Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Recouvrement de salaires payés en trop - Préclusion - le fonctionnaire s'estimant lésé, qui enseigne aux Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC), a contesté la décision de l'employeur de recouvrer le salaire qu'il lui a payé en trop par suite de calculs erronés des augmentations d'échelon de salaire annuelles auxquelles il avait droit - l'arbitre s'est reporté à l'affaire Rural Municipality of Storthoaks c. Mobil Oil Canada Ltd., dans laquelle la Cour suprême du Canada a conclu que les sommes d'argent versées à un tiers par suite d'une erreur de fait étaient recouvrables, sauf si l'on établissait l'existence de préclusion ou si la partie qui avait reçu le paiement par erreur avait changé substantiellement sa situation du fait du paiement - l'arbitre a conclu qu'il incombait au fonctionnaire s'estimant lésé d'établir qu'il y avait préclusion dans la présente affaire, et que le fonctionnaire ne s'était pas acquitté des exigences relatives à une telle preuve, puisqu'il n'était pas convaincu, compte tenu de la preuve, que le fonctionnaire s'estimant lésé s'était fondé, de manière préjudiciable, sur le salaire calculé incorrectement - l'arbitre a déterminé qu'il n'y avait aucune preuve que le fonctionnaire s'estimant lésé avait entrepris des projets spéciaux ou pris des engagements financiers spéciaux parce qu'il avait reçu ces paiements, ou qu'il avait " changé sa situation de quelque manière que ce soit parce qu'il avait touché ces sommes d'argent " - il a conclu que le projet du fonctionnaire s'estimant lésé de prendre sa retraite à l'âge de 55 ans n'était pas réellement mis en péril par le recouvrement des paiements faits en trop, parce qu'il avait témoigné qu'il aurait contracté un emprunt hypothécaire même s'il avait touché un salaire inférieur - par conséquent, l'arbitre a conclu qu'il n'y avait aucune preuve que M. Bolton avait de quelque manière que ce soit changé sa situation du fait du paiement en trop. Grief rejeté. Décisions citées : Rural Municipality of Shorthoaks c. Mobil Oil Canada Ltd. (1975), 55 D.L.R. (3d)1; Canada (Procureur général) c. Molback, [1996] A.C.F. no 892 (Q.L.); Combe c. Combe, [1951] 2.K.B. 215 (C.A.).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-06-03
  • Dossier:  166-2-29760
  • Référence:  2003 CRTFP 39

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

MICHAEL BOLTON
fonctionnaire s'estimant lésée

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Affaires indiennes et du Nord Canada)


employeur

Devant :   Guy Giguère, président suppléant

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :   Edith Bramwell, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur :   Sean Gaudet, avocat


Affaire entendue à Hamilton (Ontario),
le 19 novembre 2002.
(plaidoiries écrites déposées le 31 janvier, le 24 février et le 11 mars 2003.)


[1]   Le 27 septembre 1999, Michael Bolton, un enseignant (ED EST 01) au service d'Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC) a présenté un grief pour contester la décision de l'employeur de recouvrer des trop-payés sur son salaire. Ces trop-payés étaient attribuables à des erreurs de calcul de l'employeur pour déterminer les augmentations annuelles auxquelles M. Bolton avait droit.

[2]   Le 1er mai 2000, Chantal Bernier, sous-ministre adjointe d'AINC, a écrit à M. Bolton pour l'informer qu'elle n'avait malheureusement pas le choix et qu'elle devait rejeter son grief, puisqu'elle ne pouvait pas prendre une décision incompatible avec la Loi d'exécution du budget 1994, qui déterminait l'application du gel des augmentations de salaire pour la période du 15 juin 1994 au 15 juin 1996.

[3]   Le 24 mai 2000, le grief de M. Bolton et ceux de 18 de ses collègues ont été renvoyés à l'arbitrage. Tous contestaient les mesures de recouvrement des trop-payés de salaire par l'employeur. Jean-Charles Cloutier, qui était alors commissaire, a entendu ces griefs du 16 au 18 juillet 2001. Le fonctionnaire s'estimant lésé et deux de ses collègues ont témoigné pendant deux jours. Le 18 juillet 2001, l'employeur a présenté une requête afin que le commissaire Cloutier rende une décision sur deux questions, la première étant de savoir si ces griefs pouvaient être portés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) et la seconde, si l'on pouvait en droit invoquer le principe de préclusion pour empêcher l'employeur de recouvrer les trop-payés versés aux fonctionnaires s'estimant lésés en dépit de la loi.

[4]   Les représentants des parties ont déposé des observations écrites sur ces questions le 27 septembre, le 26 octobre et le 16 novembre 2001; M. Cloutier a rendu sa décision sur les deux questions soulevées par l'employeur le 12 mars 2002. Premièrement, il a décidé que les griefs pouvaient être effectivement portés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la LRTFP. Deuxièmement, il a conclu que la procédure de recouvrement des trop-payés de traitement des fonctionnaires s'estimant lésés était fondée sur le paragraphe 155(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) et que le pouvoir de recouvrement d'un trop-payé de traitements et salaires que prévoit ce paragraphe est discrétionnaire. Par conséquent, l'employeur manifestement n'avait pas le devoir absolu de recouvrer les trop-payés qui aurait interdit l'application de la doctrine de préclusion : Anderson et autres, 2002 CRTFP 29.

