Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement (motif disciplinaire) - Agent de correction - Possession de drogue (cocaïne) - Accommodement - Abus de confiance - le fonctionnaire s'estimant lésé a occupé le poste d'agent de correction de 1992 jusqu'à son congédiement - le 3 octobre 1999, le fonctionnaire s'estimant lésé et un collègue de travail ont été mis en état d'arrestation pour possession de stupéfiants - au cours de la fouille de sa voiture, le fonctionnaire s'estimant lésé a montré au policier son insigne d'agent correctionnel et lui a demandé de lui donner une chance parce qu'il allait perdre son emploi, mais le policier a refusé - le fonctionnaire s'estimant lésé a expliqué au policier qu'une connaissance lui avait donné la cocaïne et que son collègue n'avait rien à voir dans cette histoire - au cours de la rencontre disciplinaire avec l'employeur, le fonctionnaire s'estimant lésé a cependant affirmé à l'employeur que la cocaïne appartenait à son épouse - lors de l'audience, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré avoir acheté la cocaïne à la demande de son collègue, et il a expliqué que c'était la première fois depuis plusieurs années qu'il consommait de la drogue et qu'il n'avait pas de problème de consommation - il a admis avoir demandé au policier de lui donner une chance relativement à la possession de cocaïne - l'arbitre a statué que la possession de drogue, même en petite quantité, constituait une forme d'inconduite incompatible avec l'exercice de la fonction d'agent correctionnel - il a statué que le fonctionnaire s'estimant lésé avait fait du tort à l'image de l'employeur et avait rendu le fonctionnaire s'estimant lésé inapte à exercer ses fonctions - l'arbitre a rejeté l'argument du fonctionnaire s'estimant lésé au chapitre de l'accommodement, compte tenu du fait que rien ne démontrait qu'il avait un problème de consommation de drogue et que le fonctionnaire s'estimant lésé avait lui-même confirmé qu'il s'agissait d'un incident isolé - l'arbitre a convenu que le fonctionnaire s'estimant lésé représentait un risque pour la sécurité de l'institution et que le congédiement n'était pas déraisonnable dans les circonstances - par conséquent, l'arbitre a conclu que, compte tenu de la gravité de l'accusation, l'employeur avait été justifié de suspendre le fonctionnaire s'estimant lésé immédiatement après avoir été informé de son arrestation sans attendre que des accusations criminelles soient déposées contre lui. Grief rejeté. Décision citée : Flewwelling c. Canada, [1985], R.C.F. no 1129; Courchesne (166-2-12299); Wells (166-2-27802).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-08-12
  • Dossiers:  166-2-30053, 166-2-30054
  • Référence:  2003 CRTFP 69

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

GILBERT DIONNE
fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Solliciteur général - Service correctionnel Canada)

employeur

Devant:   Léo-Paul Guindon, commissaire

Pour le fonctionnaire
s'estimant lésé :  
Giovanni Mancini, avocat, UCCO-SACC-CSN

Pour l'employeur :   Jennifer Champagne, avocate


Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 23 avril 2003.


[1]   M. Gilbert Dionne conteste par griefs la suspension sans solde pour une période indéterminée qui lui a été imposée le 4 octobre 1999 (dossier de la Commission 166-2-30053) et son congédiement en date du 2 mars 2000 (dossier de la Commission 166-2-30054).

[2]   M. Dionne a été à l'emploi du Service correctionnel Canada (SCC) à l'établissement Port-Cartier au poste d'agent de correction I (CX-01) de 1992 jusqu'à son congédiement.

[3]   Dans la nuit du 3 octobre 1999, le constable Yves Bourque, de la police municipale de Sept-Îles, effectue une patrouille et procède à la vérification d'un véhicule, dans le stationnement du bar Impact, dont les occupants ont un comportement suspect. En descendant de son véhicule de patrouille, le constable constate que les deux occupants quittent leur véhicule et se dirigent vers le bar et aperçoit, sur la console entre les sièges avant, un paquet de cigarettes avec sur le dessus ce qui semble être une poudre blanche. Il interpelle la personne qui avait été assise à la place du conducteur (M. Dionne) et lui demande d'ouvrir la porte de son véhicule pour en permettre la vérification. Après l'avoir ouverte, M. Dionne prend le paquet de cigarettes sur la console, le secoue et le range dans un compartiment de la console.

