu de factures. À la fin d’octobre, il a rappelé M. Perrier, qui a confirmé avoir reçu les factures de l’avocat de M. Webb.

Au début de novembre le fonctionnaire a téléphoné au Ministère pour s’enquérir du chèque de remboursement des frais. On l’a renvoyé à M qui lui a dit qu’elle était chargée du dossier puisque M. Perrier était en congé de

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m e Gail Foster,

Décision Page maladie prolongé. Elle lui a indiqué que le remboursement était en cours de traitement. Dans la troisième semaine de novembre, M. Webb, lors d’un voyage à Ottawa, n’a pas manqué de rencontré M me Foster. À ce moment-là elle lui a expliqué qu’elle avait la documentation et qu’elle avait soumis la demande de paiement. Elle lui a montré, à un terminal d’ordinateur, que la demande de paiement était bel et bien inscrite dans le système. Vers le 30 novembre, M. Webb a reçu de M me Foster un talon de chèque (pièce G-5), indiquant que les fonds avaient été virés électroniquement à son compte. M. Webb a affirmé que les fonds avaient été déposés dans son compte au début de décembre. Il a en outre témoigné qu’il avait utilisé cet argent, ainsi que le produit de la vente de la maison, afin d’acheter une maison en Ohio.

M. Webb a fait remarquer qu’il n’a plus entendu parler de cette affaire jusqu’à ce qu’il reçoive une formule datée du 14 juillet 1994 du service des dépenses de la Division des opérations financières (pièce G-6) précisant qu’il devait au Ministère la somme de 26 700 $, ce qui représentait le plein montant des frais juridiques et des honoraires de vente d’immeuble que le Ministère avait précédemment accepté de lui rembourser. Sur la formule on pouvait lire : [traduction] « [...] si la somme n’a pas été reçue dans les 30 jours de la date de la présente lettre, elle sera recouvrée de votre salaire. » Il était également indiqué que toute question concernant cette affaire devait être adressée à J. R. Brocklebank. Jointe à cette formule était une note de service datée du 15 avril 1994 adressée à M me Foster par M. Brocklebank, qui est le directeur adjoint de la Direction des avantages sociaux du Service extérieur; dans sa note de service, celui-ci a fait remarquer qu’en vertu des DSE M. Webb n'avait [traduction] « pas droit à l’assistance prévue au titre de la DSE 16 en ce qui concerne la vente de cette maison » (c.-à-d. la maison à Brampton en Ontario). M. Webb a déclaré qu’il était en état de choc lorsqu’il a reçu cette lettre lui réclamant 26 700 $. Il a immédiatement communiqué avec M. Brocklebank et lui a expliqué qu’il n’avait plus cet argent puisqu’il l’avait utilisé pour acheter sa maison à Dayton. Il a en outre dit à M. Brocklebank qu’il n’avait jamais entendu parler de la note de service du 15 avril. Peu de temps après, M. Webb a été muté à Détroit et a subséquemment été muté à une autre mission, en l’occurrence à Washington, son lieu de travail actuel. M. Webb et son agent négociateur ont fait de nombreux efforts en vue de résoudre cette affaire, mais sans succès. M. Webb a convenu de rembourser la somme en question sous toutes réserves, et l’argent a depuis été remboursé.

