Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement (motif non-disciplinaire) - Allégation de mesure disciplinaire déguisée - Révocation du statut intérimaire - Non renouvellement de la liste d'admissibilité - Déni de justice naturelle - Mauvaise foi - Rémunération compensatoire - Absence de compétence - le fonctionnaire s'estimant lésé s'était classé quatrième d'une liste d'admissibilité établie dans le cadre d'un concours interne en vue de combler, pour une durée déterminée, un poste d'agent adjoint de gestion des ressources (AAGR), et à partir de cette liste, il s'est vu offrir un poste pour une durée déterminée à Ross River qu'il a accepté - au cours de l'affectation intérimaire, l'employeur a offert de vive voix au fonctionnaire s'estimant lésé une nomination d'une durée indéterminée pour le poste qu'il occupait à titre intérimaire - le fonctionnaire s'estimant lésé a accepté l'offre verbale et a alors été informé que la lettre d'offre officielle allait lui être envoyée en temps opportun - suite à cette conversation, mais avant l'arrivée de cette lettre, l'employeur a avisé le fonctionnaire s'estimant lésé qu'une enquête serait instituée afin de tirer au clair des allégations de conduite non professionnelle portées contre lui - avant de pouvoir prendre connaissance du rapport d'enquête, le fonctionnaire s'estimant lésé a été informé que la liste d'admissibilité ne serait pas prolongée, que son affectation intérimaire ne serait pas renouvelée et qu'il devrait réintégrer son poste d'attache à l'issue de son affectation intérimaire - le fonctionnaire s'estimant lésé a allégué qu'il avait fait l'objet d'une mesure disciplinaire déguisée entraînant une sanction pécuniaire, et l'agent négociateur a fait valoir que la mesure prise par l'employeur constituait un licenciement - l'arbitre a soutenu que les mesures de l'employeur ne constituaient pas un licenciement ou une mesure disciplinaire au sens de l'article 92 de la LRTFP et qu'il existait une abondance de précédents étayant le principe selon lequel la décision de mettre fin à une affectation pour une période déterminée ne constitue pas un licenciement - en ce qui concerne la liste d'admissibilité, l'arbitre a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé devrait s'adresser à la Commission de la fonction publique - l'arbitre a statué qu'il n'était pas convaincu que l'employeur avait agi de mauvaise foi et que le simple fait que l'employeur se demandait si le fonctionnaire s'estimant lésé possédait les qualités personnelles voulues pour occuper le poste visé ne constituait pas, en soi, une preuve de mauvaise foi - l'arbitre a rejeté les allégations de l'agent négociateur fondées sur le déni de justice naturelle et, en ce qui concerne les réparations demandées par le syndicat, il a exprimé un doute quant à la compétence de l'arbitre d'accorder une indemnité compensatoire alors qu'il n'avait pas même la compétence pour ordonner la réintégration ou la nomination du fonctionnaire - en dernier lieu, l'arbitre a conclu qu'il n'avait pas à se prononcer sur la question de la réparation puisque le fonctionnaire s'estimant lésé avait travaillé jusqu'à la fin de son affectation et que le fait d'accorder une indemnité compensatoire pour une plus longue période reviendrait à faire une nomination, ce qu'il ne pouvait pas faire. Grief rejeté. Décisions citées :Marinos (166-2-27446); Hanna (166-2-26983); Blackman (166-2-27134); Lecompte (166-2-28452); Dansereau c. Office national du film et Pierre-André Lachapelle, [1979] 1 C.F. 100 (C.A.F.); Procureur général du Canada c. Judith L. Penner, [1989] 3 C.F. 429; Roland Jacmain et Procureur général du Canada et Commission des relations de travail dans la fonction publique, [1978] 2 R.C.S. 15; Laird (166-2-19981).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-08-29
  • Dossier:  166-2-29994
  • Référence:  2003 CRTFP 73

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

EDWARD D. FOREMAN
fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Affaires indiennes et du Nord Canada)

employeur

Devant:   Yvon Tarte, Président

Pour le fonctionnaire
s'estimant lésé:  
Deborah Seaboyer, agente préposée aux griefs et à
                         l'arbitrage, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur :   Neil McGraw, avocat


(Décision rendue sans audience publique, sur la foi des observations écrites
des parties.)


