Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Retard dans le dépôt d'un grief - Demande de prolongation des délais - Licenciement - le grief a été déposé le 7 décembre 2000 relativement à un licenciement par le Pénitencier de Kingston survenu le 24 juillet 1998 - le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé 1 000 000 $ au titre des souffrances endurées, sa réintégration au sein du Service correctionnel du Canada, le versement d'une paie rétroactive (pour les congés fériés, les augmentations d'échelon, les hausses de salaire qui auraient été applicables), le rajustement du rapport sur les crédit de congés, le rajustement du facteur d'équivalence et sa promotion et formation à titre de surveillant correctionnel (CX3) en raison des concours auxquels il n'avait pu participer - l'employeur s'est opposé à la compétence de la Commission pour entendre le grief au motif que celui-ci n'avait pas été déposé dans les délais prescrits - l'arbitre a confirmé que le grief avait été déposé bien après l'expiration des délais prévus à la clause 20.10 de la convention collective et que, par conséquent, il n'avait plus qu'à trancher la question de savoir s'il convenait en l'espèce d'accorder une prorogation de ces délais - l'article 63 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. prévoit que les délais de présentation d'un grief à tout niveau ou la remise ou le dépôt d'un avis, d'une réponse ou d'un document peuvent être prorogés, avant ou après leur expiration a) soit par entente entre les parties; b) soit par la Commission, à la demande de l'employeur, du fonctionnaire ou de l'agent négociateur - d'après un représentant de l'AFPC, le syndicat ne connaissait l'existence que d'une plainte relative aux droits de la personne en 1998, et ses recherches n'avaient pas révélé que le fonctionnaire s'estimant lésé avait déposé un grief relativement à son licenciement cette année-là - les dossiers de l'employeur n'indiquaient pas non plus qu'un grief avait été déposé dans le délai de 25 jours en 1998 - l'arbitre a renvoyé à la clause 20.05, qui prévoit que l'employé qui désire présenter un grief " le remet à son surveillant immédiat ou au chef de service local ", et il a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas satisfait à cette exigence en laissant simplement le grief dans une enveloppe adressée à son représentant syndical à la porte nord - l'arbitre a conclu également que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas fait preuve de diligence raisonnable après avoir réalisé que l'employeur n'avait pas répondu à son grief de 1998 - de l'avis de l'arbitre, les délais prévus dans une convention collective sont précis et ils ne devraient pas être écartés à la légère - l'arbitre a conclu qu'il n'était pas justifié de prolonger les délais dans cette affaire. Grief rejeté. Décisions citées : Rattew (149-2-107); Rouleau (2002 CRTFP 51).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-02-05
  • Dossier:  166-2-31161
  • Référence:  2003 CRTFP 9

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

BENJAMIN MBAEGBU
fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Solliciteur général du Canada - Service correctionnel)

employeur

Devant :   Joseph W. Potter, Vice-président

Pour le fonctionnaires s'estimant lésé :   le fonctionnaire

Pour l'employeur :   Karl G. Chemsi, avocat


Audience tenue à Kingston (Ontario),
les 17 octobre et 9 décembre 2002.


[1]      Le 7 décembre 2000, Benjamin Mbaegbu a déposé un grief à l'encontre de son licenciement par le pénitencier de Kingston le 24 juillet 1998.

[2]      M. Mbaegbu a demandé les mesures correctives suivantes :

[Traduction]     

Voici une liste des mesures correctives demandées concernant mon grief pour congédiement injustifié survenu le 24 juillet 1998 :

1.   Le paiement de la somme de 1 000 000 $ pour les souffrances endurées par suite de mon congédiement injustifié.

2.   Ma réintégration au sein du Service correctionnel du Canada.

3.   Le versement d'une paie rétroactive (notamment la paie ordinaire, la rémunération de jours fériés, la prime de quart et toute occasion perdue d'effectuer des heures supplémentaires) à compter de la date de mon congédiement injustifié jusqu'à la date de ma réintégration. Ces montants doivent tenir compte de toutes les augmentations d'échelon ainsi que des hausses de salaire qui se seraient appliquées si je n'avais pas été congédié injustement.

