Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Sanction pécuniaire - Harcèlement d'une compagne de travail - Le refus de parler à une collègue peut-il constituer du harcèlement - le fonctionnaire s'estimant lésé, agent correctionnel, a été informé par un autre collègue qu'une agente arriverait sous peu avec les médicaments qu'il avait demandés - il a rétorqué qu'on lui envoie quelqu'un d'autre parce qu'il ne voulait pas la voir - l'agente en question a été informée de sa réponse et s'est présentée devant le fonctionnaire s'estimant lésé pour demander des explications quant à son attitude méprisante à son endroit - le fonctionnaire s'estimant lésé lui a expliqué qu'il n'avait pas apprécié le fait que, plusieurs années auparavant, elle ait rapporté à la direction qu'il avait perdu un radiotéléphone - l'agente a déclaré que, depuis l'incident du radiotéléphone, le fonctionnaire s'estimant lésé refusait de travailler avec elle parce qu'elle était une femme - elle alléguait également qu'il avait fait de nombreux commentaires désobligeants à l'endroit des femmes - après leur discussion, l'agente a déposé une plainte de harcèlement qui a été accueillie à la suite d'une enquête de l'employeur - une sanction pécuniaire de 600 $ a été imposée au fonctionnaire s'estimant lésé - le fonctionnaire s'estimant lésé prétendait qu'il ne pouvait pas avoir harcelé la plaignante puisqu'il ne lui parlait pas - le fonctionnaire s'estimant lésé affirmait que l'agente exagérait la situation parce qu'elle trouvait difficile de travailler avec lui - l'employeur soutenait qu'il était inacceptable d'agir de manière méprisante à l'endroit des collègues de travail, ainsi que de refuser de leur adresser la parole - l'arbitre a conclu que l'attitude du fonctionnaire s'estimant lésé était fautive et constituait du harcèlement - il était d'avis que le refus de parler à un collègue de travail constituait effectivement du harcèlement - cependant, il a rejeté l'allégation selon laquelle l'attitude du fonctionnaire s'estimant lésé était liée à sa difficulté à travailler avec des femmes et a plutôt attribué le problème à un conflit personnel de longue date entre les deux fonctionnaires - il a conclu que la mesure disciplinaire était justifiée. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-03-01
  • Dossier:  166-2-31036
  • Référence:  2004 CRTFP 16

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

GILLES ALAIN LOYER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Solliciteur général Canada - Service correctionnel)

employeur

Devant :   Jean-Pierre Tessier, commissaire

Pour le fonctionnaire
s'estimant lésé
:  
Richard Mercier, avocat, UCCO-SACC-CSN

Pour l'employeur :  Jennifer Champagne, avocate


Affaire entendue à Sherbrooke (Québec),
du 9 au 12 septembre 2003.


[1]    Gilles Alain Loyer travaille au Service correctionnel depuis 1978, et depuis 1989, à l'établissement Cowansville. Le 30 novembre 1998, il dépose un grief pour contester le fait que son employeur lui ait imposé une amende de 600 $, relativement à sa conduite envers une autre employée.

[2]    Le 20 décembre 2001, le grief est renvoyé à l'arbitrage et la cause est entendue durant la semaine du 9 septembre 2003. Le présent grief est entendu simultanément avec un autre dossier concernant M. Loyer, soit son licenciement le 29 septembre 2001. Ce dernier dossier a fait l'objet d'un grief et porte le numéro 2004 CRTFP 17.

[3]    Les parties conviennent que la preuve présentée dans le présent dossier soit versée dans le dossier du licenciement (2004 CRTFP 17) et vice versa. Chaque dossier fait l'objet d'une décision spécifique.

Les faits

[4]    Le 24 juillet 1997, une collègue de travail de M. Loyer adresse une lettre à la direction (pièce E-2) pour dénoncer la conduite de M. Loyer à son égard. La signataire de la plainte, Mme Roberte Nadon, réfère à un incident survenu le 22 juillet de la même année.

[5]    Le 22 juillet 1997, M. Loyer travaille à la salle des visites et il téléphone à la salle des gardes pour qu'on envoie chercher des médicaments. L'agent qui reçoit l'appel lui répond qu'il envoie Mme Nadon, ce à quoi M. Loyer rétorque qu'il ne veut pas voir cette dernière et qu'on lui envoie quelqu'un d'autre.

[6]    Mise au courant de cette conversation, Mme Nadon se rend rencontrer M. Loyer pour lui demander pourquoi il adopte une attitude méprisante envers elle. Sur ce, M. Loyer lui répond qu'il n'a pas apprécié que Mme Nadon rapporte aux autorités qu'il avait égaré un radiotéléphone lors de son quart de travail. Il dit avoir écopé d'une suspension équivalente à deux jours de salaire pour cet incident. Cet incident du radiotéléphone remonte à quelques années, soit en 1994-95.

[7]    Dans sa plainte, Mme Nadon rapporte que depuis plusieurs années, soit depuis l'incident relatif au radiotéléphone, M. Loyer lui fait subir plusieurs frustrations.

