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Résumé :

Licenciement (motif disciplinaire) - Conflit d'intérêts - Suspension pendant l'enquête de l'employeur - Réintégration - le fonctionnaire s'estimant lésé était agent dans un Centre d'emploi du Canada (CEC) et ses fonctions étaient reliées au programme d'assurance-emploi - il était aussi propriétaire de deux dépanneurs - après une enquête disciplinaire de quatre mois et demi, l'employeur l'a licencié - le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté un grief contre sa suspension pendant l'enquête disciplinaire - il a aussi présenté un grief contre son licenciement et demandé sa réintégration - l'employeur a démontré que le fonctionnaire s'estimant lésé avait traité du dossier de deux de ses ex-employés, bien que ces dossiers aient été assignés à d'autres agents du CEC - l'employeur a établi que les dépanneurs dont le fonctionnaire s'estimant lésé était propriétaire avaient instauré un système d'embauche et de mise à pied faisant en sorte que les employés alternaient continuellement entre une semaine de travail et une semaine chômée - l'employeur a démontré que le fonctionnaire s'estimant lésé était au courant des obligations que lui imposaient le Code de conduite de Développement des ressources humaines Canada ainsi que le Code de conduite régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique - l'employeur a allégué que le fonctionnaire s'estimant lésé s'était placé en position de conflit d'intérêts en traitant le dossier de personnes avec qui il avait eu une relation d'emploi - l'employeur a aussi soutenu que le fonctionnaire s'estimant lésé s'était placé en position de conflit d'intérêts en utilisant des renseignements obtenus au cours de son emploi pour donner un avantage à ses dépanneurs - le fonctionnaire s'estimant lésé a répondu que son traitement du dossier de deux de ses ex-employés s'était limité à des interventions sans conséquences financières - il a ajouté que, en ce qui a trait à la répartition du travail dans ses dépanneurs, il était libre de développer la méthode qui répondait le mieux à ses besoins et que celle qu'il avait choisie était légale et utilisée dans d'autres entreprises - il a aussi prétendu que l'enquête disciplinaire n'avait pas été menée de façon appropriée - l'arbitre a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé s'était placé en situation de conflit d'intérêts - il a conclu que, vu le laxisme de l'employeur quant à l'enquête disciplinaire, le licenciement n'était pas justifié - il a cependant ajouté que, dans les circonstances, la réintégration du fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas souhaitable et y a substitué une indemnité équivalant à 10 mois de salaire. Grief concernant la suspension rejeté. Grief concernant le licenciement admis, en partie. Décisions citées :McKendry (166-2-674); Threader c. Canada(Conseil du Trésor), [1997] 1 C.F. 41; Ennis (166-2-8773).

Contenu de la décision

Dossiers : 166-2-28380 166-2-28381

Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE JEAN-MAURICE BELLAVANCE fonctionnaire s’estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Développement des ressources humaines Canada)

employeur Devant : Guy Giguère, commissaire Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Denis Tremblay, avocat Pour l’employeur : David Merner, avocat

Affaire entendue à Matane (Québec), du l er au 4 septembre 1998.

Décision DÉCISION Jusqu'à son licenciement, Jean-Maurice Bellavance, était un employé de Développement des ressources humaines Canada. Il avait débuté le 21 février 1974, comme employé, à l'époque, à la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (CEIC) et en mai 1981, il était nommé agent II, de niveau PM-02, au Centre d’emploi du Canada (CEC) à Matane.

Jean-Maurice Bellavance fut d'abord avisé de la suspension de ses fonctions par une lettre en date du 24 juillet 1996 de M. André Gladu (pièce E-9), sous-ministre adjoint, Région du Québec, Développement des ressources humaines Canada. M. Gladu informait le fonctionnaire qu’il avait fait l’objet d’une enquête à titre d’employeur et que suffisamment de faits permettaient de conclure que son comportement allait à l’encontre du Code de conduite de Développement des ressources humaines Canada (ci-après appelé Code de conduite de DRHC) et du Code de conduite régissant les conflits d'intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique (ci-après appelé Code de conduite de la fonction publique). M. Gladu lui indiquait aussi que la période de suspension était du 16 juillet au 26 août 1996, et qu’il avait « [...] mandaté votre gestionnaire principal à procéder à une enquête administrative visant à déterminer si les allégations en matière de fraude, de conflit d’intérêts et de toutes autres infractions pouvant être découvertes durant l’enquête sont fondées ».

Cette suspension sans solde durant l’enquête administrative fut prolongée, le 23 août 1996, jusqu'au 23 septembre 1996, le 20 septembre, jusqu'au 31 octobre 1996, et finalement, le 1 er novembre 1996, jusqu'au 29 novembre 1996. Dans une lettre datée du 27 novembre 1996, M. Gladu informait Jean-Maurice Bellavance qu'il approuvait son licenciement, en date du 29 novembre 1996. Les deux paragraphes suivants en expliquent les raisons : [...] L’étude de votre dossier démontre que vous vous êtes placé en situation de conflit d’intérêt et d’apparence de conflit d’intérêt. Elle démontre également qu’à titre d’entrepreneur privé vous avez émis ou avez fait émettre de faux relevés d’emploi et/ou des relevés d’emploi avec motifs erronés. Vous avez fait des traitements de faveur à vos anciens employés et à certains membres de votre famille. Finalement, l’étude démontre que vous êtes intervenu personnellement dans le

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Page 1 le fonctionnaire s'estimant lésé,

Décision Page 2 traitement des dossiers de réclamations d’assurance-chômage de certains de vos employés outrepassant ainsi les directives émises par la Direction des prestations.

Les gestes que vous avez posés vont à l’encontre du Code de conduite et du Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique. De plus, le lien de confiance entre l’employeur et vous est brisé.

[...] M. Bellavance a déposé deux griefs qui sont étudiés dans la présente décision. Dans son premier grief, daté du 6 août 1996, il conteste la suspension sans solde durant l’enquête initiale, et il réclame sa réintégration immédiate et le remboursement du salaire perdu pendant la période initiale de suspension, soit du 16 juillet au 26 août 1996.

Dans son deuxième grief, M. Bellavance indique que : Suite à l’avis de mon congédiement du 27 novembre 1996, je conteste ladite décision. Je demande ma réintégration avec remboursement des salaires perdus et tous mes avantages sociaux. J’entends démontrer que les raisons mentionnées sont fausses.

Les faits Les faits pertinents à la résolution des griefs sont ressortis comme suit lors de l'audition.

Depuis 1974, comme on l'a vu, M. Bellavance était à l’emploi de la CEIC. En 1980, il commence à exploiter une épicerie-dépanneur et, en 1984, il démarre un second dépanneur qui fait partie de la même compagnie, soit Les Entreprises J.M. Bellavance Ltée.

Le 29 juin 1984, M. Bellavance présente une Déclaration de conflit d’intérêts à son employeur (pièce E-4). Sa déclaration est faite par écrit auprès de son directeur, au CEC de Matane, feu M. Denis Fortin, qui contresigne la déclaration. M. Bellavance indique dans cette déclaration « [...] qu’il n’existe aucune ambiguïté entre mon travail d’agent d’assurance-chômage et comme propriétaire de compagnie [...] » et qu'il avait présenté une demande pour deux projets « Accès-Carrière ».

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Décision Page 3 Le 11 septembre 1984, le directeur exécutif du personnel de la CEIC, M. Jérôme Cyr, informe Jean-Maurice Bellavance que ses activités à titre de propriétaire des Entreprises J.M. Bellavance Ltée ne le placent pas en conflit d'intérêts. Aussi, il lui écrit qu’il peut bénéficier de projets « Accès-Carrière » parce qu’il n’est pas impliqué dans ce type de programme en tant qu’employé de la CEIC. Cependant, M. Bellavance, pour protéger son intégrité et celle de la CEIC, devra présenter cette demande de projets dans un autre CEC que celui de Matane. Par ailleurs, il informe M. Bellavance que, si ses fonctions officielles au sein de la CEIC ou ses intérêts personnels devaient changer, « je vous demanderais de réétudier votre situation et de nous révéler les conflits d’intérêts éventuels ou réels qui pourraient en résulter ».

En 1986, M. Bellavance signe une attestation comme quoi il a pris connaissance du Code de conduite de la fonction publique et indique qu’il possède des biens mentionnés à l’article 22b) (tel une entreprise personnelle, une société privée, etc.), mais que la possession de ces biens ne comporte aucun risque réel ou potentiel de conflit d’intérêts relatif à ses fonctions officielles.

En 1989, M. Bellavance décide de faire un changement dans la façon d’exploiter ses dépanneurs, en modifiant l’horaire de travail des employés, en adoptant la méthode du « 7/7 ». Selon cette méthode, une fois que les employés se qualifiaient pour les fins de l’assurance-chômage, c’est-à-dire qu’ils avaient le nombre de semaines minimales requises, ils connaissaient un arrêt de travail de plus de sept jours consécutifs pour pouvoir bénéficier de prestations d’assurance-chômage. D’autres personnes étaient engagées pour les remplacer et, la semaine suivante, les employés qui avaient été mis à pied revenaient travailler pendant que les nouvelles personnes étaient à leur tour en chômage. Les employés déclaraient leurs gains à la CEIC pour la semaine travaillée, en complétant leur carte d'assurance-chômage.

En 1993, M. Bellavance décide de louer ses dépanneurs et de ne plus s’impliquer dans la gestion de ses commerces. Il loue son dépanneur du boulevard Dion le 1 er décembre 1993 et, le 21 mars 1994, celui de la rue Desjardins, tel qu’en font fois les baux qui ont été déposés à l’audience.

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Décision Page 4 Le 6 janvier 1996, M. Bellavance entre dans le CEC et aperçoit M me Line Charette, une ex-employée de son dépanneur du boulevard Desjardins. C’était après les fêtes, une période très achalandée au CEC parce que beaucoup d’entreprises, comme « Canadelle », travaillait M m e Charette, fermaient leurs portes et il y avait donc plus de demandes d’assurance-chômage. Elle avait rempli sa carte et elle attendait dans la salle de réception. Bien que, en fait, M me Lyne Blouin, un agent I, était responsable du dossier de M me Charette, M. Bellavance, parce qu’il connaissait M m e Charette, a pris sa carte et a inscrit les informations qu’elle contenait dans le système informatique.

Quelques jours plus tard, l'ordinateur rejette ces inscriptions en tant qu'erreur de traitement. C'est alors que M me Blouin s’aperçoit que M. Bellavance avait traité ce dossier et elle en informe leur superviseur, M. Christian Fournier. Mis au courant, M. Fournier considérait cette situation comme anormale parce qu’un agent ne doit pas travailler au dossier confié à un autre agent, à moins d'entente entre eux ou d'autorisation de la direction. En outre, M. Fournier estimait que M. Bellavance était allé à l'encontre d'une directive qui précisait que, lorsqu'un dossier est inactif pendant trois mois, il fallait une nouvelle demande du prestataire pour le réactiver. Effectivement, il y avait de nouveaux faits qui pouvaient s’être produits pendant cette période de trois mois, comme la maladie, un autre travail, etc.