[5]   Le 6 avril 2002, Mme Bramwell a écrit à la Commission pour demander que les griefs soient entendus séparément, puisque les questions qui y sont soulevées sont de nature extrêmement personnelle. Après un échange de plusieurs lettres entre les parties, la Commission a écrit à leurs représentants le 17 mai 2002 pour les informer que les griefs seraient entendus séparément, en précisant toutefois que l'employeur pourrait présenter sa preuve commune une fois seulement, en y apportant des modifications au besoin à l'égard de chaque grief. La Commission a aussi fait savoir aux parties que, comme M. Cloutier avait pris sa retraite en avril 2002 et qu'il n'était plus disponible, ces griefs allaient être entendus de novo.

La preuve

[6]   M. Bolton est titulaire d'un baccalauréat en planification financière et administration des affaires ainsi que d'un baccalauréat en éducation. Il a aussi une formation d'éducateur spécialisé. Après avoir terminé ses études, il a présenté une demande d'emploi comme professeur suppléant à l'École primaire Jamieson en septembre 1994. Cette école est située dans la Réserve des Six-Nations; les enseignants sont au service d'AINC. Peu après le début du trimestre d'automne, M. Bolton a commencé à enseigner à temps plein à cette école. En octobre 1994, on lui a offert pour une période déterminée un poste d'enseignant dont le salaire annuel s'élevait à 31 418 $ (pièce G-1). Sa nomination intérimaire a été prorogée en novembre 1994 jusqu'à la fin de juin 1995. M. Bolton a expliqué qu'il n'avait pas présenté de demande d'emploi dans d'autres écoles puisqu'il estimait que l'École Jamieson était un bon endroit pour acquérir de l'expérience, même si son salaire y était moins élevé. Il a déclaré que le salaire des professeurs de l'école était moins élevé que celui des enseignants d'autres conseils scolaires parce que les enseignants vivant sur la réserve ne payaient pas d'impôt sur le revenu (quoique n'étant pas autochtone cela ne l'avantageait pas).

[7]   Au début, M. Bolton pensait rester quelque temps seulement à l'École Jamieson comme professeur suppléant, puis chercher à trouver un poste mieux rémunéré dans d'autres conseils scolaires. Le 16 août 1995, on lui a offert pour une période déterminée d'un an, un poste de professeur à l'École primaire Jamieson; son salaire devait être de 33 097 $ (pièce G-4), en reconnaissance de son année d'expérience. On l'a informé alors que la Loi d'exécution du budget 1994 avait gelé les augmentations dans les échelles de traitement pour la période du 15 juin 1994 au 14 juin 1996, mais l'employeur lui a dit que cela ne s'appliquait pas dans son cas parce que, à la fin de l'année scolaire 1994-1995, il avait été licencié et que, comme il y avait un bris dans le lien d'emploi, son année d'expérience dans l'enseignement pouvait être reconnue.

[8]   M. Bolton a accepté le poste à l'École Jamieson même s'il pensait qu'il aurait gagné davantage au service d'un autre conseil scolaire. Il l'a accepté parce qu'il aimait son travail à l'École et que ses amis y travaillaient aussi. Il a témoigné que : [traduction] « Je savais que je renonçais à un peu d'argent, mais je l'ai fait de plein gré. Je savais qu'à long terme j'irais travailler ailleurs.... »

[9]   M. Bolton a expliqué que ses antécédents en planification financière l'avaient incité à se fixer des objectifs financiers pour sa vie professionnelle. Il voulait économiser assez d'argent pour acheter une maison et pour être en mesure de prendre sa retraite à 55 ans. À cette fin, en plus de cotiser au régime de retraite, il économisait en déposant de l'argent dans un REER et en investissant dans des fonds communs de placement. Il gérait judicieusement son budget dans le but global d'économiser 10 % de ses gains.

[10]   Le 25 février 1998, M. Bolton a écrit à Mme Grimsey d'AINC (pièce G-6) pour réclamer un rajustement sur l'échelle de salaire, puisqu'il venait de terminer un troisième cours en vue d'obtenir des qualifications supplémentaires qui lui donnaient le droit, selon lui, de monter d'un niveau dans la grille de rémunération. Le 26 février 1998, Katherine Knott, directrice de district par intérim d'AINC, l'a informé (pièce G-7) que, à compter du 1er septembre 1997, son salaire avait été rajusté au niveau 6 (avec trois ans d'expérience), ce qui lui donnait droit à un salaire total de 39 914 $.

[11]   Le 5 juin 1998, l'employeur a offert à M. Bolton (pièce G-8) une nomination pour une période indéterminée à un poste d'enseignant ayant trois ans d'expérience au niveau 6 dont le traitement s'élevait à 39 914 $ par année. Après avoir commencé à travailler pour AINC, M. Bolton a aidé sa mère à payer son hypothèque, en lui donnant en moyenne 200 $ par mois. Comme elle était malade et qu'elle a fini par quitter sa maison, il a assumé l'hypothèque de 40 000 $ et s'est installé dans cette résidence dont la valeur s'élevait à 85 000 $. À partir de décembre 1998, il a payé des mensualités d'hypothèque de 625 $ par mois, plus 250 $ par mois pour les services publics. Il a aussi acheté une voiture; son prêt-auto lui coûtait 290 $ par mois.

