Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement (disciplinaire) - Utilisation abusive du réseau électronique de l'employeur - Propos et gestes insultants à l'égard d'un collègue - Crédibilité - Agent de correction - Mesure de réparation - le fonctionnaire s'estimant lésé a été licencié par suite de trois incidents impliquant d'autres agents correctionnels - dans le premier cas, le fonctionnaire s'estimant lésé a eu, avec l'agent correctionnel R, une vive discussion au cours de laquelle il a tenu des propos insultants envers son collègue, devant des détenus qui se trouvaient dans la cuisine - leur divergence d'opinion portait sur la question de savoir si un autre agent correctionnel devait aider R à compter les détenus dans la cuisine ou si elle aurait dû continuer à travailler avec le fonctionnaire s'estimant lésé dans une autre section de la prison - R a ensuite rédigé sa version de l'incident qu'il a mis en mémoire dans son ordinateur - dans le deuxième cas, le fonctionnaire s'estimant lésé a consulté les dossiers de R dans l'ordinateur - le fonctionnaire s'estimant lésé a supprimé certains dossiers et il en a transmis d'autres, dont la version de R sur l'incident survenu dans la cuisine, à son adresse électronique personnelle - dans le troisième cas, le fonctionnaire s'estimant lésé s'est porté volontaire pour prendre la relève de l'agent correctionnel J - pour donner au fonctionnaire s'estimant lésé accès à la section où il travaillait, J devait ouvrir une porte - toutefois, lorsque le fonctionnaire s'estimant lésé s'est présenté pour remplacer J, ce dernier, par plaisanterie, a refusé de laisser entrer le fonctionnaire s'estimant lésé - après trois ou quatre minutes, le fonctionnaire s'estimant lésé a donc quitté les lieux - relativement au premier incident, l'arbitre a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé avait effectivement eu un affrontement avec R et qu'ils avaient eu un échange acerbe devant des détenus - ce n'était pas une façon acceptable de régler des conflits d'opinion - l'arbitre a conclu que le troisième incident était à ce point mineur qu'il était virtuellement sans importance - quoi qu'il en soit, le fonctionnaire s'estimant lésé a expliqué de manière raisonnable la raison pour laquelle il n'avait pas remplacé J - quant au deuxième incident, bien que le fonctionnaire s'estimant lésé ait nié avoir transmis le courriel, l'arbitre a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu'il l'avait effectivement transmis - toutefois, l'arbitre a exprimé l'avis qu'il s'agissait d'un incident isolé; l'occasion s'est présentée, et il n'y avait rien là de prémédité - l'arbitre n'a pas cru que le lien de confiance entre le fonctionnaire s'estimant lésé et l'employeur avait été rompu irrémédiablement - en outre, le fonctionnaire s'estimant lésé comptait 27 années de service et avait été décoré de diverses récompenses, dont une pour bravoure - l'arbitre a conclu que le licenciement était trop sévère compte tenu des circonstances, et il a ordonné à la place une suspension de trois mois. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-02-26
  • Dossier:  166-2-31021
  • Référence:  2003 CRTFP 16

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

KANWALBIR DOSANJH
fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Solliciteur général Canada - Service correctionnel)

employeur

Devant :   Joseph W. Potter, vice-président

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :   Leo McGrady, avocat

Pour l'employeur :   John Jaworski, avocat


Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),
du 10 au 13 et du 24 au 26 septembre 2002 et du 7 au 9 janvier 2003.


[1]   Kanwalbir Dosanjh, un agent de correction au Centre régional de santé (CRS) de la Région du Pacifique du Service correctionnel du Canada (SCC), a été licencié le 25 mai 2001. Pour contester cette mesure, il a présenté le grief faisant l'objet de la présente décision.

[2]   La lettre de licenciement, datée du 9 août 2001, a été signée par Terrance Sawatsky, le directeur exécutif du CRS et se lit en partie comme il suit (pièce E-11) :

[Traduction]

À la suite de nos rencontres disciplinaires des 9 et 13 juillet 2001, j'ai terminé mon examen exhaustif de toute cette affaire.

Le rapport disciplinaire a été communiqué à vous-même ainsi qu'à votre représentant syndical. J'ai tenu compte que, lors de notre rencontre du 13 juillet 2001, vous avez nié toutes les allégations et n'avez fait preuve d'aucun remords. J'accepte les conclusions du rapport de l'enquête disciplinaire, à savoir que vous avez gravement enfreint la politique du Service sur l'utilisation du réseau électronique et que vous avez eu des paroles ou des actions insultantes pour les membres du personnel du Centre régional de santé.

Vos actions sont des infractions extrêmement graves du Code de discipline et des Normes de conduite professionnelle. La relation de confiance employeur-employé a été carrément rompue, à un point irrémédiable à mon avis.

En me fondant sur mon examen et mon analyse et conformément à l'alinéa 11 (2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques, j'ai conclu que vos actions justifient votre congédiement du Service correctionnel du Canada à compter du 25 mai 2001.

[3]   Le grief de M. Dosanjh a été renvoyé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique le 13 décembre 2001. Après une série de tentatives infructueuses pour résoudre le problème avant d'arriver à l'audience, l'affaire a été entendue à partir du 10 septembre 2002. L'employeur a déposé 48 pièces et fait comparaître 13 témoins pour étayer sa thèse; l'agent négociateur a produit 11 pièces, et j'ai entendu six personnes témoigner pour lui.

[4]   Au tout début de l'audience, les parties ont réclamé une ordonnance d'exclusion des témoins. J'ai accédé à cette demande.

Contexte

[5]   M. Sawatsky a témoigné que M. Dosanjh a été impliqué dans trois incidents qui ont fait l'objet d'une enquête interne (pièce E-26); les résultats l'ont incité à conclure qu'il n'avait d'autre choix que de licencier le fonctionnaire s'estimant lésé. (Il avait aussi tenu compte du dossier disciplinaire de M. Dosanjh.) Les trois incidents en question sont les suivants.

Incident de la cuisine

[6]   Gordon Robertson, un agent de correction au CRS, était de service le 25 mars 2001; il avait notamment pour tâche de compter les détenus qui approchaient du comptoir pour le repas. À cette fin, il faut deux agents; l'agent de correction Kellie Rhyness était censée l'aider.

[7]   Mme Rhyness travaillait dans une autre partie du CRS, avec le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Dosanjh, quand M. Robertson l'a appelée sur son émetteur-récepteur radio pour lui dire de se présenter à la cuisine afin de compter les détenus. M. Dosanjh avait auparavant dit à Mme Rhyness de rester où elle était et de s'acquitter de ses fonctions sur place. Après avoir été appelée par radio, Mme Rhyness s'est rendue à la cuisine pour compter les détenus.

