Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Licenciement (motif disciplinaire) - Insubordination - Dossier disciplinaire - Incident important - Facteurs atténuants - Tolérance - Justification du recours aux incidents non disciplinaires dans le dossier antérieur - Indemnité tenant lieu de réintégration - le fonctionnaire s'estimant lésé travaillait comme électricien depuis 1986 quand il a été licencié, le 28 juin 2002, pour insubordination - depuis 1996, et suite à la tenue d'une enquête interne en raison de problèmes interpersonnels entre le fonctionnaire s'estimant lésé et d'autres personnes, le fonctionnaire s'estimant lésé s'est vu refuser l'accès à certains secteurs du milieu de travail - de ce fait, il devait passer beaucoup d'heures sans travail parce que, dans les secteurs où il avait accès, la charge de travail était plus légère que dans les zones d'accès restreint - au moment de son licenciement, son dossier disciplinaire comprenait des suspensions d'une journée, de trois journées, de dix journées et de 20 journées pour des incidents survenus entre juillet et octobre 2001 - le 16 avril 2002, le superviseur a ordonné au fonctionnaire s'estimant lésé d'effectuer des travaux sur un feu de signalisation d'une certaine manière, ce qu'il a refusé - comme le superviseur ne voulait pas poursuivre la discussion dans l'atelier où les autres pouvaient entendre, il a demandé au fonctionnaire s'estimant lésé d'aller chercher un délégué syndical et de le rencontrer à l'étage supérieure - il avait l'intention d'expliquer au fonctionnaire s'estimant lésé qu'il devait effectuer les travaux de manière conforme aux spécifications de l'Atelier des gros travaux d'électricité, mais le fonctionnaire s'estimant lésé parlait plus fort que le superviseur, s'enfonçait les doigts dans les oreilles, tapait des pieds, faisait des bruits de bouche chaque fois que le superviseur tentait de parler - suite à cet incident, il a été décidé de licencier le fonctionnaire s'estimant lésé - l'employeur a fait valoir qu'il s'agissait d'un cas évident d'insubordination et que les chances de réhabilitation étaient minces, compte tenu de son historique et de son dossier disciplinaire - l'arbitre a statué que l'insubordination avait été démontrée et que, même si, par le passé, l'employeur avait laissé au fonctionnaire s'estimant lésé une marge de manoeuvre considérable en ce qui concernait son attitude au travail, le comportement du fonctionnaire s'estimant lésé, le jour en question, était clairement différent et rien ne démontrait que l'employeur avait jamais toléré un tel niveau d'insubordination - l'arbitre a cependant rejeté la tentative de l'employeur d'utiliser des affaires non disciplinaires antérieures de son dossier, parce que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait jamais eu la possibilité de déposer un grief en la matière et que, par conséquent, l'incident en question ne pouvait pas être assimilé à un incident important justifiant le licenciement - l'arbitre a statué qu'il s'agissait d'un incident grave justifiant une sanction sévère et qu'une suspension de huit mois s'appliquerait - cependant, comme il estimait que le lien de confiance était brisé et que la réintégration du fonctionnaire s'estimant lésé donnerait lieu à de nouvelles tensions et de nouveaux conflits, il a accordé au fonctionnaire s'estimant lésé une indemnité équivalant à 12 mois de salaire tenant lieu de réintégration. Grief rejeté. Décisions citées :Re Nanaimo Collating Inc. and Graphic Communications International Union, Local 525, (1998), 74 L.A.C. (4th) 251; Bellavance c. Canada, [2000] A.C.F. No 1284 (QL); Énergie atomique du Canada c. Sheikholeslami, [1998] 3 C.F. 349; McIntyre et Conseil du Trésor (Revenu Canada- Douanes et Accise) (166-2-25417); Amarteifio et Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada) (166-2-25829). * Le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté une demande à la Cour fédérale du Canada en vertu de la Loi sur la Cour fédérale pour faire annuler la décision de la Commission. L'affaire est en instance (dossier de la cour no T-204-04).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-07-31
  • Dossier:  166-2-31752
  • Référence:  2003 CRTFP 66

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

GARY DOUCETTE
fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Ministère de la Défense nationale)

employeur

Devant:  Ian R. Mackenzie, commissaire

Pour le fonctionnaire
s'estimant lésé :   
David A. Mombourquette, du Conseil de l'est des métiers
                            et du travail des chantiers maritimes du gouvernement
                            fédéral

Pour l'employeur :   Richard E. Fader, avocat


Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse),
du 15 au 17 avril 2003.


[1]      Gary Doucette était électricien à l'Arsenal maritime de Cape Scott du ministère de la Défense nationale (MDN), au niveau EDW-10. Le 5 juillet 2002, il a été congédié pour insubordination, rétroactivement au 28 juin de la même année. Le 17 juillet 2002, il a présenté un grief pour contester cette décision, et la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs est datée du 8 octobre 2002. Le grief a été renvoyé à l'arbitrage le 28 octobre 2002.

[2]      L'agent négociateur du fonctionnaire s'estimant lésé est le Conseil de l'est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral. La convention collective ne contient aucune disposition sur la discipline, de sorte que les dispositions pertinentes figurent dans une politique de l'employeur (OAPC 7.06, pièce G-2).

[3]      L'employeur a réclamé une ordonnance d'exclusion des témoins; je l'ai accordée.

[4]      Quatre témoins ont comparu pour l'employeur, et le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné pour lui-même.

[5]      Au début de la dernière journée d'audience, au moment où les parties allaient commencer à présenter leurs arguments, j'ai été informé que M. Doucette ne pourrait pas assister à l'audience, en raison d'une urgence médicale dans sa famille. Son avocat a déclaré qu'il avait consenti à ce que la plaidoirie soit présentée en son absence. En outre, par l'intermédiaire de son avocat, M. Doucette a présenté des excuses à tous les intéressés pour son absence.

La preuve

[6]      M. Doucette avait été suspendu sans traitement à compter du 28 juin 2002 jusqu'à ce qu'une décision soit prise sur la recommandation du capitaine J.S.R. Payne de le congédier. Dans une lettre datée du 5 juillet 2002, le vice-amiral Bruce MacLean a accepté cette recommandation et mis fin à l'emploi du fonctionnaire s'estimant lésé, à compter de la date de sa suspension (pièce E-18) :
[Traduction]

. . .

J'ai soigneusement analysé les faits entourant votre plus récente inconduite, quand vous avez refusé d'obéir à un ordre direct et fait preuve d'insubordination. Sur la foi de la preuve qui m'a été présentée, j'ai conclu que vous étiez bien coupable d'inconduite.

Quand j'ai étudié votre dossier disciplinaire, j'ai constaté qu'il est évident que votre manque persistant de respect pour l'autorité de la direction et le fait que vous ne vous êtes jamais corrigé ont abouti à une situation inacceptable. La direction ne croit plus du tout que vous êtes capable de devenir un membre productif de l'équipe de l'IMF Cape Scott.

Par conséquent, je souscris à la recommandation de mettre fin à votre emploi.

. . .

Contexte

[7]      M. Doucette est âgé de 50 ans. Il était au service du MDN depuis 1986; il a débuté comme compagnon électricien, mais, au moment de son congédiement, il travaillait à l'Atelier des armes sous-marines.

[8]      En 1996, à la suite d'une enquête interne, M. Doucette s'est vu interdire l'accès à certaines parties de l'Arsenal maritime (pièces E-1 et E-2). Il ne pouvait aller dans les endroits dont l'accès lui était interdit qu'avec l'autorisation de son surveillant, James (Jim) Hughes, un surveillant des services techniques (SST). M. Hughes a témoigné qu'il n'y avait pas de travail pour M. Doucette au printemps 2000. Il a déclaré que son interdiction d'entrer dans certaines parties de l'Arsenal faisait qu'il était difficile de trouver du travail pour lui, étant donné surtout qu'environ 80 p. 100 du travail des électriciens se fait à l'Atelier des armes de surface et qu'il lui était interdit d'y travailler. M. Hughes a demandé à maintes reprises aux autres SST s'ils avaient du travail pour M. Doucette, mais on lui répondait habituellement que non. Il a témoigné avoir été incapable de trouver des tâches quelconques à faire pour M. Doucette, même s'il y avait du travail pour les électriciens. Il a déclaré que c'était parce que les gens [traduction] « ne voulaient pas l'employer ». En contre-interrogatoire, il a déclaré qu'on pouvait dire qu'il aurait préféré que M. Doucette ne soit pas dans son lieu de travail.

[9]      Au cours de la période qui a mené à son congédiement, M. Doucette a témoigné qu'il avait passé 75 p. 100 de son temps sans avoir de travail, quelquefois pendant six mois d'affilée. Au début, quand il n'avait pas de travail à faire, il restait près de son bureau, au cas où des gens l'auraient cherché pour lui donner du travail. Plus tard, il a commencé à se promener dans le bâtiment où il était affecté pour parler avec les autres employés. Il communiquait périodiquement avec le service de maintenance pour savoir s'il y avait du travail. Il a témoigné que ce manque de travail lui donnait le sentiment qu'il était [traduction] « à peu près inutile » et aussi qu'il était une personne sans importance.

[10]      Quand David Conrod est devenu gestionnaire des services techniques (GST) à l'automne 1998, M. Hughes l'a mis au courant de la situation de M. Doucette. En contre-interrogatoire, M. Hughes a reconnu avoir dit à M. Conrod que M. Doucette était un problème administratif. Au départ, M. Conrod voulait faire lever les restrictions imposées à M. Doucette, mais M. Hughes ne souscrivait pas à cette idée, et M. Conrod a fini par être d'accord avec lui.

[11]      M. Conrod a témoigné qu'il avait le pouvoir d'ordonner à d'autres surveillants de donner du travail à M. Doucette, mais qu'il ne l'a pas fait puisqu'il préférait que cela se fasse volontairement.

