Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Convention collective - Pauses de repas et de repos - Postes faisant appel à un haut niveau de vigilance physique et mentale - les fonctionnaires s'estimant lésés, des officiers des Services de communication et de trafic maritimes (SCTM), se sont plaints de ne pas pouvoir prendre de véritables pauses repas et périodes de repos et de devoir travailler des quarts complets, lorsque seulement trois employés étaient en fonction au cours d'un quart de travail - ils ont fait valoir qu'on leur avait refusé les pauses de repas et les périodes de repos prévues dans leur convention collective - les témoins ont insisté sur le volet de la sécurité de leurs fonctions qui font appel à une vivacité d'esprit et une disponibilité constantes afin de composer avec un éventail de situations potentiellement dangereuses pouvant survenir de manière soudaine et inattendue - les fonctionnaires s'estimant lésés ont fait valoir que, comme ils devaient transporter des moniteurs pour surveiller ce qui se passait au poste de travail, ils n'avaient pas eu droit à une véritable période de repos - selon les fonctionnaires s'estimant lésés, cette situation s'ajoutait au stress relié à leur fonctions et réduisait la vigilance physique et mentale qu'imposait leur travail - les fonctionnaires s'estimant lésés étaient d'avis qu'une période de repos ne consiste pas à demeurer assis à un poste de travail et à continuer d'assumer toutes les fonctions reliées au poste - au premier palier de la procédure de règlement des griefs, l'employeur a admis ne pas avoir accordé de pauses parce que les nécessités de service ne le permettaient pas - l'employeur n'a pas démontré qu'une situation exceptionnelle l'empêchant d'accorder des pauses repas et des périodes de repos était survenue aux jours visés par les griefs - l'arbitre a souligné trois questions soulevées par ces griefs : il faut premièrement se demander si la clause 21.14 impose à l'employeur l'obligation d'accorder des pauses repas et des périodes de repos aux employés préposés à l'exploitation; deuxièmement, le cas échéant, il faut déterminer quelles circonstances pourraient être considérées comme des nécessités du service et assureraient que l'employeur s'acquitte de cette obligation; troisièmement, il faut établir si les circonstances ayant mené aux griefs contrevenaient à la clause 21.14 - selon l'arbitre, le libellé de la clause 21.14 devait être interprété dans le contexte de la convention collective dans son ensemble et, même si les pauses repas et les périodes de repos n'étaient pas définies dans la convention collective, il fallait s'appuyer sur le bon sens - l'arbitre a statué que les fonctions et responsabilités des officiers des SCTM affectés à l'exploitation au centre de Comox ont été décrites de manière explicite par les témoins et étaient semblables à celles des contrôleurs aériens - l'arbitre a donc accepté la << norme >> énoncée par l'arbitre dans la décision Lawes et autres qui concluait que, dans les circonstances où les employés doivent avoir l'esprit lucide, posséder une bonne vue, être capables de se concentrer et aussi de réagir efficacement et avec discernement, il est permis de croire que les parties voulaient que les préposés à l'exploitation bénéficient de pauses repas et de pauses de détente, sauf dans les conditions nettement imprévisibles et exceptionnelles - l'arbitre a statué que les officiers des SCTM avaient besoin de pauses repas et de périodes de repos pour assumer leurs fonctions de manière efficace - l'arbitre a conclu qu'aucune circonstance inhabituelle ou exceptionnelle survenue aux dates visées par les griefs ne permettait d'expliquer l'absence d'un autre employé pouvant remplacer les préposés à l'exploitation pendant leurs pauses repas et leurs périodes de repos - par conséquent, l'arbitre a conclu que l'employeur était responsable de son inaptitude à accorder des pauses repas et des périodes de repos aux fonctionnaires s'estimant lésés aux dates visées par les griefs et qu'il avait enfreint la clause 21.14 de la convention collective en n'accordant pas de pauses repas et de périodes de repos. Griefs accueillis. Décisions citées : Lawes et autres (166-2-6437 à 6440, 6666, 6473, 6474, et 7026 à 7029); Kerr et autres (166-2-14395 et 14396, 14475, 14516 et 14517); Randall et autres (166-2-4828 à 4831); Noakes (166-2-9688); Cloutier et autres (166-2-23628, 23795 et 23797 à 13799).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-11-03
  • Dossiers:  166-2-30995, 166-2-30996
  • Référence:  2003 CRTFP 99

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

SCOTT HODGE ET TYEE CUNNINGHAM
fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Pêches et Océans Canada)

Employeur

Devant :   Léo-Paul Guindon, commissaire

Pour les fonctionnaires
s'estimant lésés
:  
Abe Rosner, TCA, section locale no 2182

Pour l'employeur :  Neil McGraw, avocat


Affaire entendue à Comox (C.-B.),
les 8 et 9 juillet 2003.


