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Résumé :

Convention collective - Congé de maternité - Augmentation d'échelon de rémunération - Interprétation de clauses conflictuelles - Ambiguïté justifiant le recours à une preuve extrinsèque - le grief portait sur l'interprétation de deux clauses, concernant le congé de maternité et la rémunération, contenues dans la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l'Association professionnelle des agents du service extérieur - il s'agissait de déterminer si la clause 42.05 de la convention collective (concernant la Structure de rémunération de perfectionnement du Service extérieur) visait à abroger tous les droits existants des employés au moment où elle avait été négociée et, plus particulièrement, la clause 23.01 (se rapportant au congé de maternité) - pour déterminer l'intention des parties lorsqu'elles ont négocié cette dernière clause, l'arbitre a permis le recours à une preuve extrinsèque, à savoir le témoignage de l'un des négociateurs de la convention collective - de l'avis de l'arbitre, lorsque le libellé d'une convention collective est ambigu, on peut utiliser une preuve extrinsèque pour confirmer l'intention réelle des parties à la convention - l'arbitre a confirmé que, dans ce cas-ci, le libellé contradictoire que renfermait la clause 42.05(b) engendrait dans le contexte de la convention collective, en particulier dans la clause 23.01(g), un doute sérieux quant à la juste signification du libellé - d'une part, le régime de rémunération du PPSE ne faisait pas partie de la convention collective avec laquelle il était, à certains égards, en conflit alors que d'autre part, les parties avaient précisé que ce document régirait la progression par l'entremise du PPSE - étant donné l'importance de ce conflit et le doute qu'il créait, l'arbitre a déterminé que la preuve extrinsèque présentée par l'ancien négociateur était non seulement utile mais requise vu les circonstances - compte tenu de la teneur de cette preuve et du fait que, bien que l'employeur s'y soit opposé, il ne l'a pas contredite, l'arbitre a conclu que les parties n'avaient jamais eu l'intention d'abroger l'un quelconque droit existant des employés au moment où elles avaient négocié la clause 42.05 b) - de l'avis de l'arbitre, la clause 23.01 g) était claire, le temps consacré à un congé de maternité devait être compté aux fins de l'augmentation d'échelon de rémunération qui comprenait la structure de rémunération de perfectionnement énoncée dans la convention collective - le témoignage présenté en preuve soutenait clairement l'opinion que les parties avaient compris que le régime de rémunération du PPSE qui devait être rédigé ne modifierait pas ces droits. Grief accueilli. Décision citée : Noranda Mines Limited (Baine Division) and United Steelworkers of America, Local 898, [1982] 1 W.L.A.C., 246.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-02-13
  • Dossier:  166-2-31307
  • Référence:  2003 CRTFP 14

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

ERIN BROUSE
fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Citoyenneté et Immigration Canada)

employeur

Devant:   Yvon Tarte, président

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:  Ron Cochrane, Association professionnelle des agents du service extérieur

Pour l'employeur:  Neil McGraw, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 6 janvier 2003.


Introduction

[1]      La présente décision traite de l'interprétation de deux clauses qui figurent dans la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l'Association professionnelle des agents du service extérieur (pièce G-1). Les clauses en question traitent de congé de maternité et de rémunération.

[2]      La convention collective :
23.01 Congé de maternité non payé

    (a) L'employée qui devient enceinte se voit accorder, sur demande, un congé de maternité non payé pour une période commençant avant la date, à la date ou après la date de fin de sa grossesse et se terminant, au plus tard, dix-sept (17) semaines après la date de la fin de sa grossesse.
    . . .

    (g) Le congé accordé en vertu de la présente clause est compté dans le calcul de « l'emploi continu » aux fins de celui de l'indemnité de départ, ainsi que dans le « service » aux fins du calcul des crédits de congé annuel. Le temps consacré à ce congé est aussi compté aux fins de l'augmentation d'échelon de rémunération.

. . .

