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Résumé :

Mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire présumée - Mesure administrative - Prime de service extérieur - Compétence - le fonctionnaire s'estimant lésé est un FS-02 du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et travaillait à Manille (Philippines) - en raison d'inquiétudes relativement à certains commentaires faits par le fonctionnaire s'estimant lésé dans ses notes d'évaluation des demandes d'immigration, à l'annulation par le fonctionnaire s'estimant lésé de décisions prises par d'autres agents et de son taux de rejet de demandes, l'employeur a décidé de le rappeler à Ottawa avant la fin de son affectation - comme le fonctionnaire s'estimant lésé ne pouvait plus toucher sa prime de service extérieur, il alléguait qu'il s'agissait d'une forme déguisée de mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire - l'arbitre était convaincue que l'employeur éprouvait des inquiétudes légitimes au sujet du rendement du fonctionnaire s'estimant lésé et a statué que la preuve ne permettait pas de conclure que l'employeur avait agi de mauvaise foi ou qu'il avait eu recours à un subterfuge - elle a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé ne s'était pas déchargé du fardeau d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que le rappel constituait une mesure disciplinaire - les faits permettaient de conclure que la réponse de l'employeur au comportement du fonctionnaire s'estimant lésé était une mesure administrative destinée à satisfaire à des exigences opérationnelles, compte tenu que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a perdu ni son salaire, ni son emploi, mais seulement un avantage que procurait cette affectation - la perte de l'avantage ne visait pas à le punir, mais constituait plutôt une conséquence indirecte du rappel de son poste à l'étranger - l'arbitre a donc conclu qu'elle n'était pas compétente en la matière - subsidiairement, elle était d'avis que, même si elle avait tenu pour acquis que l'employeur avait l'intention de punir une inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé, elle aurait conclu que le rappel, ainsi que la perte de la prime de service extérieur qui en découle, étaient une réaction raisonnable au défaut du fonctionnaire s'estimant lésé de mettre un terme à la rédaction de commentaires inadmissibles.Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  20040213
  • Dossier:  166-2-31001
  • Référence:  2004 CRTFP 7

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique


ENTRE

ALAIN GINGRAS

fonctionnaire s'estimant lésé

et

Conseil du Trésor
(Citoyenneté et Immigration Canada)

employeur



Devant:
Marguerite-Marie Galipeau, présidente suppléante
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Ron Cochrane, Association professionnelle des agents du service extérieur
Pour l'employeur:
Harvey Newman, avocat
Audience tenue à Ottawa (Ontario),
le 23 avril et du 13 au 15 août 2003.

[1]    Alain Gingras (le « fonctionnaire s'estimant lésé ») a renvoyé un grief à l'arbitrage en vertu du sous-alinéa 92(1)b)(i) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), reproduit ci-après :

         92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :


[...]

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire [...];

[2]    Le fonctionnaire s'estimant lésé occupe un poste d'agent d'immigration (FS-02) au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada. Il travaille à Ottawa depuis les événements qui ont donné lieu à son grief et mené à son départ de Manille, aux Philippines.

[3]    Son grief, daté du 17 mai 2001, se lit comme suit :

Je désire déposer un grief contre la décision de l'employeur de mettre un terme à mon affectation pour raison présumée d'inconduite.

Mesures correctives demandées

Je désire que la décision soit cassée et retirée de mon dossier. Je désire également que soit retiré de mon dossier tout document relatif à cette décision et que ces documents me soient remis.

[4]    Au moment du renvoi à l'arbitrage en novembre 2001, le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé, Ron Cochrane, a écrit ce qui suit à la Commission :

[Traduction]

[...]

On a mis fin à une affectation de M. Gingras aux Philippines un an après son arrivée en poste là-bas pour cause d'inconduite alléguée. Le fait qu'on ait mis prématurément fin à l'affectation de M. Gingras lui a causé une sanction pécuniaire.

[5]    Le 13 décembre 2001, l'employeur s'est opposé au renvoi du grief à l'arbitrage dans les termes suivants.

[Traduction]

[...]