[8]   À son arrivée à la cuisine, Mme Rhyness a explique à M. Robertson qu'elle avait tardé à venir parce que M. Dosanjh lui avait dit de ne pas quitter l'endroit où elle se trouvait. M. Robertson lui a répondu que la procédure prévoyait qu'elle participe au comptage des détenus à la cuisine.

[9]   Quelques minutes après, M. Dosanjh est arrivé à la cuisine. Mme Rhyness a témoigné qu'il semblait en colère; il lui a dit qu'elle ne faisait pas bien son travail et qu'elle n'écoutait pas.

[10]   M. Robertson est intervenu pour dire à M. Dosanjh qu'il fallait deux personnes pour compter les détenus. Mme Rhyness a témoigné que, à ce moment-là, M. Dosanjh a commencé à crier et à injurier M. Robertson, en le traitant de [Traduction] « maudit imbécile », devant les détenus qui étaient dans la cuisine. Mme Rhyness s'est fait demander de rédiger un rapport d'incident à cet égard, et elle l'a fait (pièce E-47).

[11]   Le témoignage de M. Robertson ne diffère pas de façon substantielle de celui de Mme Rhyness. Après s'être fait traiter de « maudit imbécile », M. Robertson a suivi M. Dosanjh jusque dans la partie de la cuisine qui est réservée au personnel et lui a dit [Traduction] « Tu ne dois pas me parler comme ça ». M. Dosanjh a répliqué [Traduction] : « Je peux te parler comme j'ai mauditement envie de le faire ». Comme le ton était vif, deux surveillants se sont approchés de MM. Robertson et Dosanjh et leur ont dit de cesser, ce qu'ils ont fait.

[12]   M. Robertson est alors parti de la cuisine pour retourner à son bureau, où il a tapé sur son ordinateur une note concernant l'incident (dernière page de la pièce E-28). Il a conservé cette note dans le lecteur « M » de son ordinateur, où il gardait des documents personnels. Il a plus tard porté officiellement plainte au sujet de cet incident (pièce E-45).

[13]   Le témoignage de M. Dosanjh ne diffère pas nettement de ce qui précède jusqu'au moment où M. Robertson est intervenu dans sa conversation avec Mme Rhyness, pour lui dire que Mme Rhyness était là parce qu'elle devait l'être. M. Dosanjh a déclaré s'être tourné vers M. Robertson pour lui dire [Traduction] : « Ce n'est pas à toi que je parle », après quoi il est parti; M. Robertson l'a suivi en lui déclarant [Traduction] : « Continue, maudit imbécile ». M. Dosanjh a continué à s'éloigner et M. Robertson a continué à le suivre, et c'est à ce moment-là qu'une vive discussion a commencé et qu'il a dit à M. Robertson [Traduction] : « Va chier ». Le surveillant est intervenu de la façon décrite plus haut.

[14]   Cet incident a fini par faire l'objet d'une enquête, mais pas avant qu'un deuxième incident ne se soit produit, celui de l'accès au courrier électronique de M. Robertson (pièce E-10).

Incident du courrier électronique

[15]   M. Robertson travaillait le quart de jour le 21 avril 2001; il était dans un bureau appelé Nova Concord, le bureau de l'UPRSCC (pièce G-3). M. Robertson introduisait à l'ordinateur des données sur des analyses d'urine aléatoires qui devaient être faites plus tard ce jour-là à l'égard de certains détenus. Il avait avec lui dans le bureau deux autres agents de correction, David Acker et Rene Froese. Il n'y a qu'un seul ordinateur dans le bureau de l'UPRSCC.

[16]   Pour faire ce travail, M. Robertson devait entrer en communication avec l'ordinateur et accéder à son compte de courriel. Les dossiers confirment qu'il est entré dans son ordinateur à 7 h 56 ce jour-là, le 21 avril (voir la pièce E-24).

[17]   Un autre agent de correction, Arnold Vis, travaillait juste à côté du bureau de l'UPRSCC, dans un local distinct qu'on appelle la bulle (voir le diagramme de la pièce G-3). C'est essentiellement un poste de contrôle où l'agent de correction réagit aux besoins des détenus et peut électroniquement ouvrir et fermer les portes des cellules.

[18]   À 8 h 30, M. Vis a demandé à M. Robertson de le relever afin qu'il puisse aller prendre son petit déjeuner à la cuisine. M. Robertson est sorti du bureau de l'UPRSCC en laissant l'ordinateur sous tension par inadvertance, pour aller dans la bulle relever M. Vis, qui ne s'est absenté qu'à peu près cinq minutes. Après son retour, M. Robertson est resté dans la bulle et lui a parlé 15 à 20 minutes avant de le quitter. Il n'est pas retourné dans le bureau de l'UPRSCC; il est sorti de la bulle pour aller dans le hall parler avec deux surveillants de correction qui passaient par là pour leur faire signer ses formulaires d'analyse d'urine.

[19]   M. Robertson s'est alors rendu au bureau de l'admission et de la libération (A et L) afin de préparer les lieux pour les analyses d'urine. À cette fin, il devait entrer dans l'ordinateur du bureau A et L, et il l'a fait à 9 h 02, d'après le registre informatique qui tient note de l'heure à laquelle quiconque au CRS entre en communication avec un ordinateur (pièce E-32).

[20]   Après avoir terminé ce travail, M. Robertson est entré dans son compte de courrier électronique pour constater que certains fichiers étaient vides, y compris ceux des analyses d'urine sur lesquels il avait tout récemment travaillé. Comme cela lui a semblé bizarre, il a vérifié les fichiers supprimés, qui étaient vides, eux aussi. Il a réussi à les retrouver se servant d'un programme de récupération, mais, ce faisant, il a constaté qu'un courriel contenant certains de ses fichiers avait été envoyé au compte k_dosanjh@hotmail.com. Il y avait notamment dans ces fichiers son compte rendu personnel de l'incident de la cuisine décrit au début de la présente décision, entre lui et M. Dosanjh.

[21]   M. Robertson est retourné au bureau de l'UPRSCC pour chercher à savoir pourquoi ses fichiers étaient vides. MM. Froese et Acker, qui étaient encore là, lui ont tous deux dit que ce n'était pas eux qui les avaient vidés. M. Froese lui a proposé d'appeler le surveillant, et M. Robertson l'a fait.

[22]   M. Acker a témoigné qu'il a été affecté à l'UPRSCC le 21 avril 2001, en compagnie de MM. Robertson et Froese. Il avait vu M. Robertson travailler à l'ordinateur de l'UPRSCC, sur les analyses d'urine, quand il est parti avec M. Froese pour aller à la cuisine aider les responsables des détenus réunis pour le petit déjeuner.

