Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Sanction pécuniaire alléguée - Évaluation de rendement - Compétence - Harcèlement - Communication de documents - Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières (LBSIF) et confidentialité - la fonctionnaire s'estimant lésée alléguait que son évaluation de rendement était inexacte - mesure disciplinaire déguisée - la perte d'une augmentation à l'intérieure de l'échelle constitue une sanction pécuniaire - l'évaluation de rendement est également considérée comme une forme de harcèlement - l'arbitre a conclu qu'aucune preuve n'avait été présentée à l'appui d'une mesure disciplinaire déguisée - l'arbitre est compétent en vertu de la clause de la convention collective qui interdit le harcèlement - demande de communication de documents - l'arbitre a conclu que la disposition législative de la LBSIF sur la confidentialité de l'information n'interdisait pas complètement la production de documents - il a appliqué un critère à quatre volets visant à établir l'équilibre dans le cadre des allégations de confidentialité - l'arbitre a ordonné la communication des documents. Compétence assumée. Décisions citées :Porter c. Conseil du Trésor (ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources) (166-2-752); Veilleux c. Conseil du Trésor (Commission de la fonction publique) (166-2-11370); Ansari c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires extérieures) (166-2-14680); Slavutych c. Baker, [1976] R.C.S. 254; Transamerica Life Assurance Co. of Canada v. Canada Life Insurance Co. 27 (1995), O.R. (3d) 291.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-02-16
  • Dossier:  166-23-31489
  • Référence:  2004 CRTFP 10

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

JEAN BRATRUD

fonctionnaire s'estimant lésée

et

BUREAU DU SURINTENDANT DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES CANADA

employeur

Devant :   Ian R. Mackenzie

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée :   Steve Eadie, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Neil McGraw, avocat


Affaire entendue à Toronto (Ontario), les 26 et 27 août 2003.
Représentations écrites déposées les 11 et 25 septembre et le 2 octobre 2003.


[1]    La présente décision est une décision préliminaire et elle porte sur la compétence d'un arbitre d'entendre le grief de Mme Jean Bratrud. Le grief en question se rapporte à une évaluation du rendement que la fonctionnaire s'estimant lésée a reçue le 29 mai 2001, pour la période d'avril 2000 à mars 2001. Mme Bratrud travaille pour le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), où elle fait partie du Groupe des institutions financières. Dans son grief, elle soutient que son évaluation du rendement est inexacte et trompeuse et que l'on a appliqué à son égard une norme différente de celle que l'on applique à d'autres employés. Elle allègue également que l'évaluation du rendement en question est de nature punitive et disciplinaire, et qu'elle constitue un abus de pouvoir aux termes de l'article 41.01 de la convention collective applicable. Au chapitre des mesures correctives, la fonctionnaire s'estimant lésée demande que des modifications soient apportées à son évaluation, que la rémunération qu'elle a perdue (la rémunération au rendement) du fait qu'elle n'a pas obtenu une meilleure cote lui soit versée rétroactivement, que le superviseur qui a rédigé l'évaluation lui présente des excuses pour le tort causé à sa réputation, et que l'on prenne des dispositions pour la muter à l'extérieur du Groupe des institutions financières.

[2]    Dans sa réponse au premier palier, datée du 4 janvier 2002, l'employeur a accueilli le grief en partie. Il a accepté de détruire l'évaluation du rendement et d'en préparer une nouvelle portant la cote suivante : « répond toujours aux attentes ». La fonctionnaire s'estimant lésée a obtenu une rémunération au rendement correspondant à la cote révisée. Les services d'un tiers de l'extérieur ont été offerts à la fonctionnaire s'estimant lésée et à son gestionnaire en vue d'établir des objectifs de rendement et d'assurer une rétroaction continue à cet égard. Dans sa réponse au dernier palier, datée du 16 juillet 2002, l'employeur a apporté d'autres changements au texte de l'évaluation pour y intégrer certains des commentaires formulés par le représentant de la fonctionnaire à l'audience sur le grief. De plus, une affectation ainsi qu'une nomination latérale ont été offertes à Mme Bratrud dans cette réponse.

[3]    Le représentant de Mme Bratrud, M. Steve Eadie, a écrit à la Commission, le 30 juillet 2003, pour soulever des questions concernant la divulgation de documents qu'il considérait pertinents relativement au grief. Sa demande de documents en possession de l'employeur, datée du 12 mars 2003, a été accueillie en partie seulement par ce dernier. En effet, dans un message transmis par courrier électronique à M. Eadie le 25 mars 2003, l'employeur a refusé de divulguer certains renseignements de l'organisme en raison de leur caractère confidentiel.

[4]    La Commission a répondu dans les termes suivants à la demande de M. Eadie en vue de la tenue d'une conférence préparatoire à l'audience :

[Traduction]

En ce qui concerne votre demande visant à obtenir des documents relatifs au rendement de Mme Bratrud, je vous suggère de vous adresser à nouveau à l'employeur. À cet égard, veuillez vous reporter à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Association canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, où le juge Gonthier, pour la majorité, a statué que le Conseil canadien des relations du travail n'avait pas le pouvoir d'exiger la production de documents avant la tenue d'une audience. Compte tenu de la similarité du libellé de l'alinéa 118a) aujourd'hui 16a) du Code canadien du travail et de celui de l'alinéa 25a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Commission des relations de travail dans la fonction publique applique la même restriction aux fins d'ordonner la production de documents avant la tenue d'une audience.

Si l'employeur refuse de vous remettre les documents demandés, vous pourrez peut-être demander à la Commission de délivrer une assignation à produire, laquelle pourra ensuite être signifiée à la personne concernée, qui devra se présenter à l'audience et produire les documents en question. Si cette personne omet de produire les documents à l'audience, l'affaire pourra ensuite être renvoyée à l'arbitre à qui l'audience du renvoi à l'arbitrage de votre grief a été confiée, et ce dernier, s'il juge les documents pertinents, pourra en ordonner la production. Si la production des documents à ce stade avancé vous cause préjudice dans la présentation de votre dossier, vous pouvez demander à l'arbitre d'ajourner l'audience pour vous permettre d'étudier les documents en question.

[5]    À l'ouverture de l'audience, le 26 août 2003, la question de la divulgation de documents était encore en litige. Le 27 août 2003, M. Eadie a signifié une assignation à produire à l'employeur en vue d'obtenir les documents suivants :

[Traduction]

Tous les travaux suivants, exécutés par Mme Jean Bratrud au cours de la période de janvier 2000 à juin 2001

a) Plans de surveillance

b) Début des notes de clôture d'un dossier

c) Résumés de l'évaluation des risques

d) Calendriers des examens sur place

e) Lettres/rapports de la direction

f) Notes d'allocution utilisées aux fins de la remise des lettres de la direction aux institutions

g) Notes de section incluant les notes et les feuilles de calcul annexes pour les rubriques suivantes : Intégration, réassurance; fonds distincts; planification stratégique; perspectives d'avenir; fonds propres.

[6]    Le représentant de l'employeur s'est opposé à la production des documents énumérés, alléguant l'imprécision, le caractère confidentiel et la pertinence. Me McGraw a fait valoir que la demande dissimulait une recherche à l'aveuglette et qu'elle n'était assortie d'aucune limite précise. Il a fait valoir que l'on pouvait difficilement déterminer ce que la fonctionnaire s'estimant lésée recherchait.

[7]    Me McGraw a affirmé que le principal critère à prendre en considération pour déterminer si la divulgation est nécessaire est la pertinence. Il a soutenu qu'il était difficile de voir comment les renseignements demandés pourraient permettre à la fonctionnaire s'estimant lésée de présenter sa preuve. Les documents en question ne sont pertinents que dans la mesure où ils prouvent que l'évaluation du rendement contient des déclarations inexactes - une question qui excède la portée de la compétence d'un arbitre. Une déclaration inexacte faite dans une évaluation du rendement ne constitue pas une mesure disciplinaire, ni un acte de harcèlement. La convention collective contient une disposition qui permet aux employés de présenter leurs objections à l'encontre d'une évaluation du rendement et de les faire insérer au dossier (article 35). Me McGraw a fait valoir qu'il n'y avait pas de « lien probant » entre le dossier de la fonctionnaire s'estimant lésée et les documents demandés.

[8]    De plus, Me McGraw a soutenu que la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) exige que tous les renseignements obtenus sur des institutions financières demeurent confidentiels. L'article 22 de la Loi énonce dans les termes suivants les exigences en matière de confidentialité :

22. (1) Sous réserve du paragraphe (3), sont confidentiels et doivent être traités comme tels les renseignements ci-après, ainsi que les renseignements qui sont tirés de ceux-ci :

a) ceux concernant les activités commerciales et les affaires internes d'une institution financière, d'une banque étrangère, d'une société de portefeuille bancaire ou d'une société de portefeuille d'assurances ou concernant une personne faisant affaire avec l'une d'elles, et obtenus par le surintendant ou par toute autre personne exécutant ses directives, dans le cadre de l'application de toute loi fédérale;

b) ceux reçus par un membre du comité établi en vertu du paragraphe 18(1) ou par une personne désignée par lui en vertu du paragraphe 18(5) dans le cadre de l'échange d'information prévu au paragraphe 18(3);

c) ceux communiqués au surintendant aux termes de l'article 522.27 de la Loi sur les banques.

(2) S'il est convaincu que les renseignements seront considérés comme confidentiels par leur destinataire, le surintendant peut toutefois les communiquer :

a) à une agence ou à un organisme gouvernemental qui réglemente ou supervise des institutions financières, à des fins liées à la réglementation ou à la supervision;

a.01) à une autre agence ou à un autre organisme qui réglemente ou supervise des institutions financières, à des fins liées à la réglementation ou à la supervision;

a.1) à la Société d'assurance-dépôts du Canada ou à l'association d'indemnisation désignée par le ministre aux termes des paragraphes 449(1) et 591(1) de la Loi sur les sociétés d'assurances pour l'accomplissement de leurs fonctions;

b) au sous-ministre des Finances, ou à tout fonctionnaire du ministère des Finances que celui-ci a délégué par écrit pour l'analyse de la politique en matière de la réglementation des institutions financières ou au gouverneur de la Banque du Canada, ou à tout fonctionnaire de la Banque du Canada que celui-ci a délégué par écrit pour cette même analyse.

