Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Décision supplémentaire - Compétence - Dommages-intérêts majorés faisant suite à l'annulation du licenciement par l'arbitre - le 11 avril 2002, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) a rendu une décision concernant la suspension et le congédiement subséquent d'un agent correctionnel, par laquelle elle a remplacé le licenciement par une suspension (d'une durée de près de 11 mois), et elle est demeurée saisie de l'affaire en ce qui concerne l'application de la décision - Subséquemment, la Commission a été avisée que le fonctionnaire s'estimant lésé voulait être entendu sur la question des dommages-intérêts et, plus précisément, qu'il demandait la somme de 15 000 $ pour « ... stress, trouble émotif, anxiété, etc. étant la cause d'un état dépressif » - l'arbitre a déterminé que, dans cette affaire, les deux questions à trancher étaient celles de savoir si un arbitre est compétent pour accorder des dommages-intérêts et si, dans cette affaire, il était approprié d'accorder des dommages-intérêts - l'arbitre a d'abord fait la distinction entre les dommages-intérêts punitifs et les dommages-intérêts majorés, confirmant, sur le fondement de la jurisprudence, qu'un arbitre excéderait sa compétence s'il accordait des dommages-intérêts punitifs - la demande dans cette affaire portant sur des dommages-intérêts majorés, l'arbitre s'est ensuite demandé s'il était compétent pour accorder de tels dommages-intérêts - l'arbitre a déterminé que les arbitres ont le pouvoir d'accorder les redressements appropriés afin de réparer des torts et d'indemniser la partie lésée quand elle a subi des dommages découlant de la violation de ses droits, sauf si une disposition d'une loi ou d'une convention collective empêche l'arbitre de le faire - l'arbitre a conclu que l'attribution de dommages-intérêts majorés ferait partie des compétences d'un arbitre si une telle attribution était indiquée à la lumière des faits de l'instance, y compris des situations comme la conduite particulièrement répréhensible, malicieuse ou arbitraire de l'employeur envers l'employé dans le processus de licenciement - l'arbitre en est cependant arrivé à la conclusion que, dans cette affaire, le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas su démontrer que l'attribution de dommages-intérêts était appropriée dans cette affaire - l'arbitre a conclu que les actes de l'employeur, qui avait cité des motifs de licenciement en plus de ceux qui avaient été maintenus, ne justifiaient pas l'octroi de dommages-intérêts dans cette affaire puisqu'on ne pouvait établir que ces gestes avaient causé un stress supplémentaire au fonctionnaire s'estimant lésé. Demande de dommages-intérêts rejetée. Décisions citées :Lussier (166-2-21434); Canada (Procureur général) c. Hester (1re instance), [1997] 2 C.F. 706; Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia (1989), 1 R.C.S. 1085; Heustis c. New Brunswick Power Corporation, [1979] 2 R.C.S. 768; Singh c. Canada (Travaux publics et service gouvernementaux Canada) 2001 F.C.T. 577; Colonial Furniture (Ottawa) Ltd. And R.W.S.U, Local 414 (1995), 47 L.A.C. (4th) 165; Cléroux c. Canada, 2001 F.C.T. 342 et 2002 F.C.T. (Cour d'appel fédérale); Johnson-Paquette c. Canada, 1998 F.C.T. 1741 et 2000 A.C.F. 441 (Cour d'appel fédérale); Jadwani c. Canada (2001) 52 O.R. (3rd) 660 (Cour d'appel de l'Ontario).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-03-18
  • Dossiers:  166-2-30887 et 30888
  • Référence:  2003 CRTFP 27

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

AUGUSTIN ERNEST CHÉNIER
fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Solliciteur général du Canada - service correctionnel)

employeur

Devant :  Joseph W. Potter, Vice-Chairperson

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Jacques Bazinet, Counsel, UCCO-SACC-CSN

Pour l'employeur:  Richard E. Fader, Counsel


Affaire entendue à Kingston (Ontario)
le 6 février 2003.


[1]   Le 11 avril 2002, j'ai rendu une décision concernant la suspension et le congédiement subséquent de l'agent correctionnel Augustin Chénier, 2002 CRTFP 40 (166-2-30887 et 30888). La décision visait à remplacer le licenciement par une suspension (d'une durée de près de 11 mois). Je suis demeuré saisi de l'affaire en ce qui concerne l'application de la décision.

