Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Discrimination fondée sur la participation à des activités syndicales - Compétence - Autre recours administratif de réparation - Allégation de harcèlement et d'intimidation - le fonctionnaire s'estimant lésé alléguait qu'il y avait eu violation à l'article sur l'élimination de la discrimination de la convention collective, dans le cadre d'une confrontation avec un gestionnaire lors d'une réunion tenue au lieu de travail - le fonctionnaire s'estimant lésé était vice-président de sa section locale et délégué syndical principal intérimaire - il avait été désigné par la section locale comme responsable d'un dossier portant sur l'environnement de travail dans une section particulière et, à ce titre, il assistait à une réunion entre les employés et la direction - avant le début de la réunion, un gestionnaire lui a demandé la raison de sa présence, un échange musclé et embarrassant pour les personnes présentes s'est alors engagé entre les deux hommes - le fonctionnaire s'estimant lésé a déposé un grief la journée suivante - l'employeur a contesté la compétence de l'arbitre à être saisi du grief parce que le fonctionnaire s'estimant lésé aurait plutôt dû, à son avis, déposer une plainte fondée sur l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la LRTFP) - l'employeur a fait valoir que l'article 91 de la LRTFP permettait l'arbitrage de griefs lorsqu'aucun autre recours administratif de réparation n'était ouvert sous le régime d'une loi fédérale, et que l'article 23 de la LRTFP prévoyait un recours en matière de discrimination fondée sur l'activité syndicale - l'arbitre a conclu que l'historique de l'article 91 démontrait que la disposition avait d'abord été adoptée pour éviter le chevauchement des recours aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et de la LRTFP - il a fait valoir que la Cour fédérale avait conclu, dans plusieurs décisions, que l'article 91 de la LRTFP renvoyait à « une autre loi fédérale » - dans une décision antérieure, l'arbitre avait conclu qu'il n'était pas compétent à entendre un grief fondé sur une allégation de discrimination, mais ce faisant il s'était prononcé sur des questions touchant les droits de la personne et toutes les affaires invoquées par l'arbitre renvoyaient à des recours administratifs prévus sous d'autres lois - de plus, l'arbitre ne bénéficiait pas des motifs de la Cour d'appel fédérale dans une autre affaire - l'arbitre a également conclu qu'il n'existait pas de différence appréciable entre le renvoi à l'arbitrage et la plainte - en conclusion, il a déclaré qu'une analyse fondée sur l'objet de l'article 91 dans le contexte général du cadre législatif énoncé dans la LRTFP lui permettait de conclure qu'un arbitre était compétent à entendre un grief fondé sur une allégation de discrimination du fait de l'adhésion à un syndicat ou de la participation aux activités de celui-ci - quant à la question de fond se rapportant à l'allégation de violation de la convention collective, bien qu'il ne subsiste aucun doute que la confrontation ait créé un malaise, les interactions entre des personnes créant un malaise ne sont pas toutes assimilables à du « harcèlement » ou de l'« intimidation » - même si le gestionnaire a commis une erreur de jugement, celle-ci ne constituait pas une violation de la convention collective - rien ne démontrait que le rôle du fonctionnaire s'estimant lésé à titre de représentant syndical ait été restreint ou entravé, et rien ne démontrait qu'il avait été dénigré aux yeux de ses membres. Grief rejeté. Décisions citées :Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] 3 C.F. 445; Cooper c. Canada, [1974], 2 C.F. 407; Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999] 1 C.F. 459 (confirmée par l'affaire [2000] 3 C.F. 27 (C.A.); permission d'en appeler rejetée - [2000] C.S.C. no 12); Shaw, dossiers de la CRTFP 166-2-27880 à 27882 (1998) (QL)); Quan c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 2 C.F. 191; sous l'intitulé Conseil du Trésor c. Bodkin; Joss c. Conseil du Trésor (Agriculture et agroalimentaire Canada), 2001 CRTFP 27

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-03-16
  • Dossier:  166-2-31812
  • Référence:  2004 CRTFP 18

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

PATRICK RYAN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Devant :   Ian R. Mackenzie, commissaire

Pour le fonctionnaire
s'estimant lésé
:  
Barry Done, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Harvey Newman, avocat


Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse),
les 18, 19 et 20 novembre 2003.


[1]    Patrick Ryan a déposé un grief alléguant qu'il y avait eu violation à l'article sur l'élimination de la discrimination de la convention collective conclue entre l'Alliance de la Fonction publique du Canada (Services de l'exploitation) et le Conseil du Trésor du Canada, dans le cadre d'une confrontation avec Robert Evans, lors d'une réunion, le 11 janvier 2002. Il prétendait tout particulièrement que M. Evans s'était ingéré, par ses actions lors de la réunion, dans l'activité du syndicat et qu'il avait également enfreint la politique ministérielle en matière de harcèlement.

[2]    Au début de l'audience, M. Newman s'est opposé à ma compétence à entendre le grief. M. Newman a soutenu que l'affaire n'était pas un grief en bonne et due forme fondé sur l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) et que M. Ryan aurait dû déposer une plainte en vertu de l'article 23 de la LRTFP. L'article 91 de la LRTFP permet l'arbitrage de griefs lorsque aucun autre recours administratif de réparation n'est ouvert sous le régime d'une loi fédérale. L'article 23 de la LRTFP prévoit un recours en matière de discrimination fondée sur l'activité syndicale. L'objet de la plainte de M. Ryan était, selon M. Newman, l'intimidation visant à entraver l'exercice de droits accordés par la LRTFP - la question même qui est assimilée à une plainte aux termes de la LRTFP. M. Newman a également soutenu que le fonctionnaire s'estimant lésé savait qu'il était indiqué de déposer une plainte en vertu de l'article 23 puisqu'il renvoyait à cet article dans une correspondance avec l'employeur avant le dépôt du grief.

