Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Interprétation de la convention collective - Retenue sur salaire - Piquet de grève - Admissibilité de la contre-preuve - Paiement d'intérêts - les fonctionnaires s'estimant lésés ont été choisis à titre de représentants de plus de 600 fonctionnaires s'estimant lésés du Centre fiscal de Surrey et du Bureau des services fiscaux de Burnaby-Fraser (BSFBF) qui avaient déposé un grief à l'encontre de la décision de l'employeur de déduire de leur salaire le temps de travail perdu lors des événements survenus le 23 mars 1999 - les deux lieux de travail sont des b&acir;timents distincts situés côte à côte et communément appelés le << campus >> - le jour visé, les membres de la table 2 de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) étaient en grève et, comme il y avait seulement trois de ces membres qui travaillaient sur le campus, des membres d'autres ministères sont venus se joindre en renfort au piquet de grève - en prévision de la grève, l'employeur avait envoyé à tous les fonctionnaires une note de service les avisant qu'en cas de grève, ils devaient se présenter au travail, et expliquant en détails les procédures à suivre pour obtenir l'aide de l'employeur afin de franchir le piquet de grève, en cas de problèmes ou de harcèlement - le matin en question, le temps était frais et pluvieux et les piquets de grève bloquaient l'entrée du stationnement - au cours de la matinée, les piqueteurs sont devenus plus agités et une voiture conduite par un client a heurté un piqueteur, les médias sont arrivés sur les lieux et un gestionnaire exclu s'est fait pousser par terre par derrière pendant qu'il escortait des employés pour leur faire traverser la ligne de piquetage - c'est à ce moment que la décision a été prise de ne plus escorter les employés pour leur faire traverser le piquet de grève - les employés qui n'ont pas franchi la ligne ou qui ne se sont pas présentés au travail n'ont pas été rémunérés pour cette journée, à l'exception des employés du BSFBF qui ont été rémunérés jusqu'à 9 h étant donné que la direction leur avait dit d'aller prendre un café et de revenir pour cette heure - le syndicat a présenté une contre-preuve dont l'employeur a contesté l'admissibilité le jour suivant - l'arbitre a tranché en faveur de l'employeur en déclarant que la contre-preuve était incompatible avec la règle établie dans Brown c. Dunn et ne répondait pas à un fait nouveau soulevé par l'employeur - les fonctionnaires s'estimant lésés ont fait valoir qu'ils craignaient pour leur sécurité - les fonctionnaires s'estimant lésés ont aussi contesté le fait que les employés du CSF étaient traités différemment de ceux du BSFBF - ils ont soutenu qu'ils devraient être rémunérés pour toute la journée ou, à tout le moins, jusqu'au moment où ils avaient pris la décision de quitter les lieux - l'employeur a fait valoir que les employés avaient été informés de leurs obligations et savaient qu'ils devaient se présenter au travail, ce que le message de la direction avait énoncé clairement - selon l'employeur, les fonctionnaires s'estimant lésés ont décidé de leur propre chef de ne pas franchir le piquet de grève puisqu'ils avaient bien des possibilités de traverser en étant escortés, que la ligne de piquetage n'était pas violente et que les injures ne constituaient pas une menace réelle de violence - l'employeur a fait valoir que les employés n'avaient pas fait les efforts raisonnables pour franchir la ligne de piquetage et que la direction s'était acquittée de son obligation de fournir des instructions claires et de protéger les employés pour leur permettre de traverser en sécurité - l'employeur a aussi prétendu que la différence de traitement entre les employés du BSFBF et du CSF était justifiée car dans les deux cas, les intéressés avaient été payés quand ils s'étaient conformés aux instructions de la direction - l'arbitre a déclaré que, dans le cas de piquets de grève, l'employeur et les employés avaient des obligations - selon l'arbitre, l'employeur devait faire tous les efforts raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de ses employés - l'arbitre a statué que l'employeur s'est acquitté de cette obligation, en l'occurrence, en établissant des procédures à suivre en cas de différends et en le faisant en prévision de la grève, en désignant des points de ralliement où les employés pourraient recevoir des instructions et en garantissant la protection de ceux qui franchissaient la ligne de piquetage - l'arbitre a mentionné, toutefois, que, même si les employés étaient escortés pendant la plus grande partie de la matinée, les escortes ont cessé en fin de matinée en raison de préoccupations au sujet de la sécurité des employés - selon l'arbitre, en cas de piquet de grève, les employés doivent attendre les instructions de la direction et démontrer qu'ils ont des raisons de craindre pour leur santé et leur sécurité s'ils franchissent la ligne de piquetage - l'arbitre a conclu que si la direction estimait qu'une escorte s'imposait et qu'elle a cessé d'escorter les employés, elle n'aurait pas dû s'attendre à ce que les employés franchissent la ligne de piquetage - l'arbitre a statué que, selon l'endroit du lieu de travail, la situation le jour en question avait été soit explosive, soit confuse - il a conclu que les employés devraient toucher une rémunération jusqu'au moment où ils ont quitté pour la journée - l'arbitre a refusé d'adjuger des intérêts car la jurisprudence énonce clairement que, si la Loi ne lui donne pas le pouvoir, la Commission n'a pas compétence pour ordonner le paiement d'intérêts. Griefs accueillis en partie. Décisions citées :Avey (166-18-27611); Brown c. Dunn [1894] 6 R. 67; Bailey et autres (166-34-30039 à 30043); Morneau (166-2-10080,10103, 10104, 10122 et 10127); Eaton c. la Reine [1972] C.F. 185; Dahl (166-25535).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-10-07
  • Dossiers:  166-34-30115 à 30118
  • Référence:  2003 CRTFP 89

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

BARBARA GUEST, JASBIR HERAN,
ROSE CHAND ET PHIL BIRNIE

fonctionnaires s'estimant lésés

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA
employeur

Devant :   Ian Mackenzie, commissaire

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés :   Debra Seaboyer, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur :   Neil McGraw, avocat


Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),
du 18 au 20 juin 2003.


[1]   Ces quatre griefs découlent d'une décision de l'employeur, Revenu Canada (ancien nom) de ne pas payer les membres du groupe Services des programmes et de l'administration qui n'avaient pas franchi les piquets de grève devant le Centre fiscal de Surrey (CFS) et le Bureau des services fiscaux de Burnaby-Fraser (BSFBF) le 23 mars 1999.

[2]   Les quatre griefs ont été renvoyés à l'arbitrage le 18 septembre 2000. Quelques jours auparavant, le 13 septembre 2000, les parties s'étaient entendues pour ne pas demander que les griefs soient entendus avant que les griefs analogues présentés par les fonctionnaires du Bureau de Jonquière de Revenu Canada n'aient été tranchés. L'agent négociateur a informé la Commission, le 13 novembre 2002, que les griefs étaient prêts pour être entendus à l'arbitrage.

[3]   À l'audience, les parties ont déposé un « Exposé commun des faits » (pièce A-1) ainsi qu'un recueil commun de pièces (A-2 à A-11). Elles m'ont informé qu'elles s'étaient entendues pour que la décision relative aux deux griefs des fonctionnaires du BSFBF s'applique à tous les griefs en instance concernant ce bureau (75 fonctionnaires avaient présenté des griefs). De même, la décision sur les deux griefs des fonctionnaires du CFS va s'appliquer à tous les griefs en instance des fonctionnaires de ce centre (558 fonctionnaires avaient présenté un grief). Elles m'ont aussi déclaré que les quatre griefs renvoyés à l'arbitrage avaient été choisis au hasard à cette fin.

[4]   Un des fonctionnaires s'estimant lésés, Phil Birnie, n'était pas présent pour témoigner, mais Barbara Guest, Rose Chand et Jasbir Heran l'étaient. Sept autres personnes ont témoigné pour les fonctionnaires s'estimant lésés. L'avocat de l'employeur a fait comparaìtre six témoins. La représentante des fonctionnaires s'estimant lésés a fait comparaìtre un témoin en réplique. Après avoir entendu ce témoin, l'avocat de l'employeur a contesté l'admissibilité de sa preuve et j'ai réservé ma décision sur son objection.

[5]   J'ai accordé l'ordonnance d'exclusion des témoins qui m'a été demandée.