[2]   Dans une lettre datée du 28 juin 2002, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) a été avisée que M. Chénier voulait être entendu sur la question des dommages-intérêts.

[3]   Le 3 juillet 2002, l'employeur a répondu qu'il n'avait pas d'objection à la tenue d'une audience, mais qu'il exigeait des précisions.

[4]   Le 5 décembre 2002, l'agent négociateur a écrit à la Commission et a précisé que M. Chénier demandait 15 000 $ pour « ... stress, trouble émotif, anxiété, etc. étant la cause d'un état dépressif ».

[5]   Après de nombreuses tentatives pour en arriver à une date d'audition mutuellement acceptable, l'audience a été fixée au 6 février 2003.

[6]   À l'audience, Irene Chénier, l'épouse du fonctionnaire s'estimant lésé, a témoigné qu'après avoir reçu sa lettre de licenciement, son mari est devenu dépressif et en colère. À la maison, son comportement avait changé considérablement, à un point tel qu'il ne participait pas aux tâches ménagères ni ne jouait avec ses enfants.

[7]   M. Chénier a déclaré que sur réception de sa lettre de suspension (laquelle est citée en partie au paragraphe 61 de la décision originale), il a fait savoir à l'employeur que les accusations étaient fausses. Il était suspendu pour avoir introduit de la marijuana et de l'alcool au pénitencier de Kingston et avoir eu une relation inacceptable avec un prisonnier. Il a par la suite reçu une lettre de licenciement pour avoir fourni à des prisonniers des articles non autorisés (tel que précisé au paragraphe 62 de la décision originale).

[8]   M. Chénier a admis avoir fourni à un prisonnier une carte bancaire, mais a nié toutes les autres accusations.

[9]   Au cours de son témoignage, M. Chénier a déclaré qu'il a été informé pour la première fois des motifs exacts de son licenciement au début de l'audience d'arbitrage, soit le 6 février 2002. Entre le 29 mai 2001, date à laquelle il a reçu sa lettre de licenciement, jusqu'à l'audience d'arbitrage, il n'a jamais su ce qui motivait son licenciement. Selon lui, cette situation lui a causé beaucoup d'anxiété et de stress, ce qui l'a rendu dépressif. Il était également humilié parce que tous ses collègues étaient au courant des allégations généralisées.

[10]   Entre le moment où il a reçu sa lettre de licenciement et l'ordonnance de réintégration, M. Chénier a dû recourir aux soins d'un psychologue. Le rapport du psychologue, produit sur consentement, constitue la pièce G-2 dans la présente affaire. Le rapport est reproduit en partie ci-dessous :

[Traduction]

   M. Chénier a mal agi et devait être réprimandé en conséquence. Au plan émotif et financier, M. Chénier a payé à prix fort son erreur. Ceci étant dit, j'estime que le processus qui a mené à la sanction et l'application de celle-ci ont imposé un stress et une souffrance psychologique indus à M. Chénier et à sa famille. À titre professionnel, je suis d'avis que :

  1. Les renseignements relatifs au processus et aux accusations auraient pu être présentés de façon plus claire et plus systématique.

  2. Une sanction autre que le licenciement aurait dû être envisagée plus tôt au cours du processus. Cet aspect est particulièrement important puisque M. Chénier croyait qu'il était victime de provocation policière.

[11]   M. Chénier a témoigné qu'il croyait que son employeur l'avait puni pendant un an pour des actes qu'il n'avait pas commis. Il ne pensait qu'aux accusations et il a pensait que ses problèmes étaient causés par ces choses qu'il n'avait pas faites. C'est pourquoi il a demandé des dommages-intérêts.

Argumentation du fonctionnaire s'estimant lésé

[12]   Le libellé de la clause 1.01 de la convention collective visant le fonctionnaire s'estimant lésé permet à un arbitre d'accorder des dommages-intérêts en l'espèce.

[13]   Pour que des dommages-intérêts soit accordés, il faut que le préjudice soit certain et non spéculatif. Dans la présente instance, le psychologue déclare dans son rapport que M. Chénier s'est retrouvé dans un état dépressif. Le préjudice est donc réel.