4.   Le rajustement du rapport sur les crédits de congés pour tenir compte des congés annuels, des congés de maladie et des congés pour obligations familiales que j'aurais accumulés pendant la période de mon congédiement injustifié jusqu'à la date de ma réintégration.

5.   Le rajustement du facteur d'équivalence de manière à tenir compte de la date d'embauche auprès du Service correctionnel du Canada jusqu'à la date de ma réintégration.

6.   Ma promotion et ma formation au titre de surveillant correctionnel (CX3) en raison des concours auxquels je n'ai pu participer pendant la période de mon congédiement injustifié.

[3]      Le grief a été renvoyé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) le 7 mars 2002. L'employeur a écrit à la Commission le 4 avril 2002 pour contester la compétence de la Commission pour entendre le grief de M. Mbaegbu au motif que celui-ci n'avait pas été déposé dans les délais prescrits. La Commission a fait parvenir une copie de cette lettre à l'agent négociateur, le Syndicat des agents correctionnels du Canada (SACC), qui a répondu le 19 avril qu'il ne représenterait pas le fonctionnaire s'estimant lésé.

[4]      Le 24 avril 2002, la Commission a demandé à l'employeur et à M. Mbaegbu de déposer des observations écrites sur la question du respect des délais. M. Mbaegbu a remis les siennes le 7 mai 2002 et l'employeur a répondu le 30 mai 2002. À sa réplique du 3 juin 2002, M. Mbaegbu a joint une demande de prorogation du délai pour déposer son grief du mois de décembre 2000.

[5]      La Commission a examiné les observations et déterminé qu'il fallait tenir une audience pour traiter des questions du respect des délais et de la prorogation de ceux-ci (voir la lettre du 9 juillet 2002).

[6]      Par conséquent, la Commission a écrit à l'employeur et à M. Mbaegbu le 9 juillet 2001 pour les informer que l'audience sur la contestation de la compétence serait tenue les 17 et 18 octobre à Kingston (Ontario).

[7]      À l'audience, M. Mbaegbu, agissant pour son compte, a témoigné qu'il avait été agent correctionnel au pénitencier de Kingston du mois de novembre 1992 jusqu'à son licenciement, le 24 juillet 1998.

[8]      À 14 h à peu près le 24 juillet 1998, M. Mbaegbu et son représentant syndical, Gerry Horak, ont rencontré Alex Lubimiv, le directeur adjoint; M. Mbaegbu a été informé qu'il était licencié. Gerry Horak a alors suggéré à M. Mbaegbu de déposer un grief; ce dernier a alors pris les formulaires de grief nécessaires et les a emportés avec lui.

[9]      Le représentant syndical a suggéré aussi à M. Mbaegbu de se rendre au bureau régional du syndicat à Kingston, ce qu'il a fait le 25 juillet, date à laquelle il y a rencontré les dirigeants syndicaux Bob Boucher et Linda Cross.

[10]      M. Mbaegbu a témoigné qu'au cours de la rencontre du 25 juillet, il avait voulu remettre son formulaire de grief rempli à M. Boucher pour qu'il soit traité. M. Boucher lui a dit que le grief devait être remis à son représentant syndical local, un agent correctionnel du nom de Mike Donahue.

[11]      Le 26 juillet 1998, M. Mbaegbu s'est donc rendu au pénitencier de Kingston, où il a laissé une enveloppe scellée à l'intention de M. Donahue. Ce dernier n'étant pas de quart à ce moment-là, M. Mbaegbu a demandé que l'enveloppe lui soit transmise. À l'intérieur de cette enveloppe, d'après M. Mbaegbu, se trouvait un formulaire de grief rempli se rapportant à son licenciement.

[12]      Resté sans nouvelle relativement à son grief pendant deux semaines environ, M. Mbaegbu a fait trois ou quatre appels au pénitencier de Kingston et a laissé un message destiné à M. Donahue. Ce dernier ne l'a jamais rappelé.

