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Résumé :

Dépôt tardif d'un grief pour paiement d'heures supplémentaires - Demande de prorogation de délais - Compétence - le fonctionnaire s'estimant lésé a réclamé le paiement de ses heures supplémentaires pour les 15 années précédentes - l'employeur a invoqué le non respect des délais - le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que le retard était lié au fait qu'il ne savait pas qu'il pouvait réclamer un paiement pour ces heures supplémentaires - le fonctionnaire s'estimant lésé alléguait que ses gestionnaires lui avaient affirmé qu'il n'avait pas droit à une rémunération pour heures supplémentaires parce qu'il faisait partie de l'équipe de gestion - en raison de son origine culturelle, il ne lui était pas venu à l'esprit de remette en question la parole des superviseurs - le fonctionnaire s'estimant lésé a payé des cotisations syndicales pendant toute cette période - il a eu droit à des congés compensatoires - un collègue de travail l'a informé de son droit à une rémunération pour heures supplémentaires - le retard a été jugé trop long - le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas fait preuve de diligence raisonnable - aucune raison claire, logique et convaincante n'a été invoquée à l'appui de la prorogation - le grief a été rejeté par défaut de compétence. Demande rejetée. Grief rejeté. Décisions citées :Frève c. Canada (Procureur général), 2001 C.A.F. 98; Lusted (166-2-21370); Sallenback (166-2-28734); Canada (Procureur général) c. St-Laurent (1998), 151 F.T.R. 112; Rattew (149-2-107); Rouleau c. Canada (Forces canadiennes, Personnel des fonds non publics), 2002 CRTFP 51; Wilson (166-2-27330 et 149-2-165); Dunham (149-2-39); Demercado c. Canada, [1984] A.C.F. No 1119 (C.A.F.) (QL); Valadares (166-2-19596 et 19597); Canada c. Coallier, [1983] A.C.F. No 813 (C.A.F.) (QL).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-01-21
  • Dossier:  166-2-28997
  • Référence:  2004 CRTFP 1

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

ISAC SCHENKMAN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA)

employeur

Devant :   Ian R. Mackenzie, commissaire

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Cynthia Sams, avocate

Pour l'employeur :  John Jaworski, avocat


Audience tenue à Ottawa (Ontario),
les 8, 9, 15, 16, 17, 19 et 29 septembre 2003.


[1]    Isac Schenkman, le fonctionnaire s'estimant lésé, demande la prorogation du délai applicable pour présenter un grief en vertu de l'article 63 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. Le 24 novembre 1997, il a présenté son grief à l'employeur pour refus de lui accorder des heures supplémentaires, qu'il réclame pour les 15 années précédentes. L'employeur a soulevé la date tardive du dépôt du grief à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs ainsi que dans la correspondance qui a été échangée avec la Commission une fois le grief renvoyé à l'arbitrage.

[2]    Le grief sur les heures supplémentaires fait partie d'une série de plusieurs griefs qui ont été renvoyés à l'arbitrage après que M. Schenkman eut été congédié par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada au mois de janvier 1999. Le grief déposé à l'encontre de ce congédiement a été accueilli, et M. Schenkman a été réintégré dans ses fonctions par une décision de la Commission (2002 C.R.T.F.P. 62) datée du 18 juillet 2002. Dans cette décision, la Commission n'a pas abordé le grief sur les heures supplémentaires, l'avocate du fonctionnaire s'estimant lésé ayant indiqué que celui-ci demeurerait en suspens jusqu'à ce que le grief déposé à l'encontre du congédiement soit réglé.

[3]    Dans une lettre datée du 13 avril 2003, l'avocate du fonctionnaire s'estimant lésé a demandé à la Commission d'exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'article 63 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. pour proroger les délais prescrits. L'avocate a écrit dans sa lettre que la Commission devrait entendre la preuve sur cette question pour déterminer si le retard mis à déposer le grief était motivé par une explication et une justification « claires et solides ».

[4]    Les deux parties ont convenu que je devrais rendre une décision sur la demande de prorogation des délais avant de tenir une audience sur le bien-fondé du grief.

[5]    L'audition s'est étalée sur cinq jours et demi. M. Schenkman a témoigné pour son compte, tandis que l'employeur a appelé deux témoins. Sur demande, j'ai ordonné l'exclusion des témoins.

PREUVE

Historique du grief

[6]    M. Schenkman travaille à titre d'ingénieur naval et de gestionnaire principal de projet pour Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC). Il a commencé à travailler pour le gouvernement fédéral en 1982. Le 24 novembre 1997, M. Schenkman a déposé un grief contre le refus de le rémunérer pour des heures supplémentaires. Dans son grief, il a affirmé ce qui suit : « Mes gestionnaires refusent de me rémunérer pour des heures supplémentaires effectuées au cours des 15 dernières années ».

[7]    Le représentant de l'employeur a contesté le grief à chaque palier de la procédure de règlement des griefs au motif qu'il n'a pas été déposé dans les délais prévus à la clause 31.08 de la convention collective du groupe Génie et arpentage (pièce G-1), qui prévoit ceci :

Tout employé peut présenter un grief au premier palier de la procédure [...] au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est notifié oralement ou par écrit de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief ou à la date à laquelle il en prend connaissance pour la première fois.

[8]    Au cours de la procédure de règlement des griefs, M. Schenkman a expliqué avoir tardé à déposer son grief parce que, lorsqu'il avait commencé à travailler, ses gestionnaires lui avaient affirmé qu'il faisait partie de l'équipe de direction et qu'il n'avait donc pas droit à des heures supplémentaires. Il a affirmé également que son gestionnaire à l'époque, Alec Chan, lui avait refusé des heures supplémentaires, l'informant que, en tant que membre de la direction, il n'y avait pas droit. Au second palier, Paul Wong, directeur régional, a répondu à ces allégations dans les termes suivants :

[Traduction]

...

Premièrement, vos gestionnaires précédents ayant quitté TPSGC il y a plus de deux ans, il n'existe aucun moyen de confirmer votre prétention selon laquelle ils vous ont induit en erreur en vous disant que vous n'aviez pas droit à des heures supplémentaires. Quoi qu'il en soit, c'est à vous qu'il incomberait de démontrer l'exactitude de votre affirmation que la direction précédente vous a induit en erreur. En outre, vous êtes gestionnaire principal de projet et vous travaillez pour ce ministère depuis seize ans. Vous devriez donc, à mon avis, raisonnablement bien comprendre quels sont vos droits à cet égard. Qui plus est, je remarque que vous avez réclamé des heures supplémentaires à neuf reprises au moins, et que la direction a accueilli vos demandes dans ces cas-là. Par conséquent, compte tenu de ces faits, je ne suis pas convaincu que vous avez été induit en erreur par la direction ou que celle-ci a rejeté vos réclamations d'heures supplémentaires qui ont été dûment autorisées et présentées.

...

Troisièmement, en ce qui concerne le commentaire de votre gestionnaire actuel, Alec Chan, que vous faisiez partie de la direction et que, par conséquent, vous n'aviez pas droit à des heures supplémentaires, j'ai examiné cette déclaration avec M. Chan. Compte tenu du fait que ce dernier a effectivement approuvé des heures supplémentaires dans les neuf cas susmentionnés, je suis convaincu que les commentaires que vous lui attribuez n'ont pas eu pour effet de vous priver des heures supplémentaires pour lesquelles vous avez obtenu rémunération.

[9]    Ces mêmes points ont été repris dans les réponses déposées aux troisième et quatrième paliers. En outre, dans sa réponse au troisième palier, l'employeur a affirmé que, des heures supplémentaires ayant été payées, M. Schenkman devait être au courant de son droit d'en réclamer.

[10]    Dans la réponse déposée au troisième palier, datée du 17 juillet 1998, la représentante du ministère, Suzanne Borup, a indiqué qu'à l'audience au troisième palier, M. Schenkman a fourni une liste détaillée des heures supplémentaires (32,5 heures), effectuées au cours des vingt-cinq jours précédant la date du dépôt du grief, qui avaient été réclamées (pièce G-31). Elle a indiqué qu'elle aurait pu être disposée à reconnaître que la demande a été déposée dans les délais si celle-ci avait été présentée au moment où le grief a été déposé. Toutefois, il était maintenant trop tard. Elle a indiqué également qu'aucune demande de rémunération des heures supplémentaires n'a été présentée en bonne et due forme pour cette période. Dans sa réponse déposée au quatrième palier, Michel Cardinal, sous-ministre adjoint, a écrit que, si M. Schenkman avait été appelé à effectuer des heures supplémentaires au cours des vingt-cinq jours précédant la date du dépôt du grief, il pouvait présenter sa demande de rémunération pour que la direction puisse l'examiner. M. Schenkman n'a pas présenté de demande pour les 25 jours précédant le dépôt du grief.