[1]    Avant de présenter le grief dont je suis saisi en l'espèce, le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Edward Dean Foreman, était employé depuis 1991 par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien comme travailleur saisonnier permanent. Durant ses années d'emploi, il a exercé les fonctions de divers postes à titre temporaire, intérimaire ou comme permutant. À la date de la présentation du grief, il était titulaire à titre permanent d'un poste saisonnier d'observateur de tour, classifié au niveau GS-PRC-02.

[2]    En 1998, M. Foreman s'est classé quatrième à un concours interne tenu dans son ministère en vue de combler un poste temporaire d'agent adjoint de gestion des ressources (AAGR). La liste d'admissibilité (annexe E de l'exposé conjoint des faits des parties) établie à l'issue de ce concours a été signée par la gestionnaire des ressources humaines, Mme Joanne Dennis, le 4 mai 1998 et était valide jusqu'au 31 juillet 1998. La liste a été prolongée un certain nombre de fois par la suite, jusqu'à la fin de mars 1999. Parce que son nom y figurait, M. Foreman a obtenu une affectation intérimaire au niveau GT-04 pour la période allant du 27 juillet 1998 au 31 mars 1999 à Ross River, Territoires du Yukon. La lettre d'offre (annexe F de l'exposé conjoint des faits des parties) indiquait que, à son entrée en fonctions au ministère, le fonctionnaire s'estimant lésé avait été informé des lignes directrices sur les conflits d'intérêt et des règles de conduite professionnelle applicables aux fonctionnaires. À la fin de novembre 1998, l'agente de dotation du ministère, Mme Saira Sahid, a offert de vive voix au fonctionnaire s'estimant lésé le poste d'AAGR à Ross River de façon permanente et il l'a accepté. Aucune offre écrite ne lui a été adressée à ce moment-là; on l'a simplement informé que la lettre d'offre officielle allait lui être envoyée en temps opportun. Le poste en question était censé devenir un poste de durée indéterminée à compter du mois d'avril 1999.

[3]    Le 17 décembre 1998, le fonctionnaire s'estimant lésé a reçu une lettre de M. Paul Butra, gestionnaire intérimaire des opérations régionales, l'informant que le ministère instituait une enquête administrative interne pour tirer au clair des allégations de conduite non professionnelle portées contre lui (annexe B de l'exposé conjoint des faits des parties). Il l'avisait aussi que, dans l'éventualité où les allégations étaient confirmées, on déterminerait s'il possédait les qualités personnelles voulues pour exercer les fonctions du poste qu'il occupait à titre intérimaire et il pourrait faire l'objet de mesures disciplinaires. On l'informait aussi qu'aucune offre ne lui serait faite concernant le poste permanent d'AAGR avant la fin de l'enquête. M. Foreman a été informé de vive voix par le personnel du ministère que la liste d'admissibilité et son statut d'AAGR demeuraient inchangés jusqu'à ce que l'enquête interne soit terminée et que les mesures nécessaires soient prises. Ces propos ont été confirmés par écrit par Mme Diane McPhee, conseillère en relations de travail, dans un courriel daté du 9 février 1999 (annexe H de l'exposé conjoint des faits des parties).

[4]    Le 25 mars 1999, M. Mark Zrum, directeur intérimaire des ressources renouvelables, a informé par écrit M. Foreman que son affectation intérimaire prenait fin le 31 mars 1999, ainsi qu'il était précisé dans la lettre d'offre (annexe A de l'exposé conjoint des faits des parties). Le même jour, M. Paul Butra a informé par écrit le fonctionnaire s'estimant lésé que la liste d'admissibilité établie à l'issue du concours interne expirait le 31 mars 1999 (annexe C de l'exposé conjoint des faits des parties). Les deux lettres ont été rédigées avant que M. Foreman prenne connaissance du rapport d'enquête. Même si le rapport était terminé depuis le 16 mars 1999, le fonctionnaire s'estimant lésé n'en avait pas encore reçu de copie pour examen et observations. En conséquence, il a réintégré les fonctions de son poste d'attache d'observateur de tour et a été licencié pour la saison.

[5]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté un grief le 29 mars 1999. En voici le texte :

[Traduction]

Je conteste la lettre datée du 25 mars 1999 que m'a adressée M. Mark Zrum, car elle constitue une mesure disciplinaire déguisée entraînant une sanction pécuniaire. La mesure a été prise après qu'on m'eut offert de vive voix un poste permanent et avant que l'enquête administrative mentionnée dans une lettre de M. Paul Butra datée du 17 décembre 1998 soit terminée.