[13]      Quelque temps plus tard, M. Mbaegbu a appelé le pénitencier de Kingston et a demandé à parler à la personne qui s'occupait des griefs. Il a déclaré avoir parlé à une femme, dont il n'a pu se rappeler le nom au départ; il n'a pu se rappeler non plus le moment où cette conversation avait eu lieu. Il a déclaré par la suite, au cours de son contre-interrogatoire, que la femme en question s'appelait Dianne Anthony. Cette dernière lui aurait dit que le processus de traitement des griefs était long.

[14]      Au mois de janvier 1999, M. Mbaegbu a déclaré qu'il n'avait encore eu aucune nouvelle et qu'il commençait à s'inquiéter. Il a alors appelé au bureau régional de l'AFPC et a parlé encore une fois à M. Boucher, qui lui a demandé d'être patient et d'attendre.

[15]      En mars 1999, M. Mbaegbu a rappelé au bureau régional de l'AFPC et a parlé à Mme Cross. Il lui a demandé le nom de la personne qui, au bureau principal de l'AFPC, s'occupait des griefs provenant du pénitencier de Kingston, et a été informé que c'était Don Reid. M. Mbaegbu a écrit à M. Reid pour lui expliquer sa situation. M. Reid a appelé M. Mbaegbu pour lui dire qu'il était en train de déménager son bureau et qu'il lui fallait donc être patient.

[16]      Mme Cross a été appelée à témoigner par M. Mbaegbu; elle a déclaré qu'elle était représentante syndicale régionale de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) et qu'elle agissait à ce titre depuis le mois de janvier 1998. Cette année-là, l'AFPC était l'agent négociateur des agents correctionnels.

[17]      M. Mbaegbu a demandé à Mme Cross si elle se rappelait l'avoir rencontré en 1998 pour discuter de son licenciement. Mme Cross a déclaré qu'elle ne se rappelait pas grand chose de son dossier parce qu'elle ne s'en était pas beaucoup occupée et qu'elle n'y avait pas pris part initialement. Elle se rappelait avoir rencontré M. Mbaegbu à la fin de 2000 ou au début de 2001, puis avoir écrit au nouvel agent négociateur des agents correctionnels, le SACC, au sujet du dossier.

[18]      En contre-interrogatoire, Mme Cross a indiqué qu'elle aurait rencontré M. Mbaegbu pour la première fois avant 2000 puisque c'est cette année-là que les agents correctionnels ont quitté l'AFPC pour adhérer au SACC. Elle a témoigné qu'elle n'avait aucune connaissance directe du dépôt d'un grief par M. Mbaegbu.

[19]      Mme Cross a témoigné qu'elle se rappelait avoir eu une conversation avec M. Reid au sujet du dossier de M. Mbaegbu et que M. Reid lui avait dit que le dossier de M. Mbaegbu faisait l'objet d'une enquête relative aux droits de la personne et qu'il n'y avait aucun document étayant l'existence d'un grief.

[20]      D'après le témoignage de M. Mbaegbu, M. Reid l'a appelé en janvier 2000 pour l'informer que le grief ne pouvait être trouvé nulle part et que M. Mbaegbu devrait se présenter au bureau régional de l'AFPC à Kingston pour s'informer des solutions possibles. C'est ce qu'il a fait. M. Mbaegbu a été informé que le bureau de l'AFPC effectuerait une recherche approfondie pour tenter de déterminer ce qu'il était advenu du grief.

[21]      N'ayant eu aucune nouvelle au mois de juin 2000, M. Mbaegbu s'est rendu de nouveau au bureau de l'AFPC, où il a rencontré Mme Cross. Lors de cette rencontre, Mme Cross a envoyé une lettre à M. Reid, d'après le témoignage de M. Mbaegbu, pour s'informer du grief.

[22]      M. Mbaegbu a déclaré que Mme Cross lui avait dit de déposer un second grief au mois de juillet 2000.

[23]      Puisque, entre-temps, il avait déménagé à Toronto, on lui a dit de se présenter au bureau de l'AFPC à Toronto pour y déposer son grief. C'est ce qu'il a fait. Puis il est resté sans nouvelle jusqu'au mois d'octobre 2000, date à laquelle ses formulaires de grief lui ont été retournés et à laquelle on l'a informé qu'il lui fallait les faire signer par un représentant syndical du pénitencier de Kingston.