[1]    Les présents renvois à l'arbitrage portent sur les griefs déposés par Scott Hodge et Tyee Cunningham, des officiers des Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) au service de Pêches et Océans Canada, au centre des opérations de Comox.

[2]    Ils contestent le fait qu'on leur ait refusé les pauses de repas et les périodes de repos prévues dans leur convention collective, le 10 décembre 2000, dans le cas de M. Cunningham, et le 30 décembre 2000, dans le cas de M. Hodge.

[3]    Le paragraphe 21.14 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l'Association canadienne des professionnels de l'exploitation radio (code : 409/2000; date d'expiration : 30 avril 2001) se lit comme suit :

Périodes de repos - préposés à l'exploitation

21.14 Lorsque les nécessités du service le permettent, l'Employeur accorde des pauses repas et des périodes de repos aux employés préposés à l'exploitation.

[4]    Le centre des SCTM à Comox dispose de trois postes de préposés à l'exploitation - un préposé assure la régulation du trafic et les deux autres sont responsables des communications radios (postes de sécurité 1 et 2). Comox est le centre de surveillance désigné du Système mondial de localisation différentiel (DGPS) pour la côte de la Colombie-Britannique. Le trafic maritime consiste essentiellement en des traversiers, remorqueurs, bateaux de pêche, paquebots de croisière longeant la côte intérieure et en un volume élevé de bateaux de plaisance pendant la période estivale. Le centre de Comox est en fonction 24 heures sur 24, sept jours sur sept, pendant toute l'année. Les employés préposés à l'exploitation (officiers des SCTM) travaillent selon des quarts de 12 heures et occupent les trois postes par roulement aux quatre heures.

[5]    Le « Rapport du Comité permanent des Pêches et des Océans » (pièce E-8) décrit le rôle des SCTM comme suit :

[Traduction]

Le rôle des SCTM

Dans le cadre de leur mandat, les SCTM assument les fonctions suivantes :

  • Assurer une surveillance constante des fréquences internationales de détresse et d'appel afin de détecter les situations de détresse et d'aviser les autorités, telles que Recherche et Sauvetage et Intervention environnementale. Diffuser des renseignements liés à la sécurité maritime comme des bulletins météorologiques, des renseignements sur les glaces et des avis à la navigation concernant les dangers à la navigation.
  • Contrôler les navires pour assurer que les embarcations qui pénètrent dans les eaux canadiennes respectent les normes de sécurité canadiennes et mettre en oeuvre des mesures réglementaires visant les navires qui présentent des défectuosités afin de réduire au maximum les risques de pollution marine et les menaces à la sécurité de la navigation.
  • Régulariser le trafic maritime afin d'accroître la sécurité de la navigation. Formuler des recommandations et des directives et, dans certains cas, restreindre le trafic maritime. Assurer une surveillance spéciale pour conserver et protéger l'environnement à l'appui d'autres ministères et organismes du gouvernement comme Environnement Canada, la GRC, Agriculture et Agroalimentaire Canada, Transports Canada et la Défense nationale.
  • Gérer le système d'information maritime intégré répondant à des avantages économiques et des intérêts nationaux. Fournir des renseignements maritimes à l'industrie et à d'autres ministères, notamment la Défense nationale.
  • Assurer des services de correspondance publique visant à faciliter les communications entre les navires afin d'aider les expéditeurs et leurs agents en transmettant les messages de nature commerciale ou privée.


Les clients des SCTM sont notamment les navires commerciaux, les traversiers et les navires du gouvernement; les bateaux de pêche; les embarcations de plaisance; le public canadien; d'autres ministères et organismes du gouvernement; des organismes d'autres pays; les ports, les propriétaires et pilotes de navires et autres intervenants du secteur maritime.

[6]    Les témoins ont insisté sur le volet de la sécurité de leurs fonctions qui font appel à une vivacité d'esprit et une disponibilité constantes afin de composer avec un éventail de situations potentiellement dangereuses pouvant survenir de manière soudaine et inattendue.

[7]    Ils se plaignent de ne pas pouvoir prendre de pauses repas et de périodes de repos et de devoir travailler des quarts complets alors que seuls trois employés sont en fonction. Cette situation est survenue les jours visés par les griefs, pendant les quarts de nuit et de jour du 10 décembre 2000 et les quarts de nuit du 30 décembre 2000. La pièce E-3 montre qu'en décembre 2000, un quatrième employé assigné à travailler pendant seulement six quarts a pu remplacer les trois officiers par roulement afin de leur permettre de prendre des pauses repas et des périodes de repos. Pendant tous les autres quarts, les officiers des SCTM ont dû prendre leurs repas et leurs périodes de repos à leur poste de travail.