[9]    M. Eadie a fait valoir qu'il y avait un lien entre le grief et les documents demandés. Non pas seulement parce qu'il y a des inexactitudes factuelles dans les évaluations, mais aussi parce que, cumulativement, les évaluations établissent l'existence d'un effort visant à discréditer la fonctionnaire s'estimant lésée. M. Eadie a fait valoir qu'on ne peut se pencher sur le dossier sans pouvoir d'abord examiner les incompatibilités qui existent entre les documents et l'évaluation. M. Eadie a déclaré que la demande ne visait « pas beaucoup » de documents et que la plupart, voire même la totalité de ces documents, se retrouvaient sur le lecteur partagé.

[10]    M. Eadie m'a reporté aux décisions Slavutych c. Baker, [1976] R.C.S. 254, et Transamerica Life Assurance Co. of Canada v. Canada Life Insurance Co. 27 (1995), O.R. (3d) 291. Dans cette dernière décision, la Cour a établi que la disposition relative à la confidentialité de la Loi sur le BSIF est une disposition législative et non pas une interdiction absolue de divulguer des documents. M. Eadie a fait valoir qu'il fallait établir l'équilibre entre la nécessité de maintenir un document confidentiel et celle de répondre aux besoins de la partie intéressée. Dans ce cas-ci, l'impact de la divulgation sur le BSIF était extrêmement limité alors que, si les documents n'étaient pas divulgués, la capacité de la fonctionnaire s'estimant lésée de présenter sa preuve risquait d'être gravement compromise. M. Eadie a soutenu que la balance penchait en faveur de la divulgation des documents.

[11]    Me McGraw a fait valoir que, à première vue, l'assignation à produire n'était pas suffisamment précise, et que l'employeur devrait déployer beaucoup d'énergie pour retrouver les documents visés. L'élément central est la pertinence, Me McGraw a-t-il fait valoir. Cet arbitrage n'est pas censé donner lieu à l'examen de l'évaluation du rendement. Me McGraw a déclaré qu'il ne convient pas d'ordonner la divulgation lorsque la question n'est pas arbitrable.

[12]    Me McGraw a fait valoir également qu'il existe un degré élevé de confiance entre le BSIF et les institutions financières. Si l'on venait à savoir que tous les documents peuvent être divulgués dans le contexte d'un grief portant sur une évaluation du rendement, ce lien de confiance établi avec les institutions financières serait gravement miné.

[13]    Je prends en délibéré la question de la divulgation. Ma décision sur cette question figure plus loin, au paragraphe 98.

[14]    L'avocat de l'employeur a soulevé également une objection à l'encontre de ma compétence pour entendre le grief, au motif que celui-ci n'est pas arbitrable. Les parties m'ont demandé de rendre une décision préliminaire sur cette question de compétence. Une preuve a été produite en vue, uniquement, de trancher la question. Un témoin a été entendu pour le compte de la fonctionnaire s'estimant lésée, qui a elle-même témoigné, et une personne est venue témoigner pour l'employeur. Des observations écrites ont été déposées par les parties sur la question de la compétence.

Preuve

[15]    Mme Bratrud s'est jointe à la fonction publique en 1974 et a commencé à travailler au Département des Assurances, le prédécesseur du BSIF, en 1978. En 1997, elle a quitté le bureau d'Ottawa pour aller travailler au bureau de Toronto, au sein de la Division de l'assurance-vie. Elle y occupait le poste de gestionnaire de l'équipe de l'assurance-vie et, à ce titre, elle était chargée des relations avec deux sociétés d'assurances. M. Frank Mackowiak est devenu son superviseur en mai 2000 et a agi à ce titre jusqu'à la fin de février 2001. L'évaluation du rendement en cause dans le présent litige se rapporte à l'exercice 2000-2001.

[16]    Mme Bratrud a témoigné que, jusqu'à son évaluation pour l'exercice 2000-2001, elle avait toujours obtenu de bonnes évaluations, qui allaient de « bonnes à très bonnes » (pièces G-4 et G-5). Carol Shevlin était la directrice principale du Groupe des institutions financières au BSIF en 1997, poste qu'elle a occupé pendant environ 18 mois et qui se trouvait deux niveaux au-dessus de celui de Mme Bratrud. C'est à elle que la superviseure de cette dernière à l'époque, Mme Lepatko, rendait des comptes. Mme Shevlin avait quitté son poste au moment où M. Mackowiak est devenu le superviseur de Mme Bratrud. Elle a témoigné qu'elle considérait qu'elle et Mme Bratrud étaient des amies, quoique non intimes. Elle a témoigné que Mme Bratrud avait été fortement encouragée à accepter la mutation au bureau de Toronto en raison de sa réputation en tant qu'analyste. D'après Mme Shevlin, Mme Bratrud prenait son travail « très au sérieux ».

[17]    À l'époque du déménagement de la fonctionnaire s'estimant lésée au bureau de Toronto en 1997, ou à peu près, un nouveau cadre de surveillance a été mis en place pour le BSIF. Ce nouveau cadre représentait un changement marqué dans la manière dont le BSIF menait ses affaires. Dans son témoignage, M. Mackowiak a qualifié ce cadre de « nouvelle direction » pour le BSIF. Il a témoigné qu'on lui avait demandé d'agir à titre de directeur par intérim de la Division de l'assurance-vie pendant une période de dix ou onze mois, à compter de 2000, pour « aligner le travail du groupe » sur le cadre de surveillance.

[18]    Mme Bratrud a témoigné que la division manquait de personnel. Elle a témoigné également que les personnes engagées par M. Mackowiak ne pouvaient se déplacer à l'extérieur de la région de Toronto ni, par conséquent, l'aider lorsqu'elle se rendait aux bureaux des sociétés d'assurances. Mme Bratrud a témoigné qu'elle estimait que M. Mackowiak n'avait pas beaucoup d'expérience dans le domaine de l'assurance-vie, ni de connaissances de la région. De manière générale, les rapports entre elle et M. Mackowiak n'étaient pas bons, a-t-elle témoigné. Il ne répondait pas bien aux explications qu'elle fournissait sur les différentes questions. Mme Bratrud a déclaré que M. Mackowiak avait pu dire par exemple : [traduction] « Je n'ai pas à écouter »; « Vous ne savez pas de quoi vous parlez ». Mme Shevlin a témoigné également que Mme Bratrud s'était confiée à elle au sujet des difficultés qu'elle éprouvait avec M. Mackowiak. Mme Shevlin a dit du style de gestion de M. Mackowiak qu'il était « autoritaire ». Les notes rédigées par M. Mackowiak sur ses rapports avec Mme Bratrud ont été produites en preuve également (pièce G-12).

[19]    Mme Bratrud a témoigné que M. Mackowiak avait dit aux membres de son personnel que, s'ils mettaient en application les changements qu'il proposait, leurs évaluations du rendement ne causeraient aucun problème. M. Mackowiak a témoigné ne pas se rappeler avoir dit cela.

[20]    Mme Bratrud a témoigné que M. Mackowiak n'avait jamais discuté avec elle de son évaluation du rendement avant de [traduction] « lancer celle-ci sur son bureau ». Elle a témoigné qu'il lui avait dit qu'elle [traduction] « n'aimerait pas cela ». M. Mackowiak a témoigné qu'il était de pratique ordinaire, au BSIF, de ne pas discuter d'une évaluation avec un employé avant que le gestionnaire « en fasse un examen approfondi » avec son superviseur. Il a déclaré également qu'il avait remis l'évaluation à Mme Bratrud et mentionné que celle-ci contenait des éléments qu'elle aimerait et d'autres, qu'elle n'aimerait pas. Il a témoigné qu'il était dans son intention de discuter de l'évaluation, mais qu'une telle rencontre ne s'était jamais produite.

[21]    Dans l'évaluation du rendement initiale, la fonctionnaire s'estimant lésée a obtenu la cote « ne répond pas toujours aux attentes ». M. Mackowiak a noté ceci dans la partie réservée aux commentaires du superviseur :

[Traduction]

Jean possède de vastes connaissances spécialisées dans le domaine de l'assurance et des produits liés. Elle a adopté les pratiques préconisées par sa directrice antérieure, et ses connaissances n'ont pas été utilisées efficacement pour surveiller les sociétés d'assurance-vie conformément au cadre de surveillance. Lorsque cette directrice a remis sa démission, on a décidé de réorienter le groupe de manière que ses activités soient compatibles avec le cadre. Au départ, cette nouvelle orientation a entraîné d'énormes difficultés pour Jean et pour tout le groupe FIG-411. Il faut donner crédit à Jean : elle a commencé à montrer qu'elle acceptait les changements requis vers la fin de l'année. Maintenant qu'elle a franchi cette période de changement, Jean doit, pour obtenir une cote générale « répond toujours aux attentes », faire des progrès dans les domaines suivants :

  • Se concentrer davantage sur l'efficacité de la gestion du risque et sur une meilleure application du cadre de surveillance;
  • Améliorer son travail d'équipe par une meilleure interaction avec ses collègues de tout le BSIF, sans égard aux désaccords qui peuvent l'opposer à ces derniers.

[22]    L'évaluation indiquait que le cadre de surveillance n'était pas appliqué comme prévu, et c'est le contexte dans lequel Mme Bratrud a été mutée au bureau de Toronto. M. Mackowiak a témoigné que son prédécesseur n'avait pas appliqué le cadre correctement.

[23]    L'évaluation indiquait également que Mme Bratrud devait absolument améliorer son rendement en matière d'analyse financière. Mme Bratrud a témoigné qu'elle avait été fort étonnée de ce commentaire, puisqu'elle avait toujours été jugée excellente à ce chapitre. M. Mackowiak a témoigné qu'il n'avait pu voir aucune preuve d'analyse financière dans les dossiers.