[8]    Le premier témoin de l'employer, M. Claude Guérin, directeur adjoint à l'établissement de Cowansville, indique que la plainte de Mme Nadon est d'abord traitée à l'intérieur et il y a tentative de médiation entre les deux personnes concernées. Cette procédure n'a pas porté fruit; les pièces E-3 et E-10 font état d'échanges de correspondance à ce sujet.

[9]    Finalement, le directeur de l'établissement détermine qu'il y a lieu de tenir une enquête indépendante à laquelle participerait une personne de l'extérieur de l'établissement, soit Mme Carole Lefebvre.

[10]    Lors de son témoignage, Mme Lefebvre commente le rapport d'enquête qui fut remis au directeur de l'établissement le 22 juillet 1998. Elle souligne que, lors de l'enquête, on voulait interroger un certain nombre d'employées, compte tenu que Mme Nadon avait indiqué que M. Loyer faisait des remarques au sujet des femmes et qu'il semblait refuser de travailler avec elle parce qu'elle était une femme.

[11]    Bien qu'au cours de l'enquête M. Loyer se soit défendu en disant qu'il ne pouvait harceler Mme Nadon puisqu'il ne lui parlait pas, Mme Lefebvre croit au contraire que les faits recueillis au cours de l'enquête démontrent que le comportement de M. Loyer visait à blesser et humilier Mme Nadon. D'ailleurs, la conclusion du rapport va dans ce sens (pièce E-11) :

CONCLUSION :

La directive du Commissaire 255 sur le harcèlement et toute autre forme de discrimination en milieu de travail définit :

« qu'on entend par harcèlement tout comportement malséant ou blessant d'une personne envers un employé et dont l'importunité et le caractère fâcheux étaient connus de l'auteur ou n'auraient pas dû lui échapper. Tout propos, action ou exhibition répréhensible qui humilie, rabaisse ou embarrasse un employé, qu'il s'agisse d'un incident unique ou d'une série d'incidents, est une manifestation de harcèlement. »

En parallèle avec les faits qui ont été recueillis par le comité d'enquête, tant de la part de Madame Nadon que des personnes interrogées, le comité conclut que les propos de M. Loyer à l'égard de la plaignante et de la gent féminine est embarrassante, et malgré que M. Loyer dit ne pas se rappeler ses paroles.

Face aux demandes de Mme. Nadon auprès de M. Loyer le comité est d'avis que celui-ci aurait dû cesser son comportement dénigrant puisqu'il était porté à sa connaissance par la plaignante, d'une part par une copie de sa plainte qui lui fut signifiée, d'autre part par une tentative de la plaignante de s'expliquer avec l'auteur et finalement par les mesures prises par son surveillant.

Ainsi le comité conclut que l'allégation de la plaignante à l'effet qu'elle est harcelée par Monsieur Gilles Alain Loyer est fondée.

[12]    Le témoignage de Mme Nadon à l'audience corrobore les éléments soulevés dans le rapport d'enquête. Elle dit s'être sentie persécutée et humiliée par le fait que M. Loyer adoptait une attitude de mutisme en sa présence. Il lui était insupportable de travailler pendant des heures en compagnie de M. Loyer alors que ce dernier l'ignorait et ne lui adressait pas la parole. C'est pourquoi il lui est arrivé souvent de demander à être changé d'horaire de travail pour ne pas faire équipe avec M. Loyer. L'incident du 22 juillet, alors que M. Loyer avait déclaré qu'il ne voulait pas voir Mme Nadon, est la goûte d'eau qui a fait déborder le vase.

[13]    De son côté, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait entendre les témoins Sylvie Gagnon, Isabelle Veaugeois, Gaétan Blanchard, Jacques Grenier, Andrew Cathcart, Denis Fontaine et Claude Lacoste.

[14]    Les employées indiquent qu'elles n'ont pas de problème à travailler avec M. Loyer bien que, comme d'autres collègues masculins d'ailleurs, il formule à l'occasion des blagues à l'égard des femmes.

[15]    Un collègue de travail, M. Fontaine, pour sa part considère que Mme Nadon et M. Loyer auraient dû régler leur problème entre eux. En août 1997, il avait adressé une lettre à l'employeur dans laquelle il décrit l'incident du 22 juillet, et apporte certains commentaires. Dans cette lettre (pièce F-2), il écrit d'ailleurs :

...

Devant l'ampleur de sa réaction je lui suggère plutôt d'aller le rencontrer et de régler ses affaires avec lui. Mais cette dernière ne veut rien savoir, elle tient absolument à le rapporter pour harcèlement.

Je trouve un peu tordu d'ampleur la réaction de Mme Nadon, ce que je considère beaucoup plus comme un conflit de personnalité dont je fus l'humble victime étant pris entre deux personnes ne voulant pas se parler ni se voir.

....

[16]    M. Lacoste, quant à lui, considère que Mme Nadon est un peu insécure face aux détenus; il est enclin à penser que pour se couvrir Mme Nadon n'hésiterait pas à faire porter la responsabilité d'un incident sur un autre collègue.

