Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Décision provisoire - Préclusion découlant d'une question déjà tranchée - Licenciement (motif non disciplinaire) - Allégation de la fonctionnaire s'estimant lésée pour manquement au devoir d'adaptation - Décision d'une tierce partie indépendante, conformément à la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada - Annulation du licenciement par la tierce partie indépendante et ordre de réintégration - Grief alléguant la cessation abusive d'un congé d'accident du travail et une suspension ou une utilisation inappropriée, imposée par l'employeur, de ses congés annuels ou de maladie - Tentative de la fonctionnaire s'estimant lésée pour empêcher l'employeur de remettre en litige les questions tranchées dans la décision du processus d'ETPI - Détermination des questions fondamentales pour la première décision - conformément à la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada, l'employeur a mis sur pied un processus permettant aux employés insatisfaits d'une décision en matière de dotation ou de licenciement ne pouvant plus être soumise à un examen par la Commission des relations de travail dans la fonction publique de demander la tenue d'un examen par une tierce partie indépendante (ETPI) - la fonctionnaire s'estimant lésée avait dû s'absenter longuement de son travail pour raisons de maladie, et l'employeur avait fini par la licencier - elle a demandé la tenue d'un ETPI, et l'audience devant l'examinateur a duré 19 jours - l'examen a compris des présentations préalables à l'audience, des témoignages, une preuve documentaire, l'assermentation des témoins, la représentation des deux parties par un avocat, des contre-interrogatoires, la participation de témoins experts, le dépôt de présentations écrites totalisant plus de 200 pages et enfin une décision détaillée - l'examinateur a conclu que l'employeur n'avait pas été justifié de licencier la fonctionnaire s'estimant lésée parce qu'il n'était pas en mesure de répondre aux besoins liés à son incapacité; il a ordonné qu'elle soit réintégrée dans son poste et que les mesures d'adaptation nécessaires soient prises - la fonctionnaire s'estimant lésée a aussi présenté des griefs résultant de la situation, en alléguant que l'employeur avait mis fin abusivement à son congé d'accident de travail et que son ordre de ne pas se présenter au travail en juin 1998 était en fait une suspension sans salaire ou une utilisation inappropriée de ses congés de maladie ou annuels - dans le contexte de l'audience, elle a tenté d'empêcher l'employeur de remettre en litige les questions ayant fait l'objet de l'ETPI - l'arbitre a conclu qu'il n'était pas contesté que la décision de l'ETPI était définitive et que les parties à cette décision étaient les mêmes dans cette instance que devant elle - elle a aussi décidé qu'il n'était pas contesté que la décision antérieure était judiciaire; puisque l'examinateur chargé de l'ETPI était investi du pouvoir juridictionnel nécessaire pour rendre une décision d'arbitrage, l'ETPI devait être mené judiciairement, en plus de respecter les règles de la justice naturelle - les parties n'étaient toutefois pas d'accord sur la question de savoir si l'ETPI avait tranché la même question que celle dont l'arbitre était saisie - l'arbitre a jugé que la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ne pouvait s'appliquer que si la question tranchée était fondamentale pour la décision rendue dans la procédure antérieure - elle a examiné certains des faits que la fonctionnaire s'estimant lésée devait établir pour convaincre l'examinateur chargé de l'ETPI que son licenciement pour motif non disciplinaire n'était pas justifié, afin de déterminer ceux qui étaient fondamentaux pour cette décision-là - elle a toutefois refusé de préciser lesquelles des conclusions de fait tombaient d'un côté de la ligne ou de l'autre, en déclarant que certains cas étaient évidents et que les avocats pourraient départager la plupart des autres - elle a conclu que les neuf points sur lesquels l'ETPI s'était penché étaient également des questions qu'elle allait devoir étudier pour rendre une décision sur les griefs dont elle était saisie et que, par conséquent, l'examinateur indépendant et elle devaient se prononcer sur les mêmes questions - l'arbitre a conclu que le principe de préclusion découlant d'une question déjà tranchée s'appliquait à la procédure dont elle était saisie - elle a jugé qu'il y avait lieu d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'invoquer la préclusion découlant d'une question déjà tranchée - en analysant les sept facteurs que la Cour suprême du Canada avait établis dans Danyluk (infra) ainsi qu'en tenant compte de tous les critères pertinents, tout particulièrement le risque d'injustice, elle a conclu que le principe de préclusion découlant d'une question déjà tranchée devrait s'appliquer et refusé de laisser l'employeur remettre en litige devant elle les neuf points tranchés par l'examinateur chargé de l'ETPI. Demande conjointe accueillie; le principe de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée s'applique à la décision antérieure. Décisions citées :Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada) 2004 CF 507; McIntosh v. Parent, [1924] 4 D.L.R. 420; Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248; Hilltop Group Ltd. v. 806046 Ontario Ltd. , [2003] O.J. no 4958 (S.C.J.).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-08-27
  • Dossier:  166-34-30612 à 30614
  • Référence:  2004 CRTFP 125

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

SIMONE SHERMAN
fonctionnaire s'estimant lésée

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA
employeur



Devant :   Mary Ellen Cummings, commissaire

Pour la fonctionnaire
s'estimant lésée
:  
Dan Rafferty

Pour l'employeur :  Christopher Leafloor

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
les 10 et 11 juin 2004.


[1]    J'ai été nommée pour instruire trois griefs connexes liés à l'emploi de Simone Sherman à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, maintenant l'Agence du revenu du Canada (« l'employeur » ou « l'Agence »). Dans le premier grief, Mme Sherman prétend que l'employeur a mis un terme de manière abusive à son congé d'accident de travail, en septembre 1997. Les deuxième et troisième griefs portent sur le même ensemble d'événements. Le 19 juin 1998, Mme Sherman a été avisée de ne pas se présenter au travail. Elle a déposé un grief à l'égard de cette décision au motif qu'elle constituait soit une suspension sans salaire, soit une utilisation inappropriée de ses congés de maladie ou annuels, alors que Mme Sherman soutient qu'elle était en mesure de retourner au travail avec les accommodements nécessaires pour répondre aux besoins de son incapacité.