[14]   La conduite de l'employeur a-t-elle joué un rôle? Il est difficile de répondre à cette question. Il n'est pas aisé de distinguer le niveau de stress qui aurait été causé si la nature exacte des accusations avait été connue dès le départ au niveau de stress causé par le fait de ne pas savoir. Toutefois, il a été démontré que cette situation avait joué un rôle important.

[15]    Toute l'enquête, qui a pris la forme d'une enquête policière, a porté le fonctionnaire s'estimant lésé à croire qu'il ferait l'objet d'accusations criminelles. Aucune accusation n'a jamais été portée. Dès que l'employeur a su qu'aucune accusation criminelle ne serait portée, pourquoi ne l'en a-t-il pas avisé?

[16]   Dans la présente affaire, l'employeur a fait preuve d'une certaine négligence.

[17]   L'évaluation du préjudice peut être faite à partir de la conduite de l'employeur. S'il a fait preuve de négligence, celle-ci a contribué à l'état dépressif de M. Chénier.

[18]   Que vaut la négligence? Il n'existe aucun moyen d'évaluer le montant avec précision, mais on en est arrivé à un montant global de 15 000 $. Il s'agit de dommages-intérêts majorés, et non de dommages-intérêts punitifs.

[19]   L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a présenté la jurisprudence suivante :

Adams c. R., 500-05-033116-979, 2002-03-14, juge Danielle Grenier, C.S.,

Canadian Labour Arbitration, troisième édition, Re : Jurisdiction of the Arbitrator,

Vorvis c. I.C.B.C. [1989], 1 R.C.S. 1085,

Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] C.S.C. 18,

Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 .R.C.S. 701

Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458,

Re Goodyear Canada Inc. and U.S.W.A. [2002], 107 L.A.C. (4th) 289,

Re ABT Bulding Products Canada Ltd. and C.E.P. [2000], 90 L.A.C. (4th) 1

Argumentation de l'employeur

[20]   La Commission n'a pas compétence pour accorder les dommages-intérêts demandés par le fonctionnaire s'estimant lésé puisque la convention collective ne renferme pas de disposition claire à cet effet. En outre, aucune disposition de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne permet l'attribution de tels dommages-intérêts.

[21]   La demande faite en l'espèce ne découle pas de l'affaire qui avait été portée devant l'arbitre à l'origine. La question d'origine était « Est-ce que le licenciement était fondé?». Et la réparation accordée a permis de régler la question. L'agent négociateur exige maintenant un tout nouvel examen du processus. Un arbitre ne peut entreprendre une enquête distincte.

[22]   La demande sur laquelle nous nous penchons aujourd'hui est en réalité une demande fondée sur la négligence. Elle dépasse l'objectif visant à indemniser pleinement le fonctionnaire s'estimant lésé et la Commission n'a pas compétence en cette matière.

[23]   En outre, il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle des dommages-intérêts peuvent être accordés. Le fonctionnaire s'estimant lésé a très mal agi et une très longue sanction de 11 mois lui a été imposée.

[24]    Le fonctionnaire s'estimant lésé savait que le fait de remettre une carte bancaire a un prisonnier était un acte grave. Il connaissait l'existence de cette accusation dès le début.

[25]   L'avocat de l'employeur a présenté la jurisprudence suivante :

Ménard c. Canada (C.A.), [1992] 3 C.F. 521,

Canada (Procureur général) c. Hester (1re inst.), [1997] 2 C.F., 706,

Champagne c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique) (C.A.F.) [1987] C.F.P.I. no 906,

Ontario Hydro and C.U.P.E., Loc. 1000, Re (1990), Re, 16 L.A.C. (4th) 264,

Seneca College and O.P.S.E.U. (Olivo) (Re) (2001), 102 L.A.C. (4th) 298,

Chénier 2002 CRTFP 82 (166-2-30887 et 30888),

Wells (dossier de la Commission 166-2-27802),

Bradley 2000 CRTFP 82 (166-2-29308),

Re Canada Post Corporation and Canadian Union of Postal Workers (1984), 16 L.A.C. (3d) 283.

Réplique

[26]   Si l'employeur avait licencié le fonctionnaire s'estimant lésé en raison de l'affaire de la carte bancaire seulement, nous ne serions pas ici. Cependant, l'employeur a cité de vagues allégations qui n'ont jamais été présentées ni prouvées, ce qui a fait augmenter le niveau de stress.