[17]    Une pancarte avec la mention du mot « taupe » fut affichée dans le vestiaire des employés. Selon les témoins, cet écriteau visait Mme Nadon, à qui on reprochait d'être « collée » sur l'administration. Il n'y a dans la preuve aucune indication permettant d'identifier l'individu qui a placé cette pancarte. Il ne semble pas qu'il y ait eu d'enquête à ce sujet.

[18]    M. Loyer, quant à lui, considère qu'il n'a pu harceler Mme Nadon puisqu'il ne lui parlait pas. Relativement à la perte du radiotéléphone, M. Loyer considère que Mme Nadon aurait pu lui laisser le temps de le rapporter puisqu'il lui avait indiqué se souvenir de l'endroit où le radiotéléphone avait été laissé.

Plaidoiries

[19]    L'employeur soutient que tout comportement méfiant à l'égard d'un employé est inacceptable. Dans le cas de M. Loyer, il ne s'agit pas d'un acte isolé mais plutôt d'une attitude de mépris et de mutisme à l'égard de Mme Nadon, qui a perduré pendant plusieurs années.

[20]    Selon le représentant de M. Loyer, Mme Nadon avait une réputation de se plaindre à l'administration. Elle se sent insécure face aux prisonniers et elle aurait amplifié l'incident du 22 juillet parce qu'elle avait de la difficulté à fonctionner avec M. Loyer.

Motifs

[21]    À la lecture du rapport d'enquête et compte tenu des témoignages, il ne fait aucun doute que l'attitude de M. Loyer à l'égard de Mme Nadon est fautive et constitue du harcèlement. Bien que le 22 juillet soit le fait culminant, les enquêteurs constatent que le harcèlement perdurait depuis plusieurs années. On ne peut retenir l'argument de défense de M. Loyer lorsqu'il fait remarquer qu'il ne pouvait harceler Mme Nadon puisqu'il ne lui parlait pas. Les enquêteurs ont bien fait ressortir dans la conclusion de leur rapport que le harcèlement parvient non seulement de geste posé mais aussi d'attitude négative, tel l'absence de communication ou le silence.

[22]    Dans sa plainte à l'administration le 24 juillet 1997, Mme Nadon souligne qu'elle a demandé à M. Loyer de la respecter en tant que femme et individu.

[23]    Il me paraît que, lors de l'enquête, Mme Nadon voulait mettre en évidence le fait que M. Loyer la harcelait, parce qu'elle était une femme.

[24]    Cependant, au cours de l'audience, plusieurs employées ont signalé qu'elles n'avaient aucun problème à travailler avec M. Loyer.

[25]    De fait, ce qui est au coeur du problème vient du fait que M. Loyer a un conflit personnel avec Mme Nadon parce qu'elle l'avait dénoncé à l'employeur au sujet de la perte d'un radiotéléphone (« Radio Charly ») dans les années 1995-96.

[26]    Dans la lettre qu'il adresse à l'administration le 1er août 1997, l'agent Denis Fontaine souligne pertinemment qu'il existe un conflit personnel entre Mme Nadon et M. Loyer. Par cette assertion, M. Fontaine souligne que, selon lui, il existe un conflit entre M. Loyer et Mme Nadon, ce qui amène M. Loyer à bouder et dénigrer cette dernière.

[27]    De fait, M. Loyer reproche à Mme Nadon d'avoir indiqué dans son rapport relatif au matériel utilisé lors d'un quart de travail que M. Loyer avait égaré un radiotéléphone.

[28]    Nous sommes ici dans un milieu carcéral et il est important de vérifier les pertes d'équipement, qu'il s'agisse d'un radiotéléphone, d'une matraque, d'une ceinture ou autre chose. Il est essentiel que les agents complètent avec exactitude les rapports sur le matériel. En indiquant dans son rapport la perte d'une pièce d'équipement (« Radio Charly ») par M. Loyer, Mme Nadon n'a fait que son devoir.

[29]    Ce rapport ne plaît pas à M. Loyer; il aurait voulu que Mme Nadon ne fasse pas mention de la perte du radiotéléphone et qu'elle lui laisse le temps de le rapporter.

[30]    En guise de représailles, M. Loyer boude Mme Nadon. Bien plus, le 22 juillet 1997, il indique clairement à un autre agent qu'il ne veut pas voir Mme Nadon.

[31]    À mon sens, les enquêteurs auraient dû accorder une plus grande importance à cette cause de harcèlement qui se veut une forme de représailles entre un agent qui a rapporté les failles d'un autre agent, plutôt que d'insister sur les relations entre un employé de sexe masculin et une employée de sexe féminin.

[32]    Quoi qu'il en soit, la conduite et le comportement de M. Loyer à l'égard de Mme Nadon sont tout à fait inacceptables, et la sanction disciplinaire qui lui fut imposée par l'employeur est justifiée.

[33]    Pour ces motifs, je rejette le grief.

Jean-Pierre Tessier,
commissaire

OTTAWA, le 1er mars 2004.

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