Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Mesure disciplinaire - Sanction pécuniaire - Alinéa 92(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) - Conflit d'intérêts - Acceptation d'un legs d'une ancienne cliente - Compétence assumée - Grief accueilli - le fonctionnaire s'estimant lésé, un avocat-conseil des pensions d'Anciens combattants Canada, a contesté l'ordre de l'employeur lui enjoignant de refuser un legs de 5 000 $ d'une ancienne cliente qu'il avait conseillée en sa capacité d'avocat-conseil des pensions, plusieurs années auparavant - l'employeur considérait l'acceptation d'un tel legs comme outrepassant les règles de la bienséance et contrevenant au Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique - l'employeur a contesté la compétence de l'arbitre, en faisant valoir qu'un ordre de refuser un legs ne constitue pas « une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire » - l'arbitre a rejeté cette objection, en optant pour une interprétation libérale de l'alinéa 92(1)b) de la LRTFP - à son avis, cette interprétation était conforme à l'objectif de la LRTFP et au principe des relations de travail qu'il faut obéir d'abord et présenter un grief ensuite - l'arbitre a jugé que l'ordre de l'employeur avait une « connotation disciplinaire » parce qu'il était basé sur une norme de conduite volontaire et de comportement convenable - l'ordre a aussi imposé au fonctionnaire s'estimant lésé une « sanction pécuniaire » parce qu'il lui enjoignait de renoncer à une somme à laquelle il aurait eu légalement droit - l'arbitre a conclu au fond que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait aucune connaissance préalable du legs, que celui-ci ne pouvait pas influer sur son jugement ni sur l'exercice de ses fonctions, et que la testatrice et sa succession n'auraient eu aucun rapport ultérieur avec le gouvernement sur cette question - les services du fonctionnaire s'estimant lésé à la testatrice avaient été fournis en 1996, et il ne savait pas qu'il avait été nommé légataire dans le testament en 2001 - l'arbitre a conclu que l'acceptation du legs dans ces circonstances ne compromettait pas l'intégrité du gouvernement et ne permettait pas de douter de l'objectivité ni de l'impartialité du fonctionnaire s'estimant lésé - il n'y avait donc pas de conflit d'intérêts réel, potentiel ou apparent dans les circonstances. Grief accueilli. Décisions citées :Vaughan c. Canada, 2003 CAF 76; Smith c. Conseil du Trésor décision de la CRTFP no 166-2-19902; Foreman c. Conseil du Trésor, 2003 CRTFP 73; Cochrane c. Conseil du Trésor, 2001 CRTFP 129; Johnson-Paquette c. Canada (Conseil du Trésor) [1998] A.C.F. 1741, confirmé par [2000] A.C.F. 441; AFPC c. Canada, 2002 CAF 239; Fraser c. CRTFP [1985] 2 R.C.S. 455; OPSEU et al. v. A.G. for Ontario et al., 41 D.L.R. 4th, 1.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-08-11
  • Dossier:  166-2-31792
  • Référence:  2004 CRTFP 111

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique




ENTRE

DANIEL ISRAEL ASSH

fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Anciens Combattants)


employeur



Devant:   Francine Chad Smith, c.r., commissaire

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  lui-même

Pour l'employeur :   Me Neil McGraw
Pierre Lapointe, agent principal des relations de travail, Anciens Combattants


Affaire entendue à Edmonton (Alberta),
le 11 septembre 2003.


[1]    La présente affaire porte sur la décision de l'employeur d'interdire au fonctionnaire s'estimant lésé, en vertu du Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique (le Code) du Conseil du Trésor, d'accepter un legs d'une ancienne cliente.

[2]    Le fonctionnaire s'estimant lésé soutient que la mesure prise par l'employeur est de nature disciplinaire et qu'il en a subi une sanction pécuniaire. Il demande une déclaration selon laquelle il a le droit d'accepter le legs.

[3]    L'avocat de l'employeur a soulevé une objection préliminaire, faisant valoir que la Commission n'est pas compétente pour se pencher sur le grief. Il soutient en effet que celle-ci tire sa compétence des articles 91 et 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la Loi) et que, aucune mesure disciplinaire n'ayant été imposée au fonctionnaire s'estimant lésé, la Commission n'est pas compétente pour entendre l'affaire.

[4]    J'ai refusé de me prononcer immédiatement sur la question de compétence, et j'ai entendu l'affaire. Pour cette raison, c'est dans ce contexte que j'analyserai la preuve telle qu'elle a été présentée et que je me pencherai sur les arguments relatifs à l'objection préliminaire.

Les faits

[5]    Les faits ne sont pas en litige. La documentation qui a été déposée auprès de la Commission à Ottawa contient le gros de l'information pertinente. Cependant, certains documents ont été produits en preuve, et l'avocat de l'employeur a appelé une personne à témoigner sur le contexte factuel et sur la question de fond. Cette personne est M. Rick MacLeod, avocat en chef des pensions au Bureau de services juridiques des pensions à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard).

[6]    M. MacLeod a témoigné que le Bureau de services juridiques des pensions existe depuis la première Guerre mondiale et qu'il a revêtu différentes formes au fil des ans. En 1972, le législateur a mis sur pied un régime permettant aux anciens combattants d'obtenir des conseils juridiques et des services de représentation indépendants. Ce régime est maintenant géré par le Bureau de services juridiques des pensions (le Bureau), qui aide les anciens combattants, les membres de l'armée et les agents de la GRC qui souffrent d'une invalidité à obtenir des prestations auxquelles eux-mêmes ou leurs familles peuvent avoir droit, en interjetant appel de décisions prises par le ministère des Anciens Combattants.

[7]    Le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Daniel Israel Assh, travaille depuis de nombreuses années à Anciens Combattants Canada, à titre d'avocat-conseil des pensions au Bureau de services juridiques des pensions d'Edmonton. Le 17 janvier 2002, M. Assh a déposé un grief libellé dans les termes suivants :

[Traduction]

Conformément à l'article 32 du « Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique » et à la convention collective à laquelle je suis assujetti, je conteste la décision, prise par M. Dan Fenety, de m'ordonner de ne pas accepter le legs mentionné en rubrique, décision qui m'a été communiquée dans une lettre datée du 11 janvier 2002.

[8]    Une lettre datée du 26 juin 2002, adressée à M. Elkin, directeur régional, Services juridiques des pensions, et soumise à l'employeur dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, expose les circonstances des rapports que le fonctionnaire s'estimant lésé a entretenus avec Mme Orn, la manière dont il a pris connaissance du legs et les mesures qu'il a prises initialement. Cette lettre est libellée dans les termes suivants :

[Traduction]

Pour situer le présent grief dans son contexte, je dois expliquer que, le 24 août 2001, j'ai reçu un message vocal du cabinet de James H. Odishaw, avocat et procureur, m'informant que j'étais un bénéficiaire dans la succession de feue Maria Orn. J'ai agi pour le compte de Mme Orn entre 1993 et 1996. De 1996 jusqu'à son décès, le 30 juillet 2001, je n'ai eu aucun contact avec elle.

Le 8 juillet 2001, soit 22 jours avant son décès et pendant qu'elle était hospitalisée, Mme Orn a signé un testament dans lequel elle me léguait la somme de 5 000 $.

[...]

Dans une lettre datée du 4 avril 2002, Me Odishaw m'a informé que mon nom n'avait été mentionné dans aucun des testaments de Mme Orn antérieurs à celui qui était daté du 8 juillet 2001.

[...]

Dès que j'ai appris que j'étais désigné à titre de bénéficiaire dans la succession de Mme Orn, j'en ai informé le jour même mon superviseur, [Kevin Elkin] [...], dans un courriel daté du 24 août 2001. [...] [M. Elkin] m'a renvoyé à John Gowdy, qui m'a donné conseil [...]. [Certains des conseils reçus de M. Gowdy reprenaient les directives formulées par M. Pierre Lapointe] :

Comme vous pouvez le constater, John, le fait d'accepter un legs d'un client décédé ou d'être nommé dans un testament ne crée pas une situation qui contrevient au Code. Cela étant dit, le fonctionnaire doit, cependant, se conformer à l'article 7 du portefeuille intitulé [traduction] « Directives destinées aux employés concernant les testaments et les successions de clients ».

Cet article est libellé dans les termes suivants :

[Traduction]

L'employé désigné à titre de bénéficiaire dans le testament d'un client doit en faire part immédiatement à l'« administrateur désigné », ainsi que le prévoit la politique sur les conflits d'intérêts et l'après-mandat, c.-à-d. au sous-ministre. Le processus relatif aux conflits d'intérêts applicable sera ensuite suivi.

À titre d'information, ces Directives peuvent être consultées en format Acrobat sous la rubrique Programmes destinés aux Anciens combattants/clients. Permettez-moi d'ajouter que l'administrateur désigné est le DGRH et non le S.-M.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à m'appeler.

Je me suis conformé à ces conseils, c'est-à-dire que, le 12 septembre 2001, j'ai déposé un rapport confidentiel concernant le legs.

[...]

Le 11 janvier 2002, j'ai reçu la décision susmentionnée de M. Fenety, directeur régional de la Division des ressources humaines. [...] Je conteste cette décision de M. Fenety m'ordonnant de ne pas accepter le legs de Mme Orn. J'aimerais vous informer que, le 1er février 2002, j'ai retourné un chèque de 5 000 $, daté du 11 février 2002, que j'ai reçu de la succession de Mme Orn. Me Odishaw a eu l'obligeance d'accepter de conserver les fonds dans le compte de la succession jusqu'à ce que mon grief soit réglé.