[8]    Lorsque seulement trois employés font le roulement, ils ne peuvent s'absenter de leur poste de travail que pendant de très courtes périodes compte tenu qu'ils doivent assumer leurs fonctions de manière continue. Le National Standard Manual énonce les responsabilités des officiers des SCTM au paragraphe 17.4 :

[Traduction]

17.4 Fin de la garde

  1. Un officier des SCTM ne quitte pas le poste de travail qui lui est assigné à moins d'être remplacé par un autre employé qualifié. L'officier en service :
    1. informe en détail l'officier des SCTM qui prend sa relève;
    2. exécute les fonctions nécessitant une attention spéciale et ne pouvant pas être effectuées par l'officier des SCTM prenant la relève;
    3. signe le registre pertinent.

[Souligné ajouté par le soussigné.]

[9]    Pour être qualifiés, les employés doivent suivre une formation de 18 mois et ne peuvent pas arrêter de travailler pendant plus de 90 jours, à défaut de quoi ils perdront leurs qualifications.

[10]    Dans le cadre de leur travail, les officiers des SCTM doivent transporter des moniteurs de surveillance lorsqu'ils quittent leur poste de travail pendant de courtes périodes pour prendre l'air à l'extérieur ou réchauffer leur repas dans le micro-onde. Grâce à ces moniteurs, ils peuvent entendre les appels entrants et les conversations avec d'autres officiers du centre des opérations. Si un appel est reçu d'un navire ou qu'une urgence survient, l'officier doit retourner immédiatement à son poste de travail afin de résoudre adéquatement la situation. Les fonctionnaires s'estimant lésés croient que, du fait qu'ils doivent transporter le moniteur pour suivre ce qui se passe au poste de travail, cette période ne constitue pas une véritable pause de détente.

[11]    Il arrive qu'un officier du centre des opérations assume les fonctions d'un autre officier en assurant ce dernier qu'il prend la situation en main. Selon les fonctionnaires s'estimant lésés, cette situation est exceptionnelle et va à l'encontre de la règle stipulée au paragraphe 17.4 du National Standard Manual. L'employeur croit que cette pratique témoigne de l'esprit d'équipe qui devrait exister chez les officiers des SCTM affectés au centre des opérations.

[12]    Les fonctionnaires s'estimant lésés ont demandé d'avoir des pauses repas et des périodes de repos aux dates des griefs. L'employeur a refusé au motif qu'ils ne pouvaient pas s'absenter de leur poste de travail sans être remplacés par un autre employé qualifié. Ces motifs renvoient aux exigences du paragraphe 17.4 du National Standard Manual (pièce E-4), bien que l'employeur n'en fasse pas mention dans sa réponse.

[13]    Au centre des SCTM de Comox, les officiers du centre des opérations sont autorisés à manger et à boire à leur poste de travail, et ils prennent leurs pauses repas et leurs périodes de repos tout en assumant leurs fonctions. Selon les fonctionnaires s'estimant lésés, cette situation s'ajoute au stress relié à leur fonctions et réduit la vigilance physique et mentale qu'impose leur travail.

[14]    Selon le témoignage de Andrew Nelson, spécialiste principal des programmes intérimaire, les besoins en matière de dotation respectent habituellement la norme de dotation des postes de 5,5 employés pour chaque poste de travail. Par conséquent, pour combler les trois postes de préposés à l'exploitation du centre de Comox, il faut 17 employés pour se conformer à la norme.

[15]    En décembre 2000, 17 employés travaillaient à l'exploitation du centre des SCTM de Comox; 11 étaient classifiés comme opérateurs radios (grille 1, niveau RO-3). L'un de ces derniers (E. Lange) était en congé de maladie pendant le mois de décembre au complet. Six employés avaient été nommés comme superviseurs et travaillaient aux trois postes de préposés à l'exploitation. L'un des superviseurs (B. Silzer) occupait le poste d'officier responsable à titre intérimaire et n'assumait donc pas les tâches des préposés à l'exploitation. Par conséquent, en décembre 2000, 15 employés étaient disponibles pour occuper un poste de préposé à l'exploitation du centre des SCTM de Comox.