[27]   Aucune disposition de la convention collective ou de la LRTFP n'interdit à un arbitre de se prononcer sur des dommages-intérêts; par conséquent, un arbitre a compétence en la matière.

Décision

[28]   Un arbitre a-t-il compétence pour accorder des dommages-intérêts et, dans l'affirmative, est-il approprié en l'instance d'accorder des dommages-intérêts? Selon moi, ce sont les deux questions auxquelles je dois répondre. Si je réponds par l'affirmative aux deux questions, je dois ensuite déterminer le montant des dommages-intérêts qui seraient appropriés.

[29]   En ce qui concerne la demande de dommages-intérêts qui a été présentée en l'espèce, l'agent négociateur a déclaré qu'il ne désirait pas obtenir de dommages-intérêts punitifs, mais plutôt des dommages-intérêts majorés. Quel nom doit-on donner aux dommages-intérêts demandés en l'espèce et un arbitre a-t-il compétence pour les accorder?

[30]   Dans l'affaire Lussier (166-2-21434), l'arbitre a déterminé que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pu prendre ses vacances en raison d'une erreur administrative commise par l'employeur. Afin d'indemniser le fonctionnaire s'estimant lésé pour cette erreur, l'arbitre a accordé à M. Lussier un montant de 100 $.

[31]   L'affaire a été portée devant la Cour d'appel fédérale et le juge Létourneau a écrit ce qui suit :

Au surplus, dans le présent contexte, vu particulièrement l'absence de preuve de préjudice, l'octroi par l'arbitre d'une compensation pour l'erreur commise s'apparente beaucoup plus à l'octroi de dommages-intérêts punitifs qu'à une véritable indemnisation pour le préjudice effectivement subi. L'arbitre a excédé sa juridiction en octroyant de tels dommages.

[32]   Je comprends de la décision du juge Létourneau qu'un arbitre n'a pas compétence pour accorder des dommages-intérêts punitifs.

[33]   Dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Hester (précitée), le juge Gibson de la Cour fédérale, Section de première instance, s'est prononcé comme suit au paragraphe 16 :

Il ne peut y avoir de doute que le tribunal avait la compétence d'imposer une réparation contre l'employeur dans les circonstances où il a été établi que l'intimé avait subi une perte.
Le juge Gibson a ajouté que les dommages-intérêts accordés dans l'instance étaient de nature punitive et que, par conséquent, l'arbitre avait excédé sa compétence.

[34]   À la lumière de ces décisions, j'excéderais ma compétence si j'accordais des dommages-intérêts punitifs et l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a souligné qu'il ne demandait pas de dommages-intérêts punitifs. Ce qui est interdit est à mon avis très clair. Il n'est pas de la compétence de l'arbitre d'accorder des dommages-intérêts punitifs.

[35]   Comme nous l'avons déjà précisé, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a demandé des dommages-intérêts majorés. Quelle est la différence entre des dommages punitifs et des dommages-intérêts majorés?

[36]   La Cour suprême du Canada a examiné la différence entre les dommages-intérêts punitifs et les dommages-intérêts majorés dans la décision Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia [1989]   1 R.C.S. 1085.

[37]   À la page 1098, le juge McIntyre écrit ce qui suit :