[2]    Juste avant le début de l'audience, les parties ont convenu que je devrais tout d'abord déterminer si une décision rendue par une autre instance relativement à Mme Sherman et à sa capacité de travailler devrait donner lieu à une préclusion découlant d'une question déjà tranchée. Mme Sherman et son syndicat l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (« IPFPC ») soutiennent que l'examinateur indépendant s'étant penché sur le licenciement subséquent de Mme Sherman pour des motifs non disciplinaires a rendu une décision définitive sur les mêmes questions dont je suis saisie, mettant en cause les mêmes parties, dans le cadre d'un processus judiciaire. Par conséquent, Mme Sherman prétend que, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je ne devrais pas permettre la remise en litige de ces mêmes questions. En réponse, l'employeur a fait valoir que les questions n'étaient pas les mêmes. Quoi qu'il en soit, dans le cadre de l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je ne devrais pas m'en remettre à la décision antérieure du fait de l'existence d'un fondement pour conclure que la décision était injuste eu égard à la preuve de l'employeur et que, essentiellement, celui-ci ne devrait pas être « pénalisé » devant la Commission en étant privé de présenter de nouveau ses arguments.

Preuve relative à la préclusion découlant d'une question déjà tranchée

[3]    Les parties se sont entendues sur la plupart des éléments de preuve que je devais étudier au titre de la motion préliminaire présentée par Mme Sherman. Celle-ci a été licenciée pour des motifs non disciplinaires en août 2000. Comme mentionné précédemment, Mme Sherman était alors à l'emploi de l'Agence des douanes et du revenu du Canada. Depuis l'adoption de la Loi créant l'Agence, la Commission des relations de travail dans la fonction publique n'est plus habilitée à examiner certaines décisions portant sur la dotation et le licenciement. Cependant, l'article 54 de la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada, L.C. 1999, ch.17, (Loi sur l'ADRC) prévoit que l'Agence doit élaborer un programme de dotation offrant un recours aux employés afin de contester les décisions en matière de dotation et de licenciement ne pouvant plus être soumises à un examen par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« la CRTFP »). L'employeur a mis sur pied un processus permettant aux employés insatisfaits de demander la tenue d'un examen par une tierce partie indépendante (ETPI). Après son licenciement, Mme Sherman a demandé la tenue d'un ETPI. Les parties conviennent que ce recours était le seul dont la fonctionnaire s'estimant lésée disposait.

[4]    Conformément aux lignes directrices établies par l'Agence pour l'ETPI, le Bureau de gestion des différends a nommé un examinateur parmi sa liste de candidats. Toutes les parties connaissent l'examinateur, John Wilson, qui est un avocat spécialisé dans l'arbitrage de différends portant sur les droits en matière d'indemnisation des accidents de travail à la Commission des services financiers de l'Ontario.

[5]    L'audience de Mme Sherman devant M. Wilson a duré 19 jours complets. Les parties conviennent de ce qui suit :

  • Les deux parties ont eu la possibilité d'être entendues, sous forme de témoignages ou de preuve documentaire

  • Des présentations préalables à l'audience ont été faites et des décisions ont été rendues sur différentes questions

  • Les témoins ont été assermentés

  • Les deux parties étaient représentées par un avocat

  • Les parties ont eu la possibilité de contre-interroger les témoins de l'autre partie

  • Les deux parties ont eu la possibilité de soulever des objections dont l'examinateur a tenu compte

  • Des témoins experts ont comparu et participé après qu'un processus de sélection a eu lieu et que l'examinateur a pris une décision

  • Un sténographe judiciaire a enregistré le processus

  • Des déclarations sous serment ont été reçues

  • Des présentations écrites, totalisant plus de 200 pages, ont été soumises

  • Une décision, passant en revue de manière détaillée la preuve et la jurisprudence pertinente étudiée et tirant des conclusions de fait et de droit, a été produite par écrit

Bien que je traiterai plus longuement des questions ayant été tranchées dans cette décision, l'examinateur a conclu, dans sa décision du 25 février 2003, que l'employeur n'avait pas été justifié de licencier Mme Sherman parce qu'il n'était pas en mesure de répondre aux besoins liés à son incapacité. L'examinateur a ordonné que Mme Sherman réintègre son poste et que les mesures nécessaires soient prises pour tenir compte de son incapacité. L'employeur n'a pas réclamé de contrôle judiciaire de la décision.

[6]    Mme Sherman a tenté de produire des éléments de preuve relativement aux coûts liés à l'ETPI engagés par les deux parties. L'employeur a soutenu qu'il me suffisait de savoir que la question avait monopolisé 19 jours d'audience. J'ai décidé d'entendre cette preuve compte tenu que cela prendrait peu de temps et que les parties pourraient débattre du poids devant lui être accordé. David Sherman, le conjoint de Mme Sherman, est fiscaliste. Il a déclaré avoir présenté une demande d'accès à l'information afin de connaître les coûts engagés par l'employeur dans le cadre de l'ETPI, y compris les frais liés à l'examinateur, au sténographe judiciaire, aux décaissements, aux témoins experts et à la participation d'avocats de l'extérieur. Il voulait aussi obtenir le registre des heures consacrées par les avocats salariés. M. Sherman a ensuite calculé les frais liés aux avocats salariés, par rapport à un taux horaire estimatif de 175 $. Lors du contre-interrogatoire, M. Sherman a convenu qu'il ne s'était fondé sur aucun critère objectif particulier pour choisir ce taux, mais qu'il lui semblait raisonnable, voire très inférieur au tarif commercial. À partir de l'information recueillie, M. Sherman a déclaré que les « menues dépenses » de l'employeur se chiffraient à 171 000 $ et que les frais des deux avocats salariés, qui ont facturé 1 300 heures chacun, s'élevaient à 478 000 $. M. Sherman a également déclaré qu'il avait consacré environ 500 heures au titre de sa participation comme codéfendeur et, en tenant compte de son taux de facturation de 600 $ l'heure, cette participation équivaudrait à des frais de possibilités perdues de 300 000 $ pour lui et sa famille. Lors du contre-interrogatoire, M. Sherman a convenu ne pas être un spécialiste du droit du travail et que sa participation à l'ETPI à titre de codéfendeur constituait une première pour lui.

[7]    À mon avis, il n'est pas essentiel de déterminer les coûts réels engagés par les parties. À l'instar de l'avocat de l'employeur, je crois qu'en bout de ligne il est suffisant de savoir que les parties ont déjà engagé des frais correspondants à la tenue de 19 jours d'audience. Les renseignements fournis par M. Sherman, particulièrement en ce qui concerne les frais reliés aux rapports d'experts, au sténographe judiciaire et à la facturation de 2 600 heures par les avocats de l'employeur, démontrent que les deux parties ont pris très au sérieux la procédure de l'ETPI et qu'elles y ont consacré des ressources internes et externes considérables. Par ailleurs, j'ai remarqué que la preuve produite par M. Sherman ne contenait pas de renseignements sur le temps consacré par le personnel de l'Agence pour fournir des conseils et des renseignements à l'avocat. M. Sherman a aussi affirmé que deux cadres supérieurs de l'Agence ont assisté à toutes les audiences.