PREUVE

Contexte

[6]   Le Bureau des services fiscaux de Burnaby-Fraser (BSFBF) et le Centre fiscal de Surrey (CFS) sont des bâtiments distincts situés côte à côte (pièce A-11). Chaque bâtiment comporte des entrées séparées, mais les fonctionnaires affectés au BSFBF passent souvent par l'entrée du CFS. Les deux services sont communément appelés le « campus ».

[7]   Le 16 décembre 1998, la Table 2 de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), celle des services de l'exploitation, était en grève. Dans la région du Pacifique, il y avait environ 39 fonctionnaires de Revenu Canada à cette table (Exposé commun des faits, pièce A-1). Au campus, il y en avait 3, semble-t-il.

[8]   En prévision de la grève dans la région du Pacifique, la direction avait envoyé à tous les fonctionnaires du BSFBF une note de service datée du 14 décembre 1998 (pièce A-4) qui a été communiquée à ceux du CSF le lendemain, le 15 décembre 1998 (pièce A-3), puis redistribuée à tous les fonctionnaires du CSF le 22 janvier 1999, ainsi qu'à ceux du BSFBF, le 29 janvier 1999. Les lignes directrices de l'employeur à l'intention des fonctionnaires qui se retrouvaient devant un piquet de grève étaient les mêmes dans les deux notes de service de décembre :

[Traduction]

[...]

  1. Tous les employés qui ne sont pas en grève légale sont tenus de se présenter au travail comme prévu, c'est-à-dire d'être présents à leur lieu de travail à l'heure prévue, sauf s'il leur est expressément permis de ne pas l'être ou s'ils ont eu l'ordre de se présenter à un autre endroit et à une autre heure.

  2. Les piquets de grève sont formés par les employés en grève pour des fins de communication; il ne leur est pas permis d'empêcher un employé de se présenter au travail.

  3. Les employés exposés à des actions ou à du harcèlement des piquets de grève assez graves pour leur inspirer des craintes quant à leur sécurité personnelle lorsqu'ils entrent à l'endroit où ils sont censés travailler ou lorsqu'ils en sortent sont tenus de communiquer avec un représentant de l'équipe de contrôle de la direction qui est de service sur place pour le suivi des activités de piquetage. Cette personne prendra alors des dispositions pour que la direction les fasse escorter de façon à leur faire franchir le piquet de grève ou les réaffecte à d'autres lieux de travail.

  4. Aux endroits où il n'y a pas d'équipe de contrôle de la direction, les employés sont tenus de téléphoner à leur gestionnaire de l'endroit le plus proche. On prendra des arrangements pour savoir ce qui se passe sur le piquet de grève afin de déterminer si une escorte ou une réaffectation s'impose.

  5. Les employés tenus de se présenter au travail ou qui décident de le faire et se conforment à ces instructions ne subiront aucune perte de traitement en raison du temps perdu à cause des actions des piquets de grève.

  6. Les employés qui ne se conformeront pas aux instructions qui précèdent et qui ne se présenteront pas au travail aux endroits où il y aura des piquets de grève seront considérés comme absents sans autorisation; ils ne seront pas payés et seront passibles de sanctions disciplinaires.

[...]

[9]   Cette note de service a été redistribuée aux fonctionnaires du CFS en janvier, avec un ajout leur recommandant de se présenter à l'entrée ouest du stationnement souterrain et d'y attendre d'autres instructions si un piquet de grève tentait de les empêcher d'entrer ou les harcelait (pièce A-4).

[10]   Avant la grève, le ministère a demandé à des représentants du ministère de la Justice d'offrir à ses gestionnaires une formation en matière d'injonctions; il a aussi fait venir un représentant de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour expliquer aux gestionnaires exclus comment se comporter face aux piquets de grève.

[11]   Il y avait des piquets de grève devant les deux bâtiments les 15 et 16 février ainsi que le 1er mars 1999. Après être arrivés pour se présenter au travail le matin, les fonctionnaires des deux services se sont fait dire de revenir vers 10 h ou 11 h. Chaque fois, on les a renvoyés chez eux sans perte de traitement, parce que les piqueteurs bloquaient les entrées des lieux de travail (Exposé commun des faits, pièce A-1).

[12]   Le 3 mars 1999, l'employeur a présenté à la Cour suprême de la Colombie-Britannique une demande d'injection interlocutoire interdisant aux piqueteurs de [traduction] « gêner, obstruer le passage ou faire obstacle d'une façon quelconque à toute personne cherchant à entrer [dans les locaux du ministère] ou à [en] sortir » (Exposé commun des faits, pièce A-1). Le 5 mars, l'AFPC s'est engagée devant la Cour à ne pas bloquer physiquement le passage ni à nuire à l'accès aux locaux du ministère (pièce A-6). Le gestionnaire des Ressources humaines Jan Malinske a envoyé le 5 mars un courriel précisant cet engagement et stipulant qu'on n'empêcherait ni ne gênerait l'accès aux bâtiments pour le personnel ou les clients (pièce E-7). Le même jour, Rita Barill, directrice par intérim du CSF, a envoyé un courriel à tous ses employés pour les informer de cet engagement, en décrivant son effet de la façon suivante :

[Traduction]

Cela signifie que, si la grève continue, l'AFPC peut former des piquets pour information, mais ne peut pas vous empêcher d'entrer au lieu de travail. (pièce A-7)

[13]   Dans son courriel, Mme Barill demandait aussi aux gestionnaires de communiquer ces renseignements aux fonctionnaires qui n'avaient pas accès au courrier électronique.

[14]   Dans la semaine qui a précédé le 23 mars 1999, les médias ont déclaré qu'on préparait une loi de retour au travail pour la semaine suivante. Un courriel de la représentante du ministère auprès des médias, Paula Shore (pièce G-2), résumait la situation. Mme Shore précisait aussi dans son courriel que l'AFPC semblait intensifier ses protestations en prévision du projet de loi imminent. Kay Sinclair, représentante syndicale locale au CFS qui était aussi responsable de la liaison dans le contexte de la grève, a témoigné que le courriel avait été largement distribué au lieu de travail.

Événements du 23 mars 1999

[15]   Vers 6 h, les piqueteurs bloquaient les entrées du terrain de stationnement adjacent au CFS. Ce stationnement peut accueillir environ 1 000 véhicules; les fonctionnaires du CFS et du BSFBF s'en servent. Les piqueteurs ne laissaient passer que les gestionnaires pour qu'ils puissent garer leur véhicule dans le stationnement. Les fonctionnaires devaient se garer dans les rues des alentours. La majorité des piqueteurs n'étaient pas des employés de Revenu Canada. Plusieurs des témoins des fonctionnaires s'estimant lésés ont déclaré qu'ils venaient soit des élévateurs à grain, soit de Service correctionnel Canada.

[16]   Certains témoins des fonctionnaires s'estimant lésés ont déclaré que le temps était frais et pluvieux, et que ce n'était pas une journée où l'on pouvait rester là et attendre en tout confort. Shirley McPhee, agente principale des relations de travail du BSFBF et du CFS à l'époque, a déclaré qu'il faisait frais, mais pas au point qu'il fallait porter une veste.

Centre fiscal de Surrey (CFS)

[17]   Au début, les piqueteurs étaient très dispersés sur le périmètre du terrain. Entre 7 h 15 et 7 h 30, ils se sont précipités vers l'entrée du CFS et sont restés là. Les estimations du nombre de piqueteurs variaient de 12 à 50. Dans l'affidavit qu'elle a préparé le 24 mars 1999 pour faire respecter l'engagement du syndicat, Mme Barill estimait qu'il y en avait 50 (pièce G-4).

[18]   Mme Barill et Mme McPhee ont parlé au chef du piquet de grève vers 7 h 10 pour lui dire qu'il contrevenait à l'engagement syndical (Affidavit, pièce G-4). Elles se sont fait répondre que le piquet de grève était légal et qu'il n'y avait pas d'entente. Mme McPhee a témoigné qu'elle n'avait pas pu obtenir du chef du piquet de grève un engagement ferme qu'il laisserait les employés passer ou non. Johann Ackermann, président local du Syndicat des employé(e)s de l'impôt (SEI), a témoigné que Mme Barill lui avait dit que le piquet de grève était illégal; il lui avait demandé de lui montrer l'engagement du syndicat, et elle le lui a montré. Philip Grosvenor, fonctionnaire du CFS, a témoigné que M. Ackermann avait déclaré catégoriquement, au nom de l'agent négociateur, qu'il n'y avait pas d'injonction, alors que les représentants de la direction affirmaient tout aussi catégoriquement qu'il y en avait une.

