Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Sanction pécuniaire (5 jours de salaire) - Comportement agressif contre un subalterne - Gardien de prison - le fonctionnaire s'estimant lésé, un agent de correction, était en train d'informer l'une de ses subalternes que, puisque son poste n'avait pas été désigné aux termes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, elle aurait le droit de faire la grève si jamais une grève était déclenchée - sa subalterne a répondu << si tu franchis ma ligne de piquetage, je te cracherai à la figure >> - le fonctionnaire a alors répliqué << si tu craches sur moi, je te mettrai mon poing dans la figure >> - cela s'est produit en présence d'un détenu, qui s'est plaint de l'incident au directeur de l'établissement - par conséquent, le fonctionnaire s'est vu imposer une sanction pécuniaire équivalant à cinq jours de salaire pour avoir tenu des propos offensants à l'endroit d'un autre fonctionnaire pendant l'exercice de ses fonctions - le fonctionnaire a contesté la sanction, qu'il a jugée trop sévère dans les circonstances - l'employeur a soutenu que la conduite du fonctionnaire constituait un abus de confiance et que l'absence apparente de remords de sa part nécessitait la prise de mesures sévères - le fonctionnaire a répondu que la sévérité de la sanction disciplinaire tenait à l'antagonisme qu'entretenait le directeur à son endroit - une réprimande verbale, a-t-il ajouté, aurait été amplement suffisante, surtout que la discussion n'avait porté que sur une situation hypothétique et qu'aucune menace n'avait été faite - l'arbitre a conclu que le fonctionnaire avait commis une faute relativement mineure et que la sanction pécuniaire de cinq jours était tout à fait injustifiée et à la fois punitive et destructive - l'arbitre a substitué une réprimande écrite à la sanction pécuniaire avec effet à la date de l'incident. Grief admis en partie. Décisions citées :Tanciu (166-2-27712); Greeley (166-2-12318).

Contenu de la décision

Dossier : 166-2-28730 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE THOMAS C. CAHILL fonctionnaire s'estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Solliciteur général du Canada —- Service correctionnel)

employeur

Devant : P. Chodos, vice-président Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Lui-même Pour l'employeur : Judy Hunter, stagiaire en droit Affaire entendue à Kingston (Ontario), le 7 mai et le 5 août 1999.

DÉCISION Le fonctionnaire s'estimant lésé travaille comme coordonnateur, Programmes de développement socio-culturel (WP-3) à l'établissement de Bath, un pénitencier à sécurité moyenne. Son grief porte sur l'imposition d'une sanction pécuniaire équivalant à cinq jours de rémunération nette à la suite d'un incident survenu le 16 avril 1998. Il admet avoir été mêlé à l'incident en question, mais il soutient que la mesure disciplinaire imposée était excessive, discriminatoire et qu'elle était motivée par l'animosité personnelle du directeur, M. Al Stevenson, à son égard.

Pour la plupart, les événements pertinents ne sont pas contestés. Le 16 avril 1998, M. Cahill se trouvait dans un bureau avec M mes Andra Young et Marilyn Quick, deux agentes de développement social travaillant dans la même unité que lui. À ce moment-là, deux détenus se trouvaient également dans la pièce : M. Erle MacAulay et M. Michael Winter; apparemment, la porte de ce bureau est toujours ouverte et il n'est pas inhabituel pour les détenus d'aller et venir dans la pièce librement. M. Cahill expliquait à M me Young que, contrairement au reste de l'unité, elle n'avait pas été « désignée » aux termes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et qu'en conséquence elle aurait le droit de faire la grève si une décision à cet effet était prise. Au cours de cette brève conversation, M m e Young a dit à M. Cahill : [traduction] « Si tu franchis ma ligne de piquetage, je te cracherai à la figure ». M me Young a affirmé avoir fait ce commentaire sur un ton badin; elle a précisé que le climat de travail dans l'unité était amical et qu'elle-même et les autres, dont M. Cahill, avaient de bonnes relations à l'époque. M. Cahill aurait répondu : [traduction] « Si tu craches sur moi, je te mettrai mon poing dans la figure ». Sur le coup, M m e Young a pris la répartie de M. Cahill à la légère; il l'a toutefois répété une deuxième fois; cela l'a offensée et elle a quitté la pièce.