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Décision Page En contre-interrogatoire, M. Webb a reconnu que sur la formule intitulée Pré-affectation/Liste de rendez-vous obligatoires (pièce G-3), quelqu’un de ABMR, c’est-à-dire la division chargée de conseiller les fonctionnaires sur leurs déplacements, avait apposé sa signature le 20 août 1993. M. Webb a fait remarquer qu’en signant la formule la division se trouvait uniquement à confirmer que les préparatifs de voyage et les séances d’information à ce sujet avaient eu lieu. M. Webb croyait se souvenir que sa première rencontre avec M. Perrier avait eu lieu au début de juin; il n’avait pas noté la date exacte de cette réunion. Il était certain d’avoir rencontré M. Perrier au moins deux fois, peut-être une troisième fois en compagnie de M m e Foster. Il avait dit à trois personnes qu’il aurait droit au remboursement de ses frais : son épouse, l’agent immobilier et son avocat. M. Webb n’a pas jugé nécessaire de confirmer cet arrangement; il a signalé que M. Perrier avait pris de nombreuses notes, qui avaient apparemment été perdues. Lorsque, en juillet 1994, il a appris que l’argent serait recouvré, il n’a pas communiqué avec M. Perrier, mais a plutôt parlé à M. Brocklebank. Il a toutefois tenté de communiquer avec M. Perrier par la suite, et a découvert qu’il était en Corée.

M. Webb a en outre reconnu qu’il était au courant, lorsqu’il s’est joint au Service extérieur, qu’il serait affecté à l’étranger, probablement pour le reste de sa carrière. Il a reconnu qu’actuellement il était toujours en mission à l’extérieur du Canada et que c’était le cas depuis six ans, et qu’il allait vraisemblablement continuer d’être affecté à l’étranger pendant encore trois ans. Au départ il croyait pouvoir installer sa famille à Ottawa en 1990; on lui a dit qu’il se pouvait qu’il ne puisse avoir d’emploi permanent; par conséquent, il a décidé de ne pas installer sa famille à Ottawa. Il a reconnu avoir en fait effectué un voyage à la recherche d’un logement avec sa famille à Ottawa, et qu’on lui avait remboursé ses frais; il a également reçu une indemnité de 7 700 $ pour l’occupation de deux résidences pendant qu’il était à Ottawa.

M. Webb a en outre affirmé qu’il était conscient que l’affectation initiale entraînerait son éloignement du Canada pendant trois ans; il a reconnu que son affectation aurait pu être prolongée. Il a insisté pour dire qu’il était prêt à louer sa maison pendant cette période. M. Webb a maintenu qu’il préférait retourner à Toronto au bout des trois ans, et qu’il s’agissait d’une attente réaliste puisqu’il était relativement facile d’obtenir un poste au Ministère à Toronto. Lorsqu’il a assumé ses fonctions à Dayton le 23 août 1993, M. Webb s’attendait à louer sa maison. Il a en Commission des relations de travail dans la fonction publique 

Décision Page outre maintenu qu’avant de rencontrer M. Perrier ils avaient décidé, lui et sa femme, de louer leur maison à Brampton; il a convenu qu’il n’avait rien dit par écrit à cet effet au Ministère, bien que, a-t-il souligné, il en ait avisé M. Perrier.

L’avocat de l’employeur a signalé à l’attention de M. Webb la pièce E-2, une lettre de son agent immobilier datée du 10 octobre 1996 et dont voici la teneur :

[Traduction] Comme suite à ma lettre datée du 12 février 1996, j’aimerais commenter les conditions du marché qui existaient dans la région de Brampton avant et durant l’été de 1993, plus particulièrement en ce qui concerne la vente de votre résidence.

Le marché immobilier dans notre secteur a été très actif pendant la plupart des années 1980, les ventes connaissant une forte expansion et les prix étant à la hausse. Le marché était à son plus fort en février 1989 et pour diverses raisons, dont une hausse très importante des taux hypothécaires, un ralentissement s’en est suivi.

Entre le sommet de février 1989 et le moment vous avez vendu votre maison à l’été de 1993, le prix des maisons à Brampton a chuté de façon importante. En moyenne, cette chute dans la valeur des maisons à Brampton s’établissait à environ 20 %. Les maisons dont le prix était plus élevé, notamment la vôtre, ont eu tendance à perdre encore plus de leur valeur.