         Nous soumettons respectueusement qu'un arbitre de griefs n'a pas compétence pour instruire cette affaire, car elle ne satisfait pas aux critères énoncés à l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, du fait que la décision de la direction de mettre fin à la nomination de M. Gingras à un poste d'agent des visas à Manille ne constituait pas une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire.

[...]

[6]    À l'audience initiale, l'employeur s'est objecté à la compétence d'un arbitre de griefs pour entendre l'affaire pour deux raisons : 1) à sa lecture même, le grief ne contient aucune allégation relative à une mesure disciplinaire, et 2) la décision de rappeler le fonctionnaire s'estimant lésé était une décision administrative et non une mesure disciplinaire.

[7]    Le 7 mai 2002, j'ai rendu une décision préliminaire (2002 CRTFP 46) sur le caractère arbitrable du grief de M. Gingras.

[8]    Dans cette première décision, j'ai rejeté le premier motif d'objection de l'employeur. La présente décision porte sur la deuxième objection de l'employeur concernant la compétence de l'arbitre de griefs, ainsi que sur le bien-fondé du grief.

[9]    L'audience a repris le 23 avril 2003. À l'ouverture, l'avocat de l'employeur a demandé la remise de l'audience au motif que son témoin se trouvait en Inde pour prendre soin d'un nouveau-né. Après avoir entendu les représentations des deux parties sur cette question, j'ai accueilli la demande de remise.

[10]    L'audience a repris le 13 août 2003. La preuve peut se résumer dans les termes suivants.

[11]    Murray Oppertshauser, gestionnaire du programme d'immigration, a déclaré dans son témoignage, que le rôle du fonctionnaire s'estimant lésé à titre d'agent du programme d'immigration consistait à recevoir des demandes d'immigration, à les évaluer en conformité avec la Loi sur l'immigration et son règlement d'application, et à déterminer si les demandeurs étaient admissibles à immigrer au Canada. Les notes (les notes du CAIPS) prises par le fonctionnaire s'estimant lésé constituaient un élément essentiel du processus et faisaient partie du dossier. La Cour fédérale les considère comme faisant partie de la preuve, et elles constituent souvent le fondement des demandes de contrôle judiciaire.

[12]    À maintes reprises, M. Oppertshauser a rappelé aux agents, y compris au fonctionnaire s'estimant lésé, avec quel soin ils devaient rédiger leurs notes. M. Oppertshauser a témoigné que lui-même et d'autres personnes, dont Mme Lebrun, la superviseure du fonctionnaire s'estimant lésé, avaient fait part à ce dernier des réserves que la direction avait au sujet des notes qu'il prenait. De plus, le fonctionnaire s'estimant lésé avait obtenu une formation sur la rédaction de notes (pièces E-6 et E-7).

[13]    Ninon Valade, une ancienne collègue du fonctionnaire s'estimant lésé, a déclaré lors de son témoignage, qu'en 1993, année au cours de laquelle elle occupait un poste d'agente générale des visas à Beijing, en Chine, elle avait examiné certaines notes du CAIPS rédigées par le fonctionnaire s'estimant lésé. Elle a informé ce dernier qu'à son avis, ces notes étaient inacceptables et risquaient d'entraîner son congédiement. Elle n'a pu se rappeler quelque réaction que ce soit de la part du fonctionnaire s'estimant lésé. Encore aujourd'hui, elle et le fonctionnaire s'estimant lésé entretiennent une bonne relation.

[14]    En 1997, Mme Valade est devenue sous-directrice principale chargée du personnel (région internationale). En 1998-1999, elle a eu une rencontre avec le fonctionnaire s'estimant lésé. Ce dernier était l'un des rares employés à ne pas être visé par la promotion massive des titulaires de postes FS-01 au niveau FS-02. Elle avait l'intention de discuter avec le fonctionnaire s'estimant lésé des raisons pour lesquelles il n'avait pas été promu et des moyens qu'il pouvait prendre pour s'améliorer. Plusieurs questions ont été abordées, plus particulièrement les notes du CAIPS. Elle lui a répété qu'elle jugeait ses notes inacceptables. Elle a indiqué clairement que les notes manquaient de professionnalisme, elle lui a donné des exemples et a insisté sur le fait qu'il devait limiter la portée de ses notes aux faits. Elle lui a dit également qu'il mettait en péril ses chances de promotion et qu'il se retrouverait un jour dans une situation difficile. D'après Mme Valade, le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas compris son point de vue. Elle a même dit au fonctionnaire s'estimant lésé qu'elle ne voudrait pas qu'il travaille pour elle parce qu'elle ne voudrait pas de ses notes. Mme Valade a témoigné qu'elle n'avait jamais vu de « notes aussi atroces ». Elle n'a joué aucun rôle dans le rappel de la Manille du fonctionnaire s'estimant lésé.