M m e Young n'a pas donné suite à cette affaire; toutefois, le détenu MacAulay a écrit au directeur le 21 avril 1998 (pièce E-1) pour relater l'incident et critiquer la conduite de M. Cahill. Après avoir pris connaissance de la lettre, M. Stevenson a parlé de l'affaire avec M m e Young. Celle-ci a admis qu'elle avait tenu les propos en question, mais qu'elle l'avait fait sur le ton de la plaisanterie et que M. Cahill était sérieux lorsqu'il avait prononcé les paroles rapportées ci-dessus, ce qui l'avait offensée.

Le 28 avril 1998, M. Stevenson a émis un « ordre de convocation » dans lequel il demandait à M. R. Charlton, un gestionnaire d'unité au Centre régional de traitement,

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Décision Page 2 de faire enquête sur la conduite de M. Cahill lors de l'incident du 16 avril. Le même jour, M. Stevenson a écrit à M. Cahill pour lui indiquer qu'il avait [traduction] « apparemment menacé de vous en prendre physiquement à ce membre du personnel si vous vous trouviez dans une situation hypothétique avec elle. J'ai conclu que cet incident, qui m'a été rapporté, mérite un examen plus approfondi et j'ai donc ordonné que soit effectuée une recherche des faits sur votre conduite envers une subalterne ». M. Stevenson précise un peu plus loin : [traduction] « Vous devez également vous abstenir de communiquer avec M m e Andra Young de quelque manière que ce soit au cours de l'enquête ». (pièce E-2).

Le rapport a conclu que la réponse de M. Cahill à M m e Young le 16 avril avait été offensante; il convient également de mentionner qu'au cours de son témoignage M m e Young a affirmé que M. Cahill l'avait traitée de manière équitable et professionnelle depuis l'incident. Elle a également fait observer que [traduction] « les choses auraient pu être faites différemment » depuis l'incident et qu'elle regrettait qu'on ait monté cet incident en épingle avant d'avoir d'abord parlé à M. Cahill, qui était parti en vacances peu de temps après l'incident du 16 avril.

M. Stevenson a affirmé que sa décision d'imposer une sanction pécuniaire équivalant à cinq jours de rémunération s'appuyait sur l'observation que M. Charlton avait formulée dans son rapport, soit que [traduction] « [L]es événements du 16 avril 1998 ont eu des répercussions sur le climat de l'établissement. M mes Tracy Fenton, Marilyn Quick et Andra Young estiment toutes trois que leur relation de travail avec leur superviseur a changé. Pour reprendre leurs termes, elles trouvent [traduction] « que c'est pénible de travailler avec lui », elles sont [traduction] « attristées par l'incident au point que cela influe sur le climat de travail », et elles sont [traduction] « secouée[s] et effrayée[s] par les déclarations de mon superviseur ». » (page 3, pièce E-3, point 4). M. Stevenson a également précisé qu'il était tout à fait inapproprié d'avoir une telle conversation en présence d'un détenu. Selon lui, la conduite de M. Cahill constituait une violation de la partie 3 du Code de discipline ministériel, qui stipule ce qui suit :

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Décision Page 3 Commet une infraction l'employé qui: […] est injurieux ou offensant envers d'autres employés, dans l'exercice de ses fonctions ou dans des circonstances reliées à son travail;