M. Fournier a demandé des explications à M. Bellavance qui lui a répondu : « Fais donc ce que tu as à faire. » Suite à cela, M. Bellavance n'a pas reçu de mesure disciplinaire mais, devant l'absence d’explications, M. Fournier est allé voir le directeur du CEC, M. Fortin, pour obtenir conseil. Celui-ci lui a demandé de faire des vérifications plus approfondies.

Avant ces événements, M. Bellavance avait toujours eu d’excellents rapports d’évaluation et était bien considéré par son superviseur et son directeur. Dans le contexte des restrictions budgétaires de 1995, l'atmosphère avait changé au CEC et M. Bellavance avait eu un différend avec le directeur lorsque ce dernier lui avait demandé de cumuler les tâches d'agent I en plus de celles qu’il occupait déjà. M. Fournier n'a pas sanctionné l'incident du dossier de M me Charette mais, le 22 mars 1996, dans l'annexe au rapport d’évaluation du rendement de M. Bellavance (pièce G-3), il mentionnait le dossier de M me Charette, en indiquant : Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 5 [...] J’ai rencontrer Jean-Maurice pour un dossier qui n’a pas été traité selon les procédures en vigueur. En effet, il aurait revalidé [sic] une demande d’une prestataire pour qui la demande était dormante depuis plus de 3 mois, même si la directive était claire dans ce cas. J’ai tenté de savoir pourquoi il avait agit ainsi, mais il m’a tout simplement dit de faire ce que j’avais à faire.

J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi Jean-Maurice agit de cette façon et j’ai, d’ailleurs, tenté à quelques reprises de lui parler mais il est très difficile de faire des approches. Les échanges sont très difficiles.

[...] M. Fournier a témoigné que, au début, il ignorait le lien entre M M. Bellavance mais que, par la suite, il a découvert la relation ex-employée/ ex-employeur et il a estimé qu'il y avait une situation de conflit d'intérêts réel ou potentiel. Il en a informé le directeur du CEC, M. Fortin.

M. Pierre Sirois, directeur responsable du réseau Bas-St-Laurent, a attesté que M. Fournier l'avait appelé pour l’informer que M. Bellavance semblait avoir des pratiques douteuses, qu’il y avait des allégations de conflit d’intérêts. Afin d'en vérifier le fondement, M. Sirois a mandaté, premièrement, M. Serge Picard pour voir s’il y avait matière à enquête. Puis, suite au rapport verbal de M. Picard, comme il y avait effectivement matière à enquête, il a demandé à la Direction de programmes d’enquêtes et contrôle de Montréal de mandater un enquêteur de l’extérieur de la région pour plus d'impartialité. C'est ainsi que, en juin 1996, M. Marcel Pouliot a été mandaté pour mener une enquête en compagnie de M. Picard.

L'enquête de M. Pouliot portait sur M. Bellavance à titre d’employeur. M. Pouliot est venu à Matane la première semaine de juillet pour enquêter et rencontrer une vingtaine de personnes, dont les ex-employés des Entreprises J.M. Bellavance Ltée. Son témoignage est à l’effet qu’il y avait beaucoup de va-et-vient des employés, beaucoup de mises à pied et que cela suscitait des questions.

M. Pouliot a constaté qu’il y avait un « processus » de mises à pied et de chômage. C’est une méthode de travail qu’il n’avait pas vu en 26 ans de service comme enquêteur. Cette méthode est appelée le « 7/7 » : une semaine travaillée et

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m e Charette et

Décision Page 6 rémunérée, suivie d’une mise à pied de sept jours couverte par l’assurance-chômage. Il a témoigné qu’on ne pouvait pas dire qu’il y avait un manque de travail, contrairement à ce qui figure sur les relevés d’emploi.

M. Sirois, directeur du réseau Bas-St-Laurent, a témoigné que, suite à ce rapport d’enquête, il n’avait aucun doute que M. Bellavance avait exercé des pratiques douteuses en tant qu’employeur, en ce qui a trait à l’émission de relevés d’emploi, l’embauche et la mise à pied de personnel à son entreprise. Il a jugé la situation extrêmement grave, particulièrement dans le cadre d’une petite ville semi-urbaine comme Matane, il y a beaucoup de bouche à oreille.

M. Sirois a donc décidé de convier M. Bellavance à une réunion à laquelle assistait aussi le directeur du CEC de Matane, M. Fortin. Après avoir entendu les allégations portées contre lui, M. Bellavance a refusé d'en discuter. En contre-interrogatoire, M. Sirois a admis qu'il a proposé que M. Bellavance démissionne, mais celui-ci a refusé en répondant : « Je ne démissionne pas. On se reverra. »

Suite à cette réunion, aux rapports des enquêteurs et en l’absence d’explication de M. Bellavance, M. Sirois a décidé de le suspendre sans paye pendant la durée de l’enquête. Il considérait qu’il y avait plusieurs dossiers d’employeur de M. Bellavance les faits étaient suffisamment graves pour justifier cette suspension sans solde. Il jugeait qu’il était important que M. Bellavance n’ait pas accès à ces dossiers pendant l’enquête, par mesure de sécurité et parce que c’était la norme au ministère du Développement des ressources humaines Canada.

Par la suite, M. Sirois a consulté une spécialiste en relations de travail au bureau de Montréal, M me Legault, puis il a discuté avec M. Gladu, sous-ministre adjoint, Région du Québec, DRHC, de sa recommandation de suspendre M. Bellavance. M. Gladu a accepté la recommandation et a suspendu M. Bellavance par lettre du 24 juillet 1996. Puis une enquête administrative sur M. Bellavance en tant qu'employé a été confiée à l’enquêteur M. Robert Gagné. L'enquête portait sur les allégations de conflit d’intérêts dans le traitement de demandes d’assurance-chômage.

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Décision Page 7 M. Gagné a témoigné qu’il est allé consulter les dossiers à Rimouski et qu'il a trouvé beaucoup d’anomalies dans les dossiers des ex-employés des Entreprises J.M. Bellavance Ltée. Il a aussi constaté plusieurs cas M. Bellavance était intervenu dans les dossiers d'ex-employés, se plaçant en situation de conflit d'intérêts.

Par ailleurs, en août 1996, le Caporal Ouellet de la GRC et M. Pouliot, l'enquêteur sur M. Bellavance à titre d'employeur, se présentent au domicile de M. Bellavance. Ils le rencontrent à l'extérieur de sa demeure et lui demandent de voir les livres comptables des Entreprises J.M. Bellavance Ltée. Après consultation téléphonique avec son avocat, M e Tremblay, M. Bellavance refuse puisque la Loi sur l'assurance-chômage prévoit que l'employeur doit remettre ces documents à sa place d’affaires et non à sa résidence. M. Pouliot et le Caporal Ouellet acceptent cet argument, mais comme M. Bellavance n'exploite plus ses dépanneurs, ils ne peuvent avoir accès aux livres à leur place d’affaires. Ils reviennent en novembre 1996 avec un mandat de perquisition, mais ne trouvent pas les livres de paye.

Suite à l'enquête administrative de M. Gagné, une rencontre a lieu le 13 novembre 1996 avec M. Bellavance, qui est accompagné de M e Tremblay. M. Gagné était présent, ainsi que son patron, M. Lajoie, et le directeur du réseau Bas-St-Laurent, M. Sirois. M. Gagné a posé des questions sur chacune des anomalies qu’il avait découvertes, mais M e Tremblay a indiqué, au nom de son client, que celui-ci n’était pas pour répondre à ce stade et qu’il allait attendre « en appel » pour s’expliquer.

En contre-interrogatoire, M e Tremblay a confronté M. Gagné avec la pièce E-3, qui est une lettre de convocation en date du 4 novembre 1996 adressée à M. Bellavance et dans laquelle M. Sirois déclare : « [...] je suis maintenant en mesure de vous informer que l’enquête tire à sa fin et que je suis en mesure de vous rencontrer afin de vous faire part des allégations précises dans votre dossier ». M. Gagné a indiqué que, lors de la rencontre, M e Tremblay avait dit que M. Bellavance n’avait pas à répondre à des allégations et qu’il se prévaudrait de ce droit « en appel ». M. Lajoie avait alors répliqué que c’était le devoir de l’employé de répondre aux questions de l’employeur sur ses agissements et d'expliquer les faits notés au dossier, même si cela n’avait pas été mentionné dans la lettre.

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Décision Page 8 M. Gagné a aussi témoigné que M e Tremblay et M. Bellavance avaient donné des explications sur la question de la Déclaration de conflit d’intérêts qui figure à la pièce E-4. M. Bellavance leur a expliqué que, à l’époque, en 1984, il exploitait deux commerces de dépanneur à Matane dans le cadre d’une compagnie et qu'il en avait informé son employeur.

Suite à cette réunion, M. Sirois a rencontré M m e Legault, spécialiste en relations de travail, et MM. Lajoie et Gagné, pour évaluer l’ensemble de la preuve et la gravité des allégations. La recommandation qu’ils ont faite à M. Gladu en était une de licenciement. M. Gladu a suivi leur recommandation et a décidé de licencier M. Bellavance, ce qu'il lui annonçait dans la lettre du 27 novembre 1996 citée au début de la présente décision.

M. Bellavance a témoigné que, depuis son licenciement il travaille à temps plein dans son entreprise. Il aurait préféré travailler pour un autre employeur dans un emploi de bureau. Mais, dans les circonstances il a quitté son emploi au CEC, toutes les portes des employeurs de la région lui étaient fermées. Il possède une vingtaine de logements et obtient aussi des revenus de location des deux dépanneurs dont il est question dans cette affaire. Il fait beaucoup de travaux de construction et de rénovation de logements. Ce travail physique est très demandant et il aimerait bien retrouver un emploi derrière un bureau à DRHC, même si c’est pour travailler à Rimouski.

Les questions en litige Outre les faits déjà relatés, la preuve a essentiellement porté sur les questions suivantes : M Bellavance a-t-il manqué au Code de conduite de DRHC et au Code de conduite de la fonction publique en traitant des demandes d'ex-employés? Est-ce que le licenciement était justifié en regard des fautes reprochées, particulièrement la politique du « 7/7 »? Voici un résumé des principaux témoignages sur ces points.

