Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Compétence - Renvoi en période de stage - Question de savoir s'il s'agit d'un licenciement disciplinaire - Refus d'autoriser une représentation syndicale - cette décision met en cause un grief contestant un renvoi en période de stage et un grief contestant le refus d'autoriser une représentation syndicale dans des réunions disciplinaires et de donner le préavis requis - l'arbitre a déterminé que, compte tenu de la brièveté de l'emploi du fonctionnaire s'estimant lésé à la GRC, il est très vraisemblable qu'on lui aurait donné plus de temps pour démontrer que son rendement satisfaisait aux normes attendues n'eût été les deux incidents disciplinaires qui s'étaient produits au travail, qui étaient donc d'importance critique dans la décision de renvoyer le fonctionnaire s'estimant lésé en cours de stage - de l'avis de l'arbitre, la démarche utilisée avant de prendre la décision de renvoyer le fonctionnaire s'estimant lésé en cours de stage peut avoir donné à ce dernier certains droits conformément à la convention collective, mais, une fois la décision de le renvoyer en cours de stage prise, l'employeur était tenu seulement de démontrer qu'il avait un motif lié à l'emploi - l'arbitre a renvoyé au témoignage du surintendant, qui a démontré que l'employeur avait une raison liée à l'emploi pour renvoyer le fonctionnaire s'estimant lésé pendant son stage - une fois que l'employeur s'est acquitté de la charge de prouver qu'il avait un motif lié à l'emploi pour le renvoyer et que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas réussi à prouver que les actions de l'employeur étaient une supercherie ou du camouflage, l'arbitre a confirmé qu'il n'avait pas compétence pour se prononcer sur les motifs de la décision de le renvoyer en cours de stage, ni pour déterminer si cette décision était raisonnable - de l'avis de l'arbitre, le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas démontré de mauvaise foi de la part de l'employeur lorsque celui-ci est arrivé à sa décision de le renvoyer pendant son stage - l'arbitre a souligné que l'employeur avait amorcé une procédure disciplinaire au début de son enquête, comme le prouve la suspension sans traitement - l'arbitre a donc conclu que l'employeur avait enfreint la convention collective en refusant d'autoriser le fonctionnaire s'estimant lésé à être représenté par son syndicat pour toutes les réunions disciplinaires, jusqu'à et y compris celle qui a abouti à la suspension sans traitement - le deuxième grief renvoyait uniquement au préavis reçu pour la réunion du 6 avril 2001 (qui, en bout de ligne, n'a pas eu lieu) - l'arbitre a conclu que la clause 17.02 ne s'appliquait pas à cette réunion avortée parce que la décision de l'employeur d'opter pour le renvoi en cours de stage avait déjà été prise à ce moment-là - puisque l'objet de la réunion n'était pas disciplinaire, cette disposition de la convention collective ne s'appliquait pas - l'arbitre a déterminé en outre que, compte tenu de la décision subséquente de l'employeur d'opter pour le renvoi en cours de stage, il n'y avait aucun redressement possible, sauf une déclaration, pour dénoncer son refus d'autoriser le plaignant à être représenté par le syndicat aux réunions qui avaient précédé. Grief à l'encontre du renvoi en période de stage (166-2-31372) rejeté. Grief à l'encontre du refus d'autoriser une représentation syndicale et de donner un préavis d'une audience disciplinaire (166-2-31373) accueilli en partie. Décisions citées : Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, [2001] A.C.F. no 802; Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.); Smith (166-2-3017); Spurrel (166-23-31504).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-04-23
  • Dossiers:  166-2-31372 et 166-2-31373
  • Référence:  2003 CRTFP 33

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

GARRY OWENS
fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Gendarmerie royale du Canada)

employeur

Devant:   Ian R. Mackenzie, commissaire

Pour le fonctionnaire
s'estimant lésé
:              
Debra Seaboyer, Alliance de la Fonction publique
                                     du Canada

Pour l'employeur:  Richard E. Fader, avocat


Affaire entendue à Vancouver (C.-B.),
le 12 février 2003.


[1]      Cette décision porte sur le renvoi en cours de stage de Garry Owens, un CR-03 au service de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). La lettre annonçant le renvoi est datée du 6 avril 2001, mais l'emploi de l'intéressé a cessé le 6 mai 2001. M. Owens a présenté deux griefs, le 26 avril 2001, contestant à la fois son renvoi en cours de stage et le refus de l'employeur de l'autoriser à être représenté par son syndicat dans des réunions disciplinaires, ainsi que le fait de ne pas lui avoir donné le préavis requis. Le premier grief contestant son renvoi en période de stage proteste aussi contre le refus de l'employeur qu'il soit représenté par son syndicat au cours du processus d'enquête. Le second conteste seulement ce que M. Owens considère comme le refus de l'employeur de l'autoriser à être représenté par son syndicat et de lui donner le préavis requis d'une réunion le 6 avril 2001.

[2]      La réponse au dernier palier de la procédure du règlement des griefs est datée du 13 mai 2002 pour ces deux griefs, qui ont été portés à l'arbitrage le 11 juillet 2002. Le fonctionnaire s'estimant lésé était assujetti à la convention collective du groupe Services des programmes et de l'administration conclue entre le Conseil du Trésor et l'Alliance de la Fonction publique du Canada et expirée le 20 juin 2000.

Questions préliminaires

[3]      L'employeur a soulevé la question préliminaire de la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) d'entendre les griefs, dans une lettre qu'il a adressée à la Commission le 2 août 2002. Selon lui, un arbitre n'a pas compétence pour entendre le grief parce que le fonctionnaire s'estimant lésé a été renvoyé en cours de stage pour motif lié à l'emploi. Dans sa réponse, datée du 3 septembre 2002, l'agent négociateur a maintenu que la Commission a bel et bien compétence pour entendre le grief parce que les mesures prises par l'employeur étaient manifestement disciplinaires. Le 20 septembre 2002, la Commission a déclaré que l'arbitre se prononcerait sur cette question à l'audience et que les parties devaient être prêtes à procéder sur le fond.