Contexte

[11]    Avant d'immigrer au Canada en 1980, M. Schenkman a passé le plus gros de sa vie en Roumanie. De 1973 à 1980, il a travaillé en Israël, à titre d'ingénieur chef au Port de Ashdod. À ce titre, il a supervisé plus de 100 employés qui, a-t-il témoigné, étaient syndiqués. Lorsqu'il est arrivé au Canada, il a travaillé pour une société de génie-conseil, puis pour Petro-Canada, à titre d'ingénieur principal de projet. Il s'est joint à TPSGC en juin 1982.

[12]    M. Schenkman a reçu une lettre d'offre datée du 8 juin 1982 pour un poste d'une durée de deux ans de gestionnaire de projet, au niveau ENG-4 (pièce E-2). La lettre précisait que des cotisations syndicales seraient prélevées sur sa paie. Il a obtenu un poste de durée indéterminée en 1984. La lettre d'offre se rapportant à ce poste (19 juin 1984, pièce E-4) indiquait que les conditions applicables à son emploi étaient énoncées au Règlement sur les conditions d'emploi dans la fonction publique et dans la « convention collective pertinente ». En 1990, il a été promu au niveau ENG-5.

[13]    Dans le formulaire de renseignements personnels qu'il a rempli au moment de son embauche, il a indiqué qu'il pouvait parler et lire en anglais avec aisance (pièce E-1). M. Schenkman a témoigné qu'au début de sa carrière au sein de TPSGC, il n'était pas « très à l'aise » en anglais. Dans l'évaluation qu'il a rédigée en 1984, R. Seawright, le superviseur de M. Schenkman, indiquait que ce dernier devait améliorer sa communication verbale et que des cours d'anglais étaient recommandés (pièce G-4). M. Schenkman a témoigné qu'il avait effectivement suivi des cours d'anglais. Dans son évaluation de 1990, on peut lire que M. Schenkman doit [traduction] « maintenir ses excellents efforts pour acquérir et conserver ses compétences en anglais et en français » (pièce G-8).

[14]    À titre de gestionnaire de projet, M. Schenkman était à la tête de la région du nord-est de l'Ontario et supervisait approximativement 10 personnes. À titre d'ingénieur de projet, il assumait des responsabilités à l'égard notamment de ports, de digues, de ponts, de quais d'accostage et de surfaces de dragage (pièce G-4). Ses responsabilités relatives au fonctionnement et à l'entretien des barrages de la rivière French représentaient une part importante de sa charge de travail. Les barrages de la rivière French étaient situés à 500 kilomètres environ de son bureau de Toronto, et il lui fallait à peu près cinq heures et demie pour s'y rendre en automobile. Lorsque des travaux de construction étaient en cours, il se rendait aux barrages deux ou trois fois par semaine. Sinon, il s'y rendait une fois par semaine ou par mois. M. Schenkman a déclaré au cours de son témoignage qu'en raison des responsabilités qu'il assumait dans cette région, il devait effectuer de nombreux déplacements vers des endroits éloignés et passer beaucoup de temps sur les chantiers.

[15]    Alec Chan, directeur régional, génie civil et maritime, en 1996 et 1997, était le superviseur de M. Schenkman pendant cette période. Il a témoigné avoir discuté avec M. Schenkman de ses heures de travail à un certain nombre de reprises. M. Chan estime que, à titre d'ingénieur principal de projet, M. Schenkman passait trop de temps sur le chantier et pas assez au bureau. M. Chan a déclaré qu'il ne voyait pas d'un bon oeil le fait que M. Schenkman privilégiait une gestion « en solo » et qu'il ne déléguait pas de travail à ses subalternes. À son avis, M. Schenkman aurait pu engager un expert-conseil pour assurer la supervision des chantiers. M. Schenkman, lui, estimait plutôt que sa présence au chantier était nécessaire. En réponse à une enquête menée sur ses demandes de remboursement de frais de déplacement en janvier 1997, il a expliqué ainsi la raison pour laquelle il était sur la route si souvent :

[Traduction]

...

Il faut noter que les projets maritimes sont assortis de caractéristiques et d'exigences qui leur sont propres. Ainsi, par le passé, il y a eu des cas où la population autochtone a, sans avertissement, bloqué les routes ou déclaré l'entrepreneur persona non grata, sans oublier qu'il y a eu aussi des cas où des questions environnementales délicates ont été soulevées (p. ex. déversements d'hydrocarbures, produits contaminés, etc.) et où des accidents sont survenus, etc. Dans de telles situations, le gestionnaire du projet a dû se présenter de nouveau au même chantier le lendemain.

...

Dans l'ensemble, je ne peux qu'affirmer, en réponse à la note de service, que, non seulement tous mes projets ont été réalisés conformément aux délais prévus et aux budgets établis, mais ils ont été accomplis avec un succès appréciable, les récompenses et les lettres de clients se passant d'explication. Je suis d'avis qu'il n'a été possible d'atteindre de tels résultats que grâce à des visites fréquentes et constantes sur les chantiers et non pas par une gestion de projet à partir du bureau seulement. En outre, les clients exigent que le gestionnaire de projet soit présent à toutes les rencontres de chantier et qu'il soit souvent présent en cours d'exécution des projets de construction.

...

[16]    Les projets confiés à M. Schenkman ont, dans tous les cas, été réalisés dans les délais et conformément au budget, et M. Schenkman a reçu de nombreux témoignages de clients au sujet de son travail (pièce G-7). Il a témoigné avoir dû répondre aux pressions des clients, qui souhaitaient voir les projets se réaliser conformément aux délais et aux budgets établis. Il a témoigné également qu'en 1996, on lui avait confié la responsabilité du marais Martindale. Il devait aménager un bassin pour le Championnat mondial d'aviron. Il a dû alors composer avec une pression extérieure énorme le poussant à achever le projet en respectant et l'échéancier et le budget limité.

[17]    Tous les employés remplissait des feuilles de temps hebdomadaires. M. Schenkman a demandé des copies de ses feuilles de temps, invoquant l'accès à l'information, mais il a été informé qu'elles avaient été détruites. Il n'avait conservé que quelques-unes de ces feuilles de temps (pièces G-16 et G-19). À l'audience, il a déposé des registres des déplacements (pièce G-12) indiquant les heures de ses départs et de ses retours pour les déplacements effectués à l'extérieur du bureau. Il a témoigné que ces registres indiqueraient les heures travaillées à l'extérieur. M. Schenkman a témoigné que ses superviseurs avaient approuvé ses demandes de remboursement des frais de déplacement et qu'ils savaient où il se rendait et à quoi il consacrait ses heures de travail.

[18]    M. Schenkman a déposé aussi un document dans lequel était consigné le nombre d'heures travaillées par projet pour la période de 1993 à 1997 (pièce G-13). Il a témoigné avoir obtenu ce document en juin 1997. Le document contient une colonne où sont inscrites les heures de travail, ainsi que les heures supplémentaires. Dans le cas de M. Schenkman, toutes les heures de travail figurent dans la colonne intitulée « heures de travail normales ». Ce document indique également le nombre total d'heures travaillées par chaque employé au cours de l'année. M. Schenkman a témoigné que, si l'on tient compte du fait qu'une semaine de travail compte 37,5 heures, les heures de travail annuelles sans heures supplémentaires s'élevaient à 1 950. M. Schenkman a déterminé qu'il a travaillé 555 heures supplémentaires en 1993-1994, 583 en 1994-1995 et 719 en 1995-1996.

[19]    Paul Wong était directeur régional des Services d'architecture et d'ingénierie en 1997. Il a témoigné que la « feuille de temps hebdomadaire » (pièce E-14) était remplie par tous les employés pour comptabiliser le nombre d'heures consacrées à chaque projet, et que c'est sur cette feuille de temps que l'on se fondait pour préparer les factures à envoyer aux clients. Il ne s'agit pas d'un document financier, mais bien d'un document de gestion de projet. Il a témoigné également que ce document n'était pas transmis à l'Unité de rémunération des ressources humaines, qui consigne les heures supplémentaires; par conséquent, les heures qualifiées de « supplémentaires » n'étaient pas consignées à titre d'heures supplémentaires pour un employé. M. Wong a déclaré que l'on consigne, dans le « Rapport de présence et temps supplémentaire » (pièce E-15), toutes les activités autres que les heures de travail normales. C'est ce formulaire qui est transmis à l'Unité de rémunération des ressources humaines. L'employé a la tâche de remplir le formulaire, que le superviseur immédiat est chargé d'approuver.