Avant d'aborder la question des dommages-intérêts punitifs, nous ferions bien d'éclaircir la distinction entre les dommages-intérêts punitifs et les dommages-intérêts majorés, parce que dans l'argumentation qui nous a été soumise et dans certaines pièces produites il paraît y avoir une certaine confusion à ce sujet. Les dommages-intérêts punitifs, comme leur nom l'indique, visent à punir. À ce titre, ils constituent une exception à la règle générale de common law selon laquelle les dommages-intérêts visent à indemniser la personne lésée et non à punir l'auteur du méfait. Les dommages-intérêts majorés s'appliquent souvent à une conduite qui aurait pu donner lieu à des dommages-intérêts punitifs, mais les dommages-intérêts majorés demeurent indemnitaires. La distinction est nettement exprimée dans l'ouvrage de Waddams intitulé The Law of Damages (2e éd. 1983), à la p. 562, par. 979:
[TRADUCTION]   Il existe une exception à la règle générale selon laquelle les dommages-intérêts sont indemnitaires. Il s'agit de l'attribution de dommages-intérêts dans le but, non pas d'indemniser le demandeur, mais de punir le défendeur. De tels dommages-intérêts ont été qualifiés d'exemplaires, de vindicatifs, de pénaux, de punitifs, de majorés et de vengeurs, mais les expressions qui sont aujourd'hui communément utilisées pour décrire les dommages-intérêts qui vont plus loin que la simple indemnisation sont celles de dommages-intérêts exemplaires et punitifs. La Chambre des lords a préféré le mot "exemplaires" dans l'arrêt Cassell & Co. Ltd. v. Broome, mais un bon nombre de tribunaux canadiens ont utilisé le mot "punitifs", notamment la Cour suprême du Canada dans l'arrêt H. L. Weiss Forwarding Ltd. v. Omnus. Bien que l'expression "dommages-intérêts majorés" ait parfois été utilisée pour décrire des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, elle a plus souvent dernièrement été utilisée par opposition à l'expression dommages-intérêts exemplaires. Dans ce sens distinct, les dommages-intérêts majorés désignent des dommages-intérêts qui visent à indemniser, mais qui tiennent compte pleinement du préjudice moral, comme l'anxiété et l'humiliation, que le comportement injurieux du défendeur a pu causer. Les mots vindicatifs, pénaux et vengeurs n'ont plus cours.
Les dommages-intérêts majorés sont accordés pour indemniser d'un préjudice aggravé. Comme l'explique Waddams, ils tiennent compte du préjudice moral et, par définition, ils ont généralement pour effet d'augmenter les dommages-intérêts calculés en vertu des règles générales relatives à l'évaluation du préjudice. Les dommages-intérêts majorés sont de nature indemnitaire et ils ne peuvent être accordés qu'à cette fin. Les dommages-intérêts punitifs, par contre, sont de nature punitive et ils ne peuvent servir qu'au cas où le comportement qui justifie la demande est tel qu'il mérite d'être puni.

[38]    L'arbitre possède-t-il la compétence d'accorder des dommages-intérêts majorés? Selon l'avocat de l'employeur, à moins qu'un tel pouvoir ne soit prévu dans la convention collective ou dans une loi, un arbitre n'a pas le pouvoir d'accorder de tels dommages-intérêts. Par contre, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé soutient qu'aucune disposition de la convention collective ou de la législation n'empêche l'arbitre d'accorder de tels dommages-intérêts et que la clause 1.01 de la convention collective du fonctionnaire s'estimant lésé le permet.

[39]   La clause 1.01 de la convention collective des agents correctionnels énonce ce qui suit :

ARTICLE 1

OBJET ET PORTÉE DE LA CONVENTION

1.01La présente convention a pour objet d'assurer le maintien de rapports harmonieux et mutuellement avantageux entre l'Employeur, l'Agent négociateur et les employé-e-s et d'énoncer certaines conditions d'emploi pour tous les employé-e-s décrits dans les certificats émis le 13 mars 2001 à l'égard des employé-e-s du groupe des services correctionnels.
À mon avis, cette disposition ne permet ni n'interdit expressément à un arbitre de rendre une décision sur la question des dommages-intérêts. Il s'agit d'une disposition générale qui figure dans la plupart sinon toutes les conventions collectives en vigueur dans la fonction publique fédérale et qui, selon moi, vise davantage à établir une approche philosophique à l'égard des relations de travail qu'à décrire le pouvoir de réparation des arbitres.

[40]   À mon avis, il ne fait aucun doute que les arbitres ont le pouvoir d'accorder les redressements appropriés afin de « réparer des torts » et d'indemniser la partie lésée quand elle a subi des dommages découlant de la violation de ses droits (voir l'arrêt Heustis c. New Brunswick Power Corporation [1979]   2 R.C.S. 768). Cette affirmation est exacte, sauf si une disposition d'une loi ou d'une convention collective empêche l'arbitre de le faire. À titre d'exemple, citons le paragraphe 96(2) de la LRTFP :

(2) En jugeant un grief, l'arbitre ne peut rendre une décision qui aurait pour effet d'exiger la modification d'une convention collective ou d'une décision arbitrale.
Cette disposition interdit à l'arbitre de rendre une décision qui aurait pour effet de modifier une convention collective. Cette disposition énonce clairement ce que l'arbitre ne peut pas faire.