Les codes de conduite M. Sirois, directeur du réseau Bas-St-Laurent, a témoigné que, tous les ans, lors d’une tournée des centres d’emploi de sa région, il rappelait les exigences du Code de conduite de DRHC et du Code de conduite de la fonction publique. Cependant, il a

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Décision Page 9 déclaré en contre-interrogatoire qu’il n’y avait pas de programme de formation, contrairement à ce qui est prescrit au Code de conduite de la fonction publique (pièce G-2, page 5, numéro 10, premier paragraphe).

M e Tremblay a contre-interrogé M. Sirois au sujet de la pièce E-1, qui est une note de service datée de 1992 adressée à tous les directeurs de centres d’emploi et directeurs de réseaux, par M. Gladu, à l’époque directeur général des opérations. Le sujet en est la « Prestation de services et Code régissant les conflits d’intérêts » et au quatrième paragraphe, on y lit : La clientèle avec laquelle l’employé ne devrait pas traiter est l’employeur ou travailleur parent, ami intime, personne demeurant avec lui, quelqu’un avec qui il partage des intérêts personnels et financiers. Si le dossier de l’un ou l’autre de ces clients parvient à l’employé visé, ce dernier le soumettra à la gestion qui prendra les mesures appropriées.

M. Sirois a reconnu que nulle part on n'avait prévu spécifiquement dans ce texte le cas d’ex-employés. Mais d'après lui, l’esprit du Code de conduite de la fonction publique était plus large et on se fiait au jugement des employés. M. Sirois a aussi témoigné au sujet du troisième paragraphe à la page 2 de la pièce E-1 : Les employés responsables du traitement des demandes de prestations peuvent être placés dans une situation d’apparence de conflit d’intérêts lorsqu’ils ont à traiter par exemple une demande de prestations formulée par un collègue de travail, un parent, une personne avec qui ils entretiennent des relations intimes ou d’affaires. Dans ce genre de situation, le dossier doit être soumis au surveillant qui décidera si celui-ci devra être traité localement, envoyé à un autre bureau ou envoyé au CSSTA.

D’après M. Sirois, l’expression « avec qui ils entretiennent des relations intimes ou d’affaires » englobe le cas d’ex-employés qui présenteraient une demande de prestations au CEC à M. Bellavance.

Par ailleurs, M. Bellavance a témoigné sur sa connaissance des codes de conduite et la notion de conflit d’intérêts. Il a déclaré que le directeur du CEC les avait prévenus de ne pas se mettre en conflit d’intérêts avec des parents, amis et connaissances en général et qu’il se souvenait d’avoir reçu le Code de conduite de DRHC en 1991, mais qu’il ne se souvenait pas avoir reçu, en 1990, le Code de conduite

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Décision Page 10 de la fonction publique. La procédure qu’il avait adoptée à Matane avec sa collègue, M me Solange Plante, était qu’elle traiterait les dossiers lorsque M. Bellavance pensait qu’il pouvait être en conflit d’intérêts pour des « connaissances en général ». À la question de ce qu’il voulait dire par « connaissances en général », il a défini cela comme « personnes qu’on connaît bien ».

Il a indiqué qu’il avait pris connaissance de la note de service (pièce E-1) de M. Gladu sur les conflits d’intérêts. Il a déclaré : « On parle de liens financiers. » Il ne considérait pas qu'il était en conflit d’intérêts avec une ex-employée. Il a spécifié qu'il s'était toujours bien gardé d’autoriser des prestations sur les relevés d’emploi émanant de son entreprise et, dans le cas de son fils et de sa femme, il n’a jamais traité leurs demandes. M. Bellavance a notamment spécifié : « J’ai toujours eu comme politique de ne jamais autoriser des prestations à un employé, ou même un ex-employé. » Dans le cas de M me Line Charette, il s’agissait d’une transmission de demande de prestations, « j’ai jamais pensé; c’était tellement banal ».

M. Bellavance a témoigné que le directeur, M. Fortin, ainsi que le superviseur, M. Fournier, savaient qu’il avait des dépanneurs et ils en étaient des clients, particulièrement du dépanneur sur le boulevard Dion, parce qu’ils habitaient tout près et que tout le monde au CEC le savait.

M m e Solange Plante, collègue de travail de M. Bellavance, a témoigné aussi sur la notion de conflit d’intérêts. Il y avait eu une réunion il y a longtemps sur ce sujet et elle avait gardé « en tête de ne pas régler une demande de quelqu’un qu’on connaissait trop, de personnel, ou d’un voisin par exemple ».

Elle a témoigné que, s’il y avait un dossier dont elle connaissait la personne et qu’elle était seule au CEC, en l’absence de M. Bellavance elle le donnerait à M. Fournier, son superviseur, qui normalement l’envoyait à Caupascal ou à Rimouski pour traitement, par exemple, dans le cas d’un conjoint d’une collègue du CEC. Mais, même si elle connaissait la personne, elle n’aurait pas envoyé ailleurs le dossier pour traitement pour une « 9(6)d) ». Elle a expliqué ceci en indiquant qu’il n'y avait « pas d’implication matérielle, aucun impact financier » pour une « 9(6)d) », qui vise à faire terminer une demande de prestations plus tôt afin d’établir une nouvelle demande de prestations.

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Décision Page 11 Les fautes reprochées à M. Bellavance M. Fournier, superviseur de M. Bellavance à l'époque, a témoigné qu’il y avait trois facteurs qui avaient influencé le déclenchement de l’enquête. Premièrement, c'était M m e Blouin qui traitait du dossier de M me Charette et M. Bellavance s’était ingéré dans le dossier d’un autre employé sans qu’il y ait entente. Deuxièmement, ledit dossier était inactif depuis une période de trois mois et il était contraire aux directives du CEC de réactiver un tel dossier. Et, troisièmement, M me Charette était une ancienne employée de M. Bellavance, donc il y avait un conflit d’intérêts ou une apparence de conflit d’intérêts.

M. Fournier a aussi signalé que, grâce à l'intervention de M. Bellavance, M me Charette avait bénéficié d’un privilège parce que le délai normal pour recevoir des prestations est de trois à quatre semaines et, en intervenant directement dans le dossier, ce délai avait été réduit. Le délai normal de trois à quatre semaines s’explique par le besoin de remplir une demande sont fournies toutes les informations qui doivent être traitées.

Après l'enquête de M. Pouliot, c'est M. Gagné qui s’est vu confier l'enquête administrative et c'est lui qui a témoigné principalement sur les faits qui ont mené à au congédiement de M. Bellavance.

La pièce G-14 est reproduite ci-dessous, exception faite des numéros d'assurance sociale. Elle décrit l’ensemble de l’enquête de M. Pouliot. M. Gagné a témoigné sur les différentes anomalies découvertes dans les dossiers d’ex-employés des Entreprises J.M. Bellavance Ltée. La case D indique le dernier jour de travail. La case E réfère à des situations M. Bellavance se serait retrouvé en conflit d’intérêts à l'égard de demandes de prestations d’ex-employés. La case F est un code de semaine utilisé dans les CEC. La case G décrit des fautes reprochées, s'il y a lieu, et la case H, le délai d'émission du relevé d'emploi.

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Décision Page 12 Reproduction de la pièce G-14 14-07-96 Page 1 DEPAN.XLS Entreprises J.M. Bellavance. VEK-211153 - nas. le 14-11-1950 A B C D E F G H 1 Noms Prénoms N.A.S. D.J.T. Conflit DPP Renseignements obtenus & confirmés. Délais d’émission 2 Bellavance Simon 14-09-91 762 Faux certificat de cessation N-82291860 142 jrs. 3 Bellavance Simon 15-08-92 814 Faux certificat de cessation # N-84830600 169 4 Bernier Madeleine 13-06-92 782 Manque de travail artificiel - favorisant son épouse 5 Bernier Madeleine 15-05-93 834 Manque de travail artificiel - favorisant son 35 épouse 6 Bernier Madeleine 19-03-94 886 Manque de travail artificiel - favorisant son 105 épouse 7 Charette Line 31-07-93 x 843 Manque de travail artificiel - favorisant 14 Linda Lacroix 8 Charette Line 12-03-94 x 888 Manque de travail artificiel - favorisant 19 Linda Lacroix 9 Gagné-Bellav Louise 03-05-93 830 épouse du sujet - aucune irrégularité connue 10 Gagné-Bellav Louise 12-03-94 882 épouse du sujet - aucune irrégularité 79 connue 11 Harrisson Sylvie 31-10-92 816 aucune irrégularité connue 73 12 Harrisson Sylvie 09-10-93 x 868 aucune irrégularité connue 121 13 Jenkins Margot 22-05-92 789 Faux motif de cessation - Abandon 89 volontaire 14 Lacroix Linda 30-10-93 x 854 Manque de travail artificiel - favorisant Line Charette 15 Levesque Ghislaine 02-08-92 802 Faux motif de cessation-congédiement 87 (remplacée par Dany Levesque) 16 Levesque Dany 05-12-92 x 809 Manque de travail artificiel - 7/14 32 17 Lévesque Dany 09-10-93 x 854 Manque de travail artificiel - 7/14 26 18 Lévesque Josée 16-10-91 nul comptable agissant sur les directives de non-émis JMB - n’a jamais reçu de RDE. 19 Perron Christine 08-10-93 851 Manque de travail artificiel - 7/14 20 Truchon Jocelyne 17-07-93 839 Manque de travail artificiel - 7/14 21 Truchon Jocelyne 12-03-94 891 Aucune irrégularité 79 22 Turcotte Eugéna 22-05-93 nul De 1987 à 1993, travailla “sous la table” à non-émis $5.00 l’heure- 23 6 4 faux relevés d’emploi 16 infractions Marcel Pouliot, ASI

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Décision Page 13 Le premier cas sur lequel M. Gagné a témoigné est celui de Line Charette, il considère qu’il y a deux situations de conflit d’intérêts. La première, on la retrouve dans un document à la pièce G-9, intitulé « Renseignements supplémentaires concernant la demande de prestations ». M me Charette a fait une demande pour faire terminer ses prestations plus tôt afin d’établir une nouvelle demande de prestations. M. Bellavance a approuvé cette demande en vertu de l'alinéa 9(6)d) de la Loi sur l’assurance-chômage, en inscrivant : « [...] Aucune exclusion ou inadm. à servir. » Cette décision était datée du 23 juillet 1994. L’autre situation est celle qui figure à la pièce G-4, l’on voit le code d’usager « Bellavance ». C'est une inscription informatique de M. Bellavance dans le dossier de Line Charette où, pour la semaine du 17 décembre 1995, il indique une rémunération. Sur ce point, M. Gagné témoigne qu’il existe une directive qui mentionne clairement que, lorsqu’un dossier est inactif pour trois mois ou plus et que le bénéficiaire demande que les prestations soient versées à nouveau, on ne doit pas réactiver l’ancienne demande, mais plutôt considérer cela comme une nouvelle demande, ce qui n’a pas été fait dans ce cas, M. Bellavance se retrouve près de six mois plus tard à réactiver une ancienne demande. C’est au sujet de ce dossier qu'il y a une note au rapport d’évaluation de M. Bellavance, qui a été transmise à M. Gagné lors de son enquête.