Je conteste aussi la lettre datée du 25 mars 1999 que m'a adressée M. Paul Butra, car elle constitue une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire et un manquement à l'engagement qu'avait pris le service des ressources humaines de prolonger la liste d'admissibilité jusqu'à ce que l'enquête administrative mentionnée dans la lettre datée du 17 décembre 1998 soit terminée.

Qui plus est, les mesures dont j'ai fait l'objet vont à l'encontre de la politique du Conseil du Trésor et des directives ministérielles.

Réparation demandée

Je veux être indemnisé intégralement, et notamment être nommé à un poste permanent d'AAGR à un endroit déterminé par entente mutuelle et recevoir la totalité du salaire et des avantages se rattachant au poste d'AAGR, du 1er avril 1999 jusqu'à la date de la nomination. Je demande la tenue d'une audience à chaque palier de la procédure de règlement des griefs.

[6]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a aussi porté plainte à la Commission de la fonction publique du Canada, alléguant qu'on avait refusé sans raison valable de lui accorder un poste de durée indéterminée et qu'il n'avait pas été traité selon l'esprit de la Politique sur le harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor. À sa demande, le grief présenté à la CRTFP a été mis en suspens jusqu'à ce que la CFP ait statué sur la plainte. Dans un rapport daté du 29 avril 2002 (annexe G de l'exposé conjoint des faits des parties), la CFP a conclu que les allégations étaient sans fondement et a dès lors clos le dossier.

[7]    Au moyen d'une lettre datée du 15 mai 2003, l'employeur a contesté la compétence de la Commission de se saisir du grief. En vertu d'une entente intervenue entre les parties, il a été convenu que la question de la compétence de la Commission serait tranchée à partir des observations écrites des parties. Celles-ci ont dès lors soumis à la Commission un exposé conjoint des faits ainsi que leurs observations respectives.

Argumentation de l'employeur

[8]    Le grief, tel qu'il est libellé, conteste le non-renouvellement de l'affectation intérimaire du fonctionnaire s'estimant lésé ainsi que la non-prolongation de la liste d'admissibilité. Le fonctionnaire veut être indemnisé intégralement, et notamment être nommé à un poste permanent d'AAGR et recevoir la totalité du salaire et des avantages se rattachant au poste, rétroactivement au 1er avril 1999. Selon le libellé du grief, les actions de l'employeur constituent des mesures disciplinaires déguisées entraînant une sanction pécuniaire. Le 18 juillet 2000, l'Alliance de la Fonction publique du Canada a informé la Commission par écrit que le grief se rapportait à un licenciement.

[9]    L'employeur est d'avis que la Commission n'est pas habilitée à se saisir du grief car il ne porte pas sur l'interprétation d'une convention collective ou d'une décision arbitrale en vertu de l'alinéa 92(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), ni à une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement visé aux alinéas 11(2)f) et g) de la Loi sur la gestion des finances publiques, en vertu de l'alinéa 92(b) de la LRTFP. Au soutien de sa thèse sur cette question, l'employeur invoque les affaires suivantes : Dansereau c. L'Office national du film et Pierre-André Lachapelle, [1979] 1 C.F. 100; Hanna et le Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration) (dossier de la Commission 166-2-26983); Blackman et le Conseil du Trésor (Défense nationale) (dossiers de la Commission 166-2-27134 & 27139); Lecompte et Conseil du Trésor (Santé Canada) (dossier de la Commission 166-2-28452) et Beaulieu et le Conseil du Trésor (Justice Canada) (dossier de la Commission 166-2-27313). L'employeur affirme que, si on a mis fin à l'affectation intérimaire du fonctionnaire s'estimant lésé comme AAGR ce n'est pas pour des motifs d'ordre disciplinaire mais parce que c'était ce que prévoyait d'office son contrat de travail. L'employeur soutient que l'organe administratif devant lequel il convient de contester ce genre de décision de dotation est la Commission de la fonction publique, qui a déjà statué que la plainte du fonctionnaire s'estimant lésé était sans fondement; le grief en cause en l'espèce constituerait dès lors un recours abusif si la Commission s'en saisissait : voir Lawson et le Conseil du Trésor (Revenu Canada - Impôt) (dossier de la Commission 166-2-25530), Mark et le Conseil du Trésor (Transports Canada) (dossiers de la Commission 166-2-21451 à 21455), Marinos c. Canada (Conseil du Trésor) (1998), 157 F.T.R. 70. En dernier lieu, l'employeur soutient que, puisque le pouvoir de nomination relève de l'application de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP), l'arbitre des griefs n'est pas habilité à accorder la réparation demandée par le fonctionnaire s'estimant lésé. La Commission étant incompétente pour statuer sur le grief de même que pour accorder la réparation demandée, le grief devrait être rejeté sans tenir d'audience.