[23]   Après avoir terminé leur service à la cuisine, M. Acker a dit qu'il était retourné au bureau de l'UPRSCC avec M. Froese. En contre-interrogatoire, il a dit qu'il ne se rappelait pas si M. Dosanjh les avait accompagnés là à partir de la cuisine.

[24]   Quoi qu'il en soit, M. Acker a dit que, lorsqu'il est retourné à l'UPRSCC avec M. Froese, M. Robertson était encore à l'ordinateur. M. Dosanjh est entré; quand M. Robertson est parti, il est allé s'installer à l'ordinateur. Le témoin a déclaré qu'il n'a pas vu exactement ce que M. Dosanjh a fait à l'ordinateur, mais il a remarqué que l'écran est devenu bleu.

[25]   M. Dosanjh est ensuite sorti de l'ordinateur, après quoi M. Acker est entré en communication pour vérifier ses courriels; le registre confirme que M. Acker était entré en communication avec l'ordinateur à 8 h 55 (pièce E-32). Il révèle aussi que M. Froese l'avait fait avant lui, mais M. Acker a dit ne pas se rappeler que son collègue l'avait précédé. On lui a demandé s'il avait envoyé le courriel chez M. Dosanjh; il a déclaré que non, en ajoutant qu'il ne connaissait pas l'adresse de courrier électronique de la résidence de M. Dosanjh.

[26]   M. Froese n'a pas le même souvenir des événements que M. Acker. Après avoir terminé leur service à la cuisine, ils sont tous deux retournés au bureau de l'UPRSCC avec M. Dosanjh, en parlant de ce que ce dernier considérait comme un courriel important et passablement controversé dans lequel il donnait son opinion sur un représentant syndical occupant à titre intérimaire un poste de gestion (pièce E-35).

[27]   M. Dosanjh avait demandé à M. Froese son opinion sur ce courriel, mais, comme M. Froese ne l'avait pas vu, ils sont allés au bureau de l'UPRSCC pour le chercher. M. Robertson n'était pas dans ce bureau quand les trois agents y sont arrivés.

[28]   M. Froese a déclaré être entré en communication avec l'ordinateur puis en être sorti, comme il n'avait pas trouvé de courriel de M. Dosanjh. Il a parlé à peu près cinq ou dix minutes avec ce dernier, après quoi il a déclaré être sorti du bureau de l'UPRSCC pour aller chercher une tasse de café. Il a déclaré avoir été le seul à entrer en communication avec l'ordinateur pendant qu'il était dans le bureau avec M. Dosanjh.

[29]   En contre-interrogatoire, M. Froese a reconnu avoir écrit le 21 avril 2001 un rapport d'observation dans lequel il précise avoir quitté la cuisine à 8 h 40 pour se rendre au bureau de l'UPRSCC avec MM. Dosanjh et Acker. Il a déclaré qu'il faut de quatre à cinq minutes pour se rendre de la cuisine à ce bureau. Il a reconnu aussi que la pièce E-32 montre qu'il est entré en communication avec l'ordinateur à 8 h 51. En outre, dans son rapport d'observation, il avait précisé que M. Dosanjh était resté au bureau de l'UPRSCC une dizaine de minutes (pièce E-29).

[30]   Le témoignage de M. Dosanjh diffère de ceux de MM. Robertson et Acker, mais concorde avec celui de M. Froese.

[31]   M. Dosanjh a déclaré avoir rencontré MM. Acker et Froese à la cuisine et avoir demandé à M. Froese s'il avait reçu un courriel qu'il avait lui-même envoyé plus tôt ce matin-là (pièce E-35).

[32]   M. Froese a répondu qu'il n'avait pas reçu de courriel, de sorte que les trois agents de correction sont partis ensemble de la cuisine pour se rendre au bureau de l'UPRSCC, où MM. Froese et Acker étaient de service. En arrivant à la porte du bureau, M. Dosanjh a déclaré que M. Robertson en sortait et qu'il la lui a claquée au nez.

[33]   M. Dosanjh a témoigné être entré dans le bureau de l'UPRSCC avec les deux autres agents de correction, et que M. Froese est immédiatement entré en communication avec l'ordinateur. Personne d'autre n'était en communication avec l'ordinateur à ce moment-là. M. Froese a vérifié son courrier électronique; il n'avait rien reçu de M. Dosanjh.

[34]   M. Dosanjh s'est alors installé à l'ordinateur, quoique ce qu'il devait faire ne l'obligeait pas à entrer en communication. Après avoir terminé, il est parti.

[35]   Doug Richmond, le sous-directeur exécutif du CRS, a été appelé sur sa pagette pendant qu'il revenait de Vancouver, le 21 avril, pour être mis au courant de l'incident du courrier électronique. Il s'est rendu directement au CRS. Il a vu que M. Dosanjh était là, et il l'a informé qu'un agent avait porté plainte parce qu'on avait eu accès à ses fichiers à l'ordinateur. Quand il lui a demandé s'il le savait, M. Dosanjh a répondu que non.

[36]   M. Richmond a alors dit à M. Dosanjh de continuer son travail, en lui déclarant qu'il y aurait probablement une enquête.

[37]   M. Dosanjh a offert d'apporter au CRS l'ordinateur personnel qu'il avait chez lui. M. Richmond a dit que ce n'était pas nécessaire, en lui demandant toutefois de vérifier ses courriels quand il rentrerait à la maison. M. Dosanjh a obtempéré : il a trouvé trois fichiers appartenant à M. Robertson qui avaient été envoyés à son ordinateur à la maison. Il en a fait une copie qu'il a plus tard remise à la direction (pièce E-28). Les registres confirment que les fichiers de M. Robertson avaient été envoyés au compte hotmail de M. Dosanjh chez lui, à 8 h 48 le 21 avril 2001.

[38]   La personne à qui M. Richmond a parlé ensuite dans ce contexte est M. Robertson, qui semblait très tendu; sa voix tremblait. M. Robertson lui a expliqué qu'on avait accédé à son compte de courrier électronique et qu'il semblait que M. Dosanjh était entré dans ses fichiers et les avait transférés. M. Richmond a parlé ensuite au surveillant de correction qui assigne les tâches en lui demandant d'établir les horaires de façon que MM. Dosanjh et Robertson ne travaillent ni ensemble, ni tout près l'un de l'autre.

[39]   Dans l'après-midi du 21 avril, Gary Ellison, un agent de correction du CRS, a reçu un appel téléphonique de M. Dosanjh lui demandant de vérifier les adresses du personnel à l'ordinateur pour voir si son adresse de courrier électronique à domicile y figurait. M. Ellison a vérifié; il a constaté que l'adresse du courrier électronique à domicile de M. Dosanjh ne figurait pas sur la liste, et il le lui a dit.