[16]    Malgré le fait que de nouvelles dispositions aient été incluses dans la nouvelle convention collective au chapitre des congés, la norme de dotation n'a pas été modifiée de sorte à permettre l'application de ces nouvelles dispositions. Par conséquent, les heures supplémentaires effectuées par les employés augmentent (de 5 376 heures en 2000 (pièce E-5) à 5 952 heures en 2001 (pièce E-6)). Chaque employé de Comox a effectué en moyenne 350 heures supplémentaires en 2001 (5 952 heures divisées par 17 employés). Cette moyenne est supérieure à la moyenne des heures supplémentaires effectuées à l'échelle nationale, qui est de 268,82 heures (pièce E-7). En contre-interrogatoire, M. Nelson a affirmé être d'accord avec l'analyse faite aux paragraphes 2.1 et 2.2 du rapport du projet sur les pratiques exemplaires (pièce E-9), qui se lisent comme suit :

[Traduction]

2. NORME DE DOTATION DES SCTM

2.1    Contexte

[…]

La norme courante en matière de dotation aux SCTM est de 5,5 personnes par poste de travail. Cette norme a été établie lors de l'intégration des SCTM, au début des années 90, et constituait un compromis entre les normes d'alors relatives aux services de trafic maritime et à la radiotélégraphie. Le nombre d'officiers dont le centre des SCTM doit être doté représente le produit du nombre de postes de travail et de la norme de dotation. Si le produit est un nombre fractionnaire (p.ex. 3 postes de travail x 5,5 = 16,5), la norme prévoit l'arrondissement au nombre supérieur. Par conséquent, il faudrait l'embauche de 17 officiers. Pour être considéré comme ayant un effectif complet, un centre des SCTM doit disposer d'un nombre d'employés disponibles pour travailler équivalent au nombre requis.

Les officiers des SCTM ont manifesté des préoccupations à l'égard de la validité de la norme de 5,5. Il semble que les absences réelles excèdent les absences prévues, ce qui entraîne une pénurie d'officiers disponibles pour doter les postes de travail. En raison de cette pénurie, les officiers doivent effectuer des heures supplémentaires.

2.2    Analyse

On a demandé à Conseil et Vérification Canada d'examiner la norme de dotation des SCTM et, dans le cadre de cet examen, d'accorder une attention particulière aux dépenses liées aux heures supplémentaires. Lorsque le conseil de gestion de la Garde côtière canadienne a approuvé la charte du projet sur les pratiques exemplaires, il a clairement indiqué que tout changement à la norme de dotation ne serait pas considéré sans une évaluation de son incidence sur les heures supplémentaires.

[…]

[17]    Selon M. Nelson, l'ajout d'effectifs réduirait sans contredit les heures supplémentaires et permettrait aux employés de prendre des pauses repas et des périodes de repos.

Plaidoiries

Plaidoirie des fonctionnaires s'estimant lésés

[18]    Le paragraphe 21.14 prévoit que l'employeur doit accorder des pauses repas et des périodes de repos aux employés, lorsque les nécessités du service le permettent. L'objet de cette disposition est énoncé à l'article 1 de la convention collective (paragraphes 1.01 et 1.02) qui précise que les conditions de travail visent à assurer la santé et la sécurité des employés afin de desservir efficacement la population canadienne.

[19]    L'agent négociateur devait démontrer que l'employeur n'avait pas accordé de pauses repas et de périodes de repos aux employés préposés à l'exploitation, alors que les nécessités du service le permettaient. L'agent négociateur s'est acquitté du fardeau dans les deux cas.

[20]    La preuve démontre que le fait d'assurer la garde de manière continue ne correspond pas à l'interprétation fondée sur le bon sens d'une pause, qui est assimilée à une interruption du travail. Une période de repos ne consiste pas à demeurer assis à un poste de travail et à continuer d'assumer toutes les fonctions reliées à un poste. Le travail n'est jamais interrompu lorsqu'il faut transporter un moniteur pour entendre ce qui se passe et être ainsi en mesure de réagir sans délai lorsqu'une situation survient. Les employés n'ont d'autres choix que de prendre leurs repas à leur poste de travail parce qu'ils sont responsables en tout temps, s'il n'y a personne de disponible pour les remplacer. Lorsque seulement trois employés sont affectés aux postes de préposés à l'exploitation, il leur est impossible de se faire remplacer pour prendre des pauses repas et des périodes de repos.

[21]    Au premier palier de la procédure de règlement des griefs (pièce E-10), l'employeur a admis ne pas avoir accordé de pauses parce que les nécessités de service ne le permettaient pas. L'employeur n'a pas démontré qu'une situation exceptionnelle l'empêchant d'accorder des pauses repas et des périodes de repos était survenue aux jours visés par les griefs, les 10 et 30 décembre 2000.