[4]   À la demande du constable, M. Dionne ouvre son portefeuille afin de prendre son permis de conduire. Le constable voit alors l'insigne d'agent correctionnel dans le portefeuille. La voiture appartient à la conjointe de M. Dionne.

[5]   Le constable prend le paquet de cigarettes dans le compartiment de la console. Il prélève, dans le compartiment de la console, environ 0,2 grammes de la poudre blanche qui s'y retrouve. Il précise alors aux deux suspects qu'il croit que cette poudre blanche est de la drogue. M. Dionne lui répond alors de lui donner une chance, qu'il va perdre son emploi. Le constable lui réplique qu'il ne donnera pas de chance à un agent correctionnel pris en possession de drogue. M. Dionne et son compagnon, M. Gaétan Boisvert, sont alors mis en état d'arrestation par le constable Bourque pour possession de stupéfiant.

[6]   Après une fouille sommaire des suspects, ils sont amenés au poste de police où ils sont interrogés par les constables Yves Bourque et Richard Bujold, après avoir été avisés de leurs droits et de leur droit à un avocat. Lors de l'interrogatoire, M. Dionne précise que la poudre est de la cocaïne qu'une connaissance lui a donnée dans le bar. Il précise que M. Boisvert n'a rien à voir avec la cocaïne.

[7]   Le directeur intérimaire de l'établissement, M. Serge Gagnon, est avisé de la situation lors d'une rencontre tenue à la demande du vice-président du syndicat local (M. Richard Therrien), le 4 octobre 1999, en l'absence de M. Dionne. M. Gagnon est informé que des accusations de possession de drogue seraient déposées contre MM. Dionne et Boisvert. Le lendemain, le 5 octobre 1999, M. Gagnon reçoit un appel téléphonique de M. Dionne, lui confirmant ces informations et lui précisant que la substance est de la cocaïne.

[8]   M. Gagnon informe différents responsables de la gestion et une rencontre avec les services de la police de Sept-Îles est organisée pour le 6 octobre 1999. Lors de cette rencontre, le directeur intérimaire de l'établissement est informé du contenu du rapport des policiers pour l'événement du 3 octobre 1999 (pièces E-14 et E-15).

[9]   Le directeur suspend MM. Dionne et Boisvert sans traitement et interdit l'accès à l'établissement (pièces E-2 et E-3) le 4 octobre 1999, et en informe M. Dionne lors d'une rencontre tenue le 6 octobre 1999. M. Dionne est accompagné par son représentant syndical. L'horaire de travail de M. Dionne pour la période du 30 septembre au 13 octobre 1999 établit qu'il est en repos les journées des 4, 5, 6 et 13 octobre 1999 (pièce E-2).

[10]   Le 10 décembre 1999, M. Dionne est informé que la décision relativement à sa suspension est en attente d'informations complémentaires (pièce E-6).

[11]   Un certificat d'analyse émis le 7 janvier 2000 par Santé Canada constate que la substance est de la cocaïne, suite à la demande effectuée par la police municipale (pièce E-4).

[12]   Une dénonciation pour possession de cocaïne a été déposée contre M. Dionne (pièce E-5) et ce dernier a plaidé non-coupable lors de sa comparution devant la cour.

[13]   L'assistant directeur par intérim, M. Gilles Ringuette, informe M. Gagnon qu'un journaliste du journal Le Nord-Est l'a appelé, le 22 février 2000, pour s'informer du statut de M. Dionne, qui a été accusé de possession de cocaïne. L'arrestation de M. Dionne et son inculpation pour possession de drogue ont été relatées lors du bulletin de nouvelles lu le 7 mars 2000 à la station de radio de Sept-Îles (CKCN-AM Radio), qui a été entendu par M. Gagnon (pièce E-10). Le bulletin de nouvelles a été lu le 7 mars 2000, soit cinq jours après le congédiement.