[…] D'après M. Stevenson, à l'audience disciplinaire du 13 mai 1998, M. Cahill a admis les grandes lignes de l'incident et a fait observer que, si M m e Young avait été offensée, c'est parce qu'elle avait pris les choses trop au sérieux. Il a également déclaré que M. MacAulay avait rapporté l'affaire au directeur parce qu'il essayait de se venger à la suite d'un incident concernant l'achat de chocolats (le différend entre M. MacAulay et le fonctionnaire s'estimant lésé au sujet de l'achat de chocolats a été corroboré par d'autres témoins, dont le directeur adjoint, M. Keir MacMillan, qui a affirmé avoir appuyé la décision de M. Cahill d'interdire au détenu d'acheter des chocolats). Selon M. Stevenson, M. Cahill a également indiqué qu'il regrettait d'avoir offensé qui que ce soit mais qu'il n'estimait pas que ses propos étaient déplacés et qu'il y avait eu exagération et distorsion des faits.

À la suite de l'audience disciplinaire, M. Stevenson a imposé, le 15 mai 1998, une sanction disciplinaire équivalant à cinq jours de rémunération nette. Pour déterminer le montant de la sanction pécuniaire, il a tenu compte des répercussions de l'incident sur le personnel en cause, du fait que M. Cahill avait refusé d'admettre son écart de conduite, que c'était un superviseur et que, par conséquent, il lui incombait de désamorcer la situation au lieu de l'envenimer. M. Stevenson a précisé qu'à titre de circonstances atténuantes il a tenu compte du bon travail effectué par M. Cahill comme superviseur et de son dossier disciplinaire sans tache. Il a ajouté qu'il n'avait pas discipliné M me Young même s'il avait conclu que ses propos étaient déplacés étant donné qu'elle avait dit regretter avoir fait le commentaire.

Au cours du contre-interrogatoire, M. Stevenson a admis que M. Cahill avait déclaré à l'audience disciplinaire qu'il n’avait pas réalisé que le détenu se trouvait dans la pièce.

Au cours de son témoignage, M. Cahill a décrit les événements du 16 avril 1998 de la façon suivante. Ce jour-là, M me Young, M bureaux dans la pièce. Lui-même tournait le dos à la porte pendant qu'il parlait à

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m e Quick et lui-même étaient assis à des

Décision Page 4 M m e Young et des détenus et des membres du personnel allaient et venaient régulièrement dans le bureau. Il expliquait à M m e Young, au cours de ce qu'il a décrit comme une « conversation se déroulant sur le ton de la plaisanterie », que tout le personnel des programmes de développement social était désigné à l'exception de M me Young qui était alors une employée occasionnelle. Il lui a dit que lui-même et le reste du personnel devraient franchir les lignes de piquetage s'il y avait une grève. M me Young a alors répondu que [traduction] « si quelqu'un franchissait sa ligne de piquetage, elle lui cracherait à la figure ». Il aurait rétorqué : [traduction] « Si quelqu'un me crachait à la figure sur la ligne de piquetage, je lui donnerais un coup ou une tape sur les lèvres pour l'empêcher de me cracher à la figure une deuxième fois ». À ce moment, il a entendu la voix de M. MacAulay à quelque distance de lui, à sa droite; il avait entrer dans la pièce au cours de la conversation. M. MacAulay a déclaré : [traduction] « Vous avez besoin d'un cours de gestion de la colère ». M. Cahill s'est mis en frais de lui expliquer qu'il était diabétique; il lui a montré les entailles sur ses mains et a mentionné que 18 % des détenus avaient le SIDA, 40 % l'hépatite, et que cracher à la figure de quelqu'un est une agression et qu'il avait le droit de se protéger. M. MacAulay aurait alors poursuivi en disant : [traduction] « Vous frapperiez une femme? » M. Cahill a répondu qu'il se protégerait. M. MacAulay a alors déclaré que M. Cahill était [traduction] « pire que nous » et qu'il devrait être enfermé.

M. Cahill a affirmé que, s'il avait su qu'un détenu se trouvait dans la pièce, il n'aurait rien dit. Il a mentionné qu'il n'avait pas réalisé que sa répartie avait offensé M m e Young à ce moment-là; lui-même avait été secoué par ses propos à elle qu'il n'avait pas perçus comme une plaisanterie. Il a précisé qu'il n'occupait pas un poste de superviseur; il a cité des documents émanant de la direction qui indiquaient qu'aucun point n'était attribué sur sa description de travail pour des responsabilités de supervision.

