Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Compétence - Licenciement - Mesure disciplinaire ou non disciplinaire - Révocation de la cote de sécurité " très secret " - l'employeur a révoqué la cote de sécurité " très secret " de la fonctionnaire s'estimant lésée pour avoir eu des contacts non divulgués et non autorisés avec une personne présentant un intérêt sur le plan opérationnel - l'employeur a ensuite licencié la fonctionnaire s'estimant lésée puisque la cote de sécurité " très secret " était une condition d'emploi pour occuper son poste - elle a déposé un grief à l'encontre de la révocation de sa cote de sécurité " très secret " et de son licenciement par l'employeur, alléguant qu'il s'agissait de mesures disciplinaires déguisées - l'employeur a fait valoir qu'un arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) n'est pas compétent pour se pencher sur le grief de la fonctionnaire s'estimant lésée, puisque la décision de l'employeur de révoquer la cote de sécurité de la fonctionnaire était de nature administrative - l'arbitre a noté que, comme l'employeur est un employeur distinct, ses employés ne sont pas visés par l'alinéa 92(1)b) de la LRTFP, ni par le paragraphe 92(4) - par conséquent, pour les employés non syndiqués de cet employeur, comme la fonctionnaire s'estimant lésée, seuls les griefs portant sur une mesure disciplinaire peuvent être renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 92(1)c) - sur le fondement de la preuve, l'arbitre a conclu que la décision de l'employeur de révoquer la cote de sécurité de la fonctionnaire s'estimant lésée n'était pas une mesure disciplinaire déguisée et qu'elle n'était rien d'autre qu'une décision administrative prise de bonne foi - l'employeur avait des raisons valables de révoquer sa cote de sécurité - en conséquence, l'arbitre a conclu qu'il n'était pas compétent pour entendre et trancher le grief. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-03-17
  • Dossier:  166-20-31213
  • Référence:  2003 CRTFP 26

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

THERESA NIGRO SULLIVAN
Fonctionnaire s'estimant lésée

et

LE SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ
Employeur

Devant:   Guy Giguère, président suppléant

Pour la fonctionnaire
s'estimant lésée
:              
La fonctionnaire elle-même

Pour l'employeur:           Normand Vaillancourt, avocat, et Toby
                                       Hoffman, avocat adjoint


Affaire entendue à Ottawa (Ontario)
les 28, 30 et 31 octobre 2002


[1]      Le 6 février 2002, Keith Egli, alors avocat de Theresa Sullivan, a écrit à l'employeur, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), que Mme Sullivan portait en grief son licenciement en raison de la révocation de sa cote de sécurité « très secret ». Le 13 février 2002, Normand Vaillancourt, avocat du SCRS, a répondu à Me Egli que Mme Sullivan n'avait pas le droit de porter en grief la décision de révoquer sa cote de sécurité. Me Vaillancourt a expliqué qu'une cote de sécurité « très secret » valide est une condition d'emploi au SCRS et que le licenciement de Mme Sullivan était donc une mesure administrative découlant de la révocation de sa cote de sécurité.

[2]      Le 13 mars 2002, le grief en instance a été renvoyé à l'arbitrage. Le 27 mars 2002, Me Vaillancourt a informé la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) que l'employeur était d'avis que la révocation de la cote de sécurité entraînant le licenciement de Mme Sullivan n'était pas une question pouvant être renvoyée à l'arbitrage. Le même jour, Me Egli a écrit à la Commission pour l'informer que la fonctionnaire s'estimant lésée soutenait avoir été licenciée à la suite d'une mesure disciplinaire prise par l'employeur et que la question de la compétence devrait être tranchée après considération d'arguments pertinents présentés au cours d'une audience.

[3]      Le 15 août 2002, Me Egli a informé la Commission que Mme Sullivan se représenterait dorénavant elle-même devant l'arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP).

[4]      Le 3 octobre 2002, Me Vaillancourt a avisé la Commission que puisque Mme Sullivan ne possédait plus de cote de sécurité, l'employeur serait dans l'obligation de procéder en l'absence de la fonctionnaire s'estimant lésée pour une partie de l'audience conformément à la politique applicable (HUM-504-1) adoptée en application de l'article 8 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité. Les articles applicables de la politique sont les suivants :
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6.AUDIENCES EX PARTE

6.1Dans les cas où l'employé s'estimant lésé ou son représentant se voit refusé l'habilitation de sécurité requise ou refuse de se soumettre à l'enquête, les parties de l'audience au cours desquelles des informations classifiées doivent être divulguées se déroulent en l'absence de l'une et l'autre de ces personnes (ou ex parte).

6.2Les parties s'entendront avant le début de la procédure sur la séquence du déroulement de l'audience.

6.3Un sommaire des informations divulguées durant une portion de l'audience qui se déroule ex parte devra être préparé et produit au dossier par le Service lors de la reprise de la partie de l'audition à laquelle assistent l'employé s'estimant lésé et son représentant.

6.4Lorsque le grief a trait à une mesure disciplinaire et que la preuve présentée ex parte porte sur les motifs pour lesquels ladite mesure a été imposée, le sommaire doit comprendre toute information qui permettra à l'employé s'estimant lésé d'être informé de la façon la plus complète possible des circonstances qui ont donné lieu à la mesure disciplinaire, à l'exception de celles dont la communication pourrait porter atteinte à la sécurité nationale.

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[5]      Le 11 octobre 2002, Mme Sullivan a informé la Commission qu'elle acceptait la proposition de Me Vaillancourt, soit que le SCRS débute par la partie ex parte de l'audience les 28 et 29 octobre 2002.

Sommaire des renseignements divulgués au cours de la partie ex parte de l'audience

[6]      Le lundi 28 octobre 2002, une audience ex parte a été tenue concernant le grief en instance. Dès le début de l'audience ex parte, Me Vaillancourt a indiqué que, bien que deux membres du SCRS viendraient témoigner, l'employeur maintenait son argument selon lequel l'arbitre n'avait pas la compétence pour entendre cette affaire. Un résumé des témoignages a été rédigé par l'employeur le 29 octobre 2002 et produit au dossier à la reprise de l'audience le 30 octobre :

[TRADUCTION]
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II - Premier témoin

  1. Le premier témoin était un employé du Service qui était au courant de l'enquête de sécurité interne menée par le Service concernant la fonctionnaire s'estimant lésée.