Le cas suivant est celui de Linda Lacroix. M dépanneur « Gazor », qui était un des dépanneurs des Entreprises J.M. Bellavance Ltée. M. Bellavance, dans une lettre datée du 15 août 1994, écrit à M lui indique que « [...] la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada accepte de vous accorder une période d’incapacité du 1 16 septembre 1994. » C’est, selon M. Gagné, une autre situation il y a anomalie parce qu’il y avait une relation employée-employeur ou ex-employée-ex-employeur.

Le cas suivant est celui de Dany Lévesque. M m e Lévesque travaillait au dépanneur de M. Bellavance sur le boulevard Dion. M. Gagné témoigne que, dans ce dossier (pièce G-8), il a constaté différentes interventions de M. Bellavance, malgré le fait que M me Lévesque était son ex-employée. Le 20 avril 1994, M me Lévesque fait une demande pour mettre fin à ses prestations d'assurance-chômage pour établir une nouvelle demande. M. Bellavance autorise la mesure conformément à l'alinéa 9(6)d) de la Loi sur l’assurance-chômage. On retrouve au dossier la mention « [...] Aucune exclusion [...] », avec les initiales de M. Bellavance au 18 novembre 1993. Le dernier Commission des relations de travail dans la fonction publique

me Lacroix a travaillé pour le me Lacroix (pièce G-10) et er août 1994 au

Décision Page 14 jour de travail de M me Lévesque au commerce de M. Bellavance était le 9 octobre 1993. Donc, à peine un mois et demi plus tard, il traitait son dossier.

En contre-interrogatoire, M. Gagné a indiqué que, d’après lui, le conflit d’intérêts naissait du lien d’affaires qu’il y avait, ou qu'il y avait eu, entre M. Bellavance et ses ex-employés. M. Bellavance a déjà eu une relation d’affaires avec ces personnes en tant qu’employeur. Est-ce qu’il y a un conflit d’intérêts? C’est la question que le fonctionnaire s'estimant lésé aurait se poser et que des gens dans la communauté pouvaient se poser.

Par ailleurs, M. Gagné a expliqué que les relevés d’emploi doivent être remplis par l’employeur, selon la Loi, dans les cinq jours ouvrables suivant la fin d'emploi. Or, il a constaté que, pour les dépanneurs de M. Bellavance, ils ont souvent été remplis après les délais (pièce G-14, case H).

Il y avait aussi le cas de M. Viel Desrosiers qui, suite à une dénonciation, avait fait l'objet d'une enquête par M. Guy Savard, un enquêteur affecté au CEC de Matane, qui n'avait rien trouvé de répréhensible. M. Bellavance avait traité ce dossier en indiquant « cas en ordre ». M. Gagné déclare que M. Bellavance avait un choix : il pouvait retourner à l’enquêteur pour supplément d’informations, mais il ne l’a pas fait. Or, selon certaines informations, M. Desrosiers était le locataire de M. Bellavance. Il a apposé sa signature dans un dossier il connaissait la personne, donc il y avait un conflit d’intérêts.

M. Gagné a aussi témoigné sur le « 7/7 ». Il a déclaré que c'était un système qui bénéficiait aux personnes qui se trouvaient à recevoir de l’assurance-chômage une semaine sur deux alors qu’il n’y avait pas réellement de manque de travail. Selon son expérience d’enquêteur, un dépanneur est un commerce qui fonctionne 12 mois par année; il n’y a pas de manque de travail. Il s'est posé la question pourquoi il y avait tant de mises à pied alors qu’on engageait? Pourquoi indiquer qu’il y a un manque de travail alors qu’on engage le lendemain?

Le « 7/7 » ne peut être permis que dans deux cas. Il faut que cette démarche soit approuvée à l’intérieur d’un programme pour créer des emplois et dans une entreprise qui, normalement, licencierait. On parle de protocole d’entente, par exemple, dans le cas de travail partagé. L’autre façon de permettre le « 7/7 » est sans

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Décision Page 15 protocole d’entente, pour répondre à des besoins, mais les employeurs doivent quand même satisfaire à certaines conditions. La première condition est que le nombre de prestataires d’assurance-chômage n’augmente pas et la deuxième, que la durée d’emploi ne diminue pas. Par exemple, un commerce saisonnier qui, au lieu d’ouvrir de façon saisonnière six mois seulement, ouvre 52 semaines par année et ne crée pas de chômage. Les personnes vont travailler par équipe réduite, mais pendant 52 semaines au lieu de six mois.

Dans le cas des Entreprises J.M. Bellavance Ltée, il n’y avait pas de protocole d’entente ni d’autorisation, mais il y avait une augmentation substantielle de prestataires. Cette façon de procéder se trouvait à engager plus d’argent du fonds de l’assurance-chômage. M. Gagné a calculé, sans être un spécialiste, que de 1992 à 1994, cela avait nécessité une somme de 100 000 $.

M. Gagné a admis en contre-interrogatoire que, pour déterminer si le « 7/7 » était permis, il s'était fondé sur le dossier « Les Fruits de mer de l’est du Québec Ltée », au sujet duquel on retrouve à la pièce G-12, une note de service de S. Ricci. Il a consulté l’expert technique de Montréal pour savoir si le « 7/7 », tel que pratiqué dans l’entreprise de M. Bellavance, était légal. Il admet en outre qu’il n’a pas vérifié si d’autres entreprises de Matane utilisaient le « 7/7 » et qu’il n’a pas consulté l’expert technique de Matane.

M. Gagné a par ailleurs souligné que, pour son enquête, il avait besoin des livres de paye des Entreprises J.M. Bellavance Ltée, mais que M. Bellavance avait refusé de les lui donner. M. Gagné en avait besoin pour valider les relevés d’emploi, les motifs de cessation d’emploi, et ils n'ont jamais été fournis. Il voulait vérifier si les employés étaient toujours à l’emploi de M. Bellavance pendant qu’ils recevaient des prestations d’assurance-chômage. L’accès aux livres aurait facilité le travail et révélé quelle semaine avait été chômée, quelle semaine avait été payée dans le système « 7/7 », parce que cette information n’apparaissait pas aux documents en possession de M. Gagné, soit autant le relevé d’emploi que la demande de prestations. M. Gagné a ajouté qu’il était en mesure de se faire un tableau, sans avoir accès aux livres, du début et de la fin des périodes de travail des employés et des relevés d’emploi.

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Décision Page 16 M. Bellavance a été interrogé sur le cas de Line Charette. Au sujet de la pièce G-9 en particulier, il a témoigné que, en vertu de l’alinéa 9(6)d) de la Loi sur l’assurance-chômage, il est permis au prestataire de mettre fin à une demande d’assurance-chômage. Pour ce qui est de la pièce G-4, il a dit : « M me Charette m’a donné sa carte et je l’ai rentré dans l’informatique. Toutes les cartes qu’on reçoit, on les pitonnes. J’ai jamais pensé que c’était mal. » Il a aussi indiqué que, s’il avait voulu s’en cacher, il aurait pu se servir de l’ancien système SADA et le code d’utilisateur ne serait jamais apparu.

M e Tremblay a déposé la pièce E-6, qui est une lettre de l’expert technique, M. Labrie, datée du 11 décembre 1995, qui disait que l’entreprise « Canadelle » se préparait à faire un « massive layoff ». M. Bellavance a déclaré que « Canadelle » fermait ses portes la veille de Noël, comme à chaque année, et qu’il s’est basé sur ce fait.

En contre-interrogatoire, à la question de M e Merner, « Vous avez dit qu’un conflit d’intérêts c’était des gens de connaissance. Line Charrette, ce n’était pas une connaissance? », M. Bellavance a indiqué : « Oui, je la connaissais, mais depuis que j’avais fermé mes dépanneurs, c’était clair que je pouvais travailler sur ces dossiers. Mais, je n’autorisais pas de nouvelle demande. »

M. Bellavance a déclaré, par ailleurs, que dans chacun des dossiers d'ex-employés il était intervenu, il s’agissait d’interventions sans grandes conséquences, presque routinières. Ainsi, dans le dossier de Linda Lacroix (pièce G-10), il y avait un certificat médical justifiant l’incapacité de M me Lacroix et c’était la politique dans les CEC d'approuver ce genre de situation. Dans le dossier de Dany Lévesque (pièce G-8), c’était une décision en conformité du paragraphe 9(6)d) de la Loi; c’était la seule intervention. M. Bellavance a spécifié qu'il n'aurait pas fait ce genre d'intervention pour une employée actuelle : « Non, quand c’était mes employés, c’était d’autres agents. Je n’aurais jamais fait du 9(6)d). » De plus, il a indiqué : « J’ai toujours eu comme politique de ne jamais autoriser de prestation à un employé ou même un ex-employé. »

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Décision Page 17 M. Bellavance a déclaré qu’il ne connaissait pas M. Viel Desrosiers. M. Desrosiers n’était pas son locataire, mais plutôt le conjoint de sa locataire, M m e Nathalie Gauthier. M. Fournier habitait près du dépanneur et a voir M. Desrosiers en compagnie de M me Gauthier (pièce G-11). M. Desrosiers, selon la dénonciation, aurait commencé à pêcher vers le 25 février 1994. M. Savard a fait enquête et a découvert qu’il n’y avait pas de pêche en février, puisque le fleuve était de glace. Comme il était impossible de pêcher en février, M. Bellavance a approuvé sa demande sans problème.

M. Bellavance a, par la suite, témoigné sur la politique du « 7/7 » qu’il maintenait dans son entreprise. Il a reconnu ce fait; il a dit : J’avais adopté la politique du « 7/7 » pour être en mesure d’avoir un plus grand nombre d’employés formés et disponibles en tout temps, ce qui me permettait d’avoir des personnes de confiance, formées, et c’était important parce que c’était les seules personnes présentes aux commerces. Je maintenais toujours quatre employés par dépanneur. Je n’avais pas besoin de temps partiel de cette façon. Avant 1989, je maintenais deux temps plein par dépanneur et deux temps partiels par fin de semaine. La personne qui était sur le « 7/7 » dans la semaine de chômage pouvait travailler et c’est arrivé que je l’engage dans le dépanneur suite à la maladie de notre employé ou des absences.