[15]    Le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé est le suivant.

[16]    Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pu se rappeler la conversation de 1993 avec Mme Valade, mais il a confirmé la conversation de 1998, au cours de laquelle Mme Valade a fait mention des réserves de la direction au sujet de son « style d'écriture ». Le fonctionnaire s'estimant lésé ne se rappelle pas avoir été informé par M. Oppertshauser que ses notes du CAIPS suscitaient certaines réserves. Plus tard dans son témoignage, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il était « possible » que M. Oppertshauser ait dit qu'il « avait des réserves » et que le fonctionnaire s'estimant lésé « devait limiter la portée de ses notes ». Le fonctionnaire s'estimant lésé a reconnu également que plus d'un superviseur avait exprimé des réserves concernant la pertinence de certains des commentaires qu'il avait formulés dans ses notes, et que sa superviseure immédiate, Mme Lebrun, avait pu dire qu'il allait « un peu loin dans ces notes ». Le fonctionnaire s'estimant lésé a admis également que Rick Shram l'avait rencontré et lui avait dit que « qualifier une personne d'imbécile n'était pas une bonne idée ».

[17]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que, en rétrospective et compte tenu des conséquences (il a été rappelé à Ottawa), il pouvait comprendre les objections de l'employeur à l'égard d'une partie du langage et des commentaires qu'il avait utilisés. Il pouvait comprendre, par exemple, que décrire un immigrant éventuel d'« abruti » pouvait être inadmissible. Le fonctionnaire s'estimant lésé a signalé que « rien de fâcheux ne s'était produit ». Il a bien admis que, si certains des demandeurs avaient vu ses commentaires à leur sujet, ils auraient pu être blessés. Il a également indiqué qu'il n'avait pas redoublé d'efforts pour changer sa façon de faire après avoir été informé que ses commentaires étaient inadmissibles, ajoutant que son principal problème tenait au fait qu'il n'était pas « au courant des conséquences ». Il a insisté sur le fait que personne ne lui a dit à quelque moment que ce soit que son « style d'écriture dans ses notes » risquait de mener à la fin de son affectation à l'étranger.

Arguments

[18]    Les arguments du représentant du fonctionnaire s'estimant lésé peuvent se résumer dans les termes suivants.

[19]    Il est injuste et injustifié de priver le fonctionnaire s'estimant lésé d'une procédure de contrôle en qualifiant une mesure d'« administrative ». L'employeur n'a allégué ni « inconduite » ni « incompétence ». Si le fonctionnaire s'estimant lésé a perdu son affectation pour motif d'inconduite ou d'incompétence alléguées, le grief doit être accueilli.

[20]    Un rappel anticipé d'une affectation comporte de graves conséquences pour la carrière d'un agent du service extérieur. Pour cette raison, les motifs qui fondent le rappel doivent être scrutés à la loupe.

[21]    Au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, l'employeur a qualifié les actions du fonctionnaire s'estimant lésé de « comportement inopportun » et indiqué qu'elles découlaient d'un « manque de jugement ». Ce « comportement inopportun », s'il relève de la maîtrise de l'employé, équivaut à une inconduite. Les raisons données par M. Oppertshauser se voulaient une réponse à l'inconduite : « Vous n'avez pas suivi les instructions ».

[22]    M. Oppertshauser l'a répété en contre-interrogatoire. Par conséquent, il ne fait aucun doute que le fonctionnaire s'estimant lésé a été pénalisé pour son omission de suivre les instructions que l'employeur lui avait données.

