Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement (disciplinaire) - Discipline - Licenciement - Dossier disciplinaire - Réputation de l'employeur - Preuve - Admissibilité des notes relatives à des plaintes verbales - Indemnisation au lieu de la réintégration - le fonctionnaire s'estimant lésé, un agent de recouvrement, a déposé un grief relativement à une lettre de réprimande qui a finalement été retirée de son dossier - à ce moment-là, le dossier du fonctionnaire faisait également état d'une longue suspension - dans le cadre de son grief, le fonctionnaire a envoyé des lettres anonymes à des contribuables leur demandant l'autorisation de se servir des renseignements fiscaux les concernant - il a également faussement prétendu dans les lettres que Revenu Canada avait communiqué les renseignements fiscaux au grand public - les lettres invitaient les contribuables à s'adresser au représentant du fonctionnaire à l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) et étaient accompagnées d'enveloppes pré-adressées pour permettre aux contribuables de donner leur consentement écrit - deux des contribuables en question se sont plaints à Revenu Canada par téléphone - les notes relatives à ces plaintes ont été admises en preuve malgré l'objection du fonctionnaire - l'employeur a licencié le fonctionnaire - l'arbitre a conclu que le fonctionnaire savait que l'envoi des lettres anonymes était un geste inutilement provocateur qui visait directement à entacher la réputation de l'employeur - l'arbitre a aussi conclu que le fonctionnaire n'avait manifesté aucun remords et qu'il n'avait aucune raison de croire qu'une ordonnance de réintégration permettrait au fonctionnaire de repartir à zéro à Revenu Canada - l'arbitre a refusé d'accorder des dommages-intérêts à la place de la réintégration. Grief rejeté.

Contenu de la décision

Dossier : 166-2-28562 Loi sur les relations de travail Devant la Commission des relations dans la fonction publique de travail dans la fonction publique ENTRE ED TREVENA fonctionnaire s'estimant lésé et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Revenu Canada - Impôt)

employeur

Devant : Ken Norman, commissaire Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Barry Done, Alliance de la Fonction publique du Canada Pour l'employeur : Ronald Snyder, avocat Affaire entendue à Regina (Saskatchewan), les 6 et 7 octobre 1998.

DÉCISION Il s'agit en l'espèce de déterminer si Revenu Canada avait un motif valable de congédier M. Ed Trevena le 6 juin 1997. Les motifs du licenciement sont exposés dans une lettre datée de ce jour-là portant la signature de M. Al Kellett, le directeur du Bureau de services fiscaux de Regina à l'époque (E-31). À la suite de plaintes formulées par deux contribuables, il avait été déterminé, en s'appuyant sur des preuves circonstancielles, que M. Ed Trevena, était l'auteur d'une lettre anonyme qui « [...] a sérieusement compromis le caractère confidentiel des renseignements fiscaux les concernant et l'intégrité du système fiscal du Ministère ». M. Kellett poursuivait en précisant qu'il avait « [...] tenu compte de votre manque de collaboration avec la direction pour déterminer les circonstances de la rédaction et de l'envoi de la lettre anonyme ». Il ajoutait : « J'ai tenu compte de votre dossier disciplinaire dans lequel figure une récente suspension de 20 jours pour une grave faute de conduite semblable qui a également entaché la réputation du Ministère ». M. Kellett arrivait à la conclusion que M. Trevena avait commis une faute de conduite grave qui était « [...] incompatible avec votre participation aux activités courantes du Ministère ».

La lettre anonyme (E-2) a été postée par M. Trevena vers la fin du mois d'avril. Cela ne fait maintenant aucun doute. M. Trevena l'a admis pour la première fois quand il a témoigné devant moi. Dans la lettre, il demandait le consentement du contribuable « pour utiliser légalement les [...] renseignements afin de défendre notre client ». Elle commençait ainsi : [Traduction] Afin de régler un grief déposé par un agent des recouvrements travaillant à Revenu Canada, des renseignements fiscaux vous concernant ont été utilisés par la direction pour étayer leurs prétentions contre cet agent et ont par la suite été communiqués au grand public.