Au cours du contre-interrogatoire, le fonctionnaire s'estimant lésé a reconnu la pièce E-9, une lettre datée du 13 mai 1998 qu'il a adressée au sous-commissaire, AR, le jour de l'audience disciplinaire. Il y déclare notamment ce qui suit : [Traduction] Après avoir rencontré le directeur Stevenson aujourd'hui et avoir examiné les faits, je suis disposé à retirer ma plainte de harcèlement contre lui. Il m'a tout expliqué aujourd'hui et je

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Décision Page 5 comprends maintenant pourquoi il a agi comme il l'a fait. Je ne suis toujours pas d'accord avec la démarche adoptée, mais je peux l'accepter.

M. Cahill a indiqué qu'il avait rédigé cette lettre parce qu'il craignait de perdre son emploi et qu'il ne voyait maintenant plus les choses de cette façon.

Au cours de son témoignage en chef, M. Cahill a également mentionné un autre incident survenu en décembre 1997 à l'occasion d'une réception de Noël avec les détenus et des invités. Il en était venu à la conclusion que les conditions de travail n'étaient plus sûres et il en avait parlé au gardien de service en lui indiquant qu'il allait peut-être invoquer la partie II du Code canadien du travail; le gardien avait alors pris des mesures pour corriger la situation. Le lundi suivant, M. Cahill a été convoqué au bureau du directeur qui l'a informé qu'il n'était pas content d'apprendre que M. Cahill menaçait d'invoquer la partie II du Code canadien du travail. Selon M. Cahill, M. Stevenson a alors déclaré que, si on l'avait fait appeler, il aurait ordonné à M. Cahill de rentrer chez lui. Le directeur a alors demandé à M. MacMillan, le directeur adjoint et le superviseur immédiat de M. Cahill, d'entreprendre une recherche des faits au sujet de la menace d'invoquer la partie II. Selon le fonctionnaire, M. Stevenson a clairement précisé que la recherche des faits pourrait donner lieu à la prise de mesures disciplinaires. À la suite de cette rencontre, M. Cahill s'est dit qu'il n'avait plus la confiance de la direction à l'établissement de Bath et il a demandé une mutation dans un autre établissement (pièce G-5). Malgré les nombreuses demandes adressées par M. Cahill au sujet de la recherche des faits (il estimait que c'était une épée de Damoclès qui pendait au-dessus de sa tête), M. MacMillan n'a jamais mené celle-ci à terme. Au cours de son témoigne, M. MacMillan a exprimé des regrets à ce sujet et a expliqué que c'était un oubli de sa part. M. Stevenson n'a jamais donné suite à l'affaire.

Les parties ne s'entendent pas sur la question de savoir si le directeur a mentionné la menace faite par le fonctionnaire s'estimant lésé d'invoquer la partie II du Code canadien du travail au cours de l'audience disciplinaire du 13 mai 1998, et, le cas échéant, dans quel contexte il l'a mentionnée. M. Cahill soutient que le directeur a mentionné cet incident en disant qu'il s'agissait d'un cas antérieur de discipline; M. Alain Cloutier, le représentant syndical de M. Cahill à l'audience disciplinaire, se rappelle que le directeur a mentionné cette affaire et qu'il a dit de l'incident en l'espèce qu'il s'agissait d'un troisième cas de discipline mettant en cause M. Cahill. Au cours de

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Décision Page 6 son témoignage, M. Stevenson a dit qu'il ne se rappelait pas avoir mentionné l'affaire du Code canadien du travail, mais qu'il pouvait l'avoir fait. M. Cloutier a fait remarquer qu'au cours de cette rencontre le directeur s'était dit satisfait du travail de M. Cahill et avait indiqué qu'il voulait que ce dernier change d'attitude.