[23]    Donc, la question est de savoir si le fonctionnaire s'estimant lésé a obtenu des instructions claires. Si l'on se reporte à la preuve, il faut répondre à cette question par la négative. En outre, personne n'a dit au fonctionnaire s'estimant lésé, au cours de ses quatre affectations, que sa prise de notes était susceptible d'entraîner son rappel à Ottawa. La formation offerte au fonctionnaire s'estimant lésé n'a jamais été clairement liée à la qualité des notes qu'il prenait.

[24]    L'employeur a-t-il agi de bonne foi envers le fonctionnaire s'estimant lésé- Non. Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas eu la chance de s'améliorer. On a monté un dossier à son insu.

[25]    En résumé, le rappel du fonctionnaire s'estimant lésé était une mesure disciplinaire déguisée résultant d'une inconduite alléguée ayant revêtu la forme d'une négligence et d'une omission d'obéir aux ordres; l'existence de cette inconduite n'a pas été établie.

[26]    Le grief devrait être accueilli; il y a lieu d'ordonner à l'employeur de rétablir le fonctionnaire s'estimant lésé dans ses fonctions à Manille ou de lui accorder une autre affectation d'une durée de trois ans et de l'indemniser pour la perte financière qu'il a subie.

[27]    Les affaires Deering (dossier de la Commission 166-2-26518), Johnson (dossier de la Commission 166-2-26107) et Stitt (dossier de la Commission 166-2-25981) ont été citées.

[28]    Les arguments avancés par l'avocat de l'employeur peuvent être résumés dans les termes suivants.

[29]    Il s'agit de déterminer si le fonctionnaire s'estimant lésé a établi qu'une mesure disciplinaire a été prise et que celle-ci a entraîné une sanction pécuniaire; le cas échéant, la compétence de l'arbitre de griefs est démontrée.

[30]    Le fonctionnaire s'estimant lésé n'allègue pas qu'il y a eu mesure disciplinaire entraînant la suspension ou le licenciement. Par conséquent, le rétablissement dans son poste est exclu.

[31]    L'employeur n'est pas tenu d'établir quoi que ce soit; il n'a qu'à réfuter les allégations selon lesquelles il a, de mauvaise foi, pris une mesure disciplinaire déguisée entraînant une sanction pécuniaire. L'arbitre de griefs n'a pas la compétence de déterminer s'il convenait que l'employeur retire le fonctionnaire s'estimant lésé de son affectation à l'étranger.

[32]    On n'a pas mis fin à l'emploi du fonctionnaire s'estimant lésé, et ce dernier a conservé son niveau ainsi que sa rémunération, mais il a perdu son indemnité de service extérieur.

[33]    Les diplomates représentent le Canada à l'étranger et traitent avec le public. Une mission étrangère constitue une île canadienne dans un océan étranger, et la direction doit exercer une grande discrétion pour déterminer qui est apte à y occuper un poste et qui devrait y être maintenu en poste. Les circonstances pertinentes qu'il faut prendre en considération pour prendre cette décision incluent le rendement et l'inconduite. Le Canada ne devrait pas devoir maintenir un diplomate à l'étranger si ce dernier est jugé inapte à y occuper un poste. Il est important que la direction ait confiance en la capacité des diplomates de s'acquitter de leurs fonctions dans le respect des valeurs canadiennes.

[34]    Au 11 mai 2001, la direction avait perdu confiance dans la capacité du fonctionnaire s'estimant lésé d'exécuter ses tâches d'une manière acceptable; elle voyait en lui un risque et ne pouvait le garder en poste à Manille.