  2. Le témoin a informé l'arbitre comment avait débuté l'enquête de sécurité interne et quelle en était la portée.

  3. Le témoin a renvoyé l'arbitre à des documents montrant que la fonctionnaire s'estimant lésée avait eu des contacts avec une personne présentant un intérêt sur le plan opérationnel (PIO) pour le Service. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre que le Service avait pris des mesures afin de vérifier les renseignements concernant les contacts de la fonctionnaire s'estimant lésée avec la PIO avant les trois entrevues de sécurité interne menées avec la fonctionnaire s'estimant lésée.

  4. Le témoin a renvoyé l'arbitre à des documents produits à la suite des trois entrevues menées avec la fonctionnaire s'estimant lésée.

  5. Le témoin a décrit ce qu'était une PIO et quel était le lien avec le mandat du Service.

  6. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre que la fonctionnaire s'estimant lésée connaissait l'existence de la PIO.

  7. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre que la fonctionnaire s'estimant lésée avait eu des contacts autorisés avec la PIO dans le cadre de ses fonctions.

  8. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre des communications téléphoniques de la fonctionnaire s'estimant lésée avec la PIO et de la réception d'un cadeau par la PIO, ces événements ayant tous été signalés au Service jusqu'en décembre 1998.

  9. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre qu'en décembre 1998 la fonctionnaire s'estimant lésée avait reçu ordre de ne plus communiquer avec la PIO.

  10. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre que la fonctionnaire s'estimant lésée n'avait pas obéi à l'ordre du Service et a continué à communiquer avec la PIO.

  11. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre que la fonctionnaire s'estimant lésée n'avait pas rapporté au Service ses contacts avec la PIO après décembre 1998.

  12. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre que la fonctionnaire s'estimant lésée avait eu l'occasion de rapporter au Service ses contacts avec la PIO, mais ne l'avait pas fait.

  13. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre que la fonctionnaire s'estimant lésée avait tenté de justifier ses contacts avec la PIO auprès du Service.

  14. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre que le Service était au courant de la situation personnelle de la fonctionnaire s'estimant lésée et avait toujours fait preuve de compréhension.
III - Deuxième témoin

  1. Le deuxième témoin était un employé du SCRS qui était au courant de l'enquête de sécurité interne portant sur la fonctionnaire s'estimant lésée.

  2. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre comment avait débuté l'enquête de sécurité interne et quelle en était la portée.

  3. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre que, dès le départ, l'affaire concernant la fonctionnaire s'estimant lésée avait été traitée comme une enquête pour infraction à la sécurité et non comme une affaire d'écart de conduite et de mesures disciplinaires.

  4. Le témoin a informé l'arbitre que la fonctionnaire s'estimant lésée n'avait pas fait l'objet de mesures disciplinaires. Elle a reçu la totalité de son salaire et de ses avantages tout au long de l'enquête de sécurité interne portant sur les allégations de contacts non rapportés avec une PIO, y compris la période de congé administratif, et aucun changement n'a été apporté à son statut au Service avant le 11 janvier 2002, date à laquelle la cote de sécurité de la fonctionnaire s'estimant lésée a été révoquée.

  5. Le témoin a informé l'arbitre qu'avant les événements qui ont donné naissance à l'enquête de sécurité interne, la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas fait l'objet de mesures disciplinaires et s'est bien acquittée de ses fonctions.

  6. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre que les contacts non rapportés et non autorisés de la fonctionnaire s'estimant lésée avec la PIO contrevenaient aux politiques du Service.

  7. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre que les actes de la fonctionnaire s'estimant lésée contrevenaient aux politiques du Service et mettaient en doute sa capacité de conserver sa cote de sécurité.

  8. En s'appuyant sur les documents, le témoin a informé l'arbitre que le Service avait envisagé la possibilité de trouver un autre emploi à la fonctionnaire s'estimant lésée, mais que cela n'avait pas été possible puisque l'une des conditions d'emploi au Service est que les employés possèdent une cote de sécurité " très secret ". Il n'était pas du mandat du Service de nommer la fonctionnaire s'estimant lésée à d'autres postes au sein de l'administration publique fédérale.

  9. Le témoin a déclaré que les documents indiquaient que la fonctionnaire s'estimant lésée avait semé un sérieux doute quant à sa fiabilité et à sa loyauté quand elle a contrevenu à la politique sur les écarts de conduite en cachant volontairement des renseignements au Service et en trompant le Service à propos de ses contacts.

  10. Le témoin a déclaré que les documents indiquaient que l'employeur n'avait plus confiance en la capacité de la fonctionnaire s'estimant lésée de détenir une cote de sécurité lui permettant de conserver son emploi au Service.

  11. Le témoin a déclaré que les documents indiquaient que la recommandation faite à l'issue de l'enquête de sécurité interne était de révoquer la cote de sécurité de la fonctionnaire s'estimant lésée en l'absence de toute autre solution raisonnable.

. . .
Preuve présentée par la fonctionnaire s'estimant lésée au cours de la partie ouverte de l'audience tenue le mercredi 30 octobre 2002

[7]      Mme Sullivan détient un baccalauréat ès arts, avec majeure en droit. Elle a travaillé pendant une courte période dans un cabinet d'experts-comptables avant d'être embauchée par le SCRS, à l'âge de 23 ans. Elle a d'abord travaillé à titre d'analyste du filtrage sécuritaire, puis après avoir reçu de la formation, elle est devenue agente d'enquête. Au moment de son licenciement, Mme Sullivan occupait un poste d'agente du renseignement de niveau 8 et recevait un traitement annuel de 65 000 $. Elle avait alors 12 ans de service auprès du SCRS. Ses évaluations de rendement étaient sans tache et elle avait fait preuve d'un rendement remarquable. Elle était rarement malade et faisait preuve de dévouement envers le Service. Aucun incident disciplinaire n'avait été relevé au cours de ses 12 ans de service, jusqu'à l'incident qui a entraîné son licenciement.