[12]      À la fin de l'été 2000, M. Hughes avait réussi a trouver du travail pour M. Doucette, à l'Atelier de câblage des navires. M. Doucette a dit à M. Hughes qu'il ferait ce travail, mais peu après que cet engagement professionnel eut été pris, M. Hughes est parti en vacances. À son retour, il a appris que M. Doucette avait changé d'idée et qu'il avait refusé de faire le travail. Le surveillant de l'Atelier de câblage des navires, le premier maître Dulude, lui a dit qu'il ne confierait plus ce travail à M. Doucette, puisqu'il en avait déjà chargé quelqu'un d'autre. M. Hughes a témoigné que l'affaire s'était arrêtée là. En contre-interrogatoire, il a déclaré qu'il n'avait pas parlé de cet incident avec M. Doucette. M. Doucette a témoigné pour sa part qu'il avait essayé de se procurer des plans pour faire le travail, mais sans succès. La personne qui avait demandé le travail n'était pas à bord du navire; M. Doucette a déclaré que, par conséquent, il avait été incapable de le faire.

[13]      À la fin janvier 2001, on a trouvé du travail pour M. Doucette au service de maintenance de l'atelier. Le SST responsable était Kevin Yates. M. Doucette a travaillé là jusqu'au 1er juin 2001. M. Hughes a témoigné qu'il n'avait pas eu de plaintes de M. Yates au sujet du travail de M. Doucette, mais, le 1er juin 2001, celui-ci a cessé de travailler au service de maintenance. Là, il faisait partie d'une équipe de travail autogérée, chargée de travaux d'entretien préventif, mais n'était pas disposé à se charger du volet de réparations du travail. M. Hughes a témoigné que M. Yates lui avait dit qu'il reprendrait M. Doucette si M. Hughes lui rappelait qu'il devait accomplir toute la gamme des tâches nécessaires. M. Hughes a témoigné que M. Doucette lui a dit qu'il n'était pas disposé à retourner au service de maintenance et que, si M. Hughes lui ordonnait de le faire, il déposerait une plainte de harcèlement contre lui. Il a ensuite dit à M. Hughes qu'il allait déposer une plainte de harcèlement contre M. Yates. M. Doucette ne se rappelle pas avoir dit cela. Il a témoigné que, lorsqu'il travaillait pour M. Yates, celui-ci lui avait fait une remarque désobligeante sur sa capacité de travailler dur. Il a nié avoir dit qu'il porterait plainte contre M. Hughes. M. Hughes a témoigné que, lorsqu'il a dit à M. Yates que M. Doucette allait déposer une plainte de harcèlement contre lui s'il se faisait ordonner de retourner au service de maintenance, M. Yates a répondu qu'il n'y avait plus de travail pour lui. En contre-interrogatoire, M. Hughes a déclaré qu'il n'avait pas ordonné à M. Doucette d'aller travailler là, puisque M. Yates ne voulait plus de lui. M. Doucette a témoigné qu'il avait effectivement fini par déposer une plainte de harcèlement contre M. Yates, mais que l'enquête avait abouti à la conclusion que sa plainte n'était pas fondée.

[14]      M. Hughes a déclaré avoir recommandé que M. Doucette ne touche plus la prime d'équipe autogérée à l'automne 2001, quelque temps après qu'il fut revenu de son affectation au service de maintenance. M. Doucette avait fait partie d'une équipe autogérée à peu près de la fin janvier 2001 jusqu'au 1er avril de cette année-là. Il ne faisait plus partie d'une telle équipe, et M. Hughes a témoigné qu'il n'y avait pas d'équipe à laquelle il aurait pu se joindre. M. Doucette a déclaré qu'il avait écrit une lettre au Ministère pour se plaindre de la perte de sa prime, en demandant qu'on l'informe de ce qu'on lui reprochait. Il a déclaré que la réponse qu'il a reçue était vague, et qu'il n'est pas allé plus loin. Il a aussi témoigné, en contre-interrogatoire, qu'il avait raté la plupart des réunions de l'équipe parce qu'il n'était pas invité et qu'il n'était pas en contact étroit avec ses membres.

[15]      M. Doucette a témoigné être d'avis que son rendement s'était amélioré depuis 1999. Ses évaluations de 2000 et de 2001 montraient que son rendement s'améliorait. Dans son évaluation de rendement pour la période terminée en avril 2000 (pièce G-3), tous ses facteurs de rendement sont cotés « Normal » (niveau 6), et son évaluation de rendement pour la période terminée en avril 2001 (pièce G-4) révèle une augmentation d'un niveau pour cinq des sept facteurs de rendement. Dans son évaluation pour la période terminée en avril 2000, M. Hughes avait souligné une amélioration de l'attitude de M. Doucette vis-à-vis de la surveillance, ainsi qu'une amélioration de ses relations avec ses collègues. Dans l'évaluation de l'année suivante, il avait déclaré que le rendement de M. Doucette dans ses tâches d'entretien de routine de l'équipement des grosses installations était « entièrement satisfaisant ». M. Doucette n'a rien ajouté dans ces évaluations et n'a signé ni l'une ni l'autre d'entre elles.

[16]      M. Hughes et M. Conrod ont tous deux témoigné qu'on n'avait pas remis à M. Doucette de lettres-conseils (des documents non disciplinaires), au sujet des lacunes de son rendement.

Dossier disciplinaire

[17]      Le dossier disciplinaire de M. Doucette renferme une suspension d'une journée pour un incident survenu le 10 juillet 2001, une suspension de trois jours pour un incident qui s'est produit le lendemain 11 juillet 2001, une suspension de dix jours pour des incidents quatre jours distincts en juin et juillet 2001 ainsi qu'une suspension de vingt jours pour un incident le 11 octobre 2001. M. Doucette n'a présenté aucun grief pour contester ces sanctions. L'employeur s'est fondé sur les incidents en question pour justifier sa décision de le congédier, en alléguant que l'incident qui l'avait opposé à son surveillant le 16 avril 2002 était l'incident déterminant.

[18]      Trois de ces sanctions disciplinaires antérieures résultaient d'incidents à la porte de sécurité de l'arsenal. Le 10 juillet 2001, on avait allégué que M. Doucette avait volé un rouleau de serviettes de papier appartenant à l'Arsenal ([traduction] « Avis d'enquête », pièce E-10). L'avis de suspension d'une journée est daté du 19 décembre 2001 et signé par M. Conrod (pièce E-3) :
[Traduction]

AVIS DE SUSPENSION

          Après avoir enquêté sur les incidents relatifs à ce qui s'est passé à la porte centrale le 10 juillet 2001, j'ai conclu que vous vous êtes rendu coupable d'inconduite en refusant de coopérer avec le commissionnaire et en faisant entrave à l'exercice de ses fonctions, contrairement au Règlement sur les secteurs d'accès contrôlé relatif à la Défense. Le fait que vous avez quitté la propriété du MDN avant l'arrivée de la Police militaire me fait soupçonner que le rouleau de serviettes de papier appartenait bel et bien au gouvernement.

          Après avoir dûment tenu compte de tous les facteurs pertinents, je vous impose une suspension d'une journée, que vous purgerez le vendredi 21 décembre 2001. Je vous avertis qu'une autre infraction du genre pourrait aboutir à une sanction plus dure, pouvant aller jusqu'à votre renvoi de la fonction publique.

. . .

[19]      Le 11 juillet 2001, il s'est produit un autre incident à la porte de sécurité; on a allégué que M. Doucette avait refusé de coopérer avec le commissionnaire, faisant ainsi entrave à l'exercice de ses fonctions en vertu du Règlement sur les secteurs d'accès contrôlé relatif à la Défense (pièces E-11 et E-16). L'avis de suspension de trois jours signé par M. Conrod est daté du 19 décembre 2001 (pièce E-4):
[Traduction]

AVIS DE SUSPENSION

          À la suite de mon enquête sur les incidents relatifs à ce qui s'est passé à la porte centrale le 11 juillet 2001, j'ai conclu que vous vous êtes rendu coupable d'inconduite en refusant de coopérer avec le commissionnaire et que vous avez manqué de respect pour son autorité, en riant du malaise qu'il éprouvait à cause de la situation que vous aviez créée.

          Après avoir dûment tenu compte de tous les facteurs pertinents, je vous impose une suspension de trois jours, que vous purgerez les 24, 25 et 26 décembre 2001.

          Les employés du Corps des commissionnaires sont désignés pour faire respecter le Règlement sur les secteurs d'accès contrôlé relatif à la Défense; vous devez obéir à leurs instructions et les respecter. Votre comportement belliqueux était inacceptable; c'était du harcèlement. Je joins à cet avis un exemplaire du Règlement sur les secteurs d'accès contrôlé relatif à la Défense, pour que vous puissiez le lire et le garder en mémoire, et je m'attends à ce que vous accordiez aux commissionnaires la dignité et le respect dus aux gardiens de sécurité.

          Je vous avertis qu'une autre infraction de ce genre pourrait aboutir à des sanctions plus dures, pouvant aller jusqu'à votre renvoi de la fonction publique.

. . .

[20]      M. Doucette a témoigné que les incidents du 10 et du 11 juillet mettaient en cause le même commissionnaire et qu'ils avaient un conflit personnel. Il n'avait pas tenté de voler quelque chose qui appartenait à la Base le 10 et le 11 juillet; le commissionnaire lui avait tout simplement [traduction] « volé dans les plumes ».

[21]      M. Doucette a aussi écopé d'une suspension de dix jours, pour ne pas s'être conformé aux exigences d'assiduité, et ce quatre fois, en juin et juillet 2001 (le 15 juin et les 11, 23 et 24 juillet). Dans l'avis d'enquête (pièce E-12), il est allégué que, ces jours-là, M. Doucette était soit arrivé au travail en retard, soit était parti avant la fin de la journée sans en informer son surveillant (M. Hughes). Dans ce cas-là, l'avis de suspension, daté du 19 décembre 2001, a été signé par R.N. Cormier, le gestionnaire de la Prestation des services (pièce E-5) :
[Traduction]

AVIS DE SUSPENSION

          Par suite d'une recommandation de votre GST, j'ai fait enquête sur vos arrivées en retard et vos départs hâtifs le 15 juin 2001, le 23 juillet 2001 et le 24 juillet 2001, ainsi que sur le manque de respect dont vous avez fait preuve à l'égard du commissionnaire qui avait pris note de la date et de l'heure de ces incidents; j'ai conclu que vous vous êtes rendu coupable d'inconduite.