[35]    L'employeur n'avait pas l'intention de punir le fonctionnaire s'estimant lésé; il souhaitait plutôt protéger l'intégrité de la mission. La lettre du 11 mai 2001 (pièce E-4) n'était pas un document disciplinaire. Elle mettait un terme à l'affectation du fonctionnaire s'estimant lésé pour des raisons opérationnelles, et le fonctionnaire s'estimant lésé avait droit au remboursement de ses frais de réinstallation. Aucune mesure disciplinaire n'a été prise. Au contraire, il s'agissait d'une mesure administrative qui relevait du pouvoir de la direction. Un examen de la preuve indique que, par les commentaires que Mme Valade a formulés à plus d'une reprise, au moyen d'évaluations et par l'intermédiaire de ses superviseurs immédiats, Mme Lebrun et M. Shram, le fonctionnaire s'estimant lésé a été avisé que ses notes étaient inacceptables. Même les commentaires de M. Oppertshauser et le cours de formation ont permis au fonctionnaire s'estimant lésé de réaliser qu'il devait rédiger ses notes avec professionnalisme.

[36]    Il n'y a pas eu de subterfuge en vue de retirer au fonctionnaire s'estimant lésé son affectation sans aucune raison valide. La décision reposait sur des préoccupations valides et, bien que ni l'incapacité ni l'incompétence n'aient été alléguées, l'employeur se devait de prendre des mesures pour ne pas mettre la mission en péril. Il n'était pas nécessaire de prévenir encore expressément le fonctionnaire s'estimant lésé, puisque ce dernier n'a pas perdu son emploi, et qu'il a plutôt été simplement réaffecté, comme un employé permutant peut l'être. Il s'agit d'une prérogative nécessaire de l'employeur, dans la mesure où elle ne dissimule aucun subterfuge.

[37]    Il incombait au fonctionnaire s'estimant lésé de prouver la mauvaise foi. La preuve indique que M. Oppertshauser et les superviseurs du fonctionnaire s'estimant lésé éprouvaient des inquiétudes légitimes au sujet de la capacité du fonctionnaire s'estimant lésé d'exercer ses fonctions de manière acceptable. Il incombait à ce dernier de s'acquitter de la charge lourde d'établir la mauvaise foi.

[38]    En outre, même si le comportement du fonctionnaire s'estimant lésé équivalait à une inconduite, cela ne signifie pas que la mesure prise par l'employeur était de nature disciplinaire. La décision a été prise en fonction du comportement du fonctionnaire s'estimant lésé, mais la nature de la décision est demeurée « administrative ».

[39]    S'il est déterminé qu'il y a eu mesure disciplinaire, la seule mesure corrective possible se rapporte à la perte financière découlant de l'interruption prématurée de l'affectation.

[40]    Les affaires Genest (dossiers de la Commission 166-2-23133 et 149-2-125), Cochrane (2001 CRTFP 129) et Bailey (2001 CRTFP 70) ont été citées.

[41]    En contre-preuve, le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que les arguments de l'employeur donnaient lieu à l'application de deux poids deux mesures pour les agents du service extérieur vis-à-vis d'autres fonctionnaires. Il a ajouté que l'employeur ne pouvait être autorisé à imposer une mesure disciplinaire impunément sans que sa décision soit contrôlée par un arbitre de griefs. L'équité, l'impartialité et la transparence exigeaient que le fonctionnaire s'estimant lésé soit prévenu des conséquences susceptibles de se produire s'il persistait à maintenir son style particulier de rédaction de notes.

Motifs de la décision

[42]    Pour établir la compétence d'un arbitre de griefs, le fonctionnaire s'estimant lésé avait la charge de prouver qu'il avait été l'objet d'une « mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire », comme le prévoit le sous-alinéa 92(1)b)(i) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP).

[43]    L'employeur nie avoir eu l'intention de prendre une mesure disciplinaire et allègue que, en rappelant le fonctionnaire s'estimant lésé de son poste à l'étranger, il a pris une mesure administrative.

[44]    Il est clair, à la lecture de la lettre de l'employeur (pièce E-4) informant le fonctionnaire s'estimant lésé de son rappel à Ottawa, que l'employeur éprouvait des « inquiétudes » sérieuses au sujet du rendement du fonctionnaire s'estimant lésé, plus particulièrement à l'égard de ses notes du CAIPS. L'employeur craignait que les notes en question puissent laisser voir une « impartialité », un « préjudice », une « insensibilité culturelle », et il était d'avis qu'elles contenaient des « commentaires rédactionnels inacceptables ». L'employeur était également préoccupé par le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé avait infirmé les décisions d'autres agents, ainsi que par son taux de rejet de demandes. L'employeur avait des doutes sur l'équité dont le fonctionnaire s'estimant lésé devait faire preuve et la responsabilité qu'il devait assumer dans le contexte de décisions relatives à une sélection, et il mettait en doute sa « capacité de s'acquitter de manière satisfaisante des fonctions d'un agent d'immigration du service extérieur en poste à l'étranger ».