[8]      Mme Sullivan a rencontré « A.B. » pour la première fois en décembre 1996. Au cours des mois qui ont suivi, elle l'a revu à plusieurs occasions. En mai 1997, elle a assisté à une réunion où elle a remarqué, à l'instar d'autres employés, que « A.B. » s'intéressait à elle.

[9]      Lorsque Mme Sullivan est arrivée chez elle le vendredi 13 février 1998, son mobilier ainsi que des vêtements avaient disparu. Elle a d'abord cru que la maison avait été cambriolée, mais elle a compris par la suite que son mari l'avait quittée. Cette expérience a été pour elle traumatisante; elle ne se doutait nullement que son mari avait l'intention de la quitter et elle en a été terrassée. Le lundi suivant, elle s'est rendue au travail comme à l'habitude, puisque le travail était l'une des deux choses auxquelles elle pouvait s'accrocher dans la vie, mis à part sa famille. Une semaine plus tard, Mme Sullivan a reçu un appel de « A.B. » au travail. Il avait composé un numéro général qui lui avait été fourni lors de l'une des réunions tenues entre décembre 1996 et mai 1997. Il semblait savoir que quelque chose n'allait pas, mais il n'a pas été question de la récente séparation de Mme Sullivan. Peu de temps après, « A.B. » lui a envoyé une carte exprimant sa compassion, et elle en a été flattée. Elle en a informé son superviseur immédiat, le directeur général, le chef de la région d'Ottawa et elle en a discuté avec ses collègues.

[10]      Après sa rupture, le superviseur de Mme Sullivan lui a suggéré de voir un conseiller des services de santé. Elle n'a pas suivi sa suggestion, mais lorsque sa famille a commencé à s'inquiéter des troubles émotifs que causait sa séparation, elle a accepté de voir son médecin. Il lui a prescrit des médicaments et lui a recommandé de voir un conseiller. En juin 1998, Mme Sullivan a rencontré « C.D. », une conseillère des services de santé du SCRS. Mme Sullivan a rencontré « C.D. » régulièrement jusqu'en décembre 1998, et l'a rencontrée pour la dernière fois en 1999. Mme Sullivan n'a jamais mentionné à « C.D. » les appels qu'elle recevait de « A.B. », puisque ses discussions avec « C.D. » portaient surtout sur le départ de son mari.

[11]      Mme Sullivan a continué à recevoir des appels de « A.B. » au travail et à un certain moment a fourni à « A.B. » son numéro de téléphone à la maison. « A.B. » lui a même offert une chaîne en or qu'elle a montré à des collègues de travail. Mme Sullivan a expliqué qu'elle avait informé son employeur des appels qu'elle recevait de « A.B. » et qu'elle lui avait donné son numéro de téléphone à la maison. Toutefois, l'employeur ne s'y était nullement intéressé avant décembre 1998, période à laquelle son superviseur lui a demandé de tout consigner par écrit. Son gestionnaire a examiné le document et lui a clairement ordonné de mettre fin à ses rapports avec « A.B. ». Cependant, Mme Sullivan n'a pas tenu compte de la directive écrite et a poursuivi sa relation avec « A.B. ». Après dix mois, elle était devenue très attachée à « A.B. ». Il a parlé de mariage et elle voulait en savoir plus sur ses intentions; par conséquent, elle a continué sa relation avec lui.

[12]      Mme Sullivan a déclaré dans son témoignage qu'elle avait mal agi, mais qu'il s'agissait d'une erreur de jugement après que son mari l'ait quittée. Me Sullivan a déclaré qu'elle n'avait jamais discuté de questions relatives au SCRS avec « A.B. » et qu'elle n'avait obtenu de lui aucune information relative au renseignement de sécurité. De janvier à avril, ils se sont parlés toutes les deux semaines. Elle l'a même appelé au travail et lui a envoyé des photos de sa famille.

[13]      En avril 1999, elle a rendu visite à « A.B. ». Elle a informé son employeur de son voyage, mais n'a pas précisé qu'elle allait rendre visite à « A.B. ». Mme Sullivan a expliqué que, dans son esprit, son superviseur devait savoir qu'elle allait voir « A.B. » puisque sa destination se trouvait près de la résidence de « A.B. ». Mme Sullivan croit que son superviseur avait décidé de ne pas en parler. Une fois de retour à la maison, « A.B. » et elle se sont parlés régulièrement au téléphone, mais « A.B. » semblait quelque peu différent. Puis, en juin 1999, il a cessé de l'appeler et Mme Sullivan en a été très déçue.

[14]      En février 2000, Mme Sullivan a reçu un appel de « A.B. », qui a tenté de lui expliquer pourquoi il avait cessé de l'appeler. Elle lui a dit qu'elle ne voulait plus entendre parler de lui et elle ne lui a plus jamais parlé.

[15]      En février 2001, Mme Sullivan a été interviewée dans le cadre du processus de renouvellement de sa cote de sécurité. Elle n'a pas mentionné sa relation avec « A.B. » lorsqu'on lui a demandé si elle avait eu des contacts non autorisés avec des PIO. En contre-interrogatoire, on lui a demandé pourquoi elle n'avait pas révélé qu'elle avait eu des contacts continus avec « A.B. ». Mme Sullivan a expliqué que la période de contacts continus non divulgués avec « A.B. » n'avait duré que six mois, soit de janvier à juin 2000. Elle a souligné que cette relation ne pouvait pas la compromettre puisqu'elle n'était plus mariée. Elle a expliqué qu'au cours de la période de dix mois où ses contacts avec « A.B. »étaient autorisés, elle s'est mise à s'intéresser à lui au plan personnel. Elle a déclaré que son gestionnaire devait être au courant de la relation continue qu'elle entretenait avec « A.B. », y compris de son voyage, mais qu'il avait décidé de fermer les yeux.