Observations et jurisprudence relatives à la préclusion découlant d'une question déjà tranchée

[8]    Les parties conviennent que l'arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc. 2001 CSC 44 fait autorité. Mme Danyluk a déposé une plainte en vertu du régime d'application des normes d'emploi de l'Ontario afin d'obtenir le paiement de commissions. Sa plainte a été rejetée. Mme Danyluk a alors entamé une poursuite pour congédiement injustifié toujours pour toucher ses commissions impayées. Son employeur a fait valoir qu'elle ne devrait pas être autorisée à présenter de nouveau la question dans le cadre d'une nouvelle procédure et que la Cour devrait, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, et pour des motifs d'intérêt public, appliquer la doctrine de préclusion découlant d'une question déjà tranchée. Au paragraphe 18, la Cour énonce les motifs sous-tendant l'élaboration du principe :

Le droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances. Pour favoriser la réalisation de cet objectif, le droit exige des parties qu'elles mettent tout en oeuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire. Autrement dit, un plaideur n'a droit qu'à une seule tentative. L'appelante a décidé de se prévaloir du recours prévu par la LNE. Elle a perdu. Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause. Une personne ne devrait être tracassée qu'une seule fois à l'égard d'une même cause d'action. Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évités.

Le caractère définitif des instances est donc une considération impérieuse et, en règle générale, une décision judiciaire devrait trancher les questions litigieuses de manière définitive, tant qu'elle n'est pas infirmée en appel. Toutefois, la préclusion est une doctrine d'intérêt public qui tend à favoriser les intérêts de la justice. Dans les cas où, comme en l'espèce, par suite d'une décision administrative prise à l'issue d'une procédure qui était manifestement inappropriée et inéquitable (conclusion tirée par la Cour d'appel elle-même), l'application de cette doctrine empêche l'appelante de s'adresser aux cours de justice pour réclamer les 300 000 $ qui lui seraient dus, il convient de réexaminer certains principes fondamentaux.

[9]    Selon la Cour, les conditions d'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée sont au nombre de trois : que la même question ait été décidée dans une procédure antérieure; que la décision judiciaire antérieure soit définitive; que les parties ou leurs ayants droit soient les mêmes dans chacune des instances.

a.      Les parties sont-elles les mêmes et la décision antérieure était-elle définitive?

[10]    Dans l'affaire dont je suis saisie, il ne fait aucun doute que la décision de l'ETPI est définitive et que les parties à l'ETPI sont les mêmes.

b.      La décision antérieure était-elle de nature judiciaire?

[11]    Afin de déterminer si la décision a été rendue de manière « judiciaire », le paragraphe 35 de l'affaire Danyluk, supra, énonce trois éléments dont il faut tenir compte :

Premièrement, il faut se pencher sur la nature du décideur administratif ayant rendu la décision. S'agit-il d'un organe pouvant être investi d'un pouvoir juridictionnel et capable d'exercer ce pouvoir? Deuxièmement, sur le plan juridique, la décision litigieuse devait-elle être prise judiciairement? Troisièmement -- question mixte de fait et de droit -- la décision a-t-elle été rendue de manière judiciaire?

[12]    Mme Sherman a soutenu que la décision rendue par l'examinateur était de nature judiciaire, et les faits convenus démontrent que le processus comportait les caractéristiques d'une procédure judiciaire. Mme Sherman a invoqué la décision de la Cour fédérale dans l'affaire Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada) , 2004 CF 507. Dans cette affaire, l'IPFPC contestait l'ensemble du programme de dotation ayant été élaboré par l'Agence au motif, notamment, qu'il ne respectait pas les principes de la justice naturelle. La Cour fédérale a refusé d'examiner la totalité du programme de dotation à partir d'une simple hypothèse, mais pour le cas où une instance de contrôle n'avait pas considéré la question hypothétique, elle a traité des préoccupations au chapitre de la justice naturelle. La Cour a conclu que l'Agence devait, aux termes du paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC, élaborer un programme de dotation et offrir des recours à ses employés. Afin de respecter cette obligation, les mécanismes de recours établis par l'Agence devaient être conformes aux règles de la justice naturelle. La Cour a statué que l'Agence s'était acquittée de cette obligation. Le programme de dotation offrait aux employés une possibilité raisonnable de présenter leur point de vue aux décideurs. Au paragraphe 141, on peut lire [traduction] : « La preuve produite ne permet pas vraiment à la Cour de conclure que le processus d'ETPI ne garantit pas les décisions indépendantes, impartiales et équitables que la loi exige d'un décideur investi du mandat d'un examinateur indépendant ». La Cour a clairement énoncé qu'il ne lui incombait pas de revoir la décision d'un examinateur indépendant, mais elle était convaincue que le programme de dotation en vigueur n'allait pas à l'encontre des règles de la justice naturelle.

[13]    Mme Sherman invoque cette affaire pour établir, premièrement, que l'examinateur indépendant est investi d'un pouvoir juridictionnel et, deuxièmement, que la décision rendue dans le cadre de l'ETPI doit être prise judiciairement.

[14]    Quant au troisième critère, selon lequel la décision doit être prise judiciairement, Mme Sherman invoque les éléments qui, de l'avis des parties, caractérisent le processus. Les deux parties ont été entendues, sous forme de témoignages ou de preuve documentaire; les témoins ont été assermentés et contre-interrogés; des observations écrites ont été soumises et l'examinateur a rendu une décision, étayée de longs motifs, après avoir étudié la preuve et les observations soumises.

[15]    L'employeur n'a pas contesté le point de vue de Mme Sherman à savoir que le processus à l'étude par l'ETPI était judiciaire, une concession raisonnable. Je suis convaincue que l'ETPI s'est déroulé de manière à être assimilé à une instance judiciaire. L'examinateur indépendant est investi du pouvoir juridictionnel dérivé de l'application du paragraphe 54(1) de la Loi sur l'ADRC. La Cour fédérale, dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), supra, a confirmé que l'ETPI devait être mené judiciairement et respecter la justice naturelle. En dernier lieu, l'ETPI a bel et bien été mené judiciairement, par la tenue d'une procédure d'audience semblable à celle d'une cour de justice, et, comme en ont convenu les parties, une décision détaillée tenant compte de la preuve, appliquant la jurisprudence pertinente et tirant des conclusions de fait et de droit a été rendue.

c.      La décision antérieure portait-elle sur la même question?