[4]      Au début de l'audience, l'avocat de l'employeur a soutenu que la compétence de la Commission se limitait à déterminer si le renvoi en cours de stage était « lié à l'emploi ». Il a affirmé qu'elle n'a pas pour rôle de se mettre à la place de la direction et de trancher les griefs selon qu'elle souscrit ou pas à la décision de l'employeur. La Commission n'a pas non plus pour rôle, selon lui, de remettre en question le fondement de la décision de l'employeur. Il a déclaré qu'il ne convoquerait qu'un témoin pour démontrer que le fonctionnaire s'estimant lésé a été renvoyé en application de l'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP). Bref, l'employeur part du principe que l'arbitre que je suis n'a pas compétence pour aller plus loin dans son examen du renvoi en cours de stage.

[5]      La représentante du fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un renvoi en cours de stage, mais plutôt d'un congédiement pour motifs disciplinaires déguisé et que ma compétence n'est nullement restreinte.

[6]      J'ai réservé ma décision sur l'étendue de ma compétence et je reviendrai dans mes motifs de décision sur celle de la compétence d'un arbitre dans les cas de renvoi en cours de stage.

La preuve

[7]      M. Owens a commencé à travailler pour la GRC le 6 février 2001 en qualité de CR-3 (tenue et mise à jour des dossiers) aux Systèmes d'information opérationnelle de la Division « E », à Vancouver, en Colombie-Britannique. Le fait qu'il était en période de stage n'est pas contesté puisque sa lettre de nomination, datée du 17 janvier 2001 (pièce E-1), précise clairement ce qui en était.

[8]      M. Owens a été fonctionnaire pendant environ 25 ans. Il a débuté dans l'Armée puis a été au service de quelque 17 ministères, selon lui. Juste avant d'entrer à la GRC, il occupait un poste auquel il avait été nommé pour une période déterminée à l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC). Il était très heureux de sa nomination à la GRC : c'était son premier poste permanent en plus de 20 ans d'emploi dans la fonction publique.

[9]      Stephen Ayliffe, qui est surintendant à la GRC, a témoigné pour l'employeur. Responsable de l'Informatique pour la Région du Pacifique, c'est le gestionnaire qui a pris la décision de renvoyer M. Owens en cours de stage. Il a le pouvoir délégué de renvoyer les employés en stage, en vertu du paragraphe 28(2) de la LEFP.

[10]      Le surintendant Ayliffe a témoigné avoir en partie basé sa décision de renvoyer M. Owens en cours de stage sur les renseignements qu'il avait reçus de vive voix de son second, l'inspecteur Morrison, au sujet des problèmes de rendement de M. Owens pendant sa formation, ainsi que de certains comportements inacceptables du fonctionnaire s'estimant lésé au travail. La lettre de renvoi en cours de stage (pièce E-3), datée du 6 avril 2001, avance les raisons suivantes de cette décision :

[Traduction]

Durant votre emploi dans le poste en rubrique à la Gendarmerie royale du Canada, vous n'avez pas satisfait aux normes établies ni atteint le niveau de compétence exigé pour le poste. Vous avez fait preuve de manque de jugement, d'un piètre rendement et d'un comportement inacceptable.

. . .

[11]      L'inspecteur Morrison a fait parvenir au surintendant Ayliffe un [traduction] « Rapport d'enquête administrative » daté du 25 mai 2001, accompagné de plusieurs pièces liées à son enquête sur M. Owens (pièce E-2). Le surintendant Ayliffe s'est reporté à ce document dans son témoignage. Je n'ai tenu compte que des pièces datées d'avant le 6 avril 2001 (la date de la lettre de renvoi en cours de stage).

[12]      À sa première semaine de travail, M. Owens s'est fait remettre un cartable d'introduction à la GRC qu'il devait lire. Il l'a étudié pendant trois jours. Il a aussi assisté à une séance d'orientation d'une journée. Dans son témoignage, il a déclaré avoir « été laissé à lui-même » avec une supervision minimale. On lui a donné un module informatique d'autoformation sur le système du CIPC, sous la supervision de Cathie Bell. D'après lui, Mme Bell a vérifié quelques fois comment il se tirait d'affaire; elle a passé en moyenne une heure par jour avec lui au cours de cette période.

[13]      Le surintendant Ayliffe a témoigné qu'au début de février - donc pendant qu'il était en formation -, M. Owens avait eu de la difficulté à maîtriser le système de gestion des dossiers SRRJ. La difficulté a été signalée par la chef de section et confirmée par les formateures (pièce E-2, appendice « A »). Le surintendant Ayliffe était d'avis que les réserves quant au rendement du fonctionnaire s'estimant lésé avaient été bien établies, tout comme les interventions des formateures et de la chef de section, y compris leurs efforts pour recommander à l'intéressé des moyens de s'améliorer.

[14]      Lyndall Lloyd, la superviseure du fonctionnaire s'estimant lésé, avait préparé un profil de formation (pièce E-2, appendice « A ») dans lequel sont consignées des observations périodiques sur les progrès de l'intéressé pendant sa formation à partir du 28 février 2001. Ce profil est accompagné de notes contenant les observations périodiques de Mme Bell et de Debbie Dancey, les formateures de M. Owens. La dernière inscription, faite par Mme Lloyd elle-même le 6 mars 2001, est un résumé succinct des problèmes qu'elle avait constatés dans le profil de formation :

[Traduction]

Gary [sic] ne progresse pas comme il devrait le faire. Il ne semble pas se concentrer sur ce qu'il doit apprendre pour faire son travail, mais semble s'intéresser davantage à apprendre le contenu des dossiers plutôt qu'à savoir comment les tenir. Nous avons consacré bien du temps et beaucoup d'efforts pour l'aider à améliorer son rendement jusqu'à un niveau acceptable.

Garry a suivi le cours sur le SRRJ deux fois, ce qui lui a pris neuf jours en tout, alors que les autres nouveaux employés ont maîtrisé les mêmes modules en deux/trois jours. Il a une compréhension limitée des procédures les plus simples et doit se faire répéter ses instructions sur ces fonctions.

Nous organiserons une réunion cette semaine, mercredi ou jeudi, pour discuter de ces problèmes avec Garry.

[15]      Les formateures et la superviseure du fonctionnaire s'estimant lésé ont soulevé ces questions au sujet de son rendement à plusieurs reprises, notamment lors d'une réunion que Mme Bell et Mme Lloyd ont eue avec lui le 27 février 2001 (pièce E-2, appendice « A »).