[16]      Le 9 décembre 2001, le directeur général (DG) de Mme Sullivan l'a informé qu'il serait préférable qu'elle n'entre pas dans l'immeuble du SCRS et qu'elle serait interviewée à une date ultérieure par le service de la Sécurité interne (SI) Elle a avoué à son DG qu'elle avait continué à communiquer avec « A.B. ». Elle a été mise en congé administratif pendant la durée de l'enquête du SI et son DG lui a conseillé de rencontrer un conseiller des services de santé pour obtenir de l'aide pendant l'enquête de la SI. Le DG a informé Mme Sullivan qu'il avait parlé à « E.F. » et que cette dernière lui téléphonerait pour l'aider.

[17]      Mme Sullivan a précisé qu'elle savait que « E.F. » travaillait pour les services de santé. Au cours de son contre-interrogatoire, elle a précisé qu'elle avait également consulté « E.F. » après que « C.D. » ait quitté le SCRS et qu'elle avait rencontré « E.F. » la veille de sa suspension.

[18]      Mme Sullivan a expliqué que pour plusieurs raisons, elle était sceptique quant au rôle de « E.F. » pour plusieurs raisons. L'une d'elles était que le bureau de « E.F. » était au même étage que celui de la SI. Mme Sullivan avait l'impression que, étant donné le contexte de l'enquête, « E.F. » avait peut-être communiqué certaines de ses conversations à la SI. En outre, « E.F. » a demandé à Mme Sullivan de signer une renonciation autorisant « E.F. » à discuter avec le DG de tout renseignement pertinent fourni au cours de leur conversation. Mme Sullivan a expliqué qu'elle avait signé la renonciation parce qu'elle estimait n'avoir rien à cacher. À l'audience, Mme Sullivan a fait allusion au fait que « E.F. » avait peut-être aussi communiqué des renseignements à son DG, renseignements qui auraient mené à son licenciement. Elle a pleinement collaboré avec l'enquêteur et a même demandé à son DG si elle pouvait passer un test polygraphique pour prouver qu'elle n'avait divulgué aucun renseignement non autorisé à « A.B. ». Elle a exigé le polygraphiste le plus expérimenté, mais malheureusement celui qu'on lui a fourni n'avait aucune expérience. Le polygraphiste l'a interviewée pendant trois heures avant de lui faire subir le test. Il lui a demandé entre autres le nombre exact de fois qu'elle avait menti dans sa vie. Lorsqu'elle a répondu qu'il devait vouloir dire une estimation, il a insisté pour qu'elle fournisse le nombre exact, ce qui a entaché son intégrité. De l'avis de Mme Sullivan, le manque de professionnalisme du polygraphiste l'a empêchée de blanchir sa réputation auprès de son employeur.

[19]      Le 11 janvier 2002, le DG de Mme Sullivan l'a appelée pour lui demander de le rencontrer. Comme elle n'était pas autorisée à entrer dans l'immeuble du SCRS, il lui a demandé de le rencontrer chez elle. Cette idée ne lui plaisant guère, ils ont convenu de se rencontrer dans un café Starbucks. Le DG lui a remis la lettre de licenciement signée par Ward Elcock qui est reproduite ci-dessous :

[TRADUCTION]
     Le 4 décembre 2001, vous avez été informée que vous faisiez l'objet d'une enquête pour contravention à la sécurité relativement à des allégations de contacts non divulgués avec une PIO pour le Service.

     J'ai pris connaissance des résultats de l'enquête et, à partir des ceux-ci, je conclus que vous avez eu des contacts non divulgués et non autorisés. Vous avez consciemment et volontairement poursuivi une relation avec cette personne, après avoir reçu instruction de cesser tout contact. Ce faisant, vous avez contrevenu à plusieurs reprises à la politique de sécurité du Service en ne signalant pas vos contacts avec cette personne et vous avez par le fait même contrevenu à la politique sur les écarts de conduite et les mesures disciplinaires en n'obéissant pas à une directive de votre gestionnaire.

     Une telle conduite est contraire au code de conduite professionnel du Service auquel tous les employés du Service doivent adhérer. Vos agissements ont également semé un sérieux doute quant à votre loyauté et à votre fiabilité. Par conséquent, en vertu de la Politique du gouvernement sur la sécurité 2-4.5, je révoque votre cote de sécurité.

     Comme vous le savez, une cote de sécurité « très secret » valide est une condition d'emploi au Service. Puisque la révocation de votre cote vous empêchera de vous acquitter de vos fonctions, vous êtes licenciée du Service à compter d'aujourd'hui.

     Je dois également vous informer que l'alinéa 42(3)a) de la Loi sur le SCRS vous autorise à déposer une plainte concernant la révocation de votre cote de sécurité auprès du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.
. . .

     C'est avec regret que j'ai pris cette décision, mais la gravité de vos agissements ne me laisse aucun choix en l'espèce.

[20]      Le DG a informé Mme Sullivan qu'il était désolé de son licenciement et qu'il avait annulé le rendez-vous qu'elle avait fixé avec « E.F. ». Il l'a également informé qu'il s'était arrangé pour que « E.F. » soit à sa disposition plus tard le même jour. Mme Sullivan, qui était très bouleversée par son licenciement, a demandé au DG d'annuler son nouveau rendez-vous avec « E.F. ».

[21]      Plus tard, elle a consulté l'association d'employés, qui lui a répondu que, puisqu'elle n'était plus employée du SCRS, elle ne pouvait pas l'aider. Mme Sullivan a déclaré que son employeur ne l'avait jamais informée pendant la durée de son congé administratif qu'elle pouvait demander l'aide de l'association d'employés. Depuis ce temps, Mme Sullivan a trouvé un emploi à temps partiel et a tenté d'obtenir un emploi dans la fonction publique fédérale, mais n'a pas réussi jusqu'à maintenant puisque les postes pour lesquels elle a postulé exigent une cote de sécurité « secret » ou « très secret ». Elle croit également que, lorsque son DG a annoncé au cours d'une réunion du personnel qu'elle avait perdu sa cote de sécurité, cette déclaration avait gravement entaché sa réputation et réduit ses chances d'emploi dans la fonction publique fédérale.