[41]   On ne m'a présenté aucun élément de preuve qui interdit expressément à un arbitre d'accorder des dommages-intérêts dans les cas où il est approprié de le faire. Les dommages-intérêts peuvent être attribués afin de corriger un tort que l'arbitre estime avoir été commis.

[42]   En ce qui a trait à la prétention de l'avocat de l'employeur, soit qu'aucune disposition de la LRTFP ne permet expressément l'attribution de dommages-intérêts et que, par conséquent, de tels dommages ne peuvent être accordés, je ne peux, en toute déférence, souscrire à cette thèse. Dans une récente décision rendue par la Cour fédérale, Section de première instance, le juge Dubé a affirmé que les arbitres peuvent enquêter afin d'établir si l'employeur a diligemment cherché un autre emploi à un employé licencié (voir Singh c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux) 2001 A.C.F. 577. La LRTFP n'accorde pas expressément à l'arbitre le pouvoir d'ordonner une recherche, mais la Cour fédérale a statué que l'arbitre pouvait ordonner qu'une recherche soit effectuée.

[43]   Dans une décision rendue aux termes de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario (LRTO), l'arbitre a abordé le pouvoir d'un arbitre d'accorder une réparation. Dans l'affaire Colonial Furniture (Ottawa) Ltd. and R.W.S.U., Local 414 (1995), 47 L.A.C. (4th) 165, à la page 174, l'arbitre a écrit :

[Traduction]

Les redressements demandés par le syndicat dans l'affaire en l'instance soulèvent la question de l'étendue des pouvoirs de l'arbitre. À cet égard, il est établi que le devoir de l'arbitre de « régler par décision finale et définitive les différends entre les parties » (par. 45(8) de la LRTO) sous-entend des pouvoirs de réparation propres à sa fonction d'arbitre. C'est ce qu'a affirmé le professeur Laskin dans Re Oil, Chemical & Atomic Workers and Polymer Corp. (1959), 10 L.A.C. 51, à la page 60, 59 C.L.L.C. 18,159 :
Une fois que les parties s'en remettent à la compétence d'un conseil d'arbitrage autorisé à se prononcer sur une allégation de contravention à une obligation imposée par une convention collective, elles acceptent la gamme complète des pouvoirs décisionnels du tribunal (à moins d'indication contraire) qui sont immanents à un tel arbitrage.

[L'accentuation est de l'auteur.]   Dans cette affaire, après avoir conclu que le syndicat avait contrevenu à une clause de la convention collective interdisant les arrêts de travail pendant la durée de la convention, le professeur Laskin a statué qu'il avait le pouvoir non seulement de déclarer que le syndicat avait contrevenu à la convention collective mais également d'ordonner le paiement de dommages-intérêts à l'employeur. Le professeur Laskin a écrit ce qui suit à la page 56 de sa décision :

En bref, les conseils d'arbitrage se voient confier le devoir de rendre des décisions efficaces qui ne diffère aucunement, sauf peut-être dans le cas d'une plus grande responsabilité qui leur est attribuée, du pouvoir décisionnel exercé par les tribunaux ordinaires dans des affaires civiles d'inexécution de contrat. Qu'on ait voulu donner à la décision arbitrale un pouvoir de réparation et un pouvoir déclaratoire ne fait aucun doute.
Le professeur Laskin a ajouté les commentaires suivants sur les limites des pouvoirs de réparation de l'arbitre à la page 57 de sa décision :
Le pouvoir de redressement d'un conseil, s'il en est un, doit servir à rétablir les droits violés en replaçant la partie innocente, dans la mesure de ce qui est raisonnable, dans la situation où elle serait si ces droits n'avaient pas été violés. La réparation, si elle peut être accordée, doit convenir ou être à la mesure du tort causé. Toutefois, un conseil d'arbitrage n'est pas une cour criminelle. Il est vrai qu'il peut jouer un rôle en transmettant ou en modifiant une peine imposée par un employeur à titre de sanction disciplinaire, mais ne fait ainsi qu'évaluer les limites permises des mesures prises par l'employeur en vertu de la convention collective et non de créer une peine afin d'indemniser la partie innocente. (L'accentuation est de l'auteur.)
Sur la question du contrôle judiciaire, la décision du professeur Laskin a été confirmée par la Haute Cour de l'Ontario
(Re Polymer Corp. and Oil, Chemical & Atomic Workers Int'l Union, Loc. 16-14 (1961), 26 D.L.R. (2d) 609, 61 C.L.L.C. 15,341, [1961]   O.R. 176 [confirmée par 28 D.L.R. (2d) 81, [1961]   O.R. 438], ainsi que par la Cour suprême du Canada (33 D.L.R. (2d) 124, [1962]   R.C.S. 338, sub nom. Imbleau c. Laskin, 62 C.L.L.C. 15,406). Le passage suivant tiré de la décision de la Cour d'appel de l'Ontario à la p. 82 est particulièrement intéressant :
Nous sommes également d'avis que les arbitres feraient preuve de négligence à l'égard des obligations qui leur sont imposées s'ils ne procédaient pas à une évaluation et à l'attribution d'une indemnisation pour contravention à la convention qu'ils ont constaté, c'est-à-dire, une indemnisation au sens que lui a donné le conseil d'arbitrage lui-même. (L'accentuation est de l'auteur.)