          Après avoir soigneusement analysé la situation, je vous impose une suspension de dix jours, que vous purgerez du 27 décembre 2001 au 9 janvier 2002 inclusivement.

          L'Installation de maintenance de la Flotte Cape Scott s'est fiée à l'honnêteté de ses employés pour faire respecter les exigences d'assiduité. Vous avez abusé de notre confiance, et c'est pourquoi vous recevrez une lettre précisant nos attentes quant à votre assiduité.

. . .

[22]      M. Doucette a témoigné que, après avoir écopé de cette sanction, il s'est vraiment efforcé de se conformer à la politique d'assiduité et de répondre à ses exigences.

[23]      Le 11 octobre 2001, M. Doucette aurait refusé de coopérer avec le commissionnaire et le garde militaire lors d'une menace d'attentat à la bombe à la porte Rainbow (pièce E-13). Dans son témoignage, il a déclaré qu'il craignait une attaque à l'anthrax et qu'il voulait quitter l'Arsenal, mais qu'on l'avait empêché de le faire. Il avait laissé un message à l'intention de M. Hughes pour l'informer qu'il partait et prenait un congé annuel. Quand la Police militaire a été appelée, il lui a dit que, si elle refusait de le laisser partir, elle pouvait l'escorter jusqu'à une cellule à l'extérieur de l'Arsenal. Il a témoigné que c'était la première fois qu'il était dans une situation d'attentat à la bombe et qu'il tenait vraiment beaucoup à quitter l'Arsenal. (La politique de l'employeur voulait que personne ne puisse entrer dans l'Arsenal ni le quitter jusqu'à ce que la menace d'attentat ait été évaluée.)

[24]      Pour cet incident, le capitaine Payne a imposé à M. Doucette une suspension de 20 jours, dans un avis de suspension daté du 19 décembre 2001 (pièce E-6). Il avait conclu que M. Doucette avait refusé de coopérer avec le commissionnaire et avec le garde militaire affectés à la porte Rainbow. L'avis de suspension avertissait aussi M. Doucette qu'on ne tolérerait plus d'autres actes d'inconduite et que, s'il récidivait, il écoperait de mesures disciplinaires plus dures, jusqu'à et y compris son congédiement pour raison disciplinaire.

[25]      M. Doucette a refusé d'accuser réception de tous ces avis d'enquête ou de suspension. Dans chaque cas, on peut lire dans le bloc de signature que le fonctionnaire ne voulait pas signer.

[26]      M. Conrod a témoigné que toutes ces sanctions disciplinaires avaient été imposées le 19 décembre 2001 parce qu'on avait eu de la difficulté à organiser des rencontres avec M. Doucette pour les fins des enquêtes. Son représentant syndical s'est présenté à trois des quatre réunions convoquées, contrairement à M. Doucette, qui a témoigné que les dates de ces réunions coïncidaient avec des périodes de congé, dans certains cas. Il a aussi déclaré que le préavis de 24 heures n'avait pas toujours été donné.

L'incident du 16 avril 2002

[27]      M. Doucette est retourné au travail en février 2002 après avoir purgé ses suspensions sans traitement (en tout 34 jours). M. Conrod, le GST, lui a trouvé du travail dans l'Atelier des gros travaux d'électricité, pour réparer des feux de signalisation. Normalement, les électriciens se rendent dans l'atelier où le travail doit être fait, mais, dans ce cas-là, on apportait les feux de signalisation où M. Doucette travaillait. Il y avait sept ou huit feux à réparer. Le 16 avril 2002, la réparation de certains d'entre eux était terminée.

[28]      Ce jour-là, M. Hughes a appris que Bill McKinnon, le SST de l'Atelier des gros travaux d'électricité, avait parlé à M. Doucette d'un feu de signalisation qui avait été retourné pour être repeint sans avoir été démonté. M. McKinnon a dit à M. Hughes que M. Doucette avait accepté d'aller chercher ce feu pour le démonter. Quand M. Hughes a parlé à M. Doucette, dans son atelier, celui-ci était perturbé; selon lui, il n'était pas nécessaire de démonter le feu de signalisation en question. Il a continué à discuter avec M. Hughes. Dans son témoignage, M. Doucette a déclaré qu'il n'était pas perturbé, mais que M. Hughes lui avait semblé agité. M. Hughes lui a dit qu'il devait faire le travail que l'Atelier des gros travaux d'électricité demandait conformément aux spécifications de l'Atelier. Quand il a témoigné, M. Hughes a dit que M. Doucette avait alors exigé qu'on lui dise si le feu de signalisation devait être sablé. M. Hughes ne le savait pas; il a dit à M. Doucette de se renseigner auprès de l'Atelier des gros travaux d'électricité. M. Hughes a témoigné qu'il craignait que le feu de signalisation ne soit endommagé s'il était envoyé au sablage au jet sans l'approbation de l'Atelier en question. Il a précisé que M. Doucette avait refusé de se renseigner comme il le lui demandait, en disant qu'il enverrait le feu sabler au jet. M. Hughes lui a dit : [traduction] « Je vous ordonne de vérifier auprès de l'Atelier des gros travaux d'électricité avant le sablage au jet ». M. Doucette a dit à M. Hughes qu'il ne pourrait pas vérifier parce qu'il était « occupé ». M. Hughes a affirmé dans son témoignage que sa conversation avec M. Doucette était vive et que M. Doucette était agité.

[29]      M. Doucette ne se rappelle aucune discussion sur le sablage au jet. Il se souvient, par contre, que la discussion portait sur la question de savoir s'il fallait que le feu de signalisation soit repeint. Il a témoigné que M. Hughes lui avait demandé à un moment donné - avant le 16 avril -, si l'un des feux devait être repeint. Il lui avait dit que M. McKinnon, le SST de l'Atelier des gros travaux mécaniques, n'avait pas [traduction] « donné le feu vert » pour la peinture. M. Hughes lui avait dit de vérifier immédiatement auprès de M. McKinnon. M. Hughes était agité. M. Doucette était alors allé voir M. McKinnon, qui lui avait dit que le feu pourrait être repeint. M. Doucette lui avait demandé de téléphoner immédiatement à M. Hughes, et M. McKinnon l'avait fait. M. Doucette a témoigné que, le 16 avril, M. Hughes lui a demandé comment ça allait et s'il fallait que le feu soit repeint. M. Doucette n'arrivait pas à comprendre ce que M. Hughes lui demandait; il pensait que c'était au sujet d'une demande antérieure. Il a témoigné avoir dit de façon sarcastique qu'il n'était pas peintre et qu'il n'avait pas le nécessaire pour peindre le feu. M. Hughes lui aurait alors dit : [traduction] « S'ils veulent que vous fassiez peindre les feux, vous allez le faire. » M. Doucette a déclaré avoir répondu [traduction] « Non? », d'un ton sarcastique, étant donné que tous les autres feux sur lesquels il avait travaillé jusque-là avaient été repeints. En contre-interrogatoire, il a déclaré qu'il considérait ce que M. Hughes lui avait dit sur la peinture plutôt comme une instruction, que comme un ordre.

[30]      M. Hughes a témoigné qu'il ne voulait pas poursuivre la discussion dans l'atelier, où d'autres personnes pouvaient les entendre. Il a dit à M. Doucette de trouver un représentant syndical et de le rencontrer à l'étage, dans son bureau. M. Doucette lui a répondu d'un ton moqueur qu'il ne pourrait pas le rencontrer dans son bureau, puisque M. Hughes n'avait pas de bureau. M. Hughes lui a alors dit de le rencontrer à son bureau. M. Doucette a rencontré M. Hughes à l'étage en compagnie d'un représentant syndical. M. Hughes a demandé au premier maître Conner d'assister à la rencontre à l'étage (dans une salle de conférence), pour prendre des notes et établir un compte rendu.

[31]      M. Hughes a déclaré dans son témoignage qu'il avait l'intention d'expliquer à M. Doucette qu'il ne pouvait pas trouver de travail pour lui et qu'il devait faire le travail qu'il faisait conformément aux spécifications de l'Atelier des gros travaux d'électricité. Avant qu'il ait fini de parler, M. Doucette l'a interrompu en disant que ce n'était pas de sa faute si M. Hughes ne pouvait pas trouver de travail pour lui. Il a continué à parler pendant que M. Hughes essayait de finir ce qu'il avait à lui dire. M. Hughes lui a ordonné de se taire pour qu'il puisse parler. En contre-interrogatoire, le premier maître Conner a témoigné qu'il aurait pu être difficile pour M. Doucette d'entendre cet ordre, en raison de ses interruptions. Le premier maître Conner a déclaré que M. Doucette s'enfonçait les doigts dans les oreilles, tapait des pieds, faisait des bruits de bouche (« la-la-la-la-la ») et disait qu'il ne pouvait pas entendre M. Hughes, mais qu'il pouvait voir ses lèvres bouger. À ce moment-là, M. Hughes s'est levé pour s'en aller. M. Doucette lui a dit qu'il devrait revenir, et qu'ils pourraient discuter. M. Hughes a poursuivi la rencontre, mais M. Doucette a continué à l'interrompre et à parler plus fort que lui chaque fois que M. Hughes tentait de dire quelque chose. C'est alors que M. Hughes a mis fin à la rencontre. D'après le compte rendu, rédigé par le premier maître Conner (pièce E-9), toute la rencontre n'a duré que quatre minutes. Le premier maître Conner a aussi témoigné que M. Hughes était un peu impatient à cette occasion et qu'il avait un ton sévère, pour faire passer son message.