[C'est moi qui souligne] Il était aussi précisé dans la lettre que toute question devait être adressée à M. Blaine Pilatzke de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Une enveloppe portant l'adresse de l'AFPC à Regina était jointe pour permettre au contribuable de donner son consentement écrit. Il s'est révélé que M. Blaine Pilatzke n'avait rien à voir avec la rédaction ou la distribution de la lettre anonyme. Celle-ci

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Décision Page 2 avait été écrite par l'avocat de M. Ed Trevena et postée par M. Trevena en dépit des mises en garde de M. Pilatzke qu’il fallait éviter de laisser la question dépasser le cadre de la procédure de règlement des griefs.

Le grief qui a tout déclenché a été déposé par M. Ed Trevena le 5 juin 1996 (E-22). Il portait sur une lettre de réprimande rédigée par son chef d'équipe, M me Betty Duff, le 22 mai 1996. À la fin, la direction avait concédé le grief et avait retiré la lettre le réprimande du dossier du fonctionnaire s'estimant lésé. M. Ed Trevena avait toutefois jugé que cela n'était pas suffisant. Dans son grief, il demandait comme redressement une rétractation complète, laquelle devait être annexée à la lettre de réprimande et « conservée dans mon dossier ». M. Ed Trevena m'a expliqué qu'il poursuivait ainsi son grief, après la concession accordée par l'employeur au troisième palier, afin que soit conservé un dossier complet, comme il est précisé dans le redressement demandé. C'était une mesure nécessaire parce qu'il était victime de harcèlement de la part de son chef d'équipe, M me Betty Duff et de M. Dave Marshall, le directeur adjoint des recouvrements, qui cherchaient tous deux à le faire renvoyer. Ainsi, en dépit du fait que M. Blaine Pilatzke et l'AFPC estimaient que le grief était réglé et le dossier fermé, M. Trevena s'est adressé à son avocat pour poursuivre sa lutte contre la direction. C'est ainsi que les lettres anonymes ont été rédigées afin d'obtenir le consentement des contribuables pour utiliser certains renseignements.

Ce qui semble plus qu’étrange dans le cas de la lettre anonyme, ce sont les termes que j'ai soulignés précédemment. Pourquoi alarmer le contribuable en lui disant que Revenu Canada avait communiqué au grand public des renseignements personnels à son sujet? Je n'ai jamais obtenu de bonne réponse à cette question de M. Ed Trevena. Les renseignements en question ont été fournis à M. Trevena et à son représentant syndical, M. Blaine Pilatzke, à l'entrevue disciplinaire qui a donné lieu au premier grief. M. Pilatzke travaille à l'AFPC; il n'est pas employé par Revenu Canada. Toutefois, M. Ed Trevena a admis lors du contre-interrogatoire qu'il avait compris que M. Pilatzky garderait confidentiel tout renseignement reçu en sa qualité de représentant syndical à une telle entrevue. Soit dit en passant, j'ai appris au cours de l'audience que Revenu Canada avait obtenu une opinion juridique selon laquelle M. Pilatzke n'était pas un membre du grand public au sens de la Loi. Pourtant,

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Décision Page 3 M. Ed Trevena a apparemment convaincu son avocat d'utiliser les termes que j'ai précédemment soulignés pour alarmer les contribuables visés.