[9]    La première décision de l'employeur concernant le legs de Mme Orn est énoncée dans une lettre datée du 11 janvier 2002, rédigée par M. Fenety dans les termes suivants :

[Traduction]

M. Assh,

Pour faire suite à ma lettre du 14 décembre 2001, je vous écris en réponse au rapport confidentiel que vous avez rempli le 13 septembre 2001. Encore une fois, j'aimerais m'excuser du retard mis à vous répondre, mais, ainsi que je l'ai déjà mentionné, votre situation particulière était complexe et justifiait un examen soigné.

Après avoir examiné votre rapport confidentiel, j'en suis arrivé à la conclusion qu'accepter le legs de la succession de Mme Orn, ancienne cliente des Anciens Combattants Canada, maintenant décédée, contreviendrait au Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique, pour les motifs suivants :

  1. Entre 1993 et 1996, dans le cadre de l'exécution de vos fonctions à titre d'avocat-conseil des pensions, vous avez aidé Mme Orn à présenter une demande de pension de veuve, travail pour lequel vous avez touché une pleine rémunération sous forme de paie et d'avantages;

  2. Le Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique a pour objet d'accroître la confiance du public dans l'intégrité des employés et dans l'administration publique. Ce Code prévoit qu'il incombe à chaque employé de prendre les dispositions qui s'imposent pour éviter les conflits d'intérêts réels, potentiels ou apparents. L'alinéa 6 a) du Code stipule également que chaque employé doit exercer ses fonctions officielles et organiser ses affaires personnelles de façon à préserver et à faire accroître la confiance du public dans l'intégrité, l'objectivité et l'impartialité du gouvernement. En outre, l'alinéa 6 b) prescrit que chaque employé doit avoir une conduite si irréprochable qu'elle puisse résister à l'examen public le plus minutieux; pour s'acquitter de cette obligation, il ne lui suffit pas simplement d'observer la loi.

    Compte tenu de ces dispositions, si le public apprend qu'un legs a été accepté, sa perception de l'intégrité de la fonction publique risque d'être ternie et sa confiance dans l'administration publique, amoindrie. Par conséquent, non seulement les employés doivent-ils en fait agir avec intégrité, mais le public doit avoir l'impression qu'ils agissent avec intégrité;

  3. En ce qui concerne l'acceptation de cadeaux, l'alinéa 6 e) stipule que, mis à part les cadeaux, les marques d'hospitalité et les autres avantages d'une valeur minime, il est interdit à chaque employé de solliciter ou d'accepter les transferts de valeurs économiques, sauf s'il s'agit de transferts résultant d'un marché exécutoire ou d'un droit de propriété. La valeur du legs est bien supérieure à ce que l'on peut raisonnablement qualifier de cadeau d'une valeur minime. L'article 28 du Code énonce en outre les conditions qui doivent être réunies pour qu'un employé puisse accepter des avantages, stipulant qu'il est permis d'accepter de tels cadeaux ou avantages si ceux-ci :

a)     sont conformes aux règles de la bienséance, de la courtoisie ou de l'hospitalité;

b)     ne sont pas de nature à laisser planer des doutes quant à leur objectivité ou à leur impartialité;

c)     ne compromettent aucunement l'intégrité du gouvernement.

Accepter un legs de 5 000 $ ne peut raisonnablement être considéré comme étant conforme aux règles de la courtoisie. L'acceptation par les fonctionnaires de cadeaux et de legs offerts par des clients risque de laisser planer des doutes et de faire croire au public qu'il y a un prix à payer pour obtenir un traitement de faveur, ce qui compromet l'intégrité du gouvernement. Le public doit croire qu'un fonctionnaire offre les mêmes services à tous.

Compte tenu des motifs qui précèdent et en vertu des pouvoirs que le Code me confère, je dois vous ordonner de refuser le legs. Si vous avez reçu le montant légué de 5 000 $, vous devez en retourner immédiatement le plein montant à l'exécuteur testamentaire, puis m'informer par écrit que vous vous êtes conformé à cet ordre.

Si vous n'êtes pas d'accord avec ces mesures d'observation, vous avez le droit de présenter un grief en conformité avec l'article 32 du Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique.

Si vous avez besoin de précisions concernant cette affaire, veuillez communiquer avec Pierre Lapointe, Consultant du Portefeuille, Relations de travail, au (902) 566-8375.

En terminant, j'aimerais vous féliciter de m'avoir signalé l'existence du legs en question. Vous avez fait preuve d'honnêteté, d'intégrité et de professionnalisme.

Je vous prie d'accepter, Monsieur Assh, l'expression de mes sentiments distingués.

Dan Fenety
Directeur général
Ressources humaines [Anciens Combattants Canada]

[10]    Cette décision de M. Fenety a été maintenue à tous les paliers subséquents de la procédure de règlement des griefs.

[11]    M. MacLeod est celui qui a pris la décision au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Il a témoigné que l'employeur était convaincu que le fonctionnaire s'estimant lésé s'était bien conduit pendant toutes les périodes pertinentes et que ni son comportement, ni son intégrité n'étaient de quelque manière que ce soit mis en cause. Les réserves de l'employeur tenaient plutôt au montant du legs et à l'effet que celui-ci risquait d'avoir sur la perception du public à l'égard de l'administration publique fédérale.

Les arguments

La thèse du fonctionnaire s'estimant lésé

[12]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir que le Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique ne s'appliquait pas à sa situation. Le Code parle du client au temps présent, alors que Mme Orn a cessé d'être une cliente en 1996. À cet égard, le fonctionnaire s'estimant lésé a invoqué également le fait qu'il n'avait eu aucun contact avec la cliente depuis cette date et qu'il avait été désigné à titre de bénéficiaire pour la première fois dans le testament de Mme Orn daté du 8 juillet 2001.

[13]    Subsidiairement, si le Code s'applique, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir que les dispositions ont été mal interprétées et qu'elles ont été appliquées erronément à sa situation. Premièrement, le fonctionnaire s'estimant lésé a-t-il fait valoir, il est visé par l'exception énoncée à l'alinéa 6 e) parce que le legs prévu au testament est devenu un droit de propriété exécutoire au décès de Mme Orn. Deuxièmement, l'article 6 doit être lu dans le contexte de l'article 27, ce qui signifie qu'il est nécessaire que le legs risque d'avoir une influence sur l'exercice de ses fonctions. Comme il avait terminé son travail pour Mme Orn quelque cinq ans avant que le legs ait été fait, il n'y avait aucun risque que le legs ait une influence sur son jugement ou sur l'exercice de ses fonctions. Troisièmement, l'article 28 vient élargir l'effet de l'article 27 et, à cet égard, les faits de la présente affaire ne sont pas de nature à laisser planer un doute quant à l'objectivité ou à l'impartialité du fonctionnaire s'estimant lésé, ni ne compromettent l'intégrité du gouvernement, puisque le fonctionnaire s'estimant lésé n'a eu aucune interaction avec la testatrice après avoir achevé son travail pour elle (le legs ayant été fait quelque cinq ans après qu'il eut ses derniers contacts avec elle) et qu'il n'a pris connaissance du legs que quelque temps après son décès. C'est pourquoi l'employeur a commis une erreur en concluant soit qu'il y avait un conflit d'intérêts, soit qu'il pouvait y avoir perception qu'un conflit d'intérêt existait.

[14]    En dernier lieu, le fonctionnaire s'estimant lésé a invoqué la situation plus particulière de la testatrice. Elle était âgée de 91 ans et n'avait ni conjoint survivant, ni enfant. Compte tenu de ces faits, a-t-il fait valoir, le public ne serait pas outré s'il apprenait qu'elle avait fait un legs à un fonctionnaire qui l'avait aidé par le passé. À l'appui de sa thèse, le fonctionnaire s'estimant lésé a renvoyé à la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans une affaire portant sur des activités politiques [ Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, Marie Wilkinson, Edward E. Faulknor et Russell B. Smith c. Procureur général de l'Ontario et autres, [1987] 2 R.C.S. 2] relativement aux droits individuels des fonctionnaires, malgré l'examen auquel ils sont assujettis en raison du rôle qu'ils jouent.

[15]    En ce qui concerne la question de compétence, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir un argument à deux volets. Premièrement, le gouvernement fédéral n'a pas le droit de faire obstacle aux legs qui sont prévus dans un testament parce que les questions d'héritage et de testament sont assujetties à la compétence des provinces. Deuxièmement, les faits de la présente affaire relèvent précisément des dispositions de la Loi parce que, si le fonctionnaire s'estimant lésé avait accepté le legs, une mesure disciplinaire ou, à tout le moins, une enquête disciplinaire, s'en serait suivie, et parce que la décision de l'employeur entraînait à son égard une conséquence économique négative. Limiter l'interprétation de la loi en demandant au fonctionnaire s'estimant lésé de s'exposer d'abord à des mesures disciplinaires devant la Commission de manière que, à son tour, celle-ci ait le droit de revoir la question, serait irréaliste et ridicule car, dans un cas comme dans l'autre, les questions en litige demeurent les mêmes.

La thèse de l'employeur

[16]    L'avocat de l'employeur a reconnu que Mme Orn n'était plus une cliente; il a toutefois maintenu que cela n'avait aucune pertinence parce que le Code ne se limite pas, dans son application, aux seuls clients actuels ou à venir. À son avis, il est clair que le Code s'applique, car le fonctionnaire s'estimant lésé a signalé l'existence du legs en question. Ce qui est pertinent, c'est le fait que le seul contact que le fonctionnaire s'estimant lésé a eu avec la testatrice s'est produit dans le cadre de la relation qu'il a entretenue avec cette dernière en tant que cliente.