Argumentation du fonctionnaire s'estimant lésé

[10]    L'agent négociateur fait valoir pour le compte du fonctionnaire s'estimant lésé que les actions de l'employeur, soit mettre fin à l'affectation intérimaire et laisser expirer la liste d'admissibilité établie à l'issue du concours interne, constituent des mesures disciplinaires déguisées entraînant une sanction pécuniaire : voir Whyte et le Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada) (dossier de la Commission 166-2-28658); Owens c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada) (dossiers de la Commission 166-2-31372 & 31373). Il passe en revue les actions de l'employeur pour faire la preuve de sa mauvaise foi à l'égard du fonctionnaire s'estimant lésé. Les deux lettres datées du 25 mars 1999 vont directement à l'encontre de l'engagement pris envers le fonctionnaire de le maintenir dans ses fonctions comme AAGR jusqu'à la fin de l'enquête. En outre, la lettre de M. Butra datée du 17 décembre 1998 informe le fonctionnaire qu'il pourra se prévaloir de tous les droits qui lui sont reconnus par la politique ministérielle sur les enquêtes administratives; or, les actions de l'employeur contredisent encore une fois ses propos puisqu'il a sévi contre le fonctionnaire avant que l'enquête soit terminée. La lettre signée par Mme Jennifer Guscott le 19 mai 2000 a aussi été produite en preuve pour établir que les actions de l'employeur constituaient une mesure disciplinaire. On peut y lire notamment ce qui suit : [Traduction] « J'ai assoupli ma décision dans cette affaire après avoir pris en considération les événements qui pourraient être à l'origine de votre situation et je n'entends pas prendre de nouvelles mesures. » L'agent négociateur soutient que le terme « nouvelles » indique qu'on avait déjà pris des mesures avant l'envoi de la lettre et qu'elles étaient d'ordre disciplinaire. Il fait également observer que la lettre de Mme Guscott a été rédigée plus de 14 mois après que l'employeur eut pris des mesures contre le fonctionnaire s'estimant lésé, ce qui équivaut dès lors à un déni de justice naturelle en raison de la période qui s'est écoulée avant d'en arriver à une décision dans l'affaire. En outre, le fait que le fonctionnaire a reçu copie de l'ébauche du rapport d'enquête seulement après que l'employeur eut pris des mesures contre lui constitue sans contredit un déni de justice naturelle. La Commission est dès lors compétente pour trancher le grief étant donné que celui-ci porte en réalité sur une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire en vertu des dispositions des alinéas 11(2)f) et g) de la Loi sur la gestion des finances publiques, aux termes de l'alinéa 92(b) de la LRTFP : voir Valadares et le Conseil du Trésor (Santé Canada) (dossiers de la Commission 166-2-19596 & 19597); MacLean et Conseil du Trésor (Revenu Canada-Douanes et Assise) (dossier de la Commission 166-2-22580). L'agent négociateur fait aussi valoir que la CFP n'est pas compétente pour statuer sur la mesure disciplinaire en cause en l'espèce et que le grief est certainement arbitrable.