[3]    M. Newman m'a renvoyé à l'affaire Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999] 1 C.F. 459 (confirmée par l'affaire [2000] 3. C.F. 27 (C.A.); permission d'en appeler rejetée, [2000] C.S.C. no 12) et à l'affaire Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] 3 C.F. 445. Il a soutenu que le critère formulé dans ces décisions portait à savoir si le fond d'un grief aurait pu être traité par un autre recours. Cette disposition de la Loi vise à éviter le recoupement des recours. M. Newman a fait remarquer que l'article 91 ne dit pas « une autre loi fédérale »; par conséquent, l'autre recours mentionné à l'article 91 peut être prévu dans la LRTFP. M. Newman m'a demandé de refuser le renvoi à l'arbitrage parce que le grief n'était pas viable.

[4]    M. Done a soutenu que j'étais compétent à entendre le grief. Il a affirmé que l'article 92 de la LRTFP permet à la Commission de se déclarer compétente compte tenu que le grief portait sur une clause de la convention collective. L'employeur a accepté le grief et y a donné suite à tous les niveaux sans soulever de préoccupations quant au bien-fondé du grief.

[5]    M. Done a soutenu que l'intention du Parlement, dans l'article 91, avait été d'éviter le chevauchement des efforts et que les fonctionnaires s'estimant lésés s'y prennent à deux fois pour une seule et même affaire. Ce n'est pas le cas en l'espèce. En se fondant sur la jurisprudence de la Commission, l'agent négociateur a établi qu'il n'était pas indiqué de déposer une plainte en vertu de l'article 23 de la LRTFP dans les circonstances. Les décisions de la Commission ont établi que les droits prévus à l'article 8 de la LRTFP ne s'appliquent pas dans le cas d'une réunion ne portant pas sur la négociation ou une mesure disciplinaire : L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor et Stuart Watson et Wayne Humber (2000 CRTFP 5); MacKay et Faulds (dossier de la Commission 161-2-324 (1985) (QL) et Henderson et Murray (dossiers de la Commission 161-2-310 et 313 (1984) (QL). M. Done a renvoyé à l'affaire Boutilier, supra, dans laquelle il est statué que l'autre recours doit offrir un certain avantage à la personne. M. Done a soutenu que, dans le cadre d'une plainte déposée en application de l'article 23 de la LRTFP, la compétence de la Commission se limite aux redressements déclaratoires, ce qui n'apporte pas de solution au problème de relations de travail, ni un avantage personnel à M. Ryan. Les redressements que réclame M. Ryan dans ce grief ne peuvent pas être obtenus par l'entremise d'une plainte. Ce ne pouvait pas être l'intention de la loi d'imposer le dépôt de plaintes en vertu de l'article 23 dans ces circonstances parce que cela signifierait qu'il n'y aurait aucun recours pour intimidation ou discrimination dans le cadre d'une réunion ne portant ni sur la négociation, ni sur une mesure disciplinaire.

[6]    M. Done a affirmé que les décisions sur lesquelles se fondait M. Newman étaient des causes touchant les droits de la personne et ne s'appliquaient pas en l'espèce.

[7]    M. Done a aussi soutenu que, comme l'article 23 de la LRTFP ne prévoyait pas de délais, la cause de M. Ryan se retrouverait, de toute manière, devant la Commission. La même personne serait vraisemblablement saisie de l'affaire même s'il s'agissait d'une plainte. Ce serait simplement le même commissaire portant un autre chapeau.

[8]    M. Done était d'avis que je devrais reporter ma décision sur la question de la compétence et que je devrais entendre la preuve sur le fond de l'affaire. Il a soutenu que cela serait indiqué compte tenu que toutes les parties étaient présentes et prêtes à procéder.

[9]    En réponse, M. Newman a soutenu que les parties ne pouvaient pas admettre la compétence, car l'arbitre est compétent ou il ne l'est pas. Les questions de compétence peuvent être soulevées en tout temps au cours d'un grief, y compris à l'arbitrage. Le fait que le grief était fondé sur une disposition de la convention collective n'était pas pertinent. Le fait est que, outre le cas de condamnations criminelles pour lesquelles un pardon a été consenti, il existe un recours administratif pour tout ce qui est visé à l'article sur l'élimination de la discrimination (article 19) de la convention collective.

[10]    M. Newman a mentionné que, même s'il était souhaitable de donner suite au grief aux fins des relations de travail, cela n'est pas le rôle de l'arbitre. Celui-ci a un rôle statutaire très précis et ce n'est pas celui d'agir comme « médecin des relations du travail ». M. Newman a soutenu qu'une plainte fondée sur l'article 23 à ce stade ne se rendrait pas nécessairement jusqu'à l'audience parce que l'agent négociateur ne se présenterait pas devant la Commission avec les « mains propres ».

[11]    M. Newman a prétendu que la norme de preuve dans le cadre d'une plainte fondée sur l'article 23 était supérieure à celle s'appliquant à un grief. Il a aussi expliqué qu'il existait une différence au chapitre du contrôle judiciaire, puisque celui-ci relevait de la Cour d'appel fédérale, dans le cas d'une plainte, et de la Section de première instance de la Cour fédérale, dans le cas d'un grief.

[12]    M. Newman a aussi affirmé que le seul fait de ne pas obtenir de redressement ne signifie pas que la plainte n'est pas le processus approprié. M. Newman était d'avis qu'il ne serait d'aucune utilité d'entendre la preuve en l'espèce.

[13]    Lors de l'audience, j'ai demandé aux parties de présenter leurs observations relativement à l'affaire Shaw (dossier de la Commission 166-2-27880 à 27882 (1998) (QL)). M. Newman a fait remarquer que la décision avait été rendue avant la décision Boutilie, supra, mais que le raisonnement suivi n'avait pas été modifié par les décisions rendues plus récemment par la Cour d'appel fédérale. Selon lui, l'arbitre en était arrivé à la bonne conclusion. M. Done a soutenu que, dans l'affaire Shaw, le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas renvoyé expressément à une partie particulière de la disposition sur l'élimination de la discrimination. En revanche, M. Ryan avait clairement précisé la partie de la disposition qu'il invoquait. Il a également mentionné que je n'étais pas lié par cette décision.