[16]      M. Owens a déclaré avoir de la difficulté à apprendre sous pression, bien qu'il n'ait pas de troubles d'apprentissage. Il a témoigné apprendre plus lentement que la plupart des gens. Il a aussi déclaré qu'il y avait un « défaut » dans le module d'autoformation et qu'il ne réagissait pas comme il aurait dû le faire. Il a témoigné avoir dit à Mme Bell qu'il ne comprenait pas tout à fait la formation, même s'il s'efforçait d'apprendre.

[17]      M. Owens se rappelait avoir parlé à la fin de sa première semaine de travail avec sa superviseure, Mme Lloyd, qui avait exprimé une certaine inquiétude quant à ses progrès. Il a témoigné avoir pensé qu'elle se montrait [traduction] « un peu plus inquiète que la situation ne le justifiait ». Il n'était pas perturbé à l'idée de ne pas avoir maîtrisé le système du CIPC à sa première tentative, puisqu'il y avait beaucoup de terminologie à assimiler et que la façon de procéder était différente. Il avait l'impression d'avoir 12 mois pour apprendre le système et atteindre un rendement satisfaisant aux normes. En contre-interrogatoire, il a déclaré qu'il n'avait pas étudié de façon exhaustive le profil de formation préparé par Mme Lloyd (pièce E-2, appendice « A »), mais il a reconnu que son contenu était probablement [traduction] « vrai, en général ».

[18]      En contre-interrogatoire, le surintendant Ayliffe s'est fait demander combien de temps Mme Lloyd, la superviseure du fonctionnaire s'estimant lésé, consacrait directement à sa supervision. Il a déclaré que la superviseure devait avoir des interactions occasionnelles avec l'intéressé, en précisant toutefois qu'il ne pouvait pas dire à quelle fréquence ces interactions se seraient produites. De même, il a été incapable de préciser l'étendue des interactions entre le fonctionnaire s'estimant lésé et les formateures. Il a souligné que la formation sur la gestion des dossiers est basée sur des modules d'autoformation et que la supervision directe est normalement minimale pour de tels modules.

[19]      Le surintendant Ayliffe a témoigné que M. Owens travaillait dans un secteur où l'on conserve des dossiers opérationnels sur des enquêtes criminelles actives ou en veilleuse; le contenu de ces dossiers très délicats ne doit être communiqué qu'à ceux qui ont besoin de le connaître. La curiosité de M. Owens au sujet des dossiers en général et, dans des cas particuliers, des dossiers de nature violente, avait été constatée par sa superviseure. M. Owens a reconnu avoir parcouru certains dossiers, en disant que, comme il était censé les mettre à jour, il ne voyait pas de mal à feuilleter un dossier par-ci par-là.

[20]      Le matin du 6 mars 2001, Mme Bell a vu le fonctionnaire s'estimant lésé sortir de la salle des dossiers avec sa ceinture défaite et sa braguette à moitié ouverte. Aussitôt informé, M. Owen s'est rajusté. Le surintendant Ayliffe a témoigné que sa tenue était considérée comme nettement indécente et que cela avait perturbé des membres du personnel. Environ une heure plus tard, Mme Lloyd a rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé pour discuter de l'incident.

[21]      M. Owens a témoigné qu'il rangeait des dossiers dans la salle où ils sont conservés et qu'il avait fait plus chaud que d'habitude ce jour-là. Quand il est sorti de la salle des dossiers, une collègue s'est montré le ventre pour lui signaler que sa ceinture s'était défaite et que sa fermeture à glissière était légèrement baissée. Il a dit s'être senti embarrassé et avoir bien vite fermé sa braguette et bouclé sa ceinture; ensuite, il n'y a plus pensé. En contre-interrogatoire, il a déclaré que, ce jour-là, son pantalon était plus lâche que ceux qu'il portait habituellement et que sa ceinture s'était défaite; il ne s'en était pas rendu compte. De plus, il portait habituellement un chandail couvrant sa ceinture, mais pas ce jour-là.

[22]      Le lendemain - le 7 mars - une personne employée là a découvert une disquette rouge dans une aire de travail commune. Quand elle a ouvert un fichier de la disquette et découvert une image sexuellement explicite, elle a immédiatement apporté la disquette à Mme Lloyd. L'examen de la disquette au cours de l'enquête a révélé qu'elle contenait 19 images du même genre.

[23]      M. Owens a témoigné que, ce matin-là (le 7 mars) il revenait de sa pause-café quand il a remarqué que tout le personnel était rassemblé dans un coin du bureau. Il a voulu aller rejoindre ses collègues, mais s'est fait dire d'attendre qu'on l'appelle. Mme Lloyd l'a alors escorté jusqu'à la pièce où le caporal Robert Houghton l'attendait. Elle lui a déclaré qu'on le soupçonnait d'avoir retiré des photographies des dossiers et de les avoir photocopiées. On l'accusait aussi d'exhibitionnisme pour l'incident de la veille. M. Owens a témoigné avoir demandé s'il pouvait parler à un représentant syndical ou à un avocat et s'être fait répondre que le représentant syndicat, Ward McLean, n'était pas disponible. Il a déclaré avoir demandé au moins deux fois les services d'un avocat, sans succès.

[24]      Lors de ce premier interrogatoire, le caporal Houghton a montré une disquette au fonctionnaire s'estimant lésé en lui demandant s'il l'avait apportée au travail. Le caporal Houghton lui a dit qu'il y avait de la pornographie sur cette disquette. Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné avoir été horrifié. Il avait apporté cette disquette rouge vif de chez lui pour prendre des notes sur les procédures du système, comme Mme Lloyd le lui avait demandé. La disquette était à la vue de tous à son poste de travail depuis environ trois semaines. En contre-interrogatoire, M. Owens a déclaré que, comme il n'y avait pas d'étiquette sur la disquette, il la croyait vierge. Quand il l'avait prise chez lui, il pensait qu'elle était vierge.

[25]      L'interrogatoire a duré environ une heure et demie. Dans l'après-midi, M. Owens est allé rédiger une déclaration. D'après les notes que Mme Lloyd a prises à cette occasion (pièce E-2, appendice « B »), il s'était fait dire par le caporal Houghton qu'il n'était pas tenu de faire une déclaration, ni non plus de la signer tout de suite et qu'il pouvait la faire lire par un représentant syndical ou par une autre personne de son choix avant de la soumettre. Ni Mme Lloyd, ni le caporal Houghton n'ont témoigné. M. Owens a déclaré avoir fait sa déclaration volontairement, en soutenant que ses demandes de représentation avaient été rejetées. Sa déclaration volontaire fait aussi état du refus de lui fournir la représentation demandée (pièce E-2, appendice « E »).