[24]    Dans l'évaluation révisée (pièce G-7), préparée à l'issue de l'audience sur le grief interne, les commentaires du superviseur ont été éliminés et la section des [traduction] « facteurs particuliers » a été modifiée. Elle se lit maintenant comme suit :

[Traduction]

Ce fut une année difficile pour Mme Bratrud, car un directeur par intérim a été nommé et il a mis en application des changements au niveau de la manière dont le groupe menait ses activités de surveillance, pour rendre celles-ci plus compatibles avec le cadre de surveillance.

[25]    M. Mackowiak a témoigné qu'il maintenait les commentaires qu'il avait formulés dans la première évaluation. Il a témoigné également qu'il ne songeait pas à la discipline lorsqu'il a rédigé l'évaluation de Mme Bratrud. Il a déclaré qu'il ne voyait pas dans l'évaluation un outil disciplinaire, et qu'il avait souhaité souligner les domaines où il y avait place à l'amélioration.

[26]    Mme Bratrud a témoigné que le contenu de l'évaluation initiale était connu au sein du BSIF et que certaines personnes en avaient pris connaissance avant elle. Elle a témoigné qu'on avait voulu l'éviter et qu'on lui avait donné l'impression d'être une paria au sein du BSIF. M. Mackowiak a témoigné qu'il n'avait discuté de l'évaluation qu'avec son superviseur. Un résumé des résultats d'évaluations du rendement avait été distribué au sein du BSIF (pièce G-11). Ce résumé établissait le pourcentage seulement des différentes cotes attribuées. Mme Bratrud a témoigné qu'une liste de personnes et des cotes qui leur avaient été attribuées avait été préparée puis, croit-elle, distribuée aux gestionnaires. Elle a aussi témoigné qu'il lui était difficile d'obtenir une mutation latérale convenable en raison de son évaluation. M. Mackowiak a témoigné qu'il ne s'attendait pas à ce que l'évaluation en question ait une incidence sur la carrière de la fonctionnaire s'estimant lésée.

[27]    Mme Bratrud a montré son évaluation à Mme Shevlin, qui a témoigné qu'elle avait été [traduction] « abasourdie » et qu'elle [traduction] « ne pouvait y croire », et que la personne qui était décrite dans l'évaluation n'était pas la Jean Bratrud qu'elle connaissait. Mme Shevlin a témoigné qu'une mauvaise évaluation du rendement au BSIF avait pour effet de [traduction] « limiter incroyablement une carrière ». Les autres directeurs principaux ne seraient pas disposés à accepter la fonctionnaire s'estimant lésée dans leurs rangs parce que sa réputation avait été entachée. Mme Shevlin a témoigné également que, au cours d'une rencontre avec le surintendant auxiliaire, John Doran, ce dernier avait dénigré Mme Bratrud et avait dédaigné le travail de cette dernière.

[28]    Les évaluations du rendement ont également des conséquences au niveau financier. Les Lignes directrices administratives sur la rémunération au rendement (pièce G-11) indiquent qu'un employé qui « ne répond pas toujours aux attentes » a droit à une augmentation à l'intérieur de l'échelle de 1,5 %, mais qu'il n'a droit à aucune prime en argent comptant. Les employés qui, selon leur évaluation, « répondent toujours aux attentes », « dépassent souvent les attentes » et « dépassent toujours les attentes », ont droit à une augmentation à l'intérieur de l'échelle de 3 % et à des primes en argent comptant de 2 à 12 %. Après la modification de son évaluation, Mme Bratrud a obtenu un rajustement rétroactif de son salaire, sans intérêt.

[29]    Mme Bratrud a témoigné qu'elle avait pris un congé de maladie en juin 2000. Elle est retournée au travail en décembre, mais elle n'a obtenu du travail qu'en février 2001. Elle a eu de la difficulté à obtenir suffisamment de travail pour se tenir occupée. Elle a présenté en preuve une série de messages transmis par courrier électronique (pièce G-9), indiquant qu'une série de demandes de travail avaient été présentées du mois d'avril au mois de juillet 2002. Elle a témoigné qu'à son retour, on l'avait écartée des dîners et des réunions d'équipe, et que plusieurs personnes avaient cessé de lui parler. Elle a témoigné également qu'on lui avait offert des postes latéraux seulement, qui étaient des nominations pour une période déterminée, et qu'elle craignait de perdre son statut d'employée nommée pour une période indéterminée. En contre-interrogatoire, elle a affirmé qu'elle était satisfaite du poste qu'elle occupe actuellement au BSIF.

Arguments

[30]    Les arguments ont été présentés par écrit. La totalité des observations ont été versées au dossier de la Commission. J'ai résumé les arguments ci-dessous.

Pour l'employeur

[31]    L'employeur soutient que je ne suis pas compétent pour entendre le présent grief au motif, essentiellement, que celui-ci dissimule une tentative de renvoyer une évaluation du rendement à l'arbitrage, ce qui excède nettement la compétence d'un arbitre de griefs. D'une part, il n'y a aucune preuve que l'évaluation du rendement de Mme Bratrud constitue une sorte de mesure disciplinaire entraînant un licenciement, une suspension ou une sanction pécuniaire (al. 92(1)b), LRTFP). D'autre part, aucune preuve matérielle n'a été présentée pour démontrer que l'évaluation du rendement équivaut à du harcèlement au sens de la convention collective. Essentiellement, l'employeur estime que ce grief vise à faire indirectement ce qui ne peut être fait directement, à savoir contester le contenu d'une évaluation du rendement dans le cadre de l'arbitrage.

[32]    Me McGraw a signalé que, ainsi que l'employeur l'a indiqué dans la réponse déposée au dernier palier, l'évaluation du rendement initiale a été retirée du dossier du personnel de la fonctionnaire s'estimant lésée, puis détruite. L'évaluation du rendement modifiée (pièce G-7) est celle qui figure au dossier et, pour déterminer s'il y a eu mesure disciplinaire, seule cette version doit être prise en considération. En outre, la fonctionnaire s'estimant lésée a admis, au cours de son témoignage, qu'elle avait obtenu toutes les augmentations et toutes les primes correspondant à la cote « répond toujours aux attentes » pour l'exercice 2000-2001. Par conséquent, pour déterminer s'il y a eu ou non mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire, seule l'évaluation modifiée doit être prise en considération. Autrement, cela reviendrait à déterminer si une amende de 500 $ est raisonnable alors qu'elle a été réduite à 100 $ avant le renvoi à l'arbitrage.

[33]    Me McGraw a fait valoir qu'il n'y a rien, dans l'évaluation du rendement, qui puisse être considéré comme étant de nature disciplinaire. Conclure autrement aurait pour effet de transformer en mesures disciplinaires toutes les évaluations du rendement contenant des critiques à l'égard du travail d'un employé. Il n'y a aucune preuve de quelque forme de mesure corrective que ce soit. Une évaluation du rendement est une mesure purement administrative. Ainsi que les auteurs Brown et Beatty le disent dans l'ouvrage intitulé Canadian Labour Arbitration à 7:4210, l'avertissement écrit qui ne fait pas partie du dossier d'un employé aux fins de déterminer la gravité de sanctions disciplinaires éventuelles ne constitue pas une mesure disciplinaire. Donc, l'évaluation du rendement ne peut être considérée comme une mesure disciplinaire.

[34]    Me McGraw a indiqué que ce concept avait été appliqué uniformément par la CRTFP, notamment dans l'affaire Porter c. Conseil du Trésor (Ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources), dossier de la CRTFP 166-2-752 (1974), où l'arbitre en est arrivé à la conclusion que ce n'est que dans les cas où une évaluation du rendement est faite principalement pour des raisons disciplinaires que la question d'une mesure disciplinaire se pose. Il explique ensuite qu'il ne suffit pas pour un employé de montrer qu'il [traduction] « subit un préjudice financier », et qu'il doit démontrer que cette situation est le résultat d'une « mesure disciplinaire ». La charge de la preuve incombe donc au fonctionnaire s'estimant lésé. Puis il ajoute que le [traduction] « concept de la mesure disciplinaire n'est pas suffisamment large pour inclure toutes les mesures prises par l'employeur qui sont susceptibles de causer un tort ou un préjudice aux intérêts de l'employé ». Il explique que, pour qu'il y ait mesure disciplinaire, il doit y avoir manquement à la discipline ou inconduite. Il applique le raisonnement énoncé dans l'affaire Robertson c. Conseil du Trésor (Ministère du Revenu national), dossier de la CRTFP 166-2-454 (1971), pour avancer que la mesure disciplinaire est prise en réaction à ce que l'employeur considère être une sorte d'agissement coupable volontaire.

[35]    Me McGraw a fait valoir que, dans l'affaire Veilleux c. Conseil du Trésor (Commission de la fonction publique), dossier de la CRTFP 166-2-11370 (1982), on a soutenu que l'évaluation relevait de la compétence exclusive de l'employeur, conformément aux alinéas 7(1)d) et i) de la Loi sur la gestion des finances publiques, et que l'évaluation devait se passer d'explications. L'arbitre s'est dit d'accord, et il a ajouté que, « dans l'espèce, l'employeur en évaluant le rendement de l'employé s'estimant lésé lui accorde la mention entièrement satisfaisant. Il est difficile de considérer qu'il s'agit d'une mesure punitive et, par conséquent, de l'imposition d'une mesure disciplinaire déguisée ». Me McGraw m'a reporté également à l'affaire Gagne c. Conseil du Trésor (Travail Canada), dossier de la CRTFP 166-2-14901 (1985). Il a fait valoir qu'il n'y a aucune preuve de quelque forme de mesure disciplinaire que ce soit liée à l'évaluation du rendement contestée. Pour reprendre les termes utilisés dans l'affaire Veilleux, supra, l'employeur ne voit pas comment une évaluation selon laquelle le fonctionnaire en question « répond toujours aux attentes » peut être considérée comme étant de nature disciplinaire ou punitive.

[36]    Me McGraw a conclu que, par conséquent, un arbitre de griefs n'est pas compétent pour entendre le présent dossier en tant que dossier disciplinaire, puisque la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas réussi à s'acquitter de la charge qui lui incombe de montrer que l'évaluation constitue une forme de mesure disciplinaire déguisée.