[11]    L'agent négociateur soutient que la décision Dansereau (supra) ne s'applique pas à l'affaire qui nous occupe. Dans cette décision, la Cour fédérale a statué qu'il n'existait pas de relation de cause à effet entre l'embauche de pigistes par l'employeur et le fait que le fonctionnaire en cause avait été licencié. En l'instance, il existe une telle relation entre la décision de mettre fin à l'affectation du fonctionnaire s'estimant lésé et l'enquête qui était en cours. Dans l'affaire Hanna (supra), l'arbitre des griefs a conclu que la fonctionnaire en cause avait perdu son emploi en raison de son contrat de travail et non pas à cause d'une décision de l'employeur n'ayant rien à voir avec ce contrat. L'agent négociateur soutient que, dans l'affaire qui nous occupe, la décision de mettre fin à l'affectation intérimaire du fonctionnaire s'estimant lésé n'avait rien à voir avec son contrat de travail. Au sujet de l'affaire Blackman (supra), le syndicat affirme que la décision ne s'applique pas en l'espèce car elle comporte les mêmes lacunes que la décision Hanna (supra) et qu'il a été statué que le fonctionnaire en cause avait modifié la nature du grief en invoquant l'argument de la mesure disciplinaire à l'arbitrage seulement. Ce n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce vu que M. Foreman allègue clairement qu'il a fait l'objet d « une mesure disciplinaire déguisée ». Dans le cas de la décision Lecompte (supra), l'agent négociateur la considère comme espèce différente car il n'est pas convaincu que l'allégation de mauvaise foi formulée contre l'employeur a été prouvée. Or, il existe une telle preuve en l'espèce. En dernier lieu, l'agent négociateur soutient que ni l'affaire Lawson (supra) ni l'affaire Mark (supra) ne se rapporte à une allégation de mesure disciplinaire.

[12]    En ce qui concerne la réparation demandée, l'agent négociateur convient que l'arbitre des griefs n'est pas compétent pour nommer le fonctionnaire à un poste et il demande donc qu'une indemnité soit versée pour la période applicable.

[13]    L'agent négociateur soutient dès lors qu'un arbitre chargé d'instruire un renvoi fondé sur l'article 92 de la LRTFP a la compétence voulue pour statuer sur l'affaire et que l'objet du grief, c'est-à-dire la mesure disciplinaire déguisée, relève sans contredit des attributions de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). Il demande dès lors que le grief soit instruit par un arbitre.

Réfutation de l'employeur

[14]    En réfutation, l'employeur indique à nouveau que les affaires Dansereau et Hanna s'appliquent en l'espèce et que le présent grief constitue un recours abusif étant donné que la CFP s'est déjà prononcée sur la question. En outre, comme l'arbitre n'est pas habilité à nommer le fonctionnaire s'estimant lésé à un poste, il ne peut pas davantage accorder une indemnité tenant lieu de réintégration.

Décision

[15]    Ainsi qu'il est indiqué précédemment, la question à trancher en l'espèce est uniquement de savoir si la CRTFP est compétente pour instruire le grief de M. Foreman.

[16]    En vertu de l'article 92 de la LRTFP, la compétence d'un arbitre est assez limitée et ne peut être élargie, même avec le consentement des parties. L'article 92 limite cette compétence à l'interprétation ou à l'application d'une convention collective, d'une part, et aux licenciements et à certaines mesures disciplinaires, d'autre part. L'agent négociateur n'a pas allégué qu'il y avait eu violation de la convention collective applicable au fonctionnaire s'estimant lésé. Il a plutôt prétendu que les mesures prises par l'employeur (c.-à-d. le défaut de renouveler l'affectation intérimaire et la décision de laisser expirer la liste d'admissibilité) constituent une mesure disciplinaire déguisée entraînant une sanction pécuniaire et un licenciement.

[17]    À mon avis, les actions (ou l'inaction) de l'employeur ne constituent pas un « licenciement » ou une z mesure disciplinaire » en vertu de l'article 92 de la LRTFP. En ce qui concerne la prétention relative au non-renouvellement de l'affectation intérimaire, précisons que la nomination était pour une période déterminée, qui a pris fin. En vertu de l'article 25 de la LEFP, le fonctionnaire a perdu sa qualité de fonctionnaire à l'expiration de cette période. Il existe une abondance de précédents étayant le principe selon lequel la décision de mettre fin à une affectation pour une période déterminée ne constitue pas un licenciement. La jurisprudence de la CRTFP comporte des décisions portant sur des licenciements à l'expiration d'une période déterminée comme dans les affaires Marinos (dossier de la Commission 166-2-27446), Hanna (dossier de la Commission 166-2-26983), Blackman (dossier de la Commission 166-2-27134), Lecompte (dossier de la Commission 166-2-28452) et Dansereau c. L'Office national du film et Pierre-André Lachapelle, [1979] 1 C.F. 100 (C.A.F.). Dans l'affaire Dansereau, la Cour d'appel fédérale en arrive à la conclusion suivante, aux pages 101 et 102 :

L'employé engagé pour un temps déterminé n'est pas mis à pied lorsque le terme de son engagement arrive à expiration, car si son emploi cesse à ce moment-là ce n'est pas en raison du manque de travail mais en vertu des termes mêmes du contrat d'engagement.