[26]      Le lendemain 8 mars, M. Owens était convoqué à un autre interrogatoire, cette fois par le caporal Mark Hachey et le caporal Houghton. Cet interrogatoire a été enregistré. M. Owens a témoigné que c'était largement une reprise de l'interrogatoire de la veille et que les agents lui ont posé les mêmes questions, quoique de façon plus structurée. À cette occasion, M. Owens n'avait pas été informé de son droit d'être représenté par le syndicat. D'après les notes que le caporal Hachey a prises (pièce E-2, appendice « C »), on lui avait déclaré que l'interrogatoire avait lieu non pas dans le cadre d'une enquête criminelle, mais en réaction à une plainte de comportement inacceptable au travail.

[27]      L'inspecteur Morrison a suspendu M. Owens sans traitement après l'interrogatoire du 8 mars 2001. La période de la suspension devait correspondre à celle de l'enquête, qui devait durer environ une semaine, selon ce que l'inspecteur Morrison avait déclaré au départ à M. Owens. Or, la suspension s'est poursuivie jusqu'au 6 avril 2001, quand M. Owens a reçu sa lettre de renvoi en cours de stage. Par la suite, on lui a versé sa rémunération pour la période de suspension.

[28]      Le 8 mars, la déclaration que M. Owens avait écrite la veille a été envoyée à l'Unité d'évaluation des risques de la GRC afin qu'elle l'analyse pour [traduction] « déterminer si cet individu risquait d'être dangereux pour les autres employés de cette section ou pour qui que ce soit d'autre... » (pièce E-2, appendice « C », notes du caporal Hachey). Le rapport de l'Unité a été reçu le 13 mars 2001. Le caporal Hachey a discuté des résultats avec l'inspecteur Morrison, et ce dernier a décidé de demander à la Section des crimes graves de Vancouver d'étudier le dossier pour déterminer si une enquête criminelle s'imposait.

[29]      M. Owens a témoigné que l'enquête avait été plus approfondie qu'il ne s'y attendait. Les agents ont parlé à ses amis, ses collègues, ses voisins et ses anciens collègues à l'ADRC. Le 29 mars 2001, deux gendarmes se sont rendus à son appartement et lui ont demandé s'ils pouvaient entrer jeter un coup d'oil. Dans son témoignage, M. Owens a dit que les gendarmes n'avaient pas de mandat de perquisition, mais qu'il leur a permis d'entrer chez lui. Ensuite, on lui a demandé de se rendre au détachement de Burnaby pour être interrogé. Cet interrogatoire-là a duré environ quatre heures. C'est à ce moment-là que M. Owens a vu pour la première fois les images de la disquette.

[30]      Une semaine plus tard, le 6 avril, l'inspecteur Morrison a téléphoné à M. Owens vers 9 h pour lui demander s'il accepterait de se rendre au bureau pour le rencontrer. M. Owens a témoigné avoir accepté, mais dit qu'il ne pouvait pas se présenter à l'heure dite en raison de la grève des autobus. Il avait téléphoné au bureau pour faire reporter la rencontre jusqu'au lundi suivant. Entre-temps, il avait communiqué avec son représentant syndical. À 11 h le 6 avril 2001, la lettre de renvoi en cours de stage a été remise à M. Owens par un gendarme du détachement de Burnaby. Cette réunion avec l'inspecteur Morrison n'a jamais eu lieu.

[31]      Le surintendant Ayliffe a témoigné que, à la fin de l'enquête, il était devenu évident que, compte tenu de l'ensemble des problèmes de rendement et du comportement inacceptable de l'intéressé à son travail, le renvoi en cours de stage était justifié. Il a déclaré s'être fondé sur l'information fournie par la chef de section (Mme Lloyd) pour prendre sa décision de renvoi en cours de stage, le 6 avril 2001 (pièce E-3).

Arguments

Pour l'employeur

[32]      L'employeur a déclaré que M. Owens a été renvoyé en cours de stage en vertu de l'article 28 de la LEFP et que, par conséquent, je n'ai pas compétence pour entendre ces griefs en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP).

[33]      M. Fader a soutenu que l'intention du Parlement est évidente quand on lit le paragraphe 92(3) de la LRTFP, puisque la loi entend que la Commission n'a pas compétence dans les cas de renvois de bonne foi en cours de stage. Dans l'esprit du Parlement, il était clair que, une fois que l'arbitre est convaincu qu'il s'agit d'un renvoi en cours de stage, l'affaire est réglée.

[34]      La Cour d'appel fédérale a déclaré dans Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.) que le seul fait que les actions de l'employé auraient pu le rendre passible de mesures disciplinaires ne signifie pas que l'employeur est tenu de prendre de telles mesures. L'employeur a le choix d'imposer des sanctions ou de renvoyer l'employé en cours de stage. En outre, l'arrêt Penner a établi qu'un arbitre n'a pas compétence pour se pencher sur la question de savoir si la décision de renvoyer l'employé était appropriée ou bien fondée, dès qu'il est convaincu que la décision contestée procédait d'une « insatisfaction éprouvée de bonne foi à l'égard de l'aptitude de l'employé ».

[35]      Me Fader a soutenu que je devrais être convaincu que le surintendant Ayliffe « mentait » pour conclure que j'ai compétence pour entendre ces griefs.

[36]      Il a aussi déclaré que le critère établi dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, [2001] A.C.F. no 802, limite la compétence d'un arbitre comme il suit :

. . .

          Toutefois, selon moi l'arbitre a tout simplement demandé que l'employeur démontre que le licenciement avait été décidé pour un motif lié à l'emploi, savoir une insatisfaction à l'égard de l'aptitude du fonctionnaire et, comme tel, qu'il agissait en vertu des dispositions de la LEFP....

.

          Le vice-président a déclaré que le défendeur avait, en tant que fonctionnaire en période de stage, le fardeau de la preuve d'établir un trompe-l'oil, mais que l'employeur devait d'abord démontrer que le renvoi en période de stage était lié à l'emploi.