(Il y a lieu de préciser que des éléments de preuve ont été produits par les deux parties concernant une plainte de harcèlement que le fonctionnaire s'estimant lésé avait formulée contre le directeur. Comme cette plainte a été déposée après l'imposition de la sanction disciplinaire, j'ai conclu qu'elle n'avait aucun rapport avec la question dont je suis saisi.)

Deux employés de l'unité des programmes de développement social ont témoigné pour le compte du fonctionnaire s'estimant lésé. M me Anne Bisson a précisé qu'elle relevait de M. Cahill depuis janvier 1997. Elle a été convoquée au bureau du directeur et interrogée au sujet de l'incident. Elle a répondu qu'elle ne se trouvait pas dans la pièce et qu'elle ne pouvait pas donner de précisions sur l'affaire. On lui a demandé si M. Cahill l'avait déjà menacée ou intimidée. Elle a répondu que cela n'était jamais arrivé et qu'elle ne l'avait pas vu menacer ou intimider un autre membre du personnel. Elle a indiqué qu'avant l'incident il y avait un bon climat de travail dans l'unité; par la suite, les relations sont devenues moins personnelles, et l'atmosphère a cessé d'être aussi détendue; elle a indiqué que [traduction] « la situation dans son ensemble, la suite des événements, avait troublé tout le monde ».

M me Tracy Fenton a affirmé que lorsqu'elle s'est présentée au travail pour prendre son quart de l'après-midi le personnel lui a rapporté les propos de M me Young et la réponse de M. Cahill. Par la suite, elle a été convoquée au bureau du directeur et, en présence de M me Andrée Leblancq, une agente du personnel, et de M. Keir MacMillan, le directeur lui a posé des questions au sujet de l'incident et de M. Cahill en général. Elle a déclaré que M. Cahill était un [traduction] « superviseur hors pair ». M. Stevenson lui a dit qu'elle n'avait pas à en remettre au sujet de M. Cahill par crainte de perdre son emploi; elle a répondu que ce n'était pas ce qu'elle faisait et qu'elle n'avait pas peur de lui. D'après M me Fenton, M. Stevenson l'a alors interrogée au sujet d'un refuge pour femmes à Kingston dont elle s'occupait; il a alors déclaré : [traduction] « Croyez-vous qu'il soit acceptable pour un homme de frapper une femme? » Elle avait trouvé à l'époque que la question n'avait rien à voir avec l'incident

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Décision Page 7 et qu'elle ne faisait que créer de la confusion dans son esprit. Elle a également fait remarquer que le rapport d'enquête de M. Charlton ne reproduisait pas fidèlement certaines des observations qu'elle aurait prétendument faites. Le rapport l'a outrée, et, dans une lettre datée du 1 er juin 1998 à M. Stevenson, elle a dressé une liste exhaustive des erreurs et des inexactitudes relevées dans le rapport de M. Charlton (pièce G-2). Dans la réponse qu'il lui a adressée le 23 juin 1998, M. Stevenson affirmait entre autres choses : [traduction] « Vous avez bien fait de me faire part de vos observations. Votre lettre témoigne de votre intégrité et de votre loyauté. En outre, j'aimerais que vous sachiez que le représentant de M. Cahill et moi-même avons tenu compte de votre lettre lorsque nous nous sommes rencontrés pour discuter de son dernier grief ».

M me Fenton a fait remarquer qu'elle avait demandé à plusieurs reprises à M me Young, notamment le 16 avril, si elle s'était sentie menacée ou si elle avait été effrayée par les remarques de M. Cahill, ce à quoi M m e Young avait toujours répondu par la négative. M m e Fenton a également précisé qu'à la suite de l'incident le climat de travail était devenu plus tendu en raison des interrogatoires auxquelles ils étaient soumis. M m e Fenton a indiqué qu'elle était contrariée que les observations faites à M. Charlton aient été prises hors contexte.