[14]   Lors de la rencontre disciplinaire convoquée par M. Gagnon le 29 février 2000, M. Dionne déclare que la cocaïne appartient à son épouse et que le paquet de cigarettes ne lui appartient pas. Il précise qu'il a voulu accepter la responsabilité pour protéger sa conjointe. Il admet qu'il a demandé une chance au policier lors de son arrestation relativement à sa consommation d'alcool et non en fonction de la cocaïne (pièce E-8). Lors de cette rencontre, M. Dionne est accompagné de son représentant syndical.

[15]   M. Gagnon informe M. Dionne de son congédiement, effectif au 4 octobre 1999, lors d'une rencontre disciplinaire tenue le 2 mars 2000, en présence du représentant syndical. Une lettre lui exposant les motifs de la décision lui est alors remise et est rédigée comme suit (pièce E-1) :

Vous avez été trouvé en possession d'une poudre blanche (cocaïne) suite à votre arrestation par les policiers de la Sûreté municipale de Sept-Îles le 3 octobre 1999, vers 01 h 45, dans le stationnement du 680 boulevard Laure à Sept-Îles. Des accusations furent portées par le Substitut du Procureur de la Couronne de possession simple de stupéfiants pour lesquelles vous avez comparu au Palais de Justice de Sept-Îles le 7 février 2000.

Ce fait est inacceptable, indigne d'un employé du Service correctionnel du Canada et tout à fait incompatible avec votre rôle d'agent de la paix. De par ces agissements, vous avez terni l'image du Service correctionnel et avez perdu la confiance de l'employeur. Par conséquent, en vertu de l'article 11 de la Loi sur la gestion des finances publiques et des pouvoirs qui me sont délégués, vous êtes congédié à compter du 4 octobre 1999. Veuillez remettre votre carte d'identité et votre uniforme à la division de la sécurité de notre établissement d'ici le 17 mars 2000.

Si vous désirez contester cette décision, vous pouvez présenter un grief au dernier palier de la procédure des règlements des griefs.

[16]   Lors de cette rencontre du 2 mars 2000, M. Gagnon lit à M. Dionne sa déclaration consignée à la pièce E-8 et lui offre l'occasion d'en modifier le contenu, ce à quoi il renonce. Il lui précise le sens du second paragraphe de la lettre de congédiement (pièce E-1), lui exposant que les gestes reprochés vont à l'encontre de la mission du SCC, qui a pour but de réintégrer à la société les détenus comme des citoyens respectueux des lois. L'agent correctionnel est au cour du processus de réintégration et la possession de drogue et des accusations de possession sont incompatibles avec ses responsabilités. La politique de tolérance zéro en regard de la consommation ou la possession de drogue est en vigueur à l'établissement de Port-Cartier.

[17]   Il est aussi précisé à M. Dionne que l'image du SCC a été clairement ternie par ses agissements, les médias étant informés de sont arrestation ainsi que des motifs à l'appui (pièce E-10).

[18]   Lors de son témoignage lors de l'audience au présent dossier, M. Gagnon a exposé clairement que l'établissement ne peut plus faire confiance à un agent correctionnel ayant été pris en possession de drogue, car il devient alors une brèche dans le système de sécurité. La possession de drogue et les accusations de possession de drogue sont incompatibles avec le statut et le rôle d'agent de la paix rattaché à la fonction d'agent correctionnel. L'agent de la paix a pour fonction d'appliquer la loi et il doit en tout temps démontrer qu'il est respectueux de la loi, ce qui est tout à fait incompatible avec les actions de possession de drogue qui lui sont reprochées. Il a tenté de cacher sa faute en secouant le paquet de cigarettes pour en faire tomber la drogue et en voulant faire porter la responsabilité à sa conjointe. Il s'est servi de son statut d'agent correctionnel pour essayer de se sortir du pétrin avec le policier. Il a aggravé la situation en changeant sa version des faits.

[19]   L'employeur avait fait une campagne de sensibilisation auprès de tous les employés relativement aux problèmes de toxicomanie conjointement avec les responsables du « Programme d'aide aux employés » (PAE). La campagne d'information visait à faire connaître le PAE et à inciter les employés pris avec des problèmes de consommation de venir profiter de l'aide du service avant d'avoir à affronter les conséquences d'une arrestation et de perte d'emploi.