[18]    Je crois que cette décision s'applique aussi en l'espèce.

[19]    En ce qui concerne la liste d'admissibilité et le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas été nommé au poste permanent d'AAGR, il doit s'adresser à la Commission de la fonction publique en vertu de la LAFP pour obtenir réparation. M. Foreman se trouve à avoir admis ce fait en se plaignant d'abord à la CFP du défaut de l'employeur d'utiliser la liste d'admissibilité pour lui attribuer le poste permanent. La CFP était l'organe habilité à statuer sur cette question et elle l'a fait. Si le fonctionnaire s'estimant lésé souhaite attaquer sa décision, il doit nécessairement s'adresser à la Cour fédérale du Canada. La plainte a été examinée comme il se devait par l'organe habilité par la loi à statuer sur de telles questions et elle a été rejetée. La question ne peut donc pas faire l'objet d'un grief en vertu de l'article 92 de la LRTFP. En l'instance, je crois que le fonctionnaire s'estimant lésé cherche à obtenir une nouvelle décision sur les questions qui ont donné lieu à la recherche de faits l'enquête et au rapport de M. Greg Larocque, enquêteur à la direction des recours de la CFP au bureau de Vancouver.

[20]    L'agent négociateur s'est employé à démontrer que l'employeur avait agi avec mauvaise foi en l'instance, mais il n'a pas été établi à ma satisfaction que c'était le cas. Le simple fait que l'employeur se demande si le fonctionnaire s'estimant lésé possède les qualités personnelles voulues pour continuer d'exercer les fonctions du poste d'AAGR ne constitue pas, en soi, une preuve de mauvaise soi. Dans l'affaire Procureur général du Canada c. Judith L. Penner, [1989] 3 C.F. 429, M. le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale analyse la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Roland Jacmain et Le Procureur général du Canada et la Commission des relations de travail dans la fonction publique, [1978] 2 R.C.S. 15, et décrit, à la page 440, le type d'examen auquel un arbitre qui est saisi d'un grief semblable à celui qui nous occupe en l'espèce doit procéder pour déterminer si la décision a été prise de bonne foi et pour établir que les actions de l'employeur étaient bel et bien ce qu'elles semblaient être et non pas une mesure disciplinaire déguisée.

(.) Cet examen serait effectué en application du principe selon lequel la forme ne devrait pas l'emporter sur le fond. L'on ne peut tolérer que, par l'effet d'un camouflage, une personne soit privée de la protection que lui accorde une loi. En fait, la question qui entre alors en jeu est celle de la bonne foi, l'exigence légale qui est la plus fondamentale lorsqu'il s'agit de défendre la validité juridique de toute forme d'activité.

[21]    Afin de prouver que l'employeur a agi avec mauvaise foi, le fonctionnaire s'estimant lésé doit démontrer que ses actions étaient une ruse visant à camoufler un licenciement illégal. Je conclus que la preuve que j'ai devant moi n'étaye pas une telle conclusion.

[22]    Le syndicat attire aussi l'attention sur le fait que l'employeur a contrevenu aux modalités de sa politique sur les enquêtes administratives et manqué à sa promesse écrite, ce qui constitue, selon lui, une preuve de mauvaise foi. On peut lire ce qui suit aux paragraphes 5.8 et 6.1 de la politique :

[Traduction]

5.8 Témoin principal : l'employé du ministère qui est accusé ou soupçonné d'inconduite.

6.1 Énoncés de politique :

  1. Le témoin principal a le droit d'être présumé innocent jusqu'à preuve du contraire et il a dès lors le droit d'être mis au courant de tous les détails de l'affaire, de répondre aux allégations et de les réfuter, de même que d'être informé des conséquences d'une décision défavorable.