42.05 Structure de rémunération de perfectionnement du Service extérieur

    **
    (a) La structure de rémunération de perfectionnement du Service extérieur s'applique aux nouvelles recrues.

    (b) La structure de rémunération de perfectionnement comprend les quatre taux de rémunération précisés à l'appendice « A ». On s'attend à ce que les recrues passent au second, au troisième et au quatrième taux au bout de 18, de 36 et de 48 mois respectivement, à compter de la date de nomination à la structure de rémunération de perfectionnement. La progression dans la structure de rémunération est régie par le régime de rémunération de perfectionnement du Service extérieur, lequel ne fait pas partie de la présente convention.

. . .

**APPENDICE « A »

GROUPE DU SERVICE EXTÉRIEUR
ÉCHELLES DE RÉMUNÉRATION
(en dollars)

A)   En vigueur le 1er juillet 1999
B)   En vigueur le 1er juillet 2000
C)   En vigueur le 1er août 2000 - restructuration
. . .

Structure de rémunération de perfectionnement

De :$36 20140 07444 42147 514
À :A38 60542 78848 76550 670

La preuve

[3]      Puisqu'elle était affectée à l'étranger, Mme Brouse n'était pas en mesure d'assister à ces procédures. Les parties ont déposé l'exposé conjoint des faits suivant :
[Traduction]

  • Mme Erin Brouse a débuté son emploi auprès de Citoyenneté et Immigration Canada dans le Programme de perfectionnement du Service extérieur (PPSE) le 21 septembre 1998.

  • Les employés du PPSE sont affectés au groupe professionnel du Service extérieur et sont membres d'une unité de négociation assujettie à la convention collective du Service extérieur.

  • La structure de rémunération de perfectionnement pour les employés du PPSE est identifiée à l'Appendice « A » de la convention collective du Service extérieur. Elle prévoit des augmentations de rémunération pour les employés aux 18e, 36e, et 48e mois qui suivent la date d'entrée dans la structure de rémunération de perfectionnement.

  • Le 21 septembre 2001, Mme Brouse était au service du PPSE depuis 36 mois.

  • Le 15 octobre 2001, Mme Brouse veut connaître les raisons pour lesquelles on ne lui a pas versé une augmentation de traitement.

  • Le 16 octobre 2001, on l'informait par courriel qu'étant donné qu'elle avait pris un congé de maternité de 135 jours (du 15 juillet 2000 au 22 janvier 2001), l'augmentation de traitement serait reportée conformément aux règlements du régime de rémunération du PPSE.

  • Le 18 octobre 2001, Mme Brouse a déposé un grief alléguant violation de la convention collective du Service extérieur.

  • Au moment de déposer son grief, Mme Brouse occupait le poste de Deuxième secrétaire (Immigration) à New Delhi, en Inde.

  • Mme Brouse a maintenant été mutée à Beijing, en Chine.

  • Les parties se réservent le droit de présenter la preuve et d'ajouter des arguments qui ne soient pas incompatibles avec ce qui précède.

[4]      L'agent négociateur a appelé un témoin pour discuter de ce qui avait été dit au cours de la négociation collective menant à la mise en ouvre du Programme de perfectionnement du Service extérieur (PPSE) en 1997. Le but de ce témoignage était d'aider à éclaircir l'ambiguïté et le conflit entre les différentes clauses de la convention collective.

[5]      L'employeur s'est opposé à cette preuve, déclarant que la formulation de la convention collective était claire et devait être interprétée sans l'utilisation de preuve extrinsèque.

[6]      J'ai convenu de prendre en délibéré l'opposition présentée par l'employeur et d'entendre la preuve de Peter Cenne qui travaille maintenant comme directeur de la négociation collective à l'Agence des douanes et du revenu du Canada. De novembre 1990 à juillet 1998, M. Cenne était directeur exécutif de l'Association professionnelle des agents du service extérieur (APASE). Par conséquent, il a participé à la négociation collective qui a mené à l'introduction du PPSE.