M. Bellavance a témoigné que le « 7/7 » était un horaire de l’employeur et qu’il n’y avait rien d’illégal. Lorsqu’il indiquait « manque de travail » aux formulaires de cessation d’emploi, c’est parce qu’il y avait deux employés dans le même poste. Il a aussi témoigné qu’il y avait d’autres entreprises qui fonctionnaient ainsi, dont le dépanneur « St-Gelais », depuis 1985, et l’épicerie « Audet », et qu’il n’y a rien d’illégal. Il avait eu à traiter les dossiers d’assurance-chômage des employés du dépanneur « St-Gelais » et les prestations avaient été autorisées. M. Richard Labrie, Conseiller Service Technique Assurance (CSTA), du CEC de Matane, avait enquêté sur ça et M. Alexandre Chouinard, Conseiller Spécial Service Technique Assurance (CSSTA) avait été consulté.

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Décision Page 18 En contre-interrogatoire, M e Merner a interrogé M. Bellavance sur le « 7/7 », et particulièrement l’obligation de protéger le fonds de l’assurance-chômage qui lui incombait en tant qu’employé. M. Bellavance a répondu que la Loi et les règlements sont pour protéger le fonds. Il a ajouté : S’il existe un trou, une largesse, ce n’est pas à moi de contrer ça. L’évolution au niveau des entreprises n’a pas été suivie par la Loi de 1971. Ce n’est pas défendu donc, si c’est une possibilité pour l’entreprise, je vais en profiter. Il n’y a pas de directive qui m’empêche d’employer deux personnes dans le même poste. J’avais la liberté de le faire. Le « 7/7 » au CEC de Matane était toléré; il n’arrivait rien.

À l'exception de Christine Perron et de Linda Lacroix, qui avaient travaillé 52 semaines parce qu’elles travaillaient le jour, et Simon Bellavance, qui est un employé occasionnel l’été, M. Bellavance a reconnu que tous les autres employés avaient travaillé le minimum de semaines pour se qualifier et qu'ils avaient droit à l’assurance-chômage et débutaient le « 7/7 ». Ils travaillaient une semaine et étaient en chômage l’autre semaine. En deux ans, comme on peut le voir, il n’y avait pas de nouveaux employés; on faisait le roulement, le « 7/7 ».

Pour ce qui est du cas de son épouse, M m e Gagné-Bellavance, l’objectif en l’embauchant dans le cadre du « 7/7 », était qu’elle remplace, au besoin, lors de vacances ou s’il y avait un problème avec une employée pour qui le travail était trop stressant. M me Gagné-Bellavance pouvait aussi exercer un contrôle en étant sur les lieux et voir qu’il n’y ait pas de vol.

M. Bellavance a témoigné aussi sur le fait qu’il n’avait pas informé la gestion du CEC et de la CEIC, en général, de l’utilisation du « 7/7 » dans son entreprise.

Pour ce qui est des livres de la compagnie, M. Bellavance a déclaré qu’ils ont été détruits en 1997. En août 1996, il avait, suite aux conseils de M e Tremblay, refusé de remettre les livres de paye au Caporal Ouellet et à M. Pouliot parce qu’ils s’étaient présentés à son lieu d’habitation et non à la place d’affaires, contrairement à ce que prescrit la Loi. Lorsque des agents de la GRC sont revenus avec un mandat de perquisition en novembre 1996, il avait laissé les livres de paye sur le bureau et ils auraient eu l’occasion de les voir, de les prendre, mais ils ne l’ont pas fait « alors j’ai jugé qu’ils n’en avaient plus de besoin ». Après son licenciement, il a divorcé et il a

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Décision Page 19 déménagé en 1996 et en 1997. Il a donc détruit les livres comptables à l’occasion de son déménagement de 1997.

M me Solange Plante, une collègue au CEC de Matane, est venue témoigner à l’appui de M. Bellavance. Interrogée sur le « 7/7 », elle dit que c’est un horaire de travail et qu’elle connaissait trois employeurs à Matane qui pratiquaient un tel système : Les Fruits de mer de l’est du Québec Ltée, l’épicerie Audet et Fils, qui a fermé depuis, et le dépanneur St-Gelais. Elle témoigna aussi que, à diverses occasions, elle a eu « des demandes d’employeurs à savoir si c’était légal. Je leur disais que oui, en autant qu’ils respectent la Loi sur les normes du travail, le salaire minimum, et que Emploi et immigration n’était pas pour déterminer l’horaire des employeurs. » M me Plante a aussi témoigné que la Section enquêtes et contrôle avait fait enquête sur le dépanneur St-Gelais. Le cas a été transmis à Alexandre Chouinard, CSSTA au niveau régional.

D’après M me Plante, seulement 20 pour cent des employeurs remplissaient le relevé d’emploi dans le délai de cinq jours prescrit par la Loi.

Plaidoiries Pour l’employeur Voici, en résumé, les principaux arguments de M e Merner. Premièrement, M e Merner a soutenu que suffisamment de formation avait été donnée au Centre pour que M. Bellavance connaisse ses obligations découlant du Code de conduite de DRHC et du Code de conduite de la fonction publique. En effet, M. Sirois a démontré qu’il avait fait plusieurs visites au CEC de Matane, que les codes avaient été distribués et que la formation avait été donnée au personnel. M. Sirois a expliqué que c’était l’esprit du Code qui dominait et que le Code compte sur le jugement des personnes, même s’il n’y était pas indiqué qu’un ex-employé était couvert dans le cas de conflit. M. Sirois avait raison de compter sur le jugement des personnes et M. Bellavance et M me Plante l’ont démontré dans leurs témoignages. Par exemple, lorsque M. Bellavance a dit, « les gens de connaissance; les gens que je connaissais » ou lorsque M m e Plante a dit, « S’il y avait un dossier dont je connaissais la personne et que j’étais toute seule, j’enverrais le dossier à Rimouski. » Les codes ne

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Décision mentionnaient pas le cas du mari d’une employée, mais M couvert. On ne peut pas décrire toutes les possibilités; il faut se fier au jugement des gens.

De plus, il est interdit au Code de conduite de la fonction publique (pièce G-2, page 4, paragraphe g)) d’utiliser les renseignements obtenus dans le cadre de son travail à des fins personnelles. M. Bellavance utilisait les renseignements obtenus dans l’exercice de ses fonctions, comme employé, pour retirer un bénéfice, comme employeur, du fonds de l’assurance-chômage. Ce qui est pire, c’est qu’il a une obligation comme employé de protéger le fonds. Deux intérêts s'opposent ici : l’intérêt public dans la protection de la sécurité du fonds de l’assurance-chômage et l’intérêt de M. Bellavance d’utiliser ce fonds pour l’aider à payer ses employés. C’est qu’il y avait conflits d’intérêts.

M. Bellavance a expliqué son geste en se référant à l’enquête qui avait été faite sur le « 7/7 » par M. Richard Labrie, CSTA, dans les années 1980, mais il n’a pu déposer de documents à l'appui de sa prétention. Ces documents ne sont donc pas accessibles au public, ni même à l’avocat de l’employeur. M. Bellavance a utilisé ces renseignements pour créer son système et se sert de ces renseignements aujourd’hui pour justifier son action. Aucune preuve n’a été présentée à l’effet que la gestion était au courant du système de « 7/7 » employé par M. Bellavance. Au contraire, la réaction de l'employeur a été de suspendre M. Bellavance lorsqu’il a entendu dire qu’il y avait eu utilisation de ce système. Même si M. Bellavance avait agi de façon appropriée en créant son système de « 7/7 », il reste une apparence flagrante de conflit d’intérêts.

Deuxièmement, au sujet des fautes reprochées, M. Bellavance se donne des permissions non données aux autres. On a vu qu’il connaissait Line Charette, mais, selon lui, son intervention dans son dossier était banale. Il s’est donné la permission de s’ingérer dans le dossier d’une personne qu’il connaissait et qui ne lui avait pas été assigné. Selon M. Fournier, son superviseur à l’époque, il n’y avait pas assez d’information pour traiter de ce dossier. M. Bellavance aurait remettre le dossier à quelqu’un d’autre. Et puis, lorsque M. Fournier lui a demandé de l’information, il a dit : « Fais ce que tu as à faire »; c’est ce qui a déclenché l’enquête. Les enquêteurs ont identifié cinq autres situations de conflits d’intérêts et le problème du « 7/7 ». Le conflit d’intérêts est important, mais ce qui est pire, ce qui est plus grave, c’est le

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Page 20 me Plante savait que cela était

Décision Page 21 « 7/7 ». Selon le témoignage des enquêteurs, les relevés d’emploi des employés de M. Bellavance sont de faux relevés d’emploi parce qu’ils indiquaient « manque de travail » comme raison de fin d’emploi. Les dépanneurs fonctionnent 52 semaines par année; le « 7/7 » c’est normalement 26 semaines travaillées et 26 semaines de chômage. Alors, pourquoi les relevés d’emplois n’indiquaient pas 26 semaines de travail?

En réalité, les employés travaillaient le nombre minimum de semaines pour se qualifier à l’assurance-chômage. Comme explication, M. Bellavance a dit qu’il avait le droit d’exploiter les largesses du système. Selon le témoignage de l’enquêteur M. Gagné, il y avait deux façons légitimes pour l’employeur d’organiser le « 7/7 » : soit avec un protocole d’entente ou sans autorisation préalable, si cela ne créait pas de dépenses supplémentaires pour le fonds d'assurance-chômage. Le problème est que, avec le système de Jean-Maurice Bellavance, il y avait une augmentation des prestataires impliquant, pour les années 1992 à 1994 uniquement, une somme d’environ 100 000 $. Ce qui nous amène à la question de sécurité du fonds de l’assurance-chômage, qui est un facteur qu'a retenue la jurisprudence arbitrale. M. Sirois, ainsi que l’agent de sécurité, M. Gagné, ont indiqué que M. Bellavance présente un risque au fonds de l’assurance-chômage. L’employeur a l’obligation de protéger ce fonds.

Le problème est qu’un employé, en l’occurrence M. Bellavance, utilise de l’information obtenue au travail et son expertise professionnelle pour en tirer des avantages dans sa vie personnelle. « À tout le moins, si l’arbitre trouve qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts », il y a clairement une apparence de conflit d’intérêts du fait qu’un employé, sans autorisation, sans protocole, se permette d’utiliser le fonds de l’assurance-chômage pour subventionner le salaire de ses propres employés.

Troisièmement, il y a le lien de confiance. La gravité des infractions aurait pu être mitigée si M. Bellavance avait collaboré ou s'était expliqué, ou s'il avait reconnu ses fautes ou encore s'il avait démontré qu'il avait appris une leçon. La première fois que M. Bellavance s’est expliqué, fut au dernier palier de la procédure des griefs en novembre 1997. C’était la première fois que M. Bellavance répondait aux questions de l’employeur. « Si l’arbitre décide que le licenciement n’est pas approprié, la date à retenir pour le calcul de la suspension devrait être la date de cette première

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Décision Page 22 explication, soit en novembre 1997. » Tout au long de l’enquête, M. Bellavance répétait : « On se verra en appel. » Pour ce qui est des baux, ils ont été présentés lors de l’audience.