[19]   Vers 7 h 15, les gestionnaires ont commencé à dire aux fonctionnaires qu'ils devaient se présenter au travail. Mme Barill a déclaré dans son affidavit que certains fonctionnaires étaient entrés au centre, mais que la plupart n'avaient fait aucun effort pour y entrer. Elle a aussi déclaré que M. Ackermann de même que les piqueteurs disaient aux fonctionnaires de respecter le piquet de grève et de ne pas écouter la direction. Mme McPhee a aussi témoigné que M. Ackermann avait dit aux fonctionnaires de ne pas écouter la direction. M. Ackermann a témoigné, quant à lui, qu'il avait dit aux fonctionnaires que c'était à eux de décider s'ils pouvaient franchir le piquet de grève sans danger, mais qu'il ne leur avait jamais dit de ne pas écouter la direction.

[20]   Les gestionnaires exclus sont allés voir les fonctionnaires pour leur dire qu'ils étaient tenus de franchir le piquet de grève. Mme McPhee a témoigné qu'elle allait avec d'autres [traduction] « parler au milieu de la foule », puis se rendait un peu plus loin et recommençait. Elle a déclaré que les gestionnaires exclus avaient commencé à escorter les fonctionnaires pour leur faire franchir le piquet de grève à 7 h 30. Dans son affidavit (pièce G-4), Mme Barill précise que les fonctionnaires s'étaient fait redire à 9 h qu'ils devraient se présenter au travail.

[21]   Trois ou quatre gestionnaires exclus servaient d'escorte. Plusieurs fonctionnaires qui avaient franchi le piquet de grève avec une escorte de membres de la direction à ce moment-là se sont fait insulter, crier après et traiter de « jaunes ». Les piqueteurs ne les ont pas empêchés d'entrer au milieu de travail. Mme McPhee a témoigné qu'il était difficile d'amener les fonctionnaires à se présenter pour être escortés, parce qu'ils s'éloignaient. Elle a aussi déclaré qu'il n'avait pas fallu plus de 20 minutes pour escorter les fonctionnaires et leur faire franchir la ligne de piquetage. M. Grosvenor a témoigné que les autres fonctionnaires et lui-même se sentaient [traduction] « généralement nerveux » à l'idée de franchir le piquet de grève. Les fonctionnaires avaient entendu parler d'incidents sur la ligne de piquetage au BSFBF, et notamment d'une rumeur que quelqu'un s'était fait casser la mâchoire.

[22]   M. Ackermann a témoigné que les gestionnaires avaient averti les fonctionnaires qu'ils s'exposeraient à des sanctions disciplinaires et même à être congédiés s'ils ne traversaient pas la ligne de piquetage. Les fonctionnaires s'étaient aussi fait dire que, s'ils ne franchissaient pas le piquet de grève, ils ne seraient pas payés. M. Ackermann a témoigné qu'il n'avait aucune intention de franchir la ligne de piquetage, en raison de son poste au syndicat. En contre-interrogatoire, Mme Sinclair a déclaré qu'elle appuyait les piqueteurs et qu'elle n'avait pas non plus l'intention de traverser la ligne de piquetage.

[23]   Barbara Guest, une des fonctionnaires s'estimant lésés, a témoigné que, durant la période pertinente, elle travaillait de 9 h à 14 h 30. Elle était restée avec sa bicyclette dans les derniers rangs de l'attroupement et elle a qualifié la scène de chaotique. Elle n'a pas entendu d'instructions et ne s'est pas fait offrir d'escorte. Elle est partie vers 11 h 30 après avoir entendu une rumeur que les fonctionnaires s'étaient fait dire de rentrer chez eux.

[24]   Jasbir Heran, une autre des fonctionnaires s'estimant lésés, a témoigné être arrivée au travail juste avant 7 h. Elle a déclaré que les fonctionnaires s'étaient fait dire de se rendre dans le stationnement souterrain pour qu'on prenne les présences. Elle est partie vers 13 h 30 parce qu'il n'y avait pas de gestionnaires présents pour donner des instructions.

[25]   Dans son affidavit (pièce G-4), Mme Barill a décrit un incident où les piqueteurs avaient interdit l'accès au bâtiment du CFS, en faisant aussi état de ses craintes quant à un incident au BSFBF et en expliquant la décision de la direction de cesser d'escorter les fonctionnaires pour franchir la ligne de piquetage qui avait suivi :

[Traduction]

[...]

  1. Frank Benoit, gestionnaire exclu, m'a informée que, vers 12 h 30, il a tenté d'escorter cinq employés pour leur faire franchir le piquet de grève. Je suis convaincue qu'il a dit vrai. Les quatre premiers de ces employés ont réussi à entrer dans l'immeuble, mais les piqueteurs ont alors serré les rangs pour empêcher la dernière personne du groupe d'entrer. Celle-ci avait très peur, et M. Benoit a décidé de ne pas tenter de forcer le passage.

  2. Shirley McPhee m'a informée, et je la crois, que les piqueteurs se sont massés devant l'entrée à ce moment-là en disant que personne d'autre n'entrerait.

[...]

  1. Vers 13 h, j'ai dit aux gestionnaires exclus de cesser de tenter d'escorter les employés qui voulaient entrer dans l'immeuble. Shirley McPhee m'a informée que les piqueteurs du Bureau des services fiscaux de Burnaby-Fraser, situé en face du Centre fiscal de Surrey, avaient serré les rangs et qu'une bousculade avait éclaté entre des membres du public et les piqueteurs. Je ne voulais pas compromettre la sécurité du personnel dans nos tentatives d'avoir accès à l'immeuble.

[26]   C'est entre 11 h et midi que les représentants de la direction sont partis de l'extérieur du bâtiment pour y entrer. M. Ackermann a témoigné que beaucoup de fonctionnaires étaient déjà partis à 11 h. Mme McPhee a déclaré que la plupart des employés étaient partis entre 10 h et 10 h 30.

[27]   Dans son témoignage, M. Ackermann a affirmé que lorsqu'il est parti, vers 12 h 30, la plupart des fonctionnaires n'étaient déjà plus là. Les piqueteurs lui avaient dit qu'ils resteraient sur place jusque dans la soirée. Mme McPhee a témoigné quant à elle qu'il n'y avait plus qu'une poignée d'employés à l'extérieur quand les piqueteurs sont partis à 13 h 30. (Dans l'Exposé commun des faits, les parties ont déclaré que les piqueteurs avaient quitté les lieux vers 13 h 30.)

Bureau des services fiscaux de Burnaby-Fraser (BSFBF)

[28]   Vers 7 h, les piqueteurs se tenaient sur le trottoir devant l'immeuble de même qu'à l'entrée principale. Les fonctionnaires s'étaient largement groupés à l'extrémité sud du terrain de stationnement.

[29]   Les fonctionnaires se sont fait dire par des gestionnaires exclus d'aller prendre un café et de revenir à 9 h pour qu'on leur donne d'autres instructions. Les estimations du nombre de piqueteurs que les témoins ont données variaient de 6 à 100.

[30]   Quand les fonctionnaires sont revenus, à 9 h, les gestionnaires ont commencé à passer dans la foule pour organiser les escortes. Linda White, fonctionnaire du BSFBF qui était vice-présidente de la section locale de l'AFPC en 1999, a témoigné que les gestionnaires choisissaient les gens qu'ils voulaient escorter. Ils ne l'ont pas choisie et elle a attendu son tour. Penny Harris, une autre fonctionnaire du BSFBF, a témoigné que Dennis Saretsky, gestionnaire, s'était approché du groupe de collègues avec lesquels elle se tenait en leur demandant : [traduction] « Je ne pense pas que voulez vraiment être escortés? » Les fonctionnaires de son groupe ont répondu que non; M. Saretsky a répliqué qu'il ne pensait pas qu'ils voudraient l'être, et il a ri. Wolf Stockhecke, gestionnaire du BSFBF, a témoigné qu'il avait escorté environ cinq personnes à la fois pour leur faire franchir le piquet de grève, et qu'il l'avait fait pour sept à dix groupes d'employés. Kasandra Sproson, une autre gestionnaire du BSFBF, a témoigné que certains employés [traduction] « n'avaient pas accepté d'être escortés ». William Douglas Mills, lui aussi gestionnaire au BSFBF, passait dans la foule pour grouper les fonctionnaires à escorter. Il a témoigné qu'il n'était pas difficile de trouver des employés disposés à franchir le piquet de grève au début, mais que, plus l'heure avançait, plus les employés étaient réticents.