[20]    M. Wong a témoigné qu'une « entente professionnelle » existait au travail, selon laquelle les employés ne réclamaient pas toutes les heures travaillées et qu'en contrepartie, ils jouissaient d'une certaine marge de manoeuvre pour veiller à leurs responsabilités familiales et autres. Toutefois, les employés consignaient bel et bien toutes les heures travaillées de manière qu'ils puissent invoquer celles-ci lorsqu'ils auraient besoin d'une certaine marge de manoeuvre. Les heures de travail étaient toutes consignées à des fins de gestion des coûts du projet, et pour justifier les coûts au client, M. Wong a-t-il témoigné. Ce dernier a déclaré également que les superviseurs ne vérifient pas les heures d'arrivée et de départ dans la mesure où le travail est accompli. D'après MM. Wong et Chan, la majorité des employés faisant partie du groupe ENG ne réclamaient pas d'heures supplémentaires.

[21]    Au mois de mai ou juin 1997, M. Schenkman a obtenu un imprimé de projet (pièce E-18). Ce document consigne les activités de chaque particulier par projet. M. Wong a témoigné qu'il est rempli pour permettre à chaque division de connaître le nombre d'heures consacrées à chaque projet et de déterminer le nombre d'heures qui ne peuvent être facturées.

[22]    TPSGC facture le client soit à l'heure, soit selon un prix fixe. Le taux est déterminé par le nombre d'heures requises pour achever le contrat, au taux de rémunération applicable, multiplié par un taux de facturation. La « Convention particulière de services » (CPS) est l'entente, conclue entre TPSGC et le client, qui précise le travail à effectuer, les heures requises pour accomplir le travail, et le coût réclamé au client. Les CPS indiquent également le nombre d'heures supplémentaires prévues. M. Schenkman a témoigné que sa demande en vue d'obtenir des copies des CPS couvrant la période visée par sa réclamation d'heures supplémentaires avait été déclinée, mais qu'il détenait une copie de la CPS qui avait été conclue pour un projet réalisé en 2002 (pièce G-14). M. Wong a témoigné que les heures supplémentaires prévues dans une CPS étaient invoquées dans les cas où une difficulté imprévue survenait au cours du projet. M. Wong a témoigné que le gestionnaire de projet est le maître absolu du projet et qu'il est celui qui enclenche le processus de facturation du client. Ce dernier n'a aucun contrôle sur l'approbation d'heures supplémentaires.

[23]    M. Schenkman a témoigné avoir abordé la question des heures supplémentaires avec son gestionnaire, M. Seawright, en 1982, lors d'un repas d'affaires, et que ce dernier lui avait dit qu'il n'avait pas eu d'heures supplémentaires parce qu'il était membre de la direction. M. Schenkman a témoigné que Woody Wurtz, son superviseur, était alors présent. M. Schenkman a cru M. Seawright et il ne lui est jamais venu à l'idée de remettre ses propos en question. M. Schenkman a témoigné que, à titre d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement, il croyait que le gouvernement fédéral ne pouvait mentir à ses employés. Il s'est informé quelque temps plus tard auprès de M. Wurtz au sujet des heures supplémentaires, et il a obtenu la même réponse.

[24]    En 1990-1991, M. Schenkman a suivi un cours d'initiation à la gestion destiné aux gestionnaires intermédiaires (pièce G-9), ce qui, dans son esprit, ne faisait que confirmer qu'il occupait un poste de gestionnaire.

[25]    M. Wurtz a quitté le ministère en 1995, et M. Chan a pris la relève à titre de superviseur en 1996. En avril, M. Schenkman a demandé à M. Chan l'autorisation de prendre congé pour des raisons personnelles. M. Chan lui a dit qu'il l'aiderait et lui a demandé de remplir la « feuille de temps hebdomadaire » ainsi que le « rapport de présence et temps supplémentaire » (pièces G-15 et G-16). M. Schenkman a réclamé 22,5 heures supplémentaires au taux des heures supplémentaires (temps et demi) sur le « Rapport de présence et temps supplémentaire ». M. Chan a modifié le rapport, indiquant que les heures devaient être rémunérées au taux des heures travaillées en temps normal. Le « Rapport des transactions de congé » (pièce G-17) indique qu'un congé compensatoire de 22,5 heures a été pris le 21 mai 1996.

[26]    En avril et en mai 1997, M. Schenkman a obtenu des congés compensatoires pour des heures supplémentaires travaillées au canal Welland, au marais Martindale et dans le cadre du projet du pont de Kingston. Une note manuscrite provenant du calendrier de M. Chan en 1997 (ne portant aucune date) indiquait ceci : [traduction] « Vos heures supplémentaires ne seront accordées que pour la visite du sous-ministre au marais Martindale et les essais de fatigue effectués à Kingston pendant une fin de semaine » (pièce G-18). M. Chan a déduit quatre heures du nombre total de la demande de 26,5 heures en raison d'un rendez-vous que M. Schenkman avait pris chez le dentiste. M. Chan a autorisé la demande en fonction du taux des heures travaillées en temps normal, pour un total de 22,5 heures (pièce G-20). M. Schenkman a témoigné avoir pris congé immédiatement, et aucune inscription n'a été faite dans les registres des congés. Le « Rapport des transactions de congé » (pièce G-17) indique qu'un congé compensatoire de 22,5 heures a été pris le 6 janvier 1997. Il indique également qu'un congé compensatoire de 2,5 heures a été accordé le 1er avril 1997, et qu'un congé de 2,5 heures a été payé le 8 octobre 1997. M. Schenkman ne se souvient pas de cette dernière transaction.

[27]    M. Chan a témoigné avoir approuvé les congés à la place des heures supplémentaires pour M. Schenkman par bienveillance, même si les heures supplémentaires n'avaient pas été préalablement autorisées et qu'il estimait qu'elles n'étaient ni nécessaires, ni justifiées.

[28]    M. Schenkman a témoigné que, après qu'il eut approuvé son congé, quelque temps en juin ou en juillet 1997, M. Chan l'a informé qu'il n'approuverait aucun autre congé compensatoire parce que le directeur régional (M. Wong) était « irrité ». M. Schenkman a témoigné que M. Chan l'avait informé que, en tant que membre de la direction, il ne pouvait obtenir d'heures supplémentaires. Il a déclaré également que M. Chan lui avait dit ce qui suit : [traduction] « J'ai fait une erreur et je ne peux la répéter », et qu'il lui avait demandé de ne plus aborder la question. M. Chan a été incapable de se rappeler les détails de conversations qu'il a eues avec M. Schenkman. M. Wong n'a pu se rappeler exactement non plus avoir discuté avec M. Chan des heures supplémentaires de M. Schenkman avant que la procédure de règlement du grief soit entreprise.

[29]    M. Wong a témoigné ne pas croire que M. Chan ait pu affirmer que les gestionnaires de projet n'avaient pas droit à des heures supplémentaires; toutefois, il n'a pas été en mesure de se rappeler si M. Chan lui avait admis avoir dit cela. Dans la réponse déposée au second palier de la procédure, M. Wong a déclaré qu'il était convaincu de ce qui suit : [traduction] « les commentaires que vous lui attribuez n'ont pas eu pour effet de vous priver des heures supplémentaires pour lesquelles vous avez obtenu rémunération ». M. Wong a témoigné que cela ne revenait pas à admettre que M. Chan avait fait la déclaration alléguée, et qu'il n'avait pas eu l'intention de suggérer une telle chose. Il a témoigné également qu'à son avis, la question de savoir si oui ou non M. Chan avait tenu de tels propos n'était pas importante compte tenu du fait que des heures supplémentaires avaient été approuvées à un certain nombre de reprises.

[30]    Dans la feuille de temps hebdomadaire (pièce G-16) de M. Schenkman, M. Chan a rajusté les heures de travail consignées par ce dernier, pour reprendre les termes de M. Schenkman, [traduction] « pour qu'il n'y ait pas d'heures supplémentaires ». M. Chan a déclaré, dans son témoignage, que la feuille de temps hebdomadaire servait à assurer le suivi et le contrôle du budget du projet et qu'elle n'avait rien à voir avec les réclamations d'heures supplémentaires. Il a déclaré également qu'il était en mesure de diriger les heures d'un projet vers un autre projet pour maximiser les heures qui pouvaient être facturées. Il comparait le budget du projet avec la part du projet qui était achevée, puis il équilibrait les heures en conséquence. Lorsque le budget du projet commençait à être « serré », M. Chan a témoigné qu'il ne pouvait permettre qu'un certain nombre d'heures seulement soient imputées au projet.