[12]   Au printemps 1999, M. Bolton s'est porté candidat à un poste d'enseignant dans une école privée de King City. Il n'a pas obtenu le poste, mais s'est fait offrir un autre poste à Sterling Hall, au nord de Toronto. On lui proposait 5 000 $ de plus que ce qu'il touchait à l'époque à l'AINC. Il n'a pas accepté le poste parce qu'il aimait son travail à l'École Jamieson et qu'il aimait aussi la communauté, de sorte qu'il était prêt à perdre un peu d'argent pour y rester. Par ailleurs, son coût de la vie aurait augmenté s'il avait accepté le poste à Sterling Hall, car il aurait dû alors déménager dans la région de Toronto.

[13]   M. Bolton était inscrit au printemps de 1999 à un programme de maîtrise en éducation; l'employeur payait ses frais de scolarité. Il a expliqué qu'il s'était inscrit au programme de maîtrise parce que de nombreux conseils scolaires exigent que les candidats aux postes de directeur d'école soient titulaires d'une maîtrise, et que c'était le poste qu'il souhaitait occuper en fin de carrière.

[14]   La conjointe de M. Bolton a emménagé avec lui en septembre 1999. Elle est physiothérapeute, et son traitement s'élève à 48 000 $ par année. Depuis qu'ils habitent ensemble, elle paie la moitié des dépenses.

[15]   Le 14 septembre 1999, M. Yuile, directeur des Ressources humaines d'AINC, a écrit à M. Bolton (pièce G-9) pour l'informer qu'il avait reçu un trop-payé de salaire et que l'employeur n'avait d'autre choix que de recouvrer ce montant. Il l'informait aussi que, pour prévenir d'autres trop-payés, l'augmentation qu'il devait toucher en septembre 1999 ne lui serait pas versée, afin de rectifier les anomalies salariales. Le 15 septembre 1999, M. Bolton a été amené hors de sa salle de classe lorsqu'il a été convoqué dans une pièce où M. Yuile et deux autres représentants de l'employeur l'attendaient. Il s'est fait dire que ses trop-payés totalisaient 14 000 $. On lui a remis un document de travail (pièce G-10) qui indique le salaire qui lui avait été versé, celui qu'il aurait dû toucher et le trop-payé pour chacune de ses années d'emploi. Le trop-payé en 1999 était minime, puisque le niveau de rémunération correct lui avait été versé peu de temps seulement après le début de l'année scolaire. Les sommes en question sont les suivantes :

 Traitement payéTraitement correctTrop-payé
199533 097 $31 418 $1 679 $
199634 776 $31 418 $3 358 $
199740 912 $36 593 $4 319 $
199843 932 $39 524 $4 408 $
199943 932 $41 730 $183,50 $
  TOTAL : 13 947,50 $

[16]   On a proposé à M. Bolton deux modes de remboursement : sur 36 mois à raison de 387,43 $ par mois ou sur 60 mois avec des mensualités de 232,46 $. On lui a toutefois indiqué que le délai de remboursement pourrait être prolongé. M. Bolton a témoigné que M. Yuile lui avait dit de mettre sur papier tous les facteurs personnels qui pourraient entrer en ligne de compte, puisqu'il était toujours possible que l'employeur renonce à sa créance. Il était anéanti après cette réunion; il a pleuré.

[17]   M. Bolton a expliqué que, comme son salaire avait été ramené de 43 932 $ à 41 730 $, il avait dû changer ses habitudes. Il se refusait à encaisser son REER en raison des conséquences fiscales, de sorte qu'il a encaissé une partie de ses investissements pour rembourser la totalité de son prêt-auto. Il a fait réduire ses mensualités d'hypothèque à 550 $ par mois et cessé d'investir, tout en continuant cependant à verser de 200 $ à 300 $ par mois dans son REER.

[18]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné que, s'il avait su quel était son véritable salaire, il aurait probablement cherché un autre poste dans l'enseignement. Il aurait aussi gardé sa vieille voiture plus longtemps et payé de plus petites mensualités d'hypothèques. Néanmoins, il a déclaré qu'il aurait assumé son hypothèque même avec ce salaire moins élevé.

[19]   Le 21 septembre 1999, M. Bolton a écrit à M. Yuile (pièce G-12) pour lui demander ce qu'il adviendrait de sa pension dans l'éventualité où il cesserait de travailler pour AINC; il lui a demandé expressément si l'employeur pourrait alors saisir son fonds de pension, ou s'il pouvait le transférer à son nouveau conseil scolaire. Il voulait aussi savoir s'il pouvait demander qu'on tienne compte de ses difficultés financières, en expliquant qu'il n'avait pas assez d'argent pour rembourser les trop-payés et qu'il ne pouvait pas s'acquitter de ses obligations.

[20]   En octobre 1999, M. Bolton s'est porté candidat à un poste d'enseignant à Simcoe, en Ontario. Peu après, on lui a offert un poste payé 46 000 $ par année. Il ne l'a toutefois pas accepté, parce qu'il avait le sentiment d'avoir contracté des engagements vis-à-vis de son école et de ses élèves; il se sentait très près d'eux en tant qu'éducateur spécialisé. Il travaillait avec ces jeunes depuis plusieurs années et croyait que l'école ne serait pas capable de doter son poste tout de suite s'il partait. Il pensait aussi qu'AINC étudierait la question des trop-payés et renoncerait à percevoir la somme qu'il lui devait.