[31]   Mme White a témoigné que des collègues lui avaient dit que les gestionnaires les avertissaient qu'ils subiraient des mesures disciplinaires s'ils ne franchissaient pas le piquet de grève. Mme White, et Linda Light, une autre fonctionnaire du BSFBF, ont aussi témoigné que Lucie Binet, directrice par intérim du BSFBF, disait aux fonctionnaires que le piquet de grève était illégal et que tout le monde devait le franchir parce qu'il était illégal. Mme Binet et Moe Ritchie, coordonnateur de la grève de l'AFPC, ont fini par s'affronter seul à seul en criant; M. Ritchie affirmait qu'il n'y avait pas d'injonction. M. Mills a témoigné que les piqueteurs avaient tenté de convaincre les fonctionnaires de ne pas traverser la ligne de piquetage, en leur disant qu'ils seraient payés ce jour-là tout comme ils l'avaient été les autres jours. Mme Light a témoigné qu'il y avait beaucoup de confusion chez les employés présents quant à ce qu'il fallait faire; certains disaient qu'ils devraient franchir le piquet de grève, tandis que d'autres disaient qu'ils ne devraient pas le faire.

[32]   Un agent de la GRC était passé tôt le matin demander à plusieurs fonctionnaires, dont Mme White, ce qui se passait. Mme White a témoigné que la situation autour du piquet de grève ne s'était pas envenimée à ce moment-là, de sorte qu'elle n'aurait pas pu exprimer des craintes pour la sécurité des intéressés. Sur ce, le gendarme est parti.

[33]   Vers 9 h 30, le président local de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) et un autre membre de la direction de l'IPFPC ont été escortés pour traverser la ligne de piquetage. À ce moment-là, le piquet de grève est devenu beaucoup plus bruyant. D'après Lorna Gray, gestionnaire du BSFBF, les piqueteurs ont serré les rangs, mais les employés pouvaient encore passer.

[34]   Stewart Campbell a témoigné que, vers 10 h 30, Mme Sproson, sa gestionnaire, a commencé à [traduction] « forcer » les gens à se faire escorter pour traverser la ligne de piquetage. Il a témoigné qu'elle avait menacé un groupe de fonctionnaires en leur disant qu'il y aurait des [traduction] « conséquences s'ils ne franchissaient pas le piquet de grève ». Mme Sproson a témoigné qu'elle avait dit que les employés seraient [traduction] « foutus » s'ils ne traversaient pas la ligne de piquetage, mais qu'elle s'était vite rétractée, en leur disant que ça sonnait pire qu'elle ne l'aurait voulu. M. Campbell a témoigné qu'il avait demandé à Mme Sproson si elle pouvait garantir sa sécurité, et elle avait répondu que oui. Il lui a demandé comment elle pouvait garantir sa sécurité, compte tenu de la taille des piqueteurs, et il lui a dit qu'il ne traverserait pas la ligne de piquetage avec elle. Il a déclaré qu'elle lui avait alors dit que, s'il n'était pas disposé à la traverser, il ferait aussi bien de rentrer chez lui. Mme Sproson a nié avoir dit à M. Campbell qu'il pouvait rentrer chez lui. Elle a déclaré qu'elle ne craignait pas pour sa propre sécurité et qu'elle avait tenté d'assurer les employés qu'il n'était pas dangereux de traverser la ligne de piquetage. Elle a aussi affirmé qu'elle leur avait offert la possibilité d'être escortés par un gestionnaire du sexe masculin.

[35]   Le piquet de grève est devenu plus agité à mesure que l'heure avançait. Mme White a témoigné que les piqueteurs criaient et injuriaient les gens. Même s'il n'y avait pas de bousculade, les gens se touchaient. Elle a aussi entendu un piqueteur dire [traduction] « ça pourrait saigner ».

[36]   Vers 11 h ou 11 h 30, une voiture conduite par un client de Revenu Canada a heurté un piqueteur (le piqueteur n'avait pas vu la voiture; après avoir été heurté, il boitait). Mme Harris a témoigné que cet incident avait attisé la colère des piqueteurs, qui parlaient d'appeler la police. Mme McPhee a témoigné quant à elle qu'un contribuable qui avait tenté de traverser la ligne de piquetage avait appelé la police. Les journalistes sont arrivés vers 11 h 30, avec des caméras de télévision.

[37]   Rose Chand, qui travaille au BSFBF et qui est l'une des fonctionnaires s'estimant lésés, a témoigné que ce qui se passait sur la ligne de piquetage l'avait effrayée, en disant que la situation était très tendue. En contre-interrogatoire, elle a déclaré avoir eu l'impression qu'il serait dangereux de tenter de passer. Elle avait vu les piqueteurs bousculer des gens. Dans la grève de la fonction publique qui avait eu lieu en 1980, elle avait eu une épaule disloquée par suite de la violence qui régnait sur la ligne de piquetage, de sorte qu'elle avait peur de la traverser cette fois-là.

[38]   Vers 11 h 30, M. Stockhecke s'est fait pousser par terre par derrière pendant qu'il escortait des employés pour leur faire traverser la ligne de piquetage. Il a témoigné ne pas s'être fait mal, mais qu'il avait été surpris. Plusieurs personnes avaient été témoins de sa chute, et la foule l'avait appris en un éclair. M. Stockhecke s'est relevé, a traversé la ligne de piquetage et est entré dans l'immeuble. Mme White a témoigné qu'on avait vu des gestionnaires discuter de la situation dans l'immeuble. M. Stockhecke a qualifié l'incident d'isolé, mais il a aussi témoigné que c'était [traduction] « une indication évidente du risque de violence ». Mme Barill a témoigné que, au cours de la rencontre des gestionnaires, il avait été décidé de ne plus tenter de faire traverser la ligne de piquetage par les employés.

[39]   Vers midi, les gestionnaires ont annoncé aux employés qui se trouvaient devant le bâtiment qu'on ne leur fournirait plus d'escorte. Après cette annonce, les fonctionnaires ont commencé à se disperser vers 13 h. Mme Light a témoigné qu'il restait à cette heure-là une centaine d'employés à l'extérieur du bâtiment. Mme White a témoigné qu'il n'y avait plus vraiment de raison de se tenir là après que la direction eut annoncé qu'on n'escorterait plus les employés pour leur faire traverser la ligne de piquetage. Mme White et Mme Harris ont déclaré que les instructions que l'employeur leur avait données auparavant revenaient à dire que, une fois les employés renvoyés chez eux, on les rappellerait pour se présenter au travail si les piqueteurs partaient. Les employés ont donc quitté les lieux en se disant qu'on les rappellerait si les piqueteurs s'en allaient.

[40]   Mme Chand est partie du campus peu avant midi. Elle a témoigné avoir téléphoné après son départ à son gestionnaire, Len Lindbergh, ainsi qu'au reste de ses collègues, pour savoir si le piquet de grève s'était dissous, sans arriver à joindre quelqu'un. Mme Harris, elle, a témoigné qu'elle n'avait pas de numéros de téléphone.

[41]   Dans l'Exposé commun des faits, les parties ont reconnu que les piqueteurs avaient quitté le campus vers 13 h 30.

Événements ultérieurs au 23 mars 1999

[42]   Mme McPhee a témoigné que, lorsque les employés ne traversaient pas la ligne de piquetage, le ministère perdait environ 1 million de dollars par jour en intérêts non perçus. Dans un affidavit préparé le 2 mars 1999 (pièce G-3), Mme Barill a déclaré que les remises en espèces au CFS totalisent normalement de 4 à 7 millions de dollars par jour et qu'on y traite quotidiennement en moyenne 5 000 déclarations de revenu personnel et 800 déclarations de revenu d'entreprise.