Argumentation

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée

[22]      Mme Sullivan fait valoir que, comme l'employeur soutient qu'elle n'a pas le droit de présenter un grief, il incombe à celui-ci de prouver que le fait qu'elle reste à l'emploi du SCRS pourrait représenter une menace pour la sécurité nationale. Si, comme le prétend l'employeur, un arbitre nommé aux termes de la LRTFP ne peut être saisi du présent grief, alors elle n'a plus aucun recours. Toutefois, elle soutient que son licenciement est de nature disciplinaire et qu'un arbitre a donc la compétence d'entendre son grief.

[23]      Mme Sullivan soutient que le motif pour lequel l'employeur a choisi de révoquer sa cote de sécurité était d'éviter une poursuite en justice devant un arbitre nommé en vertu de la LRTFP et tout autre recours judiciaire pour congédiement injustifié dont elle pourrait se prévaloir. Elle déclare que, puisque le SCRS est responsable de l'attribution des cotes de sécurité, il est facile pour l'employeur d'agir ainsi. Tel qu'indiqué dans sa lettre de licenciement, l'employeur soutient que Mme Sullivan peut porter plainte devant le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) relativement à la révocation de sa cote de sécurité. Néanmoins, le CSARS ne peut faire que des recommandations au SCRS concernant une cote de sécurité. En définitive, il revient au SCRS d'accorder ou non une cote de sécurité, puisque c'est l'employeur qui doit prendre une décision finale même après un examen du CSARS.

[24]      Mme Sullivan soutient également que l'employeur a agi de mauvaise foi en se servant de « E.F. » pour obtenir des renseignements qui l'aideraient à licencier Mme Sullivan. Elle a accepté l'aide de « E.F. » parce que, pour des raisons de sécurité, elle ne pouvait parler à personne d'autre de sa situation. Elle a donné son consentement pour que « E.F. » communique des renseignements à son DG à une époque où ses idées n'étaient pas claires et où elle n'était pas en mesure de fournir un consentement valide. Le DG de Mme Sullivan lui a assigné « E.F. » comme conseillère et il a pris des rendez-vous pour elle avec « E.F. ». Selon Mme Sullivan, cela prouve que l'employeur a utilisé " E.F " pour obtenir des renseignements qui ont mené à son licenciement.

[25]      L'employeur a aussi agi de mauvaise foi en ne fournissant pas à Mme Sullivan un polygraphiste d'expérience pour lui permettre de blanchir sa réputation aux yeux de l'employeur.

[26]      Mme Sullivan fait valoir que l'employeur a également fait preuve de mauvaise foi en ne l'informant pas qu'elle pouvait obtenir l'aide de l'association d'employés pendant qu'elle était en congé administratif au cours de l'enquête. En outre, l'employeur ne l'a pas informée dans la lettre de congédiement de son droit de déposer un grief en vertu de la LRTFP.

[27]      Mme Sullivan soutient que son employeur devait savoir qu'elle poursuivait sa relation avec « A.B. » même si on lui avait demandé d'y mettre fin. Elle a informé l'employeur qu'elle se rendait dans un lieu non loin de la résidence de « A.B. » quatre mois après avoir reçu l'ordre de ne pas poursuivre sa relation avec lui. L'employeur savait qu'elle traversait une crise personnelle et pouvait raisonnablement déduire qu'en se rendant dans un lieu près de la résidence de « A.B. », elle devait poursuivre la relation.

[28]      Mme Sullivan reconnaît qu'en continuant d'avoir des contacts non divulgués et non autorisés avec « A.B. », elle commettait un sérieux écart de conduite. Cet écart de conduite nécessite une mesure disciplinaire. Toutefois, certaines circonstances atténuantes devraient être prises en compte. Il s'agit de sa première tache à un dossier exemplaire. Et elle traversait une crise personnelle.

[29]      Enfin, Mme Sullivan déclare qu'en révoquant sa cote de sécurité, non seulement l'employeur la prive de son poste au SCRS, mais il lui enlève également le droit de travailler dans l'avenir pour l'administration fédérale, ce qui est une conséquence disproportionnée par rapport à son écart de conduite.

Pour l'employeur

[30]      Me Vaillancourt soutient qu'aux termes du paragraphe 91(2) et de l'article 113 de la LRTFP, un arbitre n'a pas la compétence n'entendre le grief de Mme Sullivan ni d'accorder toute mesure corrective en ce qui a trait à la perte de sa cote de sécurité. Ses arguments sur la compétence ont été présentés au début de la partie « ouverte » de l'audience dans un mémoire détaillé en faits et en droit.

[31]      En résumé, Me Vaillancourt soutient que la révocation de la cote de sécurité était une mesure prise aux termes de la Politique du gouvernement sur la sécurité, adoptée au nom du gouvernement du Canada dans l'intérêt de la sécurité du Canada. Par conséquent, cette affaire ne peut faire l'objet d'un grief déposé en vertu de l'article 113 de la LRTFP, puisque la révocation de la cote de sécurité de la fonctionnaire s'estimant lésée est une décision du sous-ministre prise en vertu de la Politique du gouvernement sur la sécurité. L'article 113 de la LRTFP énonce ce qui suit :
       113. (1) La présente loi, ni aucune autre loi, n'a pas pour effet d'imposer à l'employeur l'obligation de faire, ou de s'abstenir de faire, quoi que ce soit de contraire à des directives, instructions ou règlements établis par ou pour le gouvernement du Canada, dans l'intérêt de la sécurité du pays ou d'un état allié ou associé.