[20]   L'employeur n'a pas pris de mesure disciplinaire contre M. Boisvert qui accompagnait M. Dionne dans la nuit du 3 octobre 1999, car ce dernier a accepté toute la responsabilité pour ses actes. M. Boisvert a donc été réintégré à ses fonctions avec tous ses droits et privilèges suite à l'enquête de l'employeur.

[21]   Les évaluations de rendement de M. Dionne ont été satisfaisantes pour toute sa période d'emploi et une seule mention disciplinaire apparaît à son dossier pour un retard dans les deux dernières années. En 1998, M. Dionne a réussi à sauver un confrère de travail d'une tentative de meurtre par un détenu.

[22]   En son témoignage lors de l'audience au présent dossier, M. Dionne a précisé qu'il s'était procuré la cocaïne auprès du barman à la demande de M. Boisvert. Ils ont consommé la cocaïne dans la voiture. M. Dionne soumet qu'il ne présente pas de problème de consommation. Il avait déjà consommé de la drogue il y a plusieurs années et avait cessé depuis longtemps. Il explique la consommation du 3 octobre 1999, par le fait qu'il avait des problèmes conjugaux en cette période. Il croit qu'il n'a pas de possibilité de récidive dans l'avenir.

[23]   Il connaissait les risques reliés à l'achat de drogue et il précise qu'il a pris la chance de ne pas se faire prendre. Il a demandé « un break » au policier, sachant qu'il perdrait son emploi s'il était arrêté alors qu'il est en possession de drogue. Le soir de l'arrestation, il a convenu avec M. Boisvert d'accepter seul la responsabilité de manière à sauvegarder un des deux emplois. À la suite, suivant le conseil de son procureur, il a voulu faire porter la responsabilité à sa conjointe pour sauver son emploi lors des deux rencontres disciplinaires avec l'employeur.

[24]   Depuis son congédiement, M. Dionne a suivi une formation en soudage et montage au centre A.W. Gagné. Il travaille pour un sous-traitant de la compagnie Alouette depuis 2000, et il y occupe un poste à temps plein depuis 2002.

Les plaidoiries

[25]   L'employeur a fait la preuve que M. Dionne a effectivement posé les gestes qui lui ont été reprochés et qui sont précisés à la lettre de congédiement.

[26]   La possession de drogue (cocaïne) doit être évaluée par l'arbitre dans le contexte particulier du SCC. L'agent correctionnel est un agent de la paix qui doit appliquer la loi et la faire respecter à l'intérieur du pénitencier. Ses fonctions présentent un important volet relatif à la sécurité qu'il doit assurer dans l'établissement, tant pour les détenus que pour les employés. La confiance de l'employeur et des confrères de travail envers un agent correctionnel est essentielle et à la base du système de sécurité.

[27]   La possession de drogue est incompatible avec le rôle d'un agent correctionnel qui est responsable auprès de détenus qui, souvent, sont incarcérés pour des crimes reliés à la drogue.

[28]   M. Dionne a terni l'image du SCC en se faisant prendre en possession de cocaïne et en tentant de se servir de son statut d'agent correctionnel pour se sortir d'une impasse. La diffusion par les médias des informations reliées aux infractions reprochées à M. Dionne a clairement porté atteinte à l'image du SCC et la preuve de cette diffusion est acceptable même si elle est postérieure au congédiement, car elle se modifie par la substance des motifs à son appui.

[29]   La version des événements fournie par M. Dionne change au long du processus et dénote son manque d'honnêteté et s'ajoute aux autres éléments qui entraînent une perte de confiance irrémédiable de l'employeur à son endroit.

[30]   Le SCC a prouvé :

  • que le fonctionnaire s'estimant lésé est coupable d'une grave infraction, à savoir : possession de cocaïne;
  • que la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé fait du tort à l'image et à la réputation du Service;
  • que son inconduite l'a rendu inapte à exercer ses fonctions;
  • que la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé nuit à la gestion des opérations et du personnel de l'entreprise.