[44]   Après avoir examiné la jurisprudence présentée par les parties, ainsi que les autres décisions citées ci-après ( voir Cléroux c. Canada, 2001, C.F.P.I. 342, confirmée par 2002 A.C.F. (Cour d'appel fédérale); Johnson-Paquette c. Canada, 1998, C.F.P.I. 1741, confirmée par 2000 A.C.F. 441 (Cour d'appel fédérale); Jadwani c. Canada (2001) 52 O.R. (3rd) 660 (Cour d'appel de l'Ontario), j'en suis arrivé à la conclusion que l'attribution de dommages-intérêts majorés ferait partie des compétences d'un arbitre si une telle attribution était indiquée à la lumière des faits de l'instance, y compris des situations comme la conduite particulièrement répréhensible, malicieuse ou arbitraire de l'employeur envers l'employé dans le processus de licenciement. Dans une telle situation, je crois qu'un arbitre pourrait avoir la compétence d'accorder des dommages-intérêts, soit, comme le précise le juge Létourneau, « ... une véritable indemnisation pour un préjudice réellement subi » (précité).

[45]   Par conséquent, est-il approprié dans l'instance d'accorder des dommages-intérêts majorés?

[46]   Pour être bref, je crois que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas su démontrer que l'attribution de dommages-intérêts est appropriée dans l'affaire en l'instance.

[47]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré avoir subi du stress et de l'inconfort lorsqu'il a été licencié. L'employeur n'a pas contesté cette déclaration, mais a fait valoir que de nombreux employés dans une situation semblable auraient eu la même réaction, ce dont on ne peut blâmer l'employeur. L'employé a commis une faute grave, ce qu'il a d'ailleurs admis.

[48]   L'avocat de l'employeur a déclaré que les actes de l'employeur découlaient, du moins en partie, du fait que l'employé avait introduit une carte bancaire dans un établissement à sécurité maximale. Ce geste est extrêmement grave, j'en conviens. J'ai accordé au fonctionnaire s'estimant lésé une seconde chance relativement à son poste, mais je l'ai fait sans aucune rétroactivité.

[49]   Je conclus que les actes de l'employeur ne justifient pas l'octroi de dommages-intérêts en l'espèce. Le fait que l'employeur ait cité des motifs de licenciement, en plus de la carte bancaire, dès le début de l'affaire ne constitue pas à mon avis, une preuve suffisante pour conclure que ces gestes ont causé un stress supplémentaire à M. Chénier. Il aurait peut-être été soumis à autant de stress, sinon plus, si l'employeur s'était limité à invoquer la carte bancaire pour justifier le licenciement, un acte admis par M. Chénier. En outre, il n'y a absolument aucun doute dans mon esprit que M. Chénier savait dès le début que l'un des motifs de son licenciement était l'introduction de la carte bancaire. Cet élément n'était pas une surprise.

[50]   Je suis d'avis que le fonctionnaire s'estimant lésé a été pleinement indemnisé en obtenant une seconde chance de faire ses preuves au travail. Selon moi, les circonstances ne justifient rien de plus. La demande de dommages-intérêts est donc rejetée.

Joseph W. Potter,
vice-président,

OTTAWA, le 18 mars 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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