Décisions de la CRTESPF
Informations sur la décision
Convention collective - Omission de l'employeur de prendre des mesures correctrices appropriées contre le harcèlement - Demande de congés de maladie payés supplémentaires - le premier grief se rapportait à l'article 22 de la convention collective et contestait l'omission de l'employeur de prendre des mesures correctrices appropriées pour le fonctionnaire s'estimant lésé à la suite d'une plainte de harcèlement et, parallèlement, le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé également un congé payé en vertu de la clause 17.17, à l'égard duquel il a déposé un deuxième grief lorsque l'employeur a rejeté sa demande - le fonctionnaire s'estimant lésé travaillait pour l'Agence des douanes et du revenu du Canada et avait été affecté à un projet spécial dans un autre lieu de travail - au cours de l'été de 1999, il y a eu une certaine confusion quant aux congés que le fonctionnaire s'estimant lésé devait prendre et aux rapports qu'il entretenait avec son directeur de projet - le fonctionnaire s'estimant lésé a déposé une plainte en octobre, alléguant que ses supérieurs l'avaient harcelé - l'employeur a mis sous contrat une société privée en vue de faire enquête sur la plainte, et le rapport final a confirmé que le fonctionnaire s'estimant lésé avait été victime de harcèlement par ses supérieurs et que les actions de ces derniers avaient contribué à créer un environnement de travail hostile - en ce qui concerne l'article 22 de la convention collective, qui porte sur la santé et la sécurité et renvoie à la collaboration entre l'employeur et le syndicat en vue de prévenir ou de réduire le risque d'accidents au travail, l'arbitre a déterminé que le grief n'était pas fondé puisqu'aucune preuve n'avait été produite concernant l'application de cet article - se fondant sur une analyse de la preuve, l'arbitre a conclu que la demande de congé se rapportait à l'état de santé du fonctionnaire s'estimant lésé et qu'elle était appuyée par une expertise médicale et pouvait être assimilée à une demande de congé de maladie - l'arbitre a affirmé qu'il soutenait les principes énoncés dans deux décisions de la Commission, St-Jacques et Grignon, selon lesquelles le rôle de l'arbitre est de déterminer si oui ou non l'employeur a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant un congé spécial, et il a conclu que, dans les circonstances de la présente affaire, l'employeur avait eu des raisons d'assimiler la demande du fonctionnaire s'estimant lésé à une demande de congés de maladie supplémentaires, et qu'il avait appliqué correctement la clause 17.17 - toutefois, même s'il a rejeté les griefs, l'arbitre a formulé les trois recommandations incidentes suivantes aux parties, à savoir que l'employeur maintienne une offre de règlement qu'il avait soumise précédemment et que le fonctionnaire s'estimant lésé l'accepte à condition qu'il soit satisfait aux deux autres recommandations, que l'employeur clarifie sa position sur l'origine du malentendu qui a mené aux difficultés du fonctionnaire s'estimant lésé et qu'il envoie une lettre confirmant cette position et, enfin, que le fonctionnaire s'estimant lésé soit autorisé à prendre un congé payé pour épanouissement personnel. Griefs rejetés. Décisions citées : St-Jacques (166-2-13467); Grignon (166-2-27602).
Contenu de la décision
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique
- Date: 2003-03-03
- Dossiers: 166-34-31393, 31394
- Référence: 2003 CRTFP 18
Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique
ENTRE
GUY LÉVESQUE
fonctionnaire s'estimant lésé
et
AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA
employeur
Devant : Jean-Pierre Tessier, commissaire
Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Martin Ranger, Institut professionnel de la fonction publique du Canada
Pour l'employeur : Hélène Brunelle
Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 14 et 15 janvier 2003.
52 heures | rendez-vous (chez le médecin) |
71.25 heures | congé de maladie (sans attestation) |
52.5 heures | congé de maladie (avec attestation médicale) |
204 heures | vacances annuelles |
20.5 heures | rencontre avec représentants syndicaux |
J'ai reçu M. Guy Lévesque le 10-04-02 et constaté qu'il manifeste une symptomatologie modérée anxio-dépressive avec tendance envers l'agressivité. La raison de ma lettre en tant que personne traitant M. Lévesque est donc la suivante :[20] Le Dr. Bütter se dit déçu de la tournure des évènements. Il constate qu'il s'est écoulé beaucoup de temps et que le dossier de M. Lévesque n'est toujours pas réglé. Il rappelle que sa recommandation date du début de l'année 2001. On retrouve les mêmes éléments de discussion dans une lettre que le Dr. Bütter écrivait à M. Courchesne le 5 mars 2001 (pièce F-7) :
a) noter l'état actuel de monsieur
...b) La déception au niveau de mes recommandations (Drs S Tara et Spies)
c) Trouver une solution raisonnable de résoudre l'état de santé mentale de monsieur avant qu'elle ne se détériore.