[22]    Le centre des SCTM de Comox souffre d'un manque criant de personnel, comme en témoigne le nombre d'employés disponibles pour la planification des quarts de travail en décembre 2000. Il manque deux employés au centre de Comox pour respecter la norme de dotation de 5,5 employés par poste de travail. La moyenne de 350 heures supplémentaires de travail par employé à Comox, qui est de beaucoup supérieure à la moyenne nationale de 269 heures, témoigne clairement du manque de personnel.

[23]    Selon les interprétations de dispositions semblables d'autres conventions collectives faites par des arbitres, l'employeur doit accorder des pauses repas et des périodes de repos aux employés, si les nécessités de service le permettent. Il faut déterminer de manière ponctuelle si les nécessités du service permettent d'accorder des pauses.

[24]    L'employeur ne peut pas s'appuyer sur la pénurie de personnel pour invoquer les nécessités du service et se soustraire ainsi à l'obligation d'accorder des pauses. L'employeur devrait disposer d'un nombre suffisant d'employés pour s'acquitter de ses obligations aux termes de la convention collective.

[25]    Le représentant des fonctionnaires s'estimant lésés a invoqué la jurisprudence suivante pour soutenir sa position : Randall et autres (dossiers de la Commission 166-2-4828 à 4831), Lawes et autres (dossiers de la Commission 166-2-6437 à 6440, 6666, 6473 et 6474 et 7026 à 7029), Noakes (dossier de la Commission 166-2-9688), Randall et Yates (dossiers de la Commission 166-2-13810 et 13811), Baker (dossier de la Commission 166-2-16090), Dooling (dossier de la Commission 166-2-16387), Shield (dossier de la Commission 166-2-16410), Newell et Haliburton (dossiers de la Commission 166-2-16637 et 17187), Drolet et Tremblay (dossiers de la Commission 166-2-17046 et 17047), MacDonald et Kelly (dossiers de la Commission 166-2-20526 et 20527), Rooney (dossier de la Commission 166-2-21306), Graham (dossier de la Commission 166-2-21414), MacGregor (dossier de la Commission 166-2-22489), Degaris (dossiers de la Commission 166-2-22490 et 22491), Cloutier et autres (dossiers de la Commission 166-2-23628, 23795 et 23797 à 23799), NavCanada and Canadian Air Traffic Control Association, [1998] C.L.A.D. Bi, 246, NavCanada and Canadian Air Traffic Control Association, [1998] C.L.A.D. No. 531, et Brown, 2002 CRTFP 59 (166-2-30651).

Plaidoirie de l'employeur

[26]    L'avocat de l'employeur soutient que l'agent négociateur n'a pas démontré que les nécessités du service permettaient d'accorder des pauses repas et des périodes de repos. L'agent négociateur ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve.

[27]    Depuis 1996, la même pratique s'applique aux périodes de pauses au centre des SCTM de Comox. Bien que la convention collective ait été renouvelée à deux reprises depuis cette date, aucune modification n'a été apportée au paragraphe 21.14.

[28]    Le bon sens amène à définir les pauses comme des périodes pour se reposer et manger. Dans la pratique, les employés sont tenus de se présenter à leur poste de travail pour répondre aux appels, mais les autres employés qui demeurent à leur poste de travail peuvent faire preuve d'un esprit d'équipe en s'occupant de ces appels.

[29]    Bien qu'ils ne restent pas à leur poste de travail pendant 12 heures continues, ils demeurent responsables en tout temps de leurs fonctions et leurs pauses repas et périodes de repos sont rémunérées. Ils mangent à leur poste de travail par choix. Ils peuvent prendre leur repas du midi à la cuisine et revenir à leur poste de travail lorsqu'ils reçoivent un appel et que les autres employés ne sont pas en mesure d'y répondre.

[30]    Même si l'employeur haussait la norme de dotation en embauchant de nouveaux employés, la possibilité d'accorder aux employés des pauses repas et des périodes de repos loin de leur poste de travail n'augmenterait pas. Une amélioration de la norme de dotation ne signifierait pas que quatre employés seraient disponibles pour assumer les trois postes de préposés à l'exploitation pendant tous les quarts de travail.

[31]    L'obligation qu'a l'employeur d'accorder des pauses repas et des périodes de repos est assujettie aux nécessités du service et il est obligatoire d'assurer une surveillance continue.

[32]    Il n'est pas possible en l'espèce de fixer une norme de pratique. Les options relatives à la dotation et à l'horaire de travail permettant de régler cette situation devraient faire l'objet de négociations. La dotation et l'établissement de l'horaire de travail relèvent exclusivement de l'employeur.

[33]    La preuve n'a pas démontré que les employés n'étaient pas en mesure de manger ou de prendre des périodes de repos. L'employeur a permis aux employés de manger et de se reposer, mais il n'avait pas l'obligation d'accorder des pauses loin des postes de travail.