[31]    M. Schenkman a discuté avec Eva Tigno, adjointe administrative, au mois de mai 1997. Elle lui a demandé pourquoi il était le seul à ne pas recevoir d'heures supplémentaires. M. Schenkman a déclaré, au cours de son témoignage, que Mme Tigno lui avait montré une documentation indiquant que tous les autres gestionnaires de projet recevaient des heures supplémentaires. M. Schenkman a déclaré également que c'était la première fois qu'il apprenait que les autres gestionnaires de projet obtenaient des heures supplémentaires. Il a témoigné aussi que, lorsqu'il a abordé la question auprès de M. Chan, ce dernier a commencé à « crier comme un possédé », lui disant qu'il faisait partie de la direction et qu'il devait cesser de soulever la question.

[32]    À partir de janvier 1997, les demandes de remboursement des frais de déplacement de M. Schenkman pour la période d'avril 1994 à décembre 1996 ont été soumises à une enquête. Dans une note de service adressée à M. Chan le 22 mai 1997 relativement à cette enquête, M. Schenkman a déclaré qu'il n'avait jamais été rémunéré pour des heures supplémentaires, ce qu'il estimait être une « irrégularité grave » (pièce G-21). M. Schenkman a témoigné qu'il avait soulevé la question des heures supplémentaires parce qu'il commençait à remettre en cause les propos tenus par M. Chan. Il commençait à croire aussi que les heures supplémentaires étaient « autorisées par le client » conformément aux CPS, alors qu'il n'avait jamais été payé pour des heures supplémentaires. Il a déclaré également que, après sa conversation avec Mme Tigno, il avait discuté avec d'autres gestionnaires de projet, qui lui avaient affirmé qu'ils recevaient des heures supplémentaires « tout le temps ». Dans une note de service subséquente, datée du 24 juin 1997 (pièce G-22), il a indiqué que ses heures supplémentaires avaient été facturées aux clients, qui avaient acquitté ces factures, mais qu'il n'avait jamais reçu d'argent pour ces heures supplémentaires. Dans la même note de service, il a déclaré avoir effectué au total 761,9 heures supplémentaires en 1995-1996, ce qui représentait une somme de 63 063 $. Le 10 septembre 1997 (pièce G-23), M. Schenkman a formulé de nouveau ses inquiétudes au sujet des heures supplémentaires, s'exprimant dans les termes suivants :

[Traduction]

...

En dépit de mes nombreuses demandes, aucune réponse ou mesure officielle n'a été formulée ou prise. J'aimerais être informé le plus tôt possible des mesures que vous prendrez pour récupérer le montant substantiel de rémunération qui m'est dû.

...

[33]    M. Schenkman a témoigné qu'il n'avait pas assuré le suivi de cette note de service immédiatement parce que ses projets faisaient alors l'objet d'une enquête. Dans des notes de service adressées par la suite à M. Chan, datées du 1er octobre et du 3 novembre 1997 (pièces G-24 et 25), M. Schenkman a encore une fois demandé une réponse. M. Chan a témoigné qu'il avait reçu l'ordre de ne pas répondre à ces notes de service parce qu'une enquête était en cours.

[34]    En novembre 1997, M. Chan a informé M. Schenkman qu'un vérificateur souhaitait lui parler. M. Schenkman s'en est inquiété et a discuté de l'enquête avec un collègue, qui lui a suggéré de se renseigner au sujet d'une représentation syndicale. M. Schenkman a rencontré un représentant syndical vers la fin du mois de novembre. Après que M. Schenkman eut rempli un formulaire d'adhésion à l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), son représentant syndical lui a remis une copie de sa convention collective. C'était la première fois qu'il voyait la convention collective.

[35]    M. Schenkman a témoigné qu'au premier palier de l'audience sur le grief, en réponse à des affirmations faites au sujet de l'omission de payer des heures supplémentaires, M. Chan a déclaré qu'il ( M. Chan) était un gestionnaire et qu'il pouvait agir à sa guise.

ARGUMENTS

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[36]    L'avocate du fonctionnaire s'estimant lésé, Me Sams, a signalé que la Commission était compétente, en vertu de l'alinéa 63b) du Règlement et règles de procédures de la C.R.T.F.P., pour proroger les délais prévus dans les conventions collectives, selon les modalités qu'elle fixe. Le gros de la jurisprudence portant sur ce pouvoir discrétionnaire de la Commission met en cause des cas de congédiements où le fonctionnaire, tout en sachant qu'il avait le droit de déposer un grief, a cependant décidé d'attendre pour une raison quelconque. Dans ce cas-ci, on demande la prorogation du délai pour « régulariser » une situation qui s'est produite (nunc pro tunc), les étapes de la procédure ayant été suivies et le grief ayant été traité par l'employeur (Valadares (dossiers de la Commission 166-2-19596 et 19597)).

[37]    Me Sams a fait valoir qu'il était évident que la disposition prévoyant la prorogation du délai avait pour objet de permettre l'audition du grief au fond. Dans ce cas-ci, les droits du fonctionnaire s'estimant lésé sont compromis, et la question est grave - le déni du droit de réclamer des heures supplémentaires. La plupart des tribunaux ont pour pratique de permettre l'audition de l'affaire au fond et de faire en sorte que les délais ne soient pas un obstacle à cette audition au fond.

[38]    L'avocate a soutenu également que la disposition de la convention collective en question (la clause 31.08) prévoit qu'un employé « peut présenter un grief [...] ». L'usage, par les parties, du verbe « may » dans le texte anglais signifie que le délai n'est pas obligatoire. Le verbe « pouvoir » est utilisé dans le texte français aussi. Le texte anglais de l'article 28 de la Loi d'interprétation précise que le terme « may » doit être interprété d'une manière permissive.

[39]    Me Sams a ajouté que la question à trancher est celle de savoir s'il est justifié de proroger le délai. D'après la jurisprudence, le retard doit être motivé par une « explication et une justification claires et solides » (Rattew (dossier de la Commission 149-2-107)). Dans l'affaire Coleman (dossier de la Commission 149-2-26), l'arbitre de griefs en est arrivé à la conclusion que l'ignorance de la procédure de règlement des griefs et des délais qui sont associés à cette procédure pouvait constituer une explication solide. Suivant le critère énoncé dans la jurisprudence, il faut également qu'un équilibre soit établi entre les préjudices que subissent les différentes parties (Dunham (dossier de la Commission 149-2-39)). Dans l'affaire Frève c. Canada (Procureur général), 2001 C.A.F. 98, la Cour fédérale a ajouté à titre de condition que le grief devait avoir des chances sérieuses d'être accueilli au fond.

[40]    Me Sams a mentionné le fait que M. Schenkman n'avait présenté absolument aucune réclamation d'heures supplémentaires entre 1982 et 1996 et qu'il n'avait jamais rien obtenu en contrepartie des heures supplémentaires effectuées, que ce soit sous forme de paie ou de congé compensatoire. Selon une preuve non contredite, on n'a jamais remis de convention collective à M. Schenkman; ce dernier a vu la convention collective pertinente pour la première fois en 1997, lorsque son représentant syndical lui en a remis une copie. Il n'a pris connaissance de ses droits qu'à l'automne de 1997. Au début de sa carrière, ses gestionnaires lui ont affirmé que, en tant que membre de l'équipe de direction, il n'avait pas le droit de réclamer des heures supplémentaires. Ce témoignage de M. Schenkman n'a pas été contesté. Aucun des gestionnaires qui ont supervisé M. Schenkman avant 1996 n'ont été appelés à témoigner. Le droit du fonctionnaire s'estimant lésé à des heures supplémentaires a été « mis au rancart » par les actions de la direction. Lorsqu'il a demandé congé à la place d'une rémunération pour des heures supplémentaires, il a été informé qu'il n'avait pas droit à des heures supplémentaires. C'est le traitement systématique que tous les gestionnaires subséquents ont privilégié. Comment cette pratique a-t-elle pu être maintenue? Le fonctionnaire s'estimant lésé s'est retrouvé de plus en plus convaincu par le terme utilisé pour décrire son travail : « direction ». M. Schenkman a supervisé jusqu'à 15 employés parfois et, à un moment donné au cours de sa carrière, il a représenté la première étape dans la procédure de règlement des griefs. En 1989, il a suivi des cours de gestion intermédiaire.

[41]    Me Sams a fait valoir également que tous ces faits s'ajoutaient au manque d'aisance de son client en anglais et à son origine ethnique. M. Schenkman a fait confiance au gouvernement du Canada et il n'a jamais cru qu'on lui mentirait. Il n'a jamais jugé bon de s'informer de ses droits parce qu'il n'avait aucune raison de croire qu'on lui racontait des histoires. Du fait de ses origines, il s'est retrouvé dans une situation vulnérable, ce dont certains ont profité.