Je tiens à vous rappeler mes recommandations dans ce dossier (quant à l'octroi de 6 mois de congé annuel à M. Lévesque) qui ont été appuyés par le docteur Tara de Santé Canada. On a demandé à M. Lévesque de signer des documents suite à l'indication que ce dernier recevrait 6 mois de congés annuels. Tout ce qui restait à savoir était de connaître la nature du congé : soit 6 mois continu ou 6 mois intermittent.
[Traduction non-officiel] Pour faire suite à notre conversation téléphonique du 1er mars 2001 concernant le recours, par M. Levesque, à un congé sabbatique de six mois, je propose que l'intéressé poursuive sa thérapie au cours de l'année à venir et que cette période de six mois soit jumelée à une participation thérapeutique dans le cadre de laquelle il pourra bénéficier d'activités de gestion du stress et de l'anxiété ainsi que d'exercices d'autoperfectionnement et de croissance. S'il n'est pas accompagné d'un cadre thérapeutique, le privilège que représente le congé sabbatique de six mois ne sera pas proactif pour M. Levesque et risquera, par conséquent, de compromettre sa croissance professionnelle et son rôle à titre d'employé du gouvernement fédéral.[21] Le Dr. Bütter termine en indiquant qu'encore aujourd'hui M. Lévesque est anxieux au travail; il droit prendre des congés environ une fois par semaine. À quelques reprises, M. Lévesque lui a demandé de lui fournir des certificats médicaux pour ces absences hebdomadaires. [22] Le Dr. Bütter se dit excédé de traiter ce dossier à la pièce par des certificats d'absence. Il lui semble qu'il devrait y avoir un quelconque terrain d'entente entre M. Lévesque et son employeur. Selon lui, plus le dossier traîne en longueur plus l'état de M. Lévesque s'aggrave. Il croit qu'il devra bientôt augmenter la dose de médicament de M. Lévesque pour calmer son inquiétude et cela augure très mal. [23] De son côté l'employeur assigne comme témoin M. Ken J. Cochrane et Mme Carucci. M. Cochrane est commissaire adjoint et responsable du secteur « information technology » (informatique) à l'Agence des douanes et du revenu du Canada depuis juin 1999. [24] M. Cochrane réitère les propos qu'il a formulés dans sa lettre du 30 juin 2000 accompagnant le rapport d'enquête sur la harcèlement à l'endroit de M. Lévesque (pièce F-2). Il est conscient que la harcèlement à l'encontre de M. Lévesque est fondé et par ailleurs que ce dernier a des problèmes de santé. [25] C'est en toute bonne foi qu'il s'est tenu informé du cas de M. Lévesque et qu'il a entrepris des discussions avec ce dernier et les représentants syndicaux à l'automne 2000. Selon les responsables de Santé Canada, M. Lévesque pouvait reprendre son travail bien qu'il puisse avoir besoin de période de repos. [26] En décembre 2000, il a discuté avec M. Lévesque et son représentant syndical mais aucune entente n'est intervenue. [27] Tout au long des discussions avec M. Lévesque, M. Cochrane comprend que ce dernier, sur la recommandation de son médecin, demande un congé de six mois pris à sa discrétion. Au printemps 2001, M. Cochrane demande à la direction des ressources humaines de l'agence et à Santé Canada d'examiner ce cas. [28] Il reçoit des conseils de Mme Carucci, directrice adjointe des ressources humaines, relativement à l'application de la convention collective et aux possibilités de recours auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) (Workers' Safety Insurance Board (WSIB)) et du plan d'invalidité long terme de la Sun Life. [29] Les discussions avec M. Lévesque et son représentant syndical se sont déroulés au cours d'une longue période. M. Cochrane n'est pas au courant du rôle qu'à pu jouer M. Courchesne (conseiller des ressources humaines) dans le dossier. [30] M. Cochrane était désireux de régler ce dossier cependant il ne voulait pas aller à l'encontre de l'avis de ses conseillers relativement à l'application de la convention collective. Selon les avis reçus il ne pouvait accorder de congé de maladie à M. Lévesque autres que ceux prévus à la convention. [31] Dans un effort pour finaliser le dossier et vu que le syndicat réclame une réponse écrite, M. Cochrane formule par écrit une offre de règlement à M. Lévesque (en avril 2002 - pièce F-5). Il offre de rembourser les congés pris par M. Lévesque depuis la période de harcèlement à son égard jusqu'au 31 mars 2001. Cela représente 102.75 