Au cours du contre-interrogatoire, M me Fenton a convenu qu'une l'une de ses responsabilités était d'aider les détenus à adopter des stratégies pour remplacer les comportements violents; elle a également précisé qu'il existe des programmes de gestion de la colère. Elle a convenu que M. Cahill, à titre de chef des programmes de développement socio-culturel, se devrait d'être un exemple pour les détenus et qu'il est, à son avis, un bon modèle pour elle et les autres. Elle a aussi admis qu'il n'était pas acceptable de menacer de s'en prendre physiquement à une employée et que le fait de formuler une telle menace pouvait nuire aux relations de travail. Elle a insisté sur le fait que, même si M m e Young avait été troublée par l'incident, elle ne s'était pas sentie menacée. À son avis, il y avait eu un malentendu entre les parties.

M. Keir MacMillan, le directeur adjoint, Programmes correctionnels, a également été appelé à témoigner au nom du fonctionnaire s'estimant lésé. Il a déclaré que M. Cahill était un superviseur compétent de l'unité et qu'il avait un certain nombre de réalisations à son crédit. Il [M. MacMillan] était présent lorsque M. Stevenson avait

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Décision Page 8 interrogé M me Fenton; il ne se rappelle pas que M. Stevenson lui ait posé des questions au sujet d'un refuge dont elle s'occupait. Il a mentionné qu'il a toujours considéré le poste de M. Cahill comme un poste de superviseur. Il avait parlé à M. Cahill au sujet du moment et de l'endroit il exprimait ses avis, et il a mentionné que M. Cahill donne de temps à autre l'impression d'être en colère. Il n'éprouve aucune animosité envers M. Cahill et il en est de même, selon lui, du directeur. Il a également précisé qu'il [traduction] « ne pouvait imaginer M. Cahill frappant un autre membre du personnel » même si, à son avis, M. Cahill est plutôt « changeant ». Il a convenu qu'il était crucial que les employés entretiennent entre eux de bonnes relations de travail.

Argumentation La représentante de l'employeur précise que la question à trancher en l'espèce consiste à déterminer si l'employeur était justifié d'imposer une sanction équivalant à cinq jours de rémunération nette. M m e Hunter soutient que la sanction disciplinaire se voulait une mesure corrective plutôt qu'une mesure punitive. Elle mentionne que M. Cloutier, le représentant syndical, a eu l'impression que M. Stevenson s'inquiétait de l'incident et qu'il voulait que M. Cahill change de comportement. Cela a également été confirmé par M. MacMillan qui a déclaré qu'il n'y avait pas d'intention cachée et que ni lui ni M. Stevenson ne cherchaient à nuire à M. Cahill. M me Hunter a également soutenu qu'en dépit d’objections de M. Cahill, il est clair que celui-ci était considéré par M. MacMillan et le personnel de l'unité comme le superviseur.

La représentante de l'employeur fait également valoir qu'il n'y a aucun lien entre l'enquête sur l'incident du 16 avril et les plaintes de harcèlement de M. Cahill contre le directeur. Elle fait remarquer qu'un certain nombre de témoins ont déclaré que les employés de l'établissement de Bath se doivent d'être des modèles. Pourtant, les propos formulés par M. Cahill sur le ton de la colère, surtout lorsqu'ils émanent d'un superviseur, vont à l'encontre de cet objectif, particulièrement si l'on tient compte du fait que des détenus se trouvaient dans la pièce à ce moment-là. Même s'il soutient qu'il ne savait pas qu'il y avait des détenus dans le bureau, M. Cahill a admis que des détenus allaient et venaient souvent dans la pièce et qu'ils étaient certainement bien placés pour entendre les conversations. Il incombait à M. Cahill de désamorcer la situation en s'abstenant de répondre; à la place, il a envenimé les choses. Compte tenu des allégations formulées dans la lettre du détenu, la direction se devait de faire

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Décision Page 9 enquête et de réagir en conséquence. En outre, le Code de discipline ministériel stipule clairement qu'un employé qui est injurieux envers d'autres employés dans l'exercice de ses fonctions commet une infraction. L'incident en question s'est produit en public et il n'allait pas manquer d'être analysé par les détenus et les employés; les remarques ont été répétées trois fois dans un milieu qui a été conçu pour modifier des comportements inacceptables. En conséquence, cette conduite constitue un abus de confiance et l'absence apparente de remords de la part du fonctionnaire s'estimant lésé nécessitait la prise de mesures sévères, compte tenu de ses responsabilités comme superviseur.