[42]    L'avocate a signalé que M. Schenkman devait se déplacer souvent pour gérer ses nombreux projets. Ces nombreux déplacements étaient requis pour satisfaire aux besoins des clients et respecter les échéanciers des projets. On ne lui a jamais demandé d'effectuer son travail différemment ou de n'effectuer aucun déplacement. Aucune preuve couvrant la période de 1982 à 1996 n'est venue contredire le sens qu'il avait donné aux attentes liées à son travail. Les lettres de témoignage (pièce G-7) et son évaluation (pièce G-8) le confirment. On a dit de lui qu'il était un gestionnaire de projet « très efficace ». Quant au témoignage de M. Chan, il visait à servir de prétexte. Si le gestionnaire a jugé que les déplacements causaient problème, il n'a en jamais fait mention. Les demandes de remboursement des frais de déplacement présentées par M. Schenkman ont été approuvées, les frais lui ont été remboursés et ses registres de déplacement ont été approuvés. En outre, ses projets de déplacement ont été approuvés à l'avance (pièce G-12). Si M. Schenkman n'était pas supposé se trouver à l'extérieur du bureau, les gestionnaires auraient pu documenter leurs réserves ou rejeter ses demandes de remboursement. M. Schenkman a consacré toutes ces heures à des déplacements sans savoir s'il pouvait réclamer des heures supplémentaires. Il ne tirait aucun avantage de tous ses longs déplacements, si ce n'est le sentiment d'un travail bien fait. En ce qui concerne ses demandes de remboursement des coûts du kilométrage, le représentant de l'employeur a insinué que M. Schenkman avait quelque peu haussé les chiffres. C'est la Directive sur les voyages qui déterminait les taux, et les demandes ont été autorisées et remboursées au fil des ans. M. Schenkman a fait l'objet d'une vérification, et la question a été réglée. La question des demandes de remboursement des frais de déplacement ne visait qu'à faire diversion; la question, dans ce cas-ci, porte sur les heures supplémentaires, et non sur les demandes de remboursement des frais de déplacement.

[43]    Me Sams a posé la question suivante : pourquoi le fonctionnaire s'estimant lésé aurait-il accepté de travailler de longues heures et de se déplacer sur de longues distances sans obtenir d'heures supplémentaires, si ce n'est parce qu'il croyait que cela faisait simplement partie de son travail? La satisfaction au travail pour M. Schenkman signifiait satisfaction du client, et le succès d'un projet se mesurait par le respect des échéanciers et du budget. Comme en fait foi le document contenant les heures consignées pour chaque projet (pièce G-13), M. Schenkman a travaillé au total 2 209 heures supplémentaires pendant la période de 1992 à 1996, ce qui équivaut à 441,9 heures supplémentaire par année. Toutes ces heures supplémentaires effectuées par M. Schenkman et tout le bénéfice qui en a découlé sont devenus très avantageux pour la Section d'ingénierie de TPSGC. Quelqu'un a dû se rendre compte de l'avantage que cela représentait. Les gestionnaires étaient on ne peut plus heureux de faire croire à M. Schenkman qu'il ne pouvait réclamer d'heures supplémentaires. Si l'on en croit le témoignage de M. Chan, les heures supplémentaires étaient prévues au budget dans les CPS. Il était absolument essentiel que toutes les heures requises pour effectuer le travail y soient prévues. M. Wong a témoigné que les heures supplémentaires représentaient la norme. Lorsque des circonstances imprévues entraînaient des heures supplémentaires, la CPS était renégociée avec le client et une autorisation de modification était signée. La preuve établit que les heures de M. Schenkman étaient facturées au client au double du coût de ses heures de travail, et que le coût de ses heures supplémentaires était inclus.

[44]    Me Sams a fait valoir que l'autorisation préalable des heures supplémentaires n'est pas en cause dans la présente affaire, puisque l'on ne peut demander l'autorisation de faire quelque chose si l'on ignore avoir le droit de faire cette chose. On n'a produit aucune preuve de réclamations d'heures supplémentaires faites de 1982 à 1996. Est-ce que M. Schenkman était masochiste? Qu'il ait eut la fausse impression qu'il n'avait pas le droit de réclamer des heures supplémentaires serait plus plausible. S'il avait été au courant de ses droits, il aurait certainement réclamé une fois au moins des heures supplémentaires au cours de ces quinze années. Si l'employeur avait pu établir que le fonctionnaire s'estimant lésé connaissait ses droits, il aurait pu appeler MM. Wurtz ou Seawright à témoigner. Me Sams a déclaré que je pouvais tirer de leur absence une inférence défavorable.

[45]    Me Sams a fait valoir que le témoignage de M. Chan est important pour ce qui est de ce que ce dernier n'a pas dit. Il n'a pas nié avoir affirmé à M. Schenkman qu'il était membre de la direction et qu'il n'avait pas droit à des heures supplémentaires. La question ne lui a pas été posée lors de l'interrogatoire principal. M. Chan a accordé à M. Schenkman quelques congés pendant la période d'avril à juin 1996, à contre-coeur. Il a accordé le congé compensatoire, même s'il n'avait pas été autorisé à l'avance, non pas à temps et demi, mais à temps normal. Ce congé n'a rien à voir avec les heures supplémentaires, puisque celles-ci auraient été remboursées à temps et demi. M. Chan « faisait une faveur » à M. Schenkman, et le congé accordé n'était pas le résultat d'heures supplémentaires. En outre, M. Chan a modifié toutes les heures de M. Schenkman sur ses feuilles de temps de manière à obtenir un total de 37,5 heures.

[46]    Me Sams a signalé que les feuilles de temps (pièce G-15) ont été datées après que M. Schenkman eut pris le congé compensatoire (22,5 heures, en mai). C'est là la seule preuve d'un congé compensatoire. M. Schenkman a obtenu congé en mai, sans avoir signé de rapport de présence. Si M. Schenkman avait rempli un formulaire de demande de congé sans avoir rempli une feuille de présence, il aurait été en déficit pour ce qui est de son droit à des congés. M. Schenkman ignorait être tenu de remplir le formulaire. Quant à l'obtention par ce dernier d'heures supplémentaires, ce n'était pas dans l'intérêt de la Section. Il était même plus difficile de lui donner des heures supplémentaires parce qu'il faisait l'objet d'une enquête par M. Wong à ce moment-là. En effet, comment M. Wong aurait-il pu lui permettre d'avoir des heures supplémentaires dans de telles circonstances? Comment M. Wong aurait-il pu admettre que M. Schenkman avait droit à des heures supplémentaires sans reconnaître du même fait que l'on avait omis, par le passé, de lui payer ses heures supplémentaires? Si le fonctionnaire s'estimant lésé savait qu'il avait le droit de réclamer des heures supplémentaires, pourquoi n'a-t-il pas présenté d'autres réclamations d'heures supplémentaires en 1996 et 1997? Ce n'est probablement pas parce qu'il n'a pas effectué d'heures supplémentaires pendant cette période. Pourquoi a-t-il continué à inscrire ses heures de travail dans la colonne des heures normales de travail s'il savait qu'il pouvait réclamer des heures supplémentaires?

[47]    Me Sams a signalé également que, pour ce qui est du projet du marais Martindale, M. Chan avait demandé à M. Schenkman de s'y présenter au cours d'une fin de semaine avec le sous-ministre pour lui rendre service, et qu'il ne le lui en avait pas fait la demande officiellement. Il avait formulé sa demande dans une note manuscrite. Aucun formulaire n'a été rempli et personne n'a jamais confirmé qu'il s'agissait d'un congé légitime. Me Sams a fait valoir que l'on ne pouvait tout simplement pas croire le témoignage de M. Chan sur les congés accordés à M. Schenkman. Aux dates pour lesquelles des heures supplémentaires ont été approuvées, M. Chan a soustrait des heures pour un rendez-vous chez le dentiste. Une telle chose n'aurait pas été faite sur un formulaire de congé officiel. En outre, les heures supplémentaires n'étaient pas calculées au taux prescrit de 1,5. Elles étaient simplement consignées en temps normal. Pourquoi M. Chan n'aurait-il pas demandé à M. Schenkman de remplir des formulaires de rémunération des heures supplémentaires? Pourquoi n'aurait-il pas consigné le congé dans les registres? Si M. Schenkman savait qu'il avait le droit de prendre congé à temps et demi, pourquoi s'est-il contenté de moins? Me Sams en est arrivée à la conclusion que M. Chan ne souhaitait pas que les heures de M. Schenkman soient consignées à titre d'heures supplémentaires.