[34]    La décision rendue dans l'affaire Green et autres (dossiers de la Commission 166-2-16474, 16516, 16676 et 16700 à 16702) porte sur un paragraphe semblable. L'arbitre a conclu ce qui suit :

         La clause 13.01b) n'oblige pas l'employeur à accorder des pauses-repas et des pauses de détente, et encore moins à prendre des mesures visant à permettre aux employés de prendre de telles pauses. Et elle ne l'oblige certainement pas à accorder un nombre donné de pauses d'une durée particulière à des moments précis pendant un poste. Enfin, l'employeur n'est pas obligé d'accroître ses effectifs au-delà de ce que nécessite le travail assigné, uniquement pour que les employés puissent prendre des pauses-repas ou des pauses de détente.

[35]    Dans l'affaire Viau et autres (dossiers de la Commission 166-2-16635, 16638 et 16703), l'arbitre a conclu que la décision à savoir si les nécessités du service permettent d'accorder des pauses alors qu'il n'y a qu'un seul contrôleur en service est une prérogative de la direction.

[36]    Le principe énoncé dans l'affaire Kerr et autres (dossiers de la Commission 166-2-14395 et 14396, 14475, 14516 et 14517) peuvent s'appliquer en l'espèce. Ce principe se lit comme suit :

         Dans le présent conflit, les faits indiquent que l'employeur n'a pas abusé de ses pouvoirs discrétionnaires. Il était raisonnable et prudent d'exiger que les infirmières restent disponibles pour dispenser leurs services professionnels en cas de besoin imprévu. Il aurait été superflu de demander à une autre infirmière de venir prendre la relève pour une demi-heure. Le fait d'exiger que l'employeur paie des heures supplémentaires pour avoir exercé les pouvoirs discrétionnaires que lui confère la clause 14.12 irait à l'encontre de cette disposition. Celle-ci vise clairement à permettre à l'employeur de confiner les employés à leur «lieu de travail» pendant leur pause-repas, sans restriction aucune.

[37]    L'employeur a accordé les pauses repas et les périodes de repos de sorte à respecter l'interprétation de la convention collective, et les griefs devraient être rejetés.

[38]    En réponse, le représentant des fonctionnaires s'estimant lésés a soutenu que l'employeur avait admis dans la décision relative au grief que l'employé ne pouvait pas obtenir une période de repos pendant son quart de travail parce qu'il était tenu d'assurer une surveillance continue et qu'aucun autre employé n'était en mesure de le remplacer.

[39]    La décision rendue dans l'affaire Green et autres (supra) va à l'encontre des positions prises dans toutes les autres affaires de même nature. Il a été soutenu dans celles-ci que l'employeur avait l'obligation d'accorder des pauses. L'affaire Kerr et autres (supra) porte sur une disposition en particulier et le grief est lié aux heures supplémentaires.

Motifs de la décision

[40]    Le libellé du paragraphe 21.14 doit être interprété dans le contexte de la convention collective dans son ensemble. Comme les pauses repas et les périodes de repos ne sont pas définies dans la convention collective, il faut s'appuyer sur le bon sens.

[41]    Les fonctions et responsabilités des officiers des SCTM affectés à l'exploitation au centre de Comox qui sont décrites de manière explicite par les témoins sont semblables à celles des contrôleurs aériens dans l'affaire Lawes et autres (supra). L'arbitre a souligné l'importance des pauses pour ces employés :

. La nature des fonctions et responsabilités d'un préposé à l'exploitation est, à mon avis, un important élément à considérer. Lorsqu'elles ont négocié la convention dont il est question ici, les parties ne se trouvaient pas en vase clos et ne discutaient pas non plus d'obligations et de droits théoriques. En outre, elles n'étaient pas sans savoir que, dans l'exercice de ses fonctions, le contrôleur peut à tout moment avoir à subir une tension et un stress énormes. Elle savaient, et elles savent encore, que celui-ci doit avoir l'esprit lucide, posséder une bonne vue, être capable de se concentrer et aussi de réagir efficacement et avec discernement. Nul ne nie que le travail de contrôleur est exigeant et qu'il demande une vigilance de chaque instant. Dans ces circonstances, il est permis de croire que les parties voulaient que les préposés à l'exploitation bénéficient de pauses-repas et de pauses de détente, sauf dans les conditions nettement imprévisibles et exceptionnelles. Même si l'on fait abstraction des éléments de preuve précis présentés par les témoins, il est clair que tous savent, d'après l'expérience générale, que les pauses ne sont non seulement souhaitables au cours d'une journée de travail, mais qu'elles sont aussi essentielles à un rendement efficace. C'est pour cette raison que la plupart des employés bénéficient de pauses café et de pauses repas dans le cours normal du travail quotidien.