[17]    En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision de l'employeur d'interdire au fonctionnaire s'estimant lésé d'accepter le legs, l'avocat a convenu que le Code doit être examiné dans son intégralité. Ainsi, si l'on concluait que le Code ne s'applique pas parce que le legs ne risquait pas d'avoir une influence sur le fonctionnaire s'estimant lésé, une disposition comme l'article 28 ne serait pas prise en considération. À l'examen de l'article 28, on peut se rendre compte que d'autres facteurs doivent être pris en considération. Ces facteurs sont notamment l'importance et le caractère bienséant du cadeau ainsi que l'intégrité du gouvernement dans son ensemble.

[18]    Avec respect pour le fonctionnaire s'estimant lésé, l'avocat de l'employeur a indiqué clairement que l'employeur ne mettait pas son intégrité en doute. Sa réserve se rapportait plus que tout à deux faits clairs : premièrement, le fonctionnaire s'estimant lésé n'a rien fait de plus que de s'acquitter, envers la testatrice, de fonctions pour lesquelles il a été rémunéré sous forme de salaire; deuxièmement, son travail consiste à fournir des services d'avocat à des personnes vulnérables.

[19]    Par conséquent, tout en acceptant le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé s'est comporté de manière irréprochable en tout temps, l'employeur a des réserves sur le message que cette situation pourrait envoyer aux anciens combattants et au public - que le bon travail des avocats-conseils doit être récompensé. L'accent est mis sur la perception à l'égard de la fonction publique en général.

[20]    En ce qui a trait à la question de compétence, l'avocat de l'employeur soutient que c'est à la Cour fédérale du Canada qu'il convient de s'adresser aux fins d'un contrôle. Les dispositions de la Loi sont claires. Les articles 91 et 92 limitent la compétence de la Commission à celle d'examiner les conditions d'emploi lorsque les décisions en cause entraînent une mesure disciplinaire et une sanction pécuniaire. Aucun de ces motifs liés à la compétence ne se retrouve dans la présente affaire. L'avocat s'est fondé sur l'affaire Foreman (paragraphe 16), supra, et a signalé que cette affaire soulevait une question de discipline et qu'elle n'avait rien à voir avec l'interprétation de la convention collective. Le concept suivant lequel il faut « travailler maintenant et contester plus tard » ne s'applique pas à la présente situation, où la question en litige se rapporte à l'interprétation du Code, qui est formulé conformément à la Loi sur la gestion des finances publiques.

[21]    L'avocat a fait valoir qu'il incombait au fonctionnaire s'estimant lésé de démontrer que les conditions préalables (existence d'une mesure disciplinaire ou d'une sanction pécuniaire) étaient réunies dans ce cas-ci de manière à établir la compétence de la Commission. Il s'est dit d'avis également que, bien qu'un legs ait une conséquence sur le plan financier, la perte de celui-ci ne constitue pas une sanction pécuniaire.

[22]    En ce qui concerne l'argument du fonctionnaire s'estimant lésé concernant le fait que les questions de testament relèvent exclusivement de la compétence des provinces, l'avocat a invoqué la compétence exclusive du gouvernement fédéral de régir les conditions d'emploi des fonctionnaires fédéraux. À son avis, c'est là l'effet du Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique. Il n'a pas pour effet d'invalider le testament de la testatrice, mais uniquement d'empêcher le fonctionnaire s'estimant lésé d'accepter un legs prévu au testament en question.

Les questions en litige

[23]   
  1. La Commission des relations de travail dans la fonction publique possède-t-elle la compétence requise, aux termes des articles 91 et 92 de la Loi, pour examiner l'ordre que l'employeur a donné au fonctionnaire s'estimant lésé de refuser le legs fait par Mme Orn dans son testament?

  2. Si la Commission des relations de travail dans la fonction publique possède la compétence requise,

    1. quelle est la portée de cette compétence?

    2. comment le Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique doit-il être interprété et appliqué en l'instance?

    3. le fonctionnaire s'estimant lésé a-t-il le droit d'accepter le legs en question?

La décision

La compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

[24]    Les dispositions pertinentes de la Loi sont les articles 91 et 92, dont voici le texte :

Droit de déposer des griefs

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé :

a) par l'interprétation ou l'application à son égard :

(i) soit d'une disposition législative, d'un règlement -- administratif ou autre --, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,

(ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéa a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

(2) Le fonctionnaire n'est pas admis à présenter de grief portant sur une mesure prise en vertu d'une directive, d'une instruction ou d'un règlement conforme à l'article 113. Par ailleurs, il ne peut déposer de grief touchant à l'interprétation ou à l'application à son égard d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale qu'à condition d'avoir obtenu l'approbation de l'agent négociateur de l'unité de négociation à laquelle s'applique la convention collective ou la décision arbitrale et d'être représenté par cet agent.

(3) Le fonctionnaire ne faisant pas partie d'une unité de négociation pour laquelle une organisation syndicale a été accréditée peut demander l'aide de n'importe quelle organisation syndicale et, s'il le désire, être représenté par celle-ci à l'occasion du dépôt d'un grief ou de son renvoi à l'arbitrage.

(4) Le fonctionnaire faisant partie d'une unité de négociation pour laquelle une organisation syndicale a été accréditée ne peut être représenté par une autre organisation syndicale à l'occasion du dépôt d'un grief ou de son renvoi à l'arbitrage.

Arbitrage des griefs

Renvoi à l'arbitrage

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2) f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

(2) Pour pouvoir renvoyer à l'arbitrage un grief du type visé à l'alinéa (1) a), le fonctionnaire doit obtenir, dans les formes réglementaires, l'approbation de son agent négociateur et son acceptation de le représenter dans la procédure d'arbitrage.

(3) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet de permettre le renvoi à l'arbitrage d'un grief portant sur le licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

(4) Le gouverneur en conseil peut, par décret, désigner, pour l'application de l'alinéa (1) b), tout secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie II de l'annexe I.

[25]    La difficulté, dans la présente affaire, tient au libellé de l'alinéa 92(1) b) et, plus précisément, à la question de savoir si, compte tenu des faits, la décision de l'employeur constitue une « mesure disciplinaire entraînant [....] une sanction pécuniaire ». La décision de l'employeur a certainement entraîné une perte financière, bien que d'aucuns puissent soutenir que le legs était un avantage inattendu et se demander si l'interdiction d'accepter cet avantage équivaut à une sanction.

[26]    Dans le contexte de la jurisprudence arbitrale traditionnelle, la décision en cause ne serait pas considérée comme étant une forme particulière de mesure disciplinaire et, ce, même si la plupart des intervenants dans le domaine reconnaîtraient que la décision comporte un certain élément disciplinaire. À savoir qu'il est clair pour tous que, si le fonctionnaire s'estimant lésé avait choisi de ne pas tenir compte de la décision de l'employeur, il aurait fait l'objet d'une mesure disciplinaire. En outre, il est clair également que, si le fonctionnaire s'estimant lésé avait omis d'informer l'employeur du legs en question, il aurait très bien pu être visé par une mesure disciplinaire.

[27]    Il serait simple et, à vrai dire, facile d'accepter l'argument peu complexe de l'avocat de l'employeur et de conclure que l'expression en question requiert qu'une mesure disciplinaire soit imposée et que cette mesure disciplinaire ait entraîné une sanction pécuniaire traditionnelle pour l'employé, comme la perte de paie ou le paiement d'une somme d'argent. Cependant, étant donné les faits de la présente affaire et la conséquence financière qui en découle pour l'employé en cause, qui a consciencieusement et correctement exécuté ses fonctions et suivi la procédure applicable en signalant le legs conformément aux directives de son employeur, il paraît justifié d'entreprendre un examen complet de la question de compétence.

[28]    Je n'entreprends pas cet examen sans être conscient des contraintes de compétence que la loi impose aux arbitres et aux tribunaux. (Voir de manière générale les commentaires de la Cour d'appel fédérale dans des affaires comme Vaughan c. Canada [2003] A.C.F. no 241, 2003 CAF 76, (à partir du paragraphe 15 et incluant une discussion de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ocean Port Hotel, 2001 CSC 52)). Au paragraphe 19, la Cour d'appel fédérale a dit ceci :

L'intention du législateur est claire. Compte tenu du champ d'application du régime législatif et de la nature du litige (se rapportant directement à des questions d'emploi), l'article 91 de la LRTFP prévoit le recours exclusif. L'article 91 est en cause et l'appelant aurait pu y recourir, et il aurait été possible de se prévaloir du contrôle judiciaire prévu à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale [...] Le régime législatif peut écarter la compétence des tribunaux judiciaires leur permettant d'entendre la demande, mais il n'écarte pas la compétence de la Cour en matière de supervision dans le cadre d'un contrôle judiciaire. En particulier, les questions d'équité procédurale peuvent être examinées de plein droit dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision du décideur.

[29]    Si les droits d'un fonctionnaire ont été épuisés au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le seul droit qu'un fonctionnaire s'estimant lésé a de contester cette décision finale revêt la forme d'une demande de contrôle judiciaire.

[30]    Pour en revenir à la Loi, le paragraphe 96 (3) est important. Voici ce qu'il prévoit :

96. (3) Sauf dans le cas d'un grief qui peut être renvoyé à l'arbitrage au titre de l'article 92, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est finale et obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché.

[31]    Le paragraphe 21(1) est lui aussi pertinent :

Pouvoirs et fonctions de la Commission

21. (1) La Commission met en oeuvre la présente loi et exerce les pouvoirs et fonctions que celle-ci lui confère ou qu'implique la réalisation de ses objets, notamment en prenant des ordonnances qui exigent l'observation de la présente loi, des règlements pris sous le régime de celle-ci ou des décisions qu'elle rend sur les questions qui lui sont soumises.