[32]      M. Doucette a témoigné que M. Hughes lui a dit que ce travail-là était le seul qu'il pouvait trouver pour lui. M. Doucette se demandait si quelqu'un avait exprimé des doléances sur son travail, et il a demandé à M. Hughes si quelqu'un s'était plaint à cet égard. Il a aussi témoigné que M. Doucette avait commencé à lui agiter un stylo dans la figure. Il a dit s'être enfoncé les doigts dans les oreilles quand M. Hughes lui a dit qu'il ne voulait plus l'entendre piper mot. Il a admis que son comportement était répréhensible, mais il craignait de perdre son emploi et il avait tout simplement [traduction] « arrêté la machine ». Il a aussi déclaré qu'il n'avait pas l'impression que M. Hughes lui avait donné un ordre direct. Il a témoigné que M. Hughes disait habituellement [traduction] « Je vous ordonne » avant tout ordre direct. Quand son avocat lui a demandé s'il acceptait une partie du blâme pour le malentendu entre lui et son surveillant, M. Doucette a dit que oui, mais que, au moment de l'incident, il avait l'impression qu'il pourrait perdre son emploi à tout moment (il était [traduction] « au bord du précipice ») et croyait aussi qu'il fonctionnait à la satisfaction de tous.

[33]      En contre-interrogatoire, M. Hughes a nié avoir critiqué M. Doucette dans l'atelier. Il a déclaré avoir été d'avis que, comme ce n'était pas le premier feu de signalisation sur lequel il travaillait, M. Doucette aurait dû savoir s'il fallait le sabler au jet ou pas.

[34]      M. Hughes a immédiatement mis sur papier sa version de la rencontre (pièce E-7) et l'a apportée au chef des Ressources humaines, pour parler des recours ou des sanctions disciplinaires possibles. En contre-interrogatoire, il a déclaré qu'il voulait avoir cette rencontre dans la salle de conférence pour résoudre le problème et que, à la fin de la rencontre, il estimait n'avoir d'autre choix que de recommander une enquête disciplinaire.

[35]      Le 16 avril 2002, M. Conrod a émis l'avis d'enquête. Il y est allégué que M. Doucette s'était rendu coupable d'inconduite en refusant d'obéir à un ordre direct de son surveillant, M. Hughes (pièce G-5). C'est M. Conrod qui a mené l'enquête.

[36]      Le 29 avril 2002, M. Conrod a convoqué M. Doucette à une réunion dans le contexte de l'enquête sur l'incident (pièce G-6). Le représentant syndical de M. Doucette, Tom Denault, a assisté à cette rencontre avec lui. Michel LeBlanc, un agent des Ressources humaines, était aussi présent. À cette occasion, M. Doucette a déclaré à M. Conrod que M. Hughes ne lui avait pas donné d'ordre direct. Il a aussi déclaré que M. Hughes ne savait pas ce qu'il faisait. M. Conrod a témoigné que M. Doucette ne regrettait pas son comportement, mais qu'il était [traduction] « détendu et s'en fichait. »

[37]      Dans la note qu'il a rédigée après cette rencontre (pièce E-14), M. Conrod a justifié la mesure disciplinaire qu'il recommandait :
[Traduction]

. . .

Note :

M. Doucette ne m'a pas donné de renseignements sans se faire prier, et ceux qu'il m'a donnés n'avaient à peu près pas de sens. Il a été très nonchalant dans tout le processus d'entrevue, et il a constamment tenté de semer la confusion dans l'esprit des membres de l'équipe d'examen.

Entre décembre 2001 et janvier 2002, M. Doucette a écopé d'un total de trente-quatre (34) jours de suspension pour des actes d'inconduite plus simples. Depuis plusieurs années, il constitue un problème administratif. On l'a retiré de l'EA, de sorte qu'il ne touche plus la prime de 3 % des équipiers. M. Jim Hughes est le SEUL SST disposé à assurer la surveillance de M. Doucette.

Après avoir fait enquête sur les allégations d'inconduite de M. Doucette le 16 avril 2002, compte tenu de tous les faits qui m'ont été soumis, j'ai conclu que M. Doucette avait refusé d'obéir à un ordre direct de son supérieur et je recommande qu'il soit congédié de son poste d'électricien EEW-10.

[38]      Le résultat de l'enquête de M. Conrod a été communiqué à M. Doucette le 3 mai 2002 (pièce G-7). M. Conrod avait conclu que M. Doucette s'était rendu coupable d'insubordination vis-à-vis de son surveillant. En ce qui concernait la sanction disciplinaire, il écrivait ce qui suit dans cette lettre :
[Traduction]

. . .

En raison de votre inconduite au cours de la dernière année, je ne suis pas en mesure d'autoriser la sanction que j'ai recommandée pour votre refus d'obéir à un ordre direct. Je communique donc votre dossier, en vertu de mes pouvoirs délégués dans le contexte de la procédure disciplinaire, pour révision et détermination des mesures correctives.

. . .

[39]      M. Conrod a témoigné que, à son avis, l'ordre auquel M. Doucette avait refusé d'obéir était celui qui concernait le feu de signalisation. En contre-interrogatoire, il a reconnu avoir tenu compte de certaines des difficultés antérieures de M. Doucette. Il a témoigné que, au cours des deux ou trois dernières années, M. Doucette s'était [traduction] « monté un dossier ». Il a déclaré qu'il n'avait pas personnellement signalé ces problèmes (hormis les questions pour lesquelles l'intéressé avait écopé de sanctions disciplinaires) à M. Doucette et qu'il savait qu'on aurait dû accumuler plus de documents à cet égard.

[40]      M. Conrod a renvoyé la question à son superviseur, M. Cormier, qui a envoyé une note de service au capitaine Payne, le 28 mai 2002, pour demander qu'on recommande au vice-amiral commandant MacLean que M. Doucette soit congédié (pièce G-8). Cette note se lit notamment comme il suit :
[Traduction]

Objet : Dossier d'enquête disciplinaire (annexé)
  1. La procédure disciplinaire (voir la réf. a) a conclu que M. Doucette s'était rendu coupable de deux actes d'inconduite le 16 avril 2002, soit d'insubordination et d'avoir refusé d'obéir à un ordre direct de son surveillant. L'agent enquêteur, M. Dave Conrod, a renvoyé la décision sur les mesures à prendre à ses supérieurs.
  2. Compte tenu du dossier de M. Doucette, M. Conrod a recommandé son congédiement justifié. M. Doucette a récemment purgé des suspensions d'un, trois, dix et vingt jours, pour quatre cas d'inconduite antérieurs au cours des deux dernières années; pendant la majorité de ses années de service, il a été un fardeau administratif pour ses gestionnaires et il a grandement perturbé la SRU(A), voire l'ensemble de l'IMFCS. Plus d'une fois, les effets perturbateurs de son comportement intimidant se sont fait sentir à l'échelle de toute la Base.

. . .

[41]      Le capitaine Payne a écrit le 28 juin 2002 à M. Doucette pour lui annoncer qu'il était suspendu sans traitement jusqu'à ce qu'une décision soit prise sur la recommandation de le congédier pour raisons disciplinaires (pièce E-17):
[Traduction]

J'ai pris connaissance des faits concernant les allégations d'inconduite dont vous vous seriez rendu coupable en désobéissant à un ordre direct et en faisant preuve d'insubordination au cours d'une rencontre avec votre surveillant où vous deviez discuter de l'inconduite qu'on vous reprochait. L'examen de votre dossier disciplinaire révèle que les quatre actes d'inconduite qui y figurent, comme le plus récent, sont imputables à votre manque de respect pour l'autorité et pour les règlements et procédures établis.

La direction a tenté de continuer à vous employer malgré les nombreuses restrictions qui vous ont été imposées en raison de vos relations interpersonnelles insatisfaisantes. Votre surveillant, M. Hughes, a été votre plus grand défenseur au fil des années. Il n'est pas investi du pouvoir délégué de faire des recommandations sur les questions disciplinaires. Cette responsabilité incombe à la haute direction.

Vous êtes responsable de votre propre conduite, qui a été inacceptable. Je recommande que vous soyez congédié pour raison disciplinaire. Par conséquent, vous êtes suspendu sans traitement à compter de 10 h aujourd'hui, jusqu'à ce que l'on prenne une décision sur ma recommandation. L'accès à tous les locaux du MDN vous est interdit, et votre carte d'identité ainsi que votre laissez-passer pour votre automobile vous sont retirés.

Il vous est interdit de contacter qui que ce soit d'autre que des représentants syndicaux, autrement dit aucun employé, surveillant ou gestionnaire de l'IMF Cape Scott, à leur lieu de travail ou à leur résidence. Si vous essayez de communiquer avec eux, la police sera saisie de l'affaire. Toutes les rencontres administratives nécessaires seront organisées par l'intermédiaire de votre représentant syndical.

[42]      Le capitaine Payne a témoigné qu'il avait recommandé le congédiement de M. Doucette parce que celui-ci continuait de se comporter au mépris de toutes les attentes et qu'il constituait une très lourde charge administrative. Il s'était fondé aussi sur l'incapacité de l'intéressé à travailler comme membre d'une équipe autogérée. Il a expliqué que les évaluations de rendement généralement favorables de M. Doucette reflétaient les circonstances uniques de sa situation, puisqu'il travaillait seul, [traduction] « dans une bulle ». Le capitaine Payne a aussi déclaré que, avant l'incident du 16 avril, il n'y avait pas de projet de réintégration de M. Doucette dans le milieu de travail.

[43]      Le capitaine Payne était censé rencontrer M. Doucette pour lui remettre sa lettre, mais M. Doucette ne s'est pas présenté. Comme le capitaine Payne n'était pas au bureau pendant le reste de la semaine, c'est M. Cormier qui l'a remise à M. Doucette en son nom. M. Doucette a refusé de signer l'accusé de réception de la lettre.

[44]      Le 5 juillet 2002, le vice-amiral MacLean a envoyé à M. Doucette sa lettre de congédiement à compter du 28 juin 2002 (voir le paragraphe 6, supra).