heures de congé de maladie et une renonciation à considérer ses absences pour rendez-vous médicaux comme absence maladie pour 104.75 heures soit un grand total de 207.5 heures comme compensation. Cependant, M. Lévesque devra, à compter d'avril 2002, puiser dans sa banque de congé de maladie pour toute absence reliée à sa condition de santé. [32] De son côté, Mme Carucci, directrice adjointe aux ressources humaines, explique qu'elle est entrée en fonction à l'agence en juillet 2001. Au cours de l'été, elle a pris connaissance du dossier de M. Lévesque mais elle ne lui a pas accordé priorité compte tenu que le rapport d'enquête avait été déposé et que le harcèlement avait cessé. [33] C'est à compter de septembre 2001 que le dossier a été réactivé puisque M. Lévesque et son représentant syndical voulaient régler la question des congés. On parlait alors d'un congé de six mois pris par intermittence. [34] Selon Mme Carucci dès l'automne 2001, et en décembre 2001, elle a indiqué à M. Lévesque qu'il était impossible d'accorder des congés de maladie additionnels. Elle a aussi vérifié les possibilités auprès de la Sun Life mais il était impossible d'avoir une réponse précise sans que la Sun Life soit saisie d'une demande formelle. [35] C'est le syndicat qui a insisté pour qu'elle demande à son patron, M. Cochrane, de fournir une réponse formelle à M. Lévesque soit la lettre du 8 avril 2002 (pièce F-5). [36] Interrogée sur l'état de santé actuel de M. Lévesque, Mme Carucci expose que récemment Santé Canada (fin 2002) était d'accord avec une semaine de travail de 4 jours par semaine pour M. Lévesque. (Cet élément de preuve est pris sous réserve.) Plaidoirie [37] Selon le représentant du fonctionnaire il faut se demander si l'employeur peut être tenu responsable des conséquences du harcèlement fait à l'encontre de M. Lévesque. [38] En obligeant M. Lévesque à utiliser ses congés de maladie, l'employeur impose à M. Lévesque le fardeau des conséquences de harcèlement dont il a été victime. [39] Selon le représentant de M. Lévesque, l'employeur a indûment étiré les délais. Entre la fin de l'enquête sur la harcèlement (mai 2000) et la réponse finale de l'employeur (avril 2002), il s'est écoulé jusqu'à deux ans. [40] L'employeur se doit d'accommoder l'employé et ne pas lui faire subir les conséquences du harcèlement opéré à son égard. [41] Selon l'employeur le grief basé sur la clause 22.01 est sans fondement et ne visait qu'à forcer l'employeur à répondre par écrit à la demande de congé présenté par M. Lévesque. Cette clause traite de la sécurité et de l'hygiène. [42] Relativement à la demande de congés payés, l'employeur souligne que l'arbitre doit s'en tenir au libellé du grief et examiner la clause 17.17 et qu'il n'a pas compétence pour examiner la plainte de harcèlement. [43] Relativement à la clause 17.17, l'employeur soutient qu'il faut considérer la portée de la clause et examiner l'exercice de la discrétion. Dans ce dernier cas, il ne s'agit pas de remplacer la décision de l'employeur, mais de déterminer si elle est arbitraire et de mauvaise foi. Motifs de la décision [44] Je me dois de disposer en premier lieu du grief 166-34-31394 portant sur l'article 22 de la convention. Cet article traite de sécurité et d'hygiène et parle de collaboration entre l'employeur et le syndicat pour prévenir ou réduire les risques d'accident de travail. [45] Aucune preuve ne me fut présentée relativement à l'application de cet article et je déclare le grief sans fondement. [46] Relativement au grief 166-34-31393, référant à une demande de congé payé et s'appuyant sur la clause 17.17, j'examinerai dans un premier temps la nature de la demande et ensuite la portée de la clause 17.17. [47] La demande initiale de M. Lévesque est d'un congé d'un an sur la recommandation de son médecin le Dr. Bütter. Cette demande fut réduite par la suite à six mois. Dans la lettre du 5 mars 2001, le Dr. Bütter parle en quelque sorte d'une « banque » de six mois utilisable pendant une période de thérapie d'un an (pièce F-7) [48] Dans une lettre du 13 mai 2002 (pièce F-8) le Dr. Bütter indique « ... tout ce qui restait à savoir était de connaître la nature du congé : soit 6 mois continu ou 6 mois intermittent. » Dans une lettre du 23 janvier 2001 (pièce F-3) le médecin recommande que M. Lévesque poursuive « une thérapie psychosociale pour ses difficultés anxio-dépressives. » [49] Les témoignages nous montrent qu'en pratique M. Lévesque s'est absenté environ une journée par semaine. [50] De l'analyse de la preuve, je dois conclure que la demande de congé est rattachée à l'état de santé de M. Lévesque et est soutenue par une expertise médicale. Telle que présentée cette demande peut à juste titre être assimilée à une demande de congé pour maladie. [51] La clause 17.17 est libellée ainsi :