[40]   Quand M. Ellison s'est présenté au travail pour son jour ouvrable suivant, le 23 avril, il a appris qu'on faisait enquête sur M. Dosanjh pour des raisons relatives à son compte de courrier électronique à domicile. Il a vérifié à l'ordinateur et constaté qu'on y avait ajouté cette adresse.

[41]   Sur ce, M. Ellison a parlé au chef de section des Services à la clientèle, Troy Nikirk, pour lui demander s'il serait possible de déterminer à quel moment la liste d'adresses avait été modifiée.

[42]   M. Dosanjh a témoigné qu'il n'a jamais nié avoir ajouté son adresse de courrier électronique à la maison au système informatique à son travail, en ajoutant qu'il l'a fait pour que ses collègues puissent le contacter chez lui au sujet d'une rencontre sociale qu'il organisait à l'intention de tous les employés du CRS.

[43]   (Remarque : À la page 17 du rapport de l'enquête [pièce E-26], on peut lire que l'examen du fichier contenant la liste d'adresses a permis de confirmer que l'adresse du courrier électronique de M. Dosanjh à la maison avait été ajoutée le 22 avril 2001 à 23 h 02. Personne n'a contesté que c'est à ce moment-là que M. Dosanjh a ajouté son adresse de courrier électronique à la maison au fichier informatique à son travail.)

[44]   Le 23 avril 2001, M. Richmond a rédigé un ordre établissant un comité d'enquête (pièce E-8).

[45]   Après l'incident du courrier électronique, M. Robertson s'est absenté en congé de maladie. À son retour au travail, il a rédigé un rapport d'incident décrivant les incidents pertinents (pièce E-46). Par la suite, il a écopé d'une réprimande verbale pour avoir laissé l'ordinateur sous tension quand il avait quitté le bureau de l'UPRSCC.

[46]   Au cours de l'enquête, M. Dosanjh a maintenu qu'il n'avait rien à voir avec l'accès à l'ordinateur du bureau de l'UPRSCC et la suppression des fichiers appartenant à M. Robertson. Il a aussi maintenu qu'il n'avait rien à voir avec le transfert d'un courriel ou d'un message à son ordinateur à la maison. Il est resté sur cette position à l'audience d'arbitrage.

[47]   En avril 2001, M. Nikirk était le spécialiste de l'informatique du CRS. Il a témoigné de façon détaillée sur la façon d'envoyer un message de l'ordinateur de quelqu'un au travail à son ordinateur à la maison. Je ne crois pas nécessaire de revenir là-dessus, puisque la procédure en question n'est pas contestée. M. Nikirk a toutefois précisé que le système de courriel du CRS est protégé par un mot de passe, de sorte que les employés ne peuvent avoir accès à leur compte de courriel qu'en se servant de leur mot de passe personnel.

[48]   Le 23 avril, M. Richmond a informé M. Nikirk qu'il y avait eu des interventions à l'ordinateur le 21 avril; il lui a demandé de saisir l'ordinateur de M. Dosanjh. Il a rédigé un rapport d'observation à ce sujet (pièce E-22).

[49]   M. Nikirk a saisi le disque rigide de deux ordinateurs du CRS, après quoi il a examiné les données qu'un autre ordinateur avait produites sur les heures auxquelles les employés étaient entrés en communication avec les différents ordinateurs du CRS. Il a créé un fichier de ces données par poste de travail (pièce E-24).

[50]   Le fichier (pièce E-24) montre que M. Robertson était entré en communication avec l'ordinateur du bureau de l'UPRSCC à 7 h 56 le 21 avril 2001. La première personne à être entrée en communication avec le même ordinateur par la suite était M. Froese, à 8 h 51, et la deuxième M. Acker, à 8 h 55 (voir page 3). M. Nikirk a témoigné qu'il n'est pas possible d'entrer en communication avec l'ordinateur si la personne qui était en communication avant n'en est pas sortie. Le système ne révèle pas les heures auxquelles quelqu'un met fin à la communication.

[51]   Le troisième incident qui a amené le directeur à conclure que M. Dosanjh devrait être congédié est ce que j'appellerai l'incident de la relève.

Incident de la relève

[52]   Pour le quart du soir du 28 avril 2001, M. Dosanjh avait été affecté au bureau de l'UPRSCC avec Jack Mar, un agent de correction niveau 2.

[53]   Pendant le quart, le téléphone du bureau de l'UPRSCC a sonné; un agent nommé Clint Jackson demandait à être relevé. M. Dosanjh s'est porté volontaire; il est sorti du bureau pour se rendre au poste de M. Jackson.

[54]   Afin que M. Dosanjh puisse avoir accès à l'endroit où M. Jackson se trouvait, il fallait ouvrir une épaisse porte d'acier. Cette porte était partiellement ouverte quand M. Dosanjh est arrivé, mais elle a commencé à se fermer au moment où il se préparait à la franchir. Il a reculé. C'est M. Jackson qui pouvait ouvrir et fermer la porte électroniquement.

[55]   Comme M. Dosanjh reculait, la porte a recommencé à s'ouvrir; il s'est préparé à la franchir quand elle a soudainement recommencé à se fermer, de sorte qu'il a de nouveau reculé. L'ouverture/fermeture s'est répétée pendant trois ou quatre minutes avant que M. Dosanjh ne s'en aille; il est retourné au bureau de l'UPRSCC en disant qu'il ne relèverait pas M. Jackson.

[56]   Le comité d'enquête s'est aussi penché sur cet incident (pièce E-26).

[57]   M. Dosanjh a témoigné que, la première fois qu'on l'a mis au courant de cet incident, c'est quand il a reçu copie du Rapport d'enquête, le 3 juillet 2001. On lui a demandé de donner sa version de tous les incidents qui avaient fait l'objet d'une enquête.

[58]   Quand il a lu la description de l'incident du 28 avril, M. Dosanjh a téléphoné à M. Jackson chez lui pour lui demander s'il s'en souvenait. M. Jackson a répondu que oui, et il a écrit à M. Dosanjh une lettre explicative que celui-ci a annexée à sa réfutation (pièce G-2).

[59]   M. Jackson a déclaré avoir ouvert et fermé la porte pour badiner; à l'audience, il a fait des excuses à ce sujet.