À l'appui de ses prétentions la représentante mentionne deux décisions arbitrales dans lesquelles une suspension de cinq jours a été maintenue : Tanciu (dossier 166-2-27712) et Greeley (dossier 166-2-12318).

Le fonctionnaire s'estimant lésé répond qu'en l'instance la sanction qui lui a été imposée n'a aucun rapport avec sa conduite. À son avis, M tous deux tenu des propos déplacés, mais, dans son cas, il ne faisait que répondre à ce qu'elle lui avait dit. Il aurait préféré résoudre l'affaire en discutant avec M toutefois, dans sa lettre du 28 avril 1998 (pièce E-2), le directeur l'enjoignait de ne pas communiquer avec elle.

M. Cahill soutient également que la sévérité de la mesure disciplinaire est attribuable à l'animosité personnelle du directeur à son égard. M. Cahill mentionne la discussion que le directeur a eue avec M me Fenton et au cours de laquelle il a essayé, en fait, de le faire passer pour un agresseur de femmes. Il soutient également que la réaction du directeur à l'incident était un autre moyen qu'avait trouvé ce dernier pour le punir d'avoir menacé d'invoquer la partie II du Code canadien du travail. Il prétend que le directeur a mentionné cet incident en le qualifiant de cas antérieur de discipline. Il précise que la direction ne le considère pas comme un superviseur sauf quand il s'agit de lui imposer des mesures disciplinaires.

M. Cahill déclare que la mesure disciplinaire lui a fait perdre 570 $; le bruit court dans l'établissement qu'il bat les femmes; en conséquence, sa réputation s'en trouve entachée, il a des problèmes de santé, et la réaction de la direction a empoisonné le climat de travail pour lui ainsi que pour les autres. Il fait valoir qu'une

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m e Young et lui-même ont m e Young;

Décision Page 10 réprimande orale aurait été plus que suffisante compte tenu du fait que la discussion ne portait que sur une situation hypothétique et qu'aucune menace n'a été proférée. Il précise que M me Young, qui a parti le bal, n'a reçu que du counseling oral. À l'appui de ses prétentions M. Cahill invoque l'affaire Dosanjh (dossier 166-2-27262). Il fait remarquer que, dans cette affaire, il y avait eu une altercation physique dans une prison et que l'arbitre avait conclu qu'une réprimante écrite était appropriée.

Motifs de décision Les faits essentiels peuvent être brièvement résumés comme suit. M me Andra Young, une employée occasionnelle qui relève de manière générale de M. Cahill, a appris que, contrairement aux autres membres de l'unité, elle n'était pas une employée désignée et qu'elle pouvait par conséquent faire la grève. Elle a déclaré à M. Cahill : [traduction] « Si tu franchis ma ligne de piquetage, je te cracherai à la figure », ce à quoi M. Cahill a répondu : [traduction] « Si tu craches sur moi, je te mettrai mon poing dans la figure. » Un détenu a entendu la répartie et s'est immédiatement interrogé sur son caractère approprié. Le fonctionnaire s'estimant lésé l'a réitérée et a essayé de la justifier. M m e Young a alors quitté la pièce l'incident s'était produit parce qu'elle était offensée par le commentaire. Elle n'a pas donné suite à l'affaire. Toutefois, le détenu a écrit au directeur pour lui rapporter l'incident. Après avoir pris connaissance de la lettre, le directeur a interrogé le personnel de l'unité, a ordonné la tenue d'une enquête et a finalement imposé une sanction équivalant à cinq jours de rémunération nette.