[43]   Avant le 6 avril, la direction du ministère a envoyé deux notes de service (pièce A-8) aux gestionnaires pour s'assurer que leur approche serait uniforme dans toute la Région du Pacifique à l'égard des événements du 23 mars 1999. Le 6 avril, Mme McPhee les a informés d'une approche révisée sur laquelle la direction locale s'était entendue (pièce A-9). Tous les employés qui s'étaient présentés au travail pendant la journée, à un moment quelconque, devaient être payés pour toute la journée. Cela s'appliquait aux employés qui auraient pu entrer dans l'immeuble après le départ des piqueteurs (à 13 h 30 au plus tard). Les employés qui n'avaient pas traversé la ligne de piquetage ou qui ne s'étaient pas présentés au travail ce jour-là devaient se faire retirer le traitement d'une journée entière. Les employés du BSFBF qui n'avaient pas traversé la ligne de piquetage devaient être payés jusqu'à 9 h, mais pas pour le reste de la journée de travail. La raison donnée pour justifier le paiement des heures de travail jusqu'à 9 h était que les employés du BSFBF s'étaient fait dire par la direction de revenir à 9 h.

[44]   Mme McPhee a envoyé à tous les gestionnaires une note de service contenant un modèle des lettres à envoyer à tous les employés qui ne seraient pas payés pour la journée du 23 mars 1999 (pièce A-10) :

[Traduction]

La direction reconnaìt que, depuis plusieurs mois, nous avons vécu une période difficile de perturbations du travail. En raison des circonstances atténuantes constatées le 23 mars 1999, elle ne prendra aucune mesure disciplinaire à l'endroit des employés qui ne se sont pas présentés au travail ce jour-là. Toutefois, le principe voulant que qui ne travaille pas n'est pas payé continue de s'appliquer pour ce jour-là.

Cette décision est prise sans préjudice pour la position que l'employeur pourra prendre dans des circonstances analogues à l'avenir.

[45]   Mme Barill a témoigné avoir parlé avec le commissaire adjoint de l'occasion d'imposer des sanctions disciplinaires à ceux qui n'avaient pas franchi le piquet de grève, mais qu'il avait été décidé, en fin de compte, de ne pas prendre de telles mesures. Elle a déclaré que cela avait été [traduction] « une expérience traumatisante pour tout le monde », et que le ministère voulait fermer le dossier.

Admissibilité de la contre-preuve

[46]   L'avocat de l'employeur s'est opposé à la preuve introduite en réplique par la représentante des fonctionnaires s'estimant lésés. La fonctionnaire qui a témoigné en réplique l'a fait à la fin de la deuxième journée de l'audience, et l'avocat de l'employeur a présenté son objection au début de l'audience le lendemain matin. J'ai pris l'objection en délibéré en disant que je me prononcerais sur l'admissibilité de la preuve dans ma décision.

[47]   Cette contre-preuve (ou preuve en réplique) a été produite par Earla MacLean, une fonctionnaire du BSFBF qui a parlé d'une conversation qu'elle avait eue avec Mme Sproson. L'avocat de l'employeur a déclaré que ce témoignage n'était pas une utilisation acceptable comme contre-preuve et qu'elle était incompatible avec la règle établie dans Brown c. Dunn, [1894] 6 R. 67. Il a déclaré que le témoignage ne répondait pas à un fait nouveau soulevé par l'employeur, mais ne faisait que répéter un point déjà avancé par l'agent négociateur. Cette preuve était conçue pour saper la crédibilité de Mme Sproson, et les allégations de Mme MacLean n'avaient pas été présentées à Mme Sproson en contre-interrogatoire. M. McGraw m'a aussi renvoyé à Avey (dossier de la Commission 166-18-27611) ainsi qu'à l'ouvrage de Sopinka et Lederman, Law of Evidence, Butterworths, 1re édition.

[48]   La représentante des fonctionnaires s'estimant lésés a maintenu pour sa part que l'avocat de l'employeur aurait dû présenter son objection au moment où la preuve avait été produite, ou peu de temps après. Mme Sproson avait bel et bien introduit un élément nouveau dans son témoignage, en disant qu'elle avait offert aux employés le choix de se faire escorter par un gestionnaire de sexe masculin pour traverser la ligne de piquetage. Le témoignage de Mme MacLean contredisait cette affirmation. En outre, en contre-interrogatoire, Mme Sproson s'était fait demander si des employés lui avaient dit qu'ils craignaient pour leur sécurité, et elle avait répondu que personne ne lui avait dit cela. Le témoignage de Mme MacLean contredisait également cette affirmation. La représentante des fonctionnaires s'estimant lésés a déclaré en outre qu'elle n'avait été informée de la preuve de Mme MacLean que le lendemain matin, quand un autre témoin, Mme Sinclair, lui avait dit comment l'affaire se déroulait.

[49]   L'avocat de l'employeur a déclaré que Mme MacLean attendait à l'extérieur de la salle d'audience pendant que Mme Sproson témoignait, de sorte que la représentante des fonctionnaires s'estimant lésés aurait pu demander à Mme Sproson ce qu'elle pensait de ses allégations. Qui plus est, il n'est pas acceptable d'appeler un témoin une fois que les fonctionnaires s'estimant lésés ont fini de présenter leur plaidoirie.

[50]   J'ai décidé que la preuve de Mme MacLean ne devrait pas être admise, parce qu'elle ne constitue pas une contre-preuve acceptable. On ne peut avoir recours à une contre-preuve (ou à une preuve en réplique) que dans des circonstances très limitées. En l'espèce, on ne peut pas dire que cette preuve s'imposait pour contredire un élément de preuve présenté par l'employeur qui avait pris la représentante des fonctionnaires s'estimant lésés par surprise. Mme Seaboyer aurait dû s'attendre que l'employeur nie que les fonctionnaires aient dit craindre pour leur sécurité. À mon avis, il est troublant aussi que cette preuve ait été connue après une discussion de la preuve présentée à l'audience avec Mme MacLean, ce qui contrevient de toute évidence à l'ordonnance d'exclusion des témoins.

[51]   La règle énoncée dans Brown et Dunn (supra), se ramène à une simple question d'équité, de sorte qu'elle ne devrait pas être appliquée servilement. Fondamentalement, elle signifie que, lorsqu'on allègue que quelqu'un a dit ou fait quelque chose, il n'est que juste de lui demander directement si c'est vrai. Une application par trop technique n'est pas justifiée dans le contexte d'une audience d'arbitrage de griefs. Néanmoins, les allégations qui concernent directement le fond des questions en litige ou contestent directement la crédibilité d'un témoin devraient lui être présentées en contre-interrogatoire. Dans cette affaire, le témoignage de Mme MacLean porte sur le fond d'une des questions en litige, à savoir si les fonctionnaires avaient exprimé des craintes pour leur sécurité, et il conteste aussi la crédibilité de Mme Sproson, en contredisant directement ce qu'elle avait déclaré au sujet des escortes offertes aux fonctionnaires. Je n'aurais pas admis le témoignage de Mme MacLean pour cette raison non plus.

ARGUMENTS

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés

[52]   En l'espèce, il s'agit de savoir si les fonctionnaires s'estimant lésés auraient dû être payés quand ils n'ont pas pu entrer dans l'immeuble où ils travaillaient, et à cela se greffe une question connexe, celle de savoir s'ils craignaient pour leur sécurité ou non. Il faut aussi tenir compte de la différence entre le traitement des fonctionnaires du CFS et celui de leurs collègues du BSFBF.

[53]   Selon la convention collective qui était en vigueur durant la période pertinente (convention conclue entre le Conseil du Trésor et l'AFPC expirant le 20 juin 1999) et plus particulièrement sa clause 64.02, les employés ont le droit d'être rémunérés pour la prestation de leurs services. Cela dit, ils peuvent aussi être payés pour du temps qu'ils ne consacrent pas à cette prestation.

[54]   Il n'est pas contesté que les fonctionnaires de l'unité de négociation de la Table 2 pouvaient faire une grève légale, et que les fonctionnaires en cause avaient été renvoyés chez eux et payés pour une journée complète de travail dans le passé. Ce que les témoins qui ont comparu pour les fonctionnaires s'estimant lésés ont déclaré au sujet des événements du 23 mars 1999 était fondamentalement conséquent, pris comme un tout, mais les deux premiers témoins de l'employeur se sont directement contredits. En outre, le témoignage de Mme Sproson a été directement contesté par celui de M. Stewart. Presque tous les témoins des fonctionnaires s'estimant lésés ont déclaré qu'ils craignaient pour leur sécurité et que, lorsque la direction le leur avait demandé, c'est précisément ce qu'ils lui avaient dit. Ces témoins ont déclaré que l'atmosphère près des deux immeubles était chaotique, qu'ils recevaient des messages contradictoires, que les rumeurs volaient dans la foule et qu'ils craignaient pour leur sécurité.