[21]   Le 13 octobre 1999, M. Yuile a écrit au fonctionnaire s'estimant lésé (pièce G-13) pour donner suite à leur rencontre du 15 septembre; dans sa lettre, il revenait sur les deux options de remboursement qu'il lui avait proposées, en informant M. Bolton que, s'il pensait que ces paiements lui causaient d'énormes difficultés financières, une solution de rechange pourrait être trouvée en fonction de cette situation financière et des paiements qu'il pourrait raisonnablement faire. M. Yuile lui faisait aussi savoir que, s'il décidait de rembourser par mensualités, la retenue serait faite à partir de son salaire mensuel brut avant toute autre déduction, ce qui allait réduire ses retenues au titre de l'assurance-emploi ou du Régime de pensions du Canada, par exemple, de sorte que l'impact du remboursement sur son salaire net serait moindre.

[22]   Le 9 novembre 1999, M. Bolton a écrit à l'employeur pour lui exposer ses arguments afin qu'on tienne compte de ses difficultés financières (pièce G-15). Il expliquait dans cette lettre que, s'il avait su quel était son véritable salaire, il aurait cherché un emploi dans un autre conseil scolaire. Il déclarait aussi qu'il n'aurait pas assumé son hypothèque avec ce salaire inférieur à ce qu'il pensait toucher, parce qu'il n'aurait pas pu s'acquitter de cette obligation financière. Il affirmait qu'il aurait acheté une voiture moins chère et qu'il aurait dû se retirer de son programme de maîtrise en éducation, qui allait lui coûter 7 000 $ au cours des deux années suivantes. Il estimait pouvoir toucher 10 000 $ de plus en enseignant pour le conseil scolaire le plus proche et disait qu'il serait allé travailler là s'il avait su quel était son véritable salaire.

[23]   Le 25 novembre 1999, Tom Pettie, conseiller principal des Ressources humaines d'AINC, a rencontré M. Bolton pour discuter avec lui de l'impact de la retenue à la source du remboursement de sa dette sur son salaire net. M. Pettie a fait un suivi après cette rencontre en téléphonant à M. Bolton le 25 janvier 2000. Les deux hommes se sont entendus sur des modalités de remboursement de 150 $ par mois, et M. Pettie a écrit à M. Bolton le 31 janvier 2000 pour confirmer cette entente (pièce G-18). Il soulignait dans cette lettre qu'il était entendu, dans leur discussion, que, même si M. Bolton avait accepté cette somme, cela ne signifiait pas qu'il était d'accord avec l'employeur quant aux mesures de recouvrement. Il terminait sa lettre en déclarant que, si la somme dont ils étaient convenus causait de grandes difficultés financières à son correspondant, il verrait s'il serait possible de faire quelque chose pour la réduire. M. Pettie a témoigné que l'employeur voulait que le remboursement soit le moins difficile possible et qu'il était disposé à le réduire pourvu qu'il reste raisonnable. Le remboursement mensuel de 150 $ de M. Bolton entraînait une baisse de 41 $ seulement par chèque de son salaire net.

[24]   En contre-interrogatoire, M. Pettie s'est fait demander s'il savait que, en vertu du paragraphe 155(3) de la LGFP, le recouvrement du trop-payé à M. Bolton était discrétionnaire et que l'employeur aurait pu renoncer à sa créance. M. Pettie a expliqué qu'il n'avait pas le pouvoir de renoncer à cette dette; il pouvait uniquement minimiser l'impact du remboursement. Selon lui, la seule personne qui aurait pu en décider autrement était la ministre responsable du Conseil du Trésor.

[25]   Le 13 mars 2000, M. Pettie a répondu par lettre à la question de M. Bolton (pièce E-2) sur les répercussions dans le transfert de son fonds de pension s'il quittait l'AINC. Il l'a informé que les ministères fédéraux doivent recouvrer les trop-payés en souffrance à même l'indemnité de cessation d'emploi et toutes contributions au régime de retraite disponible.

[26]   Au printemps 2000, M. Bolton a présenté une demande d'emploi au Conseil scolaire régional de district de Waterloo. On lui a offert un poste dont le salaire annuel était supérieur de 10 000 $ à celui qu'il touchait à l'École Jamieson. Il a décidé d'accepter ce poste quand il a constaté que les difficultés financières qu'il invoquait n'avaient pas amené AINC à renoncer à recouvrer le trop-payé.

[27]   Lorsque M. Bolton a accepté son poste au Conseil scolaire de Waterloo, il a demandé un congé sans solde d'AINC; il est d'ailleurs en congé sans solde depuis septembre 2000, puisqu'il n'a pas démissionné, mais n'a pas l'intention de retourner au service du Ministère. Avant de partir en congé sans solde, on retenait 150 $ par mois sur son salaire mensuel brut; il avait réussi à rembourser un total de 1 050 $ avant son départ. Selon lui, l'an prochain, son salaire devrait atteindre 67 000 $. Il a contribué 600 $ par mois dans son REER depuis septembre 2000, en y ajoutant un paiement forfaitaire à la fin de l'année. En 2001, il a aussi versé 10 000 $ dans son REER, qui totalise maintenant quelque 35 000 $.