Répercussions des incidents

[60]   M. Sawatsky a déclaré avoir étudié le Rapport d'enquête (pièce E-26) et la réfutation de M. Dosanjh (pièce G-2) avant de conclure que ce dernier était responsable du transfert du courrier électronique de M. Robertson à son propre compte de courriel. M. Dosanjh a essayé par la suite d'ajouter l'adresse de son compte de courrier électronique dans un logiciel interne du CRS pour tenter de camoufler ce qu'il avait fait.

[61]   Ces incidents, combinés avec l'incident de la cuisine du 25 mars et celui de la relève du 28 avril de même qu'avec le dossier disciplinaire que M. Dosanjh avait accumulé jusque-là et le fait qu'il avait persisté à nier ce qui s'était passé, ont amené M. Sawatsky à conclure qu'il ne pouvait plus lui faire confiance. M. Dosanjh avait dans son dossier disciplinaire une réprimande écrite datée du 28 juillet 2000, ainsi qu'une amende de 90 $ qui lui avait été imposée le 14 décembre de la même année. M. Sawatsky était d'avis que, si M. Dosanjh continuait de travailler au CRS, sa présence pouvait constituer un danger pour ses collègues agents de correction, puisque tous les agents devaient agir en équipe à ce lieu de travail. La lettre de licenciement (pièce E-11) datée du 9 août a été signée par M. Sawatsky lui-même.

Arguments pour l'employeur

[62]   En l'espèce, les faits confirment qu'il est certain que les fichiers de courrier électronique de M. Robertson ont été transférés au compte de courrier de M. Dosanjh à la maison.

[63]   Le 21 avril 2001, M. Robertson travaillait aux tests d'analyse d'urine à l'ordinateur du bureau de l'UPRSCC. Vers 8 h 30, M. Vis, qui travaillait dans la bulle adjacente, lui a demandé de le remplacer pendant quelques minutes.

[64]   M. Robertson est alors sorti du bureau de l'UPRSCC, en laissant l'ordinateur sous tension par inadvertance, pour aller relever M. Vis; il n'est revenu à ce bureau que 20 ou 25 minutes plus tard.

[65]   À 8 h 40, MM. Acker, Froese et Dosanjh sont partis de la cuisine pour se rendre au bureau de l'UPRSCC, ce qui prend 4 ou 5 minutes.

[66]   D'après le témoignage de M. Acker, M. Dosanjh est allé s'installer à l'ordinateur tout de suite après être entré dans le bureau. Nous savons que M. Robertson était encore en communication avec l'ordinateur, et la pièce E-32 confirme qu'il avait commencé à 7 h 56. Les premières personnes à entrer ensuite en communication avec l'ordinateur du bureau de l'UPRSCC ont été M. Froese (à 8 h 51) suivi de M. Acker (à 8 h 55). M. Robertson est entré en communication avec l'ordinateur de l'A et L à 9 h 02.

[67]   Nous savons que les courriels de M. Robertson ont été transférés chez M. Dosanjh à 8 h 48 le 21 avril 2001, comme le prouve la pièce E-28.

[68]   Ce que nous ne savons pas, c'est quand un employé met fin à sa communication avec l'ordinateur. Toutefois, avant qu'un autre employé puisse entrer en communication avec l'ordinateur, celui qui s'en sert doit mettre fin à sa communication, à moins que quelqu'un d'autre ne le fasse à sa place.

[69]   Par conséquent, il a fallu que quelqu'un mette fin à la communication de M. Robertson avec l'ordinateur à 8 h 51 pour que M. Froese puisse entrer en communication. Il n'y avait à ce moment-là que trois agents dans le bureau de l'UPRSCC, de sorte que c'est l'un d'eux qui a dû envoyer les courriels.

[70]   M. Acker a déclaré que, lorsqu'ils sont entrés dans le bureau, M. Dosanjh a été le premier à s'installer à l'ordinateur. M. Dosanjh a admis s'y être installé, en précisant toutefois qu'il n'avait pas besoin d'entrer en communication pour ce qu'il avait à faire.

[71]   Au fond, c'est une affaire de crédibilité.

[72]   M. Dosanjh a dit avoir parlé à M. Froese d'un courriel qu'il avait récemment envoyé, en lui demandant ce qu'il en pensait. Comme M. Froese ne l'avait pas vu, ils se sont rendus au bureau de l'UPRSCC, M. Froese est entré en communication avec l'ordinateur, mais n'a pas pu trouver le courriel en question. M. Acker est entré en communication ensuite, mais M. Dosanjh ne lui a pas demandé de montrer le courriel à M. Froese, même si c'était censé être important pour lui; il a tout simplement laissé tomber.

[73]   Le registre révèle que M. Dosanjh est entré en communication avec d'autres ordinateurs ce jour-là, mais qu'il n'a pas envoyé cet important courriel à M. Froese avant le lendemain. Si ce qu'il dit était vrai, M. Dosanjh aurait pris le temps de récupérer le courriel pendant qu'il était dans le bureau de l'UPRSCC pour avoir l'opinion de M. Froese à ce sujet.

[74]   M. Froese n'a pas parlé de cela dans sa première déclaration à la direction, le 21 avril (pièce E-29). Par contre, il en a fait mention le 7 juin dans un rapport qu'il a rédigé à l'intention de M. Dosanjh (pièce G-2).

[75]   Nous savons que le courriel a été envoyé du bureau de l'UPRSCC à 8 h 48 et que trois employés seulement s'y trouvaient à ce moment-là. Il est peu probable que M. Froese ait envoyé le courriel à M. Dosanjh, puisqu'il est son ami et que nul n'a jamais laissé entendre qu'il l'ait fait. M. Acker n'a pas pu le faire, puisqu'il a déclaré qu'il ne connaissait pas l'adresse de courrier électronique de M. Dosanjh à la maison. Bref, seul M. Dosanjh aurait pu envoyer le courriel.

[76]   L'incident du courrier électronique est le plus grave qu'on reproche à M. Dosanjh, qui a toujours nié avoir transféré les fichiers. S'il l'avait admis, nous ne serions probablement pas ici.

[77]   En soi, cet incident n'est pas une infraction bien grave. Ce qui le rend grave, c'est que M. Dosanjh l'a toujours nié, alors que les agents de correction doivent être honnêtes et dignes de confiance.

[78]   L'avocat de l'employeur me renvoie aux décisions d'arbitrage de griefs suivantes : Dhanipersad, 2001 CRTFP 72 (166-32-30072); Trevena (dossier de la Commission 166-2-28562); Dupont Canada Inc. v. Communication, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 28-0 (Panter Grievance), [2001]   O.L.A.A. No. 676 et Welsh, 2001 CRTFP 29 (166-2-29492).

Arguments pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[79]   Jusqu'à l'automne 2000, M. Dosanjh avait un excellent dossier et il avait reçu plusieurs citations, dont une pour bravoure.