[45]      Dans son témoignage, M. Hughes a déclaré qu'il serait très difficile de réintégrer M. Doucette dans le milieu de travail, qu'il y avait aliéné bien des gens et que le surveiller était une lourde tâche administrative. Le moral aurait souffert de son retour au travail. En contre-interrogatoire, M. Hughes a maintenu que l'attitude négative de M. Doucette et son comportement intimidant rendraient sa réintégration difficile. Il a aussi déclaré qu'il refuserait d'assurer la surveillance de M. Doucette s'il était réintégré. M. Conrod a témoigné quant à lui que le fonctionnaire s'estimant lésé constituait un fardeau et un problème administratifs et que sa réintégration serait contraire à l'obligation qui lui incombe de faire en sorte que le milieu de travail soit convivial et sans danger. M. Doucette a témoigné que, s'il était réintégré, il travaillerait comme il l'avait fait dans le cas des feux de signalisation, de façon efficiente et de son mieux. Il a déclaré qu'il appréciait M. Hughes comme patron et qu'il y avait eu un malentendu entre eux. Il s'est déclaré prêt à travailler pour ses surveillants (MM. Hughes et Conrod) s'ils étaient disposés à le reprendre.

ARGUMENTS

Pour l'employeur

[46]      Il s'agit en l'occurrence d'un congédiement en vertu de la Loi sur l'administration des finances publiques (LGFP). Dans ce contexte, l'arbitre de grief doit d'abord déterminer si les allégations portées contre le fonctionnaire s'estimant lésé sont fondées, autrement dit s'il a fait ce qu'on lui reproche. Ensuite, il doit juger si la pénalité (le congédiement, dans ce cas-ci) est justifiée. La pénalité ultime du congédiement est justifiée si la relation d'emploi est irrémédiablement rompue.

[47]      Pour prouver l'insubordination, on a établi quatre critères dans la jurisprudence arbitrale. Premièrement, il faut prouver qu'un ordre a été donné. Deuxièmement, il faut démontrer que l'ordre a été clairement communiqué. Troisièmement, l'ordre doit avoir été communiqué par une personne investie de l'autorité nécessaire vis-à-vis du fonctionnaire s'estimant lésé. Quatrièmement, il faut démontrer que le fonctionnaire s'estimant lésé a refusé d'obéir à l'ordre. L'insubordination s'attaque au fondement même de la relation d'emploi. Me Fader m'a renvoyé à Canadian Labour Arbitration (Third Edition) de MM. Brown et Beatty, 7.3612, ainsi qu'à la décision rendue dans Re Hunter Rose Co. Ltd and Graphic Arts International Union, Local 28-B (1980), 27 L.A.C. (2d) 338.

[48]      Pour déterminer s'il y a eu insubordination ou pas, la crédibilité des témoins est très importante. Ce dont les témoins de l'employeur - et plus particulièrement M. Hughes - se rappellent est totalement incompatible avec la version du fonctionnaire s'estimant lésé. Dans ces conditions, l'arbitre de griefs doit se fonder sur la prépondérance des probabilités. Me Fader m'a renvoyé à l'affaire Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354.

[49]      Quant aux faits, il est clair qu'un ordre a été donné. Les versions de MM. Hughes et Doucette sont inconciliables. Or, il est fondamental, en l'espèce, de déterminer si un ordre a été donné ou pas. Si aucun ordre n'a été donné, la réintégration devrait s'ensuivre. Par contre, si un ordre a été donné, le congédiement est justifié parce que le lien de confiance ne peut pas être rétabli sur une fondation de mensonges. Puisqu'il s'agit de décider qui dit la vérité, il est important de tenir compte des motifs. M. Hughes n'avait pas de vendetta personnelle contre M. Doucette et, lorsqu'il a témoigné, il ne donnait pas l'impression d'être vindicatif. En fait, son témoignage a été franc et ouvert. En outre, il avait pris des notes au moment des événements, et ces notes montrent clairement qu'un ordre a été donné.

[50]      Le fonctionnaire s'estimant lésé a un motif très évident pour mentir : retrouver son emploi. Son témoignage a été vague et difficile à comprendre. Sa chronologie des événements était confuse, et il a été incapable de répondre à plusieurs questions.

[51]      Le comportement dont le fonctionnaire s'estimant lésé a fait preuve le 16 avril 2001, tant dans l'atelier que dans la salle de conférence, se manifestait deux mois et demi après qu'il eut purgé 34 jours de suspension et témoigné d'un même manque de respect pour l'autorité et du même refus de coopérer. Il a admis s'être enfoncé les doigts dans les oreilles et avoir dit [traduction] : « Je vois vos lèvres bouger, mais je ne peux pas vous entendre. » Compte tenu de tous ces facteurs, selon la règle de prépondérance des probabilités, la preuve a démontré qu'un ordre a été donné.

[52]      En deuxième lieu, il faut déterminer si cet ordre a été clairement communiqué. Si je devais conclure qu'un ordre a été donné, je n'ai aucun élément de preuve laissant entendre qu'il n'a pas été clairement communiqué. M. Hughes a témoigné avoir prononcé deux fois le mot « ordre ». Le fonctionnaire s'estimant lésé ne peut pas alléguer qu'il ne pouvait pas entendre l'ordre parce qu'il s'était enfoncé les doigts dans les oreilles. Il ne peut pas créer des circonstances faisant qu'il ne pouvait pas entendre un ordre clairement communiqué.

[53]      Le troisième critère n'est pas contesté, à savoir que M. Hughes avait le pouvoir de donner un ordre au fonctionnaire s'estimant lésé. M. Doucette a témoigné qu'il savait que M. Hughes avait ce pouvoir et qu'il avait obéi à ses ordres dans le passé.

[54]      Le quatrième critère est celui du refus d'obtempérer à l'ordre. Je devrais accorder la préférence au témoignage de M. Hughes à cet égard, en concluant que M. Doucette a refusé d'obéir tant dans l'atelier que dans la salle de conférence.

[55]      Le comportement du fonctionnaire s'estimant lésé le 16 avril 2002 était clairement de l'insubordination. La preuve a démontré qu'il a refusé d'obéir à un ordre direct et qu'il s'est rendu coupable d'insubordination.

[56]      Pour ce qui s'agit de savoir si le congédiement est la pénalité qui s'imposait, la jurisprudence a établi que l'insubordination est extrêmement grave. Me Fader m'a renvoyé à l'affaire Hunter and Rose, précitée, et à Re British Columbia Railway and Canadian Union of Transportation Employees, Local 6 (1982), 8 L.A.C. (3d) 233. Quand un témoin ment, comme le fonctionnaire s'estimant lésé l'a fait, il perd le droit d'invoquer la défense qu'il comprend maintenant qu'il a fait une erreur et qu'il la regrette. MM. Conrod et Hughes ont témoigné que les autres fonctionnaires n'aimeraient pas voir M. Doucette revenir au lieu de travail. Il était difficile pour eux de le dire devant le fonctionnaire s'estimant lésé. Or, celui-ci n'a fait comparaître aucun témoin qui aurait pu dire que le voir revenir au lieu de travail ne le dérangerait pas.

[57]      Un arbitre de griefs peut se fonder sur d'autres éléments de preuve de nature non disciplinaire pour déterminer le potentiel de réadaptation des intéressés. Me Fader m'a renvoyé à Re Corporation of the City of St. Catharines and Canadian Union of Public Employees (1982), 6 L.A.C. (3d) 13. Les incidents avec le premier maître Dulude et avec M. Yates, survenus peu après que le fonctionnaire s'estimant lésé eut écopé de sanctions disciplinaires pour des actions analogues, ne laissent pas entendre que c'est quelqu'un qui va se réhabiliter.

[58]      Les autres incidents pour lesquels M. Doucette a été puni étaient presque exactement de la même nature : il y a un lien entre eux, et ce lien est un manque de respect pour l'autorité et un refus d'obéir aux ordres. Me Fader m'a renvoyé à l'affaire Dearnaley (dossiers de la Commission 166-2-15008 et 15009, ainsi que 166-2-15154 et 15155).

[59]      Le lien de confiance ne peut pas être rétabli sur la fondation de mensonges du fonctionnaire s'estimant lésé, qui n'a ni montré qu'il comprenait ses actes, ni dit les regretter. Son retour dans le milieu de travail serait mauvais pour le moral du personnel. L'employeur s'est acquitté de la sa charge de la preuve, et le grief devrait être rejeté.

[60]      Me Fader a déclaré que, subsidiairement, si je devais conclure que le congédiement n'est pas justifié, je ne devrais pas réintégrer le fonctionnaire s'estimant lésé dans ses fonctions, mais plutôt lui faire verser une indemnité de l'ordre de six mois de salaire. Me Fader me renvoie à cet égard à l'arrêt Champagne c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1987] A.C.F. no 906, et à la décision rendue dans Gannon (dossiers de la Commission 166-2-30351 et 30352).

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[61]      Ce grief est grave puisqu'il conteste un congédiement, autrement dit ce qu'on a qualifié de « peine capitale » dans le contexte des relations de travail. Il faut aussi tenir compte de la situation précaire dans laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé se retrouve. Il compte 16 années de service au RDN et, à 50 ans, il lui serait difficile de trouver un autre emploi.

[62]      Les critères de détermination de l'insubordination ne sont guère contestés. Me Mombourquette m'a envoyé à l'affaire Re Nanaimo Collating Inc. and Graphic Communications International Union, Local 525 (1998), 74 L.A.C. (4th) 251. L'absence d'intention subjective de défier la direction et le fait que l'état d'esprit du fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas blâmable sont aussi des facteurs importants (Canadian Labour Arbitration, précité, 7:36132).

[63]      En ce qui concerne les événements du 16 avril 2002, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé concède que ce dernier n'est pas certain de ce qui s'est passé. Il ne peut pas se rappeler si sa conversation avec M. McKinnon a eu lieu ce jour-là ou un autre jour. Le fonctionnaire s'estimant lésé n'est pas un homme qui s'exprime clairement, et il ne se rappelle pas non plus clairement les événements. Il est facilement en proie à la confusion et facilement secoué. Il ne se rappelle pas lui-même grand-chose de ces événements.