[14]    J'ai réservé ma décision sur la question de la compétence et j'ai procédé à entendre la preuve sur le fond du grief. Lors de l'audience, j'ai bien expliqué que le consentement ou l'assentiment de l'employeur ne me conférait pas la compétence. J'ai aussi précisé qu'il m'était impossible de changer de chapeau afin d'entendre l'affaire comme s'il s'agissait d'une plainte fondée sur l'article 23, parce que j'avais été expressément nommé à titre d'arbitre aux termes de la LRTFP.

[15]    Une ordonnance d'exclusion des témoins a été accordée. Trois personnes ont témoigné au nom du fonctionnaire s'estimant lésé, le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné et deux personnes ont témoigné pour l'employeur. Les deux parties ont présenté un exposé introductif.

La preuve

[16]    Patrick Ryan travaille à la BFC Halifax dans le bâtiment principal d'approvisionnement de l'entrepôt. Lorsque les événements sont survenus, il était le premier vice-président de la section locale de l'Union des employés de la Défense nationale et délégué syndical principal intérimaire. Robert Evans est l'officier d'approvisionnement à la BFC Halifax. M. Evans supervise environ 190 personnes, dont M. Ryan.

[17]    M. Ryan a déclaré qu'il avait eu une rencontre antérieure avec M. Evans relativement à son retour au travail à la suite d'une affectation de sept mois. M. Ryan se rappelait que M. Evans avait donné un coup de poing sur la table lors de cette rencontre. M. Evans gardait en mémoire un contexte de confrontation et a confirmé qu'il avait « perdu la carte » et avait donné un coup de poing sur la table. M. Evans s'est aussi rappelé avoir rencontré M. Ryan dans l'atelier et que M. Ryan avait alors soulevé des problèmes concernant la température de l'atelier. M. Evans a déclaré qu'il avait senti que M. Ryan lui avait tendu « un piège ».

[18]    En décembre 2001, des problèmes ont éclaté au bureau de soutien aux services à la clientèle (BSSC) au deuxième étage du bâtiment D206. M. Ryan a déclaré qu'il avait été question de ces problèmes syndicaux-patronaux avec le commandant de la base (commandant A.J. Kerr) en décembre 2001, lors d'une réunion entre le commandant Kerr, Ken DeWolfe, président de la section locale du syndicat, et M. Ryan. Le syndicat avait alors demandé au commandant Kerr s'il était disposé à travailler avec lui pour régler les problèmes dans le milieu de travail. M. Ryan a affirmé que la section locale l'avait désigné comme représentant syndical responsable de ce dossier. M. Ryan a envoyé un courriel au commandant Kerr, le 13 décembre 2001, demandant le prolongement des délais relatifs aux griefs concernant les problèmes au bâtiment D-206 (pièce G-2). Dans ce courriel, M. Ryan déclarait que le syndicat participerait à toutes les réunions tenues avec les membres. Le commandant Kerr a répondu ce qui suit :

[Traduction]

Comme nous travaillons ensemble à trouver des solutions aux problèmes que vous et Ken [DeWolfe] avez soumis à mon attention relativement au contexte de travail du bâtiment D-206, je prolongerai les délais imposés aux employés pour le dépôt d'un grief afin de nous permettre de régler de manière informelle ces problèmes.

...

[19]    Le commandant Kerr a transmis une copie du courriel à M. Evans. Ce dernier ne se rappelait pas avoir pris connaissance de ce courriel à ce moment.

[20]    M. Evans a déclaré qu'il était devenu préoccupé au sujet du moral dans le milieu de travail et avait suggéré au commandant Kerr d'envisager le recours à une équipe de soutien aux bonnes relations de travail pour aider à résoudre les problèmes. Patricia Moriarty, chef de l'équipe de soutien aux bonnes relations de travail, a déclaré que M. Evans avait communiqué avec elle au début décembre 2001 pour discuter du moral dans le milieu de travail et du rôle que pourrait jouer une équipe de soutien aux bonnes relations de travail. Le rôle principal d'une telle équipe est de fournir des avis et des conseils informels en matière de harcèlement à quiconque est visé par une plainte de harcèlement. Son rôle consiste également à faciliter le règlement des conflits interpersonnels (pièce G-6).

[21]    M. Ryan a déclaré que plusieurs employés du service visé lui avaient demandé d'assister à toutes les réunions concernant les problèmes dans le milieu de travail et de représenter les employés lors de ces réunions. Deborah Irvine, employée du BSSC, a déclaré avoir demandé à M. Ryan d'assister à toutes les réunions portant sur les problèmes dans le milieu de travail, quelque temps au début décembre. M. Ryan a reconnu n'avoir pris aucune mesure pour informer M. Evans parce qu'il avait déjà obtenu l'assentiment du commandant de la base et que le courriel de celui-ci avait été transmis à M. Evans (pièce G-2). M. Evans a déclaré avoir dit à M. DeWolfe qu'il pourrait assister aux réunions s'il le souhaitait. M. Evans a déclaré que son rôle n'était pas d'inviter les représentants syndicaux, mais que si les employés souhaitaient la présence d'un représentant syndical, il n'y voyait pas d'inconvénient. Mme Irvine, ainsi que Daphne Daye et Wesley Embanks, tous des employés du BSSC, ont soutenu que M. Evans leur avait dit lors d'une réunion antérieure que le syndicat serait représenté lors de toutes les réunions.