[16]    L'employeur estime que l'ETPI ne portait pas sur la question dont je suis saisie en l'espèce. Autrement dit, l'avocat a soutenu que l'ETPI n'avait tranché que la question de savoir si l'Agence pouvait maintenir le licenciement non disciplinaire. Ce n'est pas la question dont je suis saisie et, comme le fait valoir l'avocat de l'Agence, je ne pourrais pas me prononcer sur une telle question puisque la Loi sur l'ADRC soustrait le droit de contrôle des licenciements non disciplinaires de l'Agence à la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. En outre, l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), L.R.C, 1985, ch. P-35, limite la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique aux arbitrages de différends si aucun autre recours administratif de réparation n'est offert sous le régime d'une loi fédérale. L'intention du législateur était clairement d'éviter les recoupements de compétence. L'avocat de l'employeur a fait valoir que l'observation soumise par Mme Sherman, selon laquelle j'étais appelée à me prononcer sur des questions déjà tranchées par l'ETPI, allait à l'encontre de cette intention du législateur d'éviter les recoupements de compétence. Pour ce motif, je devrais conclure que la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ne pourrait pas s'appliquer en l'espèce.

[17]    Je ne suis pas d'accord. L'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ne se limite pas aux circonstances visées par un chevauchement de compétences. En pratique, la préclusion découlant d'une question déjà tranchée est invoquée seulement lorsqu'une décision antérieure et que les procédures subséquentes se produisent devant des instances différentes dont les compétences ne sont pas susceptibles de se chevaucher. Dans Danyluk, supra, la première procédure était une plainte présentée en vertu de la Loi sur les normes de l'emploi de l'Ontario, alors que la deuxième a été engagée devant les tribunaux. La préclusion découlant d'une question déjà tranchée est invoquée lorsqu'une question, constituant un élément fondamental de la première procédure, a été tranchée dans le cadre d'un autre litige mettant en cause les mêmes parties. La Cour d'appel de l'Ontario a défini comme suit la préclusion découlant d'une question déjà tranchée dans l'arrêt McIntosh c. Parent, [1924] 4 D.L.R. 420, p. 422 :

[Traduction]

Lorsqu'une question est soumise à un tribunal, le jugement de la cour devient une décision définitive entre les parties et leurs ayants droit. Les droits, questions ou faits distinctement mis en cause et directement réglés par un tribunal compétent comme motifs de recouvrement ou comme réponses à une prétention qu'on met de l'avant, ne peuvent être jugés de nouveau dans une poursuite subséquente entre les mêmes parties ou leurs ayants droit, même si la cause d'action est différente. Le droit, la question ou le fait, une fois qu'on a statué à son égard, doit être considéré entre les parties comme établi de façon concluante aussi longtemps que le jugement demeure.

[18]    Je conclus que l'arbitre nommé pour instruire un grief dûment présenté devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique peut examiner s'il y a lieu d'empêcher une partie déboutée à soumettre de nouveau une question jugée dans le cadre d'une procédure judiciaire antérieure mettant en cause les mêmes parties.

[19]    L'employeur a fait remarquer que la jurisprudence ne permet pas l'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée à toutes les questions étudiées lors de la procédure antérieure. Dans Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, page 254, la Cour a statué que la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ne s'applique que si la question jugée était fondamentale à la décision à laquelle on est arrivé dans l'affaire antérieure. Une partie ne peut pas empêcher la remise en litige d'une question ou d'un enjeu qui était accessoire dans le cadre de la procédure antérieure. La Cour suprême du Canada a appliqué cette restriction à l'affaire Danyluk, supra, et celle-ci demeure valide en droit. La question importante en l'espèce est de savoir si les questions et enjeux tranchés par l'ETPI, auxquels Mme Sherman cherche à obtenir l'application du principe de préclusion découlant d'une question déjà tranchée, étaient fondamentaux à la décision de l'ETPI.

[20]    Mme Sherman et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada ont cherché à s'appuyer sur 48 conclusions de l'ETPI. Selon l'employeur, la seule question fondamentale jugée par l'examinateur était de savoir si le licenciement non disciplinaire de Mme Sherman était justifié et que, par conséquent, toutes les autres décisions étaient accessoires. L'employeur a invoqué l'affaire Hilltop Group Ltd. v. 806046 Ontario Ltd. , [2003] O.J. No. 4958 (S.C.J.) afin d'étayer l'argument selon lequel les tribunaux ont adopté une approche méticuleuse afin de déterminer si la « même question » avait été tranchée lors de la procédure antérieure et qu'ils n'avaient pas appliqué la préclusion découlant d'une question déjà tranchée aux conclusions portant sur des sous-questions.

[21]    Toutes les affaires indiquent que le décideur doit tenir compte de l'ensemble des circonstances en l'espèce afin de déterminer si la conclusion à l'égard de laquelle on cherche à faire appliquer la préclusion découlant d'une question déjà tranchée était fondamentale à la décision antérieure. J'adhère au critère établi par la Cour suprême au paragraphe 54 de Danyluk, supra, compte tenu qu'il s'applique relativement facilement et est pertinent dans le contexte de l'emploi alors qu'un même enjeu ou une même question peut être déterminant pour des revendications pouvant être soumises auprès de diverses instances :

Traditionnellement, on définit la cause d'action comme étant tous les faits que le demandeur doit prouver, s'ils sont contestés, pour étayer son droit d'obtenir jugement de la cour en sa faveur [...] Pour que le demandeur ait gain de cause, chacun de ces faits (souvent qualifiés de faits substantiels) doit donc être établi. Il est évident que des causes d'action différentes peuvent avoir en commun un ou plusieurs faits substantiels. En l'espèce, par exemple, l'existence d'un contrat de travail est un fait substantiel commun au recours administratif et à l'action pour congédiement injustifié intentée au civil par l'appelante. L'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée signifie simplement que, dans le cas où le tribunal judiciaire ou administratif compétent a conclu, sur le fondement d'éléments de preuve ou d'admissions, à l'existence (ou à l'inexistence) d'un fait pertinent -- par exemple un contrat de travail valable --, cette même question ne peut être débattue à nouveau dans le cadre d'une instance ultérieure opposant les mêmes parties. En d'autres termes, la préclusion vise les questions de fait, les questions de droit ainsi que les questions mixtes de fait et de droit qui sont nécessairement liées à la résolution de cette « question » dans l'instance antérieure.