[28]   M. Bolton a l'intention de se réinscrire à la maîtrise en éducation quand la question du recouvrement de son trop-payé aura été tranchée. Si son grief n'est pas accueilli, il a l'intention de rembourser l'employeur à même la valeur de transfert de son fonds de pension. Il explique qu'il avait cinq années de service ouvrant droit à pension à AINC, ce qui a une valeur de transfert de 25 000 $. Comme il doit environ 13 000 $ à l'employeur, seulement 12 000 $ serait transféré de son fonds de pension à celui des enseignants du Conseil scolaire qui l'emploie. M. Bolton estime qu'il devrait par conséquent prendre sa retraite à 57 ans. Cependant il a témoigné savoir qu'il lui serait possible de rembourser le trop-payé en puisant à d'autres sources, ce qui signifie qu'il pourrait éviter de réduire la valeur de transfert de son fonds de pension.

Arguments

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[29]   Mme Bramwell a passé en revue la jurisprudence en matière de préclusion et fait valoir qu'il s'en dégage l'obligation suivante de prouver l'existence de la confiance préjudiciable (détrimental reliance) dans des situations de trop-payé :

[Traduction]

...

  1. Il faut qu'il existe un trop-payé de salaire ou d'une autre forme de rémunération. Ce trop-payé doit avoir l'effet d'induire l'employé à croire de bonne foi avoir droit à un taux de rémunération erroné.

  2. L'employé doit compter sur ce salaire à son préjudice au point de subir ce qu'on peut qualifier de modification sensible de sa situation (material change in circumstances).

  3. Il ne suffit pas qu'il y ait eu de l'argent dépensé pour démontrer le préjudice. Il faut qu'il y ait un engagement ou un projet d'entrepris sur la base du salaire erroné. De plus, l'employé ne doit pas pouvoir retourner dans sa situation initiale en raison de la nature contractuelle de l'engagement ou du temps écoulé.

  4. Deux autres considérations découlent d'obiter dicta dans plusieurs des décisions pertinentes. Il semble que l'employé ait l'obligation de tenter de mitiger les conséquences de l'erreur de l'employeur, mais cette obligation ne semble pas devoir être telle qu'elle exige que l'employé accepte une baisse de son niveau de vie (voir Molbak). De même, l'employé semble avoir une obligation pour l'employeur de découvrir et corriger l'erreur le plus tôt possible.

[30]   Mme Bramwell a fait valoir aussi que, puisque l'AINC a admis que le trop-payé résultait de son erreur et qu'il a toujours confirmé le taux de traitement erroné, la question à trancher consiste à savoir si M. Bolton s'est fié au trop-payé à son préjudice ou, subsidiairement, si ce trop-payé a entraîné une modification sensible de sa situation qui est devenu irrévocable.

[31]   Mme Bramwell a déclaré que M. Bolton comptait quitter AINC à cette étape de sa carrière et que, par conséquent, le traitement plus élevé qu'il touche maintenant ne devrait pas servir à rembourser le trop-payé. Le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé était clair : il n'aurait pas accepté de travailler pour AINC à partir de l'année scolaire 1995-1996 s'il avait su quel était son véritable traitement. Il aurait cherché un emploi mieux rémunéré ailleurs et il aurait épargné un montant similaire ou même supérieur à celui des économies accumulées sur le salaire erroné versé par le Ministère.

[32]   Mme Bramwell a maintenu que, si AINC est autorisé à recouvrer le trop-payé, M. Bolton a l'intention de le rembourser en réduisant la valeur de transfert de son fonds de pension du gouvernement fédéral. Cela signifie qu'il devra prendre sa retraite de l'enseignement deux ou trois ans plus tard qu'il ne l'avait prévu. Ce préjudice excède de beaucoup celui de rembourser de l'argent dépensé pour des biens de consommation.

[33]   Mme Bramwell a soutenu qu'AINC pourrait exiger à juste titre que M. Bolton rembourse le trop-payé s'il l'avait dépensé pour des biens de consommation comme une voiture, des voyages ou des vêtements. Or, ce n'est pas le cas, puisqu'il avait un plan financier qui consistait en un REER, un régime de retraite et une hypothèque et un budget serré. Si la base de ce plan est réduite à néant, il n'a aucun moyen de revenir en arrière. Il ne serait pas juste que la situation tourne à son détriment à ce point, suite à une erreur de son ancien employeur.

[34]   La capacité de M. Bolton de mitiger les conséquences de l'erreur du Ministère est limitée. Mme Bramwell a fait valoir de façon alternative que les cinq années que M. Bolton a passées au service d'AINC en touchant un trop-payé de salaire, ont modifie sensiblement sa situation financière, d'une façon qu'il est impossible de corriger ou de récupérer. Elle a expliqué que M. Bolton n'a aucun moyen de récupérer la perte de croissance de ses investissements même s'il augmentait son revenu de 14 000 $ et qu'il investissait immédiatement cette augmentation.

[35]   À l'appui de ses arguments, Mme Bramwell a invoqué les décisions suivantes : Ménard c. Canada, [1992] 3 C.F. 521; Arnold et autres (dossiers de la Commission 166-2-17505, 17506, 17508 à 17511, 17513 et 17514); Molbak (dossier de la Commission 166-2-26472); Canada (Procureur général) c. Molbak, [1996]   A.C.F. no 892 (Q.L.); Re Ottawa Board of Education and Federation of Women Teachers (1986), 25 L.A.C. (3d) 146.