Le prix initial de 429 900 $ auquel votre maison a été inscrite le 16 juin 1993 était plus élevé que celui que j’avais proposé, mais nous avons convenu de tester le marché. À mon avis, 419 900 $ reflétait mieux une juste valeur marchande. Après quelques semaines sur le marché et vu que votre employeur allait assumer les frais juridiques et les honoraires de vente d’immeuble associés à la vente de votre résidence principale (qu’on estimait à 25 000 $ - 30 000 $), vous avez décidé que vous pouviez vous permettre de ramener le prix demandé à 399 900 $ afin de pouvoir vendre rapidement la maison et de faciliter la réinstallation de votre famille en Ohio.

Même dans un marché déprimé il est possible de vendre une maison dans un temps raisonnable pourvu que le prix se rapproche de la valeur marchande ou qu’il en soit même plus bas. J’ai compris que votre décision de vendre votre maison à un prix réduit tenait au fait que vous n’aviez pas à assumer les frais juridiques ni les honoraires de vente d’immeuble.

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Décision Page N’hésitez pas à communiquer avec moi si je puis de nouveau vous être utile.

M. Webb a maintenu qu’il avait décidé de réduire le prix le 1 er juillet, soit plusieurs semaines après qu’il eut décidé de vendre. Il a signalé qu’à ce moment-là il avait manqué la meilleure partie du marché, soit le printemps; de plus, son affectation était imminente. S’il n’a pas mis la maison sur le marché en mai, a-t-il fait remarquer, c’était parce qu’à l’époque il songeait à la louer plutôt qu’à la vendre. Il a en outre maintenu qu’il était prêt à vendre à un prix réduit étant donné qu’il n’aurait pas à payer les honoraires et les frais associés à la vente. Il a initialement inscrit la maison à un prix plus élevé afin de tester le marché. Après deux semaines, il a baissé le pris à 400 000 $, ce qui était le prix le plus bas qu’il pouvait accepter. Il a reconnu que le fait que son affectation à Dayton approchait à grands pas avait été aussi un facteur dans la décision de réduire le prix. Il craignait que la location lui cause des maux de tête, mais son agent l’a assuré qu’une compagnie de gestion pouvait s’occuper de tout ce qui concernait la location moyennant des frais.

L’avocat a signalé à l’attention de M. Webb une formule que celui-ci avait signée le 8 juillet 1993 (pièce E-3). Cette formule décrit un certain nombre des étapes ayant trait à la mutation d’un fonctionnaire à une mission. M. Webb a reconnu que la formule semblait porter sur les diverses questions que M. Perrier avait abordées avec lui le 8 juillet. Il a fait remarquer que lors de sa première rencontre avec M. Perrier en juin, il était resté en suspens plusieurs questions que M. Perrier voulait aborder de nouveau avec lui au cours d’une rencontre subséquente; par exemple, en juillet il n’avait pu confirmer la date de son déménagement.

Arguments L’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé, M e Shields, soutient que la présente affaire repose uniquement sur le principe de la préclusion promissoire. Il revoit le témoignage du fonctionnaire qui, signale-t-il, n’a pas été contredit; plus particulièrement, l’avocat fait remarquer que M. Webb a déclaré qu’initialement, avant sa première rencontre avec M. Perrier en juin 1993, il prévoyait louer sa résidence à Brampton. Les pièces G-3, E-1 et E-3, de poursuivre l’avocat, corroborent son témoignage selon lequel la première rencontre a eu lieu au début de juin. La preuve

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Décision montre également que M. Webb a décidé de réduire le prix de sa maison le 1 plusieurs jours avant la deuxième rencontre avec M. Perrier le 8 juillet.