[22]    L'application de ce critère m'amène à examiner les faits substantiels que Mme Sherman devait établir afin de convaincre l'examinateur indépendant que son licenciement non disciplinaire n'était pas justifié. L'examinateur indépendant a lui-même contribué à répondre à cette question. Au paragraphe 3 de la décision, il écrit ce qui suit :

[Traduction]

Bien que dans son sens le plus strict, la question que doit trancher l'examinateur porte sur le caractère raisonnable du licenciement de Mme Sherman, l'examen dudit licenciement soulève nécessairement une multitude d'autres questions. Compte tenu des interactions de longue date entre l'employeur et l'employée au sujet de l'accident de travail et des aménagements connexes, la décision de procéder à une évaluation de ses capacités fonctionnelles ne peut pas être considérée isolément.

[23]    Malgré les objections de l'employeur, en vue de restreindre les questions, l'examinateur indépendant a décidé que les questions suivantes constituaient des éléments pertinents pour rendre une décision concernant les lettres de licenciement remises à Mme Sherman et la demande de celle-ci relativement à la tenue d'un ETPI :

[Traduction]

1. Quelles étaient les principales tâches et fonctions de l'emploi de Mme Sherman à Revenu Canada?

2. L'exigence de soulever et de transporter un poids de 39 livres constituait-elle une exigence valable pour le poste?

3. Quelles étaient les restrictions physiques de Mme Sherman?

4. L'employeur s'est-il efforcé de bonne foi de répondre aux besoins liés à l'état médical de Mme Sherman, sans toutefois s'imposer de contrainte excessive?

5. Mme Sherman était-elle en mesure d'exercer ses fonctions avec les mesures d'accommodement nécessaires?

6. Était-il déraisonnable de la part de l'employeur de demander que Mme Sherman fasse l'objet d'une évaluation exigeant qu'elle soulève et transporte un poids de 39 livres?

7. Était-il raisonnable de la part de Mme Sherman de refuser de procéder à l'évaluation de ses capacités fonctionnelles?

8. L'employeur avait-il des motifs suffisants pour la licencier pour incapacité et a-t-il agi de manière raisonnable à cet égard?

9. Quelles sont, le cas échéant, les mesures correctives qui s'imposent?

Bien que l'examinateur indépendant n'ait pas répondu à chacune de ces questions dans un ordre ou une séquence en particulier, elles ont toutes été soulevées dans la décision de 62 pages. Afin de rendre une décision et de traiter de la question du redressement, l'examinateur indépendant devait se pencher sur les points 8 et 9, et devant moi, l'employeur admet que ces conclusions étaient fondamentales pour permettre à l'examinateur de trancher dans cette affaire. Cependant, l'employeur prétend que n'importe quel autre point était tout aussi fondamental. Je ne suis pas d'accord.

[24]    Sans examiner l'ensemble de l'histoire ayant mené au licenciement non disciplinaire de Mme Sherman, il appert clairement que deux événements importants ont mené à la décision du licenciement. Mme Sherman a refusé de se soumettre à une évaluation de ses capacités fonctionnelles parce qu'elle croyait qu'elle devrait soulever un poids de 39 livres, ce qui risquait, selon elle, d'aggraver son problème médical de manière indue puisque le soulèvement d'un tel poids ne constituait pas une fonction essentielle de son poste. Environ au même moment, l'employeur a reçu l'avis d'un thérapeute, embauché pour la mise en oeuvre d'un plan d'aménagement, indiquant qu'aucune mesure spéciale n'aiderait Mme Sherman à reprendre le travail de manière productive. Compte tenu de cet avis, ainsi que de l'opinion émise par la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) selon laquelle l'employeur avait mis en oeuvre toutes les mesures d'accommodement que la CSPAAT estimait nécessaire, l'employeur a conclu qu'il avait fait tout en son pouvoir, que Mme Sherman ne collaborait pas et qu'il n'était pas nécessaire de déployer d'autres efforts puisque aucune autre mesure ne permettrait vraisemblablement à Mme Sherman de reprendre son travail de manière productive.

[25]    Afin d'évaluer le licenciement non disciplinaire, l'examinateur indépendant devait évaluer le bien-fondé de la décision de l'employeur du licenciement non disciplinaire en examinant les points 1, 2, 3, 6 et 7 énoncés au paragraphe 23. Plus important encore, Mme Sherman devait démontrer à l'examinateur indépendant qu'elle était en mesure d'exercer les fonctions principales de son poste et que l'employeur n'avait pas pris de mesures d'accommodement sans qu'il en résulte pour lui une contrainte excessive. Autrement, le licenciement non disciplinaire aurait été maintenu. Par conséquent, je conclus que les points 4 et 5 étaient également fondamentaux pour permettre à l'examinateur indépendant de rendre une décision. En résumé, je conclus que les décisions concernant les points 1 à 9 sont nécessairement liées à la décision rendue par l'examinateur indépendant et la préclusion découlant d'une question déjà tranchée peut s'appliquer à l'ensemble de ceux-ci.

[26]    Mme Sherman et l'IPFPC m'ont demandé d'aller plus loin et, essentiellement, de conclure que la préclusion découlant d'une question déjà tranchée s'appliquait à l'ensemble des conclusions de fait de l'examinateur indépendant. Je conviens que les conclusions de fait que Mme Sherman me demande d'accepter comme ayant été tranchées sont les assises des conclusions de l'examinateur indépendant pour chacun des neuf points énoncés au paragraphe 23. Cependant, comme l'avocat de l'employeur l'a fait remarquer, la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ne peut pas être invoquée pour empêcher la contestation des assises qui ne constituaient pas des éléments essentiels pour la prise de décision de l'examinateur indépendant. Pour le moment, il ne m'est pas nécessaire de délimiter quelles conclusions de fait invoquées par Mme Sherman relèvent d'un côté de la ligne ou de l'autre. Certains cas sont évidents. Je crois que l'avocat pourrait départager la plupart des autres.

[27]    Les neuf points que l'examinateur indépendant a examinés sont également des questions que je devrais étudier pour trancher les griefs dont je suis saisie. L'examinateur indépendant et moi-même devons nous prononcer sur les mêmes questions.

[28]    En résumé, j'estime que les trois critères énoncés dans Danyluk, supra, au sujet de l'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ont été respectés eu égard à la présente instance.