[37]    Me McGraw a indiqué que la fonctionnaire s'estimant lésée a allégué aussi que l'évaluation du rendement enfreint la convention collective, puisqu'elle constitue un harcèlement et, plus précisément, un abus de pouvoir, interdit à l'article 41.01 de la convention collective. L'employeur s'oppose à la compétence d'un arbitre d'entendre la présente affaire au motif qu'il s'agit simplement d'une tentative de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement. Il est clair que le rôle de la Commission n'est pas de se lancer dans la révision d'évaluations du rendement.

[38]    Me McGraw a donné, à cet égard, un certain nombre de raisons. Il n'est pas dans l'intérêt de la Commission d'ouvrir la porte à des révisions d'évaluations du rendement. L'arbitre n'est pas la personne la mieux placée pour juger et réviser correctement l'équivalent d'une année de travail au cours d'une audience. Il n'y a rien dans la convention collective ou les divers textes législatifs fédéraux qui prévoit une telle procédure. Me McGraw m'a reporté à l'affaire Foreman c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 73. Il a fait valoir que, dans ce cas-ci, aucune preuve ne vient montrer que l'affaire porte sur l'interprétation de la convention collective. Il s'agit simplement du cas d'une employée qui n'est pas satisfaite de son évaluation du rendement et de la réponse au dernier palier de la procédure de règlement du grief. La question n'est pas arbitrable pour autant.

[39]    Me McGraw a fait valoir que les seuls exemples fournis par la fonctionnaire s'estimant lésée de déclarations, faites dans l'évaluation, susceptibles de faire état d'un harcèlement, figurent dans la première évaluation. Ces deux déclarations ont été décrites par la fonctionnaire s'estimant lésée comme étant des « menaces », ce qui répond à la définition de harcèlement et d'abus de pouvoir. Premièrement, il faut noter que ces déclarations ont été retirées dans la version modifiée de l'évaluation de la fonctionnaire s'estimant lésée. Deuxièmement, l'allégation est clairement exagérée et elle ne constitue certainement pas une menace à la carrière ou à la promotion de la fonctionnaire s'estimant lésée. En fait, de telles déclarations sont courantes dans les évaluations du rendement : elles indiquent les domaines dans lesquels l'employé doit s'améliorer ou maintenir son rendement pour conserver ou relever sa cote à l'avenir. Dans l'hypothèse la plus optimiste, ces déclarations sont des déclarations que la fonctionnaire s'estimant lésée juge inexactes, mais elles ne constituent pas une menace de quelque sorte que ce soit.

[40]    Me McGraw a fait valoir que c'est là, véritablement, le gros de la plainte de la fonctionnaire s'estimant lésée. Cette dernière estime que les déclarations et les cotes accordées dans la version initiale et dans la version modifiée de l'évaluation du rendement contestée sont inexactes. Elle n'est pas d'accord avec l'évaluation de M. Mackowiak et de la direction du BSIF. Cependant, cela n'est pas suffisant en soi pour conférer à la Commission le pouvoir de se pencher sur l'affaire.

[41]    Me McGraw a indiqué que la convention collective prévoit, à l'alinéa 35.02c), que les employés qui ne sont pas d'accord avec les évaluations de leur rendement peuvent présenter des arguments de nature contraire qui seront joints à l'évaluation et insérés au dossier. Il s'agit de la mesure que doivent prendre les fonctionnaires qui estiment qu'une évaluation ne reflète pas fidèlement leur rendement. Me McGraw a fait valoir qu'un renvoi à l'arbitrage d'un tel désaccord est un abus de procédure et qu'il devrait être rejeté par la Commission.

[42]    Me McGraw a fait valoir que, comme on l'a dit dans l'affaire Ansari c. Conseil du Trésor (Ministère des affaires étrangères), dossier de la CRTFP 166-2-14680 (1984), un grief déposé à l'encontre d'une évaluation du rendement n'est pas arbitrable sous le régime de la LRTFP, et toute tentative visant à faire retirer ou détruire l'évaluation est une tentative visant à faire indirectement ce qui ne peut être fait directement. En outre, dans l'affaire Largess c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers de la CRTFP 166-2-17666 et 17667 (1988), on a conclu qu'un grief portant sur le contenu d'une évaluation du rendement ne soulevait pas une question d'interprétation ou d'application de la convention collective. L'arbitre dans cette affaire a noté que l'évaluation du rendement était ni frivole, ni motivée par la mauvaise foi. On peut en dire autant de l'évaluation en cause en l'espèce.

[43]    Me McGraw a signalé que, dans l'affaire Ahad c. Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166-2-15480, 16038 et 16233 (1987), on a précisé qu'il n'y avait rien, dans la convention collective, qui permettait à un employé de recourir à l'arbitrage pour obtenir la révision du contenu d'une évaluation du rendement. Il n'y a pas de disposition de la sorte dans la convention collective applicable dans la présente affaire non plus.

[44]    Me McGraw a fait valoir également que, dans l'affaire Joanisse c. Massie, dossier de la CRTFP 161-2-319 (1985), qui portait sur une plainte déposée en vertu de l'article 20 de la LRTFP, la Commission a indiqué qu'une plainte ne pouvait servir à ouvrir la voie à l'arbitrage d'un grief à l'égard duquel avaient été épuisées toutes les étapes de la procédure de règlement des griefs du ministère, et que cette plainte n'était pas arbitrable sous le régime de la Loi. Bien qu'en l'espèce, il ne s'agisse pas d'une plainte, les principes de cette décision sont pertinents.

[45]    En conclusion, Me McGraw a fait valoir qu'aucune preuve ne vient montrer que, dans la présente affaire, le grief porte sur une mesure disciplinaire et sur l'interprétation de la convention collective. Il s'agit simplement d'une fonctionnaire qui n'est pas d'accord avec une évaluation du rendement et qui a épuisé toutes les étapes de la procédure de règlement des griefs du ministère. C'est à bon droit que l'affaire en l'espèce doit être déclarée non arbitrable et qu'aucun arbitre ne devrait se déclarer compétent pour l'entendre.

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée

[46]    Mme Bratrud allègue, d'une part, qu'elle a été l'objet d'une mesure disciplinaire du fait de l'évaluation du rendement préparée par M. Mackowiak et des actions subséquentes de l'employeur et, d'autre part, que l'abus de pouvoir commis par M. Mackowiak et cautionné par l'employeur a donné lieu à un manquement à l'article 41.01 de la convention collective, intitulé « Harcèlement ».

[47]    M. Eadie a fait valoir qu'un fonctionnaire s'estimant lésé pouvant être lésé de différentes manières, son grief peut contenir plusieurs prétentions. C'est le cas du grief de Mme Bratrud. Tout au long de la procédure de règlement du grief, une partie ou la totalité des prétentions peuvent être traitées, ou encore il se peut qu'aucune d'entre elles ne le soit. Dans ce cas-ci, seules certaines des allégations de Mme Bratrud ont été considérées, mais elles n'ont pas été réglées à sa satisfaction - comme les changements apportés au contenu de son évaluation du rendement. Certaines allégations, comme celle d'abus de pouvoir, ont été laissées de côté complètement. L'employeur est au courant de toutes ces questions depuis le dépôt du grief.

[48]    M. Eadie a fait valoir qu'aucune manoeuvre indirecte ne sous-tend ses efforts visant à saisir la Commission de cette affaire. L'évaluation du rendement est la preuve qu'il y a eu mesure disciplinaire et abus de pouvoir. L'employeur n'a pas traité de la question du harcèlement; il en a plutôt fait abstraction. Dans la réponse au dernier palier, cette question n'a pas été abordée du tout. Il est plus facile pour l'employeur de tenter de restreindre le présent grief au contenu de l'évaluation du rendement, mais ce n'est pas là l'unique question énoncée dans le grief.

[49]    M. Eadie a signalé que le grief formule les changements qui doivent être apportés à l'évaluation du rendement et, dans une certaine mesure, ces changements ont été apportés. Toutefois, ils n'ont pas satisfait la fonctionnaire s'estimant lésée. L'arbitre pourrait décider qu'il ne peut modifier le libellé de l'évaluation du rendement, ce qui ne signifie pas cependant qu'il n'est pas compétent pour entendre le grief. Le changement apporté à l'évaluation du rendement ne constitue que l'une des mesures de réparation possibles qui sont énoncées dans le grief.

[50]    M. Eadie a pris en note l'argument de l'employeur selon lequel le grief est réglé, puisqu'il a modifié l'évaluation du rendement dans son ensemble et inscrit « répond aux attentes », et qu'il a versé la somme d'argent correspondant à la nouvelle cote. M. Eadie a fait valoir que cette perspective était simplement dénuée de logique. En effet, si l'on poussait une telle perspective à l'extrême, cela signifierait que les employeurs peuvent imposer des mesures disciplinaires, agir arbitrairement et de mauvaise foi, et abuser de leur pouvoir aux fins d'une évaluation du rendement, sachant très bien qu'ils n'auront de compte à rendre à personne. Avant le renvoi à l'arbitrage, ils pourraient se contenter simplement de réviser les pires aspects de l'évaluation, et cela serait suffisant.

[51]    M. Eadie a fait valoir également que le tort causé par l'évaluation initiale n'est pas nécessairement réparé par la révision à la hausse de cette évaluation plusieurs mois plus tard. Le fait qu'une partie du contenu est modifiée ne règle pas la question de savoir si l'évaluation initiale était de nature disciplinaire. Pas plus que les changements apportés au contenu de l'évaluation ne règlent la question de savoir s'il y a eu abus de pouvoir.

[52]    M. Eadie a indiqué que l'avocat du BSIF fait une analogie avec l'amende de 500 $ réduite à 100 $ pour justifier le recours à l'évaluation modifiée. Il a convenu qu'en l'espèce, une amende avait été imposée. Par contre, pour ce qui est de la discipline, il ne s'agit pas, selon lui, de se pencher sur la gravité de la mesure disciplinaire ou de l'amende, mais de déterminer s'il y a effectivement eu mesure disciplinaire ou amende.