Je n'ai pas été surpris d'apprendre que, immédiatement après l'envoi de la lettre anonyme, soit dans la matinée du 1 er mai, le premier des destinataires de cette lettre, M. Mark Catterall, a téléphoné à M. Pilatzke. L'appel a été acheminé à M. Dave Marshall. Au cours de son témoignage, M. Marshall a demandé de consulter les notes qu'il avait prises de la conversation téléphonique avec M. Catterall au début de l'après-midi du 1 er mai (E-1). M. Barry Done s'est opposé à l'admission de ces notes en preuve pour le motif que l'article 33.04 de la convention cadre l'interdisait. Il a précisé qu'il s'opposerait pareillement à l’admission des autres documents du genre dont il prévoyait la production par l'employeur. La question de la preuve Les documents à la production desquels s’est opposé M. Done sont trois séries de notes prises par M. Dave Marshall au sujet de conversations téléphoniques avec M. Mark Catterall (E-1), M me Blaine Pilatzke (E-7) et M m e Leslie Goyan (E-13). De même, M. Done s’est opposé à la production du compte rendu d'une rencontre avec M. Ed Trevena le 2 mai (E-2). L'article 33.04 prévoit ce qui suit : L'employeur convient de ne produire comme élément de preuve, au cours d'un audience concernant une mesure disciplinaire, aucun document extrait du dossier de l'employé-e dont le contenu n'a pas été porté à la connaissance de celui-ci au moment il a été versé à son dossier ou dans un délai ultérieur raisonnable.

M. Done prétendait qu'aucun de ces documents ne pouvait être utilisé à l'audience parce que leur contenu n'avait pas été divulgué à M. Ed Trevena à l'époque pertinente ou peu de temps après. La réponse de M e Snyder a pris deux formes. Tout d'abord, pour ce qui est des notes de M. Dave Marshall, il a fait valoir que ces documents n'étaient pas visés par les dispositions de l'article 33.04 parce qu'ils ne faisaient pas partie du dossier de M. Trevena. Les notes avaient été prises par M. Marshall pour lui rafraîchir la mémoire dans le cadre de l'enquête. Ensuite, pour ce qui est du compte rendu, le document est admissible puisque M. Trevena était présent à la rencontre. Il invoque la décision Dupuis et le Conseil du Trésor (dossier de la Commission n o 166-2-9379) (Moalli) à l'appui de ses prétentions. Commission des relations de travail dans la fonction publique

Décision Page 4 Je suis convaincu par les deux arguments de M e Snyder. En premier lieu, les notes se rapportant aux conversations téléphoniques n'ont jamais été versées au dossier du fonctionnaire s'estimant lésé. Comme il est mentionné dans la décision Dupuis, à la page 12, ces documents sont des notes rédigées soit pour usage personnel, soit à l'intention des supérieurs concernant certains incidents. « [L]a garde de ces documents peut leur être confiée pour usage futur [...] ». Pour ce qui est du compte rendu de la rencontre du 2 mai, selon les termes utilisés dans la décision Dupuis, M. Ed Trevena n'a pas été pris par surprise ou placé dans une position désavantageuse du fait de la production du document. Il était présent à la rencontre. Argumentation sur le fond M e Snyder a fait valoir qu'en envoyant la lettre anonyme fausse et trompeuse à un certain nombre de contribuables M. Ed Trevena a irrémédiablement trompé la confiance de l'employeur de sorte que le congédiement est la seule mesure disciplinaire applicable. Deux contribuables ont immédiatement fait part de leurs craintes au sujet de la communication au grand public de renseignements personnels les concernant. Cependant, le critère à appliquer n'est pas la profondeur de leurs craintes. L'arbitre doit plutôt, comme il est mentionné dans la décision Worker's Compensation Board and Compensation Employees' Union (1997), 64 L.A.C. (4th) 401, p. 414, exercer son jugement pour déterminer ce qu'un membre du public de bonne foi et bien informé penserait de l'effet de la lettre anonyme. M e Snyder a fait valoir que, parmi les ministères fédéraux, Revenu Canada a fort à faire pour gagner la confiance du public et la conserver. Compte tenu de ce qui précède, l'envoi de la lettre anonyme est une très grave faute de conduite.