[37]      Me Fader m'a aussi renvoyé à Jacmain c. Canada (Procureur général), [1978] 2 R.C.S. 15 et à Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi, [1997] A.C.F. no 225.

[38]      En ce qui concerne le deuxième grief, dans lequel le fonctionnaire s'estimant lésé conteste le refus de l'employeur de l'autoriser à être représenté par son syndicat de même que le fait de ne pas lui avoir donné de préavis des réunions, M. Fader a fait valoir que, puisqu'il n'y a pas eu de sanctions disciplinaires, la disposition correspondante de la convention collective ne s'applique pas. La convention collective est claire : il faut qu'il s'agisse d'une réunion disciplinaire pour que l'employé ait le droit d'être accompagné d'un représentant syndical ou qu'il reçoive un préavis d'une journée. Comme les réunions n'étaient pas de nature disciplinaire, la disposition de la convention collective ne s'applique pas.

[39]      L'avocat de l'employeur a conclu en disant que les deux griefs devraient être rejetés.

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[40]      Mme Seaboyer a résumé les questions en jeu de la façon suivante :

  1. S'agissait-il d'un renvoi en cours de stage ou d'un congédiement pour motifs disciplinaires déguisé?
  2. Le fonctionnaire s'estimant lésé a-t-il pu être accompagné d'un représentant syndical et a-t-il reçu un préavis des réunions disciplinaires?

  3. Le fait qu'il n'y a pas eu de préavis ni de représentation syndicale annule-t-il le congédiement?
  4. Le congédiement était-il une sanction justifiée pour les incidents reprochés au fonctionnaire s'estimant lésé?

[41]      Mme Seaboyer a déclaré que la Commission a bel et bien compétence quand le fonctionnaire s'estimant lésé peut prouver qu'il s'agit dans son cas d'un congédiement pour motifs disciplinaires déguisé. La preuve révèle que l'employeur a tenté de camoufler ses sanctions disciplinaires. Si ce n'est qu'il lui avait fallu plus de temps que d'autres pour apprendre le système du CIPC, le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné n'avoir été informé d'aucune autre doléance de l'employeur à son endroit. Il n'avait eu qu'une supervision minimale durant son séjour à la GRC; on l'avait laissé à lui-même. Il avait nécessairement dû trouver quelqu'un pour répondre à ses questions. Dans les trois interrogatoires auxquels il a été soumis par la direction et dans celui de quatre heures qu'il a subi au détachement de Burnaby, on ne lui a jamais rien demandé sur son rendement; toutes les questions qu'on lui a posées portaient strictement sur les incidents qu'on lui reprochait.

[42]      En outre, M. Owens a été suspendu sans traitement en attendant la fin de l'enquête. Or, la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) dispose qu'une suspension constitue en elle-même une sanction disciplinaire.

[43]      Il n'y avait aucune indication que le rendement de M. Owens compromettait son emploi. Rien non plus ne laissait entendre que l'employeur envisageait de le renvoyer en cours de stage avant les incidents des 6 et 7 mars.

[44]      Mme Seaboyer a maintenu que la convention collective prévoit clairement que les employés ont le droit d'être accompagnés d'un représentant syndical dans une réunion disciplinaire. Les réunions menant jusqu'à celle - avortée - du 6 avril et cette dernière réunion même étaient de nature disciplinaire. L'absence d'un représentant syndical dans ces circonstances annule ab initio le renvoi.

[45]      En ce qui concerne le préavis, Mme Seaboyer a concédé qu'il n'aurait peut-être pas été pratique de donner au fonctionnaire s'estimant lésé un préavis d'une journée pour les réunions relatives aux incidents du pantalon et de la disquette, mais qu'il aurait été certainement possible de lui donner un préavis suffisant pour la dernière réunion à laquelle on l'a convoqué et qu'il est évident qu'un préavis de 90 minutes n'était pas suffisant, surtout quand on sait qu'il y avait une grève des autobus à ce moment-là. La hâte avec laquelle la réunion a été convoquée jure avec la longueur du processus d'enquête.

[46]      La représentante du fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir que rien ne prouvait que l'incident de la ceinture et celui de la disquette étaient autres qu'accidentels, en soulignant qu'aucune accusation criminelle n'a été portée. On n'a jamais contesté que le fonctionnaire s'estimant lésé avait un droit d'accès sans restriction aux dossiers, y compris celui de les lire.

[47]      En se fondant sur les lignes directrices du Conseil du Trésor concernant la discipline (pièce G-2), elle a déclaré que l'employeur devrait être tenu de se conformer aux principes suivants :

  • agir de bonne foi;
  • communiquer au fonctionnaire tous les renseignements concernant l'exécution de ses fonctions;
  • faire savoir au fonctionnaire qu'il ne satisfait pas aux exigences du poste et l'informer de la nature du problème et des conséquences, s'il ne corrige pas les lacunes signalées;
  • donner au fonctionnaire la possibilité de prendre les dispositions qui lui permettront de répondre aux exigences de son poste;
  • aider le fonctionnaire, dans la mesure du possible, à prendre les dispositions nécessaires;
  • explorer les solutions raisonnables autres que le licenciement et la rétrogradation.

[48]      Selon Mme Seaboyer, il n'y a dans cette affaire à peu près aucune indication que l'employeur se soit conformé à l'un ou l'autre de ces principes.

[49]      Mme Seaboyer a souligné l'impossibilité de contre-interroger les formateurs quant à leurs notes, en ajoutant que le surintendant Ayliffe a témoigné qu'il ne savait pas ce qu'on avait dit au fonctionnaire s'estimant lésé sur son rendement.

[50]      Elle a soutenu que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas eu une occasion équitable de démontrer sa capacité de rendement, ce qui est contraire aux dispositions du Manuel de dotation de la Commission de la fonction publique, qui dispose ce qui suit au Chapitre 12 des Modules de dotation (pièce G-3).

Il est donc important de [...] procurer [aux fonctionnaires] toutes les chances possibles de démontrer qu'ils sont en mesure d'exécuter les tâches liées à leur poste et de satisfaire aux normes de rendement. La ou le gestionnaire doit fixer des objectifs réalistes, préciser les normes et les attentes, surveiller le rendement et donner la formation nécessaire tout en fournissant de la rétroaction et des encouragements. Il est essentiel également de donner aux nouveaux fonctionnaires une chance raisonnable d'atteindre le niveau de compétence requis et de leur procurer l'équipement, les ressources et les installations qui leur permettront de démontrer leurs capacités.