(L'article 96.1 prévoit que les arbitres qui agissent sous le régime de l'article 92 détiennent tous les pouvoirs de la Commission, sauf le pouvoir réglementaire.)

[32]    Le recours à une approche libérale pour interpréter les expressions en question à l'alinéa 92(1) b) de la Loi permet-il à lui seul d'établir la compétence requise? Subsidiairement, ou en conjonction avec la question qui précède, peut-on dire de la Commission qu'elle « exerce les pouvoirs et fonctions que [la loi] lui confère ou qu'implique la réalisation de ses objets »?

[33]    L'article 92 ne dit pas expressément qu'un fonctionnaire doit avoir fait l'objet d'une mesure disciplinaire. L'expression « mesure disciplinaire » est utilisée. Il nous faut donc en déterminer le sens. Suivant la première règle d'interprétation, il faut donner aux termes leur sens clair et ordinaire. Le Random House Dictionary définit disciplinary (disciplinaire) comme ceci : [traduction] « qui découle de la discipline, qui vise à discipliner, ou qui constitue une discipline; qui promeut la discipline ». Il définit ensuite discipline dans les termes suivants :

[Traduction]

1. former à agir en conformité avec les règles; entraînement : discipline militaire. 2. instruction et exercice destinés à entraîner à adopter un comportement approprié [...]. 3. Punition infligée au moyen d'une correction et d'un entraînement. 4. L'effet de l'entraînement de l'expérience, de l'adversité, etc.: la dure discipline qu'impose la pauvreté. 5. Comportement obéissant aux règles de conduite; comportement et ordre maintenus au moyen d'un entraînement et d'un contrôle : bonne discipline dans une armée. 6. Une série ou un régime de règles et de règlements. [...]

[34]    Le terme sanction est défini par le Random House Dictionary dans les termes suivants :

[Traduction]

1. punition imposée ou subie pour manquement à la loi ou à une règle. 2. Perte, déchéance, souffrance ou autre chose semblable à laquelle une personne s'expose par l'inobservation d'une obligation. 3. Chose perdue, comme une somme d'argent. 4. Conséquence ou désavantage lié à une action, une condition, etc. [...]

[35]    Compte tenu de ces définitions, on peut dire que le libellé se rapportant à la compétence de la Commission à l'article 92 ouvre la porte à une interprétation libérale. En d'autres termes, il permet de conclure que la décision de l'employeur, selon laquelle l'acceptation du legs contreviendrait à la politique sur les conflits d'intérêts, est de nature disciplinaire, et donc que l'on peut dire qu'elle est une « mesure disciplinaire ». On peut aussi conclure que la mesure disciplinaire a entraîné une « sanction pécuniaire », car le fonctionnaire s'estimant lésé a dû renoncer à une somme d'argent à laquelle il aurait eu droit autrement, ou a perdu cette somme d'argent. On peut dire également que le Code est un ensemble de règles de comportement, destinées aux fonctionnaires, qui sont jugées nécessaires pour maintenir un degré acceptable d'intégrité et de respect - ou de discipline dans les rangs des fonctionnaires, pour l'employeur et, implicitement, pour le gouvernement qui est au pouvoir.

[36]    La question que nous devons ensuite trancher est celle de savoir s'il peut exister des raisons d'accepter cette approche générale ou, subsidiairement, de suivre l'approche plus prudente qui, d'après l'avocat de l'employeur, est celle qu'il convient d'adopter.

[37]    La Commission s'est penchée sur la question de la « mesure disciplinaire déguisée » dans les affaires Smith c. Conseil du Trésor (Affaires étrangères Canada) , CRTFP dossier 166-2-19902 (1991), Foreman c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada) , 2003 CRTFP 73, et Cochrane c. Conseil du Trésor (Santé Canada) , 2001 CRTFP 129.

[38]    Dans l'affaire Foreman, on a fait valoir que les mesures prises par l'employeur en vue de mettre un terme à l'affectation intérimaire du fonctionnaire s'estimant lésé et de laisser expirer la liste d'admissibilité applicable à un concours interne, constituaient des mesures disciplinaires déguisées ayant entraîné une sanction pécuniaire. Dans sa décision, le président, Yvon Tarte, a analysé dans les termes suivants la compétence de la Commission sous le régime de l'article 92 et la question de la mesure disciplinaire déguisée, aux paragraphes 16 à 18 :

[16]  En vertu de l'article 92 de la LRTFP, la compétence d'un arbitre est assez limitée et ne peut être élargie, même avec le consentement des parties. L'article 92 limite cette compétence à l'interprétation ou à l'application d'une convention collective, d'une part, et aux licenciements et à certaines mesures disciplinaires, d'autre part. L'agent négociateur n'a pas allégué qu'il y avait eu violation de la convention collective applicable au fonctionnaire s'estimant lésé. Il a plutôt prétendu que les mesures prises par l'employeur (c.-à-d. le défaut de renouveler l'affectation intérimaire et la décision de laisser expirer la liste d'admissibilité) constituent une mesure disciplinaire déguisée entraînant une sanction pécuniaire et un licenciement.

[17]  À mon avis, les actions (ou l'inaction) de l'employeur ne constituent pas un « licenciement » ou une « mesure disciplinaire » en vertu de l'article 92 de la LRTFP. En ce qui concerne la prétention relative au non-renouvellement de l'affectation intérimaire, précisons que la nomination était pour une période déterminée, qui a pris fin. En vertu de l'article 25 de la LEFP, le fonctionnaire a perdu sa qualité de fonctionnaire à l'expiration de cette période. Il existe une abondance de précédents étayant le principe selon lequel la décision de mettre fin à une affectation pour une période déterminée ne constitue pas un licenciement. La jurisprudence de la CRTFP comporte des décisions portant sur des licenciements à l'expiration d'une période déterminée comme dans les affaires Marinos (dossier de la Commission 166-2-27446), Hanna (dossier de la Commission 166-2-26983), Blackman (dossier de la Commission 166-2-27134), Lecompte (dossier de la Commission 166-2-28452) et Dansereau c. L'Office national du film et Pierre-André Lachapelle, [1979] 1 C.F. 100 (C.A.F.). Dans l'affaire Dansereau, la Cour d'appel fédérale en arrive à la conclusion suivante, aux pages 101 et 102 :

L'employé engagé pour un temps déterminé n'est pas mis à pied lorsque le terme de son engagement arrive à expiration, car si son emploi cesse à ce moment-là ce n'est pas en raison du manque de travail mais en vertu des termes mêmes du contrat d'engagement.

[18]    Je crois que cette décision s'applique aussi en l'espèce.

[39]    Dans l'affaire Smith, le commissaire R. Young a conclu que le retrait de la prime au bilinguisme de la paie du fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas de nature disciplinaire. Pour trancher la question en litige, le commissaire Young s'est attardé surtout à établir une distinction entre la mesure prise par la suite d'un comportement involontaire et la mesure prise par suite d'un comportement ou une faute volontaire. Se fondant sur l'analyse de l'arbitre en chef Joliffe dans l'affaire Robertson, dossier de la Commission 166-2-454, aux pages 14 à 17, le commissaire Young en est arrivé à la conclusion suivante :

[Traduction]

Par conséquent, puisque j'ai conclu que l'employeur n'avait aucun motif pour imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire et que j'accepte le témoignage de ce dernier comme quoi il n'avait pas volontairement échoué à ses examens de langue pour s'attirer une sanction, je dois également conclure que M. Smith n'a pas réussi à faire passer pour une mesure disciplinaire déguisée ce qui manifestement était une décision administrative.

[40]    Les affaires Foreman et Smith se distinguent l'une de l'autre sur le plan des faits. Bien que les deux fonctionnaires s'estimant lésés aient, en bout de ligne, subi une conséquence financière négative, aucune des deux affaires ne se rapportait à une question de discipline ou à une mesure disciplinaire puisque, dans ces affaires, les fonctionnaires s'estimant lésé n'étaient pas tenus de maintenir une norme mettant en cause un comportement volontaire se rapportant aux concepts du bien et du mal, de ce qui est approprié et de ce qui ne l'est pas, ou du comportement approuvé ou désapprouvé.

[41]    Bien qu'elle se rapproche davantage des faits de la présente affaire, l'affaire Cochrane peut néanmoins être distinguée par les faits qui lui sont propres, dont le fait que la question de la nature disciplinaire du comportement de l'employeur a été soulevée tard dans le cadre de la procédure. Dans cette affaire, le président, Yvon Tarte, a accepté la preuve de l'employeur selon laquelle la décision de ne pas rembourser les frais que le fonctionnaire s'estimant lésé avait engagés après qu'on lui eut ordonné d'abréger la croisière non autorisée sur laquelle il se trouvait et de retourner au travail, était de nature administrative et non disciplinaire. Il est néanmoins intéressant de noter que le président Tarte a cependant admis la possibilité que la décision de l'employeur puisse avoir été de nature disciplinaire.

[42]    Dans l'affaire Vaughan c. Canada, 2003 CAF 76, le juge suppléant Sexton a analysé les critères juridictionnels établis par la Cour suprême du Canada. Les passages les plus pertinents de cette analyse sont les suivants :

[7]    Pour déterminer si le régime de la LRTFP écarte en l'espèce sa compétence, la Cour doit se reporter aux critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Weber et Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360 (Regina Police Assn.). Comme il en a ci-dessus été fait mention, la Cour suprême du Canada a adopté comme critère le modèle de la compétence exclusive afin de déterminer si le législateur avait écarté la compétence de la Cour. Les critères se rapportant à l'application de ce modèle sont axés sur la nature centrale du litige et sur l'interprétation de la convention collective dans les cas où la convention collective s'applique ou, comme en l'espèce, sur l'interprétation du régime législatif.