[48]    Me Sams a fait valoir que, en mai 1997, M. Schenkman a discuté avec Mme Tigno, qui lui a demandé pourquoi il était le seul gestionnaire de projet à ne pas réclamer d'heures supplémentaires. Pendant ce temps, les clients étaient facturés pour les heures supplémentaires qu'il effectuait. Lorsque M. Schenkman a soulevé la question, M. Chan a répondu en criant qu'il ne voulait pas en entendre parler. Le 22 mai 1997, le fonctionnaire s'estimant lésé a rédigé une note de service sur la question des heures supplémentaires. La direction a délibérément décidé de ne pas répondre aux demandes de renseignement contenues dans les notes de services que le fonctionnaire s'estimant lésé a écrites.

[49]    Me Sams a signalé qu'à l'été et à l'automne de 1997, M. Schenkman avait fait l'objet d'une enquête menée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC), que tous ses projets avaient été visés par cette enquête, qu'on ne lui avait confié aucun nouveau projet, qu'on s'apprêtait à le démettre de ses fonctions, et que M. Chan l'avait harcelé. Au début du mois de novembre à peu près, M. Schenkman a discuté pour la première fois avec son représentant syndical, qui lui a appris qu'il avait le droit, conformément à sa convention collective, de réclamer des heures supplémentaires. Le grief a été déposé peu de temps après.

[50]    Me Sams a fait valoir que la preuve indique que M. Chan a attribué les heures de M. Schenkman à d'autres employés de la Section dont le rendement n'était pas aussi bon que le sien. M. Schenkman a réalisé ses projets sans utiliser tout le budget prévu, et M. Chan a utilisé cette marge bénéficiaire pour renforcer la productivité de la Section, notamment en s'attribuant des heures à lui-même. Refuser à M. Schenkman le droit de réclamer des heures supplémentaires signifiait un profit accru pour la Section. M. Schenkman travaillait très fort et il effectuait de nombreuses heures, de sorte qu'il rapportait des recettes à la Section et tenait celle-ci à bout de bras; il est injuste de lui nier un droit fondamental prévu dans la convention collective. Lors de l'audition sur le grief, le fonctionnaire s'estimant lésé a interrogé M. Chan à cet égard. Ce dernier n'a pas nié, mais il a ajouté qu'il était gestionnaire et qu'il pouvait agir à sa guise.

[51]    Me Sams a affirmé que la réponse déposée au deuxième palier de la procédure se passait d'explication. En fait, M. Chan a affirmé au fonctionnaire s'estimant lésé qu'il n'avait pas droit à des heures supplémentaires. De toute évidence, l'employeur a mal informé M. Schenkman sur ses droits. Me Sams m'a renvoyé à la définition de « fraud » dans le Black's Law Dictionary. Elle a soutenu que M. Schenkman ne comprenait pas son droit à des heures supplémentaires prévu à la convention collective et que l'employeur avait l'obligation de lui fournir une copie de la convention collective, de l'informer des droits que cette convention lui accordait et de lui expliquer, notamment, la disposition sur les heures supplémentaires lorsque le fonctionnaire s'estimant lésé s'est informé de son droit à cet égard. L'employeur l'a plutôt mal informé sur ses droits, et il a abusé de M. Schenkman. L'avocate a déclaré que son client « a travaillé comme un chien et il s'est fait endormir sur la question de ses droits ». Ses gestionnaires en ont tiré un profit, ce qui, de l'avis de Me Sams, constitue une fraude.

[52]    Me Sams m'a renvoyé à l'affaire Phelan et Easton (dossiers de la Commission 166-2-12643 et 12644), où l'arbitre des griefs a statué qu'il doit y avoir un déni non équivoque des heures supplémentaires pour que le délai applicable pour déposer un grief commence à courir. Elle m'a renvoyé également à l'affaire Dunham (précitée), sur l'objet qui sous-tend les demandes présentées en vertu de l'article 63, faisant ressortir la nécessité d'établir l'équilibre entre la raison du retard et le préjudice que subit l'employeur. Elle m'a renvoyé en outre à l'affaire Demercado c. Canada, [1984] A.C.F. no 1119 (QL). Elle a fait valoir que, d'après la décision de la Cour fédérale dans l'affaire Frève (précitée), le pouvoir de proroger les délais est de nature discrétionnaire et doit s'exercer judiciairement.

[53]    Me Sams a fait valoir que la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813 (QL), ne s'applique pas à des situations où il y a information trompeuse. Elle m'a renvoyé également à deux décisions de la Commission où l'affaire Coallier n'a pas été suivie : Macri (dossier de la Commission 166-2-15319) et Valadares (précitée).

[54]    Me Sams a fait valoir que, dans ce cas-ci, il y avait eu autorisation implicite d'heures supplémentaires, et elle m'a renvoyé à l'affaire Suchma (dossier de la Commission 166-2-19518).

[55]    Me Sams a soutenu que, dans l'affaire United Electrical, Radio and Machine Workers of America (1952), 3 L.A.C. 980, l'arbitre avait déclaré que l'ignorance de la procédure de règlement des griefs n'excusait pas le retard mis à déposer un grief, à moins que les plaignants aient été, d'une manière ou d'une autre, induits en erreur. De toute évidence, Me Sams a-t-elle fait valoir, M. Schenkman a été induit en erreur.

[56]    Me Sams m'a renvoyé également à l'affaire Canada (Procureur général) c. St-Laurent (1998), 151, F.T.R. 112, dans laquelle la Cour fédérale a déclaré que l'une des lettres écrites par un fonctionnaire s'estimant lésé équivalait à un grief et que, pour ce motif, le grief avait été déposé dans les délais prescrits.

[57]    En conclusion, Me Sams a fait valoir que je devrais accorder la prorogation du délai et permettre au fonctionnaire s'estimant lésé de produire une preuve sur ses heures de travail pour la période de 1989 à 1998 inclusivement.

Pour l'employeur

[58]    L'avocat de l'employeur, Me Jaworski, a fait valoir qu'une grande partie de la preuve n'avait aucune pertinence relativement à la question du respect des délais. Le fonctionnaire s'estimant lésé aimerait brouiller les cartes au moyen d'une preuve portant sur les enquêtes dont il a fait l'objet, mais, lorsque la poussière retombe, la seule question qui reste en litige est celle du respect des délais.

[59]    Me Jaworski a signalé que M. Schenkman réclame des heures supplémentaires pour les 15 années précédant le 24 novembre 1997, c'est-à-dire 22 ans avant la date de la présente audience. À tous les paliers de la procédure de règlement du grief, l'employeur a affirmé que le grief avait été déposé en-dehors des délais prescrits. En 1999, l'employeur a envoyé une lettre à la Commission pour s'opposer à sa compétence du fait de l'expiration du délai prescrit.

[60]    Me Jaworski a fait valoir que M. Schenkman était un homme averti, scolarisé et brillant, et que sa remarque voulant qu'il soit un pauvre immigrant et qu'il ait été induit en erreur sonnait faux. Le dossier professionnel de M. Schenkman, qui figure à la pièce E-1, indique que, avant de venir au Canada, il a occupé un poste de chef ingénieur principal et que, en 1975, il a eu sous sa supervision plus de 300 personnes. Dans le cadre des emplois qu'il a occupés après son arrivée au Canada, il a été appelé à lire et à interpréter des documents en anglais. En outre, son formulaire de demande (pièce E-1) indique clairement qu'il était à l'aise en anglais. Lorsque, au cours du réinterrogatoire, on lui a demandé d'expliquer cette affirmation, il a déclaré que quelqu'un d'autre avait rempli le formulaire et qu'en vérité il n'était pas vraiment bon en anglais.

[61]    Me Jaworski a signalé que, dans la lettre d'offre (pièce E-2), les exigences linguistiques dont le poste était assorti étaient clairement énoncées. Dans les deux lettres d'offre (pièces E-2 et E-4), il a été informé qu'il devrait payer des cotisations syndicales et que les conditions de son emploi étaient régies par la convention collective pertinente. En 1990, le fonctionnaire s'estimant lésé a été reclassifié ENG-5 et a occupé un poste de gestionnaire principal de projet, supervisant des projets au complet et assurant la coordination du personnel qui y était affecté. Personne ne conteste que M. Schenkman a obtenu d'excellents résultats. Du fait de la nature du poste qu'il occupait, il devait connaître toutes les politiques du Conseil du Trésor et de TPSGC, notamment celles qui se rapportent aux ressources humaines et à la passation de marchés. M. Schenkman a supervisé des gens qui s'adressaient à lui au sujet des heures supplémentaires, et il avait pour tâche d'approuver celles-ci. M. Schenkman a témoigné que, bien qu'il n'ait jamais lu la politique sur les heures supplémentaires (pièce E-13), il en connaissait les principes.