Il est logique de croire que les parties connaissaient cette norme et qu'elles la connaissent encore. Il serait donc difficile d'imaginer qu'on ait pu considérer que des personnes dont le travail est astreignant, dont les fonctions exigent de la vivacité d'esprit et de la concentration et qui doivent assumer de graves responsabilités avaient renoncé au droit de prendre une pause de détente au cours d'une période de travail de 8 ¼ heures. On aurait plutôt tendance à penser que l'intérêt public exige que les contrôleurs prennent « des pauses-repas et des pauses de détente » à moins que des circonstances exceptionnelles ne les en empêchent.

[42]    Je suis d'accord avec la définition de « norme » faite par l'arbitre Mitchell et avec le fait que la « norme » prenne une importance particulière dans le cas du centre des SCTM de Comox où les employés travaillent pendant des périodes de 12 heures. Je considère que les officiers des SCTM ont besoin de pauses repas et de périodes de repos pour assumer leurs fonctions de manière efficace.

[43]    La preuve démontre que, les 10 et 30 décembre 2000, les deux fonctionnaires s'estimant lésés n'ont pas pu obtenir de périodes de repos pendant leurs quarts. Ils se sont plaints de ne pas pouvoir prendre de périodes de repos lorsque seulement trois employés étaient en fonction, parce que personne ne pouvait les remplacer à leur poste de travail. Ils peuvent quitter leur poste de travail pendant de très courtes périodes pour aller chercher un breuvage, réchauffer leur repas dans le micro-onde ou aller à la toilette. Pendant ces courtes périodes, les officiers doivent transporter un moniteur afin d'entendre ce qui se passe à leur poste de travail et y retourner immédiatement pour répondre aux appels entrants. Pendant ces courtes périodes, les fonctionnaires s'estimant lésés doivent toujours s'acquitter personnellement des obligations reliées à leur travail. Le travail d'équipe que l'employeur veut encourager n'est pas compatible avec les responsabilités des officiers des SCTM énoncées au paragraphe 14.7 du National Standard Manual.

[44]    La définition fondée sur le bon sens de « pause » désigne une période au cours de laquelle l'employé peut se détendre ou l'acheminement de son travail est modifié, surtout s'il travaille dans un environnement stressant. Je ne considère pas que les très courtes périodes d'absence des fonctionnaires s'estimant lésés de leur poste de travail constituent des pauses repas et des périodes de repos au sens attribué aux termes du paragraphe 21.14, puisqu'ils transportent un moniteur pour demeurer en disponibilité ou qu'ils mangent leur repas à leur poste de travail. Dans les présents griefs, l'employeur n'a pas accordé de pauses repas et de périodes de repos au sens commun de ces mots.

[45]    Dans l'affaire Kerr et autres (supra), les infirmières et les infirmiers avaient demandé à l'employeur de prendre leurs pauses repas à leur lieu de travail, dans le coin-repas de l'infirmerie. Pendant leurs pauses repas, les infirmières et les infirmiers ne sont pas tenus d'assumer leurs fonctions. Cette décision ne s'applique pas en l'espèce parce que les fonctionnaires s'estimant lésés sont tenus d'assumer leurs fonctions normales (surveillance constante) pendant les pauses repas et les périodes de repos.

[46]    Les circonstances décrites dans ces affaires amènent à poser trois questions. En premier lieu, le paragraphe 21.14 impose-t-il à l'employeur l'obligation d'accorder des pauses repas et des périodes de repos aux employés préposés à l'exploitation? Deuxièmement, le cas échéant, quelles circonstances pourraient être considérées comme des nécessités du service et assureraient que l'employeur s'acquitte de cette obligation? Troisièmement, les circonstances ayant mené aux griefs contreviennent-elles au paragraphe 21.14?

[47]    L'interprétation de dispositions ayant un libellé semblable dans les affaires Lawes et autres (supra), Randall et autres (supra) et Noakes (supra) indique que l'employeur était formellement tenu d'accorder aux employés affectés à l'exploitation des pauses repas et des périodes de repos, si les nécessités du service le permettaient. Je souscris à cette interprétation et je conclus qu'elle devrait s'appliquer en l'espèce.

[48]    L'avocat de l'employeur a soutenu que les nécessités du service ne permettaient pas que les employés prennent des pauses aux dates visées par les griefs au motif que les préposés à l'exploitation doivent assurer une surveillance constante et qu'aucun autre employé ne pouvait les remplacer pendant une période de repos. Cet argument ne peut pas être retenu parce que la surveillance continue est une exigence normale de ces postes. Aucune circonstance inhabituelle ou exceptionnelle survenue aux dates visées par les griefs ne permet d'expliquer l'absence d'un autre employé pouvant remplacer les préposés à l'exploitation pendant leurs pauses repas et leurs périodes de repos. Je ne considère pas le congé d'invalidité de longue durée de M. Lange et la nomination intérimaire de M. Silzer comme des circonstances exceptionnelles. L'employeur aurait pu prévoir ces circonstances à l'avance.