[8]    Dans l'arrêt Weber, la Cour interprétait une convention collective. Mme le juge McLachlin (tel était alors son titre), au nom de la majorité, a souligné ce qui suit (aux paragraphes 51 et 52) :

Suivant ce modèle, la tâche qui consiste pour le juge ou l'arbitre à déterminer le tribunal approprié pour les procédures dépend de la question de savoir si le litige ou le différend qui oppose les parties résulte de la convention collective. Deux aspects doivent être considérés: le litige et le champ d'application de la convention collective.

Dans son examen du litige, l'instance décisionnelle doit tenter de définir l'[traduction] « essence » [...] Il s'agit, dans chaque cas, de savoir si le litige, dans son essence, relève de l'interprétation, de l'application, de l'administration ou de l'inexécution de la convention collective. [para. 51 et 52]

Le juge McLachlin a également souligné ce qui suit, au paragraphe 57 :

Il se peut que l'arbitre n'ait pas le pouvoir d'accorder la réparation requise. Le cas échéant, les tribunaux de compétence inhérente de chaque province peuvent alors assumer cette compétence. [...] Il faut donc éviter [...] la « privation réelle du recours ultime ».

[9]    La tâche, de déterminer le tribunal approprié dans l'affaire Weber, consistait à savoir si le litige ou le différend opposant les parties découlait de la convention collective. Au paragraphe 51, le juge McLachlin a déclaré que « deux aspects doivent être considérés: le litige et le champ d'application de la convention collective ». Elle n'a pas dit que la question de savoir si la partie a accès à un arbitre indépendant constitue une considération importante lorsqu'il s'agit d'appliquer ce critère. Comme l'a correctement dit Mme le juge Heneghan en appliquant l'arrêt Weber, au paragraphe 28 de la décision rendue en première instance dans le cas qui nous occupe [(2001), 213 F.T.R. 144 (C.F. 1re inst.)]:

[...] lorsque le litige, considéré dans son essence, résulte de l'interprétation de la convention collective, l'arbitre a compétence exclusive à l'égard du différend, comme le prévoit le texte de loi. Les différends qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective échappent donc aux tribunaux.

Par conséquent, les considérations pertinentes, selon l'arrêt Weber, sont la nature du litige et le champ d'application de la convention collective pertinente.

[10]    Dans l'arrêt Regina Police Assn. , la Cour a examiné la question de l'interprétation d'un régime législatif. M. le juge Bastarache a adopté le modèle de la compétence exclusive. Au paragraphe 25, il a dit qu'en déterminant si la Cour a compétence:

Après en avoir examiné le contexte factuel, l'instance décisionnelle doit tout simplement déterminer si l'essence du litige concerne une matière visée par la convention collective. Après avoir établi l'essence du litige, l'instance décisionnelle doit examiner les dispositions de la convention collective afin de déterminer si elle prévoit des situations factuelles de ce genre. [...] Si l'essence du litige découle expressément ou implicitement de l'interprétation, de l'application, de l'administration ou de l'inexécution de la convention collective, l'arbitre a compétence exclusive pour statuer sur le litige. [...]   

[11]    Dans l'arrêt Regina Police Assn. , la Cour a étendu la portée du critère relatif à la compétence en l'appliquant non seulement à l'interprétation de conventions collectives, mais aussi à l'interprétation de régimes législatifs (au paragraphe 39):

En résumé, le raisonnement qui sous-tend l'arrêt Weber, précité, est que les questions de compétence doivent être tranchées d'une manière qui soit conforme au régime législatif régissant les parties. Cette logique s'applique, qu'il s'agisse de choisir entre un tribunal et une instance décisionnelle créée par la loi ou entre deux organismes créés par la loi. La question clé dans chaque cas est de savoir si l'essence du litige, dans son contexte factuel, est expressément ou implicitement visée par un régime législatif. Pour statuer sur cette question, il convient de donner à la loi une interprétation libérale de façon à ce que l'attribution de compétence à une instance que n'avait pas envisagée le législateur ne porte pas atteinte au régime.

[12]    Il importe de souligner que dans le cas qui nous occupe, M. Vaughan soutient qu'il a le droit de recevoir les PRA dans le cadre du programme d'encouragement à la retraite anticipée, qui découle d'un règlement et non de la convention collective. Par conséquent, le litige se rapporte à l'interprétation ou à l'application d'un règlement, le Règlement no 2 sur le régime compensatoire, DORS/95-169 (le Règlement no 2) pris en vertu de la Loi sur les régimes de retraite particuliers, L.C. 1992, ch. 46, ann. I, et il tombe donc sous le coup du paragraphe 91(1) de la LRTFP.

[...]

[14]    La question clé dans ce cas-ci est de savoir si l'essence du litige relatif aux PRA, dans son contexte factuel, est expressément ou implicitement visée par un régime législatif. Le caractère du litige est enraciné dans le rapport d'emploi tel qu'il se rapporte aux prestations de retraite. Le litige, dans le cas de M. Vaughan, porte sur l'interprétation d'un règlement visé au sous-alinéa 91(1) a)(i) et il découle donc du régime législatif prévu au sous-alinéa 91(1) a)(i) de la LRTFP. Dans les décisions AFPC et Johnson-Paquette, la Cour a déjà statué qu'une fois qu'il est jugé que la nature essentielle du litige découle du sous-alinéa 91(1) a)(i), la compétence de la Cour est écartée. La compétence de la Cour est donc écartée en l'espèce.

[43]    Dans l'affaire Vaughan, la Cour d'appel fédérale est arrivée à la conclusion que l'appelant, ancien fonctionnaire fédéral qui demandait des prestations de retraite anticipée sous le régime d'une loi et d'un règlement fédéraux, n'avait pas le droit de faire valoir sa réclamation à la Cour fédérale, mais qu'il devait plutôt suivre la procédure énoncée à l'article 91 de la Loi parce que la loi avait pour effet d'écarter la compétence de la Cour.

[44]    Dans la présente affaire, le caractère du litige est enraciné dans le rapport d'emploi dans la mesure où il se rapporte au comportement acceptable des fonctionnaires tel qu'il est prévu au Code, qui est rédigé conformément à la Loi sur l'administration des finances publiques. En outre, il ne fait aucun doute que les manquements au Code sont susceptibles d'entraîner la prise de mesures disciplinaires par l'employeur. Il est donc évident que l'essence du litige procède de l'article 91 de la Loi. La question demeure donc celle de savoir si le législateur souhaitait que le processus de révision prenne fin au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, sous réserve évidemment d'un contrôle judiciaire par la Cour, ou s'il souhaitait plutôt qu'un arbitre soit compétent, en conformité avec la Loi, pour se pencher sur la question.

[45]    De toute évidence, les faits invoqués par les représentants de l'employeur qui ont pris la décision en cause dans la présente affaire étaient trop limités. Il est clair que l'employeur a omis de tenir compte du fait que le geste de bienfaisance de la testatrice ne reposait sur aucun objet naturel, qu'il a accordé beaucoup trop d'importance au legs de 5 000 $ au fonctionnaire s'estimant lésé compte tenu de la valeur de la succession et de l'absence de membres de la famille et de personnes à charge, que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a jamais été en mesure de prendre une décision dont la testatrice pourrait directement tirer profit, que cinq années s'étaient écoulées depuis qu'il avait eu ses derniers contacts avec elle, et que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pris connaissance du legs ou d'un legs proposé qu'après le décès de la testatrice.

[46]    En outre, tout en acceptant qu'il faut toujours prendre soin d'éviter ne serait-ce que l'impression que des fonctionnaires sont en conflit d'intérêts relativement au travail qu'ils accomplissent, l'employeur, bien qu'il ait été correctement motivé, a pu commettre une erreur en omettant de déterminer si l'acceptation de ce legs par le fonctionnaire s'estimant lésé donnait lieu à un conflit d'intérêts en soi ou au sens du Code.

[47]    Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas contesté le droit de l'employeur d'imposer des règles relatives au conflit d'intérêts, ni la politique ou le Code actuel. Il a simplement contesté l'interprétation et l'application du Code par l'employeur à la situation qui nous intéresse. Essentiellement, la question repose sur le rapport d'emploi et l'application de règles précises de comportement à un fonctionnaire compte tenu d'un ensemble de faits donnés. C'est exactement le genre de question sur laquelle les arbitres du travail se penchent régulièrement et fréquemment. Cependant, je crois comprendre qu'à eux seuls, ces faits ne confèrent pas la compétence nécessaire à un arbitre.

[48]    C'est l'objet du Code ainsi que le risque de ce qui se serait produit si le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas suivi l'ordre de l'employeur qui différencient la présente affaire des autres. Ainsi qu'il a été mentionné précédemment, si le fonctionnaire s'estimant lésé avait choisi de ne pas tenir compte de l'ordre qu'on lui avait donné de retourner le legs, son comportement aurait été considéré comme étant fautif, il aurait fort probablement été visé par une mesure disciplinaire, et son insistance sur le droit de conserver le legs aurait vraisemblablement entraîné son congédiement ou, à tout le moins, sa suspension. À cet égard, l'article 33 de la partie II du Code est clair. Il énonce les conséquences d'une inobservation :

33. Tout employé qui ne se conforme pas aux dispositions prescrites aux parties I et II s'expose à des mesures disciplinaires, y compris, le cas échéant, le congédiement.