Pouvoir discrétionnaire : application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée

[29]    Toutes les affaires confirment que le décideur subséquent est investi d'un pouvoir discrétionnaire quant à l'application ou non de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée, même lorsque tous les critères sont réunis. Dans Danyluk, supra, la Cour suprême a mentionné que la préclusion découlant d'une question déjà tranchée, à l'instar des protections contre les abus de procédure, se veut un moyen de rendre justice et de protéger contre l'injustice, ce qui implique que le décideur doit déterminer ce qui est juste dans chacune des affaires. Dans Danyluk, supra, la Cour énonce sept facteurs pouvant s'appliquer de manière pertinente à l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire :

(a) le libellé du texte de loi accordant le pouvoir de rendre l'ordonnance administrative

(b) l'objet du texte de la loi

(c) l'existence d'un droit d'appel

(d) les garanties offertes aux parties dans le cadre de l'instance administrative

(e) l'expertise du décideur administratif

(f) les circonstances ayant donné naissance à l'instance administrative initiale

(g) le risque d'injustice

[30]    L'employeur a soutenu fermement que je devrais refuser l'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée en l'espèce. En ce qui a trait au facteur (a), l'avocat a fait valoir que, comme le processus d'ETPI est distinct de la procédure d'arbitrage prévue sous la LRTFP, l'employeur ne pouvait pas raisonnablement s'attendre à ce que la préclusion découlant d'une question déjà tranchée soit soulevée et s'attendait plutôt à plaider l'affaire à nouveau. Quant au facteur (b), l'avocat a prétendu que l'ETPI visait à obtenir une résolution rapide des litiges. Même s'il a reconnu que le processus mettant en cause Mme Sherman n'avait pas été rapide, si les parties doivent se préoccuper de l'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée, alors elles prépareront, en vue de l'ETPI, une demande et une défense équivalentes à celles préparées dans le cadre d'un véritable procès, ce qui compromettrait l'objectif de la procédure. Au chapitre du facteur (c), l'avocat de l'employeur a fait valoir qu'il n'existait aucun droit d'appel et que le seul recours était le contrôle judiciaire. Or, l'employeur hésitait beaucoup à demander un contrôle judiciaire, même s'il était fermement en désaccord avec la décision. Comme le Bureau de gestion des différends de l'Agence était responsable de l'ETPI et de la nomination de l'examinateur, il était très difficile pour l'employeur de demander le contrôle du travail effectué par le Bureau. En réponse au facteur (d), l'avocat de l'employeur a affirmé que, comme l'examinateur indépendant n'a pas le pouvoir de citer des témoins à comparaître ou d'ordonner la production de documents, le processus n'offre pas les garanties procédurales nécessaires pour permettre de décider de l'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée. Quant au critère (e), l'avocat de l'employeur a fait valoir que l'examinateur indépendant faisait l'objet d'une nomination spéciale et que rien ne garantissait que celui-ci ait l'expertise nécessaire pour trancher les questions en litige. En réponse au facteur (f), l'avocat de l'employeur a soutenu que l'ETPI avait été mené en partant du principe que l'examinateur n'avait pas la compétence pour apporter des correctifs relativement aux événements survenus avant le licenciement de Mme Sherman. L'application maintenant de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée aurait pour conséquence l'octroi de pouvoirs à l'examinateur indépendant sur les éléments de la conduite de l'employeur avant le licenciement, puisque mes décisions seraient circonscrites par ses conclusions antérieures.

[31]    L'employeur a sagement consacré son attention sur le dernier critère, celui du risque d'injustice. Selon l'employeur, l'examinateur indépendant ne semblait pas avoir tenu compte des décisions antérieures de la CSPAAT selon lesquelles l'employeur s'était acquitté de son obligation de répondre aux besoins de Mme Sherman et que celle-ci était en mesure de retourner au travail grâce aux mesures déjà mises en oeuvre par l'employeur. Mme Sherman n'a pas interjeté appel de ces décisions, mais a plutôt tenté de faire échec aux efforts de l'employeur pour lui permettre de retourner au travail et a présenté des griefs auprès de la CRTFP. Selon l'avocat de l'employeur, comme la décision relative au licenciement et la décision de mettre un terme au congé d'accident de travail de Mme Sherman et de la renvoyer à la maison sont fondées sur les avis de la CSPAAT, Mme Sherman devrait en appeler de ces décisions si elle n'est pas satisfaite au lieu de contester les mesures prises par l'employeur, qui constituaient des réponses raisonnables à l'information et décisions reçues de la CSPAAT. Il est difficile d'exagérer la véhémence avec laquelle l'employeur dénonce ce qu'il perçoit comme le défaut de l'examinateur indépendant de tenir compte des décisions de la CSPAAT et de comprendre que l'employeur avait agi de manière raisonnable en réponse aux avis de l'agence chargée de déterminer si les travailleurs sont aptes à reprendre le travail et si les employeurs se sont acquittés de leurs obligations de réemploi. Compte tenu de son insatisfaction à l'égard de l'analyse de l'examinateur indépendant, l'employeur soutient vigoureusement que l'iniquité dont il a été victime serait exacerbée par une application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée qui l'empêcherait de rouvrir le débat concernant les conclusions sans fondement de l'examinateur indépendant. Si des décisions devaient faire l'objet d'une préclusion découlant d'une question déjà tranchée, ce sont les décisions de la CSPAAT établissant que l'employeur s'est acquitté de ses obligations.

[32]    L'avocat de l'employeur a souligné les nombreux cas où l'examinateur indépendant n'a pas tenu compte de manière équitable de ses présentations.

[33]    À l'appui de l'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée en l'espèce, Mme Sherman et l'IPFPC ont fait valoir que le libellé du texte de loi, le facteur (a), permettait l'application de ce principe. Avant l'entrée en vigueur de la Loi sur l'ADRC, tous les différends touchant l'emploi de Mme Sherman auraient été instruits par la CRTFP. Par la création d'un processus distinct relativement aux licenciements non disciplinaires, les éléments de ce qui constitue essentiellement un différend unique au sujet de l'incapacité de Mme Sherman et des obligations de l'employeur de satisfaire à ses besoins ont été soustraits à la compétence de la CRTFP. Cependant, comme il s'agit d'un seul différend, il est absolument indiqué d'appliquer la préclusion découlant d'une question déjà tranchée afin d'éviter le dédoublement de procédures judiciaires concernant un même différend. Quant au facteur (b), la seule chose pertinente, selon l'avocat de Mme Sherman, est la possibilité de contrôle judiciaire, recours dont l'employeur a refusé de se prévaloir. En ce qui a trait au facteur (c), les parties ont eu droit à une audience en bonne et due forme dans le cadre de laquelle une preuve abondante a été présentée. L'examinateur indépendant a indiqué qu'il compenserait son impossibilité à citer des témoins à comparaître et à ordonner la production de documents en tirant des conclusions défavorables à l'égard de la partie ne soumettant pas une preuve pertinente. Cela étant, les garanties procédurales étaient assurées. Au chapitre de l'expertise du décideur, facteur (e), Mme Sherman a fait valoir que l'employeur avait choisi l'examinateur parmi une liste qu'il avait lui-même élaborée. La décision comme telle démontre que l'examinateur a compris tant les questions de fait que de droit, manifestant ainsi une expertise adéquate.