[62]    Me Jaworski a fait valoir que le « Rapport de présence et temps supplémentaire » rempli par M. Schenkman en juin 1996 (pièce G-15) confirme qu'il savait qu'il était possible de réclamer des heures supplémentaires. M. Schenkman savait qu'il devait remplir le formulaire, puisque c'est ce qu'il a fait. Qui plus est, il a obtenu des heures supplémentaires - non pas ce qu'il voulait ou ce qu'il aurait dû avoir, mais il a été rémunéré pour des heures supplémentaires. Me Jaworski a fait valoir que, si j'accepte la preuve que le fonctionnaire s'estimant lésé a été induit en erreur, c'est au moment où il a été induit en erreur que le délai commence à courir puisque, au mois de juin 1996, il savait qu'il n'avait pas obtenu d'heures supplémentaires depuis 1982, alors qu'il avait le droit d'en réclamer.

[63]    Me Jaworski a soutenu également que la note de 1997 de M. Chan (pièce G-18) et la feuille de temps hebdomadaire (pièce G-20) sont des preuves qui portent sur les heures supplémentaires qui ont été approuvées par M. Chan. Si M. Schenkman ignorait quels étaient ses droits en 1996, il les connaissait certainement au début de l'année 1997, lorsque M. Chan a approuvé les heures supplémentaires. En outre, M. Schenkman a déclaré, lors de son contre-interrogatoire, qu'il avait rencontré son représentant syndical en juin ou juillet 1997, alors que le grief a été déposé en novembre 1997. Lors du réinterrogatoire, il a déclaré que c'était en novembre qu'il avait rencontré son représentant syndical. Me Jaworski a fait valoir que la mémoire du fonctionnaire s'estimant lésé n'était peut-être pas aussi bonne que ce que ce dernier espérait nous faire croire. Cela remet en cause toute la théorie selon laquelle il a été induit en erreur.

[64]    Me Jaworski a signalé que M. Chan n'avait été le superviseur du fonctionnaire s'estimant lésé que pendant une brève période et qu'il n'avait aucun intérêt dans la présente instance, puisqu'il était maintenant à la retraite. M. Chan se trouvait à la tête de plus de 100 fonctionnaires, et les événements mettant en cause M. Schenkman se sont produits il y a longtemps.

[65]    Me Jaworski a souligné le fait que M. Schenkman avait témoigné qu'il était occupé en 1997; or, il n'a pas été trop surchargé pour insérer une remarque concernant une « irrégularité grave » sur les heures supplémentaires dans sa note de service du 22 mai 1997 (pièce G-21). La note du 22 mai a mis un terme à tout débat sur la question de savoir s'il avait été induit en erreur ou non. Il aurait dû déposer son grief au plus tard à cette date.

[66]    Me Jaworski a soutenu que la demande de prorogation du délai aurait dû être déposée en 1998, puisque le fonctionnaire s'estimant lésé savait alors que le grief était en-dehors des délais : Lusted (dossier de la Commission 166-2-21370) et Sallenback (dossier de la Commission 166-2-28734). Il est évident que les mesures de réparation en matière de relations de travail doivent être ordonnées rapidement et avec efficacité. Il faut, pour cela, que les griefs soient traités en temps utile. Dans la présente affaire, le grief a été déposé en 1997, et l'agent négociateur n'aurait pas dû attendre jusqu'en 2003 pour présenter la présente demande.

[67]    Me Jaworski a déclaré qu'il faut avoir des raisons claires, logiques et convaincantes pour accorder une prorogation (Rouleau c. Canada (Le personnel des fonds non publics des Forces canadiennes) 2002 C.R.T.F.P. 51). M. Schenkman n'a pas démontré que de telles raisons avaient motivé son retard. L'employeur a droit à une conclusion dans les dossiers qui l'opposent à des fonctionnaires. Dans l'affaire Wyborn c. Agence Parcs Canada, 2001 C.R.T.F.P. 113, l'arbitre en est arrivé à la conclusion qu'un retard de six mois était « important » et, dans l'affaire Wilson (dossiers de la Commission 166-2-27330 et 149-2-165), un retard de neuf mois a été considéré trop long également. Me Jaworski m'a renvoyé également à l'affaire Sittig (dossier de la Commission 166-2-24117).

[68]    Me Jaworski a fait valoir qu'en réalité, la Commission a suivi l'affaire Coallier (précitée). M. Schenkman connaissait ses droits bien avant le mois de novembre 1997. Si, toutefois, il ne connaissait pas ses droits, sa réclamation doit se limiter aux 25 jours qui ont précédé le mois de novembre 1997. Nous savons que M. Schenkman a en fait réclamé des heures supplémentaires pour la période du 25 octobre au 24 novembre (pièce G-31). Il ne fait aucun doute qu'il savait alors qu'il avait droit à une représentation syndicale et qu'il connaissait les droits qui lui étaient conférés par la convention collective; or, il n'avait pas encore rempli le « Rapport de temps supplémentaire » (pièce G-15). Me Jaworski m'a renvoyé aussi à l'affaire Horvath (dossiers de la Commission 166-2-21133 et 34) et à l'affaire Guaiani (dossiers de la Commission 166-2-21358 et 149-2-109 et 10).

[69]    En conclusion, Me Jaworski a soutenu que je devais rejeter la demande de prorogation des délais et, subsidiairement, que si j'accordais une prorogation des délais, je devais limiter la période couverte par le grief aux 25 jours qui précèdent le dépôt de celui-ci.

Motifs de décision

[70]    Le fonctionnaire s'estimant lésé demande, en vertu du Règlement et règles de procédures de la C.R.T.F.P., une prorogation du délai pour présenter son grief. Il allègue dans ce grief un manquement aux dispositions sur les heures supplémentaires contenues dans la convention collective pour la période de 1982 à 1998 inclusivement. À l'audience, l'avocate du fonctionnaire s'estimant lésé a demandé que la prorogation du délai remonte à 1989. La Commission a le pouvoir de proroger les délais prévus dans une convention collective « selon les modalités [qu'elle] juge indiquées » (article 63). La Cour d'appel fédérale a indiqué que ce pouvoir de nature discrétionnaire de la Commission doit s'exercer judiciairement (Frève (précitée)).

[71]    L'avocat de l'employeur a soulevé la question du respect des délais de la demande dans sa plaidoirie. Dans les affaires Lusted et Sallenback (précitées), la Commission a signalé que la demande de prorogation de délai doit être déposée en temps utile. Dans les deux affaires, la demande de prorogation de délai avait été déposée à l'ouverture de l'audience. Ce n'est pas le cas dans la présente affaire, puisque la demande a été présentée à la Commission dans une lettre avant la date prévue de l'audience. En outre, les parties ont convenu que je devrais rendre une décision préliminaire dans la présente affaire. Par conséquent, j'en arrive à la conclusion que la demande a été présentée en temps utile.

[72]    L'avocate du fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir que la prorogation des délais ne ferait que « régulariser » ce qui s'était produit au cours de la procédure de règlement du grief. Le fait que, dans ses réponses, l'employeur a renvoyé également au bien-fondé du grief, ne vicie pas son argument premier, selon lequel le grief a été déposé en-dehors des délais. L'employeur a indiqué clairement, dans toutes ses réponses, qu'il considérait que le grief avait été déposé en-dehors des délais. Renvoyer également au bien-fondé du grief dans la réponse constitue une bonne pratique dans le domaine des relations de travail, et cette pratique ne devrait pas être découragée. On ne peut pas accuser l'employeur d'avoir accepté que le grief a été déposé dans les délais simplement parce que ses représentants ont, dans leurs réponses au grief, traité du bien-fondé de ce grief.

[73]    Me Sams a fait valoir également que la note que M. Schenkman a adressée à M. Chan constituait un grief; elle a invoqué à cet égard la décision que la Cour fédérale a rendue dans l'affaire St. Laurent (précitée). Dans cette affaire, le fonctionnaire s'estimant lésé avait énoncé de manière très détaillée le contexte du litige qui l'opposait à l'employeur. La note que M. Schenkman a rédigée ne fait que mentionner une question à discuter davantage et elle n'exprime aucune intention de déposer un grief.

[74]    À l'audience, le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné sur le contenu des discussions ayant porté sur le grief. L'avocat de l'employeur ne s'est pas opposé à cette preuve. Normalement, les discussions qui ont cours dans le cadre de la procédure de règlement d'un grief sont considérées comme étant privilégiées et elles ne sont pas admissibles (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e éd., à : 3:4342). Il importe que les discussions qui ont lieu au cours de la procédure de règlement d'un grief soient à l'abri de toute divulgation à l'audience afin que les parties se sentent libres d'étudier toutes les options de règlement possibles. Les deux parties ont renoncé à ce privilège en présentant la preuve et en ne s'y objectant pas. J'en arrive à la conclusion que la preuve sur les discussions relatives au grief ne permet pas de trancher l'affaire et qu'elle n'est pas pertinente quant à la question du respect des délais.