[49]    Par ailleurs, l'article 32 prévoit ceci :

32. En cas de désaccord entre un employé et l'administrateur désigné quant aux dispositions à prendre pour se conformer au code, il faut suivre les procédures de grief établies.

[50]    Serait-il dans l'intérêt de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique que l'on interprète le libellé de l'article 92 étroitement et que l'on créé ainsi un précédent qui risque d'encourager les fonctionnaires à s'exposer d'abord à des mesures disciplinaires plutôt qu'à suivre les directives et à les contester par la suite? Cette dernière approche est contraire au principe bien établi et suivi en relations de travail, selon il est de mise de « travailler maintenant et [de] contester plus tard ». Ce principe profite aux employeurs car, ainsi, le travail se poursuit, ce qui accroît la productivité et réduit au minimum les pertes financières. Dans quelques cas rares, comme dans la présente affaire, pourquoi ne pourrait-il pas être considéré comme étant une raison valide de permettre aux fonctionnaires de tirer profit du droit, dans la procédure de règlement des griefs, au palier supplémentaire que constitue une audience devant un membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique?

[51]    Certes, en raison du libellé exprès de l'article 92, de telles questions ne peuvent être soumises à la Commission. Le libellé indique clairement que ce ne sont que les décisions d'importance suffisante du fait de leurs conséquences financières négatives qui peuvent être soumises à la Commission.

[52]    Pour en revenir aux règles générales d'interprétation, le fait qu'une exception à la règle selon laquelle il faut donner aux termes leur sens ordinaire s'applique lorsque cette interprétation entraîne un résultat absurde ou un résultat qui est incompatible avec la loi dans son ensemble, n'est pas sans importance.

[53]    Est-il raisonnable de conclure que le législateur souhaitait que les passages en question soient interprétés de manière restrictive? Dans l'affirmative, la décision de l'employeur devrait être maintenue, à moins que le fonctionnaire s'estimant lésé ne présente une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. La Cour fédérale est-elle l'instance à laquelle il convient de s'adresser pour faire examiner ce qui, fondamentalement, est un conflit de travail ordinaire - bien que l'employeur soit le gouvernement fédéral?

[54]    En première instance, dans l'affaire Johnson-Paquette c. Canada, [1998] A.C.F. no 1741, no de dossier de la Cour T-165-98, la Cour fédérale a conclu qu'elle n'était pas compétente pour entendre une action en responsabilité délictuelle instituée contre le gouvernement fédéral à titre d'employeur parce que la demanderesse n'avait pas épuisé toutes les étapes de la procédure de règlement des griefs prévue à la Loi et son droit à un contrôle judiciaire, qui en découle. La Cour d'appel fédérale a maintenu cette conclusion. Au paragraphe 7 de sa décision ([2000] A.C.F. no 441, no de dossier de la Cour A-729-98), le juge Noël, s'exprimant sur la décision rendue dans l'affaire Weber, a déclaré ceci :

[...] le libellé de la disposition pertinente dans l'arrêt Weber était l'un des trois motifs indépendants ayant conduit la Cour suprême à conclure que les procédures concomitantes n'étaient pas permises, les deux autres étant que :

(1) les lois en matière de relations de travail prévoient un code régissant tous les aspects des relations de travail, auquel on porterait atteinte si les parties avaient accès au tribunal comme juridiction concomitante auquel le législateur n'a pas attribué la tâche de se prononcer sur ces questions;

(2) l'accessibilité aux tribunaux comme juridictions concomitantes minerait le régime d'arbitrage exclusif qui est au coeur de toutes les lois canadiennes sur les relations de travail et empêcherait la résolution rapide et économique des litiges en matière de relations de travail.

[55]    Puis il a ajouté ceci aux paragraphes 8 à 11 :

Ces deux considérations de politique générale subsistent et demeurent applicables aux procédures de règlement des conflits de travail prévues dans la LRTFP. En outre, en ce qui concerne l'absence d'exclusions dans la LRTFP, la Cour suprême, dans l'arrêt Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l'Alliance de la fonction publique du canada, section locale 50057, relativement à une omission semblable contenue dans le Code canadien du travail, a déclaré :

Bien que la Loi ne prévoie pas expressément que le Conseil a compétence exclusive, elle indique que le Parlement avait en vue un Conseil relativement autonome et spécialisé et que les tribunaux ordinaires devraient faire preuve de retenue judiciaire devant ses décisions et ses ordonnances sous réserve seulement d'un contrôle conforme aux limites de la clause privative. Comme je l'ai déjà souligné, le Parlement a prescrit le devoir, la procédure d'arbitrage d'un manquement reproché, un large éventail de redressements et une clause privative qui protège le Conseil. On peut donc présumer qu'il a voulu que les tribunaux ordinaires ne jouent qu'un rôle limité, le cas échéant, dans le règlement des différends visés par la Loi.

[...]

L'intention du législateur d'exclure l'intervention des tribunaux dans les litiges en matière de relations de travail peut donc être formulée expressément ou ressortir implicitement. Lorsque, comme c'est le cas pour la LRTFP, le législateur a, au moyen d'une loi, adopté ce qui se veut manifestement un code complet applicable à la résolution des litiges en matière de relations de travail dans un secteur donné d'activité et a rendu l'issue des recours prévus dans la loi finale et obligatoire pour les personnes concernées, le fait de permettre le recours aux tribunaux ordinaires auxquels ces tâches n'ont pas été attribuées porterait atteinte au régime législatif. Pour donner effet à ces régimes, il faut considérer que le législateur a exclu le recours aux tribunaux ordinaires.

En vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale, la Section de première instance de la Cour a compétence dans les cas de demande de réparation contre la Couronne «[s]auf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi». À mon avis, le juge des requêtes a à bon droit conclu dans la présente affaire que la LRTFP prévoit le contraire.

[56]    Par la suite, dans l'affaire Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor) , 2002 CAF 239, le juge en chef Richard a rendu une décision à l'audience dans les termes suivants :

[3]    Comme l'a fait remarquer le juge des requêtes, l'exhaustivité des mécanismes prévus dans la LRTFP pour le règlement des différends liés à l'emploi entre les employés de la fonction publique fédérale et leur employeur a été confirmée par notre Cour dans l'arrêt Johnson-Paquette c. Canada, [2000] 253 N.R. 305, [2000] A.C.F. no 441 (C.A.).

[57]    Bien que la Cour d'appel fédérale ait noté que la question d'équité peut être traitée dans le contexte d'un contrôle judiciaire (Vaughan c. Canada), à mon avis, l'instance la mieux placée pour réviser à nouveau la décision prise au dernier palier de la procédure de règlement des griefs est celle qui a été créée pour se pencher sur des questions disciplinaires importantes comportant un élément de perte financière, comme c'est le cas de la présente question en litige. Cette instance revêt la forme d'une audience aux termes des articles 91 et 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. L'interprétation libérale du passage « mesure disciplinaire entraînant [...] une sanction pécuniaire » à l'article 92, seule ou en conjonction avec le paragraphe 21(1), confère à mon avis la compétence requise. Je m'appuie également, pour tirer cette conclusion, sur le paragraphe 39 de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Regina Police Association, [2000] 1 R.C.S. 360, où le juge Bastarache a déclaré qu'« il convient de donner à la loi une interprétation libérale de façon à ce que l'attribution de compétence à une instance que n'avait pas envisagée le législateur ne porte pas atteinte au régime ». (Le juge Sexton, de la Cour d'appel fédérale, a explicité cet argument dans l'affaire Vaughan c. Canada, et s'est fondé sur celui-ci).

[58]    Voir aussi la décision du juge suppléant Sexton dans l'affaire Vaughan, aux paragraphes 14 à 17. Au paragraphe 14, il est arrivé à la conclusion que la nature essentielle du conflit dont il était saisi avait pris naissance sous le régime du sous-alinéa 91(1) a)(i) de la LRTFP et que, par conséquent, la compétence de la Cour était exclue. Puis, au paragraphe 17, invoquant la décision de la Cour suprême dans l'affaire Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), supra, il a conclu ceci :

[Traduction]

Le fait que la loi ne prévoit pas le recours à un arbitre indépendant ne doit pas entrer en ligne de compte pour déterminer l'intention du législateur. L'examen de la législation elle-même ainsi que de la nature du litige lui-même sont les facteurs déterminants.

[59]    Dans l'affaire qui nous intéresse, je souligne encore une fois que ma conclusion que la Commission possède la compétence requise en l'espèce ne repose pas uniquement sur la nature du conflit qui relève des limites de l'article 91 de la Loi. J'ai conclu aussi qu'il avait été satisfait en outre à la condition juridictionnelle requise aux fins de la tenue d'une audience devant un arbitre prévue au sous-alinéa 92(1) b)(i), après avoir conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé avait été visé par une « mesure disciplinaire entraînant [...] une sanction pécuniaire ».

Le domaine d'application de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

[60]    En concluant que l'arbitre visé par la Loi est compétent pour entendre la présente affaire, je demeure conscient du fait que le rôle des arbitres de différends et celui des arbitres de griefs ne consistent pas à gérer le lieu de travail. Donc, l'examen de la présente affaire n'entraînerait pas simplement une nouvelle audition dans le cadre de laquelle l'arbitre pourrait faire prévaloir son opinion à l'égard de ce que la décision aurait dû être. Il ne nous appartient pas de gérer le lieu de travail. En revanche, il nous incombe de maintenir les droits des employés, dont celui, plus fondamental, à un traitement équitable.

[61]    Le concept du traitement équitable englobe celui suivant lequel les décideurs doivent prendre en considération tous les faits pertinents qui se rapportent à une question en litige, laisser de côté les faits qui ne sont pas pertinents, et appliquer leurs politiques et leurs codes de conduite de manière juste et raisonnable.