[23]    M. Foreman soutient que les actions de l'employeur vont à l'encontre de cette politique parce qu'il a conclu que les allégations étaient fondées avant même de prendre connaissance du rapport d'enquête. Le fait que l'employeur puisse ne pas s'être conformé à un paragraphe de sa politique ne constitue pas, en soi, une preuve de mauvaise foi. Au surplus, je ne suis pas du tout convaincu que l'employeur a réellement contrevenu à sa politique. Il avait le droit de procéder à une enquête disciplinaire pour tirer au clair certaines allégations concernant M. Foreman. On peut certes inférer du paragraphe 6.1c) qu'il est interdit à l'employeur de sévir contre le fonctionnaire s'estimant lésé avant la fin de l'enquête, mais cela ne lui enlève pas le droit, l'obligation même, de déterminer si l'affectation intérimaire de M. Foreman devrait être prolongée une nouvelle fois. La politique n'obligeait nullement l'employeur à prolonger l'affectation jusqu'à ce que les résultats de l'enquête soient connus. Cette enquête, et toute mesure disciplinaire en découlant, est une affaire distincte n'ayant aucun lien avec l'affectation intérimaire. En outre, je conclus que l'employeur s'est clairement conformé aux exigences de l'alinéa c) puisqu'il a mis le fonctionnaire s'estimant lésé au courant des allégations qui pesaient contre lui et l'a informé qu'il pouvait faire l'objet de mesures disciplinaires. Le fonctionnaire s'estimant lésé ne m'a pas présenté d'élément de preuve selon lequel on l'avait empêché, de quelque manière que ce soit, de réfuter les allégations. Je conclus que l'employeur n'a pas contrevenu à sa politique et que l'allégation de mauvaise foi est dès lors sans fondement.

[24]    L'agent négociateur a également attiré l'attention sur la lettre de Mme Guscott datée du 19 mai 2000. Ce document est annexé aux observations écrites de l'agent négociateur à l'annexe J. Vu que l'employeur ne s'est pas opposé au dépôt de ce document, je l'ai accepté comme élément de preuve. L'agent négociateur soutient que l'utilisation du terme « nouvelles » constitue la preuve que l'employeur admet avoir pris des mesures contre le fonctionnaire s'estimant lésé. Je ne partage pas ce point de vue. Je suis convaincu que le terme peut tout aussi bien vouloir dire que l'employeur a décidé de ne pas prendre de mesure.

[25]    L'agent négociateur fait également valoir qu'il y a eu déni de justice naturelle pour deux motifs. Le premier, c'est qu'il s'est écoulé plusieurs mois entre le moment où l'employeur a pris des mesures contre le fonctionnaire s'estimant lésé et la lettre de Mme Guscott (appendice J). Les mesures auxquelles l'agent négociateur fait allusion se rapportent aux événements de mars 1999 (la décision de ne pas prolonger l'affectation intérimaire du fonctionnaire comme AAGR et l'expiration de la liste d'admissibilité). Cet argument pourrait être défendable si j'étais saisi d'un grief contestant une mesure disciplinaire. Autrement dit, cet argument présuppose que la question à trancher se rapporte à une mesure disciplinaire, alors que ce n'est pas le cas, ai-je conclu. Le deuxième motif tient au fait que le fonctionnaire a reçu copie du rapport d'enquête provisoire seulement après que l'employeur eut « pris des mesures contre lui ». J'arrive encore une fois à une conclusion analogue. Cet argument suppose que je suis saisi d'un grief contestant une mesure disciplinaire alors que c'est sur l'existence ou l'inexistence d'une mesure discipline que je dois me prononcer en l'espèce.

[26]    En ce qui concerne la réparation demandée sur le formulaire de grief, l'agent négociateur admet que la Commission n'est pas habilitée à accéder à une telle demande. Au lieu et place de la réintégration, il demande qu'une indemnité soit versée au fonctionnaire s'estimant lésé. L'article 8 de la LEFP précise que la Commission de la fonction publique a compétence exclusive pour nommer à des postes de la fonction publique des personnes en faisant partie ou non. Si je ne suis pas compétent pour ordonner la réintégration du fonctionnaire, je ne peux certainement pas lui accorder une indemnité à la place. Quoi qu'il en soit, il ne m'est pas nécessaire de trancher cette question étant donné qu'il n'y a aucune violation qui nécessite réparation.

[27]    En dernier lieu, je conclus que je ne suis pas en mesure d'accorder quelque réparation que ce soit au fonctionnaire s'estimant lésé puisqu'il a travaillé jusqu'à la fin de son affectation. En conformité avec la décision rendue par la Commission dans l'affaire Laird (dossier de la Commission 166-2-19981), je conclus que je n'ai pas la compétence voulue pour accorder une réparation après le 31 mars 1999, car cela reviendrait à faire une nomination.

[28]    Pour l'ensemble des motifs exposés précédemment, le grief est rejeté pour cause d'incompétence.

Yvon Tarte,
Président

OTTAWA, le 29 août 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.