[45]    Ayant examiné la preuve documentaire et les témoignages, plus particulièrement les admissions faites par le fonctionnaire s'estimant lésé lui-même au cours du contre-interrogatoire, je suis convaincue que l'employeur éprouvait des inquiétudes légitimes au sujet du rendement de ce dernier.

[46]    La preuve ne permet pas de conclure que l'employeur a agi de mauvaise foi ou qu'il a eu recours à un subterfuge en rappelant le fonctionnaire s'estimant lésé à Ottawa. Certains rappels d'affectations à l'étranger peuvent être de nature disciplinaire. Cependant, il incombe au fonctionnaire s'estimant lésé de l'établir et, dans la présente affaire, je ne peux en arriver à la conclusion que la preuve établit, selon la prépondérance des probabilités, que le rappel constituait une mesure disciplinaire. Les faits permettent de conclure que la réponse de l'employeur au comportement du fonctionnaire s'estimant lésé était une mesure administrative destinée à satisfaire à des exigences opérationnelles (maintenir la qualité de son service selon ses propres normes) et motivée par le rendement insatisfaisant du fonctionnaire s'estimant lésé, à savoir la rédaction de commentaires dans les notes du CAIPS qui, a-t-il admis en contre-interrogatoire, étaient susceptibles de blesser les demandeurs si ces derniers venaient à en prendre connaissance.

[47]    Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas perdu son emploi, ni son salaire. Il travaille encore et il touche encore son salaire, mais dans un lieu géographique différent. Il a perdu une affectation à l'étranger et les avantages que procurait cette affectation. La perte de ces avantages n'est pas motivée par l'intention de le punir en l'en privant. Elle est plutôt une conséquence indirecte du fait que le fonctionnaire s'estimant lésé n'est plus affecté à l'étranger et qu'il travaille à Ottawa à la place. Compte tenu de ma conclusion que le rappel n'était pas de nature disciplinaire, la question de savoir si la perte de la prime constitue une sanction pécuniaire ne se pose pas. Cela étant dit, le fonctionnaire s'estimant lésé travaille maintenant à Ottawa et, parce qu'il travaille dans cette ville, il n'a pas davantage droit à de tels avantages que ses collègues d'Ottawa.

[48]    Tous les rappels à Ottawa ne sont pas des mesures disciplinaires, et la perte d'avantages découlant des rappels ne constitue pas automatiquement une « sanction pécuniaire ». L'employeur conserve la possibilité de rappeler, de bonne foi, des employés dont le rendement, s'il n'est pas satisfaisant, ne justifie toutefois pas la prise d'une mesure disciplinaire.

[49]    Bref, je suis d'avis que la décision de rappeler le fonctionnaire s'estimant lésé a été prise de bonne foi et que, bien qu'elle ait suscité une certaine frustration chez ce dernier, elle ne se voulait pas une mesure disciplinaire. Par conséquent, la deuxième objection de l'employeur est accueillie, et j'en arrive à la conclusion que je n'ai pas compétence.

[50]    Subsidiairement, dans la présente affaire, je suis d'avis que, même si je tenais pour acquis que l'employeur avait l'intention de punir une inconduite de l'employé, je conclurais, compte tenu des notes déposées en preuve et du contexte particulier, que le rappel, ainsi que la perte de la prime de service extérieur qui en découle, étaient une réaction raisonnable à l'omission de l'employé de mettre un terme à la rédaction de commentaires inadmissibles.

[51]    Pour ces motifs, le grief est rejeté.

Marguerite-Marie Galipeau,
présidente suppléante

OTTAWA, le 13 février 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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