[31]   L'avocate de l'employeur a déposé les décisions suivantes à l'appui de ses arguments : Flewwelling c. Canada, [1985] A.C.F. no. 1129; Boisvert (dossiers de la Commission 166-2-25435 et 166-2-26200); Fleming (dossiers de la Commission 166-2-13488 et 166-2-13489); Kikilidis (dossiers de la Commission 166-2-3180 à 166-2-3182); Courchesne (dossier de la Commission 166-2-12299); Wells (dossier de la Commission 166-2-27802); Sharma (dossier de la Commission 166-2-14588); Cunningham (dossier de la Commission 166-2-18834); Renaud (dossiers de la Commission 166-2-30897 et 166-2-30898); Lalla (dossier de la Commission 166-2-23969) et Sarin (dossier de la Commission 166-2-15600).

[32]   L'avocat de M. Dionne soumet pour sa part que l'infraction reprochée est pour une petite quantité de drogue. L'infraction est de moindre importance que celles à la base des décisions soumises par l'avocate de l'employeur.

[33] M. Dionne a commis l'infraction à l'extérieur de son lieu de travail et ne fait pas en sorte qu'il soit associé au monde criminalisé. La publicité médiatique de l'incident a une portée restreinte et limitée. La preuve démontre que M. Dionne est bien respecté en son milieu de travail et ne démontre pas que les incidents qui lui sont reprochés aient un impact négatif à cet égard.

[34]   Suivant les principes précisés au recueil publié par MM. Brown et Beatty, l'employeur doit clairement démontrer que l'infraction commise par l'employé à l'extérieur de son milieu de travail a un impact important sur le rendement au travail et sur la perception des autres employés à son égard. Ces éléments n'ont pas été démontrés au présent dossier.

[35]   L'employeur a suspendu et procédé au congédiement de M. Dionne sans évaluer la possibilité de réhabilitation et d'accommodement en son cas. Dès le début du processus disciplinaire, l'employeur avait une idée bien arrêtée que la possession de cocaïne est tout à fait incompatible avec l'emploi d'agent de correction. Seule l'identification formelle de la nature de la drogue en sa possession était nécessaire à l'employeur pour procéder au congédiement et motivait la suspension sans solde pour la période nécessaire à l'analyse de la substance. Cette attitude de l'employeur n'est pas conforme à la politique du PAE, qui vise à apporter soutien à ceux qui ont un problème de consommation de drogue ou d'alcool.

[36]   La perte de confiance de l'employeur envers M. Dionne n'est pas démontrée au présent dossier. D'une part, l'employeur accepte le fait que M. Dionne puisse innocenter M. Boisvert en acceptant toute la responsabilité et d'autre part, ne donne aucune crédibilité à sa version des faits sur tous les autres éléments des incidents. L'employeur n'a pas perdu confiance envers M. Boisvert qui était impliqué dans les mêmes incidents et devait avoir la même attitude envers M. Dionne. Bien que M. Dionne ait fourni des versions inexactes des événements, il a agi de peur de perdre son emploi et sur les conseils de son avocat qui le représentait en son dossier criminel.

[37]   L'avocat de M. Dionne a soumis les décisions suivantes à l'appui de ses arguments : Larson (dossiers de la Commission 166-2-30267 à 166-2-30269); Re Tober Enterprises Ltd. and United Food & Commercial Workers, Local 1518 (1989), 8 L.A.C. (4th) 232 et Canada (Conseil du Trésor) c. Phillips (1991), 23 L.A.C. (4th) 403.

Motifs de la décision

[38]   L'employeur a démontré que M. Dionne a été trouvé en possession de cocaïne le 3 octobre 1999, lors d'une intervention policière et qu'une accusation pour possession de stupéfiant a été portée par le procureur de la Couronne. Ces faits ont été admis par M. Dionne lors de l'audience.