[22]    Tous les employés ont été informés de cette première réunion avec l'équipe de soutien aux bonnes relations de travail par l'entremise d'un courriel du premier maître de 1re classe, H.J. Puddifant, envoyé le 20 janvier 2002 (pièce E-1). Mme Moriarty a déclaré que la réunion avait pour objet de faire un tour d'horizon du processus relatif aux bonnes relations de travail, notamment de sensibiliser aux enquêtes en matière de harcèlement et au respect dans le milieu de travail. Mme Daye a affirmé avoir envoyé une copie du courriel à M. Ryan peu après l'avoir reçu (pièce E-1). M. Evans a soutenu qu'il s'attendait à ce que le premier maître de 1re classe Puddifant organise la réunion et invite les représentants syndicaux.

[23]    M. Ryan a demandé à son superviseur, Charlie Payne, la permission d'assister à la réunion, et M. Payne a accepté. M. Embanks était un délégué syndical pour le BSSC. Il a déclaré qu'il avait besoin d'une représentation syndicale à la réunion et que lui-même n'assistait pas en sa qualité de représentant syndical.

[24]    M. Ryan a expliqué que, lorsqu'il est arrivé dans la salle de conférence, le premier maître de 1re classe Puddifant et la gestionnaire, Gloria Fry, étaient au fond de la pièce, et ils l'ont salué. M. Evans est entré dans la pièce, a regardé M. Ryan et s'est dirigé vers le fond de la pièce pour aider à installer le projecteur. M. Evans a déclaré que Mme Moriarty avait pointé du doigt M. Ryan en demandant qui il était. M. Evans a soutenu qu'il s'était questionné sur la raison de la présence de M. Ryan. M. Ryan n'était pas un employé du BSSC, et M. Evans n'avait pas été informé de la présence d'un représentant syndical.

[25]    M. Evans s'est approché de M. Ryan et a interrompu une conversation entre M. Ryan et M. Embanks. M. Evans a demandé à M. Ryan, sur un ton normal, pourquoi il était là. M. Ryan a alors répondu qu'il représentait les membres à titre officiel. Mme Moriarty a soutenu que M. Ryan avait déclaré avoir le droit d'être présent. M. Ryan a affirmé qu'à ce moment M. Evans avait haussé la voix et avait déclaré de manière belliqueuse que M. Ryan ne travaillait pas ici, mais plutôt en bas, et que ce qui se passait « en haut » ne le concernait nullement. M. Ryan a mentionné que M. Evans lui avait alors demandé de quitter la pièce. M. Ryan lui a répondu qu'il ne s'en irait pas parce qu'il était à la réunion à titre officiel pour représenter les membres. M. Evans a soutenu ne pas avoir demandé à M. Ryan de quitter la pièce. M. Evans a décrit M. Ryan comme étant tendu. M. Evans a affirmé qu'il n'était pas furieux, mais qu'il avait simplement tenté de régler le problème. M. Evans a alors demandé à M. Ryan de sortir dans le couloir pour parler, ce que M. Ryan a fait.

[26]    Après que MM. Ryan et Evans ont eu quitté la pièce, la porte s'est fermée derrière eux. M. Evans a soutenu qu'il faisait dos à la porte, mais qu'à sa connaissance la porte n'était pas fermée. Mme Irvine a affirmé avoir entendu le ton monté dans le couloir. M. Evans a demandé à M. Ryan de nouveau la raison de sa présence. M. Ryan a donné la même réponse que précédemment. M. Evans a alors demandé si quelqu'un dans la pièce avait demandé à M. Ryan d'assister à la réunion. M. Ryan a répondu par l'affirmative et il a dit à M. Evans qu'il devrait le savoir puisqu'il avait reçu le courriel du commandant Kerr (pièce G-2). M. Ryan a aussi dit à M. Evans que cet exercice de soutien aux bonnes relations de travail n'aurait pas été amorcé si ce n'était du syndicat qui en avait parlé au commandant Kerr. M. Evans a alors déclaré [traduction] : « Par conséquent, vous dites que quelqu'un à l'intérieur de la pièce vous a invité. Venez avec moi ». M. Evans a soutenu avoir dit à M. Ryan qu'il voulait vérifier s'il était vrai que quelqu'un l'avait invité.

[27]    M. Ryan a déclaré que, lorsqu'ils sont entrés dans la salle de conférence, M. Evans a déclaré, d'une voix colérique et forte, qu'il voulait savoir quelque chose. Il a ensuite dit [traduction] : « Je veux un vote à mains levées. Qui a invité M. Ryan à la réunion? » M. Evans a alors regardé chaque personne l'une après l'autre, et a peut-être pointé du doigt chacune d'elle, en demandant si elle avait invité M. Ryan. M. Evans a affirmé ne pas avoir pointé personne du doigt. Mme Moriarty ne se rappelait pas que les personnes aient été pointées du doigt. Elle a aussi soutenu que M. Evans semblait frustré, mais pas en colère. M. Ryan a déclaré que M. Evans s'était alors tourné vers lui en disant [traduction] : « Vous avez votre réponse, personne ne veut de vous ici. Vous m'avez menti. Je veux que vous quittiez la pièce ». M. Evans a déclaré qu'il n'avait pas accusé M. Ryan d'avoir menti. Mme Moriarty avait alors avancé que la présence de M. Ryan ne posait pas de problème à l'équipe. M. Evans a répondu que les choses en resteraient là pour le moment mais qu'il discuterait de la question plus tard avec M. Ryan. Il a aussi déclaré que, si M. Ryan lui avait expliqué qu'il était présent à la demande de M. DeWolfe, il n'y aurait eu aucun problème.