Interprétation et application du Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique

[62]    L'employeur, Conseil du Trésor du Canada, a créé le Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique. Le Code contient cinquante articles et une annexe. Bien que les objectifs du Code puissent être faciles à comprendre, l'application de ses dispositions à des situations données n'est pas aussi évidente. Néanmoins, ainsi qu'il a été mentionné précédemment, l'article 33, de la partie II du Code, énonce clairement les conséquences de l'inobservation.

33. Tout employé qui ne se conforme pas aux dispositions prescrites aux parties I et II s'expose à des mesures disciplinaires, y compris, le cas échéant, le congédiement.

[63]    La Partie I porte sur les principes et l'administration, tandis que la partie II porte sur les mesures d'observation régissant les conflits d'intérêts. Les deux parties s'appliquent au fonctionnaire s'estimant lésé.

[64]    Les articles 4, 5 et 6 du Code énoncent l'objet du Code, son application et les principes qui le sous-tendent, tandis que les articles 7 et 8 se rapportent respectivement à l'attestation et à la revue des obligations qu'impose le Code. Ces articles sont reproduits ci-après :

PARTIE I

PRINCIPES ET ADMINISTRATION

Objet

4. Le présent code a pour objet d'accroître la confiance du public dans l'intégrité des employés et dans l'administration publique fédérale :

a) tout en encourageant les personnes qui possèdent l'expérience et les compétences requises à solliciter et à accepter une charge publique;

b) tout en facilitant les échanges entre les secteurs privé et public;

c) en établissant à l'intention de tous les employés des règles de conduite claires au sujet des conflits d'intérêts et de l'après-mandat; et

d) en réduisant au minimum les possibilités de conflit entre les intérêts personnels des employés et leurs fonctions officielles, et en prévoyant les moyens de régler de tels conflits, le cas échéant, dans l'intérêt public.

Champ d'application

5. Conformément aux principes énoncés ci-après, il incombe à chaque employé de prendre les dispositions qui s'imposent pour éviter les conflits d'intérêts réels, potentiels ou apparents. Les employés sont également tenus de se conformer aux lignes de conduite prescrites dans les lois qui régissent le ministère dont ils font partie, ainsi qu'aux dispositions pertinentes des lois de portée plus générale, telles que le Code criminel, la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

Principes

6. Chaque employé doit se conformer aux principes suivants :

a) il doit exercer ses fonctions officielles et organiser ses affaires personnelles de façon à préserver et à faire accroître la confiance du public dans l'intégrité, l'objectivité et l'impartialité du gouvernement;

b) il doit avoir une conduite si irréprochable qu'elle puisse résister à l'examen public le plus minutieux; pour s'acquitter de cette obligation, il ne lui suffit pas simplement d'observer la loi;

c) il ne doit pas conserver d'intérêts personnels, autres que ceux autorisés par le présent code, sur lesquels les activités gouvernementales auxquelles il participe pourraient avoir une influence quelconque;

d) dès sa nomination, et en tout temps par la suite, il doit organiser ses affaires personnelles de manière à éviter les conflits d'intérêts réels, potentiels ou apparents; l'intérêt public doit toujours prévaloir dans les cas où les intérêts du titulaire entrent en conflit avec ses fonctions officielles;

e) mis à part les cadeaux, les marques d'hospitalité et les autres avantages d'une valeur minime, il lui est interdit de solliciter ou d'accepter les transferts de valeurs économiques, sauf s'il s'agit de transferts résultant d'un marché exécutoire ou d'un droit de propriété;

f) il lui est interdit d'outrepasser ses fonctions officielles pour venir en aide à des personnes, physiques ou morales, dans leurs rapports avec le gouvernement, lorsque cela peut donner lieu à un traitement de faveur;

g) il lui est interdit d'utiliser à son propre avantage ou bénéfice des renseignements obtenus dans l'exercice de ses fonctions officielles et qui, de façon générale, ne sont pas accessibles au public;

h) il lui est interdit d'utiliser directement ou indirectement les biens du gouvernement, y compris les biens loués, ou d'en permettre l'usage à des fins autres que les activités officiellement approuvées; et

i) à l'expiration de son mandat, il a le devoir de ne pas tirer un avantage indu de la charge publique qu'il a occupée.

Document d'attestation

7. Avant ou au moment d'assumer leurs fonctions officielles, les employés doivent signer un document attestant qu'ils ont lu et compris le code et qu'ils s'engagent, comme condition d'emploi, à l'observer. Les employés nommés avant l'entrée en vigueur du code devront signer le document au plus tard le 1er janvier 1986.

Revue annuelle

8. Tous les employés doivent revoir au moins une fois l'an les obligations que leur impose le code.

[65]    L'article pertinent de la partie I est l'alinéa 6e), reproduit précédemment. Les articles de la partie II qui sont pertinents sont les articles 27 à 29, dont voici le texte :

Cadeaux, marques d'hospitalité et autres avantages

27. Les employés doivent refuser tout cadeau, marque d'hospitalité ou autre avantage qui risque d'avoir une influence sur leur jugement ou l'exercice de leurs fonctions officielles. Il est interdit aux employés d'accepter directement ou indirectement un cadeau, une marque d'hospitalité ou un avantage, offert par une personne, un groupe ou un organisme qui entretient des rapports avec le gouvernement.

28. Cependant, les employés peuvent, à l'occasion d'activités liées à leurs fonctions officielles, accepter des cadeaux, des marques d'hospitalité ou d'autres avantages d'une valeur peu importante, si ceux-ci :

a) sont conformes aux règles de la bienséance, de la courtoisie ou de l'hospitalité;

b) ne sont pas de nature à laisser planer des doutes quant à leur objectivité ou à leur impartialité;

c) ne compromettent aucunement l'intégrité du gouvernement.

29. Lorsque les employés se voient dans l'impossibilité de refuser un cadeau, une marque d'hospitalité ou un autre avantage non autorisé, ils doivent le signaler immédiatement à l'administrateur désigné. Ce dernier peut exiger qu'un cadeau de ce genre soit conservé par le ministère ou soit cédé à des fins charitables.

[66]    L'alinéa 6 e) interdit à l'employé de solliciter ou d'accepter les transferts de valeurs économiques, sauf s'il s'agit de transferts résultant d'un marché exécutoire ou d'un droit de propriété. Toutefois, il prévoit également que les « cadeaux, les marques d'hospitalité et les autres avantages d'une valeur minime » sont ou peuvent être acceptables. Cette question est traitée plus particulièrement à l'article 28. Il y a cependant un problème, qui tient au fait que le libellé d'exception utilisé à l'alinéa 6 e) diffère du libellé utilisé à l'article 28. L'alinéa 6 e) paraît interdire à l'employé, comme au fonctionnaire s'estimant lésé en l'espèce, d'accepter un avantage dont la valeur est plus que minime. Je ne suis pas disposé à conclure, dans la présente affaire, que la somme de 5 000 $ est d'une valeur minime. Néanmoins, cette question est peut-être sans importance, puisque, au décès de la testatrice, le legs est devenu un droit de propriété exécutoire du fonctionnaire s'estimant lésé, et le transfert de la somme de 5 000 $ au fonctionnaire s'estimant lésé serait effectué en conformité avec ce droit de propriété.

[67]    En ce qui concerne l'article 27, l'avantage en cause prenant effet au décès seulement de la testatrice et le fonctionnaire s'estimant lésé ayant auparavant ignoré l'existence du legs, je conclus que celui-ci ne risquait pas d'avoir une influence sur le jugement du fonctionnaire s'estimant lésé ou sur l'exercice de ses fonctions officielles. En outre, la testatrice ne pouvait avoir, après son décès, aucun contact avec le gouvernement, et il n'y a aucune preuve ni aucune indication que sa succession pouvait en avoir.

[68]    Pour ce qui est de l'article 28 et des faits propres à la présente affaire, la somme d'argent en cause est de 5 000 $. L'article 28 permet l'acceptation de « cadeaux [...] ou d'autres avantages », à condition qu'il soit satisfait aux trois conditions préalables énoncées aux alinéas a), b) et c). Il ne fait aucun doute que, du fait du seul montant en cause, le legs n'est pas conforme aux règles ordinaires de la courtoisie ni aux marques ordinaires de l'hospitalité dont il est question à l'alinéa 28 a). Toutefois, l'alinéa 28 a) utilise le disjonctif « ou », ce qui signifie que, si le legs relève de l'un des trois énoncés descriptifs de cette disposition, il satisfera à l'alinéa 28 a). Compte tenu du fait que la somme d'argent était un legs, il faut prendre en considération un certain nombre de facteurs pour déterminer si la somme de 5 000 $ est « conforme aux règles de la bienséance ». Avant de me pencher sur cette question, cependant, il convient d'examiner le legs à la lumière des alinéas 28 b) et c).