[64]      Le 16 avril, le fonctionnaire s'estimant lésé a interpellé son surveillant parce qu'il se rendait compte de la gravité de la situation et qu'il voulait des réponses. Celles de M. Hughes l'ont frustré, et quand il a commencé à prendre un ton sévère avec lui, M. Doucette a paniqué; en ses propres termes, il a [traduction] « arrêté la machine ». Il a admis que ses actes étaient répréhensibles. Il aurait pris un ordre pour un ordre, mais il a témoigné ne pas se rappeler qu'un ordre lui a été donné.

[65]      Les notes de M. Hughes sur les événements du 16 avril (pièce E-7) précisent qu'il a dit au fonctionnaire s'estimant lésé de faire ce que M. McKinnon lui demandait. M. Hughes a aussi témoigné qu'il n'a pas pris la discussion qu'ils avaient eue dans l'atelier comme un refus, mais plutôt comme une vive discussion. Dans le passé, il y avait eu des discussions de ce genre qui n'avaient pas été traitées comme des infractions disciplinaires, par exemple les incidents avec M. Yates et avec le premier maître Dulude. Il existait une pratique établie, dans laquelle ce genre de comportement de la part de M. Doucette était toléré. Il y avait eu une certaine marge de manouvre dans le passé. La relation entre MM. Hughes et Doucette n'était pas une relation militaire; leurs rapports étaient beaucoup moins rigides.

[66]      M. Doucette a répondu à M. Hughes de façon sarcastique quand il a dit « Non » à une de ses demandes. Il n'avait clairement pas l'intention subjective de défier la direction. Même s'il se rend compte, avec le recul, qu'il n'aurait pas dû dire cela, il n'avait manifestement pas l'intention de défier son supérieur. La dernière chose qu'il a dite à M. Hughes, c'était [traduction] « Je suis occupé ». M. Hughes a admis que M. Doucette n'avait pas refusé d'obtempérer, mais avait dit qu'il était occupé. Sur ce point, M. Hughes a témoigné qu'il pensait que le problème pourrait être réglé s'il se rencontraient à l'étage. À ce moment-là, il ne considérait pas la situation comme de nature disciplinaire. Néanmoins, l'incident dans l'atelier est celui sur lequel on s'est fondé pour justifier la décision de mettre fin à l'emploi de M. Doucette (pièce E-14). M. Hughes a témoigné que l'ordre direct auquel le fonctionnaire s'estimant lésé a refusé d'obtempérer était celui de se taire. M. Conrod n'en savait rien; il ne s'est pas fondé sur ce prétendu refus pour justifier sa conclusion. Il n'y a eu aucune conclusion à de l'insubordination dans le contexte de la rencontre à la salle de conférence. Les deux actes d'inconduite sur lesquels on s'est fondé dans la pièce G-8 n'étaient pas la conclusion de M. Conrod. Le capitaine Payne s'est aussi fondé sur la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé lors de la rencontre, bien que M. Conrod n'ait rien conclu à cet égard dans son enquête. Il y a clairement eu une rupture dans le processus décisionnel. La décision prise a été fondée sur des faits qui n'étaient de toute évidence pas conséquents. La personne qui a donné l'ordre (M. Hughes) a admis que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas refusé d'obtempérer. L'agent enquêteur n'a nullement conclu à de l'insubordination. La justice naturelle veut que les autorités se conforment à leur propre processus disciplinaire. L'employeur ne devrait pas être autorisé à imposer des sanctions quand les conclusions de l'agent enquêteur ne justifient pas la sanction imposée.

[67]      Un arbitre de griefs peut conclure que les mesures disciplinaires n'étaient pas justifiées sans se prononcer sur la crédibilité des parties. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il n'avait pas l'intention d'accuser M. Hughes d'avoir menti. M. Doucette était manifestement en proie à la confusion, et il y avait eu un malentendu de sa part. Il a admis qu'il aurait pu être plus serviable. Son comportement à la rencontre était répréhensible, il l'a reconnu.

[68]      Me Mombourquette a déclaré que, subsidiairement, si je devais conclure que l'employeur pouvait se fonder sur la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé à la rencontre pour étayer sa conclusion quant à l'insubordination, les actions du fonctionnaire s'estimant lésé n'étaient pas suffisantes pour le faire congédier, compte tenu de ses nombreuses années de service.

[69]      Me Mombourquette a souligné que l'employeur s'était fondé sur le dossier disciplinaire de M. Doucette pour justifier sa décision que le congédiement était la sanction justifiée. Or, ce dossier peut aussi avoir une certaine incidence sur la mitigation de la sanction. L'analyse du dossier professionnel du fonctionnaire s'estimant lésé, hormis les situations mettant en cause les commissionnaires, révèle que son rendement s'était amélioré, comme ses évaluations de rendement en témoignent. On ne lui avait signalé aucune doléance, et il ne s'était fait remettre aucune note ni aucun avis concernant son comportement. L'employeur avait la responsabilité de lui faire savoir si l'on s'était plaint de sa conduite. S'il avait des doléances, l'employeur aurait dû mieux gérer le rendement du fonctionnaire s'estimant lésé.

[70]      Les incidents antérieurs avec le premier maître Dulude et avec M. Yates étaient chose du passé; l'employeur ne pouvait pas les traiter comme des actes répréhensibles pour justifier sa décision. Me Mombourquette m'a renvoyé à l'affaire Re SKF Manufacturing of Canada Ltd and International Association of Machinists, Local 101 (1975), 9 L.A.C. (2d) 139.

[71]      Il est difficile de démêler le processus décisionnel qui a mené à cette décision de congédier le fonctionnaire s'estimant lésé. Il est clair que M. Doucette était un homme marqué, considéré comme un fardeau administratif par l'employeur. L'employeur a clairement tenu compte de ses antécédents pour arriver à cette décision, alors qu'il n'aurait pas dû le faire. Comment pourrions-nous savoir quelle aurait été cette décision s'il n'avait pas tenu compte du dossier de M. Doucette? Me Mombourquette m'a renvoyé à cet égard à Re Canadian Lukens Ltd and United Steelworkers of America (1976), 12 L.A.C. (2d) 439.

[72]      Une fois qu'un arbitre de griefs se penche sur la question décisive de savoir si la sanction disciplinaire était justifiée, sa réflexion devient axée sur les facteurs de mitigation (Re United Steelworkers of America, Local 3257 and the Steel Equipment Co. Ltd (1964), 14 L.A.C. 356). M. Doucette a de longs états de service (16 ans). L'incident en question est isolé. Les incidents antérieurs pour lesquels on lui avait imposé des sanctions concernaient les commissionnaires; c'étaient plus des conflits interpersonnels qu'une constante. L'incident du 16 avril n'était pas prémédité, mais attribuable à une situation extrêmement stressante pour le fonctionnaire s'estimant lésé. Ce que le congédiement signifie économiquement pour le fonctionnaire s'estimant lésé est grave, ne serait-ce qu'à cause de son âge. Il lui sera difficile de trouver un autre emploi. M. Doucette n'avait pas l'intention subjective de désobéir. Avant l'audience, il n'a pas eu d'occasion appropriée de présenter des excuses pour sa conduite. En fait, son avis de suspension lui interdisait expressément de communiquer avec qui que ce soit.

[73]      Qui plus est, l'employeur avait toléré le comportement de M. Doucette, ce qui devrait justifier la mitigation de la sanction qui lui a été imposée. La relation entre MM. Hughes et Doucette était caractérisée par des discussions et des récriminations. On aurait donc dû s'attendre à ce que ce soit leur façon ordinaire de communiquer. C'était le type de comportement que M. Doucette avait déjà eu dans le milieu de travail, et l'on n'avait rien fait pour le punir ou pour l'avertir de changer. Me Mombourquette m'a renvoyé à Anten (dossiers de la Commission 166-2-25442, 166-2-25873 à 25875 et 166-2-25971). Dans ce cas-là, l'arbitre avait substitué une suspension de huit mois au congédiement. Me Mombourquette a déclaré que, si je devais conclure que la décision de l'employeur était fondée, j'ai des raisons convaincantes suffisantes pour faire réintégrer le fonctionnaire s'estimant lésé, à savoir ses longs états de service, les difficultés économiques qu'il éprouverait par suite de son congédiement et la tolérance de son comportement par l'employeur. On devrait donner au fonctionnaire s'estimant lésé une dernière chance de se réhabiliter.

[74]      Selon Me Mombourquette, les faits dans Re Corporation of the City of St. Catharines, précitée, invoquée par l'employeur, étaient nettement différents des circonstances en l'espèce; je devrais donc les distinguer.

[75]      En ce qui concerne les arguments que l'employeur a avancés subsidiairement au sujet d'une indemnité plutôt que d'une réintégration, Me Mombourquette a déclaré que c'était de toute évidence un redressement extraordinaire et que le redressement habituel est la réintégration. Il serait de loin préférable d'autoriser une réintégration sous condition.

[76]      Subsidiairement, Me Mombourquette a déclaré qu'une indemnité de six mois de salaire plutôt que la réintégration, comme l'employeur l'a proposé, serait bien trop peu. Une indemnité plus convenable de dix-huit mois de salaire a été accordée dans Hébert (dossiers de la Commission 166-2-21575 et 166-2-21666).

[77]      L'employeur a soulevé des questions sur le degré de perturbation que causerait la réintégration du fonctionnaire s'estimant lésé. L'opinion de la direction est la seule qui ait été avancée devant la Commission. La direction a des raisons de tenir le fonctionnaire s'estimant lésé à l'écart du lieu de travail, puisqu'elle le considère comme un fardeau administratif. D'ordinaire, si l'employeur s'attaque à la réputation globale du fonctionnaire s'estimant lésé, il devrait faire témoigner des fonctionnaires qui ne font pas partie de la direction.