[28]    M. Ryan a soutenu qu'il avait l'impression que M. Evans avait tenté de dénigrer son poste de vice-président de la section locale et qu'il s'était senti humilié et embarrassé. Mme Moriarty a confirmé que les personnes présentes étaient mal à l'aise et que la tension était palpable dans la pièce. Elle ne se rappelait pas que M. Evans ait crié, mais il était clair qu'il était frustré. Cet incident n'a pas aidé à créer des relations de travail positives. Mme Irvine a expliqué qu'elle avait eu peur, et Mme Daye a affirmé que cet incident était gênant et n'avait rien de professionnel.

[29]    M. Ryan a déposé un grief le mardi suivant, soit le 15 janvier 2002, en invoquant les événements survenus lors de la réunion. M. Ryan demandait les redressements suivants :

1. Excuse par écrit;

2. Excuse devant tout le personnel;

3. Assurances qu'il n'y aurait plus d'ingérence dans les affaires syndicales;

4. Participation de M. Evans au cours SHAPE [élimination du harcèlement];

5. Audience à tous les niveaux;

6. Réparation intégrale.

[30]    Le commandant Kerr a déclaré dans la réponse au grief, en date du 6 février 2002, qu'après avoir discuté de la question avec les témoins à la réunion, il avait conclu que [traduction] « la tension était clairement présente » dans l'échange entre MM. Evans et Ryan. Cependant, il a conclu que M. Ryan n'avait pas été traité de manière à le dénigrer ou le harceler.

[31]    Dans la réponse au dernier palier du processus de règlement, le directeur général, Relations de travail, R.J. Sullivan a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

... Même si les observations des témoins à la réunion ne permettent pas de conclure que vous avez été harcelé, tel que vous l'avez allégué, je suis d'accord avec le commandant de la base lorsqu'il affirme, dans sa réponse au deuxième palier, que M. Evans aurait pu traiter la situation différemment. Par ailleurs, vous aviez l'obligation, en contrepartie, de clarifier la raison de votre présence et votre rôle à cette réunion.

[32]    M. Evans a affirmé qu'un avis de présence aux réunions avait toujours été, par le passé, donné à titre de courtoisie aux fins des relations syndicales-patronales. Il avait une entente avec M. DeWolfe à l'effet que le syndicat pourrait prendre part à l'exercice. Il s'attendait à ce que M. DeWolfe soit présent et non M. Ryan. Il a soutenu avoir été frustré du fait que ni lui, ni le premier maître de 1re classe Puddifant, ni Mme Moriarty n'ait été informé de la présence de M. Ryan. Il a indiqué qu'il souhaiterait avoir fait les choses différemment et que ce n'était pas le moment dont il était le plus fier. Il a reconnu qu'il avait placé M. Ryan sur la sellette et qu'il l'avait fait sentir mal à l'aise, ainsi que tout le personnel. Il a déclaré qu'il aurait probablement dû expliquer pourquoi il posait des questions. M. Evans a aussi soutenu qu'il avait eu l'intention de discuter de l'affaire avec M. DeWolfe, mais qu'il s'était abstenu de le faire en raison du grief déposé par M. Ryan.

Arguments

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[33]    Selon M. Done, il ne faisait aucun doute que ce qui s'était passé dans la salle de conférence, le 11 janvier 2002, n'aurait jamais dû se produire. La question est d'établir si ce comportement inapproprié allait à l'encontre de l'article 19 de la convention collective. M. Ryan n'a pas réagi de manière déraisonnable face au comportement de M. Evans. Le comportement de ce dernier pourrait peut-être s'expliquer jusqu'au moment où M. Ryan s'est identifié et a expliqué son rôle à la réunion. Pour une raison quelconque, la présence de M. Ryan causait un problème à M. Evans.

[34]    M. Done a déclaré que M. Evans savait que M. Ryan était invité à participer à la réunion puisque le commandant Kerr lui avait envoyé un courriel au cours du mois précédent (pièce G-2). Une fois que M. Ryan lui a dit pourquoi il était à la réunion, M. Evans n'était pas disposé à en rester là et a invité M. Ryan à discuter dans le couloir. Lorsqu'ils sont revenus dans la salle, M. Evans a commencé à demander à toutes les personnes présentes qui l'avait invité. M. Done s'est demandé : pourquoi était-ce nécessaire de le savoir? Quelle importance avait la réponse? M. Evans ne s'est pas adressé au président de la section locale le lendemain pour discuter de la question. Par conséquent, ce ne devait pas revêtir une si grande importance pour M. Evans. M. Done a soutenu que M. Evans aurait plutôt dû demander à M. Ryan s'il avait la permission de son superviseur pour assister à la réunion. M. Ryan avait obtenu cette permission.

[35]    M. Done a fait valoir que le regret exprimé par M. Evans lors de l'audience se rapprochait d'une excuse, mais elle a été faite près de deux ans après les événements. La politique sur « la prévention et la résolution du harcèlement » du Ministère (pièce G-5) définit le harcèlement comme suit :

... tout comportement inopportun et injurieux d'une personne envers une autre ou d'autres personnes sur les lieux de travail et dont l'auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu'un tel comportement pouvait offenser ou blesser. Il comprend tout acte, propos ou étalage qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d'intimidation ou menace. Il comprend le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

[36]    M. Done a soutenu que les gestes de M. Evans correspondaient à cette définition. Le comportement de M. Evans était plus qu'inapproprié et avait dépassé les bornes, ce qui avait donné lieu à une violation de la convention collective. M. Done a fait valoir qu'un redressement valable et formel s'imposait face à cette violation de la convention collective.

Pour l'employeur

[37]    M. Newman a fait valoir que le regret exprimé par M. Evans devrait largement permettre de régler la situation. Ce n'est pas un problème systémique. La partie patronale a toujours été d'avis que M. Evans aurait pu mieux composer avec la situation. Il est malheureux que la situation se soit rendue jusqu'ici, car elle aurait pu être résolue à une étape antérieure.