Pour l'employeur

[36]   Me Gaudet a fait valoir que l'employeur a le droit légal de recouvrer le trop-payé en vertu de l'article 155 de la LGFP. Le fonctionnaire s'estimant lésé peut toutefois éviter que le trop-payé soit recouvré à condition de prouver l'existence d'éléments de préclusion par représentation.

[37]   Me Gaudet a aussi déclaré que rien ne prouve que le fonctionnaire s'estimant lésé se soit fié à son préjudice sur son salaire erroné pour modifier sensiblement sa situation financière. Il a fait valoir que M. Bolton avait réussi à s'acquitter de toutes ses obligations financières lorsqu'il a commencé à rembourser sa dette, de février à septembre 2000. Il a remboursé intégralement son prêt-auto, continué à payer ses mensualités d'hypothèque et continué aussi d'aider financièrement sa mère, tout en maintenant ses versements dans son REER. En fait, il continue de contribuer à son REER depuis qu'il a été informé du trop-payé, et la valeur actuelle de son REER totalise 35 000 $, dont 10 000 $ versés en 2001. De plus, en 2000, l'année pendant laquelle il a commencé à rembourser le trop-payé, il a investi 5 000 $ dans son REER.

[38]   Me Gaudet maintient que rien ne prouve que M. Bolton sera incapable d'atteindre son objectif de prendre sa retraite à 55 ans. Il n'a que 32 ans, de sorte qu'il lui reste 23 ans pour investir dans son REER et pour cotiser à son régime de pension jusqu'à ce qu'il puisse prendre sa retraite à 55 ans. Il s'attend à gagner 67 000 $ par année à partir de septembre 2003, ce qui est nettement plus élevé que le traitement moyen dont il avait besoin pour prendre sa retraite à 55 ans, d'après les calculs qu'il avait faits en 1994.

[39]   Me Gaudet a aussi fait valoir que la preuve ne concordait pas avec l'allégation de M. Bolton qu'il aurait quitté AINC pour gagner davantage au service d'un autre conseil scolaire s'il avait su qu'il recevait un trop-payé. Le salaire n'était de toute évidence, pas le facteur le plus important pour lui au début de sa carrière, puisqu'il n'a présenté une demande d'emploi qu'à AINC.

[40]   Au printemps 1999, M. Bolton s'était vu offrir un poste dans une école privée où il aurait gagné 5 000 $ de plus que sa rémunération d'alors; il n'a pas accepté cette offre parce qu'il [traduction] « aimait travailler aux Six-Nations ». Enfin, peu après avoir été mis au courant du trop-payé et de son salaire réel, en octobre 1999, il a refusé une offre d'emploi dans une école de Simcoe. Me Gaudet conteste les raisons avancées par M. Bolton pour ce refus, en disant qu'il est plus probable que ce dernier n'a pas accepté le poste en question parce qu'il ne voulait pas qu'AINC recouvre le trop-payé à même son fonds de pension, s'il quittait le Ministère pour aller enseigner dans un autre conseil scolaire. En fait, la preuve démontre qu'AINC s'est vraiment efforcé d'arriver à une entente avec le fonctionnaire s'estimant lésé en réduisant au maximum l'impact du recouvrement de sa créance. Comme la preuve n'a pas révélé d'éléments pouvant justifier l'application du principe de préclusion, le grief devrait être rejeté.

[41]   À l'appui de ses arguments, Me Gaudet a invoqué les décisions suivantes : Ménard c. Canada, [1992] 3 C.F. 521, à la p. 529; Scotsburn Co-operative Services Ltd. c. WT Goodwin Ltd., [1985]   1 R.C.S. 54, à la p. 66; School District No. 39 (Vancouver) and I.U.O.E., Loc. 963 (2000), 92 L.A.C. (4th) 182; Element (dossier de la Commission 166-2-27688).

Motifs de la décision

[42]   Dans Rural Municipality of Storthoaks v. Mobil Oil Canada Ltd. (1975), 55 D.L.R. (3d) 1, la Cour suprême du Canada a jugé que l'argent versé à une des parties à cause d'une erreur factuelle est recouvrable à moins qu'on ne puisse établir la préclusion ou que la partie qui a été payée par erreur ait modifié de façon sensible sa situation par suite de ce paiement.

[43]   Ce sont les deux principaux arguments de Mme Bramwell. Je vais y répondre en commençant par la préclusion, puis en passant à la modification sensible de sa situation.

Préclusion

[44]   Comme la Cour fédérale a statué dans Canada c. Molback, supra, l'alinéa 92(1)a) de la LRTFP donne aux arbitres la compétence d'entendre un grief et d'appliquer le principe de préclusion lorsqu'un fonctionnaire présente un grief pour contester la décision de l'employeur de recouvrer un trop-payé de traitement.

[45]   Le principe de préclusion est une règle de la preuve basée sur l'équité. Lord Denning a défini ce principe dans Combe v. Combe, [1951] 2.K.B. 215 (C.A.), à la p. 220, de la façon suivante :

[Traduction]

... lorsque, dans ses paroles ou sa conduite, une partie a fait à l'autre une promesse ou lui a donné une assurance dans le but d'influer sur les relations légales entre elles et en fonction de laquelle l'autre partie devait agir, une fois que l'autre partie l'a crue sur parole et a agi en conséquence, celle qui a fait la promesse ou donné l'assurance ne peut pas être autorisée par la suite à revenir à leurs relations légales antérieures comme si elle n'avait pas fait cette promesse ni donné cette assurance, mais doit accepter que leurs relations légales font l'objet des réserves qu'elle a elle-même introduites.