[78]      Pour conclure, Me Mombourquette a déclaré que la sanction devrait être retirée parce que la preuve n'était pas suffisante pour justifier la conclusion que le fonctionnaire s'estimant lésé avait refusé d'obéir à un ordre. L'agent enquêteur n'avait pas conclu à de l'insubordination, et ses supérieurs n'auraient pas dû tirer leurs propres conclusions sans faire enquête. Si je devais conclure que la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé était coupable, je devrais substituer au congédiement une sanction moins lourde, compte tenu des circonstances atténuantes.

Réplique

[79]      Le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé ne se rappelle pas les événements ne devrait pas le protéger des conséquences naturelles de ses actes.

[80]      Il ne faudrait pas conclure du témoignage de M. Hughes qu'il ne considérait pas l'incident dans l'atelier comme étant de nature disciplinaire, au moment où il a quitté l'atelier, qu'il avait jugé que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas refusé d'obtempérer à son ordre. Il n'était pas allé à son bureau pour rédiger une accusation, mais plutôt pour discuter davantage de la question avec M. Doucette. Cela ne modifie en rien le fait qu'il lui avait donné un ordre dans l'atelier.

[81]      En ce qui concerne les questions d'équité procédurale, l'arrêt de la Cour fédérale dans Tipple c. Canada (Conseil du Trésor) (1985), A.C.F. no 818 (CA) a conclu que l'audience d'arbitrage revient à entendre le grief de novo et remédie donc à tous les vices de procédure du processus disciplinaire.

[82]      Les décideurs avaient tous les documents pertinents et diverses déclarations en main quant aux événements du 16 avril 2002; ils ont fondé leurs décisions sur tous les événements de ce jour-là.

[83]      Pour ce qui est de la tolérance de la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé par l'employeur, Me Fader a souligné que le fonctionnaire s'estimant lésé avait témoigné que, lorsqu'on lui donnait un ordre, il y obéissait toujours. Par ailleurs, dans la situation concernant M. Yates, aucun ordre n'avait été donné, de sorte qu'il ne peut pas dire que l'employeur avait toléré qu'il désobéisse aux ordres.

[84]      L'employeur ne s'est pas attaqué à la réputation du fonctionnaire s'estimant lésé dans le contexte d'une éventuelle réintégration. Les témoins ont été clairs dans leur description des conséquences de sa réintégration pour le milieu de travail.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[85]      Les questions à trancher dans ce grief sont les suivantes :
  1. L'incident du 16 avril 2002 était-il un acte d'insubordination du fonctionnaire s'estimant lésé?
  2. Si oui, le congédiement était-il une sanction justifiée, compte tenu de toutes les circonstances?
  3. Si le congédiement n'était pas justifié, quelle était la sanction appropriée?
  4. Si le congédiement n'était pas justifié, la réintégration l'est-elle, compte tenu de toutes les circonstances?

Insubordination

[86]      La jurisprudence établit trois critères clés pour qu'on puisse conclure à l'insubordination :
1. un ordre clair a été donné, et le fonctionnaire s'estimant lésé l'a compris;
2. l'ordre a été donné par une personne en situation d'autorité;
3. le fonctionnaire s'estimant lésé a désobéi à l'ordre.
(Canadian Labour Arbitration, précité, et Re Nanaimo Collating Inc., précitée)

[87]      La conversation de MM. Hughes et Doucette a été vive, tant dans l'atelier qu'à la salle de conférence. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il n'y avait pas eu d'insubordination dans l'atelier, selon le témoignage de M. Hughes. M. Hughes a dit être d'avis que l'insubordination s'était manifestée dans la salle de conférence. Néanmoins, Me Mombourquette a souligné que M. Conrod avait témoigné qu'il avait conclu à la suite de son enquête que l'insubordination s'était produite dans l'atelier, quand M. Doucette avait refusé de demander à M. McKinnon s'il pensait que le feu devait être sablé au jet. À mon avis, l'opinion de M. Hughes n'est pas déterminante, puisqu'il n'est pas le décideur chargé d'imposer la discipline. Qui plus est, M. Hughes a témoigné qu'il pensait pouvoir expliquer à M. Doucette l'importance de se conformer à ses instructions. En d'autres termes, il ne considérait pas que la question était réglée dans l'atelier. Cela ne change rien au fait qu'un ordre avait été donné. J'estime que M. Hughes donnait simplement à M. Doucette la possibilité d'obtempérer à son ordre. Cet ordre n'était pas compliqué, et la tâche était simple. Il est raisonnable de conclure que M. Doucette avait compris l'ordre et qu'il avait préféré se comporter cavalièrement vis-à-vis de son surveillant au sujet de cet ordre.

[88]      Même si aucun ordre direct n'avait été donné, le comportement de M. Doucette dans l'atelier - et plus particulièrement à la salle de conférence - témoigne de son insolence et de son mépris à l'endroit de son surveillant, ce qui satisfait aussi aux critères pour conclure à l'insubordination (Canadian Labour Arbitration, précité, 7:3660).

[89]      Il n'est pas contesté que M. Hughes était le surveillant de M. Doucette et qu'il avait le pouvoir de lui donner un ordre.

[90]      M. Doucette a clairement désobéi à cet ordre, tant dans l'atelier que dans la salle de conférence. La rencontre dans la salle de conférence a vite tourné au vinaigre, et M. Doucette s'est montré insolent à l'endroit de son surveillant, en ne coopérant pas avec lui. Ses interruptions constantes et sa façon de s'enfoncer les doigts dans les oreilles étaient puérils et démontraient qu'il n'avait aucune intention d'obéir à l'ordre de son surveillant.

[91]      Bien que son surveillant et d'autres personnes à son lieu de travail aient laissé M. Doucette disposer d'une grande marge de manouvre dans son attitude en milieu de travail à d'autres occasions dans le passé, son comportement le 16 avril était manifestement bien différent de celui qu'il avait eu jusqu'alors. Rien dans la preuve n'a démontré que l'employeur ait jamais toléré une telle insubordination.

[92]      Bref, je conclus que le comportement de M. Doucette le 16 avril 2001 était de l'insubordination. La conversation dans l'atelier et la poursuite de cette conversation dans la salle de conférence constituent un acte ininterrompu d'insubordination justifiant des sanctions disciplinaires.

Justification de la sanction disciplinaire

[93]      La position de l'employeur consiste à dire que l'incident du 16 avril 2002 était un incident déterminant justifiant le congédiement. La doctrine des incidents déterminants précise les circonstances dans lesquelles l'employeur peut tenir compte du dossier disciplinaire du fonctionnaire s'estimant lésé pour déterminer la gravité de la sanction à imposer, mais elle n'est que l'aboutissement inévitable du principe de la discipline progressive. Si l'employeur peut démontrer que la discipline progressive n'a pas eu l'effet voulu de corriger le comportement répréhensible, un incident déterminant qui n'aboutirait pas autrement au congédiement peut être invoqué pour le justifier.

[94]      Pour qu'on puisse invoquer un incident déterminant afin de justifier le congédiement, il faut que les éléments suivants soient réunis :

(1) l'incident déterminant doit être passible de sanctions disciplinaires;
(2) les incartades antérieures sur lesquelles l'employeur se fonde doivent avoir été signalées à l'intéressé au moment où elles se sont produites, ou peu après. Il arrive fréquemment que des arbitres aient conclu que l'employeur ne peut pas se fonder sur des incidents à l'égard desquels il n'avait pas imposé de sanction disciplinaire au moment où ils s'étaient produits;
(3) on doit pouvoir établir une relation étroite entre le dossier antérieur et l'incident déterminant (les arbitres ne souscrivent pas tous à cet élément; voir Canadian Labour Arbitration, précité, 7:4314).

[95]      J'ai déjà conclu que l'incident du 16 avril était passible de sanctions disciplinaires. Il n'était pas trivial, mais je reconnais comme l'employeur qu'il ne suffisait pas en lui-même à justifier le congédiement.

[96]      À l'audience, l'avocat de l'employeur a introduit en preuve deux situations dans lesquelles le fonctionnaire s'estimant lésé aurait refusé d'exécuter une tâche. M. Doucette n'avait écopé de sanctions disciplinaires ni pour l'un, ni pour l'autre de ces incidents. Selon l'avocat de l'employeur, il est possible de soulever des questions non disciplinaires tirées des antécédents de l'intéressé, tandis que l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a maintenu le contraire. Il n'y a pas de consensus sur la possibilité d'invoquer des incidents non disciplinaires dans le contexte du dossier antérieur d'un employé (voir Canadian Labour Arbitration, précité). La Politique de discipline du MDN (pièce G-2) précise d'ailleurs que seule l'inconduite justifiant les mesures disciplinaires doit entrer en ligne de compte pour l'évaluation de l'incident déterminant :
DISCIPLINE PROGRESSIVE

29.
      [...] Cependant, avant que l'on puisse appliquer une discipline progressive, certaines conditions doivent être remplies : un nouvel acte d'inconduite doit être prouvé (dans le cas d'un congédiement, on reconnaît cet acte comme l'incident déterminant); il doit être clair que les gestionnaires ont tenu compte des antécédents de l'employé quand ils ont établi la mesure disciplinaire, et l'employé doit avoir eu connaissance de la sanction disciplinaire imposée pour chaque acte d'inconduite précédent. (Les caractères gras sont de moi.)

[97]      Je ne suis pas convaincu que les questions non disciplinaires devraient toujours être exclues du dossier du fonctionnaire s'estimant lésé. Néanmoins, certains facteurs associés aux incidents de nature non disciplinaire dans la présente affaire m'amènent à la conclusion qu'ils n'auraient pas dû être soulevés. Rien ne prouve en effet que ces incidents aient été signalés à M. Doucette dans des lettres-conseils ou des évaluations de rendement. Ainsi, l'incident mettant en cause le premier maître Dulude n'a pas été discuté avec M. Doucette. En outre, tous les gestionnaires intéressés (plus précisément le premier maître Dulude et M. Yates) n'ont pas été appelés à témoigner et ne pouvaient donc pas être contre-interrogés. Étant donné que les incidents évoqués par l'employeur n'avaient pas fait l'objet de sanctions disciplinaires, M. Doucette n'a jamais eu la possibilité de contester les conclusions que l'employeur a tirées sur ces incidents. Cela dit, il n'a pas présenté de grief pour contester les sanctions disciplinaires que l'employeur lui avait imposées jusque-là, renonçant ainsi à son droit de contester ces conclusions. De toute évidence, il n'a jamais eu la possibilité de présenter un grief pour contester l'interprétation de l'employeur des incidents d'ordre disciplinaire, de sorte qu'on ne peut pas prétendre qu'il a renoncé à son droit de contester les conclusions de l'employeur à leur sujet. Si l'employeur veut se fonder sur ces incidents, il devrait produire les gestionnaires qui peuvent témoigner et être contre-interrogés au sujet des événements sur lesquels il se fonde.