[7]      M. Cenne a témoigné à l'effet qu'au cours des discussions qui ont mené à l'acceptation de la clause 42.05 de la convention collective, les parties ont convenu que le régime de rémunération dont il est fait référence dans la clause ne ferait pas partie de la convention collective et que son contenu, qui n'avait pas été rédigé à ce moment, n'affecterait pas les droits négociés existants des employés. M. Cenne a également précisé qu'il s'agissait de l'interprétation de l'agent négociateur que le régime de rémunération dont il est fait référence à la clause 42.05 renfermait des éléments tels que des profils de compétences et des outils d'évaluation pour régir les progrès au sein de la structure de rémunération du PPSE.

Arguments

Pour l'agent négociateur

[8]      L'Appendice « A » de la convention collective établit une structure de rémunération du PPSE renfermant quatre échelons d'augmentation.

[9]      La clause 23.01(g) de la convention collective dit clairement que le temps consacré à un congé de maternité est compté aux fins de l'augmentation d'échelon de rémunération.

[10]      Il ressort clairement du témoignage de M. Cenne que les parties n'ont jamais eu l'intention que le régime de rémunération de perfectionnement du Service extérieur contredise les dispositions existantes de la convention collective. Si telle avait été l'intention, la clause 23.01(g) aurait été modifiée pour énoncer qu'elle est assujettie à la clause 42.05(b).

[11]      Le grief doit être accueilli.

Pour l'employeur

[12]      Chaque clause de la convention collective doit être interprétée dans son contexte.

[13]      La clause 42.05(b) dit clairement que les structures de rémunération et la progression dans les structures de rémunération de perfectionnement seront régies par le régime de rémunération du PPSE.

[14]      Bien que le régime de rémunération du PPSE, dans son ensemble, ne fait pas partie de la convention collective, son contenu qui fait référence à la progression de la structure de rémunération est incorporé par renvoi par la clause 42.05(b).

[15]      L'employeur a toute latitude et le pouvoir de prendre des décisions relatives à des questions de dotation. Déterminer ce qui arrive à un employé qui est en congé non payé est une question de dotation. Par conséquent, l'employeur a, à lui seul, le pouvoir de prendre une décision dans la cause qui nous intéresse.

[16]      Il est logique dans un programme de perfectionnement qu'un facteur temps permette de déterminer le changement d'échelon. Rien dans la convention collective ne restreint le critère d'avancement qui peut être intégré au régime de rémunération.

[17]      En vertu du régime de rémunération élaboré par l'employeur (pièce E-1), un congé non payé, d'une durée de plus de soixante jours, « ne sera pas calculé selon la prolongation des dates d'anniversaire pour les augmentations de rémunération de perfectionnement ».

[18]      L'interprétation de l'employeur est convenable et le grief devrait être rejeté.

Réplique de l'agent négociateur

[19]      Bien que l'employeur puisse avoir le droit de prolonger la période de stage d'employés qui sont absents au cours de leur progression dans le PPSE, il ne peut prolonger la période d'augmentation d'échelon de rémunération puisque cela a été négocié.

Motifs de la décision

[20]      J'en suis venu à la conclusion qu'il doit être fait droit au grief.

[21]      En règle générale, une preuve extrinsèque ne sera pas utilisée pour interpréter les dispositions d'une convention collective lorsque le libellé en question est clair. Dans ces situations, un arbitre doit se pencher sur la clause ou les clauses en question et fournir une interprétation qui représente le mieux l'intention énoncée des parties dans le contexte de la convention collective dans son ensemble. Cette règle générale n'empêche pas l'utilisation de dictionnaires, de décisions antérieures de tribunaux et de textes de nature juridique.

[22]      Lorsque le libellé d'une convention collective est ambigu, une preuve extrinsèque peut toutefois être utilisée pour s'assurer de l'intention véritable des parties à la convention. La question est alors de savoir quand il y a ambiguïté. Il est évident qu'il n'y a pas nécessairement ambiguïté simplement parce que les parties ne s'entendent pas sur la signification de certains termes.