[55]   Il faut interpréter les craintes des fonctionnaires s'estimant lésés compte tenu à la fois de ce qui s'est effectivement passé ce jour-là et de leurs perceptions à ce moment-là. Le syndicat est très présent aux deux lieux de travail, et les fonctionnaires sont issus d'une classe ouvrière ayant des liens très étroits avec les syndicats. Ils avaient fait du piquetage eux-mêmes dans le passé et ils avaient été exposés aux piquets de grève d'autres syndicats. Pour eux, la ligne de piquetage est quelque chose d'important; ils ne prennent pas la décision de la traverser à la légère. Cela ne veut toutefois pas dire qu'ils refusent de la traverser quelles que soient les circonstances.

[56]   La majorité des travailleurs des deux immeubles sont des femmes, et 35 % à 40 % d'entre elles sont des fonctionnaires nommés pour une période déterminée. Les piqueteurs n'étaient pas des gens que les fonctionnaires connaissaient puisque la plupart d'entre eux venaient soit des élévateurs à grain, soit des prisons. Les fonctionnaires savaient, par ailleurs, que l'adoption d'une loi ordonnant le retour au travail était imminente et que l'AFPC avait déclaré qu'elle intensifierait ses mesures de grève. Auparavant, quand il y avait des piquets de grève, les fonctionnaires se réunissaient aux endroits prévus et la direction décidait en fin de compte de les renvoyer chez eux et de les payer même s'ils n'avaient pas fourni leurs services.

[57]   La situation le 23 mars 1999 était bien différente. Cette fois-là, de nombreux piqueteurs avaient empêché les fonctionnaires de stationner leur véhicule sur le terrain de stationnement. Quand ils étaient arrivés sur place à pied, ils avaient constaté que les piqueteurs leur interdisaient l'accès à l'immeuble; ils s'étaient donc rassemblés pour attendre qu'on leur donne des instructions, conformément à celles que la direction leur avait données et à la pratique établie. Au début de la journée de travail au CFS, la direction ne leur avait pas offert d'escorte et il n'y avait pas non plus de représentants de la direction de leur côté du piquet de grève. Les fonctionnaires du BSFBF se sont fait dire d'aller prendre un café, mais pas ceux du CFS, et cette différence a semé la confusion dans leur esprit. L'employeur n'a fait témoigner aucun des gestionnaires exclus qui étaient allés dans la foule parler aux fonctionnaires. Ceux qui ont témoigné n'ont pas vu ce qu'ils faisaient et n'ont donc pas pu témoigner sur ce que ces gestionnaires exclus avaient dit ou fait.

[58]   On a témoigné que les fonctionnaires s'étaient fait dire qu'ils ne seraient pas payés s'ils ne traversaient pas la ligne de piquetage et qu'ils seraient passibles de sanctions disciplinaires. C'est une menace très réelle quand un fonctionnaire est nommé pour une période déterminée. La direction criait après les gens; la situation était chaotique et très désorganisée. La direction revenait constamment à l'engagement de l'agent négociateur et exigeait que les fonctionnaires traversent la ligne de piquetage, sans égard aux circonstances. Au CFS, le nombre des piqueteurs (de 20 à 30) dans un espace qui n'a pas plus que 10 à 15 pieds de largeur faisait qu'il était difficile d'entrer sans se faire barrer la route. Des témoins ont déclaré avoir constaté des bousculades. Les piqueteurs avaient refusé de répondre à la question de la direction quand elle leur avait demandé s'ils laisseraient les gens passer ou non. Il est difficile de croire qu'ils auraient laissé les fonctionnaires passer. Il est intimidant de voir et d'entendre de 20 à 30 piqueteurs crier et scander des slogans. Les témoins ont dit qu'on n'était pas venu leur demander personnellement s'ils voulaient entrer, en leur offrant une escorte. Ces fonctionnaires craignaient tout simplement pour leur sécurité. À peu près à l'heure où, dans le passé, on leur disait normalement de rentrer chez eux, les employés avaient froid, ils ne se sentaient pas bien et ils voyaient que la situation ne changeait pas; c'est pourquoi ils sont partis. Mme Barill a témoigné que les événements de la journée étaient [traduction] « traumatisants », et c'est vraiment compatible avec ce que les témoins des fonctionnaires s'estimant lésés se rappellent.

[59]   Au BSFBF, les fonctionnaires se sont dit [traduction] « ça recommence ». Comme avant, on les a envoyés prendre un café jusqu'à 9 h. La crédibilité de Mme Sproson est contestée par le témoignage de M. Campbell, qui a déclaré qu'elle lui avait dit de rentrer chez lui. Mme Sproson a aussi nié que les fonctionnaires avaient exprimé des craintes pour leur sécurité, alors que la preuve a révélé qu'il avait soulevé cette question-là avec elle. Mme Harris a témoigné que la direction avait demandé à la blague aux gens s'ils voulaient qu'on les escorte pour franchir le piquet de grève, ce qui avait donné aux fonctionnaires l'impression que la direction ne prenait pas vraiment la chose au sérieux. Il y avait des rumeurs et des messages contradictoires.

[60]   En outre, il y avait eu au moins quatre incidents sur la ligne de piquetage : la voiture qui avait heurté un piqueteur, un contribuable qui avait tenté de traverser la ligne, le président local de l'IPFPC qui s'était fait interpeller par les piqueteurs et l'incident avec M. Stockhecke. Les témoins ont déclaré qu'il y avait eu des bousculades et que les piqueteurs étaient physiquement intimidants. Les piqueteurs étaient devenus plus bruyants et plus agités à mesure que l'heure avançait. Après l'incident avec M. Stockhecke, les gestionnaires ont cessé d'escorter des fonctionnaires pour leur faire traverser la ligne de piquetage. Même si M. Stockhecke a témoigné qu'il n'avait pas craint pour sa sécurité après l'incident, on ne l'a pas remis dans une situation où il aurait pu en avoir. On n'avait pas non plus choisi tous les fonctionnaires pour les escorter à l'intérieur. S'attendait-on à ce qu'ils restent là jusqu'à la fin de leur quart? On a aussi témoigné que les témoins réconfortaient des fonctionnaires qui pleuraient et qui avaient peur.

[61]   Si l'employeur accordait autant d'importance à l'engagement de l'AFPC, pourquoi n'a-t-il pas pris de mesures pour le faire respecter? Pourquoi n'a-t-il pas demandé d'avis juridique ce jour-là? Pourquoi n'a-t-il pas appelé la GRC? Avec l'annonce de l'adoption imminente d'une loi de retour au travail, l'employeur n'avait pas donné de nouvelles instructions même si ses instructions avaient changé. Les fonctionnaires se sont fiés à la pratique établie, à leur détriment.

[62]   La décision Bailey et autres (dossiers de la Commission 166-34-30039 à 30043) portait sur les griefs de cinq membres de l'IPFPC dans le contexte des événements du 23 mars 1999 au BSFBF. L'arbitre avait conclu que les intéressés avaient suivi les instructions de la direction jusqu'au moment où ils étaient rentrés chez eux et qu'ils avaient le droit d'être payés jusqu'à cette heure-là. À tout le moins, les fonctionnaires en cause ici devraient avoir droit au même traitement. Dans Morneau et autres (dossiers de la Commission 166-2-10080, 10103, 10104, 10122 et 10127), l'arbitre est arrivé à une conclusion analogue. Les fonctionnaires s'estimant lésés devraient donc être payés jusqu'à l'heure où ils ont pris la décision manifeste de quitter les lieux.

[63]   Pour conclure, l'agent négociateur réclame le paiement de la journée complète de travail des fonctionnaires s'estimant lésés comme l'employeur l'avait fait auparavant, y compris les avantages sociaux et l'intérêt. Subsidiairement, il déclare que les fonctionnaires s'estimant lésés devraient être payés pour le temps qu'ils ont passé sur place jusqu'au moment où ils sont partis pour la journée. Mme Seaboyer maintient que je ne devrais pas opter pour la solution la plus simple seulement en raison de la difficulté de déterminer quand chacun des fonctionnaires est parti. Elle a aussi affirmé que je devrais demeurer saisi de l'affaire après avoir rendu ma décision.