[49]    Les fonctionnaires s'estimant lésés ont soutenu qu'il manquait deux employés aux effectifs au centre des SCTM de Comox en décembre 2000. L'horaire de travail de décembre 2000 (pièce E-3) démontre que seulement trois employés étaient disponibles pour assumer les tâches des trois postes de préposés à l'exploitation pendant pratiquement la totalité du quart de travail.

[50]    Dans sa décision relative au grief (pièce E-10), l'employeur a admis qu'aucun des deux autres employés travaillant aux quarts du 10 et 30 décembre n'étaient en mesure de remplacer les fonctionnaires s'estimant lésés pour qu'ils puissent prendre des pauses. L'horaire de décembre 2000 montre que cette situation s'est produite pour la grande majorité des quarts de travail de ce mois. Le représentant des fonctionnaires s'estimant lésés a démontré que l'employeur n'a pas accordé de pauses repas et de périodes de repos aux employés le 10 et le 30 décembre 2000. Il a également établi qu'aucune circonstance exceptionnelle n'est survenue à ces dates pour permettre d'invoquer les nécessités du service.

[51]    La norme habituelle de dotation de 5,5 employés par poste de travail n'a pas été respectée pendant le mois de décembre 2000, alors que 15 employés étaient disponibles pour occuper trois postes de préposés à l'exploitation au lieu de 17. L'horaire des quarts pour le mois de décembre 2000 montre que parmi les 17 employés, un était en congé de maladie de longue durée (E. Lange) et un autre (B. Silzer) occupait le poste de superviseur responsable à titre intérimaire. Comme personne ne les a remplacés à leur poste de travail, il ne restait que 15 employés disponibles pour assumer les fonctions.

[52]    Je suis d'accord avec l'affirmation suivante du président Tarte dans l'affaire Cloutier et autres (supra) :

         La norme n'a pas force de loi et ne fait pas partie de la convention collective. Elle est toutefois, et à tout le moins, une indication claire et précise de ce que la gestion pense être une pratique administrative saine en matière de dotation. Bien qu'un employeur n'est pas tenu de suivre à la lettre ses propres procédures administratives, il ne faut pas non plus verser dans le nihilisme et permettre à un employeur de déroger à l'application de ses propres politiques à tout moment comme bon lui semble. Dans une cause comme celle-ci, la norme relative à la dotation en personnel est un outil extrêmement pertinent pour la détermination de la question centrale au litige à savoir si l'employeur s'était doté d'un effectif suffisant pour répondre à ses obligations contractuelles.

[53]    En me laissant guider par la norme, comme dans l'affaire Cloutier et autres (supra), je conclus que l'employeur était responsable de son inaptitude à accorder des pauses repas et des périodes de repos aux fonctionnaires s'estimant lésés aux dates visées par les griefs.

[54]    La valeur probante de la jurisprudence de la Commission portant sur des dispositions semblables au paragraphe 21.14 appuie la conclusion que le libellé de la disposition crée une obligation pour l'employeur de disposer du nombre suffisant d'employés afin de permettre aux employés affectés à l'exploitation de prendre des pauses repas et des périodes de repos. Je suis d'accord avec la conclusion de l'arbitre dans l'affaire Randall et autres (supra) :

         ... l'employeur est bel et bien tenu de fournir suffisamment de personnel pour permettre aux préposés à l'exploitation de prendre des pauses-repas et des pauses de détente d'une durée raisonnable, sauf lorsque des conditions exceptionnelles rendent ces pauses impossibles.

[55]    Le libellé de l'alinéa 13.02(d) invoqué dans l'affaire Randall et autres était semblable à celui du paragraphe 21.14 en l'espèce, et j'en conclus que, dans les circonstances des présents griefs, aucune condition opérationnelle inhabituelle ayant pu rendre ces pauses impossibles n'est survenue.

[56]    Pour tous ces motifs, je déclare que l'employeur a enfreint le paragraphe 21.14 de la convention collective en n'accordant pas de pauses repas et de périodes de repos lors des quarts de travail du 10 et du 30 décembre 2000, tel que prétendu dans les deux griefs.

[57]    Par conséquent, les griefs sont accueillis.

Léo-Paul Guindon,
commissaire

OTTAWA, le 3 novembre 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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