[24]      M. Mbaegbu a rempli un nouveau formulaire en novembre 2000, l'a fait signer par un représentant syndical du pénitencier de Kingston, puis l'a envoyé à M. Reid. L'employeur l'a reçu en décembre 2000.

[25]      Le premier jour d'une audience qui devait durer deux jours, M. Mbaegbu a demandé l'ajournement de l'audience pour avoir suffisamment de temps pour recueillir des éléments de preuve supplémentaires.

[26]      L'avocat de l'employeur s'est opposé à cette demande, faisant valoir que M. Mbaegbu avait obtenu un avis suffisant de l'audience et qu'il aurait dû être prêt à faire entendre ses témoins et à déposer les documents nécessaires.

[27]      J'ai analysé la demande d'ajournement, puis je l'ai accueillie.

[28]      M. Mbaegbu a demandé également à la Commission d'ordonner à l'employeur de fouiller dans ses dossiers pour y obtenir le nom de l'agent qui travaillait à la « porte nord » du pénitencier de Kingston le 26 juillet 1998. C'est à cette personne que M. Mbaegbu aurait remis son premier grief. J'ai donc ordonné à l'employeur d'effectuer la recherche nécessaire dans ses dossiers pour déterminer s'il était possible d'obtenir cette information et pour ensuite la remettre à M. Mbaegbu.

[29]      La recherche nécessaire a été effectuée et, le 14 novembre 2000, l'avocat de l'employeur a fait parvenir à M. Mbaegbu l'information qu'il avait demandée. Deux agents correctionnels travaillaient à la porte nord le 26 juillet 1998 : Mary Dagenais et Chris Munroe.

[30]      Lorsque l'audience a repris le 9 décembre 2002, M. Mbaegbu a déclaré qu'il avait envoyé trois assignations à témoigner le 5 décembre; toutefois, aucune de ces personnes n'a comparu pour témoigner. Il a déclaré qu'il avait assigné les agents correctionnels Dagenais, Munroe et Horak en leur faisant parvenir les assignations en question par messager, à l'attention du directeur du pénitencier de Kingston.

[31]      L'avocat de l'employeur a demandé une brève suspension pour fouiller la question et, au retour, il a indiqué que M. Mbaegbu avait été informé, avant d'envoyer les assignations à témoigner, que M. Munroe ne travaillait plus au pénitencier de Kingston et que Mme Dagenais était en congé pour maladie prolongée. Il était peu probable que l'un ou l'autre ait reçu l'assignation, a déclaré l'avocat de l'employeur.

[32]      J'ai demandé aux parties de poursuivre l'audience et je les ai informées de ma décision de traiter de la question des trois témoins absents au terme de la preuve de M. Mbaegbu.

[33]      En contre-interrogatoire, M. Mbaegbu a indiqué qu'il n'avait conservé aucune copie de son grief de 1998 et que, n'ayant reçu aucune réponse à celui-ci après un délai de deux mois, il avait appelé le directeur adjoint du pénitencier pour s'informer de l'évolution de celui-ci. Il s'est fait dire d'être patient. En août 1999, n'ayant encore une fois obtenu aucune réponse à l'égard de son grief pour licenciement, il a communiqué avec M. Reid, le représentant de l'AFPC à Ottawa.

[34]      M. Mbaegbu a admis qu'il serait juste de dire qu'au mois d'août 1999, il ne pouvait dire avec certitude si l'employeur avait à quelque moment que ce soit reçu son grief.

[35]      Pedro Sousa-Dias, un ancien agent correctionnel au pénitencier de Kingston, a aidé M. Mbaegbu tout au long de l'audience. M. Sousa-Dias a témoigné que, d'après son expérience, il faut patienter pendant une période exceptionnellement longue pour obtenir du pénitencier de Kingston une réponse à un grief; le fait que M. Mbaegbu n'avait pas approfondi l'affaire immédiatement ne devait donc pas être retenu contre lui.

[36]      M. Sousa-Dias a déclaré également que le représentant syndical local, M. Donahue, avait pour habitude d'éviter d'offrir une représentation convenable aux personnes appartenant à des groupes minoritaires, comme M. Mbaegbu.