M. Bellavance n’a jamais produit les livres de paye des Entreprises J.M. Bellavance Ltée. Aujourd’hui, il dit qu’ils ont été détruits. Ce point affecte certainement sa crédibilité. M e Merner plaide que, en droit du travail, le refus de s’expliquer constitue une base de discipline en soi. Même lorsque l’employé fait face à des accusations, l’employé a une obligation d’expliquer sa conduite à l’employeur. La peur de s’incriminer ou le désir de ne pas communiquer d'éléments de preuve à l’employeur ne sont pas des motifs appropriés et M e Merner cite à l'appui la décision Re Toronto East General Hospital Inc. and Service Employees International Union [1975], 9 L.A.C. (3d) 311. Sur les sanctions, M. Bellavance n’a pas répondu selon son obligation d’expliquer et, dans le contexte, il aurait pu apporter les livres, mais il a refusé. « Son refus de répondre devrait, au minimum, lui coûter la période de suspension, de juillet 1996 jusqu’au jour la décision est rendue. »

La crédibilité est essentielle ici. La réputation de l’employeur est en jeu dans une petite communauté comme Matane. M. Bellavance, dans son comportement envers la gestion, au sujet de ses livres de paye de ses dépanneurs et dans son témoignage, n’a certainement pas la même crédibilité que les gestionnaires MM. Sirois et Fournier, qui étaient honnêtes, directs, sensibles aux intérêts de M. Bellavance et responsables dans leurs fonctions.

D’autres facteurs à considérer, rendant l’affaire plus grave, sont que Matane est une petite ville, les gens se connaissent, et que M. Bellavance savait très bien ce qu’il faisait. Un employé qui se donne la permission de bâtir « une manufacture de chômage » et, donc, qui abuse de la confiance de son employeur, ou qui en donne l’apparence, devrait en subir les conséquences. En conséquence, le lien de confiance avec l’employeur est brisé.

Enfin, M e Merner plaide que l’enquête ne s’est pas déroulée de façon appropriée. Bien que la lettre de convocation n’était pas identique à celle décrite au Guide opérationnel intitulé L’enquête administrative de nature disciplinaire (pièce E-2), il ne s’agit pas d’une erreur fondamentale, car ce guide opérationnel est flexible. Par

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Décision Page 23 ailleurs, il y avait deux types d’enquêtes; une sur le dossier d’employeur, par M. Pouliot, et, suite à cela, une enquête administrative sur l'employé, par M. Gagné. En théorie, ce sont deux enquêtes parallèles, mais, pour des raisons légitimes, l’information de l’une est utilisée pour l’autre. Cette divulgation de renseignements est permise en vertu de l'article 127 de la Loi sur l'assurance-emploi et M e Merner a soumis comme exemple une copie type de l'instrument de délégation du Ministre.

Les décisions suivantes sont citées : Teeluck (dossier de la Commission n o 166-2-27956); Kikilidis (dossier de la Commission n o 166-2-3180); McKendry (dossier de la Commission n o 166-2-674); Re Toronto East General Hospital Inc. and Service Employees International Union (supra); et Tripple et le Conseil du Trésor (dossier de la Cour d'appel fédérale n o A-66-85). Pour le fonctionnaire s’estimant lésé La plaidoirie de M e Tremblay peut être résumée comme suit. Premièrement, sur la question de conflit d'intérêts, il n’y a jamais eu de programme de formation, contrairement à ce que prévoit le Code de conduite de la fonction publique (pièce G-2, paragraphe 10). Surtout, l’employeur n’a pas fait la preuve d’un acte qui transgressait le Code de conduite de la fonction publique parce que nulle part on y spécifie un « ex-employé » ou même un « employé ». Ces mots ex-employé » ou « employé ») ne sont pas mentionnés expressément dans la note de service de M. André Gladu s'y rapportant (pièce E-1) ni couvert indirectement par les mots « intérêt personnel ou financier » ou « relations d’affaires ». De plus, l’employeur aurait faire la preuve par un expert de la contravention au Code de conduite de la fonction publique. L’enquêteur, M. Gagné, a lui-même indiqué dans son témoignage que M. Lajoie, son patron, était le spécialiste des conflits d’intérêts. M. Gagné n’est pas un expert sur les conflits d'intérêts et il n’est pas non plus un expert pour venir témoigner sur le « 7/7 » ou sur le travail partagé.

M. Bellavance avait le droit d’avoir des commerces et, en 1984, il en a fait la déclaration. M. Bellavance a instauré dans son entreprise, en 1989, une nouvelle méthode de fonctionnement lorsqu’il a établi la méthode de travail « 7/7 ». Il ne faut pas oublier que les Entreprises J.M. Bellavance Ltée sont un employeur qui a le droit d’établir un horaire de travail en fonction de postes de travail disponibles. Les gens y

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Décision Page 24 travaillaient en alternance. C’était légal, connu de tous et ça se faisait ailleurs. Le superviseur de M. Bellavance et le directeur du CEC demeuraient tout près d’un des dépanneurs et voyaient régulièrement les employés au dépanneur. Selon M e Tremblay, il était connu que le personnel de ces dépanneurs faisait des demandes de prestations d'assurance-chômage parce qu’il se présentait au CEC; c’était donc au vu de tous.

Nulle part M. Bellavance n’a utilisé de stratagèmes. Il a fait les actions qu’on lui reproche au su et au vu de tous. Dans le dossier de M nom et ses initiales (pièce G-8). Dans le dossier de M intervention, comme il l’a dit, banale. Aussi, comme l’a indiqué par ailleurs M dans son témoignage : « Pour une terminaison, 9(6)d), je serais intervenue pour un voisin. Il n’y aurait pas eu de problème avec ça. »

Deuxièmement, si l’employeur avait eu toute l’information plutôt que celle fournie par M. Gagné, il n’aurait jamais procédé au licenciement de M. Bellavance. Dans le dossier d’assurance-chômage de Line Charrette, l’intervention de M. Bellavance était banale, il n’a rien fait de mal, il a même mis ses initiales au dossier. C’est pour ça qu’il a dit à son superviseur, M. Fournier : « Fais ce que tu as à faire. » Lorsque le superviseur a fait un rapport d’évaluation pour relater l’incident Charette, il l’a fait trois mois plus tard (pièce G-3), le 23 mars 1996, et n’a imposé aucune mesure disciplinaire à cette date. Ce n’est qu’au retour de congé de maladie de M. Bellavance qu’on l’informe qu’il doit prendre une semaine de congé payé, car il fait l'objet d’une enquête. Tout à coup, on décide que cette intervention dans le dossier de M me Charette justifie une enquête spéciale pour un événement qui remontait au mois de janvier 1996. En fait, l’employeur cherchait à abolir le poste de M. Bellavance car, après le budget du ministre Martin de 1995, il y avait un contexte de mises en disponibilité envisagé au CEC.

Dans le cas de M. Viel Desrosiers, même s’il avait été un locataire de M. Bellavance et si quelqu’un d’autre avait fait l’enquête, M. Bellavance faisait simplement classer le dossier. Un locataire n’est même pas spécifié au Code.

Dans le cas de Linda Lacroix, la période d’incapacité n’était pas un traitement de faveur; c’était simplement un rapport du médecin que la personne fournissait.

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me Lévesque, il a même mis son m e Charette, c’était une m e Plante

Décision Page 25 M. Gagné a dit qu’il existait seulement deux possibilités pour que le « 7/7 » soit fait de façon légale : par protocole ou par travail partagé. Mais, M. Gagné ne s'est jamais informé auprès du personnel du CEC de Matane, en l'occurrence M m e Plante ou l’expert technique. S'il l'avait fait, il aurait été informé à ce moment-là que d’autres commerces fonctionnaient sur le même principe, sans protocole et sans travail partagé. Le « 7/7 » n’était pas du travail partagé parce que, pour le travail partagé, on réduit le nombre d’heures travaillées pour créer un poste pour deux personnes dans une même semaine. Mais pour les Entreprises J.M. Bellavance Ltée, il y avait effectivement un manque de travail parce qu’il y avait un autre employé qui travaillait cette semaine-là.

Pour ce qui est des arguments selon lesquels le « 7/7 » menaçait la sécurité du fonds d’assurance-chômage et qu'il y a eu émission de faux relevés d’emploi, la GRC a remis les documents à M. Bellavance et aucune poursuite civile ou criminelle n'a été entreprise contre lui ou ses ex-employés. Par ailleurs, il est faux de dire que, dans le système traditionnel, les fonds d'assurance-chômage n'auraient pas été engagés. Dans ce cas, un employé travaillerait cinq jours par semaine et un autre travaillerait à temps partiel deux jours par semaine. L’employé à temps partiel pourrait toucher de l’assurance-chômage. L’avantage du « 7/7 » pour un employeur est d’avoir du personnel formé, fiable, et de le conserver.

Au sujet du lien de confiance, et particulièrement du refus de M. Bellavance de s'expliquer, il y a lieu de nuancer les affirmations de l'employeur. Dès le départ, il s’est installé un climat de méfiance lorsque, le 6 juillet 1996, M. Sirois a demandé à M. Bellavance de démissionner. Celui-ci lui a répondu : « On se verra en appel. » M. Sirois a adopté l’attitude de quelqu’un qui avait déjà pris une décision, quelles que soient les explications qu’il recevrait, sans avoir même complété son enquête. Cela constituait du chantage, car M. Sirois menaçait de prendre action si M. Bellavance ne démissionnait pas.

En outre, lors de la réunion du 13 novembre 1996, on n’a pas donné à M. Bellavance un délai raisonnable pour répliquer. Une fois qu’il a été mis au courant des allégations, il n’a pu y répondre et on le licenciait quelques 11 jours plus tard.

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Décision Page 26 M e Tremblay plaide qu’un employé n’a pas l’obligation de transmettre toute l’information à son employeur et que, de toute façon, l’employeur doit avoir respecté un minimum de procédures, ce qui n’a pas été fait dans ce cas. L’enquêteur, M. Gagné, n’a jamais rencontré M. Bellavance au cours de l’enquête, et il ne lui a jamais demandé les livres de paye de son entreprise. La Loi sur l’assurance-chômage permet d’aller chercher les livres comptables à la place d’affaires d’un employeur et non pas à son domicile. On ne peut attaquer la crédibilité de M. Bellavance sur ce point. M. Bellavance a refusé de remettre ces livres à M. Pouliot parce que celui-ci les lui demandait à sa résidence.