[38]    M. Newman a déclaré que, sans vouloir rejeter le blâme, une confrontation met en cause deux personnes. Il est malheureux que la situation ait pris une telle proportion. Les deux parties avaient la possibilité de faire quelque chose pour éviter que la situation dégénère, mais elles ne l'ont pas fait. La réaction de M. Evans n'était pas appropriée. Une chose a mené à une autre, et tout s'est passé très rapidement. D'une certaine manière, a témoigné M. Newman, M. Evans s'est fait prendre au piège à la réunion. Il était clair que M. Ryan estimait avoir le droit d'être présent, mais il n'y avait pas eu d'invitation comme telle. M. Ryan n'a pas compris les préoccupations de M. Evans et les positions se sont durcies.

[39]    M. Newman a fait remarquer que l'échange de courriels entre M. Ryan et le commandant Kerr (pièce G-2) a eu lieu quelque temps avant la réunion. L'objet de cet échange était l'extension des délais imposés pour le dépôt de griefs, et nous ne savons pas si M. Evans a bien lu le courriel au complet. C'est M. Evans qui a proposé l'idée de l'équipe de soutien aux bonnes relations de travail et qui a fait part de préoccupations au sujet des relations dans le milieu de travail. Il n'a aucunement pris position contre le syndicat.

[40]    M. Newman a déclaré que la réunion s'était poursuivie et que M. Ryan avait été autorisé à rester. M. Evans a expliqué qu'il avait l'intention d'assurer un suivi auprès du président de la section locale, mais que M. Ryan avait déjà présenté un grief et que le processus formel avait été enclenché.

[41]    M. Newman a fait valoir que l'article 19 de la convention collective ne devait pas être utilisé pour des plaintes frivoles. Les plaintes de harcèlement ou de discrimination sont des allégations graves visant à dénoncer un comportement répréhensible et ne devraient pas être invoquées à la légère. Rien ne témoigne d'une attitude antisyndicale de la part de M. Evans. La preuve tend plutôt à démontrer qu'il accueillait favorablement la participation du syndicat. Bien que les événements survenus à la réunion étaient malheureux, ils ne constituaient pas une violation de la convention collective, et M. Ryan ne s'était pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait.

[42]    M. Newman m'a renvoyé à la politique du Conseil du Trésor sur le « harcèlement en milieu de travail » (pièce G-4), Floyd Joss et le Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada), (2001 CRTFP 27) et Henri Bédirian et Le Conseil du Trésor (Justice Canada), (2002 CRTFP 89).

[43]    En ce qui concerne les redressements que le fonctionnaire s'estimant lésé demandait, M. Newman a fait valoir qu'aucun arbitre n'avait jamais obligé quiconque à faire des excuses. Quant aux cours sur le harcèlement, M. Newman était d'avis que tous auraient intérêt à suivre un tel cours, pas seulement les gestionnaires.

Réponse du fonctionnaire s'estimant lésé

[44]    M. Done a expliqué que la politique du Ministère sur « la prévention et la résolution du harcèlement » (pièce G-5) prévoit qu'un geste unique peut constituer du harcèlement. Il n'est pas nécessaire qu'une ligne de conduite soit en cause. Selon M. Done, l'arbitre n'était pas tenu d'examiner d'autres affaires et il fallait plutôt se pencher sur la définition du harcèlement prévue dans la politique même du Ministère.

Motifs de la décision

Compétence

[45]    L'article 91 de la LRTFP établit le droit d'un employé de déposer un grief et, par conséquent, la compétence d'un arbitre à entendre ce grief :

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé :

a) par l'interprétation ou l'application à son égard :

(i) soit d'une disposition législative, d'un règlement -- administratif ou autre --, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,

(ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

91. (1) Where any employee feels aggrieved

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i) a provision of a statute, or of a regulation, by-law, direction or other instrument made or issued by the employer, dealing with terms and conditions of employment, or

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award, or

(b) as a result of any occurrence or matter affecting the terms and conditions of employment of the employee, other than a provision described in subparagraph (a)(i) or (ii),

in respect of which no administrative procedure for redress is provided in or under an Act of Parliament, the employee is entitled, subject to subsection (2), to present the grievance at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Act.

[46]    La phrase dans la version anglaise se lit comme suit : « in respect of which no administrative procedure for redress is provided in or under an Act of Parliament ». La version française dispose ce qui suit : « si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale. » La question en l'espèce est de savoir si le libellé signifie qu'un grief fondé sur une allégation de discrimination du fait de l'adhésion à un syndicat ou de la participation à ses activités peut être présenté en arbitrage.

[47]    La Cour fédérale ne s'est jamais penchée sur l'application de l'article 91 de la LRTFP aux plaintes et griefs déposés en vertu de la LRTFP. Les décisions concernant la compétence citées par l'avocat de l'employeur portent toutes sur des questions touchant les droits de la personne, et le recours administratif prévu pour traiter de ces questions relève d'une autre loi.

[48]    L'historique de l'article 91 est instructif. La disposition a d'abord été adoptée pour éviter le chevauchement des recours aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et de la LRTFP : Chopra, supra. Dans Cooper c. Canada (1974), 2 C.F. 407, la Cour d'appel fédérale a statué ce qui suit :

... on ne peut pas présenter un grief s'il se rapporte à une question à l'égard de laquelle une procédure administrative de réparation est prévue en vertu d'une loi du Parlement ... de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, mais doit soumettre sa plainte à l'organisme administratif qui détient, en vertu de la Loi applicable, le pouvoir de l'examiner. Un employé qui s'estime insatisfait de la décision de cet organisme ne peut présenter un grief à cet égard. [C'est nous qui soulignons].

[49]    La Cour d'appel fédérale, dans Boutilier, supra, a conclu que :

La Cour, de même que la Section de première instance de la Cour a constamment statué que, à la lumière du libellé de l'article en cause, l'intention du législateur était d'exclure de la procédure normale de règlement des griefs prévue sous le régime de la LRTFP certains sujets spécialisés qu'il estimait devoir être régis par le processus administratif instauré par la législation visant ces mêmes sujets.