       (2) Pour l'application du paragraphe (1), un décret du gouverneur en conseil constitue une preuve concluante de ce qui y est énoncé au sujet de directives, d'instructions ou de règlements établis par ou pour le gouvernement du Canada dans l'intérêt de la sécurité du pays ou d'un état allié ou associé.

[32]      Me Vaillancourt soutient également qu'un arbitre ne peut être saisi du présent grief, puisque celui-ci n'est pas visé par l'article 92 de la LRTFP. L'article 92 de la LRTFP établit des critères différents pour les employés d'un ministère ou d'une autre partie de la fonction publique du Canada par opposition à ceux d'employeurs distincts. Le SCRS est un employeur distinct et par conséquent seul un grief portant sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire peut être renvoyé à l'arbitrage. La décision du directeur de révoquer la cote de sécurité de Mme Sullivan était de nature purement administrative et ne peut donc être renvoyée à l'arbitrage.

[33]      La fonctionnaire s'estimant lésée est tenue d'établir que les mesures prises par l'employeur sont de nature disciplinaire. Les faits n'appuient pas la conclusion selon laquelle le directeur a fait preuve de mauvaise foi en ayant recours à son pouvoir discrétionnaire. Me Vaillancourt soutient qu'aucun élément du témoignage ou de l'argumentation de Mme Sullivan ne remet en question les faits contenus dans le sommaire de l'audience ex parte.

[34]      Me Vaillancourt soutient que le poste de la fonctionnaire s'estimant lésée exige notamment une cote de sécurité « très secret ». Comme elle ne satisfaisait plus à cette exigence, elle a été licenciée. Il prétend que la situation est la même que dans la décision Singh c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux) [2001] A.C.F. no 891, dans laquelle le juge Dubé a conclu qu'un arbitre nommé en vertu de la LRTFP peut enquêter afin d'établir si l'employeur a diligemment cherché d'autres postes au sein du ministère qui n'exigeraient pas une cote de sécurité « secret ». Le juge Dubé a trouvé des éléments à l'appui de cette thèse dans la Politique du gouvernement sur la sécurité. Toutefois, il est facile d'établir une distinction entre cette décision et le grief en instance. Dans la décision Singh (précitée), le juge Dubé a statué que l'alinéa 92(1)b) ii) de la LRTFP donne ce pouvoir à l'arbitre. Dans le grief en instance, le sous-alinéa ne s'applique pas aux employés du SCRS puisque, comme il s'agit d'un employeur distinct, seul les griefs portant sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire peuvent être renvoyés à l'arbitrage (alinéa 92(1)c) de la LRTFP). Le licenciement des employés du SCRS qui n'est pas le résultat d'une mesure disciplinaire ne peut être renvoyé à l'arbitrage aux termes de la LRTFP et l'arbitre n'a donc pas la compétence pour enquêter afin de déterminer si le SCRS a diligemment cherché un autre poste. Néanmoins, tout employé du SCRS doit posséder une cote de sécurité « très secret » valide et par conséquent Mme Sullivan ne pouvait occuper aucun autre emploi au SCRS.

[35]      Me Vaillancourt fait valoir que l'argument de la mauvaise foi avancé par Mme Sullivan à l'audience n'a rien à voir avec la décision du directeur de révoquer sa cote de sécurité. Le test polygraphique n'était pas concluant; par conséquent la décision du directeur ne pouvait être appuyée par ce test. En ce qui concerne l'argument de la mauvaise foi relatif à la participation de « E.F. », il n'est pas pertinent parce qu'aucun élément de preuve n'établit que ce que « E.F. » a entendu de Mme Sullivan a été utilisé de quelque manière que ce soit par le directeur pour prendre sa décision. Les accusations faites par la fonctionnaire s'estimant lésée à l'égard de « E.F. » sont injustes. La preuve a établi que la fonctionnaire s'estimant lésée avait des problèmes personnels et qu'elle avait déjà consulté un conseiller. À la lumière de ce qui précède, le DG a eu raison de proposer à Mme Sullivan de consulter « E.F. ». Cette dernière n'était pas une inconnue pour Mme Sullivan puisqu'elle avait demandé son aide avant son licenciement.

[36]      Me Vaillancourt soutient de façon alternative, si ces arguments juridictionnels ne sont pas retenus, que Mme Sullivan a contrevenu à certaines politiques en ayant des contacts non divulgués et non autorisés avec « A.B. », ce qui a justifié son licenciement. Elle avait l'obligation de divulguer ses rapports continus avec « A.B. » et, en ne le faisant pas, elle a délibérément contrevenu à la politique de sécurité du SCRS (pièce E-6) en entretenant des rapports avec « A.B. ». L'employeur a perdu toute confiance en sa capacité de remplir ses fonctions à titre d'employée du SCRS. Par ses agissements, Mme Sullivan a montré qu'elle n'avait pas la fiabilité exigée d'un employé du SCRS.

[37]      Me Vaillancourt soutient également de façon alternative que l'article 91 de la LRTFP empêche la fonctionnaire s'estimant lésée de présenter le grief en instance puisque celle-ci a accès à un autre recours administratif, c'est-à-dire le CSARS. L'article 42 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité prévoit un recours en cas de révocation d'une cote de sécurité. Par conséquent, Mme Sullivan a porté plainte devant le CSARS et sa plainte fait actuellement l'objet d'une enquête. L'article 42 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité énonce ce qui suit :
42. (1) Les individus qui font l'objet d'une décision de renvoi, de rétrogradation, de mutation ou d'opposition à engagement, avancement ou mutation prise par un administrateur général pour la seule raison du refus d'une habilitation de sécurité que le gouvernement du Canada exige doivent être avisés du refus par l'administrateur général; celui-ci envoie l'avis dans les dix jours suivant la prise de la décision.

(2) Dans le cas où, pour la seule raison du refus d'une habilitation de sécurité que le gouvernement du Canada exige à l'égard d'un individu, celui-ci ou une autre personne fait l'objet d'une décision d'opposition à un contrat de fourniture de biens ou de services à ce gouvernement, l'administrateur général concerné envoie dans les dix jours suivant la prise de la décision un avis informant l'individu, et s'il y a lieu l'autre personne, du refus.