[34]    En dernier lieu, concernant le facteur (g), le risque d'injustice, l'avocat de Mme Sherman m'a demandé de réfléchir à l'injustice que subiraient Mme Sherman, son conjoint, le syndicat et les contribuables en général, si l'employeur était autorisé à soumettre de nouveau ces questions à une procédure. Mme Sherman ne croyait pas que l'examinateur avait omis de tenir compte des arguments avancés par l'employeur. Mme Sherman ne croyait pas que l'examinateur avait fait fi des décisions de la CSPAAT présentées à l'audience. Une différence fondamentale sépare l'employeur et Mme Sherman. Celle-ci n'accepte pas le fait que l'employeur s'était conformé aux obligations régissant le retour au travail et les accommodements requis par la CSPAAT étaient déterminants au chapitre des obligations de l'employeur. En bout de ligne, l'examinateur indépendant a donné raison à Mme Sherman et conclu que l'employeur n'en avait pas fait assez, ce qui a mené au rejet du licenciement non disciplinaire. Selon Mme Sherman, il serait injustifié de permettre à l'employeur de remettre en litige des conclusions selon lesquelles les mesures d'accommodement n'étaient pas suffisantes et que Mme Sherman était en mesure d'assumer les principales fonctions de son poste avec les accommodements nécessaires.

[35]    Compte tenu de toutes les circonstances en l'espèce, je conclus qu'il y a lieu d'exercer mon pouvoir discrétionnaire et d'invoquer la préclusion découlant d'une question déjà tranchée. En commençant par le critère (g), le risque d'injustice, je ne suis pas convaincue qu'il serait injuste d'empêcher l'employeur de remettre en litige des questions ayant été examinées à fond lors de l'ETPI. Il ne faut pas oublier que le processus d'ETPI a été établi par l'employeur. Ce dernier a déterminé les lignes directrices régissant l'ETPI et il a choisi l'arbitre. Comme l'employeur a contrôlé le processus dès le début, il semblerait plutôt désobligeant de s'opposer à ce que Mme Sherman s'appuie sur sa victoire dans le cadre de l'examen pour faire valoir ses griefs.

[36]    Plus important encore, à la lecture de la décision de l'examinateur indépendant, je suis convaincue que l'examinateur a tenu compte de la preuve et des arguments présentés par l'employeur. Je suis d'accord avec Mme Sherman sur le fait qu'il existait, et existe toujours, un désaccord fondamental entre elle et l'employeur quant à la norme de mesure de la capacité de Mme Sherman et à l'obligation de tenir compte des besoins liés à son incapacité. L'employeur a constamment soutenu que la CSPAAT est l'instance appropriée pour déterminer si Mme Sherman était en mesure de reprendre le travail et si elle avait besoin de mesures d'accommodement. Par conséquent, l'employeur a agi en fonction de ce qu'il comprenait des décisions de la CSPAAT. L'employeur a donc constamment soutenu que Mme Sherman aurait dû en appeler des décisions de la CSPAAT, au lieu de cibler les mesures prises par l'employeur à la lumière de ces décisions. Cependant, Mme Sherman et l'IPFPC estimaient que les décisions de la CSPAAT n'étaient pas déterminantes. L'examinateur était clairement en accord avec Mme Sherman. Il a mentionné et invoqué les renseignements et avis fournis par la CSPAAT, mais il a également examiné et invoqué des renseignements et avis allant à l'encontre de ceux de la CSPAAT. Fait particulièrement important, dans son évaluation de l'obligation d'accommodement de l'employeur, l'examinateur souligne, à la page 15, que l'obligation découle de la législation en matière d'indemnisation des accidents de travail et en matière des droits de la personne. L'examinateur s'est demandé non pas si l'employeur s'était conformé aux décisions de la CSPAAT au chapitre des mesures d'accommodement, mais bien s'il avait déployé des efforts raisonnables pour satisfaire aux besoins de Mme Sherman, sans qu'il en résulte pour lui une contrainte excessive (page 15). L'examinateur a conclu que l'employeur ne s'était pas acquitté de la charge d'établir que les modifications nécessaires n'étaient pas envisageables en raison de leurs coûts et qu'elles résulteraient en une contrainte excessive. Par conséquent, l'examinateur a statué que le licenciement non disciplinaire était injustifié et a ordonné que Mme Sherman réintègre son poste. Il a également ordonné que l'employeur prenne des mesures pour satisfaire aux besoins liés à l'incapacité de Mme Sherman. Je remarque que les lignes directrices régissant les ETPI mises en oeuvre par l'employeur comprennent au titre des mesures correctives possibles et l'ordonnance relative à l'obligation d'accommodement. Il semble qu'il ait été prévu que l'examinateur pourrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour la réintégration de l'employée, à la condition que l'employeur s'acquitte de son obligation de satisfaire aux besoins de ses employés handicapés. Rien ne donne à entendre que cette obligation d'accommodement imposée à l'Agence à titre de mesure corrective après l'ETPI se limitait à l'obligation de se conformer aux décisions de la CSPAAT.

[37]    L'examinateur indépendant a demandé si l'ensemble des fonctions que Mme Sherman devait assumer étaient des exigences professionnelles justifiées. Il a examiné l'exigence de soulever un poids de 39 livres. Il a conclu qu'il ne s'agissait pas d'une exigence professionnelle justifiée. Ensuite, il s'est demandé si l'Agence avait démontré que l'accommodement des besoins de Mme Sherman, afin d'assumer les exigences professionnelles justifiées, aurait imposé une contrainte excessive, ce qui aurait justifié le licenciement. L'examinateur a conclu que l'Agence n'avait pas satisfait à ce critère.

[38]    J'ai exposé en détail ce que je comprenais de la démarche de l'examinateur indépendant au chapitre de l'accommodement afin de répondre aux affirmations de l'employeur, à savoir que l'examinateur indépendant n'avait pas considéré les décisions de la CSPAAT comme constituant des éléments déterminants et que Mme Sherman devrait en appeler des décisions de la CSPAAT au lieu de contester les mesures de l'employeur. Je conclus que l'examinateur indépendant a choisi une démarche convenable pour évaluer si l'employeur s'était acquitté de son obligation générale d'accommodement. Par conséquent, il n'y a pas d'injustice pour l'employeur de le lier aux décisions de l'examinateur qui sont pertinentes aux griefs dont je suis saisie.