[37]      La question de l'absence des témoins assignés devait maintenant être abordée puisqu'aucune des personnes assignées n'était présente.

[38]      J'ai demandé à M. Mbaegbu ce que ces trois témoins seraient vraisemblablement venus déclarer s'ils s'étaient présentés. M. Mbaegbu a concédé qu'il n'avait pas discuté avec eux de la teneur de leur témoignage, mais il a déclaré que M. Horak confirmerait qu'il était avec M. Mbaegbu lors de la réunion relative au licenciement.

[39]      En outre, il espérait que Mme Dagenais et M. Munroe se rappellent une visite que M. Mbaegbu avait effectuée le 26 juillet 1998 à la porte nord du pénitencier de Kingston, où M. Mbaegbu avait laissé une enveloppe scellée à l'intention de M. Donahue.

[40]      J'ai indiqué à l'audience que je prendrais l'affaire en délibéré.

Arguments du fonctionnaire s'estimant lésé

[41]      M. Mbaegbu a fait valoir qu'il avait prouvé avoir eu l'intention de déposer un grief en 1998, dès qu'il a été licencié.

[42]      Les formulaires requis ont été remplis au moment du licenciement. M. Mbaegbu les a laissés à la porte nord du pénitencier de Kingston et a effectué de nombreux appels téléphoniques en vue d'assurer le suivi de la présentation du grief.

[43]      Le syndicat avait l'obligation de garantir le traitement du grief. Il ne s'est pas acquitté de cette obligation.

[44]      En ce qui concerne le nombre de retards, M. Mbaegbu a déclaré qu'il avait d'abord travaillé avec des représentants de l'AFPC, et que les agents correctionnels avaient ensuite adhéré au SACC, ce qui avait engendré des retards supplémentaires. Ceux-ci n'avaient pas été causés par sa faute, a-t-il soutenu, et il fallait plutôt blâmer son représentant syndical, M. Mike Donahue.

Arguments de l'employeur

[45]      Deux questions se posent dans la présente affaire. Premièrement, il y a la question du respect des délais. M. Mbaegbu a-t-il déposé son grief dans le délai de 25 jours prescrit à la clause 20.10 de la convention collective applicable? Dans la négative, la deuxième question est celle de savoir si le fonctionnaire s'estimant lésé a agi avec diligence raisonnable pour demander une prorogation des délais?

[46]      M. Mbaegbu prétend que le syndicat n'a pas traité son grief; or, l'approbation du syndicat n'est pas nécessaire dans le cas d'un grief pour licenciement.

[47]      Même si l'on tient pour acquis qu'un grief a été rempli en 1998, M. Mbaegbu admet que celui-ci n'a pas été remis à son surveillant ou au chef de service local, ainsi qu'il est prévu à la clause 20.05 de sa convention collective.

[48]      Le syndicat n'avait aucun document étayant le dépôt d'un grief. Mme Cross a témoigné qu'elle n'avait aucun document étayant l'existence d'un grief pour licenciement. Elle a indiqué qu'il y avait une preuve relative à l'existence d'une plainte fondée sur les droits de la personne, mais aucun grief.

[49]      M. Mbaegbu avait l'obligation d'assurer le suivi du dépôt allégué d'un grief, mais il ne s'est pas acquitté de cette obligation.

[50]      Lorsque le second grief a été déposé en décembre 2000, aucune mention de ce premier grief allégué n'a été faite. En réalité, M. Mbaegbu a fait cette allégation pour la première fois dans une lettre qu'il a adressée à la Commission en mai 2002.

[51]      Aucune preuve n'indique que M. Mbaegbu a déposé un grief dans le délai de 25 jours prescrit dans sa convention collective, de sorte que l'affaire ne peut être entendue.

[52]      L'article 63 des Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. permet la prorogation du délai pour déposer un grief mais, en l'espèce, il ne convient pas d'exercer ce pouvoir discrétionnaire.

[53]      En mai 2002, quelque 17 mois après le grief de décembre, M. Mbaegbu a écrit à la Commission pour tenter de se justifier. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il a mentionné qu'il avait déposé un grief en 1998, mais il n'a pas demandé de prorogation du délai. Il n'y a aucune raison claire, convaincante et impérieuse de permettre cette prorogation.