À la suite de ce que M. Perrier lui a dit, le fonctionnaire a modifié sa ligne de conduite et a décidé de vendre sa maison dans un marché déprimé, puisqu’il croyait qu’on allait lui rembourser les frais liés à la vente. Ici encore, cela est corroboré par la correspondance de son agent immobilier (pièces E-1 et E-2). Le fonctionnaire a ensuite utilisé le produit de la vente et le remboursement des frais pour acheter une propriété à Dayton, au lieu de donner suite à son projet initial de louer une maison à cet endroit. Ainsi, il y a confiance préjudiciable de la part du fonctionnaire, en ce sens qu’il a subi une perte financière importante en inscrivant sa maison dans un marché faible, en acceptant de réduire le prix de vente et en utilisant le produit de la vente pour acheter une propriété à Dayton. Rien de tout cela ne se serait produit en l’absence des promesses de l’employeur.

M e Shields soutient que la présente affaire est identique à plusieurs autres affaires dans lesquelles la Commission a confirmé que le principe de la préclusion promissoire s’appliquait. Les trois éléments essentiels de ce principe le fait de donner des garanties qui étaient censées influer sur la conduite du fonctionnaire, le fait que ce dernier se soit effectivement conduit en conséquence, et le résultat préjudiciable qui en a découlé sont tous présents en l’espèce. À l’appui de ses arguments, M e Shields cite la décision rendue dans Molbak (dossier de la Commission 166-2-26472) ainsi que l’arrêt de la Cour fédérale confirmant la décision Molbak, c’est-à-dire Canada c. Molbak (dossier de la Cour T-2287-95), et les décisions rendues par la Commission dans Defoy (dossier 166-2-25506) et Sorensen (dossier 166-2-25062).

Selon l’avocat de l’employeur, la présente affaire repose sur la question de savoir s’il y a eu confiance préjudiciable de la part du fonctionnaire en réaction à ce que M. Perrier lui avait dit. M e LeFrançois maintient que la preuve ne montre pas que les présumées garanties ont en fait été données à M. Webb avant qu’il décide de vendre sa maison.

L’avocat de l’employeur fait remarquer qu’il incombait au fonctionnaire de démontrer que les déclarations en question lui avaient été faites avant qu’il inscrive sa

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Page er juillet,

Décision Page 10  maison, et que la décision d’agir ainsi lui a été préjudiciable. L’avocat signale que nulle part dans les notes de M. Webb concernant sa présumée première rencontre avec M. Perrier il n’est fait mention de la date de cette rencontre. De plus, l’avocat soutient que M. Webb était en fait évasif lorsque, durant le contre-interrogatoire, il a voulu savoir si celui-ci avait en fait été influencé par les déclarations en question lorsqu’il avait changé d’idée à propos de la location. Selon M e LeFrançois, le témoignage du fonctionnaire à ce sujet est entièrement intéressé et va à l’encontre de la logique et de la raison. M. Webb n’allait vraisemblablement pas revenir à Toronto; autrement dit, il allait être muté à une autre mission à l’étranger ou revenir à Ottawa à la suite de son séjour à Dayton. Compte tenu de cette probabilité, il est fort improbable qu’au printemps de 1993 il eût toujours l’intention de louer sa maison; rien ne lui permettait de supposer que le marché allait s’améliorer à l’avenir, pas plus qu’il n’était en mesure de dire s’il aurait été plus avantageux de louer à ce moment-là.

M e LeFrançois fait valoir que M. Webb n’a subi aucune perte à la suite de cette transaction. Il est purement hypothétique pour lui d’affirmer qu’il a perdu de l’argent en vendant à ce moment-là, étant donné qu’il n’y a aucune preuve de ce que la location lui aurait coûté, et compte tenu de la possibilité que la maison aurait pu demeurer vacante. Bien qu’il n’existe aucune jurisprudence sur la question de ce qui constitue un préjudice, il est clair que le fardeau de prouver l’existence d’un préjudice incombe au fonctionnaire, qui ne s’est pas acquitté de cette charge en l’occurrence. Au mieux, la décision de M. Webb de mettre sa maison sur le marché n’a été influencée qu’en partie par les déclaration de M. Perrier; il n’est simplement pas plausible de conclure qu’il a pu s’agir de l’unique facteur en cause, surtout qu’il allait vraisemblablement être à l’extérieur du pays pendant au moins trois ans.