[39]   L'employeur a précisé, à la lettre de congédiement (pièce E-1), que ce fait est inacceptable, indigne d'un employé du SCC et tout à fait incompatible avec le rôle d'agent de la paix. Au sein du SCC, l'agent correctionnel doit être en mesure d'assurer son rôle d'agent de la paix qui est d'appliquer et de faire respecter la loi. Je suis en accord avec la déclaration de la Cour d'appel fédérale dans la cause Flewwelling (supra), qui se lit comme suit :

[…]

          Il me semble qu'il existe des formes d'inconduite qui, peu importe qu'elles soient prohibées par règlement, par le Code criminel ou par toute autre loi, sont de nature telle que toute personne raisonnable peut facilement se rendre compte qu'elles sont incompatibles et en contradiction avec l'exercice par leur auteur d'une charge publique, surtout si les fonctions de cette charge consistent à appliquer la loi. Comme l'a dit récemment le juge en chef Dickson au nom de la Cour suprême dans l'arrêt Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, non publié, qui a été rendu le 10 décembre 1985 :

          La fonction publique fédérale du Canada fait partie de l'exécutif du gouvernement. À ce titre, sa tâche fondamentale est d'administrer et d'appliquer les politiques. Pour bien accomplir sa tâche, la fonction publique doit employer des personnes qui présentent certaines caractéristiques importantes parmi lesquelles les connaissances, l'équité et l'intégrité.

[…]

[40]   La possession de drogue (cocaïne), même en petite quantité, constitue, pour moi, une forme d'inconduite de nature telle que toute personne raisonnable peut facilement se rendre compte qu'elle est incompatible et en contradiction avec l'exercice de la fonction d'agent correctionnel. M. Dionne lui-même savait, au moment de son arrestation par la police municipale de Sept-Îles, que son emploi était en jeu. L'entente intervenue entre lui et M. Boisvert « pour sauver un des deux emplois » est révélatrice qu'il considérait son inconduite comme étant incompatible avec son emploi. Le fait qu'il tente d'amadouer le policier pour que ce dernier lui donne « un break », est aussi significatif à cet effet.

[41]    D'autre part, en tentant d'amadouer le constable Bourque en invoquant son statut d'agent correctionnel, M. Dionne a terni l'image du SCC auprès d'un corps policier qui est appelé à jouer un rôle de partenaire du SCC en certaines circonstances.

[42]   L'accusation de possession de stupéfiant contre M. Dionne a été diffusée par les médias (CKCN-AM Radio de Sept-Îles) et bien que cette diffusion soit effectuée cinq jours après le congédiement (pièce E-10), ce fait est acceptable en preuve, car il est relatif aux éléments à la connaissance de l'employeur au moment où il a pris la décision de congédier M. Dionne. Le journaliste du journal Le Nord-Est de Sept-Îles a communiqué avec l'établissement de Port-Cartier le 22 février 2000, pour vérifier ses informations (pièce E-10), démontrant que l'inconduite de M. Dionne était déjà connue des médias et dans le milieu avant la décision de le congédier. Ces deux éléments me confirment que les agissements de M. Dionne ont terni l'image du SCC dans la communauté.

[43]   L'employeur a perdu confiance en son employé, principalement parce que ses agissements sont incompatibles avec ses fonctions d'agent correctionnel et qu'ils peuvent faire en sorte que M. Dionne puisse constituer une brèche dans le système de sécurité de l'établissement. Le risque que M. Dionne représente pour la sécurité de l'établissement, de ses confrères et des détenus me paraît évident et découle directement de la perte de confiance de l'employeur à son égard, qui serait sûrement partagé par ses confrères de travail. Je suis d'accord avec la présidente suppléante M. Falardeau-Ramsay qui précise, dans l'affaire Courchesne (supra) :

[…]

          Je reprends à mon compte les commentaires exprimés par l'arbitre Smith dans l'affaire Kikilidis où il écrit à la page 5:

     «L'employeur estime que l'attitude de l'employé s'estimant lésé pose des risques au niveau de la sécurité. L'employeur est responsable de la sécurité du personnel, des détenus et de tout l'établissement. Un arbitre de griefs ne devrait pas essayer de substituer, à cet égard, sa propre évaluation de la situation à celle de l'employeur. Les fonctions et responsabilités des agents de correction et du Service des pénitenciers différent complètement de celles des employés de la plupart des autres secteurs de la fonction publique. Un arbitre de griefs doit non seulement tenir compte des intérêts de l'employeur et de l'employé, mais aussi de ceux des autres employés, des détenus et du grand public.»