Le fonctionnaire s'estimant lésé ne conteste pas de manière générale la description de l'incident faite ci-dessus; il soutient avoir mentionné qu'il frapperait M m e Young sur les lèvres, ce qu'il considérait comme un moyen de l'empêcher de lui cracher à la figure. Il était également d'avis que M qui concerne ces détails, je suis d'avis que M propos qu'elle avait tenus, et j'accepte également son témoignage selon lequel sa remarque se voulait une simple plaisanterie. Cela dit, personne ne conteste le fait que la conversation portait sur une situation totalement hypothétique; ni M Commission des relations de travail dans la fonction publique

m e Young ne plaisantait pas. En ce m e Young s'est rappelé avec exactitude les m e Young ni

Décision Page 11 aucun membre du personnel n'ont pris les observations de M. Cahill comme une menace.

À mon avis, le fonctionnaire s'estimant lésé a commis une faute relativement mineure de conduite. Je caractériserais cet événement et les conséquences qu'il a eues comme une série de réactions excessives s'étant intensifiées qui ont été déclenchées par les propos de M. Cahill et qui ont ensuite suscité une réaction encore plus excessive de la part du directeur, ce qui a eu pour résultat la détérioration de ce qui avait été un climat de travail harmonieux et productif. Si M. Cahill avait fait fi de la remarque ou y avait répondu sur le même ton, la présente décision ne serait pas nécessaire. Toutefois, compte tenu du dossier disciplinaire vierge de M. Cahill, de sa réaction quasi-spontanée en l'espace d'au plus quelques minutes et des bonnes relations qu'il entretenait avec son personnel, j'ai conclu que la sanction de cinq jours est totalement injustifiée et qu'elle est à la fois punitive et destructive. Les affaires citées par la représentante de l'employeur pour justifier cette sanction étayent en fait ma conclusion. Dans l'affaire Tanciu [supra], le fonctionnaire s'estimant lésé avait agressé à plusieurs reprises des clients et du personnel de l'établissement il travaillait et avait déjà fait l'objet de mesures disciplinaires. Dans l'affaire Greeley [supra], il avait été déterminé que le fonctionnaire s'estimant lésé avait reçu en toute connaissance de cause des biens volés appartenant au ministère, ce qui constitue une infraction criminelle. Comparer ces affaires au grief dont je suis saisi permet en fait de démontrer le caractère tout à fait inapproprié de la sanction imposée à M. Cahill. Je mentionnerai également que, même si M. Cahill se devait, pour reprendre les termes du directeur, de désamorcer la situation, la direction a a fortiori la responsabilité de réagir aux événements de manière à ne pas faire se détériorer davantage les bonnes relations de travail qui existaient auparavant. Il ne fait aucun doute à mes yeux que, si le directeur avait essayé de favoriser la communication entre M. Cahill et M m e Young, au lieu d'imposer une sanction punitive au fonctionnaire s'estimant lésé, l'affaire aurait été résolue de façon beaucoup plus satisfaisante pour toutes les personnes concernées.

Toutefois, je conclus qu'il incombait à M. Cahill de faire preuve de leadership envers le personnel de l'unité. En conséquence, il doit assumer la responsabilité de la remarque peu judicieuse qu'il a faite à M m e Young le jour en question. Même si sa conduite ne peut d'aucune manière être considérée comme une menace, et qu'elle ne se

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Décision Page 12 voulait pas davantage offensante, elle n'en justifie pas moins l'imposition d'une mesure disciplinaire.

En conséquence, je conclus qu'une réprimande écrite devrait être versée au dossier de M. Cahill en date du jour de l'incident, soit le 16 avril 1998. J'ordonne par les présentes à l'employeur d'annuler la sanction pécuniaire et de rembourser à M. Cahill la rémunération perdue et de substituer à cette sanction une réprimante écrite datée du 16 avril 1998.

P. Chodos, vice-président

OTTAWA, le 30 août 1999. Traduction certifiée conforme

Serge Lareau

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