L’avocat souligne que le principe de la préclusion promissoire doit être appliquée avec circonspection et uniquement lorsqu’il est clair qu’il y a eu confiance préjudiciable. À l’appui de son argument, l’avocat se reporte à la page 2-21, et à la suivante, de l’ouvrage intitulé Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration de Gorsky, Usprich et Brandt (Carswell, 1994).

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Décision Page 11  Motifs de la décision Il y a lieu de signaler que dans sa correspondance avec la Commission avant la présente audience, l’employeur a officiellement soulevé une exception déclinatoire, alléguant que le grief avait été présenté hors des délais prescrits. Au cours de l’audience, l’avocat de l’employeur a fait savoir qu’il laissait tomber cette objection; par conséquent, il n’en n’est pas question dans la présente décision.

Les deux avocats conviennent que l’affaire repose sur l’application du principe de la préclusion promissoire. Il ne fait aucun doute qu’en vertu d’une interprétation correcte de la DSE 16 le fonctionnaire n’a pas droit au remboursement des frais découlant de la vente de sa maison à Brampton. Ce qu’il importe de déterminer ici, c’est de savoir si les personnes agissant au nom de l’employeur ont communiqué à M. Webb une interprétation erronée de cette disposition et si celui-ci s’est fié à cette interprétation à son détriment.

Il ne fait aucun doute que, depuis l’arrêt rendu par la Cour fédérale dans Canada c. Molbak (supra), ce principe s’applique aux questions de relations de travail dans la fonction publique fédérale. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que l’objet et l’esprit de ce principe sont d’assurer l’équité et la justice dans les relations entre les parties à une convention. Comme le lord juge Denning l’a succinctement souligné dans Amalgamated Investment and Property Co. Ltd. v. Texas Commerce International Bank Ltd [1981] 3 ALL E.R., 577, à la page 584 :

[Traduction] Le principe de préclusion est l’un des plus flexibles et utiles en droit [...] en même temps on a cherché à le limiter par une série de maximes : la préclusion n’est qu’une règle de preuve; la préclusion ne peut donner lieu à une cause d’action; la préclusion n’empêche pas qu’on doive examiner les faits, ainsi de suite. Aujourd’hui toutes ces considérations ont été fusionnées en un principe général dépouillé de limitations. Lorsque les parties à une transaction agissent à partir d’une hypothèse sous-jacente (qu’elle repose sur des faits ou un point de droit, ou qu’elle découle d’une assertion inexacte ou erronée, peu importe), laquelle a guidé leurs relations, ni l’une ni l’autre ne peut revenir sur cette hypothèse lorsqu’il serait déloyal ou injuste de lui permettre de le faire. Si l’une des parties cherche à revenir sur

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Décision Page 12  l’hypothèse, les tribunaux accorderont à l’autre partie le remède que l’équité de l’affaire exige.

À mon avis, on ne peut sérieusement contester en l’espèce le fait qu’on a communiqué à M. Webb des renseignements auxquels il était censé se fier. Il ne fait aucun doute que, dans le cadre des rencontres normales précédant son affectation, M. Webb devait rencontrer M. Perrier pour que celui-ci lui transmette les renseignements pertinents concernant sa mutation imminente à l’étranger. C’est précisément l’objet de la formule intitulée Pré-affectation/Liste de rendez-vous obligatoires (pièce G-3) : assurer que les personnes telles que M. Webb reçoivent l’information voulue de personnes comme M. Perrier. À la lumière de la pièce G-3, il serait tout à fait ridicule d’affirmer que le Ministère ne s’attend pas à ce que les fonctionnaires se fient aux conseils qu’ils reçoivent au cours de ces séances d’information. De plus, le fait est que quelqu’un possédant le pouvoir voulu au Ministère doit avoir approuvé l’interprétation erronée de la DSE 16, sinon M. Webb n’aurait pas au départ reçu le remboursement de ses frais.