[75]    La jurisprudence citée par les parties établit les critères fondamentaux suivants qui permettent de déterminer s'il y a lieu d'exercer le pouvoir discrétionnaire de la Commission en vertu de l'article 63 :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s'estimant lésé;
  • l'équilibre entre l'injustice causée à l'employé et le préjudice que subit l'employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

(Rattew (précitée); Rouleau (précitée); Wilson (précitée); Dunham (précitée), Demercado (précitée), Valadares (précitée) et Frève (précitée).)

[76]    M. Schenkman invoque deux raisons pour expliquer le retard dans le dépôt du grief. La première raison est qu'il a été délibérément induit en erreur par ses superviseurs. On peut dire que la deuxième raison est le résultat de barrières linguistiques et culturelles; le fonctionnaire s'estimant lésé était un immigrant arrivé récemment au Canada, il connaissait peu l'anglais et il a trop fait confiance à l'employeur. Je vais me pencher sur chacune de ces raisons à tour de rôle.

[77]    Les superviseurs de M. Schenkman lui ont fourni des renseignements trompeurs sur son droit à des heures supplémentaires. Toutefois, il aurait pu facilement vérifier leurs déclarations sur cette question soit auprès de ses collègues (qui ont censément obtenu des heures supplémentaires), soit auprès de son agent négociateur. Les lettres d'offre (pièces E-2 et E-4) indiquaient clairement que ses conditions d'emploi étaient régies par une convention collective. M. Schenkman ne s'est pas renseigné sur cette mention dans ses lettres d'offre. Dans un monde idéal, les employés pourraient, en toute sécurité, s'en remettre aux déclarations faites par des représentants de la direction au sujet de leurs droits. Les agents négociateurs seraient beaucoup moins occupés si c'était le cas. Toutefois, dans un milieu syndiqué, on s'attend plutôt à ce que les employés assument la responsabilité de s'informer de leurs droits. Il doivent donc notamment vérifier si les déclarations de la direction sont exactes, soit en consultant leur agent négociateur, soit en consultant leur convention collective. Si les employés se fient aux déclarations des gestionnaires, par définition, à peu près aucun grief ne sera renvoyé à l'arbitrage.

[78]    Je suis disposé à accepter que les compétences de M. Schenkman en anglais et ses connaissances du gouvernement fédéral n'étaient pas au point au commencement de sa carrière dans la fonction publique. Cependant, ce désavantage a probablement disparu au cours de ses cinq premières années d'emploi. Il ne représentait certainement pas un facteur pertinent lorsque M. Schenkman a eu ses premières discussions avec M. Chan en 1996.

[79]    M. Schenkman a obtenu un congé compensatoire en mai 1996. Certes, ce congé n'a pas été accordé selon le taux prescrit, mais il a été accordé en contrepartie de certaines des heures supplémentaires que M. Schenkman avait effectuées. Ce dernier aurait pu s'informer à ce moment-là au sujet des déclarations faites par M. Chan sur son droit à des heures supplémentaires. M. Schenkman a finalement appris de Mme Tigno, au mois de mai 1997, qu'il avait peut-être le droit de réclamer des heures supplémentaires. Or, il n'a pas déposé son grief à ce moment-là. Si j'avais accepté l'argument de M. Schenkman selon lequel le fait d'avoir été induit en erreur justifie son omission de déposer le grief dans les délais, c'est à partir du moment où il a été induit en erreur que le délai aurait commencé à courir. M. Schenkman aurait pu demander des précisions sur son droit à ce moment-là. Or, il n'a déposé son grief que cinq ou six mois plus tard.

[80]    Puisque j'ai conclu qu'aucune raison claire, logique et convaincante ne justifiait le retard mis à déposer le grief, je n'ai pas besoin d'établir l'équilibre entre le préjudice que subirait l'employeur et l'injustice qui a été causée au fonctionnaire s'estimant lésé. Toutefois, il convient de signaler que le préjudice que subirait l'employeur est important lorsqu'il s'agit d'une réclamation d'heures supplémentaires qui couvre une période de dix ans environ. Il existe une preuve que certains des documents pertinents n'existent plus. En outre, il est extrêmement difficile de reconstituer des événements qui remontent à plus de dix ans.

[81]    La durée du retard mis à déposer un grief a été invoquée dans certaines décisions comme étant un facteur distinct à considérer. La durée du retard a une incidence également sur le préjudice que subit l'employeur. Dans ce cas-ci, le retard mis à déposer le grief a été de 15 ans. Il s'agit d'un retard extrêmement long, qui n'est pas du tout ordinaire pour des demandes présentées sous le régime de l'article 63 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. Les agents négociateurs et les employeurs ont tous droit à ce que les différends qui les opposent en arrivent à une conclusion. Il y a un temps pour présenter des griefs, et un temps pour tourner la page.

[82]    La jurisprudence fait mention également du facteur de la diligence raisonnable du fonctionnaire s'estimant lésé, compte tenu de toutes les circonstances d'une affaire (voir Wilson (précitée)). M. Schenkman n'a pas vérifié sa convention collective, ni consulté un représentant syndical, pour confirmer ses droits. De plus, lorsque Mme Tigno lui a déclaré que des collègues obtenaient des heures supplémentaires, il n'a pas pris les mesures requises pour confirmer son droit à des heures supplémentaires. En bref, il n'a pas fait preuve de diligence raisonnable en temps utile. Un appel rapide ou une lecture brève de sa convention collective auraient permis à M. Schenkman d'obtenir l'information dont il avait besoin pour déposer un grief.

[83]    Dans l'affaire Frève (précitée), la Cour d'appel fédérale a déclaré que, pour déterminer s'il y a lieu d'accorder une prorogation des délais, l'arbitre des griefs doit se demander s'il y a des chances sérieuses que le grief soit accueilli. Accepter cette affirmation à titre de principe général n'est pas sans comporter un certain risque. Il est difficile de déterminer si un grief a des chances « sérieuses » d'être accueilli sans entendre toute la preuve. Il conviendrait davantage de se demander si le grief n'a « aucune chance » d'être accueilli. Si, à première vue, le grief n'est pas du tout fondé, il peut s'agir d'un facteur à prendre en considération. Dans ce cas-ci, je ne peux dire que le grief n'a aucune chance d'être accueilli. Toutefois, pour les motifs susmentionnés, il n'y a pas lieu de proroger les délais.

[84]    La décision rendue dans l'affaire Coallier (précitée) a été examinée soigneusement par les parties. Il est important de noter que, dans cette affaire, le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas demandé la prorogation des délais sous le régime du Règlement de la Commission. Le Règlement précise que la Commission peut proroger les délais selon les modalités qu'elle juge indiquées. Limiter la portée à 25 jours avant le dépôt du grief rendrait le pouvoir discrétionnaire de la Commission prévu à l'article 63 pour ainsi dire vide de sens. À mon avis, l'affaire Coallier (précitée) n'est pas pertinente pour trancher une demande présentée en vertu de l'article 63.

[85]    L'avocate du fonctionnaire s'estimant lésé a fait de graves allégations de fraude dans sa plaidoirie. Je ne peux voir, dans la preuve qui m'a été présentée, rien qui appuie de telles allégations. Fournir des renseignements inexacts ne constitue pas une fraude. La fraude ne devrait être alléguée qu'avec modération et avec la plus grande prudence dans le contexte des relations du travail.

[86]    La question qui reste à trancher se rapporte à la période de 25 jours qui précède le dépôt du grief. La preuve a établi que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas réclamé d'heures supplémentaires pour cette période, bien que, au cours de la procédure de règlement du grief, les représentants du ministère aient offert de prendre en considération une telle réclamation. M. Schenkman a bien déposé une feuille de papier sur laquelle étaient consignées les heures travaillées, mais il n'a présenté aucune réclamation d'heures supplémentaires, et l'employeur n'a pris aucune décision quant à savoir si les heures supplémentaires avaient été autorisées. Puisque l'on n'a pas refusé d'heures supplémentaires à M. Schenkman pour cette période, ce dernier ne peut présenter de grief pour la même période.

[87]    En conclusion, je ne vois aucune raison claire, logique et convaincante d'exercer mon pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai prescrit, et la demande du fonctionnaire s'estimant lésé, présentée sous le régime de l'article 63 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., est rejetée.

[88]    En conséquence, le grief est rejeté pour défaut de compétence.

Ian R. Mackenzie,
commissaire

OTTAWA, le 21 janvier 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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