17.17 Congés payés ou non payés pour d'autres motifs[52] Cette clause fait référence à l'exercice d'une discrétion par l'employeur et stipule que le congé est accordé pour d'autres fins que celles indiquées dans la présente convention. [53] J'ai énoncé précédemment que telle que présentée, la demande de M. Lévesque portait sur l'octroi de congés rattachés à son état de santé et était motivée par une ordonnance de son médecin. Or la convention prévoit déjà des congés de maladie à l'article 16, de plus la clause 16.05 parle de comptabilisation spécifique lorsqu'il s'agit de congé pour accident de travail. [54] Je suis d'accord avec les principes indiqués dans les affaires St. Jacques et Grignon (dossiers de la Commission 166-2-13467 et 166-2-27602) voulant que le rôle de l'arbitre consiste à déterminer si oui ou non l'employeur a exercé raisonnablement son pouvoir discrétionnaire en refusant le congé spécial. Dans les circonstances, je crois que, dans le présent dossier, l'employeur avait raison d'assimiler la demande de M. Lévesque à une demande de congés de maladie additionnels et qu'il a correctement appliqué la clause 17.17. [55] Il est bien évident comme je l'ai exprimé précédemment, que mon rôle consiste à déterminer si la décision de refus de l'employeur était bien fondée et que je ne peux substituer ma décision à la sienne. Je trouve cependant dommage que les parties n'aient pas pu trouver de terrain d'entente. [56] De fait c'est la question du harcèlement dont a été victime M. Lévesque qui se devait d'être réglée de façon satisfaisante. En me référant aux témoignages de qualité présentés par M. Cochrane et le Dr. Bütter, je me permettrai de formuler trois recommandations aux parties. [57] Première recommandation : que l'employeur maintienne son offre de règlement du 8 avril et que M. Lévesque l'accepte dans la mesure ou l'employeur donne suite en grande partie aux recommandations deux et trois qui suivent. [58] Deuxième recommandation : Que l'employeur clarifie sa position sur l'origine de la mésentente qui a occasionné des problèmes à M. Lévesque et en ce sens qu'il adresse une lettre à M. Lévesque lui confirmant que son déplacement du 1495, rue Heron est lié à une décision purement administrative et ne met nullement en doute la qualité de travail ni la compétence de M. Lévesque. [59] Il y a lieu pour M. Lévesque de faire la différence entre une recommandation médicale relativement à un congé sabbatique et le règlement de son dossier par l'employeur. M. Lévesque ne peut confondre le rôle du Dr. Bütter comme spécialiste médical et vouloir en faire son agent de relations de travail. Je retiens du dossier que M. Lévesque peut retrouver sa stabilité par un respect de l'employeur et une tentative de ce dernier de rétablir la situation en permettant à M. Lévesque de retrouver sa satisfaction d'être au travail, un meilleur équilibre personnel, un rapprochement avec sa famille et un goût de renouer avec l'activité sportive. [60] Troisième recommandation : Afin de permettre à M. Lévesque de récupérer, ce dernier devrait pouvoir bénéficier d'un congé payé à des fins de ressourcement. Ce congé pourrait prendre la forme d'une semaine réduite de travail et, dans une première phase, équivaloir à 7 h 30 minutes (1 journée) de congé payé par semaine pendant huit semaines et, dans une deuxième phase, ce congé payé pourrait être de 3 h 45 minutes (1/2 journée) par semaine pendant huit autres semaines. [61] J'ose espérer que les recommandations que j'ai formulées précédemment permettront aux parties de régler définitivement leurs problèmes et de rétablir des relations harmonieuses de travail. Je dois cependant, comme je l'ai exprimé précédemment, sur un plan purement juridique, rejeter les griefs de M. Lévesque.L'Employeur peut, à sa discrétion, accorder un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.
Jean-Pierre Tessier,
commissaire.
OTTAWA, le 3 mars 2003.