Ce qui est plus controversé, c’est le moment auquel ces renseignements ont été communiqués à M. Webb et leur effet sur les décisions qu’il a prises concernant sa maison. Dans son témoignage, M. Webb a catégoriquement affirmé que sa première rencontre avec M. Perrier, au cours de laquelle ces renseignements lui ont été communiqués pour la première fois, a eu lieu un peu après le 16 juin 1993, date à laquelle l’épouse de M. Webb a signé une convention d’inscription avec leur agent immobilier. Dans une certaine mesure à tout le moins, son témoignage à cet égard est corroboré par la pièce E-1, une lettre de l’agent immobilier adressée à M. Webb et apparemment rédigée à la demande de ce dernier, laquelle est datée du 12 février 1996. M. Webb a en outre témoigné qu’avant sa rencontre avec M. Perrier il avait l’intention de louer sa maison plutôt que de la vendre; ici encore, il semble y avoir une certaine corroboration de la version des faits de M. Webb dans la pièce E-1. Quoiqu’il en soit, et nonobstant le fait que la charge de la preuve incombait à M. Webb en l’espèce, sa déclaration sous serment relativement à ces questions constitue certes une preuve pertinente et probante; en l’absence de toute preuve de l’employeur qui viendrait contredire le témoignage de M. Webb ou mettre en doute sa crédibilité (et à mon avis aucune preuve du genre n’a été produite), je ne vois aucune raison de mettre en doute les affirmations de M. Webb à ce sujet. Cela est également vrai à propos de

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Décision Page 13  son affirmation comme quoi, à la suite des déclarations de M. Perrier, il a réduit de façon importante le prix demandé pour sa maison, le fixant en fait à un montant inférieur à celui suggéré par son agent immobilier (voir la pièce E-2). Sauf le respect que je dois à l’avocat de l’employeur, je ne considère pas qu’il s’agit d’une réaction déraisonnable ou peu crédible dans les circonstances.

L’avocat de l’employeur s’est en outre appuyé sur le passage suivant de l’ouvrage Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration (supra) : [traduction] « La jurisprudence soutient en général l’utilisation restrictive du principe de préclusion en equity. » Cependant, une lecture attentive de ce passage révèle que les auteurs commentent l’utilisation du principe pour « forcer la continuation de la pratique ». Cette réserve n’a aucune application en l’espèce, puisque la présente affaire n’a pas de conséquence continue pour les parties.

Par conséquent, je conclus que les éléments du principe de la préclusion promissoire ont été établis dans l’affaire qui nous occupe. Pour reprendre les paroles du lord Denning, « il serait déloyal ou injuste » de permettre à l’employeur de se soustraire aux conséquences de ses déclarations. J’ordonne donc à l’employeur de rembourser de nouveau au fonctionnaire la somme de 26 700 $ qu’il lui avait initialement remboursée au titre des honoraires de vente d’immeuble et des frais juridiques découlant de la vente de sa maison, somme qui avait été subséquemment recouvrée.

L’avocat de l’employeur avait demandé que, si je donnais gain de cause au fonctionnaire, la décision découle des droits que confère au fonctionnaire la DSE 16; autrement dit, le fonctionnaire devrait être réputé s’être prévalu du droit que cette disposition lui permet d’exercer une fois dans sa carrière. Je suis d’accord. Je signale par conséquent que, à mon avis, en se fiant aux renseignements qu’on lui a communiqués à propos de la DSE 16 et en agissant en conséquence, le fonctionnaire s’est prévalu de son droit et ne pourra invoquer cette disposition à l’avenir en vue de se faire rembourser les frais découlant de la vente éventuelle d’une maison.

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Décision Par conséquent, pour les motifs énoncés ci-dessus, il est fait droit au grief.

OTTAWA, le 21 décembre 1998. Traduction certifiée conforme

Serge Lareau

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Page 14  Le vice-président, P. Chodos

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