[…]

[44]   Les règles énoncées par le juge Anderson et devenues les « critères de Millhaven » peuvent recevoir application au présent dossier, car l'inconduite du fonctionnaire a eu lieu à l'extérieur du lieu de travail. La commissaire R. Vondette Simpson les reprend comme suit dans la décision Wells (supra) :

[…]

          Dans l'affaire Flewwelling (dossier de la Commission 166-2-14236), comme en l'espèce, le comportement qui a donné lieu à la mesure disciplinaire avait eu lieu principalement à l'extérieur du lieu de travail. L'arbitre a déclaré ce qui suit aux pages 16 et 17:

          Pour déterminer le droit de l'employeur de congédier un employé, les arbitres se reportent souvent à l'affaire Millhaven Fibres Ltd., Millhaven Works, and Oil, Chemical and Atomic Workers Int'l., Local 9-670 (1967) 1 (A) Union Management Arbitration Cases, 328 (Anderson).

          On peut lire à la page 329 les règles énoncées par le juge Anderson et devenues les " critères de Millhaven ", et qu'il vaut la peine de reproduire ici :

Un certain nombre d'affaires d'arbitrage portent sur des questions disciplinaires découlant de la conduite d'employés hors du lieu de travail. De façon générale, il est clair que le droit, d'un employeur, de congédier un employé pour actes reprochables hors du lieu de travail dépend des répercussions de cette conduite sur le fonctionnement de l'entreprise.

En d'autres termes, pour que le congédiement puisse découler de la conduite de l'employé hors du lieu de travail, la direction a la charge de prouver :

1) que la conduite de l'employé en cause fait du tort à l'entreprise ou à ses produits;
2) que la conduite de l'employé le rend inapte à remplir ses fonctions convenablement;
3) que la conduite de l'employé amène ses compagnons de travail à refuser de travailler avec lui ou les rend réticents à le faire ou incapables de le faire;
4) que l'employé a été reconnu coupable d'une grave infraction au Code criminel portant atteinte à la réputation de l'entreprise et à celle de ses employés;
5) que la conduite de l'employé nuit à la gestion des opérations et du personnel de l'entreprise.

[…]

[45]   Dans le présent dossier je viens à la conclusion que la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé a fait du tort à l'image du SCC et que sa conduite l'a rendu inapte à remplir ses fonctions adéquatement pour les motifs précités.

[46]   Je ne peux pas retenir l'argument de l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé que M. Dionne souffre d'une maladie (toxicomanie) et que ses actions répréhensibles en découleraient. D'une part, aucune preuve ne m'a été apportée démontrant que M. Dionne présente des symptômes de toxicomanie ou que sa consommation de drogue révèle un problème qui s'assimile à une pathologie. M. Dionne lui-même a témoigné au fait que sa consommation de drogue ne présente pas un problème et que l'incident du 3 octobre 1999 est un fait isolé découlant d'une période difficile dans sa vie de couple. Je ne considère pas qu'un consommateur occasionnel d'alcool ou de drogue comme M. Dionne est atteint d'une toxicomanie de par ce fait. L'employeur n'avait aucun élément, avant l'arrestation du 3 octobre 1999, qui aurait pu lui laisser croire que M. Dionne présentait un tel problème.

[47]   Pour les motifs précités, après avoir examiné toutes les circonstances pertinentes, je conclus que le congédiement n'est pas une peine déraisonnable dans les circonstances.

[48]   Considérant les circonstances du présent dossier, l'employeur était justifié de suspendre M. Dionne sans solde à compter du moment où il a été informé de son arrestation et que des accusations seraient déposées contre lui pour possession de drogue. La gravité des allégations d'inconduite était telle que l'employeur se devait de retirer M. Dionne de son lieu de travail pour toute la période nécessaire pour faire enquête et préciser l'ensemble des faits reliés à son arrestation.

[49]   Les griefs sont rejetés en conséquence.

Léo-Paul Guindon,
commissaire

OTTAWA, le 12 août 2003.
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