[98]      Bref, pour les motifs qui précèdent, ces incidents de nature non disciplinaire ne peuvent pas être considérés comme faisant partie du dossier du fonctionnaire s'estimant lésé.

[99]      L'employeur a maintenu que l'incident déterminant est lié aux sanctions disciplinaires qu'il avait imposées jusque-là. Je reconnais que les incidents à la porte avec le commissionnaire et la Police militaire sont liés, puisqu'il s'agissait dans chaque cas d'une désobéissance aux ordres, ou plus généralement d'un manque de respect de l'autorité du commissionnaire, qui est investi de certains pouvoirs délégués vis-à-vis des fonctionnaires (Règlement sur les secteurs d'accès contrôlé relatif à la Défense, pièce E-16), et de celle de la Police militaire. Par contre, la situation est bien différente en ce qui concerne la sanction disciplinaire qui a été imposée au fonctionnaire s'estimant lésé pour être arrivé en retard et parti trop tôt (la suspension de dix jours). L'avis d'enquête disciplinaire ne fait état que de problèmes d'assiduité, et le point focal de la lettre disciplinaire est l'obligation de M. Doucette de se conformer à la politique d'assiduité. Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné qu'il reconnaissait l'importance de se conformer à cette politique et qu'il s'était vraiment efforcé de se conformer aux exigences quant à l'horaire de travail. Rien dans la preuve n'a démontré qu'il ait eu des problèmes d'assiduité après avoir écopé de cette sanction disciplinaire. Dans ce cas-là, la sanction imposée a eu l'effet souhaité : corriger la tendance du fonctionnaire s'estimant lésé à ne pas se conformer aux règles d'assiduité. Comme la sanction qu'il avait imposée a eu l'effet souhaité, l'employeur ne peut pas se fonder sur le fait qu'il l'avait imposée pour justifier le congédiement.

[100]      Les suspensions imposées pour les incidents à la porte, même si elles correspondaient à des incidents différents, ont toutes été imposées en même temps, le 19 décembre 2001. Par rapport aux événements de juillet 2002, cela représente plus de cinq mois entre deux sanctions disciplinaires, compte tenu du fait que le fonctionnaire s'estimant lésé a purgé 34 jours de suspension d'affilée en décembre 2001, puis en janvier et février 2002. C'est sérieusement saper la raison d'être de la discipline progressive que d'imposer d'un seul coup des sanctions disciplinaires pour une série d'infractions commises sur une longue période. Néanmoins, M. Doucette savait qu'on envisageait de lui imposer des sanctions disciplinaires, et une partie des délais de la procédure est directement attribuable au fait qu'il ne s'était pas présenté à certaines entrevues disciplinaires.

[101]      Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l'incident du 16 avril 2002 ne peut pas être considéré comme un incident déterminant justifiant le congédiement. Il n'empêche que c'était un incident grave et qu'il justifiait des sanctions sévères, compte tenu des incartades qui avaient déjà valu d'autres sanctions au fonctionnaire s'estimant lésé. En raison des infractions disciplinaires antérieures qu'étaient ses affrontements à la porte ainsi que de la nature spontanée de son insubordination, une longue suspension - de huit mois - aurait été appropriée. Pour arriver à cette conclusion, j'ai aussi tenu compte du fait qu'on n'a pas signalé les difficultés de M. Doucette dans ses relations interpersonnelles en milieu de travail dans ses évaluations de rendement ni dans aucune lettre-conseil. En fait, l'évaluation de son rendement pour la période terminée en avril 2000 (pièce G-3) faisait état d'une amélioration de son attitude envers la surveillance.

La réintégration est-elle justifiable?

[102]      L'employeur a subsidiairement fait valoir que, si je devais conclure que le congédiement n'était pas justifié, je ne devrais pas ordonner la réintégration du fonctionnaire s'estimant lésé, mais plutôt ordonner qu'on lui verse une indemnité. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a maintenu que la réintégration devrait être la norme et qu'une indemnité tenant lieu de réintégration ne devrait être accordée que dans des circonstances exceptionnelles.

[103]      Si l'arbitre de griefs considère que le congédiement n'est pas justifié, la présomption est favorable à la réintégration, à moins qu'il n'y ait des raisons de conclure qu'elle ne serait pas appropriée. La Cour fédérale s'est prononcée le plus récemment sur la compétence de la Commission d'ordonner le versement d'une indemnité plutôt que la réintégration dans Bellavance c. Canada, [2000] A.C.F. no 1284, en ne décidant de ne pas intervenir dans la décision de l'arbitre de griefs d'ordonner le versement d'une indemnité plutôt que la réintégration. Dans ses motifs, la Cour a cité ceux du juge Létourneau, auteur de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Énergie atomique du Canada c. Sheikholeslami, [1998] 3 C.F. 349 :
Il est vrai que la réintégration n'est pas un droit, même lorsque le congédiement est jugé injuste; cependant, comme les auteurs I. Christie et al. le soulignent, une très grande prudence s'impose au moment d'invoquer l'exception à la réintégration, faute de quoi l'employé congédié injustement risque d'être pénalisé en perdant son emploi [...] En fait, une conclusion de congédiement injuste signifie que la relation de travail n'aurait pas dû être rompue au départ. En pareil cas, il existe nettement une présomption en faveur de la réintégration, sauf lorsque la preuve indique manifestement le contraire.

[104]      Le critère que les arbitres de griefs ont articulé consiste à savoir si la relation de confiance a été irréparablement ou irrévocablement rompue ou pas; par exemple, voir McIntyre (dossier de la Commission 166-2-25417) et Amarteifio (dossier de la Commission 166-2-25829).

[105]      Bien que je n'aie pas tenu compte pour fins disciplinaires des éléments de preuve relatifs aux questions de nature non disciplinaire figurant dans le dossier antérieur du fonctionnaire s'estimant lésé, ce sont des éléments sur lesquels je puis me fonder pour déterminer si la relation de confiance entre l'intéressé et l'employeur - une relation de toute évidence rompue par ses actes d'insubordination - peut être rétablie. En l'espèce, on m'a soumis des éléments de preuve sur les difficultés que l'employeur avait éprouvées afin de trouver du travail pour M. Doucette. Les raisons de ces difficultés ne m'ont pas toutes été exposées, puisque certaines d'entre elles découlent d'événements survenus en 1996, voire avant. On m'a aussi donné des éléments de preuve de la difficulté que l'employeur avait à gérer M. Doucette ainsi que de ses difficultés pour l'intégrer dans une équipe autogérée. Ses surveillants, et surtout M. Hughes, ont témoigné que sa réintégration serait difficile et que le moral du milieu de travail en souffrirait.

[106]      Le comportement dont M. Doucette a fait preuve le 16 avril 2002 ainsi que dans le contexte des infractions qui lui avaient déjà valu d'autres mesures disciplinaires montre qu'il est prompt, qu'il verse trop facilement dans le sarcasme et qu'il peut être très difficile à superviser. L'incident concernant le refus de M. Doucette de retourner travailler au service de maintenance pour M. Yates, en raison de ce qu'il considérait comme une remarque désobligeante, prouve lui aussi que M. Doucette est un employé difficile à gérer. Compte tenu de la difficulté de trouver du travail pour lui et des périodes qu'il a fréquemment passées sans faire de travail valable, son refus de retourner travailler au service de maintenance est difficile à comprendre.

[107]      Il est vraiment malheureux que le Ministère n'ait pas fait d'effort concerté pour s'attaquer auparavant au problème de rendement de M. Doucette avec ce dernier. Autoriser un fonctionnaire à rester nettement sous-employé si longtemps est mauvais pour l'intéressé, pour ses collègues dans le milieu de travail et pour la direction. Les événements qui ont mené à l'arbitrage de ce grief n'étaient peut-être pas inévitables, mais ils ne sont certainement pas étonnants, quand on pense à la situation professionnelle de M. Doucette au cours des quelques dernières années.

[108]      La réintroduction de M. Doucette dans ce milieu de travail, compte tenu de toutes les circonstances connexes de ses problèmes de comportement et de la difficulté de trouver un travail valable à lui confier, causerait inévitablement d'autres conflits et d'autres tensions dans le milieu de travail qui ne serviraient personne, y compris le fonctionnaire s'estimant lésé lui-même. L'explication que M. Doucette a donnée de son insubordination le 16 avril 2002 confirme aussi le bien-fondé de la conclusion que sa réintégration n'est pas la solution appropriée. Il a expliqué son comportement en disant qu'il pensait que [traduction] « son emploi était menacé », ce qui l'avait incité à [traduction] « arrêter la machine ». Pourtant, s'il était réintégré, son emploi continuerait d'être « menacé », et, comme son comportement l'a prouvé, il est incapable de tolérer pareil stress.

[109]      Compte tenu de l'âge de M. Doucette et de ses longs états de service, j'estime justifié de lui accorder une indemnité de 12 mois de salaire au taux de rémunération de son groupe et niveau, à la date de la présente décision.

[110]      Le grief est donc accueilli dans la mesure que je viens de préciser. Je vais en demeurer saisi pendant 60 jours à compter de la date de cette décision, dans l'éventualité où les parties auraient de la difficulté à la mettre en ouvre.

Ian R. Mackenzie,
commissaire

Rendue à OTTAWA, le 31 juillet 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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