[54]      La preuve de M. Mbaegbu indique qu'il n'a commencé à appeler le bureau local de l'AFPC qu'au terme d'une période de quelque six mois suivant le dépôt allégué du grief de 1998. Il a indiqué qu'il n'avait pas été mis au courant de l'existence des délais. Donc, soit le syndicat n'a pas bien conseillé M. Mbaegbu, soit le témoignage de ce dernier n'est pas crédible.

[55]      Il n'y a aucune preuve qui indique que M. Mbaegbu a fait preuve de diligence dans le traitement de son dossier, et sa demande devrait être rejetée.

[56]      Les affaires suivantes ont été invoquées :

Achtemichuk (dossiers de la Commission 166-2-19683 à 19694); Rouleau 2002 CRTFP 51; Rattew (dossier de la Commission 149-2-107); Guaiani (dossiers de la Commission 166-2-21358, 149-2-109 et 149-2-110); Wyborn c. Agence Parcs Canada; 2001 CRTFP 113; Boulay (dossier de la Commission 149-2-160.)

Décision

[57]      Les clauses 20.05 et 20.10 de la convention collective applicable au fonctionnaire s'estimant lésé sont libellées dans les termes suivants :

20.05 L'employé-e qui désire présenter un grief à l'un des paliers prescrits de la procédure de règlement des griefs le remet à son surveillant immédiat ou au chef de service local qui, immédiatement :

(a)   l'adresse au représentant de l'Employeur autorisé à traiter les griefs au palier approprié,

      et

(b)   remet à l'employé-e un récépissé indiquant la date à laquelle le grief lui est parvenu.

20.10 Au premier (1er) palier de la procédure, l'employé-e peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 20.05, au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief.

[58]      M. Mbaegbu a été licencié par lettre datée du 24 juillet 1998. Le grief déposé par M. Mbaegbu est daté du 15 décembre 2000. Il ne fait aucun doute que ce grief a été déposé bien après l'expiration des délais prescrits à la clause 20.10 de la convention collective. Convient-il en l'espèce d'accorder une prorogation de ces délais?

[59]      L'article 63 des Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. prévoit :

63. Par dérogation à toute autre disposition de la présente partie, les délais prévus aux termes de la présente partie, d'une procédure applicable aux griefs énoncée dans une convention collective ou d'une décision arbitrale, pour l'accomplissement d'un acte, la présentation d'un grief à un palier ou la remise ou le dépôt d'un avis, d'une réponse ou d'un document peuvent être prorogés avant ou après leur expiration :

  a) soit par entente entre les parties;

  b) soit par la Commission, à la demande de l'employeur, du fonctionnaire ou de l'agent négociateur, selon les modalités que la Commission juge indiquées.

[60]      Voir, par exemple, l'affaire Rattew (précitée), au dernier paragraphe de la page 14, qui se termine à la page 15, et où l'on peut lire ceci :

. En règle générale, l'objet de l'article 83 (disposition alors en vigueur) et des dispositions semblables n'est pas de rendre inopérants les délais sur lesquels les parties se sont mises d'accord dans une convention collective, ou qui figurent dans le Règlement. Ces dispositions visent plutôt à permettre le recours à un redressement prévu par la loi ou une convention collective, nonobstant l'expiration de délais, lorsque l'action contraire entraînerait une injustice. La durée et les motifs du retard doivent peser lourd dans la décision de l'arbitre, tout comme le préjudice qui serait causé à chacune des parties. À cet égard, la Commission aimerait signaler la sentence arbitrale rendue récemment dans l'affaire Re Corporation of City of Thunder Bay and Canadian Union of Public Employees, Local 87 (1992), 20 L.A.C. (4th) 361 (Charney). Dans cette affaire, le conseil arbitral a été invité à exercer son pouvoir discrétionnaire sous le régime de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario pour libérer l'agent négociateur des effets de son omission d'avoir respecté les délais prescrits dans la convention collective applicable pour déposer un grief. Le fonctionnaire avait demandé qu'on le réintègre dans son poste au motif qu'il avait été victime de discrimination fondée sur ses déficiences physiques. Bien qu'il ait conclu que la société n'avait subi aucun préjudice quant à sa capacité de défendre ses actions, le conseil arbitral a néanmoins refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire en raison de la durée du retard - approximativement onze mois. Il y a lieu de noter que le conseil arbitral en est arrivé à cette conclusion en dépit du fait que le retard excessif était en grande partie la faute du syndicat qui représentait le fonctionnaire s'estimant lésé.