[53]    M. Eadie a fait valoir que c'est l'évaluation du rendement initiale qui donne lieu aux prétentions de Mme Bratrud. Cette dernière a témoigné que l'évaluation du rendement qui, d'après l'employeur, se trouve au dossier, n'est pas beaucoup mieux que la première. C'est que, même si la cote a été rajustée à la hausse, le texte contient à peu près les mêmes déclarations condamnables que celui de la première évaluation. En outre, le fait que la dureté et la sévérité du ton de l'évaluation initiale ont pu être adoucies quelque peu ne permet pas de déterminer si la première évaluation était de nature disciplinaire ou si elle constituait un abus de pouvoir.

[54]    M. Eadie a signalé que l'employeur a déclaré que, contrairement à ce qui est allégué dans le grief, il n'y a eu aucune mesure disciplinaire, de sorte que l'arbitre n'est pas compétent en vertu de l'alinéa 92(1)b) de la LRTFP. La fonctionnaire s'estimant lésée est d'avis que cette évaluation est un avertissement écrit. Bien que son texte ne colle pas au format habituel, l'évaluation est de nature disciplinaire. L'employeur a souhaité imposer une mesure disciplinaire en se cachant derrière l'évaluation du rendement. Il s'agit d'une mesure disciplinaire déguisée. La fonctionnaire s'estimant lésée est d'avis que cette mesure disciplinaire lui a été imposée de mauvaise foi, qu'elle est un abus de pouvoir et qu'elle a eu des conséquences financières défavorables réelles.

[55]    M. Eadie m'a reporté à l'analyse des questions de discipline dans l'ouvrage de Brown & Beatty, supra (7:4210). Il en émerge deux concepts : l'« inconduite » qui justifie la prise d'une mesure disciplinaire, et le [traduction] « comportement blâmable qui peut être corrigé au moyen de la prise d'une forme de sanction disciplinaire ». M. Mackowiak a-t-il jugé que les actions de la fonctionnaire s'estimant lésée équivalaient à une inconduite justifiant la prise d'une mesure disciplinaire? D'après le témoignage du superviseur, ce dernier avait pour mission de changer le comportement de Mme Bratrud, ce qu'il a tenté de faire oralement, se heurtant cependant à une certaine résistance. Il a donc mis les problèmes sur papier. Ses notes (pièce G-12) indiquent qu'il a discuté avec Jean à un certain nombre de reprises. M. Eadie a indiqué qu'il reste plusieurs questions à régler sur l'exactitude de ces notes. Toutefois, elles établissent bel et bien la manière dont M. Mackowiak jugeait que Mme Bratrud réagissait aux différents points qu'il avait soulevés.

[56]    M. Eadie a signalé qu'au cours de son interrogatoire principal, M. Mackowiak avait nié avoir utilisé l'évaluation du rendement à des fins disciplinaires parce que ce n'était pas l'objet d'une telle évaluation. Cependant, si l'on compare l'évaluation avec son témoignage relatif à ce qu'il tentait de faire, celui-ci indique qu'il tentait de trouver un moyen de changer certaines manières bien précises que Mme Bratrud insistait pour maintenir aux fins de mener ses activités. M. Mackowiak abordait des points très précis auxquels, à son avis, la fonctionnaire s'estimant lésée avait opposé une résistance au cours de discussions verbales.

[57]    M. Eadie a fait valoir que M. Mackowiak avait utilisé l'évaluation du rendement pour avertir Mme Bratrud par écrit que le BSIF jugeait inacceptables certaines de ses actions, et qu'elle devait changer. Il a fait valoir que M. Mackowiak avait suggéré de quelles façons exactement elle devait changer pour satisfaire aux normes du BSIF. M. Eadie a déclaré qu'il donnait en fait à entendre, sans vouloir rédiger une lettre disciplinaire à cet effet, que Mme Bratrud avait fait preuve d'insubordination, qu'elle n'avait pas respecté la manière dont le BSIF menait ses activités, et que l'on s'attendait à ce qu'elle se reprenne en main.

[58]    M. Eadie a fait valoir que cette évaluation du rendement se distingue du fait qu'en réalité, il s'agit d'un avertissement écrit, que cet avertissement devait être versé au dossier, qu'il avait été servi par l'autorité compétente, et qu'il serait pris en considération aux fins de la détermination d'une mesure disciplinaire éventuelle. On n'a pas demandé à M. Mackowiak si l'évaluation serait utilisée au moment d'imposer une mesure disciplinaire éventuelle, et il n'a offert aucune information à cet égard. Mme Bratrud a clairement déclaré qu'elle avait vu dans cette évaluation une première étape vers de plus amples mesures disciplinaires. M. Eadie m'a reporté à l'affaire Domtar Gypsum v. United Steelworkers of America, Local 14994 (1996), 56 L.A.C. (4th) 266. Il m'a reporté également à l'affaire Calgary Housing Authority v. Alberta Union of Provincial Employees (1990), 10 L.A.C. (4th) 129, où l'on a considéré qu'une évaluation du rendement formulant des critiques équivalait à un avertissement disciplinaire. Même les avertissements donnés verbalement, dans les cas où la preuve établit qu'ils feront partie du dossier des employés, [traduction] « peuvent être qualifiés de mesure disciplinaire » (Brown and Beatty, supra).

[59]    En ce qui concerne l'affaire Porter, supra, M. Eadie a fait valoir que la fonctionnaire s'estimant lésée ne conteste pas le fait que « la notion de mesure disciplinaire n'est pas suffisamment étendue pour inclure toute mesure prise par l'employeur qui peut être nuisible ou préjudiciable aux intérêts de l'employé ». Il souscrit également au raisonnement formulé dans l'affaire Robertson, supra, où l'on peut lire que [traduction] « ... mesure disciplinaire est prise en réaction à ce que l'employeur considère être une sorte d'agissement coupable volontaire ». M. Eadie a fait valoir que la preuve qui établit que l'employeur était convaincu que Mme Bratrud avait volontairement commis une faute se trouve dans l'évaluation du rendement et dans le témoignage de M. Mackowiak, avec la preuve que l'employeur s'attendait à ce qu'elle modifie certains de ses comportements. Bien que Mme Bratrud nie avoir été coupable des comportements indiqués, elle convient cependant qu'il lui aurait été possible de changer ces comportements si elle avait été coupable de les avoir adoptés. M. Eadie m'a donné des exemples, tirés de l'évaluation du rendement initiale, qui indiquent des fautes spécifiques commises par Jean Bratrud et la manière dont elle devait s'améliorer. Mme Bratrud a témoigné sur l'importance de tous ces éléments dans le cadre de son emploi. Considérées de manière cumulative, les critiques formulées constituent un avertissement écrit exprès.

[60]    M. Eadie a indiqué que, dans l'affaire Robertson, supra, l'arbitre a déclaré que [traduction] « ... la distinction essentielle se situe entre ce qui est volontaire ou ce dont l'employé a la maîtrise, et ce qui est involontaire, c'est-à-dire ce qui ne relève pas de son contrôle ou de son habileté ». M. Eadie a fait valoir que, suivant ce raisonnement, si une action relève de la maîtrise de l'employé, elle peut faire l'objet d'une mesure disciplinaire par l'employeur. Par ailleurs, bien qu'il ne s'agisse peut-être pas de la méthode préférée de l'employeur ou de l'employé, il se peut que, dans certains cas, un employé soit visé par une mesure disciplinaire au moyen de son évaluation du rendement, si c'est là le moyen retenu pour tenter de modifier un comportement. Dans de tels cas, l'évaluation du rendement joue le rôle d'un avertissement écrit.

[61]    M. Eadie a fait valoir que, dans l'affaire Veilleux, supra, l'arbitre, contrairement à ce que l'avocat du BSIF a affirmé, n'a jamais souscrit à la déclaration suivant laquelle [traduction] « l'évaluation devrait se passer d'explication ». L'arbitre a déclaré que [traduction] « l'employeur en évaluant le rendement de l'employé s'estimant lésé lui accorde la mention entièrement satisfaisant. Il est difficile de considérer qu'il s'agit d'une mesure punitive et, par conséquent, de l'imposition d'une mesure disciplinaire déguisée ». Cela ne correspond pas au cas de Mme Bratrud, puisqu'il a été déterminé que cette dernière « ne répond pas aux attentes ». Cependant, même si l'on tenait pour acquis que l'évaluation du rendement révisée est celle qui doit être utilisée, l'arbitre, dans l'affaire Robertson, supra, renvoie également à l'affaire Towers dossier de la CRTFP 166-2-206 (1970), où l'arbitre en est arrivé à la conclusion, sur le fondement de la preuve, qu'une augmentation d'échelle avait été refusée pour des raisons disciplinaires malgré une évaluation favorable, et que cette mesure disciplinaire n'était pas justifiée.

[62]    M. Eadie a fait valoir que l'affaire Gagné, supra, se distingue de la présente affaire au motif que, dans cette affaire, personne n'a jamais prétendu que l'évaluation du rendement était de nature disciplinaire. En effet, le fonctionnaire s'estimant lésé a affirmé que le refus de lui confier des affectations plus difficiles était de nature disciplinaire. Toutefois, aucune preuve dans ce sens n'a été produite. M. Eadie a souligné que, dans la présente affaire, la fonctionnaire s'estimant lésée a donné des raisons pour lesquelles l'employeur a pu estimer qu'une mesure disciplinaire était nécessaire, ainsi qu'une preuve de la frustration qu'elle a éprouvée relativement à de simples discussions. Mme Bratrud soutient également que l'employeur lui a imposé une mesure disciplinaire en la suspendant « de fait » lors de son retour au travail, refusant de lui confier du travail. Mme Bratrud a témoigné qu'elle n'avait rien eu à faire jusqu'au mois de février, qu'elle avait à plusieurs reprises envoyé des courriers électroniques pour demander du travail (pièce G-9), que ces demandes étaient restées sans réponse, et que les institutions qu'elle surveillait ne lui avaient pas été renvoyées. Il s'agissait, dans les faits, d'une suspension avec salaire qui, en fin de compte, l'a menée à quitter le secteur où elle avait été au départ heureuse de travailler, et à accepter une mutation latérale. M. Eadie a fait valoir qu'une seule conclusion s'impose : le BSIF a tenté de discipliner Mme Bratrud et il a utilisé l'évaluation du rendement pour y arriver. Lorsqu'elle a opposé une résistance, l'employeur l'a punie davantage en la suspendant de façon efficace.