[51]      Le fonctionnaire s'estimant lésé était au travail depuis un mois seulement; il devait s'adapter à un nouvel équipement et à de nouvelles procédures. Ce n'était pas un délai suffisant pour lui permettre d'atteindre le niveau de compétence requis.

[52]      Mme Seaboyer a aussi fait valoir que l'employeur avait pris des mesures disciplinaires en suspendant M. Owens sans traitement jusqu'à ce que les résultats de l'enquête sur les deux incidents soient connus. Qu'on lui ait remboursé le traitement ainsi perdu ou pas, le fait est que la suspension était fondamentalement disciplinaire.

[53]      Mme Seaboyer a invoqué les décisions suivantes en ce qui concerne le renvoi en cours de stage : Hartley (dossier de la Commission 166-2-17326); Tighe (dossier de la Commission 166-2-15122) et Fardella (dossier de la Commission 168-2-49).

[54]      La sanction disciplinaire imposée à M. Owens (son renvoi en cours de stage) devrait être considérée comme nulle ab initio, en raison du refus de l'employeur de lui permettre d'être accompagné d'un représentant syndical aux réunions disciplinaires qu'il a convoquées. Mme Seaboyer me renvoie à cet égard aux décisions Evans (dossier de la Commission 166-2-25641) et Johnson (dossier de la Commission 166-2-26107).

[55]      Pour conclure, Mme Seaboyer a affirmé que l'employeur s'était servi d'un renvoi en cours de stage pour camoufler une sanction disciplinaire. Elle a maintenu que, pour prouver qu'il s'agissait d'une sanction disciplinaire déguisée, il ne s'agit pas de déterminer que le surintendant Ayliffe avait « menti », mais plutôt d'établir que l'employeur a pris une procédure disciplinaire. Il y a suffisamment d'éléments de preuve en l'espèce sur la façon de procéder de l'employeur pour conclure qu'il s'agissait d'un processus disciplinaire. Mme Seaboyer a postulé que l'employeur avait commencé par appliquer une procédure disciplinaire jusqu'à ce que quelqu'un « se réveille » et se rende compte que M. Owens était en période de stage.

Réplique

[56]      Le fait qu'aucune question n'a été posée sur le rendement du fonctionnaire s'estimant lésé quand il a été interrogé ne change en rien la réalité : l'employeur avait en mains un rapport faisant état de façon détaillée de problèmes de rendement. M. Owens ne conteste pas le contenu de ce rapport.

[57]      En ce qui concerne l'argument que l'employeur a pris des mesures disciplinaires contre le fonctionnaire s'estimant lésé en le renvoyant chez lui sans traitement, la LGFP (articles 7 et 11) investit l'employeur de pouvoirs suffisants pour gérer. Il ne s'agissait pas d'une sanction disciplinaire puisque l'intéressé s'est fait rembourser le traitement perdu, en définitive. La décision Fardella, supra, que la représentante du fonctionnaire s'estimant lésé a invoquée, porte sur des dispositions législatives différentes.

[58]      Il n'y a eu aucun déni de justice naturelle dans le traitement qui a été réservé à M. Owens au cours de l'enquête. Les allégations d'équité procédurales ne sauraient étendre la compétence de la Commission à cet égard. De toute manière, la décision que la Cour fédérale a rendue dans Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 a établi que toute irrégularité de procédure est corrigée au cours d'une audience comme la présente, puisque l'affaire est entendue de novo.

[59]      La politique du Conseil du Trésor invoquée (pièce G-2) ne porte pas sur le renvoi en cours de stage, mais sur les mesures disciplinaires et sur le licenciement en vertu de l'alinéa 11(2)g) de la LGFP. La politique énoncée dans le Manuel de dotation de la Commission de la fonction publique (pièce G-3) n'est pas celle de l'employeur, mais bien celle de la Commission de la fonction publique elle-même, qui peut accorder aux employés des droits et des recours en vertu d'une autre loi, mais ne relève pas de la compétence de la Commission en l'espèce.

[60]      Les affaires invoquées par la représentante du fonctionnaire s'estimant lésé quant aux normes applicables au renvoi en cours de stage sont toutes antérieures à l'arrêt Penner de la Cour fédérale, supra, dans lequel la Cour a explicitement rejeté cette « approche » du renvoi en période de stage.

Motifs de la décision

[61]      Le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté à la Commission deux griefs soulevant deux questions distinctes, mais connexes. Premièrement, M. Owens proteste contre son renvoi en cours de stage, en alléguant qu'il est disciplinaire. Deuxièmement, il proteste contre le refus de l'employeur de l'autoriser à être accompagné d'un représentant syndical et de lui donner le préavis requis d'une journée pour une réunion disciplinaire. Comme la détermination de la question de savoir s'il s'est fait refuser son droit d'être représenté par le syndicat dépend de celle de la nature de la réunion, disciplinaire ou pas, je vais commencer par me prononcer sur le grief contestant le renvoi en cours de stage.

[62]      Le régime législatif applicable aux fonctionnaires en période de stage fait intervenir deux lois, la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP) et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). La LEFP prévoit une période de stage ainsi qu'une procédure de renvoi pour un motif déterminé :

28. (1)  À partir de la date de sa nomination à un poste pourvu par nomination externe, le fonctionnaire est considéré comme stagiaire durant la période fixée par règlement par la Commission pour lui ou la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie.

(2)    À tout moment au cours du stage, l'administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de le renvoyer, pour un motif déterminé, au terme du délai de préavis fixé par la Commission pour lui ou la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie. Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de cette période.

[63]      Le paragraphe 92(3) de la LRTFP dispose quant à lui que rien dans le paragraphe 92(1) « n'a pour effet de permettre le renvoi à l'arbitrage d'un grief portant sur le licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ».