[80]   Le milieu de travail était alors difficile, et plus difficile encore en raison de la campagne de maraudage qui avait commencé en 2000, quand l'agent négociateur actuel cherchait à supplanter l'Alliance de la Fonction publique du Canada.

[81]   Il est important de se rappeler, à la lecture du rapport d'enquête sur l'incident, qu'il laisse entendre que M. Dosanjh était tenu de donner une explication valable de ce qui s'était passé et que, s'il en était incapable, il devait être coupable.

[82]   L'agent négociateur n'a pas la charge de trouver une autre possibilité. Bien qu'il soit convaincu qu'il s'agissait en l'occurrence d'un coup monté contre M. Dosanjh par quelqu'un d'autre, je ne suis pas tenu de déterminer si cette théorie est fondée.

[83]   Toute la preuve est circonstancielle; elle ne serait pas suffisante pour établir la culpabilité sans l'ombre d'un doute raisonnable, comme au pénal, ce qui est essentiellement le cas en l'espèce.

[84]   L'employeur ne s'est pas acquitté de la charge la plus lourde de la preuve, qui consiste à prouver que l'allégation est très probable en se fondant sur des éléments de preuve clairs, cohérents et convaincants. Son enquête pour conclure à la culpabilité de M. Dosanjh a été basée sur une moins lourde charge de la preuve.

[85]   L'enquête n'a porté que sur M. Dosanjh; l'employeur n'a pas pensé à faire enquête sur qui que ce soit d'autre.

[86]   L'employeur allègue que M. Dosanjh a tenté de cacher ce qu'il avait fait. Qu'est-ce qu'il a fait en réalité? Il a coopéré chaque fois qu'il lui était possible de le faire; il a vérifié dans son ordinateur à la maison et il a téléphoné à M. Richmond pour lui dire qu'il avait les courriels en question. Quelqu'un qui voudrait cacher quelque chose se conduirait-il ainsi? C'est un comportement absolument contraire à celui d'un coupable.

[87]   M. Dosanjh a imprimé une copie des courriels et les a remis à l'enquêteur, ce qui est loin de prouver qu'il voulait cacher quelque chose.

[88]   M. Dosanjh n'a jamais nié non plus avoir inscrit l'adresse de son courrier électronique à la maison dans le système. Il l'a fait ouvertement pour que les autres employés puissent communiquer avec lui à la maison au sujet d'activités sociales qu'il organisait.

[89]   L'information figurant dans les courriels en question n'a aucune valeur pour M. Dosanjh. Il était au courant de l'incident de la cuisine, alors pourquoi aurait-il risqué sa carrière afin d'obtenir un document dont il n'avait pas besoin? Il n'est pas logique de prétendre qu'il l'ait fait.

[90]   Déclarer que le courriel avait dû être envoyé par un autre des trois employés qui se trouvaient en même temps dans le bureau de l'UPRSCC revient à ignorer le fait que M. Robertson était là lui aussi, et qu'il aurait tout aussi bien pu envoyer les fichiers. M. Dosanjh a d'ailleurs témoigné qu'il a vu M. Robertson sortir du bureau juste avant qu'il n'y entre avec ses deux collègues.

[91]   M. Acker a déclaré qu'il s'était installé à l'ordinateur après M. Dosanjh, alors que le registre montre que c'est M. Froese qui s'y est installé avant lui. Le témoignage de M. Froese est compatible avec ce fait, de sorte qu'il faudrait y ajouter foi.

[92]   Si l'on devait imposer une sanction à M. Dosanjh, elle devrait être mineure, pour l'incident de la cuisine. C'est le seul incident qu'il faudrait envisager en l'occurrence.

[93]   M. Dosanjh devrait être réintégré et la Commission devrait rester saisie de l'affaire pour se prononcer sur cette question et sur des aspects connexes, comme celui des avantages sociaux.

[94]   L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé me renvoie aux décisions suivantes : Steele, [2001] B.C.L.R.B.D. No. 77; Emergency Health Services Commission -and- Ambulance Paramedics of British Columbia, Canadian Union of Public Employees, Local 873 (arbitre Rod Germaine, 9 mai 2001); Chénier, 2002 CRTFP 40; Holliday (dossier de la Commission 166-2-14297); Corus Premium Television -and- Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 1900, (arbitre P.A.L. Smith, c.r., 12 juin 2002).

Réplique

[95]   Pour que l'agent négociateur puisse déclarer que M. Robertson lui-même a envoyé le courriel à l'adresse de courrier électronique de M. Dosanjh à la maison, il aurait fallu qu'il sache à l'avance que M. Dosanjh était sur le point d'entrer dans le bureau de l'UPRSCC. Or, il ne pouvait tout simplement pas le savoir, puisque M. Dosanjh aurait pu aller à bien d'autres endroits.

[96]   On ne peut pas se fonder sur l'intérêt dans des affaires comme celles-ci : Ogilvie and Treasury Board (Indian and Northern Affairs) (1984), 15 L.A.C. (3d) 405 et Matthews (dossier de la Commission 166-20-27336).

Motifs de la décision

[97]   Trois allégations d'incidents ont mené à la décision de licencier M. Dosanjh. Deux de ces incidents n'étaient pas graves, et c'est sur eux que je vais me prononcer d'abord.

[98]   L'incident de la cuisine mettait en cause M. Dosanjh et M. Robertson, qui ont eu une vive discussion. M. Dosanjh déclare que M. Robertson l'a injurié, tandis que M. Robertson affirme que c'est M. Dosanjh qui jurait.

[99]   Mme Rhyness était un témoin impartial de cet échange agressif. Elle a déclaré que c'est M. Dosanjh qui criait et qui a injurié M. Robertson. Son rapport écrit, rédigé immédiatement après l'incident, concorde avec son témoignage.

[100]   On ne m'a avancé aucune raison afin d'expliquer pourquoi Mme Rhyness aurait trafiqué son témoignage. En fait, elle et M. Dosanjh sont des amis. Son témoignage quant au déroulement des événements est compatible avec celui de M. Robertson. Dans ce cas-ci, lorsque le témoignage de M. Dosanjh diffère de celui de M. Robertson, je conclus que je préfère le second.

[101]   Par conséquent, je conclus que M. Dosanjh a eu un affrontement avec M. Robertson et qu'ils ont eu un échange acerbe devant des détenus. Ce n'est pas une façon acceptable de régler des conflits d'opinion, et je souscris à la conclusion de l'employeur à l'égard de cet incident.

[102]   En ce qui concerne l'incident de la relève, M. Dosanjh a admis n'avoir pas relevé M. Jackson, mais la raison pour laquelle il ne l'a pas fait est que ce dernier voulait s'amuser et qu'il avait appuyé de façon répétée sur les boutons d'ouverture et de fermeture de la porte, l'obligeant à reculer plutôt qu'à passer.