[63]    M. Eadie a fait valoir également que les commentaires de l'avocat du BSIF sur la charge de la preuve étaient exacts en partie seulement. La fonctionnaire s'estimant lésée a effectivement la charge de produire une preuve de manière que l'arbitre puisse avoir une idée du dossier, mais la charge de la preuve revient ensuite à l'employeur, qui doit montrer pour quelle raison cette preuve n'est pas suffisante. Le BSIF soulève une objection sur la question de la compétence; la charge de la preuve lui incombe. Il doit établir que la preuve produite ne peut mener à la conclusion que l'évaluation du rendement était de nature disciplinaire.

[64]    M. Eadie a fait valoir que Mme Bratrud avait subi un préjudice financier, et que c'était le résultat direct de la mesure disciplinaire prise de la manière décrite précédemment. Cette évaluation n'a pas été utilisée seulement pour établir les compétences, mais aussi pour imposer une mesure disciplinaire, ce qui a mené à une perte de rémunération. M. Mackowiak savait que ses actions auraient un impact financier tant à court terme qu'à long terme. Mme Bratrud a fait modifier son évaluation en plus de faire rajuster son augmentation et sa prime plus d'un an après avoir obtenu son évaluation initiale. On ne lui a offert aucun montant d'intérêt sur la somme d'argent qui avait été retenue, et elle n'a pas atteint le niveau d'augmentation à l'intérieur de l'échelle ou de prime qu'elle avait obtenues au cours des deux années précédentes et auxquelles elle estime avoir droit. La différence est de 1 200 $ pour l'augmentation à l'intérieur de l'échelle et de 5 000 $ pour les primes forfaitaires. Tout cet argent est pris en considération aux fins de la pension. À la prétention relative à l'impact financier s'ajoute la prétention moins concrète, mais tout aussi importante, que l'évaluation a détruit la crédibilité et la réputation de Mme Bratrud à l'interne et à l'externe. La réputation est, d'après le témoignage de cette dernière, un élément essentiel dans l'exécution de ses fonctions à titre de personne chargée du contrôle. S'ensuivent également des limites à son revenu potentiel du fait de la perte de promotions. La pièce G-11 indique que le BSIF assure le suivi et la surveillance des évaluations et que, du fait de l'évaluation initiale, Mme Bratrud se retrouve dans le groupe de 5 % des employés dont le rendement est mauvais. Dans une organisation de petite taille, les conséquences d'une telle évaluation sont dévastatrices et se font ressentir pendant de nombreuses années. Mme Bratrud a témoigné que même une mutation latérale est devenue un problème en raison de l'évaluation.

[65]    M. Eadie affirme que l'article 41.01 de la convention collective (pièce G-1) est clair au niveau tant de son intention que de son sens. Il a pour objet de garantir un lieu de travail libre de tout harcèlement. Mme Bratrud soutient que, dans un premier temps, M. Mackowiak, et dans un deuxième temps, le BSIF, en évitant la question, contreviennent à cet article de la convention collective, plus particulièrement parce que l'évaluation initiale préparée par M. Mackowiak est simplement une preuve documentaire de la campagne constante qu'il menait à l'encontre de Mme Bratrud. De plus, l'omission de l'employeur de corriger les inexactitudes et les affirmations dévastatrices pour une carrière qui figurent dans l'évaluation, ainsi que la prise de mesures destinées à humilier la fonctionnaire s'estimant lésée, font partie intégrante de l'abus de pouvoir commis par M. Mackowiak. Aucune des questions soulevées au cours des audiences sur le grief concernant la façon dont M. Mackowiak a traité Mme Bratrud n'ont été abordées. L'employeur a mis l'accent sur les changements qui ont été apportés à l'évaluation.

[66]    M. Eadie affirme que la présente affaire est arbitrable au motif que Mme Bratrud soutient qu'il y a eu manquement à la convention collective. Il revient à l'arbitre de trancher la question de savoir si cette prétention est valide, à l'issue de la présentation de la preuve. M. Eadie soutient que certains des éléments de preuve produits établissent l'existence d'un style de comportement. Mme Bratrud a décrit l'environnement dans lequel elle travaillait sous la direction de M. Mackowiak. Ni ce dernier, ni le BSIF, n'ont contesté ce témoignage. M. Eadie fait valoir que la preuve de la fonctionnaire s'estimant lésée à cet égard ne m'a pas été présentée dans son intégralité, mais que certains des éléments de preuve produits indiquent que ces actions étaient motivées. Une preuve établissant le contexte a été produite.

[67]    M. Eadie signale que le BSIF soutient que [traduction] « les seuls exemples fournis par la fonctionnaire s'estimant lésée de déclarations, faites dans l'évaluation, susceptibles de faire état d'un harcèlement, figurent dans la première évaluation ». M. Eadie a déclaré qu'il ne pouvait convenir que ces deux déclarations étaient les seules, et il n'a pu convenir non plus que les exemples doivent être tirés seulement de l'évaluation initiale. Aucune preuve n'a été produite à l'appui de la position du BSIF. Mme Bratrud a mentionné l'existence de menaces dans son témoignage, mais elle a mentionné également qu'on l'avait évitée, qu'elle n'avait obtenu aucun travail, que son superviseur avait dit qu'il [traduction] « obtiendrait des renseignements préjudiciables sur Jean », que [traduction] « vous ne savez pas de quoi vous parlez » et que [traduction] « je peux faire ce que je veux », qu'il avait formulé des accusations non fondées, et qu'il avait rendu son environnement de travail hostile - cela a été confirmé par l'exode massif de ses collègues pour cette raison même. Elle a témoigné de manière crédible sur la raison pour laquelle elle n'avait pas poussé la question plus loin - elle allait serrer les dents pendant la durée du mandat du superviseur, puis tout serait terminé, alors que se plaindre ne ferait qu'entraîner davantage de difficultés parce que les personnes à qui elle s'adresserait étaient du côté de M. Mackowiak. Puis, après que ce dernier eut quitté son poste, l'évaluation est arrivée.

[68]    M. Eadie a déclaré que, lorsqu'il y a allégation d'abus de pouvoir, le contexte est un facteur clé. De toute évidence, Mme Bratrud n'est pas d'accord avec la nature factuelle des commentaires formulés dans l'évaluation mais, par-dessus tout, elle s'oppose à la manière humiliante dont ces commentaires sont formulés, surtout compte tenu de son poste et de sa réputation au sein du BSIF et de la Division de l'assurance-vie à l'époque. L'abus de pouvoir est interprété, au sein du Conseil du Trésor et ailleurs, comme étant beaucoup plus large que le seul fait de proférer des menaces. M. Eadie m'a reporté également à l'ouvrage intitulé L'abus d'autorité au travail : une forme de harcèlement, de Jean Maurice Cantin. M. Eadie a conclu qu'il ressortait clairement de la preuve produite que Mme Bratrud avait été victime d'un abus de pouvoir par M. Mackowiak. L'employeur n'a produit aucune preuve en vue de montrer que l'arbitre n'est pas compétent sous le régime de la convention collective.

[69]    M. Eadie convient que Mme Bratrud pouvait invoquer l'alinéa 35.02c) de la convention collective. Or, ainsi qu'elle l'a déclaré dans son témoignage, elle a choisi une autre avenue parce que celle-ci permet de régler les questions. Elle a le droit de faire le choix le plus sensé sous le régime de sa convention collective. Il est certain que rectifier les faits et faire en sorte que ceux-ci fassent partie du dossier ne représenterait qu'un petit pas dans les efforts de Mme Bratrud pour régler les questions de la nature de celles qu'elle soulève.

[70]    En ce qui concerne l'affaire Ansari, supra, les conclusions tirées par l'arbitre dans cette affaire sont le résultat d'un ensemble de faits très différents, soutient M. Eadie. Dans cette affaire, personne n'a à quelque moment que ce soit soutenu que l'évaluation du rendement était de nature disciplinaire ou qu'elle constituait un abus de pouvoir aux termes d'une disposition de la convention collective applicable. La fonctionnaire s'estimant lésé avait demandé que les évaluations soient retirées des dossiers et détruites, puisque l'employeur n'aurait pu correctement traiter de ces questions après le passage d'une si longue période. Essentiellement, il a soulevé une question de procédure - le respect des délais dans le cadre de la procédure de règlement des griefs prévue dans la convention collective. Mme Bratrud ne soulève aucun argument de procédure. Elle soutient que l'évaluation même constitue un exemple écrit d'abus de pouvoir et que cet abus de pouvoir est interdit par l'article 40.01.

[71]    M. Eadie a répliqué à l'argument de l'employeur concernant le fait que l'on tentait de faire indirectement ce qui ne pouvait être fait directement. L'abus de pouvoir ne se limite pas à certaines situations. On peut en constater l'existence dans le cadre d'une promotion à des fins de dotation, de rapports quotidiens ou d'une réunion du personnel. Si nous disions que, suivant cette disposition de la convention collective, nous soulevons la question d'un abus de pouvoir et que cet abus s'est produit au cours d'une réunion du personnel, nous serait-il impossible de présenter notre plainte? Non. Alors, pour quelle raison une plainte d'abus de pouvoir fondée sur une évaluation du rendement serait-elle automatiquement interdite? Dans les deux cas, le bien-fondé de la question de savoir s'il y a plainte légitime devrait être étudié. Il ne s'agit pas de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement. En fait, si l'on examine la question de près dans ce cas-ci, on peut soutenir que c'est en fait l'employeur qui s'est rendu coupable d'une telle tentative. En effet, il a tenté de ne pas régler la question du harcèlement et d'éviter l'arbitrage en prétendant que le grief porte uniquement sur l'évaluation du rendement.