Pour l'employeur

[64]   Tous les témoins sauf un ont eu de la difficulté à se rappeler des événements précis. Il est difficile à croire que des témoins aient du mal à se souvenir des détails d'événements aussi traumatisants. Pourtant, leur témoignage était vague quant à l'identité des gens à qui ils avaient parlé ainsi qu'à ce qu'on leur avait dit. Il y avait des contradictions évidentes dans le témoignage des personnes qui ont comparu pour les fonctionnaires s'estimant lésés; par exemple, un des témoins a déclaré qu'il y avait quatre piqueteurs, tandis qu'un autre a maintenu qu'il y en avait cent. Par contre, les témoignages coïncidaient quant aux messages communiqués aux employés ainsi qu'aux décisions prises à leur égard. Les témoins s'accordaient aussi pour déclarer que les employés avaient été escortés pour traverser la ligne de piquetage. Une grande partie des témoignages des personnes qui ont comparu pour les fonctionnaires s'estimant lésés étaient largement du ouï-dire; on ne devrait pas en tenir compte en l'espèce comme preuve que les événements dont ils ont fait état se sont produits.

[65]   Il est très clair que Mme McPhee se rappelait parfaitement ce qui s'était passé, et elle n'avait certainement pas de blancs de mémoire. Son témoignage devrait être considéré comme très solide et crédible.

[66]   Les employés ont été informés de leurs obligations avant le 23 mars 1999 et ce jour-là. Il est aussi clair qu'ils ne se sont jamais fait dire qu'on les renverrait chez eux le 23 mars. Le seul message qu'on leur a clairement fait passer, c'est qu'ils étaient tenus de se présenter au travail et de suivre les instructions de la direction. S'il existait une « pratique » établie lorsqu'il y avait des piquets de grève, c'est que les employés pouvaient retourner chez eux seulement lorsque la direction leur disait de le faire. Le 23 mars 1999, les instructions de la direction étaient claires. Au CFS, les employés pouvaient entrer dans l'immeuble, et ils se sont fait dire d'y entrer. La plupart ont décidé de ne pas le faire. Au BSFBF, les employés s'étaient fait dire de partir, puis de revenir. Ce n'était pas à eux de décider de ne suivre les instructions que si leur supérieur leur disait de partir.

[67]   On a témoigné que la situation autour des deux immeubles était chaotique, mais la seule confusion est celle qui a été causée par les piqueteurs ou par des employés qui ne faisaient pas partie de la direction. La représentante des fonctionnaires s'estimant lésés n'a pas fait comparaìtre de piqueteurs ni de chefs de grève pour préciser ce que les piqueteurs avaient dit. Les employés se sont fait dire par des représentants syndicaux de ne pas écouter la direction. M. Grosvenor a témoigné que M. Ackermann criait des instructions aux employés, et son témoignage a été corroboré par Mmes McPhee et Barill. Cela allait semer la confusion dans l'esprit des employés. Pourtant, le message de la direction était conséquent. On ne peut pas lui reprocher la confusion créée par d'autres. Les témoins ont choisi de ne pas demander d'explications à des représentants de la direction. Ils se sont tenus loin du piquet de grève.

[68]   Les employés qui se seraient fait dire de rentrer chez eux n'ont pas témoigné. Les fonctionnaires s'estimant lésés ne se sont pas acquitté de la charge de la preuve dans cette affaire. L'avocat de l'employeur a soutenu que, si je devais accepter la prétention que certains employés s'étaient fait dire de rentrer chez eux, je devrais conclure que c'était un incident isolé. Le message communiqué à l'ensemble des employés était qu'ils devaient se présenter au travail.

[69]   Une grande partie de cette affaire dépend des choix des fonctionnaires s'estimant lésés. Certains des témoins ont déclaré qu'ils n'avaient pas l'intention de traverser la ligne de piquetage. Il est logique de conclure que ces employés voulaient soutenir leurs collègues syndiqués. Pourquoi n'ont-ils pas tenté de franchir le piquet de grève? Pourquoi n'ont-ils fait aucune tentative pour obtenir des instructions? Pourquoi ne se sont-ils pas approchés de la ligne de piquetage? Ils ont eu bien des possibilités de le faire, et des personnes étaient là pour les escorter jusque vers midi, soit pendant cinq heures. Au BSFBF, on a aussi offert aux employés bien des possibilités de traverser la ligne de piquetage, en leur offrant les services de représentants de la direction pour les escorter de 9 h à midi.

[70]   La décision Morneau et autres (supra), précise les obligations tant des employés que de l'employeur face à des piquets de grève. Les employés doivent faire des efforts raisonnables pour traverser la ligne de piquetage. Aucun des témoignages n'a révélé qu'ils avaient fait des efforts raisonnables à cette fin. L'employeur doit quant à lui faire en sorte que les employés puissent avoir accès au lieu de travail sans danger, et il s'est acquitté de son obligation en obtenant l'engagement du syndicat, en donnant des instructions claires et en offrant aux employés la possibilité de se faire escorter pour traverser la ligne de piquetage. Il n'y avait pas de violence sur la ligne de piquetage, de sorte que les employés n'avaient pas le droit de refuser de la traverser. Il n'était pas nécessaire non plus de fournir une escorte policière. Il n'était donc pas déraisonnable de s'attendre à ce que le employés restent au lieu de travail jusqu'à la fin de leur quart.

[71]   L'employeur n'a aucune obligation de payer les employés qui ont décidé de ne pas traverser la ligne de piquetage. La preuve a révélé les conséquences financières de leur refus de traverser cette ligne, de même que ses répercussions sur le service offert à la population canadienne. L'employeur n'a aucune obligation de payer les employés jusqu'au moment où ils ont décidé de partir. Il est impossible de savoir qui a quitté les lieux, et à quelle heure les gens sont partis. Quand l'employeur a cessé d'offrir aux employés de les escorter, la preuve a révélé que la plupart d'entre eux n'étaient déjà plus là. Si les griefs sont accueillis, le message sera clair : la direction n'a pas le pouvoir de gérer le lieu de travail quand des piqueteurs sont présents. Il n'était pas déraisonnable pour l'employeur d'exiger que les employés restent à l'extérieur, puisqu'il ne faisait pas vraiment mauvais.

[72]   La peur d'être victime de violence ou les craintes pour sa sécurité doivent être objectivement fondées. L'opinion subjective des employés n'est pas le critère à retenir en l'occurrence. Il ne suffit pas qu'on se fasse dire des injures pour conclure qu'on est vraiment menacé de violence.

[73]   Ni les conclusions, ni les constatations de l'arbitre dans Bailey et autres (supra), ne devraient me lier. L'avocat de l'employeur a déclaré que je suis libre d'arriver à une autre conclusion. Dans cette affaire, la constatation clé était que les fonctionnaires avaient commencé par se conformer aux instructions de la direction. Par contre, en l'espèce, les fonctionnaires qui ne sont pas entrés au lieu de travail n'ont pas obéi aux instructions.

[74]   La décision de ne pas payer les fonctionnaires s'estimant lésés était administrative et tout à fait raisonnable. La différence de traitement entre les employés du BSFBF et ceux du CFS n'était ni arbitraire, ni discriminatoire parce que, dans les deux cas, les intéressés ont été payés quand ils se sont conformés aux instructions de la direction; ceux du BSFBF s'étaient fait dire de s'éloigner et de revenir, contrairement à ceux du CFS.

Réplique

[75]   En ce qui concerne l'allégation de ouï-dire, il vaut la peine de rappeler que les parties avaient convenu de ne présenter que deux griefs par lieu de travail pour éviter de faire défiler une interminable série de témoins. Aucune conclusion ne peut vraiment être tirée du choix des témoins.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[76]   Le piquet de grève au BSFBF le 23 mars 1999 a fait l'objet d'un arbitrage mettant en cause un autre agent négociateur (Bailey et autres). Cette décision ne me lie pas. La preuve qui a été produite à cet égard concerne d'autres fonctionnaires s'estimant lésés et n'est donc pas pertinente ici.

[77]   Les piquets de grève sont désagréables, et ceux qui étaient au BSFBF et au CFS ne font pas exception. La preuve a clairement montré que les tensions étaient grandes et que les grévistes qui piquetaient étaient en colère et frustrés.