[103]   À mon avis, il s'agit là d'un incident mineur au point d'être virtuellement sans importance. Je n'ai absolument aucun doute que la direction ne s'y serait pas intéressée si l'incident avait été isolé. Même combiné avec les autres événements, il n'y a rien dans cet incident, selon moi, qu'on puisse reprocher à M. Dosanjh. Il n'a pas relevé M. Jackson, mais la raison pour laquelle il ne l'a pas fait m'a été très bien expliquée par M. Jackson.

[104]   Il ne reste plus que le troisième incident, celui du courriel. L'employeur allègue que c'est le plus grave, et je suis d'accord. M. Dosanjh a continuellement nié avoir envoyé les fichiers de M. Robertson chez lui dans son ordinateur.

[105]   L'avocat de l'agent négociateur a admis que la personne qui a effectivement appuyé sur le bouton « envoyer » de l'ordinateur du bureau de l'UPRSCC pour envoyer les fichiers de M. Robertson à l'adresse de courrier électronique de M. Dosanjh à la maison était une des quatre personnes suivantes : M. Robertson lui-même, M. Acker, M. Froese ou M. Dosanjh.

[106]   M. Acker a déclaré qu'il ne connaissait pas l'adresse de courrier électronique de M. Dosanjh à la maison, et ce témoignage n'a jamais été réfuté. Il n'aurait donc pas pu transférer les fichiers.

[107]   Pour pouvoir le faire, il aurait fallu que M. Robertson se trouve dans le bureau de l'UPRSCC au moment où les courriels ont été transférés, à 8 h 48. Or, M. Vis a témoigné qu'il avait demandé à M. Robertson de le relever dans la bulle à 8 h 30 et que M. Robertson l'avait fait. À cette fin, il avait dû sortir du bureau de l'UPRSCC.

[108]   M. Vis a déclaré s'être absenté environ cinq minutes, ce qui signifie qu'il est retourné à la bulle à 8 h 35. Il a témoigné - et personne ne l'a contesté - que M. Robertson était resté avec lui dans la bulle et qu'ils avaient causé de 15 à 20 minutes, ce qui nous amènerait entre 8 h 50 et 8 h 55, soit après que le courriel eut été envoyé chez M. Dosanjh.

[109]   Cette version correspond à ce qui s'est passé d'après M. Robertson.

[110]   M. Dosanjh a déclaré que, au moment où il s'apprêtait à entrer dans le bureau de l'UPRSCC, M. Robertson en sortait, et qu'il lui a claqué la porte du bureau au nez. D'après le rapport écrit de M. Froese sur l'incident (pièce E-29), il avait quitté la cuisine avec les deux autres agents de correction à 8 h 40. Personne n'a contesté qu'il faut de quatre à cinq minutes pour aller de la cuisine au bureau de l'UPRSCC.

[111]   Cela signifie que les trois agents sont arrivés à ce bureau à 8 h 44 ou 8 h 45. M. Dosanjh a témoigné que M. Robertson en sortait quand ils y sont arrivés, de sorte que, d'après le témoignage même du fonctionnaire s'estimant lésé, M. Robertson n'était pas dans le bureau à 8 h 48 quand le courriel en question a été envoyé.

[112]   Là où cette version diffère des autres, je préfère le témoignage de M. Vis, un autre observateur impartial, qui a déclaré que M. Robertson n'était pas dans le bureau de l'UPRSCC à 8 h 48, autrement dit quand le courriel a été envoyé; il n'aurait donc pas pu l'envoyer au compte de courrier électronique de M. Dosanjh à la maison.

[113]   M. Froese était un ami de M. Dosanjh, et l'on n'a jamais insinué qu'il avait envoyé ce courriel au compte de courrier électronique de M. Dosanjh à la maison.

[114]   Si nous nous contentons simplement d'éliminer tous ceux - sauf le fonctionnaire s'estimant lésé - qui auraient pu envoyer le courriel en question, le seul qui reste et qui aurait pu le faire est le fonctionnaire s'estimant lésé lui-même. Bien qu'il ait continuellement nié l'avoir fait, je ne puis arriver à aucune autre conclusion : il a envoyé les fichiers de M. Robertson à son adresse de courrier électronique à la maison. Il a d'ailleurs lui-même admis qu'il se trouvait dans le bureau de l'UPRSCC à 8 h 48, quand le courriel a été envoyé du compte de M. Robertson à son adresse de courrier électronique à la maison. On l'a vu travailler à l'ordinateur, et le registre n'indique pas qu'il était entré en communication. Je pense qu'il est allé à l'ordinateur, qui était encore sous tension quand M. Robertson avait quitté la pièce, de sorte qu'il n'avait pas besoin d'entrer en communication. Le registre montre que M. Froese est lui-même entré en communication à 8 h 51, suivi à 8 h 55 par M. Acker. Ce dernier a témoigné que M. Dosanjh avait été le premier d'entre eux à s'installer à l'ordinateur. Je le crois, et cela signifie que le fonctionnaire s'estimant lésé était à l'ordinateur avant 8 h 51, ce qui serait compatible, je pense, avec le fait qu'il a envoyé le courriel à son adresse de courrier électronique à la maison à 8 h 48.

[115]   Cette conclusion faite, je dois maintenant me pencher sur la question de la sanction. Ce comportement justifie-t-il le congédiement?

[116]   M. Dosanjh est âgé de 51 ans et il est entré au SCC en 1975; il a 27 années de service, avec une citation pour bravoure et d'autres citations à son dossier.

[117]   M. Dosanjh n'a jamais admis avoir envoyé le courriel. L'avocat de l'employeur a déclaré que, s'il l'avait admis, autrement dit s'il avait reconnu sa culpabilité, nous ne serions pas ici. L'affaire aurait été traitée autrement.

[118]   Je reconnais qu'il est troublant que quelqu'un n'accepte pas la responsabilité de ses actes, mais je ne crois pas que la relation de confiance soit irrémédiablement rompue dans ce cas-ci.

[119]   Dans Corus Premium Television, supra, l'employé s'estimant lésé, qui avait quatre ans d'ancienneté, avait été congédié pour avoir consulté le fichier de courrier électronique d'un collègue et pour avoir rendu public un document qu'il avait trouvé. Il avait commencé par nier, mais avait fini par admettre ce qu'il avait fait.