[39]    En se penchant sur le critère (a), le libellé du texte de loi accordant le pouvoir de rendre la décision antérieure, je suis d'accord avec l'employeur sur le fait que la Loi sur l'ADRC a essentiellement « extrait » de la LRTFP le pouvoir de déterminer le caractère approprié des décisions prises par l'Agence en matière de licenciement. Le résultat prévisible de cette « extraction » est que des aspects connexes de différends mettant en cause les mêmes employés et le même historique d'emploi seront entendus par des instances différentes. Par conséquent, toutes les parties auraient dû s'attendre à participer à des procédures parallèles pouvant se recouper. En l'espèce, ce facteur fait pencher en faveur de la position de l'employeur, à savoir que la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ne devrait pas s'appliquer.

[40]    Le critère (b) porte sur l'objet de la loi ayant servi d'assise à la première décision. Il semble effectivement que l'intention derrière la Loi sur l'ADRC et les lignes directrices régissant les ETPI visait un processus un peu moins formel qu'une procédure judiciaire pour traiter des licenciements non disciplinaires. Quelle qu'ait été l'intention, le processus en l'espèce a pris l'allure d'une véritable procédure judiciaire. À tout le moins, on peut dire que la Loi sur l'ADRC et les lignes directrices offrent la souplesse nécessaire à la tenue de diverses formes de procédures et que, par conséquent, ce critère n'est d'aucune utilité. Quant au critère (c), l'existence d'un droit d'appel, l'employeur aurait pu demander un contrôle judiciaire. Quels qu'aient été ses motifs pour ne pas recourir à un tel contrôle, l'existence d'un recours fait pencher en faveur de la position de Mme Sherman, à savoir que la préclusion découlant d'une question déjà tranchée devrait s'appliquer.

[41]    Le facteur (d) porte sur les garanties juridiques et procédurales offertes aux parties dans le cadre de l'ETPI. Comme mentionné au paragraphe 5 ci-dessus, les parties ont bénéficié de la plupart des garanties procédurales qui se trouvent dans toute procédure quasi-judiciaire complexe. Bien que l'impossibilité de l'examinateur à convoquer des témoins et à demander la production de documents pourrait, en théorie, constituer un obstacle, rien ne porte à croire que cette impossibilité ait causé un préjudice à l'une des parties ou à l'examinateur. Le processus ayant été suivi en l'espèce favorise l'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée.

[42]    En ce qui a trait à l'expertise du décideur, le critère (e), mes connaissances sont quelque peu limitées. Je sais qu'il est un avocat spécialisé dans l'arbitrage de droits en matière d'indemnisation des accidents de travail à la Commission des services financiers de l'Ontario. Comme mentionné précédemment, la décision démontre que l'examinateur avait les compétences et l'expérience nécessaires afin de composer avec une quantité imposante d'éléments de preuve (certains de nature médicale); de régler des questions procédurales épineuses; de gérer des questions juridiques complexes au chapitre de l'incapacité, des mesures d'accommodement et des obligations de l'employeur et de rédiger une décision détaillée exposant son analyse et sa maîtrise des éléments lui ayant été présentés. Par conséquent, rien ne me permet de conclure que l'examinateur indépendant n'avait pas l'expertise nécessaire. Ce facteur favorise l'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée.

[43]    Quant au facteur (f), circonstances ayant donné naissance à l'instance administrative initiale, dans Danyluk, supra, la Cour s'est demandé si la partie cherchant à éviter l'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée avait, lors des instances antérieures, été appelée à présenter ou défendre une revendication dans des circonstances urgentes et vulnérables, ce qui aurait pu compromettre son aptitude à présenter adéquatement son point de vue ou à réfuter la thèse de la partie adverse (paragraphe 78). Autrement dit, la partie déboutée dans l'instance antérieure a-t-elle subi un préjudice du fait de devoir présenter rapidement son point de vue, peut-être sans avis juridique ou sans véritable possibilité d'évaluer l'affaire, de sorte qu'il serait injuste de réexaminer la conséquence de ce litige « expéditif » lors de procédures subséquentes? En l'espèce, les deux parties ont été bien représentées par leur avocat, dans le cadre d'un ETPI, ayant duré plus de 19 jours et échelonné sur plusieurs mois. Le processus d'ETPI n'était pas, en l'espèce, de la « justice expéditive ». Cependant, l'avocat de l'employeur a prétendu que, comme l'examinateur avait déclaré ne pas avoir la compétence pour corriger des événements survenus avant le licenciement de Mme Sherman, les parties ne pouvaient pas prévoir la revendication de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée lors d'une instance ultérieure. Selon l'avocat, une telle application s'apparenterait à l'octroi à l'examinateur indépendant d'une certaine compétence relativement à des événements survenus antérieurement, m'amenant ainsi à me considérer liée par certaines de ses conclusions de fait et de droit se rapportant à des événements s'étant produits avant le licenciement de Mme Sherman.

[44]    À mon avis, la décision de l'examinateur indépendant relativement à son défaut de compétence pour traiter de questions autres que le licenciement de Mme Sherman n'est pas pertinente. Généralement, la question de l'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée n'apparaît qu'une fois que la procédure est terminée, et qu'une autre procédure est enclenchée, et c'est alors que la partie ayant eu gain de cause cherche à empêcher la partie déboutée de remettre des questions en litige. En outre, ma décision quant à la remise en litige de certaines questions ne peut pas être assimilée à accorder à l'examinateur indépendant une compétence quelconque à l'égard des présents griefs, mais correspond plutôt à l'application d'un principe de droit équitable visant à établir un équilibre entre la nécessité du caractère définitif de la procédure et les questions d'équité pour la partie déboutée lors des instances antérieures.

[45]    Puisque l'employeur a eu la possibilité de présenter une défense complète, dans le cadre de l'ETPI, le facteur (f) fait pencher en faveur de Mme Sherman.

[46]    En pondérant l'ensemble des critères énoncés dans Danyluk, supra, tout particulièrement le facteur du risque d'injustice, je suis convaincue que le principe de préclusion découlant d'une question déjà tranchée devrait s'appliquer.

Décision

[47]    L'employeur ne peut pas soumettre devant moi les neuf points établis par l'examinateur indépendant. L'avocat devra essayer d'en arriver à une entente sur les autres conclusions de l'examinateur auxquelles la doctrine de préclusion découlant d'une question déjà tranchée devrait s'appliquer, compte tenu que ces conclusions étaient fondamentales au processus décisionnel. À défaut de parvenir à une entente, la question sera tranchée au moment de la reprise de l'audience.

[48]    Les parties devraient communiquer avec l'agent du greffe de la Commission afin de fixer d'autres dates.

Mary Ellen Cummings

Toronto, le 27 août 2004

Traduction de la C.R.T.F.P.

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