[78]   Dans les situations où il y a des piquets de grève, l'employeur et les employés qui ne sont pas en grève légale ont tous deux des obligations :

... ces obligations se traduisent par celles, pour l'employeur, de faire tous les efforts raisonnables pour assurer aux employés l'accès à l'endroit de travail, et par celles, pour les employés de faire tous les efforts raisonnables pour se présenter au travail.

(Morneau et autres (supra)).

Obligations de l'employeur

[79]   Le critère à retenir consiste à déterminer si l'employeur a fait des efforts raisonnables pour protéger la santé et la sécurité des employés (Morneau et autres (supra)). Dans Morneau et autres, l'arbitre a décrit certaines des mesures que l'employeur avait prises pour démontrer qu'il avait pris des mesures raisonnables :

  • avant la grève, l'employeur avait établi des procédures à suivre en cas de conflit;

  • l'employeur avait déterminé des points de ralliement où les employés pourraient recevoir des instructions;

  • l'employeur avait assuré la protection des employés pour qu'ils franchissent la ligne de piquetage.

[80]   L'importance des efforts exigée de l'employeur dépend des faits dans chaque cas. L'employeur avait donné des directives avant le conflit tant au BSFBF qu'au CFS, et il les avait données de nouveau après le début du conflit. Il avait désigné un point de ralliement pour les employés du CFS, mais cet endroit n'était pas accessible le jour de l'incident, même si les employés avaient pu recevoir des instructions à l'extérieur de l'immeuble. L'employeur a fait escorter les employés durant la plus grande partie de la matinée pour qu'ils puissent traverser la ligne de piquetage. Toutefois, il a cessé de les faire escorter vers la fin de la matinée, en raison de ses craintes pour la sécurité des employés aux deux immeubles.

Obligations des employés

[81]   Quant aux obligations des employés, la preuve doit démontrer qu'ils avaient des raisons de craindre pour leur santé et leur sécurité s'ils traversaient la ligne de piquetage. Les employés doivent aussi attendre de se faire donner des instructions par les représentants de la direction.

[82]   La situation au BSFBF était explosive. La direction a jugé que, pour assurer la sécurité des employés, il fallait les escorter. Les gestionnaires choisissaient des employés à escorter. Vers midi, après l'incident avec M. Stockhecke, l'employeur a cessé de faire escorter les employés. Il ne devrait pas s'attendre à ce que les employés traversent la ligne de piquetage sans être escortés s'il a conclu qu'une escorte s'imposait. Les fonctionnaires s'estimant lésés devraient donc être payés jusqu'à l'heure à laquelle ils ont décidé de quitter le campus. Quand ils sont partis, ils l'ont fait de leur propre chef, pas parce que la direction leur avait dit de le faire. Il n'était pas raisonnable qu'ils s'attendent à ce qu'on leur téléphone quand le piquet de grève se disperserait, à moins qu'on leur ait dit de partir.

[83]   Le grief de Mme Chand est donc partiellement accueilli. Elle devrait être payée pour la période de 9 h à l'heure à laquelle elle est partie du campus. Elle a témoigné qu'elle l'a quitté vers 12 h (à midi), de sorte qu'elle a le droit d'être payée pour ces trois heures. (Les fonctionnaires du BSFBF avaient déjà été payés pour la période allant de l'heure normale du début de leur quart jusqu'à 9 h.)

[84]   Le grief de M. Birnie a été choisi au hasard en 1999 pour être renvoyé à l'arbitrage. Ce fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas disponible pour témoigner à l'audience pour des raisons qui ne m'ont pas été communiquées. Par conséquent, aucune preuve n'a été présentée quant à l'heure à laquelle il a quitté le campus. Si l'on m'avait dit à quelle heure il était parti, j'aurais conclu qu'il aurait dû être payé jusqu'à cette heure-là. Je demeure saisi de ce grief dans l'éventualité où les parties n'arriveraient pas à s'entendre sur l'heure à laquelle M. Birnie a quitté les lieux.

[85]   M. Campbell a témoigné que Mme Sproson lui avait dit de rentrer chez lui; Mme Sproson le nie. Comme je ne suis pas saisi du grief de M. Campbell, je n'ai pas besoin d'arriver à une conclusion à cet égard. Si Mme Sproson lui a dit de rentrer chez lui, c'était un incident isolé, et elle ne l'a pas dit aux fonctionnaires s'estimant lésés.

[86]   Au CFS, la situation sur la ligne de piquetage était moins tendue, mais il y avait beaucoup de confusion sur ce qu'on attendait des employés. Les représentants syndicaux présents, surtout Johann Ackermann, ont contribué à la confusion.

[87]   Le temps passé peut faire oublier bien des choses. C'est pour cette raison que l'affidavit de Mme Barill, qu'elle a produit sous serment le lendemain des événements en question, est extrêmement important. Il prouve que, vers 12 h 30, les piqueteurs ont empêché les fonctionnaires de traverser leurs rangs. Vers 13 h, Mme Barill a dit à ses gestionnaires de cesser d'escorter les fonctionnaires jusque dans l'immeuble, parce qu'elle craignait pour la sécurité du personnel. Il n'y a rien dans la preuve sur ce que la direction aurait dit aux fonctionnaires après 13 h. Par contre, il est prouvé que beaucoup d'entre eux étaient déjà partis à cette heure-là. Il fallait escorter les fonctionnaires pour qu'ils puissent traverser la ligne de piquetage en toute sécurité, et l'employeur a décidé de ne plus leur fournir d'escorte. Les fonctionnaires qui n'étaient donc pas capables de traverser la ligne de piquetage à cette heure-là ne devraient pas être pénalisés pour ne pas l'avoir fait pendant qu'il était dangereux de le faire. J'ai donc conclu que les fonctionnaires s'estimant lésés devraient être payés jusqu'à l'heure à laquelle ils ont quitté le campus pour la journée.

[88]   Mme Guest a témoigné qu'elle était partie vers 11 h 30. Elle aurait dû être payée à partir de l'heure à laquelle elle commence normalement à travailler jusqu'à 11 h 30. Son grief est donc accueilli en partie.

[89]   Le témoignage de Mme Heran a révélé qu'elle ne se rappelait pas bien les événements du 23 mars 1999, puisqu'elle les confondait avec des événements qui s'étaient passés auparavant. Par exemple, elle se rappelait s'être rendue au point de ralliement dans le stationnement souterrain, ce qui était arrivé antérieurement. Néanmoins, elle a témoigné avoir quitté le campus vers 13 h 30 et j'estime que sa mémoire est bonne, parce que, lorsque les fonctionnaires avaient été renvoyés chez eux auparavant, c'était avant midi. Par conséquent, Mme Heran devrait être payée jusqu'à 13 h 30, et son grief est donc partiellement accueilli.

[90]   La différence de traitement des fonctionnaires du BSFBF et du CFS n'est pas pertinente. Chaque piquet de grève est différent et appelle parfois des réactions différentes de la direction. En l'occurrence, la décision de la direction du CFS de ne pas renvoyer les employés chez eux avant 9 h, comme la direction du BSFBF l'avait fait, n'était pas déraisonnable.

[91]   La représentante des fonctionnaires s'estimant lésés a aussi réclamé le remboursement des avantages et des intérêts. Rien ne prouve que les fonctionnaires s'estimant lésés aient perdu des avantages. En outre, on n'a pas présenté d'argument quant à la compétence de la Commission d'ordonner le versement d'intérêts. Néanmoins, la jurisprudence est claire : si la loi ne lui en donne pas le pouvoir, la Commission n'a pas compétence pour ordonner qu'on paie des intérêts, comme on peut le voir dans Eaton c. La Reine [1972]   C.F. 185, et dans Dahl (dossier de la Commission 166-2-25535).

[92]   Bref, les griefs de Barbara Guest, Jasbir Heran et Rose Chand sont accueillis en partie, dans la mesure précisée. Le grief de Phil Birnie est aussi accueilli en partie, et j'en demeure saisi dans l'éventualité où les parties n'arriveraient pas à s'entendre sur l'heure à laquelle il a quitté le campus. Je vais aussi demeurer saisi de tous ces griefs pour une période de 90 jours de la date de la présente décision, afin de trancher toute question relative à son exécution.

Ian Mackenzie,
commissaire

OTTAWA, le 7 octobre 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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