[120]   Aux pages 10 et 11 de la décision, l'arbitre P.A.L. Smith, c.r., a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Je n'ai aucun doute que l'employeur était préoccupé à juste titre par la conduite de l'employé s'estimant lésé et qu'il soit subjectivement d'avis que la relation d'emploi a été sapée à tout jamais par la conduite de l'intéressé. Néanmoins, le critère qu'il faut appliquer en définitive dans cette affaire est un critère objectif, autrement dit qu'on doit tenir compte de la nature de la faute et du contexte dans lequel elle a été commise ainsi que de l'employé s'estimant lésé, de son dossier d'emploi, de sa fiche disciplinaire et de ses antécédents professionnels, en se demandant s'il est raisonnable de conclure que la relation d'emploi a été sapée au point que l'abus de confiance ou le comportement malhonnête de l'employé s'estimant lésé font que je ne devrais pas mitiger le congédiement. Dans cette affaire, je suis convaincu que le syndicat s'est acquitté de la charge de la preuve qui lui incombe, à savoir qu'une sanction moins dure devrait être substituée au congédiement.

À cet égard, l'employeur m'a pressé de ne pas tenir compte des caractéristiques du courriel qui a fait l'objet de la plainte sur la conduite de l'employé s'estimant lésé, mais je ne suis pas disposé à agir de la sorte. En effet, même si je reconnais que chaque accès non autorisé au compte de courrier électronique d'un collègue est une atteinte à la vie privée et une infraction aux règles de confidentialité, ce ne sont pas toutes les intrusions non autorisées comme celles-là dans le courrier ou les fichiers de quelqu'un d'autre qui justifient le renvoi. Le courriel en question avait été largement distribué directement par l'expéditeur. Par conséquent, il serait difficile de conclure que celui-ci avait de grandes attentes d'intimité à cet égard. L'employé s'estimant lésé n'a tiré aucun gain ni aucun autre avantage de son accès et de son impression du courrier électronique, même si l'on pourrait conclure en toute équité que son contenu l'intéressait beaucoup étant donné qu'il exprimait ce que l'on ne peut décrire que comme une attitude vitriolique à l'égard du syndicat. Je reconnais aussi que la conduite de l'employé s'estimant lésé était motivée par son peu de sympathie pour l'expéditeur, ce qui n'est pas une excuse rationnelle ni même raisonnable. Néanmoins, l'employé s'estimant lésé a déclaré qu'il n'avait pas distribué de courriel, et il n'y a aucune raison de ne pas le croire. Il s'ensuit que, même si la faute était grave dans le contexte de la politique claire de l'employeur quant à la confidentialité et à la protection de la vie privée du courrier électronique, les circonstances en l'espèce laissent entendre qu'il ne s'agissait que d'une intrusion modeste dans la vie privée de l'intéressé.

[121]   L'arbitre Smith a poursuivi en examinant plusieurs circonstances atténuantes pour enfin conclure qu'une suspension d'un mois était justifiée.

[122]   Dans le cas de M. Dosanjh, comme je l'ai déjà dit, il y a des circonstances atténuantes, à savoir qu'il compte 27 ans de service au SCC et qu'il a aussi mérité diverses citations, dont une pour bravoure.

[123]   Selon moi, il ne fait aucun doute qu'il s'agissait là d'un incident isolé sous l'inspiration du moment. M. Robertson avait laissé l'ordinateur sous tension par inadvertance et M. Dosanjh n'aurait pu avoir aucun moyen de le savoir avant d'entrer dans le bureau de l'UPRSCC. L'occasion a fait le larron; il n'y avait rien là de prémédité.

[124]   On peut lire dans le dossier disciplinaire de M. Dosanjh qu'il a écopé d'une réprimande écrite le 28 juillet 2000 et qu'il s'est fait imposer une amende de 90 $ le 14 décembre de la même année. Bien que ces deux sanctions soient à son dossier, je ne pense absolument pas, compte tenu des faits en l'espèce, que le congédiement était la sanction appropriée pour la prochaine incartade.

[125]   On ne m'a rien dit pour démontrer que le fonctionnaire s'estimant lésé a gagné quoi que ce soit en accédant aux fichiers en question. En supprimant les fichiers des analyses d'urine de M. Robertson, M. Dosanjh aurait pu lui causer des difficultés; M. Robertson aurait peut-être dû refaire le travail. Pourtant, les fichiers eux-mêmes n'avaient aucune valeur pour M. Dosanjh. Le rapport de M. Robertson sur l'incident de la cuisine aurait pu avoir de l'intérêt pour lui, mais si l'on faisait enquête sur la question, il aurait vu le rapport et il aurait dû y répondre; en définitive, il aurait donc été au courant de ce document.

[126]   Compte tenu de tous les faits, je pense qu'une suspension disciplinaire de trois mois sans traitement devrait être substituée au congédiement. J'ordonne donc que le fonctionnaire s'estimant lésé soit réintégré dans son ancien poste à compter du 25 août 2001, ce qui équivaudrait à une suspension de trois mois, d'après l'information qui figure dans la lettre de licenciement. J'ordonne aussi à l'employeur de rembourser au fonctionnaire s'estimant lésé toutes les pertes subies au titre du traitement et des avantages sociaux à compter de cette date. Le fonctionnaire s'estimant lésé doit se présenter au travail dans un délai d'une semaine de la date de la présente décision.

[127]   À mon avis, cela dit, l'incident de la cuisine était une sérieuse altercation, étant donné qu'il s'est déroulé au vu et au su des détenus. Ce n'est pas un bon exemple à leur donner, ni un bon exemple de ce qu'un modèle de rôle devrait être.

[128]   L'intrusion dans le courrier électronique d'un collègue est grave, elle aussi, mais je suis convaincu que la suspension de trois mois est suffisamment longue pour faire comprendre à M. Dosanjh que ce genre de comportement ne sera pas toléré. Je n'ai plus qu'à espérer qu'il comprendra que toutes les difficultés qu'il a pu avoir dans le passé avec d'autres agents de correction resteront chose du passé. Le CRS est une institution qui a besoin de la coopération de tous les agents qui y sont affectés, et je ne puis qu'espérer que ce sera le cas dans l'avenir.

[129]   L'avocat de M. Dosanjh m'a demandé de demeurer saisi de l'affaire au sujet du redressement. Comme j'ai ordonné la réintégration, je demeure saisi du dossier à cette fin jusqu'au 1er mai 2003, au cas où les parties auraient de la difficulté à mettre ma décision en ouvre.

[130]   Enfin, je tiens à remercier sincèrement les deux avocats pour leur présentation de toute la preuve qui m'a été soumise. Ils n'ont tous les deux rien négligé pour représenter leur client, et je dois les féliciter pour leur façon de traiter cette affaire.

Joseph W. Potter,
Vice-président

OTTAWA, le 26 février 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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