Enfin, le processus d’enquête était entaché d'irrégularités et le Guide opérationnel intitulé L'enquête administrative de nature disciplinaire (pièce E-2) n’a pas été suivi. M. Sirois a choisi M. Picard, un collègue de M. Bellavance à Rimouski, pour faire une pré-enquête sur ce dernier en vertu de la Loi sur l’assurance-chômage. Puis M. Picard enquête avec M. Pouliot. Contrairement au paragraphe 94(11) de la Loi sur l’assurance-chômage, M. Pouliot et des agents de la GRC vont à la résidence de M. Bellavance pour y chercher les livres de paye. L’enquête devait se terminer le 9 août selon le mandat donné le 24 juillet 1996 (pièce E-11) par M. Gladu, mais, après plusieurs prolongations, ce n’est qu’en novembre 1996 que l’enquête se conclut.

En fait, M. Sirois avait déjà pris sa décision et, en conséquence, on ne peut pas reprocher le manque de collaboration de M. Bellavance. Selon le Guide opérationnel intitulé L'enquête administrative de nature disciplinaire (pièce E-2, page 18), la lettre de convocation adressée à M. Bellavance aurait indiquer les allégations formulées à son endroit et stipuler qu'il aurait l'occasion d'y répondre. Au contraire, M. Sirois lui indiquait, dans la lettre de convocation du 4 novembre 1996 (pièce E-3), que le but de la rencontre était de faire part à M. Bellavance d’allégations précises contre lui. Nulle part on indiquait qu'il devrait s'expliquer. Toutefois, même s'il n'y était pas obligé, compte tenu de la convocation, M. Bellavance a expliqué qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts parce qu’il était propriétaire de deux dépanneurs et qu’il avait fait des déclarations en 1984 à ce sujet.

Dans le dossier de M. Bellavance, il y a des éléments d’enquête à titre d’employeur qui ont été utilisés dans l’enquête à titre d’employé. Cette enquête, donc, n’était pas faite de façon appropriée. L’employeur n’a pas respecté les politiques

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Décision Page 27 d’enquête administrative et on reproche à M. Bellavance de ne pas avoir respecté le Code de conduite de la fonction publique n’est même pas spécifié la notion de conflit d’intérêts à l'égard d'un ex-employé ou même d'un employé.

L’élément qui a déclenché la suspension est survenu le 6 janvier 1996 dans le dossier Charette. En fait, après avoir eu un rapport d’évaluation au mois de mars, on suspend M. Bellavance en juillet. Il n’y avait aucun risque pour la sécurité, alors que M. Bellavance avait travaillé pendant les six mois écoulés depuis l’événement en question. M. Bellavance est un employé en qui on avait toujours eu confiance jusque là. La preuve démontre qu’il n’y avait pas lieu de suspendre M. Bellavance.

Selon la jurisprudence, l’arbitre doit tenir compte de la durée de suspension. Ici, l’enquête s’est prolongée au-delà du mois d’août et, durant l’enquête administrative, on n’a jamais communiqué avec le fonctionnaire. « Même si l’arbitre venait à conclure que le fonctionnaire s’était placé en conflit d’intérêts, cela ne justifierait pas la peine capitale si on regarde la jurisprudence. »

Les décisions suivantes sont citées : K... (Ville de) et Association des policiers de K... Inc. (D.T.E. n o 92T-100); Canadien National et Association des policiers du Canadien National (D.T.E. n o 93T-23); Syndicat des employées et employés de bureau d'Hydro-Québec, section locale 2000 et Hydro-Québec (D.T.E. n o 93T-629); Chatterton et Angelica international ltée. (D.T.E. n o 93T-869); Banque Laurentienne du Canada et Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau (D.T.E. n o 96T-15); Union des chauffeurs de camions, hommes d'entrepôts et autres ouvriers, section locale 106 c. Imbeau (D.T.E. n o 96T-726); Société canadienne des postes et Syndicat des postiers du Canada (D.T.E. n 95T-218); Fraternité des policiers de la ville de X. et X. (Ville de) (D.T.E. n o 94T-202); Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476; Fraternité des policiers de la Communauté urbaine de Montréal Inc. c. Communauté urbaine de Montréal, [1985] 2 R.C.S. 74; McManus (dossiers de la Commission n os 166-2-8048 et 166-2-8078); Casselot (dossier de la Commission n o 166-2-3352); Vaillancourt (dossier de la Commission n o 66-2-3617); et Simon Bellavance et le Ministre du Revenu national (dossier de la Cour canadienne de l'impôt n o 97-906(UI)). Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 28 Motifs de la décision En bref, l’employeur allègue que le licenciement de M. Bellavance est justifié parce que ce dernier s'est placé dans une situation de conflit d'intérêts en intervenant dans le dossier d'assurance-chômage de certains ex-employés de ses dépanneurs, en instituant dans ses dépanneurs un système de « 7/7 » qui les transformait en « manufacture de chômage », et en faisant émettre de faux relevés d’emploi aux employés de ses dépanneurs. Le fonctionnaire s'estimant lésé soutient qu'il ne s'est pas placé en situation de conflit d'intérêts en intervenant dans le dossier d'ex-employés, que la méthode du « 7/7 » est légale et donc que les relevés d’emploi étaient complétés conformément aux normes appliquées aux employeurs de la région.

Après avoir considéré toute la preuve soumise, les arguments des procureurs ainsi que la jurisprudence qui a été citée lors de l'audition, j'en viens aux conclusions suivantes.

Premièrement, sur la question de conflit d'intérêts, en 1984, M. Bellavance a déclaré qu’il était propriétaire de deux dépanneurs et, en 1986, il a signé un document attestant qu’il avait lu et compris le Code de conduite de la fonction publique. Ce Code précise, à l'article 6, la responsabilité des employés de se conformer à plusieurs principes très stricts, qu'ils s’engagent à respecter conformément à l’article 7. Le Code ne donne pas d’exemples spécifiques, mais énonce des principes généraux. Les alinéas a), b), d) et g) de l’article 6 du Code de conduite sont pertinents à ce cas : Principes 6. Chaque employé doit se conformer aux principes suivants:

a) il doit exercer ses fonctions officielles et organiser ses affaires personnelles de façon à préserver et à faire accroître la confiance du public dans l’intégrité, l’objectivité et l’impartialité du gouvernement;

b) il doit avoir une conduite si irréprochable qu’elle puisse résister à l’examen public le plus minutieux, pour s’acquitter de cette obligation, il ne lui suffit pas simplement d’observer la loi;

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Décision Page 29 [...] d) dès sa nomination, et en tout temps par la suite, il doit organiser ses affaires personnelles de manière à éviter les conflits d’intérêts réels, potentiels ou apparents; l’intérêt public doit toujours prévaloir dans les cas les intérêts du titulaire entrent en conflit avec ses fonctions officielles;

[...] g) il lui est interdit d’utiliser à son propre avantage ou bénéfice des renseignements obtenus dans l’exercice de ses fonctions officielles et qui, de façon générale, ne sont pas accessibles au public;

[...] La note de service de M. André Gladu se rapportant aux conflits d’intérêts (pièce E-1) s'adressait davantage aux employés de la CEIC. Elle précise que les employés ne devraient pas traiter des demandes de « [...] quelqu’un avec qui il partage des intérêts personnels et financiers. [...] » (pièce E-1, page 1, paragraphe 4) et, plus loin (pièce E-1, page 2, paragraphe 3), qu’ils pourraient « [...] être placés dans une situation d’apparence de conflit d’intérêts lorsqu’ils ont à traiter par exemple une demande de prestations [...] une personne avec qui ils entretiennent des relations intimes ou d’affaires. ». Je suis convaincu que cela inclut la situation un employé de la CEIC a une entreprise et a lui-même des employés. Et bien que les cas d’ex-conjoints, d’ex-amis, d’ex-associés, d'ex-locataires, d’ex-employés n’y sont pas mentionnés spécifiquement, ils n’en sont pas moins visés par ces exemples. D'ailleurs, le dernier paragraphe de cette note invite les employés à se reporter au Code de conduite de la fonction publique.

M. Bellavance a admis dans son témoignage qu'il était intervenu dans les dossiers qui font l'objet de reproches de l'employeur, mais sa position est qu'aucun avantage pécunier n'en était découlé pour ses ex-employés, et que son intervention était routinière, automatique et sans grande conséquence. Bien que sa position initiale fût que nulle part dans le Code de conduite on ne mentionnait explicitement « employé » ou « ex-employé », il a reconnu lui-même que jamais il n'aurait traité des dossiers de ses ex-employés pour donner suite à une demande de prestation.

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Décision Page 30 La nuance qu'il a apportée est qu'il ne conférait pas d'avantages financiers ou discrétionnaires et que, dans son esprit, il n'y avait pas de conflit d'intérêts potentiels ou apparents.

Il a aussi admis qu’il voyait le système « 7/7 » comme une « largesse du système, un trou qu'il avait exploité ». Selon son témoignage et celui de M m e Plante, un autre dépanneur et une épicerie de Matane fonctionnaient selon ce système. Par contre, M. Bellavance avait consulter les experts du bureau de Montréal en 1995 dans le dossier de l'entreprise Les Fruits de mer de l’est du Québec Ltée pour s'assurer que cette méthode était autorisée pour ce commerce saisonnier qui désirait être ouvert toute l'année. M. Gagné a, de son côté, indiqué que le « 7/7 » est permis seulement s’il y a protocole d’entente ou dans des cas comme Les Fruits de mer de l’est du Québec Ltée, la durée de l’emploi ne diminue pas et les prestations d’assurance-chômage n’augmentent pas. M. Gagné a admis qu’il n’a pas vérifié si d’autres entreprises de Matane utilisaient le « 7/7 » et qu’il n’a pas consulté l’expert technique (CSTA) de Matane.

Dans l’affaire McKendry (supra), Edward B. Jolliffe, c.r., arbitre en chef (comme on l’appelait à l’époque), a clairement exprimé dans sa décision la règle en matière de conflit d’intérêts : Les exigences essentielles sont que le fonctionnaire ne devrait servir qu’un maître et ne jamais se mettre dans une situation il pourrait être même tenté de préférer ses propres intérêts ou ceux d’une autre personne à ceux de la population qu’il a pour fonction de servir. Ces exigences constituent l’essence même des doctrines selon lesquelles il devrait éviter une situation de partialité apparente aussi bien qu’une partialité réelle et qu’il ne devrait jamais se mettre dans une situation où, comme l’a dit le doyen Manning, “deux intérêts s’opposent ou semblent s’opposer”.

Je considère que, en traitant des dossiers de ses ex-employés, M. Bellavance s’est placé dans une situation il pourrait préférer leurs intérêts ou même le sien plutôt que l’intérêt public.

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Décision Page 31 De plus, dans Threader et Spinks c. Sa Majesté du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor, [1987] 1 C.F. 41 (page 57), 68 N.R. 143 (page 152), le juge Mahoney a défini ainsi un des critères qu’on peut appliquer pour savoir s’il y a apparence de conflit d’intérêts : Est-ce qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le fonctionnaire, consciemment ou non, sera influencé par des considérations d’intérêt personnel dans l’exercice de ses fonctions officielles?