[50]    La Cour d'appel fédérale a également cité avec approbation, dans la même décision, le jugement de la Section de première instance dans l'affaire Boutilier (supra) :

Un examen du régime législatif révèle qu'un employé n'a qu'un droit restreint de déposer un grief à chacun des paliers de la procédure prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. En particulier, le droit d'un employé de déposer un grief est limité à deux égards : selon l'exigence énoncée au paragraphe 91(1), par le fait qu'aucun autre recours administratif de réparation ne lui soit ouvert sous le régime d'une loi fédérale, et selon l'exigence énoncée au paragraphe 91(2), par le fait qu'il doit d'abord avoir obtenu l'approbation de son agent négociateur et être représenté par lui. En outre, en vertu de l'article 92, un employé ne peut renvoyer son grief à l'arbitrage qu'après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable. Dans le cas où un employé n'a pas le droit de déposer un grief à chacun des paliers de cette procédure, du fait de l'application d'une restriction légale prévue au paragraphe 91(1) ou au paragraphe 91(2), le grief ne peut être renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92. Autrement dit, lorsqu'une restriction énoncée au paragraphe 91(1) ou (2) prive un employé de son droit non absolu de déposer un grief, celui-ci ne peut par la suite envisager de renvoyer le grief à l'arbitrage en vertu du paragraphe 92(1). Si un employé essaie d'agir de la sorte, l'arbitre n'a pas compétence pour connaître de ce grief. [C'est nous qui soulignons]

[51]    L'avocat de l'employeur a insisté sur le fait que l'article 91 de la LRTFP renvoyait à un « régime d'une loi fédérale » et non à une « autre » loi fédérale. La Cour d'appel fédérale a conclu le contraire en renvoyant explicitement à une « autre » loi fédérale (version anglaise seulement), dans l'affaire Boutilier, supra, citée ci-haut. Il y a lieu de souligner que d'autres dispositions législatives sont beaucoup plus explicites au chapitre de la restriction de la compétence. Par exemple, le Code canadien du travail utilise la phrase « la présente Loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours » (alinéa 242(3.1)b)).

[52]    Dans l'affaire Shaw, supra, l'arbitre a conclu qu'il n'était pas compétent à entendre un grief fondé sur une allégation de discrimination du fait de la participation à l'activité syndicale. Il a invoqué la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Chopra, supra, pour soutenir la notion selon laquelle s'il existe un recours administratif dans une loi fédérale, l'agent négociateur et l'employé ne peuvent pas recourir à la procédure de règlement des griefs et il a statué que « C'est uniquement lorsqu'une loi ne prévoit pas de (d'autre) recours administratif qu'un fonctionnaire peut déposer un grief ». Toutes les affaires invoquées par l'arbitre pour en arriver à sa conclusion renvoient à des recours administratifs prévus sous d'autres lois que la LRTFP (soit la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ou la Loi canadienne sur les droits de la personne). De plus, l'arbitre n'a pas bénéficié des motifs de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Mohammed et autres, supra.

[53]    Dans l'affaire Boutilier, supra, la Cour d'appel fédérale a insisté sur l'intention du législateur de renvoyer à un « autre recours administratif » comme suit :

Il en ressort que le règlement des litiges relève principalement du régime des droits de la personne, ainsi que des autres régimes administratifs spécialisés, dont la spécificité et la cohérence sont clairement privilégiées par le législateur aux décisions des arbitres spéciaux.

[54]    L'accent placé sur l'expertise et la cohérence mène à l'examen des différences entre un renvoi à l'arbitrage et une plainte, et tout particulièrement, aux différences entre les décideurs dans le cadre de chacune de ces procédures. En vertu de la LRTFP, un commissaire peut siéger à titre d'arbitre (pour les griefs) ou de conseil (pour les plaintes). L'article 93 de la LRTFP dispose que la Commission doit désigner les commissaires qui entendront les griefs. Un arbitre est doté des mêmes pouvoirs qu'un commissaire qui entend une plainte, et la décision d'un arbitre est exécutoire au même titre qu'une ordonnance en vertu de l'article 23 de la LRTFP.

[55]    Il n'y a pas de différence notable entre les droits d'un employé en vertu de la loi et en vertu de la disposition sur l'élimination de la convention collective. La Cour d'appel fédérale a statué que, comme la disposition sur l'élimination de la discrimination de la convention collective et l'interdiction législative traitaient toutes deux des droits des employés, les parties doivent avoir eu l'intention d'assurer aux employés la même protection que celle déjà prévue aux termes de la LRTFP (Quan c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 2 C.F. 191; sous l'intitulé Conseil du Trésor c. Bodkin). La Cour a cité avec approbation la décision suivante de l'arbitre Bodkin :

[Traduction]

Il ressort clairement de l'article M-16 que la discrimination, l'ingérence, la restriction, la coercition, le harcèlement et l'intimidation, ainsi que l'exercice d'une mesure disciplinaire à l'égard d'un employé du fait de son activité dans un syndicat, sont interdits. Les termes « activités dans le syndicat » ne sont pas définis dans la convention collective. En réfléchissant à l'intention des parties à l'égard de ces termes, j'ai tenu compte du contexte des relations de travail dans lequel cette convention a été signée, ainsi que du contexte législatif. Je présume que l'intention des parties étaient, à tout le moins, d'assurer aux employés la même protection que celle déjà prévue dans l'article 6 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique...

Une interprétation stricte et étroite des termes « activités dans le syndicat » qui restreindrait la protection aux affaires administratives internes du syndicat ne tiendrait pas compte du contexte dans lequel les conventions collectives sont signées et ne servirait, en bout de ligne, qu'à priver l'article M-16 des effets souhaités.