[69]    Aux termes de l'alinéa 28 b), le legs ne doit pas être « de nature à laisser planer des doutes quant à [l']objectivité ou à [l']impartialité » de l'employé. Le legs ne prend effet qu'au décès de la testatrice. À ce moment-là, il n'y a aucune preuve, ni même une indication que le fonctionnaire s'estimant lésé serait en mesure d'agir, dans le cadre de son emploi, d'une manière dont la testatrice ou une autre personne désignée par cette dernière pourrait tirer profit. Bien que la thèse de l'employeur, selon laquelle une personne comme la testatrice, après avoir été une cliente du fonctionnaire s'estimant lésé et du ministère, demeure une cliente pour toujours, puisse être juste dans ces circonstances, il demeure néanmoins que le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé a pour la dernière fois fourni des services à la testatrice en 1996, soit quelque cinq ans avant qu'elle eut rédigé son testament, et qu'il n'a eu aucun contact avec elle depuis cette date, est important et significatif. Le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait été désigné à titre de bénéficiaire dans aucun testament antérieur, qu'il a été désigné à ce titre dans le testament daté du 8 juillet 2001, et qu'il l'ignorait jusqu'à ce que le procureur et exécuteur testamentaire de la testatrice l'en informe au cours d'un appel téléphonique le 24 août 2001, revêt également de l'importance. Compte tenu de ce qui précède, j'ai conclu que la nature du legs, y compris la date à laquelle il a été fait, et le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé avait depuis longtemps terminé son travail pour la testatrice, qu'il avait fermé son dossier et qu'il n'avait eu aucun contact avec elle depuis lors, ne sont pas de nature à laisser planer des doutes quant à l'objectivité ou à l'impartialité du fonctionnaire s'estimant lésé. Par conséquent, il est satisfait à la condition préalable énoncée à l'alinéa 28 b).

[70]    Aux termes de l'alinéa 28 c), le legs ne doit « compromett[re] aucunement l'intégrité du gouvernement ». Me fondant encore une fois sur tous les faits analysés dans le paragraphe précédent, j'en suis arrivée à la conclusion que le legs ne compromettrait aucunement l'intégrité du gouvernement. Il satisfait par conséquent à la condition préalable énoncée à l'alinéa 28 c). À cet égard, j'ai pris en considération les décisions de la Cour suprême du Canada dans les affaires Neil Fraser c. Commission des relations de travail dans la fonction publique [1985] 2 R.C.S. 455, et Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, Marie Wilkinson, Edward E. Faulknor et Russell B. Smith c. Procureur général de l'Ontario et autres, 41 D.L.R. (4th) 1, concernant l'obligation d'établir l'équilibre entre les droits des fonctionnaires à titre d'individus et les atteintes nécessaires à ces droits en raison de la nature de leur emploi.

[71]    Dans l'affaire Fraser, le juge en chef Dickson a commencé sa décision à la page 457 dans les termes suivants :

Un arbitre commet-il une erreur de droit, aux fins de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale [...] lorsqu'il confirme le renvoi d'un fonctionnaire fédéral qui a très sévèrement critiqué le gouvernement? Cette question porte principalement sur le juste équilibre juridique entre (i) le droit d'une personne, à titre de membre de la société démocratique canadienne, de s'exprimer librement et sans réserve sur des questions importantes de nature publique et (ii) le devoir d'une personne, en tant que fonctionnaire fédéral, de remplir correctement ses fonctions à titre d'employé du gouvernement du Canada.

[72]    Essentiellement, la Cour suprême est arrivée à la conclusion que les droits fondamentaux des individus qui occupent des postes de fonctionnaires ne devaient pas être limités de manière arbitraire, tout en reconnaissant que la nature de la fonction publique impose effectivement à leur égard certaines restrictions qui sont justifiées par « l'intérêt du public vis-à-vis de l'impartialité réelle et apparente de la fonction publique ». (Voir Fraser, à la page 470.)

[73]    En ce qui concerne, maintenant, la question de savoir si le legs satisfait à la troisième condition préalable énoncée à l'alinéa 28 a), à savoir s'il est conforme « aux règles de la bienséance », le point de départ de l'analyse doit être la nature du « cadeau » ou de l'« avantage ». Parce qu'il s'agit en l'espèce d'un legs testamentaire, le montant de ce legs n'est pas en soi aussi important. Il doit être soupesé au regard de facteurs pertinents comme la valeur de la succession; le caractère raisonnable de l'ensemble des legs en ce qui a trait aux montants en cause, aux personnes à charge et aux personnes à charge potentielles; les droits ou les contestations; et les objets naturels ou anticipés de l'affection de la testatrice. Je n'ai aucune liste des biens qui forment la succession, mais étant donné les legs prévus au testament, on peut raisonnablement supposer que la succession est suffisamment importante pour conclure que le legs fait au fonctionnaire s'estimant lésé est conforme aux règles de la bienséance, et qu'il satisfait donc à la condition énoncée à l'alinéa 28 a). La somme n'est pas exorbitante, et elle paraît raisonnable compte tenu de la gamme de bénéficiaires désignés dans le testament. Le conjoint de la testatrice est décédé avant elle, et le couple n'avait aucun enfant. Dans son testament, la testatrice a démontré un certain intérêt à offrir des avantages à un large éventail de bénéficiaires, y compris à un neveu et à son épouse, qui devaient toucher la somme de 50 000 $, à une petite-nièce et à son conjoint, qui devaient recevoir 45 % du reliquat de la succession, à des organismes de bienfaisance, à une bibliothèque, à des amis et à une personne, comme le fonctionnaire s'estimant lésé, pour qui elle ressentait une certaine affection ou qu'elle appréciait. Ce type de testament n'est pas inhabituel.

[74]    Mes conclusions relatives à une partie ou à l'ensemble des conditions préalables énoncées à l'article 28 auraient pu être fort différentes si les faits avaient indiqué que le fonctionnaire s'estimant lésé avait adopté un comportement indiquant ou démontrant qu'il avait exercé une influence indue sur la testatrice, ou qu'il avait par ailleurs adopté à l'égard de cette dernière un comportement inconvenant dans le cadre de son emploi ou à l'extérieur de celui-ci. Il est essentiel que les fonctionnaires qui fournissent des services à des personnes qui sont sensibles ou peuvent être sensibles à l'influence d'autrui agissent avec la plus grande rigueur. Je crois que l'employeur avait tout à fait raison de craindre l'impression que le grand public aurait s'il apprenait qu'un avocat-conseil des pensions, un avocat, avait été bénéficiaire dans le testament d'une cliente. De manière générale, je partage son inquiétude à cet égard. Cependant, compte tenu de l'ensemble des faits, il est clair qu'il n'y a rien eu de fautif ni même de douteux dans le comportement du fonctionnaire s'estimant lésé à l'égard de la testatrice. En outre, le fonctionnaire s'estimant lésé ne s'attendait pas à ce que la testatrice ait pu songer à le nommer bénéficiaire dans son testament, ni ne fondait-il d'espoir à cet égard.

Le droit du fonctionnaire s'estimant lésé d'accepter le legs en question

[75]    Le fonctionnaire s'estimant lésé s'est comporté de manière louable lorsqu'il a été informé du legs. Il a considéré la responsabilité qu'il avait à l'égard de son employeur, signalé la situation dans les plus brefs délais, puis retourné le chèque à l'exécuteur testamentaire lorsqu'on lui en a fait la demande.

[76]    Étant donné que le testament de la testatrice n'a pas été contesté et que cette dernière paraît avoir eu clairement l'intention d'avantager certaines personnes et certaines causes, il n'était pas inconcevable qu'elle se rappelle avoir obtenu l'aide du fonctionnaire s'estimant lésé et qu'elle souhaite lui léguer quelque chose. La bienséance du comportement du fonctionnaire s'estimant lésé n'a, à aucun moment, été mise en doute, et le fait que la testatrice lui a légué quelque chose indique qu'elle a apprécié la manière dont il l'a aidée. Il ne convient pas de refuser arbitrairement à nos fonctionnaires, qui accomplissent leur travail conformément à ce que l'on attend d'eux et qui, dans certains cas, offrent un service de qualité supérieure, les marques indépendantes d'appréciation du public, plus particulièrement dans un cas comme celui qui nous intéresse, où la question de savoir si le fonctionnaire s'estimant lésé était en mesure d'offrir un avantage à la testatrice ou d'agir de manière impartiale à son égard dans le cadre de son emploi, que ce soit intentionnellement ou non, ne se posait pas.

[77]    En arrivant à cette conclusion, j'ai aussi pris en considération le fait que ce genre de situation ne paraît pas être endémique au sein du ministère ou de l'employeur en général. Si c'était le cas, d'autres considérations pourraient entrer en ligne de compte.

[78]    Il est maintenant temps, après avoir examiné certaines dispositions du Code, dont celles qui en énoncent les objectifs, de prendre un certain recul pour déterminer ce en quoi consiste essentiellement la présente affaire.

[79]    Un fonctionnaire a exécuté ses fonctions d'une manière acceptable, voire louable. Cinq ans après qu'il eut mis fin à ses contacts avec une cliente âgée, cette dernière l'a inclus dans son testament. Ce n'est qu'un mois après le décès de la cliente que le fonctionnaire a appris l'existence du legs. Ces faits créent-ils un conflit d'intérêts réel, potentiel ou apparent? Et, plus important encore, créent-ils un conflit d'intérêts réel, potentiel ou apparent sous le régime du Code régissant les conflits d'intérêt et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique de l'employeur?

[80]    À mon avis, il y a lieu de répondre à ces deux questions par la négative. Bien que je comprenne que les représentants de l'employeur ont à juste titre tenté de protéger les intérêts du gouvernement, je suis d'avis que la décision prise n'était ni juste, ni raisonnable, parce qu'ils n'ont pas pris en considération tous les faits pertinents, dont le droit du fonctionnaire s'estimant lésé à titre d'individu, et qu'ils se sont attardés excessivement au montant du legs, sans égard au contexte dans lequel celui-ci a été fait.

[81]    Ayant déjà conclu qu'un arbitre est compétent pour entendre le grief, je maintiens celui-ci, et le fonctionnaire s'estimant lésé a le droit d'accepter le legs en question.

Francine Chad Smith, c.r.,
commissaire

FAIT le 11 août 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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