[46]   L'employeur a fait des erreurs en calculant le salaire de M. Bolton pendant plusieurs années, nul ne le conteste. Par conséquent, pour que le principe de préclusion s'applique dans ce cas-ci, il faut que la preuve démontre que M. Bolton s'est fié à son préjudice sur cette erreur de calcul de son salaire.

[47]   Mme Bramwell a déclaré que la confiance préjudiciaire de M. Bolton se manifestait en deux moments. Premièrement, il n'aurait pas accepté de travailler pour AINC à partir de 1995-1996 s'il avait su quel était vraiment son salaire. Ensuite, si AINC est autorisé à recouvrer le trop-payé, il va prendre sa retraite de l'enseignement deux ou trois ans plus tard qu'il ne l'avait prévu.

[48]   Me Gaudet a déclaré pour sa part que la preuve ne concorde pas avec l'allégation du fonctionnaire s'estimant lésé qu'il aurait quitté AINC pour gagner davantage dans un autre conseil scolaire s'il avait été au courant du trop-payé. Il avait eu plusieurs offres de postes d'enseignement mieux rémunérés et les avait rejetées. Me Gaudet a aussi affirmé que la prétention du fonctionnaire s'estimant lésé qu'il serait incapable de prendre sa retraite à 55 ans s'il était contraint à rembourser AINC n'est basée que sur de pures conjectures. M. Bolton a été parfaitement capable de s'acquitter de toutes ses obligations financières au cours de la période durant laquelle il a commencé à rembourser sa dette, de février à septembre 2000, depuis qu'il a été informé du trop-payé, et il a eu amplement l'occasion d'arranger ses affaires financières de façon à rembourser la somme qu'il doit encore tout en s'assurant d'atteindre son objectif de prendre sa retraite à 55 ans.

[49]   Il m'est impossible d'arriver à la même conclusion que le fonctionnaire s'estimant lésé quand il a dit qu'il aurait refusé un poste à AINC en 1995 s'il avait su que son traitement était inférieur de 1 679 $ à ce qu'il touchait à l'époque. La preuve a clairement révélé que M. Bolton avait d'autres raisons en tête pour accepter un poste à l'École Jamieson et pour y rester. Il a témoigné que, la première fois qu'il a accepté un poste à l'École, il savait que son traitement était inférieur à celui qu'il aurait obtenu avec des postes comparables dans d'autres conseils scolaires. Il a expliqué qu'il avait accepté de perdre un peu d'argent parce qu'il savait qu'il passerait à long terme à un poste d'enseignement mieux payé dans une autre école.

[50]   M. Bolton savait en outre que la Loi d'exécution du budget 1994 l'empêcherait de justifier d'une deuxième année d'expérience de l'enseignement en 1995 et en 1996. S'il avait décidé à ce moment-là de trouver un emploi dans un autre conseil scolaire, cette année d'expérience aurait été portée à son crédit, mais il a accepté de son plein gré de renoncer à cet avantage. Au printemps 1999, on lui a offert un poste dans une école privée située au nord de Toronto, avec une augmentation de traitement de 5 000 $, et il l'a rejetée. De toute évidence, d'autres facteurs que des motifs purement financiers étaient entrés en ligne de compte. M. Bolton a expliqué à l'audience qu'il aurait dû payer des frais de réinstallation et qu'il aimait travailler à l'École Jamieson. De même, quand l'employeur l'a informé du trop-payé, il s'est fait offrir à Simcoe un poste dans l'enseignement où il aurait été payé plus de 5 000 $ de plus qu'à AINC. Il a refusé cette offre-là aussi puisque d'autres facteurs (tels que son engagement vis-à-vis de ses élèves) influaient sur sa décision. Je ne peux par conséquent pas conclure que, si M. Bolton avait su quel était effectivement son traitement en 1996, 1997 et 1998, il n'aurait pas accepté son offre d'emploi à AINC.

[51]   Mme Bramwell a déclaré dans son argumentation que les facteurs requis pour prouver la confiance préjudiciable dans une situation de trop-payé sont un engagement contracté ou un projet entrepris en se fiant sur un traitement erroné qui ne peuvent pas être renversés en raison de la nature contractuelle de l'engagement ou du temps écoulé. Elle a affirmé que, comme M. Bolton l'a déclaré dans son témoignage, il avait projeté de prendre sa retraite à 55 ans et qu'il allait devoir travailler deux ou trois ans de plus en raison du trop-payé. Pourtant, M. Bolton a aussi témoigné qu'il savait qu'il lui serait possible d'emprunter pour rembourser l'employeur afin d'éviter de réduire la valeur transférable de son fonds de pension. Il n'est vraiment pas content de devoir rembourser une si forte somme, et c'est compréhensible. Toutefois, avec ses antécédents de planification financière, je suis sûr qu'il va finir par reconnaître qu'il y va de son intérêt de rembourser la somme qu'il doit encore sans réduire la valeur transférable de son fonds de pension. Il pourrait donc prendre sa retraite à 55 ans comme il l'a prévu dès le départ.