Je suis convaincu qu’une personne telle que décrite par le juge Mahoney ci-dessus croirait que M. Bellavance, en traitant des dossiers de ses ex-employés, consciemment ou non, aurait été influencé par des considérations d’intérêt personnel dans l’exercice des ses fonctions même s'il ne leur accordait pas d'avantages financiers ou discrétionnaires.

J'estime que M. Bellavance s’est aussi placé en conflit d’intérêts en utilisant, pour son bénéfice, des renseignements obtenus dans l’exercice de ses fonctions et qui, de façon générale, ne sont pas accessibles au public. En effet, le système du « 7/7 » n’est pas un programme établi ni une information répandue parmi les entreprises et la population et le fonctionnaire a contrevenu à l’article 6 g) du Code de conduite de la fonction publique. Avant d'appliquer le système de « 7/7 » en 1989, M. Bellavance aurait pu procéder avec la même transparence dont il avait fait preuve en 1986 pour les projets « Accès-Carrière » et en avertir la direction. À ce propos, je crois utile de citer les commentaires que faisait David H. Kates, alors président suppléant, dans l’affaire Ennis (dossier de la Commission n o 166-2-8773) : D’après les principes directeurs sur les conflits d’intérêts dans la fonction publique, il est on ne peut plus clair qu’un employé doit non seulement faire attention aux genres d’activités extérieures dans lesquelles il s’engage, en particulier lorsqu’il s’agit d’une affaire à but lucratif, mais qu’il doit aussi prendre bien soin d’éviter celles qui semblent compromettre son efficacité en tant que fonctionnaire. S’il existe le moindre doute à ce sujet, l’employé a le devoir de révéler la nature de telles activités à ses supérieurs. Il est évident qu’à la suite de ces révélations, l’employeur peut juger à propos d’ordonner à l’employé d’abandonner les activités en question. Celui-ci est alors libre de démissionner de son poste de fonctionnaire s’il veut continuer à s’occuper de son entreprise personnelle. Il ne fait aucun doute qu’on

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Décision Page 32 peut raisonnablement conclure à l’existence d’un conflit d’intérêts lorsque les activités personnelles d’un fonctionnaire semblent ternir le moindrement ses fonctions et ses responsabilités d’employé. Il incombe alors au fonctionnaire de prendre toutes les mesures nécessaires pour résorber ce conflit.

Pour ce qui est des relevés d’emploi, il me semble évident que, à la case « raison du présent relevé », et surtout à la case 22 (observations), les relevés d’emploi auraient indiquer clairement qu’il s’agissait du système « 7/7 ». Indiquer « manque de travail », comme en a attesté M. Bellavance, m’apparaît comme un subterfuge, sinon un manque de transparence, pour masquer la réalité. De plus, je conclus que M. Bellavance n’a pas révélé la nature de ses activités à son employeur, tel qu’il avait l’obligation de le faire comme employé, en vertu du Code de conduite.

Des arguments de M e Tremblay sur le processus d’enquête, je retiens que le Guide opérationnel intitulé L'enquête administrative de nature disciplinaire (pièce E-2) n’a pas été suivi à la lettre. En soi, il n'y avait pas d'obligation légale d'appliquer ce guide, comme il est indiqué dans la note de service de la Directrice régionale du personnel, M m e Binette, en date du 4 mai 1990 et jointe au guide. Cependant, il aurait été souhaitable que la lettre de convocation à la réunion de novembre 1996 mentionne les allégations qu'on reprochait à M. Bellavance et il aurait été préférable de lui indiquer qu'il aurait alors l'occasion de fournir des explications. De la même façon, il aurait été logique que, dans le cadre de leur enquête, soit M. Pouliot soit M. Gagné rencontrent M. Bellavance pour lui demander des explications sur les allégations.

Mais, de janvier à novembre 1996, M. Bellavance a eu d'autres occasions de s'expliquer et il a choisi de n'en saisir aucune. Que ce soit au début de cette affaire, lorsque M. Fournier lui a demandé des explications, ou après, en mars 1996, dans son rapport d’évaluation, ou lors de la réunion avec MM. Sirois et Fortin, il a pris connaissance des allégations portées contre lui. Une fois suspendu et menacé d'être licencié, il aurait pu, pour ne pas perdre son gagne-pain, fournir le plus d’explications possible, même si la lettre de convocation ne l’invitait pas à le faire. Il aurait pu aussi demander un court délai pour examiner et répondre aux allégations spécifiques qui venaient de lui être présentées. Il n’a saisi aucune des opportunités pour donner sa version. Je n’ai donc pas de motifs de croire qu’il aurait fourni plus d’explications si les enquêteurs lui en avaient demandé lors de leur enquête ou suite à la lettre de

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Décision Page 33 convocation En conséquence, j'estime que, malgré ses lacunes, l'enquête administrative n’a causé aucun tort irrémédiable à M. Bellavance. Cependant, il y aurait, à l’avenir, avantage pour toutes les parties que les enquêtes se déroulent en suivant, autant que possible, le Guide opérationnel intitulé L’enquête administrative de nature disciplinaire (pièce E-2).

Je considère que le fonctionnaire s'est placé en situation de conflit d'intérêts à l'encontre du Code de conduite de la fonction publique et que, vu la gravité des gestes reprochés, le lien de confiance avec l'employeur a été gravement atteint. Le fait que M. Bellavance ne se soit pas expliqué à aucun moment avant le dernier palier de grief et à l’audience sur son grief n'a certes pas rétabli ce lien de confiance. De plus, ce n'est qu’à l’audience qu'il a fourni une copie des baux par lesquels il louait ses dépanneurs. Il n'a jamais fourni les livres de paye de son entreprise et, à l’audience, il a expliqué qu'ils avaient été détruits en 1997. Je ne trouve pas crédible cette explication de M. Bellavance, qui me dit qu’il a attendu d’être « en appel » pour s'expliquer et qui a détruit avant l’audience les livres de paye qui auraient pu étayer ses dires et montrer sa bonne foi à son employeur.

Comme circonstances atténuantes, M. Bellavance est un employé qui compte 24 ans d'ancienneté au CEC et avait, jusqu'alors, toujours eu des évaluations de rendement très bonnes. À l'âge de 47 ans, et avec ses nombreuses années de service, il pouvait même envisager prendre sa retraite dans la cinquantaine. De plus, l’article 10 du Code de conduite de la fonction publique prévoit qu'un programme de formation sur le Code devait être mis en œuvre pour les employés et M. Sirois a reconnu que cela n’avait pas été fait. L'employé a des obligations, mais la direction a certainement un devoir de s'assurer que les employés les comprennent. La preuve a démontré que cela pourrait être particulièrement important dans des petites localités tout le monde se connaît et les conflits d'intérêts sont potentiellement plus fréquents. L'employeur n'a pris aucune mesure pour faire un suivi auprès de M. Bellavance après qu'il eut déclaré, en 1984, qu'il possédait deux dépanneurs. La direction savait aussi qu'il était propriétaire de plusieurs immeubles à logement. Une discussion sur les conflits d'intérêts potentiels ou apparents avec des locataires, des employés, des fournisseurs et ex-employés, etc., aurait peut-être évité la situation dans laquelle se retrouve M. Bellavance. Un meilleur suivi par DRHC dans des cas similaires serait certainement

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Décision Page 34 approprié. De même, une formation conforme à l’article 10 du Code de conduite de la fonction publique serait de mise.

La preuve qui m’a été présentée sur le système du « 7/7 » soulève pour moi des questions sur le contrôle exercé sur les opérations des CEC. Si des agents II permettent à des employeurs d’utiliser cette méthode, à l’insu de la direction du CEC et de la région, il y a lieu de corriger la situation. Et si c’est « une largesse du système », un « trou » dans la loi comme l’a affirmé M. Bellavance, un correctif devrait être apporté ou une clarification.

J’arrive à la conclusion que les gestes posés par M. Bellavance lui auraient valu un licenciement n’eut été du laxisme de l’employeur et aussi des longs états de service du fonctionnaire sans dossier disciplinaire. Même si le licenciement n’est pas approprié, étant donné la part du blâme que doit assumer l’employeur, il n’en demeure pas moins que M. Bellavance a commis de graves fautes.

Je demeure toutefois convaincu qu'il serait contre-indiqué d'ordonner la réintégration de M. Bellavance dans son ancien poste suite à une suspension importante qui aurait dépassée les 15 mois, étant donné la gravité des fautes de conduite et que l'employeur a perdu toute confiance dans le fonctionnaire s'estimant lésé. Le climat de travail qui en résulterait serait malsain pour les deux.

Lors de l’audition, j’ai demandé qu’on fasse des représentations advenant le cas je ne trouverais pas convenable de réintégrer M. Bellavance dans son poste. Son avocat a décliné, en maintenant que la position de M. Bellavance était la pleine réintégration. L’avocat de l’employeur a pour sa part soumis que son client pourrait considérer verser à M. Bellavance une indemnisation de six mois de salaire.

Considérant que M. Bellavance est encore relativement jeune, qu’il travaille maintenant à plein temps dans son entreprise, et considérant les arguments des procureurs et la jurisprudence arbitrale, j'estime qu'il est toutefois approprié d'accorder à M. Bellavance une indemnisation équivalant à 10 mois de rémunération au taux en vigueur au moment de son licenciement. Dans le calcul de mon ordonnance, j’ai aussi tenu compte des années de service de M. Bellavance, de l’absence d’un dossier disciplinaire et de sa suspension sans solde.

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Décision Page 35 Pour ce qui est du grief sur la suspension pendant l’enquête, M. Bellavance a été suspendu sans solde du 16 juillet jusqu’au 29 novembre 1996, date de son licenciement. Cette suspension sans solde de plus de quatre mois était fort longue. Cependant, M. Sirois et M. Gladu, avant et pendant la suspension, avaient des motifs sérieux de croire que M. Bellavance avait commis fautes graves et enfreint le Code de conduite. Aussi, je suis d’avis que M. Bellavance, par son manque de collaboration et par son absence d’explications, est en partie responsable pour la durée de la suspension sans solde pendant l’enquête. Il demeure que cette suspension était trop longue dans les circonstances et j’ai tenu compte de ce facteur dans l’attribution d’une indemnisation équivalant à 10 mois de rémunération. Aucune rémunération additionnelle n’est donc requise dans les circonstances.

Pour tous ces motifs, je fais droit au grief concernant la suspension de M. Bellavance et au grief concernant son congédiement, dans la mesure indiquée ci-dessus.

Guy Giguère, commissaire

OTTAWA, le 5 février 1999

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