[23]      Les arbitres interprètent-ils une convention collective liée par des règles de common law rigides d'interprétation de contrat? Je ne crois pas. L'assouplissement de telles règles est essentiel en relations de travail puisque cela permet d'établir à partir d'où la relation entre les parties au contrat est continue, laquelle relation doit être fondée sur la confiance, la collaboration et la consultation.

[24]      Je souscris totalement aux propos de l'arbitre Hope dans l'affaire Noranda Mines Limited (Babine Division) et Métallurgistes unis d'Amérique, Local 898, [1982] 1 W.L.A.C., 246 à 254 et 257, lorsqu'il dit :

Les principes rigides de l'interprétation des contrats ne reflètent pas la réalité du climat dans lequel sont négociées les conventions collectives ni les limites très réelles imposées aux parties dans leur attachement à fixer et définir toutes les nuances de leurs relations dans un document écrit.
. . .

Il se peut que cette norme soit moins rigoureuse que le critère d'ambiguïté appliqué en common law pour l'interprétation des contrats, mais elle n'est pas pour autant une invitation à revisiter constamment les négociations qui ont abouti à la convention collective dans tout litige sur la bonne interprétation du libellé.

Le « doute de bonne foi » dont il est question dans la décision UBC v CUPE n'est pas celui des parties, mais celui que nourrit l'arbitre de grief à la lecture de la convention collective. Le caractère sacré du contrat joue un rôle important dans les relations de négociation collective, de même que dans toute autre relation contractuelle, et les parties ne devraient pas se voir privées des fruits de leur négociation collective sur l'affirmation, par l'une ou l'autre, que le processus de négociation collective avait une intention différente ou visait autre chose.
. . .

La tâche d'un arbitre, lorsqu'il se penche sur les questions d'une interprétation contestée, est tout d'abord d'examiner le libellé afin de déterminer s'il engendre, en soi ou dans le contexte dans lequel il apparaît dans la convention collective, un doute de bonne foi quant à son sens approprié.

[25]      Dans la cause qui nous intéresse, le libellé contradictoire que renferme la clause 42.05(b) engendre dans le contexte de la convention collective, en particulier dans la clause 23.01(g), un doute sérieux quant à la juste signification du libellé. D'une part, le régime de rémunération du PPSE (pièce E-1) ne fait pas partie de la convention collective avec laquelle il est, à certains égards, en conflit alors que d'autre part, les parties ont précisé que ce document régira la progression par l'entremise du PPSE.

[26]      Étant donné l'importance de ce conflit et le doute qu'il crée, je suis d'avis que la preuve extrinsèque présentée par M. Cenne est non seulement utile mais requise vu les circonstances.

[27]      La preuve extrinsèque, bien que l'on s'y opposait, n'a pas été contredite par l'employeur. Compte tenu de la teneur de cette preuve, je dois conclure que les parties n'ont jamais eu l'intention d'abroger l'un quelconque droit existant des employés au moment où elles ont négocié la clause 42.05(b).

[28]      La clause 23.01(g) est claire. Le temps consacré à un congé de maternité doit être compté aux fins de l'augmentation d'échelon de rémunération qui comprend la structure de rémunération de perfectionnement énoncée à l'Appendice « A » de la convention collective. Le témoignage de M. Cenne soutient clairement qu'il est d'avis que les parties ont compris que le régime de rémunération du PPSE qui doit être rédigé ne modifierait pas ces droits.

[29]      L'employeur peut certainement prolonger la période nécessaire pour compléter avec succès le PPSE si un participant est absent pour une longue période de temps, mais il ne peut, dans les situations de congé de maternité, retarder la progression normale d'un échelon de rémunération au suivant.

[30]      Le grief de Mme Brouse est, par conséquent, accueilli.

Le président,
Yvon Tarte

OTTAWA, le 13 février 2003

Traduction de la C.R.T.F.P.

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