.

[61]      Le premier témoin appelé par M. Mbaegbu est Mme Linda Cross, une représentante de l'AFPC. Mme Cross a témoigné que ses recherches n'avaient pas révélé que M. Mbaegbu avait déposé un grief en 1998. Le syndicat était au courant d'une plainte fondée sur les droits de la personne qu'il avait déposée, mais il n'avait aucune connaissance de l'existence d'un grief à l'encontre de son licenciement.

[62]      Cela rejoint la position de l'employeur, à savoir que lui non plus n'a pas de document étayant le dépôt d'un grief dans le délai de 25 jours.

[63]      M. Mbaegbu a déclaré qu'il avait bel et bien déposé un grief en 1998 en le laissant à la porte nord du pénitencier de Kingston. La clause 20.05 de la convention collective prévoit que le grief doit être transmis au surveillant du fonctionnaire s'estimant lésé ou au chef de service local. À mon avis, M. Mbaegbu ne s'est pas acquitté de cette exigence en se contentant de laisser le grief, adressé à son représentant syndical, à la porte nord.

[64]      Même si j'accepte sa déclaration selon laquelle il a laissé un grief à l'intention de son représentant syndical à la porte nord en 1998 (ce qui aurait pu être ou ne pas être étayé par les témoignages de Mme Dagenais ou de M. Munroe), pour une raison qu'on ignore, ce grief n'a pas été transmis à la direction.

[65]      Dans la présente affaire, je suis d'avis que M. Mbaegbu n'a subi aucun préjudice du fait que les témoins qu'il avait assignés n'ont pas comparu. M. Horak aurait simplement confirmé qu'il était présent à l'audience relative au licenciement, ce que personne ne conteste.

[66]      Pour cette raison, j'en arrive à la conclusion qu'aucun grief n'a été déposé auprès de l'employeur en 1998. Il faut donc déterminer maintenant s'il y a lieu d'accorder une prorogation du délai pour déposer un grief.

[67]      M. Mbaegbu a déclaré, en contre-interrogatoire, qu'il estimait être juste de dire qu'au mois d'août 1999, il ne pouvait dire avec certitude si l'employeur avait reçu son grief. Il a attendu jusqu'au 15 décembre 2000 pour déposer un second grief et jusqu'au mois de mai 2002 avant de signer une déclaration sous serment attestant qu'il avait effectivement déposé un grief en 1998.

[68]      Ainsi que je l'ai indiqué au paragraphe 38 de l'affaire Rouleau (précitée) « l'employeur a le droit de mettre un point final à ses mesures dans un délai raisonnable après qu'il les a prises. La longueur de ce délai raisonnable est fonction des circonstances dans chaque affaire ».

[69]      L'employeur a déclaré que M. Mbaegbu avait manqué de diligence dans la conduite de son dossier et, étant donné les faits qui m'ont été soumis, je dois en convenir. Dans la présente affaire, je n'ai pas été convaincu que M. Mbaegbu avait agi avec diligence raisonnable une fois qu'il s'est rendu compte que l'employeur n'avait donné aucune réponse à son grief de 1998.

[70]      Les délais prescrits dans la convention collective sont précis et, à mon avis, ils ne doivent pas être écartés à la légère. Ayant examiné soigneusement toute la preuve, dont les observations écrites des parties, je suis d'avis qu'une prorogation du délai n'est pas justifiée dans la présente affaire.

[71]      Compte tenu de ce qui précède, je dois rejeter le présent grief pour défaut de compétence.

Joseph W. Potter,
Vice-président.

OTTAWA, le 5 février 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.