(3) Le comité de surveillance reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes présentées par :

a) les individus visés au paragraphe (1) à qui une habilitation de sécurité est refusée;

b) les personnes qui ont fait l'objet d'une décision d'opposition à un contrat de fourniture de biens ou de services pour la seule raison du refus d'une habilitation de sécurité à ces personnes ou à quiconque.
(4) Les plaintes visées au paragraphe (3) sont à présenter dans les trente jours suivant la réception de l'avis mentionné aux paragraphes (1) ou (2) ou dans le délai supérieur accordé par le comité de surveillance.

[38]      Pour appuyer sa thèse, Me Vaillancourt s'est fondé sur les documents suivants : Employment in the Federal Public Service, Renée Caron, Canada Law Book; Mohammed c. Canada (Conseil du Trésor), (1990) 250 N.R. 181 (C.A.F.); Jacmain c. Procureur général du Canada et al. (1978), 81 D.L.R. (3d) 1 (C.S.C.); Nablow (dossiers de la Commission 166-20-24982 et 166-20-25306); Rennick (dossier de la Commission 166-20-21907); Seabrooke (dossier de la Commission 166-20-26759); Thomson c. Canada (Sous-ministre de l'Agriculture) (1992), 89 D.L.R. (4th) 218 (C.S.C.); Rhonda Lynn Lee c. Procureur général du Canada, [1981] 2 R.C.S. 90 (C.S.C.); Procureur général du Canada c. Paul Murby et al., [1981] 1 C.F. 713 (C.A.); Fritz (dossiers de la Commission 166-2-14801 et 14802); Fritz c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 814 (C.A.); Singh (dossier de la Commission 166-2-29399); Kampman (dossiers de la Commission 166-2-21656 et 16-2-21771) et Lily Kampman c. La Reine, dossier de la Cour d'appel fédérale A-84-92.

Motifs de la décision

[39]      Les types de griefs qui peuvent être renvoyés à l'arbitrage sont limités par l'article 92 de la LRTFP qui énonce ce qui suit :
92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :
a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.
(2) Pour pouvoir renvoyer à l'arbitrage un grief du type visé à l'alinéa (1)a), le fonctionnaire doit obtenir, dans les formes réglementaires, l'approbation de son agent négociateur et son acceptation de le représenter dans la procédure d'arbitrage.

(3) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet de permettre le renvoi à l'arbitrage d'un grief portant sur le licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

(4) Le gouverneur en conseil peut, par décret, désigner, pour l'application de l'alinéa (1)b), tout secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie II de l'annexe I.

[40]      Le SCRS est un employeur distinct et ses employés ne sont pas visés par l'alinéa 92(1)b) ni par le paragraphe 92(4). Par conséquent, pour les employés non syndiqués du SCRS, comme en l'espèce, seuls les griefs portant sur des mesures disciplinaires peuvent être renvoyés à l'arbitrage aux termes de l'alinéa 92(1)c).

[41]      Dans la lettre de licenciement, l'employeur a précisé que la cause du licenciement était la révocation de la cote de sécurité de Mme Sullivan. L'avocat représentant l'employeur a soutenu que cette révocation était purement de nature administrative et que, par conséquent, elle ne pouvait être renvoyée à l'arbitrage aux termes de l'alinéa 92(1)c) de la LRTFP.

[42]      De son côté, la fonctionnaire s'estimant lésée a soutenu que son licenciement était de nature disciplinaire et que l'employeur avait agi de mauvaise foi et utilisé la révocation de sa cote de sécurité comme moyen d'éviter le renvoi de son grief à l'arbitrage. Cet argument s'apparente à celui qui a été évoqué dans l'arrêt Jacmain (précité). Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a statué qu'un arbitre nommé aux termes de la LRTFP peut, malgré une objection juridictionnelle, déterminer si en renvoyant un employé en cours de stage, l'employeur a agi de mauvaise foi pour camoufler une mesure disciplinaire.

[43]      La jurisprudence1 établit clairement que la révocation d'une cote de sécurité en soi est une mesure de nature administrative et ne peut pas faire l'objet d'un grief renvoyé à l'arbitrage aux termes de l'alinéa 92(1)c) de la LRTFP. Cependant, la fonctionnaire s'estimant lésée soutient que, avant que l'arbitre puisse conclure qu'il n'a pas compétence conformément à la LRTFP, il doit déterminer si l'employeur n'a pas agi de mauvaise foi, afin de camoufler une mesure disciplinaire et que la révocation de sa cote de sécurité était en fait le motif de son licenciement. Comme l'avocat de l'employeur, je suis d'avis que la fonctionnaire s'estimant lésée doit établir que les mesures prises par l'employeur étaient de nature disciplinaire; j'examinerai donc les allégations de mauvaise foi.

[44]      Mme Sullivan a avancé que l'employeur avait agi de mauvaise foi à trois occasions. Premièrement, l'employeur aurait fait preuve de mauvaise foi, selon Mme Sullivan, quand il a eu recours à « E.F. » afin d'obtenir des renseignements lui permettant de licencier Mme Sullivan. Mme Sullivan a expliqué comment elle est arrivée à une telle conclusion. D'abord, le bureau de « E.F. » était au même étage que celui de la SI. Même en supposant que ce fait, dans le contexte de cette affaire, aurait placé « E.F. » en conflit apparent dans ces fonctions, je ne pourrais affirmer qu'il s'agit d'un élément de preuve suffisant pour conclure que l'employeur a fait preuve de mauvaise foi. On a demandé à Mme Sullivan de signer une renonciation autorisant « E.F. » à discuter avec le DG de tout renseignement pertinent fourni pendant leurs conversations. Je ne peux tirer de conclusion à partir de ce seul élément de preuve; je n'ai pas vu la renonciation, « E.F. » n'a pas témoigné, et aucun témoin ne m'a expliqué la raison d'être de cette renonciation. Je me suis demandé si, comme le prétend Mme Sullivan, l'employeur agissait de mauvaise foi, pourquoi « E.F. » aurait-elle demandé une renonciation pour discuter de renseignements avec le DG. Des rendez-vous ont été pris par le DG pour Mme Sullivan afin qu'elle rencontre « E.F. ». Mme Sullivan avait consulté les services de santé auparavant; l'employeur était au courant qu'elle avait traversé une période difficile lorsque son mari l'avait quittée. Je conclus, d'après la prépondérance des probabilités, qu'il est plus probable que le DG a pris ces rendez-vous afin d'aider Mme Sullivan pendant cette période difficile. Mme Sullivan avait consulté « E.F. » dans le passé; par conséquent, il était normal que Mme Sullivan continue de voir « E.F. » après qu'elle ait été mise en congé administratif.