[72]    M. Eadie a soutenu que l'affaire Largess, supra, mettait en cause des griefs se rapportant à un renvoi en cours de stage et au recours à l'évaluation du rendement dans cette situation, ce qui n'est pas pertinent ici. En outre, l'arbitre n'a pas conclu qu'un grief sur le contenu d'une évaluation du rendement ne soulevait pas une question d'interprétation ou d'application de la convention collective. Il a cependant conclu qu'il [traduction] « n'est pas ici question de l'interprétation ou de l'application d'une convention collective ou d'une décision arbitrale et, de toute façon, l'employée s'estimant lésée n'a pas l'approbation requise de l'agent négociateur et celui-ci ne la représente pas ».

[73]    M. Eadie a établi une distinction avec l'affaire Ahad, supra, au motif que personne n'a allégué que l'évaluation du rendement était de nature disciplinaire ou qu'elle constituait un manquement à la clause sur le harcèlement, et qu'aucun grief n'a été déposé à cet égard non plus. Il ne s'agit pas de la même question de compétence dont je suis saisi en l'espèce.

[74]    M. Eadie a soutenu également que l'affaire Joanisse c. Massie, supra, porte sur une plainte déposée en vertu de l'article 20, et qu'elle n'a aucune pertinence.

[75]    M. Eadie a souligné que la mesure de réparation demandée compte plus d'un aspect. L'employeur s'est concentré à tenter de résoudre la question de la cote accordée dans l'évaluation du rendement dans l'espoir de voir disparaître le reste des allégations. Il n'a jamais reconnu qu'il y avait un problème. Il n'a certainement jamais offert ou tenté de régler la question du harcèlement dans le cadre des diverses étapes de la procédure de règlement des griefs et la fonctionnaire s'estimant lésée n'est pas satisfaite de ces réponses. Elle aimerait que d'autres changements soient apportés à son évaluation, mais ce facteur ne devrait pas être déterminant pour déterminer si le grief doit être entendu ou non étant donné la nature de celui-ci et l'éventail des mesures correctives suggérées.

[76]    M. Eadie a déclaré qu'il ne voyait aucune restriction claire à la capacité d'un arbitre de rajuster une évaluation si celle-ci est jugée être de nature disciplinaire ou constituer un abus de pouvoir. D'autres mesures de réparation pourraient être prononcées également. Même si un arbitre était incapable d'ordonner la présentation d'excuses, il a le pouvoir de conclure à l'existence d'une faute de la part de l'employeur, de reconnaître que des mesures injustifiées ont été prises, et de rendre une déclaration à cet effet. Le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée soutient qu'il peut y avoir d'autres réparations.

Réplique de l'employeur

[77]    Me McGraw a fait valoir que l'exposé du représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée sur la charge de la preuve est clairement erroné. Il est établi en droit que, lorsqu'un fonctionnaire s'estimant lésé allègue qu'une action constitue une mesure disciplinaire déguisée, c'est à lui et non à l'employeur qu'il incombe d'établir que l'action était de nature disciplinaire et qu'elle relève de la compétence d'un arbitre de griefs en vertu de l'alinéa 92(1)b) de la LRTFP (Flynn c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-2-29015 (1999); Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi (2001), 205 F.T.R. 238 (C.F. 1re inst.)).

[78]    L'employeur a la charge d'établir que la mesure administrative, dans ce cas-ci l'évaluation du rendement, reflétait l'utilisation légitime d'une procédure administrative. L'employeur s'est acquitté de sa charge dans ce cas-ci. Il ressort clairement du témoignage de M. Mackowiak et d'une simple lecture de l'évaluation du rendement en question que celle-ci n'est pas une imposture. Il incombe à la fonctionnaire s'estimant lésée d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que la sanction pécuniaire qu'elle allègue avoir subie est « attribuable à une mesure disciplinaire déguisée ».

[79]    Me McGraw a soutenu qu'accepter l'argument de la fonctionnaire s'estimant lésée que l'évaluation initiale doit être prise en considération pour déterminer s'il y a eu mesure disciplinaire déguisée dans ce cas-ci est absurde et rend inutile toute la procédure de règlement des griefs. Pourquoi l'employeur prendrait-il des arguments en considération et mettrait-il en pratique des changements avant le renvoi à l'arbitrage si ceux-ci étaient voués à être mis de côté et jetés dans l'oubli? Mme Bratrud n'est peut-être pas satisfaite des changements qui ont été apportés, mais ces changements forment le cadre qui régit le renvoi à l'arbitrage.

[80]    Me McGraw a déclaré que le BSIF rejette la prétention selon laquelle l'augmentation à l'intérieur de l'échelle et le paiement forfaitaire constituent une sanction pécuniaire au sens de la LRTFP. Même si l'on acceptait l'argument de la fonctionnaire s'estimant lésée que l'évaluation du rendement initiale entraîne une sanction pécuniaire parce qu'elle a obtenu une augmentation à l'intérieur de l'échelle inférieure, l'employeur soutient que l'évaluation du rendement révisée a remédié à la situation. Encore une fois, cela démontre pourquoi l'évaluation initiale ne doit pas être prise en considération pour déterminer s'il y a eu mesure disciplinaire dans la présente affaire.

[81]    Me McGraw a soutenu en outre que, bien que l'évaluation initiale puisse aider à établir l'historique et le contexte de la plainte qu'il y a eu manquement à la convention collective, c'est quand même l'évaluation du rendement révisée qui fait l'objet du renvoi à l'arbitrage. Dans son grief, Mme Bratrud énonce très clairement que l'évaluation enfreint la convention collective. Par conséquent, s'il y a manquement, ce doit être la version révisée qui enfreint la convention collective, puisque la version originale n'existe plus. Les réponses à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs le confirment. L'évaluation initiale peut aider la fonctionnaire s'estimant lésée à établir le contexte de son grief, mais c'est la version révisée, telle qu'elle existait avant le renvoi à l'arbitrage, qui fait l'objet du renvoi en question.

[82]    Me McGraw a signalé que le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée affirme qu'à son avis, l'évaluation du rendement constitue un avertissement écrit. La fonctionnaire s'estimant lésée tente de faire valoir que [traduction] « cette évaluation est utilisée pour fonder une étape dans la procédure disciplinaire ». Toutefois, elle ne présente aucune preuve à l'appui de cette allégation et, en fait, elle démontre exactement le contraire. Mme Bratrud a admis qu'elle était très satisfaite de son nouveau poste. Elle n'a fait l'objet d'aucune mesure disciplinaire, sous quelque forme que ce soit. L'on ne peut accepter que la fonctionnaire s'estimant lésée conteste le témoignage de M. Mackowiak sur ce point, alors que la question n'a jamais été posée à ce dernier.

[83]    Me McGraw a soutenu que Mme Bratrud a été incapable d'établir que l'évaluation du rendement n'est rien d'autre qu'une [traduction] « évaluation critique de son rendement au travail ». Il n'y a eu aucune « autre » mesure disciplinaire, ni aucune preuve qu'une mesure disciplinaire s'ensuivrait.

[84]    Me McGraw a fait valoir que toutes les décisions citées par l'employeur correspondent encore à l'opinion générale de la Commission que les évaluations du rendement sont une forme légitime de critique constructive. La fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas établi que l'évaluation du rendement, qu'il s'agisse de l'évaluation initiale ou de l'évaluation révisée, contenait quelque élément que ce soit pouvant être interprété comme étant de nature disciplinaire.

[85]    Me McGraw a fait valoir que les décisions citées par la fonctionnaire s'estimant lésée ne s'appliquent pas au présent grief puisqu'elles n'entrent pas dans les cadres des décisions de la Commission. Elles portent clairement sur des conventions collectives différentes et mettent en cause des lois habilitantes différentes également, qui confèrent une compétence dans des circonstances différentes. De plus, dans l'affaire Domtar, supra, il était clair, à la lecture de la lettre de rendement en cause, que celle-ci allait être utilisée à des fins de mesures disciplinaires subséquentes puisqu'elle contenait la déclaration suivante : [traduction] « L'omission de maintenir en tout temps une norme élevée entraînera votre retrait du programme d'apprentissage ». L'évaluation du rendement de Mme Bratrud ne contient aucune déclaration du genre. La seule déclaration qui puisse se comparer serait celle qui indiquait ce que la fonctionnaire s'estimant lésée devait faire pour maintenir ou améliorer sa cote de rendement, ce qui n'est certes pas de nature disciplinaire. De plus, dans l'affaire Calgary Housing Authority, supra, une menace directe pesait sur l'emploi des employés ([traduction] « Si M. Nelson souhaite demeurer un employé de CHA »), et cette menace, la Commission a-t-elle souligné, était la raison pour laquelle elle en était arrivée à la conclusion que l'évaluation du rendement était de nature disciplinaire. De toute évidence, ce n'est pas le cas dans la présente affaire.

[86]    Me McGraw a fait valoir que la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas montré de quelle manière l'évaluation du rendement constituait une sanction pécuniaire; il s'agit là d'un élément essentiel à la compétence d'un arbitre. Même si l'employeur devait concéder, ce que, de toute évidence, il ne fait pas, que l'évaluation constituait une réprimande écrite, un arbitre des griefs ne serait pas compétent pour autant puisqu'il n'y a eu aucune sanction pécuniaire. Les allégations sur une crédibilité et une réputation minées, sur la perte d'une promotion et sur les difficultés à obtenir une mutation latérale, qui sont contredites par le témoignage de la fonctionnaire s'estimant lésée elle-même, ne confèrent pas à un arbitre compétence pour entendre la présente affaire.

[87]    Me McGraw a fait valoir que la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas réussi à s'acquitter de la charge d'établir que l'évaluation du rendement constitue une forme de mesure disciplinaire déguisée. Un arbitre n'est donc pas compétent pour se pencher sur le bien-fondé du grief sur ce point.

[88]    Me McGraw a soutenu que la déclaration de M. Eadie que l'employeur [traduction] « prétend que le grief ne concerne que l'évaluation du rendement » est trompeuse, puisque c'est précisément l'allégation qui est faite dans le grief. Toutes les allégations de la fonctionnaire s'estimant lésée concernant le milieu de travail sont accessoires au grief. Elles ne sont pertinentes que dans la mesure où elles aident l'arbitre à rendre une décision sur le fond de l'affaire.