Pour ce qui est de l'atténuation, il n'y a rien qui justifie la réduction de la peine qui a été imposée en bout de ligne. M. Ed Trevena a essentiellement trompé la confiance de son employeur au cours d'une période une longue suspension (20 jours ramenés à 12 jours à l'arbitrage) imposée pour un autre abus de confiance figurait toujours à son dossier. Il n'a rien admis au cours de l'enquête. En outre, quoiqu'il ait reconnu avoir posté la lettre lors de son témoignage devant moi, il n'a ni formulé de regrets, ni manifesté de remords. Qui plus est, lorsque, au cours du contre-interrogatoire, on lui a demandé s'il considérerait comme injuste toute décision

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Décision Page 5 arbitrale il n’obtiendrait pas entièrement gain de cause, il ne serait pas réintégré dans son poste et on ne lui accorderait pas de dommages-intérêts, il a répondu par l’affirmative. (Voir De Vito v. Macdonald Dettwiler & Associates (Quicklaw) (27 juin 1996), (Cour suprême de la C.-B., juge Drost); Parsons (dossiers de la Commission 166-2-27006 et 166-2-27007) (Chodos); et Deigan (dossiers de la Commission 166-2-25992, 166-2-25993 et 161-2-743) (Simpson).

M. Done a fait valoir, au nom de M. Ed Trevena, que les 21 années de service de ce dernier devraient plaider en sa faveur. En outre, un seul des deux contribuables visés a semblé véritablement perturbé par la lettre anonyme. Qui plus est, M. Ed Trevena avait le droit de poursuivre son premier grief jusqu'à quatrième palier de la procédure afin d'obtenir le redressement qu'il demandait, même si le syndicat considérait que le dossier, une fois nettoyé, était fermé. M. Done a fait remarquer que M. Pilatzki n'avait pas dit à M. Trevena de ne pas envoyer la lettre; tout ce qu'il lui avait dit c'est qu'il considérait que le dossier était fermé et que le grief avait été réglé. Par conséquent, il est compréhensible que M. Trevena veuille continuer de défendre son dossier en s'appuyant sur des éléments de preuve acceptables. Pour ce faire, il croyait avoir besoin, aux termes du paragraphe 239(2.3) de la Loi de l'impôt sur le revenu du consentement des contribuables dont les dossiers avaient été communiqués dans une certain mesure lors de l'audition du grief. Dans les faits, l'employeur a fait tout un plat de cet incident parce que plusieurs gestionnaires s'étaient déjà convaincus, au cours de l'enquête et de la procédure de règlement du grief relatifs à sa suspension antérieure, que la meilleure solution pour Revenu Canada était de licencier M. Ed Trevena. Décision Je suis convaincu que M. Ed Trevena savait que l'envoi de la lettre anonyme était un geste inutilement provocateur qui visait directement à entacher la réputation de Revenu Canada. Il a admis dans son témoignage qu'il savait que les renseignements personnels qui avaient été fournis à son représentant syndical, M. Blaine Pilatzki, seraient gardés confidentiels. Par conséquent, il savait que le grand public ne serait aucunement mis en cause. Pourtant, il a permis, je soupçonne même qu'il a conseillé, à son avocat d'insérer la phrase incendiaire dans la lettre anonyme.

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Décision Page 6 Si la lettre visait véritablement à obtenir le seul consentement des contribuables aux termes du paragraphe 239(2.3), il n'y avait pas lieu de mentionner le grand public.

Par conséquent, je conclus que, alors qu'une longue suspension pour un abus de confiance ayant entaché la réputation de Revenu Canada figurait encore à son dossier, M. Ed Trevena a décidé de récidiver. À aucun moment n’a-t-il manifesté de remords pour avoir agi ainsi qu'il l'a fait. Je n'ai aucune raison de croire qu'une ordonnance de réintégration permettrait à M. Ed Trevena et à Revenu Canada de repartir de zéro. Le lien de confiance entre l'employeur et l'employé est à tout jamais rompu. Les longs états de service de M. Ed Trevena ne peuvent y changer quoi que ce soit. Ils ne justifient pas non plus que des dommages-intérêts soient accordés en remplacement d'une réintégration.

Par conséquent, le grief est rejeté. Pour les motifs que j'ai exposés, je suis convaincu que l'employeur avait un motif valable de congédier M. Ed Trevena pour les atteintes délibérés à la réputation de Revenu Canada.

Ken Norman, commissaire

SASKATOON, le 25 novembre 1998. Traduction certifiée conforme

Serge Lareau

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