[56]    La principale différence entre le renvoi à l'arbitrage et la plainte est que la décision de l'arbitre est assujettie au contrôle judiciaire par la Section de première instance de la Cour fédérale, alors qu'une décision dans le cadre d'une plainte est assujettie au contrôle judiciaire par la Cour d'appel fédérale. Je ne crois pas que cette distinction soit pertinente à la question de compétence.

[57]    En l'espèce, il n'y a pas de différence appréciable entre le renvoi à l'arbitrage et la plainte. La même expertise s'applique dans les deux cas, car les mêmes personnes, dotées des mêmes pouvoirs, entendent les plaintes et les griefs. Comme la Cour d'appel fédérale a statué dans l'affaire Quan, supra, que les mêmes principes s'appliquent aux plaintes et aux griefs portant sur l'activité syndicale, la question de cohérence ne pose pas de problème. La décision dans l'affaire Quan reconnaît aussi expressément le fait que les allégations de discrimination antisyndicale peuvent être déposées sous la forme de plaintes ou de griefs.

[58]    En conclusion, une analyse fondée sur l'objet de l'article 91 dans le contexte général du cadre législatif énoncé dans la LRTFP me permet de conclure qu'un arbitre est compétent à entendre un grief fondé sur une allégation de discrimination du fait de l'adhésion à un syndicat ou de la participation aux activités de celui-ci.

Discrimination fondée sur la participation aux activités syndicales

[59]    M. Ryan a allégué qu'il y avait eu violation de la disposition sur l'élimination de la discrimination de sa convention collective :

19.01 Il n'y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l'égard d'un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l'Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle il ou elle a été gracié.

[60]    C'est au fonctionnaire s'estimant lésé qu'appartient le fardeau de la preuve d'établir que les événements survenus le matin du 11 janvier 2002 constituent de la discrimination, de l'ingérence, de la restriction, de la coercition, du harcèlement ou de l'intimidation découlant de sa participation à une activité syndicale.

[61]    Il subsiste peu de doute quant à la confrontation survenue entre MM. Evans et Ryan lors de la présentation sur les bonnes relations de travail dans la salle de conférence. Malgré les différences dans le compte rendu de l'événement, la cohérence des témoignages est remarquable en dépit du temps écoulé. La confrontation qui s'est déroulée à l'intérieur de la salle de conférence et dans le couloir a clairement mis les participants mal à l'aise. Mme Moriarty, à titre de personne de l'extérieur, a observé la tension qui existait dans la salle. Lors de l'audience, M. Evans a reconnu que ce n'était pas le moment dont il était le plus fier. Cependant, les interactions entre des personnes créant un malaise ne peuvent pas toutes être assimilées à du « harcèlement » ou de l'« intimidation ». Dans l'affaire Joss, supra, l'arbitre a mentionné ce qui suit, aux paragraphes 90 et 96 :

... le harcèlement ne devrait pas être fondé sur des incidents isolés, sur des erreurs de jugement non délictuelles ou sur un comportement irréfléchi. Il ne devrait pas non plus, à mon avis, être utilisé comme une arme dans le milieu de travail, particulièrement quand il sert d'instrument de vengeance personnelle. La législation sur le harcèlement et les politiques sur le harcèlement en milieu de travail devraient plutôt servir non pas à causer des problèmes ou à exacerber des conflits personnels, mais bien à protéger ceux qui ont besoin de protection.

...

Dans les relations d'emploi, les cas d'amour-propre blessé, de ressentiments et même d'employés qui se détestent cordialement ne sont pas uniques. Pourtant, on ne peut pas toujours parler de harcèlement dans ces cas-là; le plus souvent, les deux parties ne sont pas sans reproche. Les sanctions disciplinaires ne sont pas nécessairement le meilleur remède pour les problèmes de ce genre, et il est certain que la façon optimale de les contrer n'est pas le recours aveugle aux politiques sur le harcèlement ou à des plaintes de harcèlement, comme cette triste histoire le démontre.

[62]    Les gestes posés par M. Evans à la réunion témoignent d'une erreur de jugement de sa part, ce que la haute direction a reconnu dans sa réponse au grief et que M. Evans a lui-même reconnu lors de l'audience. J'estime que cette erreur de jugement, bien qu'elle soit malheureuse, ne constitue pas une violation de la convention collective.

[63]    On n'a pas empêché M. Ryan d'assister à la réunion, et les commentaires de M. Evans n'ont pas restreint ou entravé le rôle de M. Ryan à titre de représentant syndical. Rien ne permet de conclure que M. Ryan a été dénigré aux yeux des membres du syndicat présents à la réunion. Même si ceux-ci ont ressenti un malaise, M. Ryan n'a pas perdu de crédibilité à la suite de cette confrontation.

[64]    Le processus de règlement des griefs n'est pas toujours le moyen optimal d'atténuer les tensions dans les relations syndicales-patronales. M. Ryan a déposé rapidement un grief, sans laisser le temps à la section locale et à la direction de discuter. M. Evans était repentant à l'audience et a reconnu qu'il avait réagi de manière excessive. Toutefois, cette admission ne semble pas avoir été exprimée au cours du processus de règlement des griefs. Il est effectivement triste que les deux parties n'aient pas fait d'efforts sincères pour régler le conflit avant de se rendre à l'arbitrage. Le « Maritime Forces Atlantic Guide to Good Working Relations » (pièce G-6) résume la situation ainsi :

[Traduction]

... Les bonnes relations de travail triompheront une fois que nous aurons reconnu que les différends non résolus ne disparaîtront pas d'eux-mêmes. Parce que le fait de retarder l'inévitable ne fait qu'exacerber les niveaux de stress, nous devons collectivement mieux « gérer le processus » et accorder la priorité au règlement rapide.

[65]    En conclusion, le grief est rejeté.

Ian R. Mackenzie,
commissaire

OTTAWA, le 16 mars 2004.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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