[89]    Me McGraw a fait valoir que la fonctionnaire s'estimant lésée a été incapable de montrer dans quel sens l'évaluation du rendement constitue un acte de harcèlement. Il ne s'agit pas d'une véritable question d'interprétation. Il s'agit d'une question qui fait l'objet de la procédure de règlement des griefs, mais qui n'a pas été réglée à la satisfaction de la fonctionnaire s'estimant lésée. Toutefois, le fait que la question est arbitrable ne signifie pas en soi qu'elle peut être renvoyée à l'arbitrage.

Motifs de la décision

[90]    Mme Bratrud allègue que l'évaluation du rendement que lui a remise son superviseur, M. Mackowiak, est de nature disciplinaire et constitue un harcèlement au sens de la convention collective. L'employeur a soutenu qu'un arbitre de griefs n'est pas compétent pour entendre la présente affaire.

[91]    La compétence d'un arbitre à l'égard des griefs est prévue à l'article 92 de la LRTFP. Elle se limite à trois questions : l'interprétation ou l'application d'une disposition d'une convention collective, la mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, et un licenciement ou une rétrogradation visés à la Loi sur la gestion des finances publiques. Le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée soutient que je suis compétent au motif que l'évaluation constitue une mesure disciplinaire déguisée et qu'il y a eu manquement à la convention collective. Je me pencherai d'abord sur la prétention selon laquelle l'évaluation constitue une mesure disciplinaire déguisée.

[92]    La jurisprudence de la Commission est constante quant à la manière dont celle-ci traite les évaluations du rendement (voir Porter, Hassan, Veilleux et Ansari, supra. Bien qu'une évaluation du rendement puisse être assortie de conséquences financières, ces conséquences ne constituent pas une « sanction pécuniaire » au sens de la LRTFP.

[93]    Il incombe au fonctionnaire s'estimant lésé qui allègue l'existence d'une mesure disciplinaire déguisée d'en faire la preuve. En l'espèce, on n'a produit aucune preuve que l'évaluation du rendement était utilisée à des fins disciplinaires, que ce soit explicitement ou de manière déguisée. Un arbitre de griefs n'a pas le pouvoir de se pencher sur des réprimandes écrites, de sorte que, même si je retenais l'argument de M. Eadie que les commentaires contenus dans l'évaluation constituent une réprimande écrite, je ne serais pas compétent. Il convient également de noter que les conséquences financières découlant de l'évaluation initiale ont été réglées lorsque la cote générale a été modifiée, la nouvelle évaluation indiquant que la fonctionnaire en cause « répondait toujours aux attentes ». En conclusion, je conclus que le grief ne se rapporte pas à une mesure disciplinaire au sens de l'article 92 de la Loi.

[94]    En ce qui concerne la question de savoir si le grief porte sur l'interprétation ou l'application de la convention collective, la disposition de la convention qui interdit le harcèlement est libellée dans les termes suivants :

[Traduction]

41.01 L'Institut et l'Employeur reconnaissent le droit des employés de travailler dans un milieu libre de harcèlement sexuel et personnel et ils conviennent que le harcèlement ne sera pas toléré dans le lieu de travail. Pour l'application de la présente clause, le harcèlement s'entend notamment de l'abus de pouvoir.

[95]    Essentiellement, la fonctionnaire s'estimant lésée allègue dans son grief que l'évaluation du rendement elle-même constitue un abus de pouvoir par M. Mackowiak. L'article 92 de la LRTFP confère à l'arbitre de griefs la compétence de se pencher sur un grief qui porte sur l'interprétation d'une disposition d'une convention collective. Le grief renvoie clairement à cette disposition de la convention collective. Je conclus par conséquent que je suis compétent pour entendre cet aspect du grief, c'est-à-dire la question de savoir si l'évaluation du rendement est un manquement au droit de l'employé de « travailler dans un milieu libre de harcèlement personnel ».

[96]    Je suis d'accord avec l'avocat de l'employeur que le grief ne concerne que l'évaluation du rendement et que la preuve sur le milieu de travail n'est pertinente que dans la mesure où elle précise le contexte aux fins de trancher la question de fond, celle de savoir si l'évaluation constitue un abus de pouvoir. Les craintes de l'employeur que le fait de leur attribuer compétence amènera les arbitres de griefs à « réviser » les évaluations du rendement ne sont pas fondées. La portée limitée de l'enquête permet uniquement de déterminer si l'évaluation constitue un abus de pouvoir.

[97]    À l'audience, on a produit certains éléments de preuve sur les rapports qu'entretenaient la fonctionnaire s'estimant lésée et son superviseur, de même que sur le contenu de l'évaluation du rendement. Toutefois, les parties m'ont demandé de rendre une décision préliminaire sur la question de la compétence, et le témoignage visait clairement cette fin limitée. Pour cette raison, une audience sera reconvoquée pour permettre aux parties de produire des éléments de preuve supplémentaires se rapportant à l'allégation que l'évaluation du rendement constituait un abus de pouvoir et de présenter des observations sur cette question.

Divulgation de documents

[98]    L'employeur s'est opposé à l'assignation à produire pour deux motifs : il s'agit d'une recherche à l'aveuglette et la demande est assujettie à la disposition de la Loi sur le BSIF relative à la confidentialité. Je réglerai d'abord la question de la confidentialité.

[99]    L'importance de la confidentialité des renseignements financiers est largement reconnue. La disposition en cause de la Loi sur le BSIF indique clairement l'importance que le législateur accorde au maintien de la confidentialité des dossiers. Toutefois, cette disposition législative n'interdit pas complètement la production de documents et de renseignements qui sont en la possession et sous la maîtrise du BSIF :

[Traduction]

Il est bien établi que les renseignements confidentiels peuvent être visés par une assignation et produits en preuve sur l'ordonnance d'un tribunal. Selon la règle générale, bien que les renseignements soient confidentiels, ils doivent être produits, sauf s'il est satisfait au critère établi dans l'affaire Slavutych and Baker, supra. Le législateur aurait pu prévoir que les renseignements et les documents en question ici ne pouvaient être obtenus par la contrainte au moyen d'une assignation, mais, à mon avis, pour arriver à cette fin, il aurait fallu utiliser un langage précis en ce sens. (Transamerica Life Assurance, supra.)

[100]    L'arbitre de griefs a le même pouvoir qu'une cour supérieure d'archives pour ordonner la production des documents qu'il « estime indispensables pour mener à bien ses enquêtes et examens sur les questions de sa compétence » (alinéa 25 a) de la LRTFP).

[101]    Le critère à quatre volets visant à établir l'équilibre dans le cadre des allégations de confidentialité a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Slavutych c. Baker, supra :

  1. Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l'assurance qu'elles ne seraient pas divulguées.
  2. Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des relations entre les parties.
  3. Les relations doivent être de la nature de celles qui, selon l'opinion de la collectivité, doivent être entretenues assidûment.
  4. Le préjudice permanent que subiraient les relations par la divulgation des communications doit être plus considérable que l'avantage à retirer d'une juste décision.

[102]    Je conviens avec la cour dans l'affaire Transamerica Life Insurance, supra, qu'il est satisfait aux trois premières conditions dans ce cas-ci. Suivant la quatrième condition, il faut établir l'équilibre entre le préjudice qui risque d'être causé aux relations qu'entretient le BSIF avec les institutions financières, et les intérêts de la fonctionnaire s'estimant lésée. Cette dernière allègue que l'évaluation contient des renseignements inexacts sur le travail qu'elle a effectivement accompli au cours de l'année visée par l'évaluation. Sans les documents faisant état du travail qu'elle a accompli au cours de l'année visée par l'évaluation, il lui sera difficile d'établir le bien-fondé de ses arguments. La divulgation de ces documents peut être assortie de conditions qui peuvent protéger suffisamment les intérêts du BSIF et des institutions financières, tout en assurant à la fonctionnaire s'estimant lésée un accès à un nombre suffisant de documents pour établir ses prétentions.

[103]    La demande de documents présentée par la fonctionnaire s'estimant lésée ne constitue pas une « recherche à l'aveuglette ». Tous les documents demandés se rapportent au travail effectué par Mme Bratrud au cours de la période en question, et M. Eadie a précisé avec clarté l'objectif qui sous-tend la demande de divulgation de ces documents. Il a allégué que ceux-ci démontreront que l'évaluation était inexacte. Me McGraw a fait valoir qu'ils ne viendraient pas appuyer les arguments de la fonctionnaire s'estimant lésée. Interdire la divulgation pour cette raison reviendrait en fait à prendre une décision sur un aspect important des arguments de la fonctionnaire s'estimant lésée. La question de savoir si les documents établissent que l'évaluation du rendement était un abus de pouvoir forme un aspect important du bien-fondé du grief. Les arguments sur la pertinence de ces documents et le poids à leur accorder sont des questions qui devraient être abordées dans le cadre de l'audience sur le fond, après la production en preuve des documents.

[104]    Par conséquent, j'ordonne la divulgation des documents énumérés dans l'assignation datée du 27 août 2003, aux conditions suivantes :

  1. Les noms des institutions financières et toutes les marques en permettant l'identification seront dissimulés par le BSIF.
  2. Les noms des particuliers autres que les employés du BSIF seront dissimulés par le BSIF.
  3. Les documents, s'ils sont produits en preuve à l'audience, seront scellés et retournés au BSIF à l'expiration de la période dans laquelle il peut y avoir recours en contrôle judiciaire, ou au terme de tout recours en contrôle judiciaire.

[105]    La LRTFP crée une présomption en faveur de la tenue d'audiences auxquelles l'accès est autorisé. Toutefois, si les conditions ne permettent pas de protéger suffisamment le caractère confidentiel des renseignements en cause, je suis disposé à songer à tenir à huis clos les parties de l'audience au cours desquelles les documents seront divulgués. L'employeur pourra présenter une demande à cet effet à l'ouverture de l'audience s'il le souhaite, et j'entendrai les observations des parties à ce moment-là.

[106]    Le BSIF dispose d'un délai de deux semaines, à compter de la date de la présente décision, pour fournir les documents en question à la fonctionnaire s'estimant lésée.

[107]    Les parties seront avisées par la Commission des dates de continuation de l'audience.

Ian R. Mackenzie
commissaire

OTTAWA, le 16 février 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.