[52]   M. Bolton a décidé de cesser de rembourser l'employeur après avoir quitté AINC pour accepter un poste mieux rémunéré au Conseil scolaire régional de district de Waterloo. Il a témoigné qu'il voulait économiser 10 % de son traitement au début de sa carrière. Quand il a commencé à travailler au Conseil scolaire de Waterloo, il gagnait 54 000 $ par année et s'attend à toucher 67 000 $ en 2003-2004. Depuis qu'il est parti d'AINC, il a été en mesure d'économiser beaucoup plus que 10 % de son traitement en contributions à son REER. Il aurait pu économiser 10 % de son traitement, comme il l'avait prévu, tout en remboursant une grande partie de la somme due à l'employeur.

[53]   Au fond, ce que M. Bolton me demande, c'est de le mettre dans une situation plus favorable que s'il était resté au service d'AINC et que le recouvrement du trop-payé avait été prélevé à même son traitement. Ce serait injuste et inéquitable, puisqu'il n'a pas satisfait aux exigences qui justifieraient l'application du principe de préclusion.

[54]   J'ai soigneusement pesé la preuve qui m'a été soumise pour voir s'il y avait d'autres éléments de preuve de confiance préjudiciable par le fonctionnaire s'estimant lésé. M. Bolton a déclaré qu'il aurait gardé sa vieille voiture plus longtemps s'il avait su quel était vraiment son traitement. Pourtant, les vieilles voitures finissent par avoir besoin de réparations, de sorte qu'on arrive à un point où il est plus logique d'en acheter une neuve que de faire réparer la vieille. Les 290 $ par mois qu'il payait pour sa nouvelle voiture étaient raisonnables, de sorte qu'un achat dans de telles circonstances ne constitue pas une preuve de confiance préjudiciable.

[55]   M. Bolton a aussi témoigné qu'il aurait assumé son hypothèque même avec un salaire moins élevé. Jusqu'à ce qu'il parte d'AINC en congé non payé, il avait réussi à rembourser à l'employeur 150 $ par mois tout en continuant à contribuer chaque mois à son REER. Il avait été en mesure de s'acquitter de toutes ses obligations financières en faisant quelques changements, c'est-à-dire en réalisant une partie de ses investissements pour rembourser intégralement son prêt-auto, en réduisant ses mensualités d'hypothèque et en cessant d'investir. Il n'a pas prouvé que ces changements jouaient à son détriment. Compte tenu de la volatilité du marché financier, il se pourrait qu'avoir encaissé certains de ses investissements ait été avantageux pour lui. En outre, il doit avoir économisé des frais d'intérêt sur son prêt-auto. Quoi qu'il en soit, on n'a avancé aucune preuve à cet égard dans un sens ou dans l'autre. Puisque le fardeau de la preuve que le principe de préclusion est applicable en l'espèce incombe au fonctionnaire s'estimant lésé et qu'il ne s'en est pas acquitté, je ne suis pas convaincu qu'il se soit fié à son détriment à l'erreur de calcul de son traitement par l'employeur.

Modification sensible de sa position

[56]   Mme Bramwell a fait valoir de façon alternative que M. Bolton avait modifié sensiblement sa position en raison du salaire erroné qui lui avait été payé. Dans Re Municipality of Storthoaks, supra, à la page 12, le juge Maitland, de la Cour suprême du Canada, a analysé la preuve pour déterminer si la municipalité avait modifié de façon sensible sa situation en raison du trop payé. Il avait conclu qu'il n'y a aucune preuve que des projets spéciaux ont été entrepris ou que des engagements financiers spéciaux ont été contractés à la suite de la réception de cet argent, ou que la Municipalité a modifié sa position d'une quelconque façon parce qu'elle recevait cet argent.

[57]   De la même façon, dans le cas présent, je n'ai pas trouvé de preuve en ce sens. Les motifs expliqués dans mes conclusions sur le principe de préclusion s'appliquent tout aussi bien ici. Le projet de M. Bolton de prendre sa retraite à 55 ans n'est pas réellement menacé par le recouvrement du trop-payé. Il a témoigné qu'il aurait assumé son hypothèque même avec le traitement inférieur auquel il avait droit. Rien dans la preuve ne montre que M. Bolton ait modifié sa position d'une quelconque façon à cause du trop-payé.

[58]   Pour tous ces motifs, le grief est rejeté.

[59]   Placés dans une situation comme celle dans laquelle M. Bolton s'est retrouvé, nous serions tous consternés de devoir rembourser une somme aussi importante à notre employeur. Je crois que les représentants de l'employeur l'avaient compris, et que c'est pour cette raison qu'ils se sont montrés très souples pour conclure avec M. Bolton une entente en vertu de laquelle il allait rembourser sa dette à l'employeur par mensualités de 150 $ réparties sur sept ans. Comme l'employeur avait consenti à ne pas lui facturer d'intérêts pour une aussi longue période, le fardeau financier du remboursement allait être allégé de beaucoup pour le fonctionnaire s'estimant lésé. Je suggère aux parties de discuter s'il est possible, d'améliorer les modalités de remboursement du trop-payé par M. Bolton.

Guy Giguère,
président suppléant

OTTAWA, le 3 juin 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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