[64]      Il suffit de lire cette disposition pour comprendre que le Parlement voulait interdire l'arbitrage des renvois en période de stage. La Cour fédérale s'est penchée sur ce paragraphe et, dans son arrêt le plus récent à ce sujet, dans l'affaire Leonarduzzi, supra, elle a déclaré ce qui suit aux arbitres sur la portée de leur compétence :

. Plus spécifiquement, l'employeur n'a pas à produire une preuve prima facie d'un motif déterminé valable, mais seulement à produire un minimum de preuve que le renvoi est lié à l'emploi et non à un autre motif.

. . .

. L'employeur ne peut s'appuyer sur le paragraphe 28(2) pour licencier des employés sans leur fournir un motif réel..

[65]      Dans l'arrêt Penner, supra, la Cour d'appel fédérale a retenu le critère que la Commission avait établi dans Smith (dossier de la Commission 166-2-3017) :

. . .

En effet, une fois que l'employeur a présenté à l'arbitre une preuve concluante indiquant un motif de renvoi valable à première vue, l'audition sur le fond dans l'affaire de congédiement ne peut alors aboutir qu'à une impasse soudaine....

[66]      Une fois que l'employeur s'est acquitté de sa charge de démontrer que le motif du renvoi était lié à l'emploi, la charge de la preuve retombe sur le fonctionnaire s'estimant lésé, qui doit démontrer que les actions de l'employeur étaient une supercherie ou du camouflage et n'étaient donc pas conformes aux dispositions du paragraphe 28(2) de la LEFP, comme dans Leonarduzzi, supra. Dans l'arrêt Penner, précité, la Cour a articulé ce critère de façon légèrement différente :

. un arbitre nommé sous le régime de la L.R.T.F.P. est sans compétence à l'égard d'un renvoi en cours de stage lorsque la preuve présentée le convainc que les représentants de l'employeur ont agi de bonne foi au motif qu'ils ne considéraient pas que l'employé possédait les aptitudes requises pour occuper le poste visé....

[67]      Cette approche quant à la compétence d'un arbitre d'entendre un grief contestant un renvoi en cours de stage en vertu de l'article 92 de la LRTFP a été récemment suivie par la Commission dans Spurrel (2003 CRTFP 15), dossier de la Commission 166-23-31504.

[68]      La preuve a révélé que l'employeur a démontré s'être fondé sur des craintes ou sur des motifs liés à l'emploi pour prendre la décision de renvoyer le fonctionnaire s'estimant lésé en cours de stage. Ces motifs comprenaient les problèmes constatés dans le contexte du programme de formation ainsi que les deux incidents au travail. M. Owens n'a pas contesté qu'il y avait des problèmes de rendement. Il n'a pas nié non plus que les deux incidents s'étaient produits, même s'il avait des explications dans les deux cas.

[69]      M. Owens a témoigné qu'il n'apprend pas rapidement. Il n'était dans son poste que depuis un mois environ avant sa suspension, et il n'est pas clair qu'il aurait été renvoyé en cours de stage seulement pour son mauvais rendement, n'eût été des deux incidents pour lesquels il avait été suspendu. Compte tenu de la brièveté de son emploi à la GRC, il est très vraisemblable qu'on lui aurait donné plus de temps pour démontrer que son rendement satisfaisait aux normes attendues. Les deux incidents au travail étaient donc d'importance critique dans la décision du surintendant Ayliffe de le renvoyer en cours de stage.

[70]      M. Owens a été suspendu sans traitement pour une période d'à peu près un mois avant d'être renvoyé en cours de stage. Par sa nature même, une suspension sans traitement est disciplinaire. Le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé a fini par se faire rembourser le traitement perdu pendant cette période de suspension ne change pas la nature des mesures que l'employeur a prises au moment où il l'a fait. L'employeur a changé de stratégie à un moment donné; il a décidé de renvoyer le fonctionnaire s'estimant lésé en cours de stage. La représentante de M. Owens a soutenu que les recours de l'employeur à la procédure disciplinaire est une indication que le renvoi en cours de stage était bel et bien un congédiement pour motif disciplinaire déguisé. Toutefois, en avançant cet argument, elle confond le processus d'enquête de l'employeur avec sa décision de renvoyer le fonctionnaire s'estimant lésé en cours de stage ou de prendre des sanctions disciplinaires contre lui.

[71]      Dans l'arrêt Penner, précité, la Cour a conclu que l'employeur pouvait choisir soit de prendre des mesures disciplinaires, soit de renvoyer l'intéressée en cours de stage, et que le seul fait qu'un comportement puisse être décrit comme passible de mesures disciplinaires ne signifie pas que l'employeur était tenu de prendre de telles mesures :

. . .

          Dans certaines circonstances, l'employeur peut avoir le droit soit de renvoyer, soit de congédier l'employé stagiaire. Cette possibilité [...] est due au fait qu'un manquement à la discipline ou une inconduite de l'employé peut constituer un motif de renvoi aussi bien que justifier un congédiement. Dans de telles conditions, l'employeur a le choix de congédier ou de renvoyer l'employé. L'administrateur général est habilité à la fois à renvoyer et à congédier l'employé; suivant les circonstances de chaque cas, donc, il peut choisir d'exercer l'un ou l'autre de ces deux pouvoirs.

. . .

. Ni l'objet d'une période de stage, ni l'économie des dispositions légales en cause ne sont conciliables avec la proposition qu'un congédiement pour des motifs disciplinaires et un renvoi motivé ne sont pas des concepts mutuellement exclusifs. Le premier est la sanction ultime imposée par l'administration à la suite d'un grave écart de conduite, tandis que l'autre est une terminaison d'emploi faisant suite à une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l'employé. S'il est possible que cette appréciation négative de l'aptitude de l'employé ait été faite à la suite d'une inconduite ou d'un écart de comportement, cette circonstance n'atténue en rien la réalité ou la légitimité de l'insatisfaction éprouvée, et elle ne nous justifie pas de confondre le renvoi en cause avec une sanction disciplinaire.

. . .

[72]      La démarche de l'employeur avant qu'il ne décide de renvoyer le fonctionnaire s'estimant lésé en cours de stage peut avoir donné à ce dernier certains droits conformément à la convention collective (voir la discussion qui suit), mais, une fois la décision de le renvoyer en cours de stage prise, l'employeur était tenu seulement de démontrer qu'il avait un motif lié à l'emploi. Le témoignage du surintendant Ayliffe a démontré que l'employeur avait une raison liée à l'emploi pour renvoyer M. Owens pendant son stage.