[45]      Le deuxième cas de mauvaise foi allégué par Mme Sullivan est le test polygraphique qu'elle a subi au cours de l'enquête de la SI. Le rapport du test polygraphique n'était pas concluant et l'employeur n'a aucunement conclu que Mme Sullivan avait divulgué des renseignements non autorisés à « A.B. ». Je conclus donc qu'il n'existe aucune preuve de mauvaise foi dans la manière dont le test polygraphique a été mené.

[46]      Le troisième exemple de mauvaise foi de la part de l'employeur, selon Mme Sullivan, serait que celui-ci ne l'a pas informée qu'elle pouvait obtenir l'aide de l'association d'employés pendant qu'elle était en congé administratif au cours de l'enquête. Mme Sullivan a expliqué qu'il en a également été ainsi lorsque l'employeur a fait défaut de l'informer de son droit de déposer un grief aux termes de la LRTFP. Je suis d'avis que l'employeur devrait informer ses employés dans la mesure du possible de leur droit de renvoyer un grief à l'arbitrage et de la possibilité d'obtenir de l'aide de l'association d'employés pendant un congé administratif. surtout du fait que la plupart des employés du SCRS ne sont pas syndiqués et ont des droits limités quant au renvoi d'un grief à l'arbitrage. Néanmoins, ce n'est pas une preuve de mauvaise foi de la part de l'employeur et je ne peux en arriver à cette conclusion.

[47]      Mme Sullivan a entretenu pendant un certain temps une relation non divulguée avec « A.B. », une personne présentant un intérêt sur le plan opérationnel pour le SCRS. Elle a reçu des directives claires de son employeur de cesser de communiquer avec lui, mais elle a décidé de poursuivre sa relation parce qu'elle s'était éprise de lui. C'était une période très difficile dans la vie de Mme Sullivan et « A.B. » lui a semblé être à l'époque, la lumière au bout du tunnel. Toutefois, en continuant sa relation avec lui, elle a fait fi d'un ordre direct de son employeur.

[48]      En raison de la nature du travail dans le domaine du renseignement de sécurité, les employés ne peuvent mettre en doute leur employeur et ignorer sa demande de mettre fin à une relation.

[49]      Plus tard, elle a mis fin à sa relation avec « A.B. », mais n'a pas révélé à son employeur qu'elle avait entretenu une relation non divulguée pendant plusieurs mois. À deux occasions, elle aurait pu avouer à son employeur sa relation avec « A.B. ». Elle n'a pas dit la vérité lorsqu'on lui a demandé lors d'une entrevue de révision de sa cote de sécurité si elle avait des contacts non autorisés avec une personne présentant un intérêt sur le plan opérationnel pour le SCRS.

[50]      Il ne m'appartient pas en l'espèce d'examiner les motifs qui ont poussé l'employeur à révoquer la cote de sécurité de Mme Sullivan. Le CSARS a été saisi d'une plainte déposée par la fonctionnaire s'estimant lésée sur cette question et ses conclusions permettront de régler cette question. Je dois cependant déterminer si la révocation de la cote de sécurité de Mme Sullivan était frivole ou une ruse pour camoufler une mesure disciplinaire. De toute évidence, il n'en est rien.

[51]      J'ai examiné tous les éléments de preuve afin d'établir si, mis à part les arguments présentés par Mme Sullivan, l'employeur avait fait preuve de mauvaise foi. Après avoir consulté la preuve, je ne peux conclure que la décision de révoquer la cote de sécurité de Mme Sullivan était une mesure disciplinaire déguisée ou rien d'autre qu'une décision administrative prise de bonne foi. La preuve présentée au cours de l'audience ex parte et de l'audience tenue en présence des parties m'a certainement convaincu que l'employeur avait des raisons valables de révoquer la cote de sécurité de Mme Sullivan. Au cours de son témoignage, Mme Sullivan a essentiellement reconnu les allégations de l'employeur. Par conséquent, la décision contestée par Mme Sullivan ne relève pas de ma compétence et le grief est donc rejeté.

[52]      Tous les postes au SCRS exigent une cote de sécurité « très secret » et la révocation de la cote de sécurité « très secret » de Mme Sullivan fait en sorte qu'elle ne peut plus travailler au SCRS. Cela ne signifie pas pour autant, comme l'a affirmé Mme Sullivan, qu'en raison de la perte de sa cote de sécurité « très secret » elle ne peut pas trouver un emploi ailleurs dans la fonction publique fédérale. Il existe des postes qu'elle pourrait occuper dans d'autres ministères et qui n'exigent pas de cote de sécurité ou pour lesquels une cote de sécurité de niveau inférieur est requise. La preuve qui m'a été présentée établit que, mis à part la relation non divulguée avec « A.B. », l'employeur considérait Mme Sullivan comme une excellente employée.

Guy Giguère,
président suppléant

OTTAWA, le 17 mars 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.

1   Rhonda Lynn Lee c. Procureur général du Canada (précité); Fritz (précité); Fritz c. Canada (Conseil du Trésor) (précité); Singh c. Canada (précité); Kampman (précité) et Lily Kampman c. La Reine (précité).
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