[73]      C'est aussi pour l'employeur une bonne politique de relations du travail d'amorcer la procédure disciplinaire lorsqu'il fait enquête sur un fonctionnaire en stage. Au moment où il prend sa décision finale, l'employeur peut alors décider d'imposer une sanction disciplinaire moins dure que le congédiement. Dans cette affaire, l'employeur a décidé de renvoyer l'intéressé en cours de stage, et il avait le choix de le faire ou pas conformément à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Penner, supra.

[74]      Je vais maintenant me pencher sur la question de savoir si les actions de l'employeur équivalent à une supercherie ou à du camouflage. Pour le prouver, le fonctionnaire s'estimant lésé avait une très lourde charge à assumer. L'employeur a démontré qu'il avait des raisons légitimes de s'inquiéter du rendement de M. Owens et de son comportement au travail. À mon avis, sauf si ces motifs pouvaient être qualifiés de triviaux, on ne peut pas prétendre que la décision de l'employeur ait été une supercherie ou du camouflage. Les motifs sur lesquels il s'est fondé en l'espèce ne sont pas triviaux, car il avait de sérieuses raisons de douter de la capacité de M. Owens de satisfaire aux exigences de son emploi.

[75]      Bien que le fonctionnaire s'estimant lésé ait des raisons valables de contester la façon de l'employeur d'évaluer ses capacités, on ne peut pas qualifier les motifs de l'employeur de supercherie. M. Owens a été suspendu sans traitement un mois seulement après le début de son stage. Ce n'était probablement pas une période assez longue pour qu'on puisse évaluer correctement son rendement, ni lui permettre de corriger l'une ou l'autre des lacunes constatées. Néanmoins, une fois que l'employeur s'est acquitté de la charge de prouver qu'il avait un motif lié à l'emploi pour le renvoyer et que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas réussi pour sa part à prouver que les actions de l'employeur étaient une supercherie ou du camouflage, je n'ai pas compétence pour me prononcer sur les motifs de sa décision de le renvoyer en cours de stage, ni pour déterminer si cette décision était raisonnable. La façon de soulever ces questions consiste à se plaindre à la Commission de la fonction publique, qui est responsable de l'application de la LEFP.

[76]      Dans Penner, supra, la Cour d'appel fédérale a établi l'obligation pour l'employeur d'agir de bonne foi dans les cas de renvoi en cours de stage. Or, le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas démontré de mauvaise foi de la part de l'employeur lorsque celui-ci est arrivé à sa décision de le renvoyer pendant son stage.

[77]      Par conséquent, la partie du premier grief qui conteste le renvoi en cours de stage est rejetée.

[78]      Quant aux aspects du premier grief qui portent sur le refus de l'employeur de l'autoriser à être représenté par le syndicat au cours de l'enquête ainsi qu'au deuxième grief, sur le refus de l'employeur de le laisser être représenté par son syndicat et sur le fait qu'il n'avait pas eu de préavis de la réunion disciplinaire du 6 avril 2001, la disposition pertinente de la convention collective stipule que :

17.02 Lorsque l'employé-e est tenu d'assister à une audition disciplinaire le concernant ou à une réunion à laquelle doit être rendue une décision concernant une mesure disciplinaire le touchant, l'employé-e a le droit, sur demande, d'être accompagné d'un représentant de l'Alliance à cette réunion. Dans la mesure du possible, l'employé-e reçoit au minimum une (1) journée de préavis de cette réunion.

[79]      C'est parce que l'employeur est parti du principe que l'ensemble du processus d'enquête était administratif et non disciplinaire qu'il n'a pas présenté de preuve directe sur ce point. Le « Rapport d'enquête administrative » (pièce E-2) contient quelques éléments de preuve de ouï-dire que le caporal Houghton en avait tenu compte, puisqu'il avait dit à M. Owens qu'il pourrait demander à être représenté par son syndicat. Toutefois, ces éléments de preuve ne sont pas probants et je dois leur préférer le témoignage direct de M. Owens, qui a déclaré que sa demande d'être représenté par le syndicat avait été rejetée.

[80]      J'ai déjà conclu que l'employeur avait amorcé une procédure disciplinaire au début de son enquête, comme le prouve la suspension sans traitement. Je conclus donc que l'employeur a enfreint la convention collective, de sorte que j'accueille la partie du premier grief contestant le refus de l'employeur d'autoriser le fonctionnaire s'estimant lésé à être représenté par son syndicat pour toutes les réunions disciplinaires, jusqu'à et y compris celle qui a abouti à la suspension sans traitement.

[81]      En ce qui concerne le préavis à donner, j'estime qu'il n'était pas possible de satisfaire à cette exigence de la convention collective dans le cas des premiers interrogatoires sur les incidents au lieu de travail; la représentante du fonctionnaire s'estimant lésé l'a d'ailleurs concédé dans sa plaidoirie. Je conclus par conséquent que l'employeur n'a pas enfreint la disposition l'obligeant à donner un préavis.

[82]      Le deuxième grief ne porte que sur le préavis de la réunion du 6 avril 2001 (qui n'a pas eu lieu, en définitive). La clause 17.02 de la convention collective ne s'applique pas à cette réunion avortée parce que la décision de l'employeur d'opter pour le renvoi en cours de stage avait déjà été prise à ce moment-là. Puisque l'objet de la réunion n'était pas disciplinaire, cette disposition de la convention collective ne s'applique pas. Le grief faisant l'objet du dossier de la Commission 166-2-31373 est donc rejeté.

[83]      Compte tenu de la décision subséquente de l'employeur d'opter pour le renvoi en cours de stage, il n'y a aucun redressement possible, sauf une déclaration, pour dénoncer son refus d'autoriser le plaignant à être représenté par le syndicat aux réunions qui avaient précédé.

[84]      Le grief contestant le renvoi en cours de stage (dossier de la Commission 166-2-31372) est donc accueilli en partie. Le grief contestant le refus de l'employeur d'autoriser le fonctionnaire s'estimant lésé à être représenté par son syndicat et le fait qu'il ne lui avait pas donné de préavis d'une réunion disciplinaire (dossier de la Commission 166-2-31373) est rejeté.

Ian R. Mackenzie,
commissaire

OTTAWA, le 23 avril 2003

Traduction de la C. R. T. F. P.

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